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Document 62003CJ0012

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 15 février 2005.
Commission des Communautés européennes contre Tetra Laval BV.
Pourvoi - Concurrence - Règlement (CEE) nº 4064/89 - Décision déclarant incompatible avec le marché commun une concentration de type 'conglomérat' - Effet de levier - Étendue du contrôle juridictionnel - Éléments à prendre en considération - Engagements relatifs à des comportements.
Affaire C-12/03 P.

Recueil de jurisprudence 2005 I-00987

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2005:87

Arrêt de la Cour

Affaire C-12/03 P


Commission des Communautés européennes
contre
Tetra Laval BV


«Pourvoi – Concurrence – Règlement (CEE) nº 4064/89 – Décision déclarant incompatible avec le marché commun une concentration de type 'conglomérat' – Effet de levier – Étendue du contrôle juridictionnel – Éléments à prendre en considération – Engagements relatifs à des comportements»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 25 mai 2004
    
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 15 février 2005
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Concurrence – Concentrations – Examen par la Commission – Appréciations d'ordre économique – Concentration de type conglomérat – Pouvoir discrétionnaire d'appréciation – Contrôle juridictionnel – Limites

(Règlement du Conseil nº 4064/89, art. 2)

2.
Concurrence – Concentrations – Appréciation de la compatibilité avec le marché commun – Concentration de type conglomérat – Présentation d'une analyse prospective rigoureuse s'appuyant sur des preuves solides

(Règlement du Conseil nº 4064/89, art. 2, § 2 et 3)

3.
Concurrence – Concentrations – Appréciation de la compatibilité avec le marché commun – Concentration de type conglomérat – Prise en compte de comportements anticoncurrentiels prévisibles susceptibles de produire un effet de levier – Admissibilité – Absence d'obligation pour la Commission d'en apprécier la vraisemblance au regard des risques inhérents à leur adoption par une entreprise

(Art. 82 CE; règlement du Conseil nº 4064/89, art. 2, § 2 et 3)

4.
Concurrence – Concentrations – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l'opération notifiée compatible avec le marché commun – Prise en compte des engagements tant comportementaux que structurels

(Règlement du Conseil nº 4064/89, art. 2, § 2 et 3, et 8, § 2)

5.
Concurrence – Concentrations – Appréciation de la compatibilité avec le marché commun – Prise en compte de l'élimination ou de la réduction significative d'une concurrence potentielle venant renforcer une position dominante – Admissibilité – Obligation pour la Commission de démontrer le renforcement allégué – Caractère insuffisant du seul constat de l'existence d'une position dominante très nette de l'entreprise acquéreuse

(Règlement du Conseil nº 4064/89, art. 2, § 1, 2 et 3)

1.
Les règles de fond du règlement nº 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, et, en particulier, l’article 2 de celui-ci, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations.
Si la Cour reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge communautaire doit notamment non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. Un tel contrôle est d’autant plus nécessaire s’agissant d’une analyse prospective requise par l’examen d’un projet de concentration produisant un effet de conglomérat.

(cf. points 38-39)

2.
Une analyse prospective, telle que celles qui sont nécessaires en matière de contrôle des concentrations, nécessite d’être effectuée avec une grande attention, dès lors qu’il ne s’agit pas d’examiner des événements du passé, au sujet desquels on dispose souvent de nombreux éléments permettant d’en comprendre les causes, ni même des événements présents, mais bien de prévoir les événements qui se produiront dans l’avenir, selon une probabilité plus ou moins forte, si aucune décision interdisant ou précisant les conditions de la concentration envisagée n’est adoptée.
Ainsi, l’analyse prospective consiste à examiner en quoi une opération de concentration pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s’il en résulterait une entrave significative à une concurrence effective. Une telle analyse requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte.
L’analyse d’une opération de concentration de type conglomérat est une analyse prospective dans laquelle la prise en compte d’un laps de temps étendu dans l’avenir, d’une part, et l’effet de levier nécessaire pour qu’il y ait une entrave significative à une concurrence effective, d’autre part, impliquent que les enchaînements de cause à effet sont mal discernables, incertains et difficiles à établir. Dans ce contexte, la qualité des éléments de preuve produits par la Commission pour établir la nécessité d’une décision déclarant l’opération de concentration incompatible avec le marché commun est particulièrement importante, ces éléments devant conforter les appréciations de la Commission selon lesquelles, à défaut d’adoption d’une telle décision, le scénario d’évolution économique sur lequel cette institution se fonde serait plausible.

(cf. points 42-44)

3.
Lors de l’analyse, par la Commission, des effets d’une opération de concentration de type conglomérat, la probabilité de l’adoption de comportements anticoncurrentiels susceptibles de produire un effet de levier doit être examinée de manière complète, c’est-à-dire en prenant en considération tant les incitations à adopter de tels comportements que les facteurs de nature à diminuer, voire à éliminer, de telles incitations, y compris le caractère éventuellement illégal de ces comportements.
Toutefois, il serait contraire à l’objectif de prévention du règlement nº 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, d’exiger de la Commission que, pour chaque projet de concentration, elle examine dans quelle mesure les incitations à adopter des comportements anticoncurrentiels seraient réduites, voire éliminées, en raison de l’illégalité des comportements en question, de la probabilité de leur détection, de leur poursuite par les autorités compétentes, tant au niveau communautaire que national, et des sanctions qui pourraient en résulter.
En effet, une telle analyse imposerait un examen exhaustif et détaillé des réglementations des divers ordres juridiques susceptibles de s’appliquer et de la politique répressive pratiquée dans ces derniers. Par ailleurs, pour être utile, une telle analyse présuppose un degré élevé de vraisemblance quant aux faits envisagés comme pouvant être reprochés car faisant partie d’un comportement anticoncurrentiel.
Il s’ensuit que, au stade de l’appréciation du projet de concentration, une analyse visant à établir l’existence probable d’une infraction à l’article 82 CE et à s’assurer que celle-ci fera l’objet d’une sanction dans plusieurs ordres juridiques serait trop spéculative et ne permettrait pas à la Commission de fonder son appréciation sur l’ensemble des éléments factuels pertinents afin de vérifier s’ils soutiennent la description d’un scénario d’évolution économique tel qu’un effet de levier.

(cf. points 74-77)

4.
S’agissant des engagements de nature à rendre l’opération de concentration notifiée compatible avec le marché commun proposés par les entreprises concernées, le principe est que ceux-ci doivent permettre à la Commission de conclure que l’opération de concentration en cause ne créerait ou ne renforcerait pas une position dominante au sens de l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises. Il se déduit d’un tel principe qu’il est indifférent que l’engagement proposé puisse être qualifié d’engagement comportemental ou d’engagement structurel et qu’il ne saurait être exclu a priori que des engagements à première vue de type comportemental, tels que la non-utilisation d’une marque pendant une certaine période ou la mise à la disposition des tiers concurrents d’une partie de la capacité de production de l’entreprise issue de la concentration, ou plus généralement l’accès à une infrastructure essentielle dans des conditions non discriminatoires, soient de nature eux aussi à empêcher l’émergence ou le renforcement d’une position dominante.

(cf. point 86)

5.
Il résulte de l’article 2, paragraphe 1, du règlement nº 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, que, pour apprécier la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché commun, la Commission tient compte d’un ensemble d’éléments tels que la structure des marchés en cause, de la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises, de la position ainsi que de la puissance économique et financière des entreprises concernées, des possibilités de choix des fournisseurs et des utilisateurs, de l’existence de barrières à l’entrée, et de l’évolution de l’offre et de la demande.
Dès lors, le simple fait que l’entreprise acquéreuse occupe déjà une position dominante très nette sur le marché concerné, bien que constituant un élément important, ne suffit pas en lui-même pour justifier la conclusion qu’une réduction de la concurrence potentielle à laquelle cette entreprise doit faire face est constitutive d’un renforcement de sa position.
En effet, la concurrence potentielle que représente un producteur de produits de substitution sur une partie du marché en cause n’est que l’un des éléments parmi l’ensemble de ceux qui doivent être pris en considération pour apprécier si une opération de concentration risque d’avoir pour effet de renforcer une position dominante. À cet égard, il ne saurait être exclu qu’une réduction de cette concurrence potentielle soit compensée par d’autres éléments, le résultat d’une telle compensation étant que la position concurrentielle de l’entreprise qui occupait déjà une position dominante demeure inchangée.

(cf. points 125-127)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
15 février 2005(1)

«Pourvoi – Concurrence – Règlement (CEE) n° 4064/89 – Décision déclarant incompatible avec le marché commun une concentration de type ‘conglomérat’ – Effet de levier – Étendue du contrôle juridictionnel – Éléments à prendre en considération – Engagements relatifs à des comportements»

Dans l'affaire C-12/03 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, introduit le 8 janvier 2003,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. M. Petite, A. Whelan et P. Hellström, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

l'autre partie à la procédure étant:

Tetra Laval BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas), représentée par M es A. Vandencasteele, D. Waelbroeck et M. Johnsson, avocats, ainsi que par M es A. Weitbrecht et S. Völcker, Rechtsanwälte,

partie demanderesse en première instance,



LA COUR (grande chambre),,



composée de M. P. Jann, président de la première chambre, faisant fonction de président, MM. C. W. A. Timmermans et A. Rosas (rapporteur), présidents de chambre, MM. C. Gulmann, J.-P. Puissochet et R. Schintgen, M me N. Colneric, MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M me L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 27 janvier 2004,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 mai 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 25 octobre 2002, Tetra Laval/Commission (T-5/02, Rec. p. II‑4381, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 2004/124/CE de la Commission, du 30 octobre 2001, déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun et l’accord EEE (Affaire COMP/M. 2416 – Tetra Laval/Sidel) (JO 2004, L 43, p. 13, ci-après la «décision litigieuse»).


Le règlement (CEE) n° 4064/89

2
L’article 2 du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, et rectificatif JO 1990, L 257, p. 13), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1, ci-après le «règlement»), dispose:

«1.     Les opérations de concentration visées par le présent règlement sont appréciées en fonction des dispositions qui suivent en vue d’établir si elles sont ou non compatibles avec le marché commun.

Dans cette appréciation, la Commission tient compte:

a)
de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun, au vu notamment de la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises situées à l’intérieur ou à l’extérieur de la Communauté;

b)
de la position sur le marché des entreprises concernées et de leur puissance économique et financière, des possibilités de choix des fournisseurs et des utilisateurs, de leur accès aux sources d’approvisionnement ou aux débouchés, de l’existence en droit ou en fait de barrières à l’entrée, de l’évolution de l’offre et de la demande des produits et services concernés, des intérêts des consommateurs intermédiaires et finals ainsi que de l’évolution du progrès technique et économique pour autant que celle-ci soit à l’avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence.

2.       Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun.

3.       Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun.

[...]»


La décision litigieuse

3
Il ressort de la décision litigieuse que quatre types d’emballages sont utilisés pour les liquides alimentaires: les emballages en carton et en plastique (les matériaux étant le polyéthylène téréphtalate, ci-après le «PET», et le polyéthylène à haute densité, ci-après le «PEHD»), la boîte métallique et les emballages en verre. Plusieurs facteurs déterminent le type d’emballage utilisé pour un produit. Les caractéristiques techniques du produit, celles du matériau d’emballage et celles liées à la technique d’emballage sont à cet égard des éléments importants.

4
Les produits plus particulièrement visés par la décision litigieuse sont les produits dits «sensibles». Il s’agit du lait et des produits laitiers liquides (ci-après les «PLL»), des jus de fruits et des nectars, des boissons non gazeuses parfumées aux fruits (ci-après les «BPF») et des boissons au thé et au café. Selon les cas, ces produits doivent être protégés contre la lumière, comme le lait, ou contre l’oxygène, tels les jus de fruits et, dans une moindre mesure, les BPF ainsi que les boissons au thé et au café. Le PET étant une résine poreuse à l’oxygène et qui laisse passer la lumière, il convient moins bien que le carton pour de tels produits. Toutefois, des recherches technologiques sont en cours en ce qui concerne les traitements dits «barrière», c’est-à-dire ceux qui permettent d’assurer une protection contre l’oxygène et la lumière.

5
La technique d’emballage est également un élément important pour le choix de l’emballage. Certains produits acides, tels que le lait et les jus de fruits, doivent en effet être emballés dans des conditions d’asepsie, à défaut de quoi ils doivent être distribués réfrigérés. Or, il ressort du dossier que l’emballage de ce type de produit dans un carton permet de mieux préserver les conditions d’asepsie dès lors que l’opération d’emballage est effectuée en une seule étape par l’entreprise productrice du liquide alimentaire concerné. Cette entreprise possède le plus souvent une ligne d’emballage intégrée. Elle achète le carton en rouleaux et procède au découpage, à la mise en forme, au remplissage ainsi qu’à la fermeture de l’emballage.

6
L’emballage d’un produit liquide dans du PET, en revanche, est effectué le plus souvent en plusieurs étapes, ce qui rend les conditions d’asepsie plus difficiles à respecter. Il faut tout d’abord produire une préforme, c’est-à-dire un tube de plastique réalisé à partir de résine, ensuite former la bouteille vide en plaçant la préforme dans une machine dite «Stretch Blow Moulding» («étirage, soufflage, moulage», ci-après la «machine SBM») contenant le moule propre à la forme voulue et, enfin seulement, remplir et fermer la bouteille. Ces différentes étapes peuvent être réalisées par des entreprises différentes. Il existe ainsi des «convertisseurs», dont l’activité consiste à fabriquer et à fournir des emballages vides aux producteurs de liquides. Toutefois, sont en cours de développement des lignes de production intégrées ainsi que des techniques de production permettant d’assurer plus facilement l’emballage dans des conditions d’asepsie.

7
Par la décision litigieuse, la Commission a déclaré incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), l’acquisition par Tetra Laval BV de la société Sidel SA (ci-après la «concentration notifiée»). Tetra Laval BV (ci-après «Tetra») est une société financière du groupe Tetra, lequel comprend également la société Tetra Pak, entreprise prééminente au niveau mondial dans le domaine de l’emballage en carton et considérée comme détenant une position dominante sur ce marché pour ce qui concerne l’emballage aseptique, tandis que Sidel SA (ci-après «Sidel») est une entreprise prééminente dans la production et la fourniture de machines SBM et active dans la technique du traitement «barrière». Ladite décision a été prise en application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement.

8
Dans la décision litigieuse, la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle les marchés des systèmes d’emballage concernant le carton et le PET sont des marchés distincts, mais étroitement liés et potentiellement convergents, qui comportent, notamment, une clientèle commune en expansion. Elle a également considéré qu’il existe, en particulier, des marchés distincts pour les machines SBM respectivement à faible et à forte capacité et que ceux-ci se subdivisent, à leur tour, entre les produits sensibles et les produits non sensibles. Cette distinction en fonction de l’utilisation finale s’expliquerait par les différences de spécifications desdites machines, les fabricants de celles-ci pouvant exercer une discrimination par les prix en fonction de cette utilisation finale, laquelle peut être déterminée au moment de l’achat, une telle discrimination ne pouvant être évitée par l’arbitrage.

9
Selon la Commission, l’opération de concentration notifiée inciterait Tetra à se servir, par l’exercice d’un «effet de levier», de sa position dominante sur le marché des équipements et des produits consommables pour emballages carton pour persuader ses clients sur ce marché, qui passent au PET pour l’emballage de certains produits sensibles, d’opter pour les machines SBM de Sidel, excluant de ce fait les concurrents beaucoup plus petits et transformant la prééminence de Sidel sur le marché des machines SBM pour produits sensibles en position dominante. Tetra serait aidée en cela par sa relation étroite et suivie avec ses clients, sa puissance financière, son savoir-faire ainsi que sa réputation dans le domaine aseptique et ultrapropre, par la force, la technologie et la réputation de qualité qui caractérisent actuellement Sidel et par la situation d’intégration verticale dont bénéficiera l’entité issue de la concentration notifiée (ci-après la «nouvelle entité») pour trois systèmes d’emballage (carton, PET et PEHD).

10
La Commission est également parvenue à la conclusion que, compte tenu de la faiblesse de la concurrence sur les marchés des équipements et des produits consommables pour emballages carton, la fusion de Tetra avec le premier producteur sur le marché en expansion des équipements PET, marché qui est étroitement lié à celui du carton, éliminerait une source importante de concurrence potentielle. Cela renforcerait la position dominante de Tetra sur les marchés des emballages carton et réduirait l’incitation qu’elle a à ajuster ses prix et à innover pour faire face à la menace que le PET fait peser sur sa position.

11
Certains engagements ont été pris par Tetra, au nombre desquels figurent ceux de maintenir Tetra et Sidel séparées pendant dix ans, de ne pas faire d’offres portant à la fois sur des produits carton et des machines SBM fabriquées par Sidel et de respecter les obligations qui lui incombent en vertu de la décision 92/163/CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d’application de l’article 86 du traité CEE (IV/31.043 – Tetra Pak II) (JO 1992, L 72, p. 1). La Commission a estimé que de tels engagements sont insuffisants pour résoudre les problèmes structurels de concurrence soulevés par l’opération de concentration notifiée et a fait valoir qu’il serait quasi impossible d’en contrôler le respect. Par l’article 1 er de la décision litigieuse, elle a par conséquent déclaré cette opération incompatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen.


L’arrêt attaqué

12
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 janvier 2002, Tetra a formé un recours en annulation contre la décision litigieuse. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la Commission avait commis des erreurs manifestes d’appréciation dans ses conclusions relatives à l’effet de levier et au renforcement de la position dominante de Tetra dans le secteur du carton et, en conséquence, il a annulé ladite décision.

13
En ce qui concerne les allégations de la Commission selon lesquelles la concentration notifiée exercerait des effets de conglomérat anticoncurrentiels et, en particulier, donnerait à la nouvelle entité la capacité et la tentation d’exercer un effet de levier en exploitant sa position d’ensemble dans le secteur du carton afin d’atteindre une position dominante sur le marché des machines SBM, le Tribunal a relevé que, selon la Commission elle-même, une telle position dominante ne découlerait pas de la concentration en soi, mais du comportement prévisible de ladite entité. Le Tribunal a cependant rappelé que, lorsque la Commission estime qu’une opération de concentration doit être interdite parce qu’elle créera ou renforcera, dans une période prévisible, une position dominante, il lui incombe de fournir des preuves solides au soutien d’une telle conclusion.

14
Le Tribunal a par ailleurs relevé que, afin d’évaluer la prévisibilité du comportement de la nouvelle entité, la Commission devait examiner toutes les circonstances susceptibles de déterminer ce comportement. Étant donné que, en ce qui concerne une entreprise dominante telle que Tetra, l’exercice d’un effet de levier supposé pourrait être constitutif d’un abus de la position dominante préexistante, le Tribunal a jugé que la Commission devait examiner la probabilité de l’adoption de comportements anticoncurrentiels en tenant compte des incitations à adopter de tels comportements, mais également des éléments susceptibles de réduire, voire d’éliminer de telles incitations, telles les probabilités de poursuites et de sanctions desdits comportements. La Commission n’ayant pas procédé à un tel examen, ses constatations ne pouvaient être entérinées. En conséquence, le Tribunal a examiné la question de savoir si la Commission pouvait néanmoins établir le bien-fondé de sa thèse en l’absence de telles constatations.

15
Le Tribunal a constaté qu’il était en principe possible à la nouvelle entité d’exercer un effet de levier. Néanmoins, il a également constaté que la Commission avait surestimé la croissance probable de la branche du PET et que, pour les raisons susvisées, les méthodes utilisées pour exercer un effet de levier à examiner par le Tribunal étaient limitées à celles qui ne violent pas le droit communautaire. Il a conclu que la Commission avait dans l’ensemble manqué à son obligation d’établir que l’exercice éventuel d’un effet de levier aurait entraîné la création ou le renforcement d’une position dominante sur les marchés en cause pour 2005. En ce qui concerne en particulier les machines SBM, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse ne contient pas des éléments de preuve suffisants pour justifier la définition par la Commission de marchés des machines SBM distincts pour les produits sensibles et non sensibles.

16
En ce qui concerne l’allégation de la Commission selon laquelle «la position dominante actuelle de [Tetra] dans la branche de l’emballage en carton» serait renforcée par l’élimination d’une source de contraintes pesant sur la concurrence des marchés voisins, en raison de l’élimination de la concurrence de Sidel sur le marché de l’emballage PET, le Tribunal a relevé que ce renforcement devait être prouvé par la Commission et ne découlait pas automatiquement de l’existence d’une position dominante. Il a jugé que la Commission avait manqué à son obligation d’apporter une telle preuve.


Le pourvoi

17
La Commission invoque cinq moyens à l’appui de son pourvoi. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit en ce qui concerne le niveau de preuve requis de sa part et l’étendue du contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des articles 2 et 8 du règlement en ce que le Tribunal aurait imposé à la Commission, d’une part, de tenir compte de l’incidence de l’illégalité de certains comportements sur les incitations qu’aurait la nouvelle entité à faire usage d’un effet de levier et, d’autre part, d’apprécier, en tant que mesure corrective éventuelle, les engagements de ne pas adopter de comportements abusifs. Le troisième moyen est tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal en raison de l’utilisation d’un critère de contrôle juridictionnel erroné et d’une violation de l’article 2 du même règlement, en ce qu’il n’a pas confirmé la définition de marchés distincts parmi les machines SBM selon leur utilisation finale. Le quatrième moyen est tiré d’une violation dudit article 2, d’une dénaturation des faits et d’un défaut de prise en compte des arguments de la Commission en tant que le Tribunal n’a pas reconnu le bien-fondé de l’appréciation de cette dernière selon laquelle Tetra renforcerait sa position dominante dans le secteur du carton. Le cinquième moyen est tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement en ce que le Tribunal a rejeté les conclusions de la Commission relatives à la création d’une position dominante sur le marché des machines SBM.

18
Dans son mémoire en réponse, Tetra a demandé que, par mesure d’enquête, soit ordonnée la production de la version en langue française du pourvoi. La Cour a rejeté cette demande par ordonnance du 24 juillet 2003.

Sur le premier moyen

19
Par son premier moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir en réalité, tout en affirmant qu’il appliquait le critère de l’erreur manifeste d’appréciation, mis en œuvre un critère différent qui a consisté à exiger la production de «preuves solides» («convincing evidence»). Ce faisant, le Tribunal aurait violé l’article 230 CE en ce qu’il n’aurait pas respecté la marge d’appréciation dont bénéficie la Commission pour ce qui concerne les questions factuelles et économiques complexes. Il aurait également violé l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement, en ce qu’il aurait fait application d’une présomption de légalité à l’égard des concentrations avec effet de conglomérat. Prenant l’exemple du contrôle de la prévision, par la Commission, d’une croissance significative de l’utilisation des emballages PET pour les produits sensibles, la Commission soutient que le Tribunal a dénaturé les faits, n’a pas suffisamment motivé la réfutation de ses arguments et a omis de tenir compte de considérations, d’arguments et d’éléments de preuve invoqués par elle dans la décision litigieuse ainsi que dans son mémoire en défense et se serait même abstenu de se référer à ceux-ci.

20
Au point 119 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé comme suit les critères du contrôle juridictionnel d’une décision de la Commission en matière de concentration:

«Il convient d’emblée de rappeler que les règles de fond du règlement, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, dit ‘Kali & Salz’, C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375, points 223 et 224; arrêts du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T-102/96, Rec. p. II‑753, points 164 et 165, et du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, Rec. p. II-2585, point 64).»

21
Au point 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété comme suit l’article 2, paragraphe 3, du règlement:

«Il convient également de rappeler que, aux termes de l’article 2, paragraphe 3, du règlement, doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci. À l’inverse, la Commission est tenue de déclarer compatible avec le marché commun toute opération de concentration notifiée entrant dans le champ d’application du règlement, dès lors que les deux conditions prévues par ladite disposition ne sont pas remplies (arrêt du Tribunal du 19 mai 1994, Air France/Commission, T-2/93, Rec. p. II-323, point 79; voir également, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, précité, point 170, et Airtours/Commission, précité, points 58 et 82). En l’absence de création ou de renforcement d’une position dominante, l’opération doit donc être autorisée sans qu’il soit nécessaire d’examiner les effets de l’opération sur la concurrence effective (arrêt Air France/Commission, précité, point 79).»

22
Le premier moyen invoqué par la Commission vise de nombreux points de l’arrêt attaqué. Il apparaît cependant pertinent de reproduire les extraits de celui-ci relatifs à la nature de conglomérat de la concentration notifiée, définie au point 142 dudit arrêt comme «effectuée entre des entreprises qui n’ont pas, pour l’essentiel, de relation concurrentielle préexistante soit en tant que concurrentes directes, soit en tant que fournisseurs et clients», concentration qui n’entraîne pas de véritables chevauchements horizontaux entre les activités des parties à celle-ci ni de relations verticales entre ces parties au sens strict et dont, par conséquent, il ne saurait être présumé, d’une manière générale, qu’elle produit des effets anticoncurrentiels.

23
Au point 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété comme suit le règlement pour ce qui concerne son application aux conglomérats:

«Il y a lieu, tout d’abord, d’observer que le règlement, en particulier dans son article 2, paragraphes 2 et 3, n’opère aucune distinction entre, d’une part, des opérations de concentration ayant des effets horizontaux et verticaux et, d’autre part, celles ayant un effet de conglomérat. Il s’ensuit que, sans distinction entre ces types d’opérations, une concentration ne peut être interdite que si les deux critères prévus par l’article 2, paragraphe 3, sont réunis (voir point 120 ci-dessus). Partant, une concentration avec effet de conglomérat doit, comme toute autre concentration (voir point 120 ci-dessus), être autorisée par la Commission s’il n’est pas établi qu’elle crée ou renforce une position dominante dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci et qu’elle a comme conséquence qu’une concurrence effective sera entravée de manière significative.»

24
S’agissant des effets sur la concurrence d’une opération de concentration avec effet de conglomérat et de l’analyse de la Commission à cet égard, le Tribunal a jugé ce qui suit:

«148
Il convient d’examiner d’abord si une opération de concentration qui crée une structure concurrentielle ne conduisant pas dans l’immédiat à une position dominante de l’entité issue de l’opération peut être interdite sur la base de l’article 2, paragraphe 3, du règlement lorsqu’elle permet, selon toute vraisemblance, à cette entité, par l’exercice par la partie acquéreuse d’un effet de levier à partir du marché sur lequel elle est déjà dominante, d’acquérir dans un avenir relativement proche, une position dominante sur un autre marché sur lequel la partie acquise détient actuellement une position prééminente, et lorsque l’acquisition en cause a des effets anticoncurrentiels significatifs sur les marchés concernés.

[...]

150
Le Tribunal relève que, a priori, une concentration entre des entreprises actives sur des marchés distincts n’est pas normalement de nature à entraîner, dès sa réalisation, la création ou le renforcement d’une position dominante du fait d’un cumul des parts de marchés détenues par les parties à la fusion. En effet, les éléments significatifs des positions relatives des concurrents sur un marché donné se trouvent généralement sur ce marché lui-même, à savoir, en particulier, les parts de marché détenues par les concurrents et les conditions de concurrence sur ledit marché. Il ne s’ensuit toutefois pas que les conditions de concurrence sur un marché ne puissent jamais être affectées par des facteurs externes à ce marché.

151
Ainsi, à titre d’exemple, dans des circonstances dans lesquelles les marchés en cause sont voisins et où une des parties à une opération de concentration détient déjà une position dominante sur l’un d’eux, il peut arriver que les moyens et capacités réunis par cette opération créent immédiatement des conditions permettant à la nouvelle entité, par le biais d’un effet de levier, de s’emparer, dans un avenir relativement proche, d’une position dominante sur l’autre marché. En particulier, cela pourrait être le cas lorsque les marchés en cause tendent à converger et lorsque, en sus d’une position dominante détenue par l’une des parties à l’opération, l’autre, ou l’une des autres parties à l’opération, occupe une position prééminente sur le second marché.

152
Toute autre interprétation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement risquerait de priver la Commission de la possibilité d’exercer un contrôle sur les opérations de concentration ayant uniquement ou principalement un effet de conglomérat.

153
Par conséquent, dans le cadre d’une analyse prospective des effets d’une opération de concentration de type conglomérat, si la Commission est en mesure de conclure, en raison des effets de conglomérat qu’elle constate, qu’une position dominante serait, selon toute vraisemblance, créée ou renforcée dans un avenir proche et aurait comme conséquence que la concurrence effective sur le marché concerné serait entravée de manière significative, elle se doit de l’interdire (voir, en ce sens, arrêts Kali & Salz, précité, point 221; Gencor/Commission, précité, point 162, et Airtours/Commission, précité, point 63). 

154
Il convient également, dans ce contexte, de distinguer entre, d’une part, une situation dans laquelle une concentration ayant un effet de conglomérat modifie immédiatement les conditions de concurrence sur le second marché et entraîne la création ou le renforcement d’une position dominante sur celui-ci du fait de la position dominante déjà détenue sur le premier marché et, d’autre part, une situation dans laquelle la création ou le renforcement d’une position dominante sur le second marché ne résulte pas immédiatement de la concentration mais ne se produira, dans cette hypothèse, qu’après un certain temps et résultera des comportements adoptés par la nouvelle entité sur le premier marché où elle détient déjà une position dominante. Dans ce dernier cas, ce ne serait pas la structure résultant de l’opération de concentration elle-même qui créerait ou renforcerait une position dominante, au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement, mais les comportements futurs en cause.

155
L’analyse de la Commission à l’égard d’une concentration produisant un effet de conglomérat est conditionnée par des exigences analogues à celles définies par la jurisprudence en ce qui concerne la création d’une situation de dominance collective (arrêts Kali & Salz, précité, point 222, et Airtours/Commission, précité, point 63). Ainsi, l’analyse de la Commission à l’égard d’une opération de concentration dont l’effet de conglomérat anticoncurrentiel est prévu présuppose un examen particulièrement attentif des circonstances qui se révèlent pertinentes aux fins de l’appréciation de cet effet sur le jeu de la concurrence sur le marché de référence. Comme le Tribunal l’a déjà confirmé, lorsque la Commission estime qu’une telle opération doit être interdite parce qu’elle créera ou renforcera, dans une période prévisible, une position dominante, il lui incombe de fournir des preuves solides au soutien d’une telle conclusion (arrêt Airtours/Commission, précité, point 63). Les effets d’une concentration de type conglomérat étant souvent considérés comme neutres, voire bénéfiques, au regard de la concurrence sur les marchés affectés, tel que cela est reconnu, en l’espèce, par la doctrine économique citée dans des analyses annexées aux mémoires des parties, la démonstration d’effets de conglomérat anticoncurrentiels d’une telle concentration nécessite un examen précis, étayé par des preuves solides, des circonstances prétendument constitutives desdits effets (voir, par analogie, arrêt Airtours/Commission, précité, point 63).»

Arguments des parties

25
La Commission soutient que, tant par la nature du contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal que par le niveau de preuve exigé de sa part, ce dernier s’est écarté des principes définis par la Cour dans son arrêt Kali & Salz, précité. Elle relève à cet égard que les points pertinents de cet arrêt sont les suivants:

«220
Ainsi qu’il a été précédemment indiqué, aux termes de l’article 2, paragraphe 3, du règlement, doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

221
S’agissant d’une prétendue position dominante collective, la Commission est donc tenue d’apprécier, selon une analyse prospective du marché de référence, si l’opération de concentration dont elle est saisie aboutit à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative par les entreprises parties à la concentration et une ou plusieurs entreprises tierces qui ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d’adopter une même ligne d’action sur le marché et d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs.

222
Une telle démarche nécessite un examen attentif notamment des circonstances qui, selon chaque cas d’espèce, se révèlent pertinentes aux fins de l’appréciation des effets de l’opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence.

223
À cet égard, il convient toutefois de relever que les règles de fond du règlement, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique.

224
En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations.»

26
La Commission conclut des principes énoncés dans l’arrêt Kali & Salz, précité, ainsi que du contrôle exercé par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt qu’elle est tenue d’examiner le marché en cause attentivement, de prendre en considération tous les facteurs pertinents, de fonder son appréciation sur des éléments de preuve qui reflètent la réalité des faits, qui ne soient pas clairement insignifiants et soient de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées, et qu’elle doit en outre parvenir à des conclusions fondées sur un raisonnement cohérent.

27
Elle considère à cet égard, tout d’abord, que l’exigence de «preuves solides» («convincing evidence») diffère matériellement, en degré et en nature, tant de l’obligation de fournir des éléments «significatifs et concordants», comme il résulte de l’arrêt Kali & Salz, précité, que du principe selon lequel l’appréciation de la Commission doit être admise s’il n’est pas démontré qu’elle est manifestement erronée. Le degré de preuve serait différent car, contrairement à l’exigence de preuves solides («convincing evidence»), celle d’éléments significatifs et concordants n’exclut pas la possibilité qu’un autre organisme parvienne à une conclusion différente s’il avait compétence pour statuer sur la question. La nature des preuves exigées serait également différente en ce qu’elle transformerait les juridictions communautaires en un autre organe compétent pour statuer sur l’affaire dans toute sa complexité, lequel serait habilité à substituer ses vues à celles de la Commission. Le Tribunal se contredirait puisqu’il invoque le critère de l’erreur manifeste d’appréciation tout en utilisant un critère différent de celui-ci.

28
La Commission soutient, ensuite, qu’une marge d’appréciation est inhérente à toute analyse prospective. Il conviendrait en effet de déterminer la probabilité de certaines évolutions du marché dans un laps de temps prévisible, sur la base de la situation actuelle du marché, des tendances observables ainsi que d’autres indicateurs appropriés. Exiger que l’appréciation de la Commission soit fondée, en fait, sur des preuves incontestées ou quasi univoques, quelle que soit la valeur de celles-ci, priverait la Commission de sa fonction consistant à évaluer les éléments de preuve et à attribuer, pour des raisons justifiables, davantage de poids à certaines sources qu’à d’autres.

29
La Commission fait valoir, enfin, que le critère relatif à la preuve retenu par le Tribunal aurait pour conséquence qu’elle serait obligée d’autoriser l’opération dans les cas où les preuves n’atteindraient pas le niveau requis, ce qui équivaudrait, de facto, à une présomption générale de légalité de certaines opérations de concentration ou, à tout le moins, à instaurer un préjugé favorable à celles-ci. Or, l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement imposerait une double obligation à la Commission ayant pour objet soit d’interdire l’opération de concentration si elle crée ou renforce une position dominante, soit, de manière symétrique mais opposée, de l’autoriser si elle ne crée pas ou ne renforce pas une telle position. Une telle obligation traduirait la volonté du législateur communautaire de protéger de manière égale, d’une part, les intérêts privés des parties à la concentration et, d’autre part, l’intérêt public que représente le maintien d’une concurrence effective et la protection des consommateurs. Cette double obligation symétrique commanderait de recourir à un critère symétrique quant au niveau de preuve requis de la part de la Commission, puisque celle-ci devrait prouver le bien-fondé de son analyse aussi bien dans un cas que dans l’autre.

30
À titre d’illustration du contrôle juridictionnel tel qu’exercé par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, la Commission invoque notamment l’appréciation de la croissance de l’utilisation des emballages PET pour les produits sensibles. Sur ce point, le Tribunal a statué comme suit:

«210
Lors de l’audience, la Commission a précisé que son raisonnement ne repose pas sur l’exactitude précise de ses prévisions pour autant qu’il est accepté qu’il y aura une croissance future significative. Elle y a également admis que, eu égard aux incertitudes restantes quant à l’applicabilité commerciale des techniques de traitement barrière nécessaires, elle ne saurait insister sur une croissance significative du PET pour le marché du lait [non aromatisé (UHT)] et que même la faible croissance prévue dans la décision [litigieuse] pourrait se révéler exagérée. Cependant, elle a mis en exergue le caractère tout à fait plausible de ses prévisions quant à une croissance importante vraisemblable dans l’utilisation de ce matériau d’ici à 2005 pour les segments du lait frais, des jus, des BPF et, en particulier, pour ceux des boissons au thé et au café.

211
Le Tribunal constate qu’il ne peut être retenu que l’usage du PET connaîtra une véritable croissance pour le lait UHT et, par conséquent, pour environ la moitié du marché des PLL.

212
S’agissant du reste du marché des PLL, il convient de constater que le rapport PCI, [intitulé ‘Le potentiel du PET pour l’emballage des produits laitiers liquides – 2001’ (‘The Potential for PET in the Packaging of Liquid Dairy Products – 2001’),] l’unique étude indépendante se concentrant sur le marché des PLL, prévoit une croissance à la suite de laquelle l’usage du PET atteindra 9,2 % du marché pour le lait frais non aromatisé en 2005 (PCI, p. 64). À cela s’ajoute le fait que, pour ce qui concerne l’emballage aseptique, le rapport Warrick[, intitulé ‘Rapport de Warrick sur les marchés de l’emballage – Marchés de l’emballage aseptique dans le monde et en Europe de l’Ouest – 2000’ (‘Warrick Research Report Packaging Markets – Aseptic Packaging Markets World and Western Europe – 2000’),] estime qu’il n’y aura qu’une croissance minimale pour le lait aromatisé, à savoir 1 %, et un léger recul pour les autres boissons à base de lait, tandis que le rapport Pictet[, intitulé ‘Rapport d’analyse Pictet – Les machines d’emballage en Europe, le mouvement vers le PET – septembre 2000’ (‘Analysts’ Report Pictet – European Packaging Machinery, Move into PET’),] ne présente pas de prévisions spécifiques relatives aux PLL. Sur la base de ces éléments, force est de conclure que la Commission n’a pas démontré, alors qu’elle le fait valoir dans son mémoire en défense, que ses prévisions en ce qui concerne les PLL reposent sur une analyse prudente des études indépendantes ou sur un ensemble solide et cohérent des preuves obtenues par elle au moyen de son enquête sur le marché. Les estimations de croissance qu’elle en a retenues (ci-dessus, point 209) ne sont, en effet, pas très convaincantes. Il ressort, en revanche, du rapport PCI que seule la prévision d’une part de marché pour le PET de 25 % pour les autres boissons à base de lait (à savoir le lait aromatisé, les boissons au lait et au yaourt) d’ici à 2005 est fondée sur une base relativement solide (PCI, p. 63 et 64). Cependant, si cette croissance se réalisait, le volume concerné n’augmenterait que de 62 000 tonnes pour l’année 2000, atteignant 92 800 tonnes en 2005, augmentation qui n’est pas très significative par rapport aux 120 millions de tonnes, environ, de lait produit dans la Communauté chaque année (PCI, p. 9). À titre plus général, la décision [litigieuse] n’explique pas de manière adéquate comment le PET pourrait dépasser le PEHD comme principal matériau concurrentiel pour le carton, surtout dans le secteur important de l’emballage de lait frais, d’ici à 2005. À cet égard, il y a lieu d’observer que la Commission ne conteste ni le chiffre global relatif à l’usage du PEHD de 17,3 % pour les PLL fourni par [le bureau de recherche] Canadean pour l’année 2000 (voir tableau 3, considérant 66), ni la prévision selon laquelle ce chiffre pourrait atteindre 19,5 % d’ici à 2005 (voir tableau 5, au considérant 105).

213
Quant aux jus, la prévision de la Commission est encore moins convaincante. Ayant elle-même admis que la croissance en cause concernerait principalement un passage du verre vers le PET, elle ne procède à aucune analyse du marché du verre. En l’absence d’une telle analyse, le Tribunal n’est pas en mesure de valider les prévisions de la Commission en ce qui concerne les jus. Une telle analyse aurait été indispensable pour permettre au Tribunal de vérifier le niveau vraisemblable du basculement du verre vers, notamment, le carton, le PET et le PEHD. Cette analyse était d’autant plus indispensable au vu des différences, quant au niveau de croissance et aux périodes d’analyse retenues, entre les prévisions pertinentes faites dans les études Canadean et Warrick, d’une part, et celles de l’étude Pictet, d’autre part.

214
Il s’ensuit que les prévisions de croissance annoncées par la Commission dans la décision [litigieuse] pour ce qui concerne les PLL et les jus ne sont pas démontrées à suffisance de droit. Certes, une certaine croissance dans ces segments est probable, surtout pour les produits haut de gamme, mais des preuves convaincantes de l’importance de cette croissance font défaut.

215
En revanche, il ressort des études indépendantes qu’il y aura d’ici à 2005, selon toute vraisemblance, une augmentation non négligeable de l’usage du PET pour conditionner les BPF et les boissons au thé ou au café, y compris les boissons isotoniques. Le niveau de la croissance prévue dans la décision [litigieuse] n’ayant pas été sérieusement mis en question lors de l’audience par la requérante et n’étant pas autant surévalué par rapport à celui annoncé dans lesdites études, il convient de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur à cet égard.»

31
La Commission reproche au Tribunal, en substance, de ne pas avoir démontré que les estimations de la Commission concernant la croissance de l’utilisation du PET se fondaient, en premier lieu, sur des erreurs de fait, en deuxième lieu, sur des constatations de fait non établies ou des conclusions fondées sur des éléments manifestement insignifiants, en troisième lieu, sur des incohérences ou des erreurs de raisonnement ou encore, en quatrième lieu, sur l’omission de considérations pertinentes. Le Tribunal aurait rejeté, sans motivation, l’appréciation des éléments de preuve effectuée par la Commission, aurait dénaturé des éléments de fait, par exemple, en constatant, au point 213 de l’arrêt attaqué, que celle-ci n’aurait pas procédé à une analyse du marché du verre, et aurait imposé ses propres appréciations, contraires à celles de la Commission et manifestement erronées, par exemple en jugeant, au point 289 dudit arrêt, que «le lait frais n’est pas un produit pour lequel les avantages en matière de commercialisation dont jouit le PET ont une importance particulière» ou encore en considérant, aux points 288 et 328 du même arrêt, que le coût du PET est supérieur à celui du carton.

32
Tetra soutient que le premier moyen invoqué par la Commission n’est qu’un débat sémantique sur les termes utilisés dans l’arrêt attaqué et non sur l’examen au fond auquel le Tribunal a procédé. L’argument de la Commission serait vain, car il n’existerait pas de terminologie cohérente en ce qui concerne le degré de preuve requis.

33
Tetra relève également que la terminologie utilisée par la Cour dans l’arrêt Kali & Salz, précité, auquel la Commission se réfère en ce qui concerne le régime de la preuve, n’a pas empêché la Cour, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, d’examiner de manière approfondie tant les éléments de fait qui étaient invoqués par la Commission à l’appui de ses arguments que les conclusions que cette dernière en avait tirées dans la décision en cause.

34
Selon Tetra, le Tribunal a respecté la marge d’appréciation de la Commission et n’est pas sorti du champ de son contrôle juridictionnel lorsqu’il a rejeté la motivation de la décision litigieuse, mais a simplement constaté que la Commission n’avait pas prouvé l’existence d’un effet de levier.

35
Tetra soutient que la Commission interprète le point 153 de l’arrêt attaqué de manière erronée lorsqu’elle en déduit qu’il imposerait un niveau de preuve asymétrique et une présomption de légalité, de facto, des opérations de concentration. Le Tribunal n’aurait fait qu’exposer à ce point les modalités d’exercice de l’obligation d’apporter la preuve des effets de telles opérations.

36
S’agissant de l’exemple invoqué par la Commission en ce qui concerne l’analyse, par le Tribunal, de la croissance de l’utilisation du PET pour l’emballage des produits sensibles, Tetra procède à une analyse comparée du pourvoi et de l’arrêt attaqué visant à démontrer que la Commission fait une lecture erronée ou fallacieuse de cet arrêt, y compris en sortant certaines citations de leur contexte.

Appréciation de la Cour sur le premier moyen

37
Par son premier moyen, la Commission conteste l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal aurait exigé de sa part, lorsqu’elle adopte une décision déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun, un niveau de preuve et une qualité des éléments de preuve produits à l’appui de son argumentation incompatibles avec le large pouvoir dont elle dispose lorsqu’elle procède à des appréciations de nature économique. Elle reproche ainsi au Tribunal d’avoir violé l’article 230 CE en outrepassant le niveau de contrôle qui lui est reconnu par la jurisprudence et, par voie de conséquence, d’avoir mal appliqué en l’espèce l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement en créant une présomption de légalité de certaines opérations de concentration.

38
À cet égard, il importe de constater que, au point 119 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a correctement rappelé les critères du contrôle juridictionnel d’une décision de la Commission en matière de concentrations tels que formulés dans l’arrêt Kali & Salz, précité. Aux points 223 et 224 de ce dernier arrêt, la Cour a indiqué que les règles de fond du règlement et, en particulier, l’article 2 de celui-ci, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique, et que, en conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations.

39
Si la Cour reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge communautaire doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. Un tel contrôle est d’autant plus nécessaire s’agissant d’une analyse prospective requise par l’examen d’un projet de concentration produisant un effet de conglomérat.

40
Dès lors, c’est à bon droit que, se référant notamment à l’arrêt Kali & Salz, précité, le Tribunal a relevé, au point 155 de l’arrêt attaqué, que l’analyse de la Commission à l’égard d’une concentration produisant un effet de conglomérat est conditionnée par des exigences analogues à celles définies par la jurisprudence en ce qui concerne la création d’une situation de dominance collective et qu’elle présuppose un examen attentif des circonstances qui se révèlent pertinentes aux fins de l’appréciation de cet effet sur le jeu de la concurrence sur le marché de référence.

41
Si le Tribunal a précisé, au même point 155, que la démonstration d’effets de conglomérat anticoncurrentiels d’une concentration du type de celle notifiée nécessite un examen précis, étayé par des preuves solides («convincing evidence»), des circonstances prétendument constitutives desdits effets, il n’a en aucune manière ajouté une condition relative au degré de preuve requis, mais a simplement rappelé la fonction essentielle de la preuve, qui est de convaincre du bien-fondé d’une thèse ou, comme en l’espèce, d’une décision en matière de concentrations.

42
Une analyse prospective, telle que celles qui sont nécessaires en matière de contrôle des concentrations, nécessite d’être effectuée avec une grande attention, dès lors qu’il ne s’agit pas d’examiner des événements du passé, au sujet desquels on dispose souvent de nombreux éléments permettant d’en comprendre les causes, ni même des événements présents, mais bien de prévoir les événements qui se produiront dans l’avenir, selon une probabilité plus ou moins forte, si aucune décision interdisant ou précisant les conditions de la concentration envisagée n’est adoptée.

43
Ainsi, l’analyse prospective consiste à examiner en quoi une opération de concentration pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s’il en résulterait une entrave significative à une concurrence effective. Une telle analyse requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte.

44
L’analyse d’une opération de concentration de type «conglomérat» est une analyse prospective dans laquelle la prise en compte d’un laps de temps étendu dans l’avenir, d’une part, et l’effet de levier nécessaire pour qu’il y ait une entrave significative à une concurrence effective, d’autre part, impliquent que les enchaînements de cause à effet sont mal discernables, incertains et difficiles à établir. Dans ce contexte, la qualité des éléments de preuve produits par la Commission pour établir la nécessité d’une décision déclarant l’opération de concentration incompatible avec le marché commun est particulièrement importante, ces éléments devant conforter les appréciations de la Commission selon lesquelles, à défaut d’adoption d’une telle décision, le scénario d’évolution économique sur lequel cette institution se fonde serait plausible.

45
Il résulte de ces différents éléments que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en rappelant les critères du contrôle juridictionnel qu’il exerce ou en précisant la qualité des éléments de preuve qui doivent être produits par la Commission lorsqu’elle doit démontrer que les conditions de l’article 2, paragraphe 3, du règlement sont réunies.

46
S’agissant du contrôle juridictionnel concret effectué par le Tribunal dans la présente affaire, il ne ressort pas de l’exemple invoqué par la Commission, relatif à la croissance de l’utilisation des emballages PET pour les produits sensibles, que le Tribunal aurait excédé les limites propres au contrôle d’une décision administrative par le juge communautaire. Contrairement à ce que soutient la Commission, le point 211 de l’arrêt attaqué n’est qu’une reformulation plus concise, sous la forme d’une constatation du Tribunal, de l’aveu de la Commission lors de l’audience, synthétisé au point 210 du même arrêt, du caractère exagéré de sa prévision, explicitée dans la décision litigieuse, de la croissance de l’usage du PET pour l’emballage du lait UHT. Au point 212 dudit arrêt, le Tribunal a justifié la raison pour laquelle il a considéré que les éléments de preuve produits par la Commission manquaient de fondement en relevant que, sur les trois rapports indépendants cités par cette dernière, seul le rapport PCI contient une donnée relative à l’usage du PET pour l’emballage du lait. Il a poursuivi, au même point 212, en démontrant le caractère peu convaincant des preuves fournies par la Commission, en soulignant le caractère peu significatif de la croissance prévue dans ce rapport PCI ainsi que l’absence de concordance entre la prévision de la Commission quant à l’utilisation du PET et les données non contestées des autres rapports en ce qui concerne l’utilisation du PEHD. S’agissant du point 213 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se borne à relever le caractère incomplet de l’analyse de la Commission, rendant impossible une validation des prévisions de cette dernière au regard des différences relevées entre ces prévisions et celles des autres rapports.

47
Parmi les autres exemples qu’elle invoque, la Commission conteste l’affirmation du Tribunal, au point 289 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «le lait frais n’est pas un produit pour lequel les avantages en matière de commercialisation dont jouit le PET ont une importance particulière», ainsi que les conclusions du Tribunal relatives au coût du PET par rapport à celui du carton, explicitées aux points 288 et 328 de l’arrêt attaqué. Il y a lieu à cet égard de relever qu’il s’agit d’appréciations de fait, non soumises au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Dès lors, sans que la Cour se prononce sur le bien-fondé de la conclusion du Tribunal à cet égard, il suffit de constater que celui-ci a pu fonder sa conviction sur divers éléments de la décision litigieuse.

48
Il résulte de ces exemples que le Tribunal a procédé au contrôle qui lui incombait et qui est décrit au point 39 du présent arrêt. Il a explicité et motivé les raisons pour lesquelles les conclusions de la Commission lui ont semblé entachées d’inexactitude dans la mesure où elles sont fondées sur des éléments insuffisants, incomplets, peu significatifs et discordants.

49
Ce faisant, le Tribunal a respecté les critères du contrôle juridictionnel exercé par le juge communautaire et a dès lors respecté l’article 230 CE.

50
Par voie de conséquence, il ne ressort pas des analyses qui précèdent que le Tribunal a violé l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement.

51
Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le premier moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen

52
Par son deuxième moyen, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir violé les articles 2 et 8 du règlement en ce qu’il lui aurait imposé de tenir compte de l’incidence de l’illégalité de certains comportements sur les incitations qu’aurait la nouvelle entité à faire usage d’un effet de levier et d’apprécier, en tant que mesure corrective éventuelle, l’engagement de ne pas adopter de comportements abusifs.

53
Les éléments contestés de l’arrêt attaqué figurent dans la partie de celui-ci consacrée à l’examen du moyen tiré de l’absence d’effet de conglomérat prévisible, le Tribunal analysant plus particulièrement dans cette partie la probabilité d’un effet de levier. Selon l’argumentation de la Commission, la nouvelle entité aurait eu la capacité de tirer profit de sa situation de position dominante sur le marché du carton aseptique et aurait été incitée à le faire pour, au moyen d’un effet de levier, transformer en une position dominante la position prééminente qu’elle détiendrait sur les marchés d’équipement PET, en particulier celui des machines SBM à faible et à forte capacité utilisées pour les produits sensibles.

54
Les modes d’exercice de l’effet de levier sont décrits comme suit au point 364 des motifs de la décision litigieuse (repris au point 49 de l’arrêt attaqué):

«En utilisant de plusieurs façons [cette position], Tetra/Sidel […] aurait la possibilité de lier les ventes d’équipements et de produits consommables pour les emballages carton avec les ventes d’équipements d’emballage PET et éventuellement aussi de préformes (notamment les préformes traitées avec la technologie ‘barrière’). Tetra/Sidel pourrait également recourir à des pressions ou à des mesures d’incitation (telles que des prix d’éviction ou une guerre des prix et des rabais de fidélité) pour que ses clients carton achètent des équipements PET et, éventuellement, des préformes auprès de Tetra/Sidel et non auprès de ses concurrents ou des convertisseurs.»

55
Afin de répondre aux critiques de la Commission, Tetra a proposé de prendre divers engagements. La Commission a cependant estimé que ceux-ci ne pouvaient être considérés comme permettant d’éliminer effectivement les problèmes de concurrence identifiés par elle. S’agissant des engagements de nature comportementale, la motivation de la décision litigieuse, qui figure aux points 429 à 432 de celle-ci, sous l’intitulé «Séparation entre Sidel et Tetra et engagements en vertu de l’article 82», est la suivante:

«429
L’engagement relatif à la séparation entre Sidel et Tetra Pak, ainsi que la confirmation des anciens engagements en vertu de l’article 82, ont été proposés notamment pour écarter le problème de la capacité de la nouvelle entité à utiliser sa position dominante sur le marché des emballages carton pour acquérir une position dominante sur le marché des équipements d’emballage PET. Toutefois, cet engagement, ainsi que les anciens engagements en vertu de l’article 82, sont de nature purement comportementale. En tant que tels, ils ne sont pas à même de rétablir durablement les conditions d’une concurrence effective, dans la mesure où ils n’abordent pas le problème de la modification permanente de la structure du marché suscitée par l’opération notifiée.

430
La ‘séparation’ entre Sidel et Tetra Pak ne change rien au fait que, ainsi qu’il est dit expressément dans les engagements, le conseil de Sidel ‘sera directement responsable devant le conseil d’administration du groupe Tetra Laval’. On ne peut donc pas s’attendre à ce que cette séparation empêche Sidel de mettre en œuvre la stratégie commerciale du groupe Tetra Laval. En outre, le statut juridique de Sidel pourrait être modifié, c’est-à-dire que Sidel pourrait être retirée de la cote et transformée en société fermée, comme Tetra Laval, ce qui rendrait tout contrôle des mesures de protection pratiquement impossible.

431
L’engagement de ne pas ‘procéder à des ventes groupées’ ainsi que la confirmation des précédents engagements en vertu de l’article 82 constituent uniquement des promesses de ne pas agir d’une certaine manière, c’est-à-dire en fait de ne pas enfreindre le droit communautaire. De telles promesses de type comportemental sont contraires à la politique déclarée de la Commission sur les mesures correctives et à l’objectif du règlement sur les concentrations lui-même […], et elles sont extrêmement difficiles, sinon impossibles, à contrôler effectivement.

432
Globalement, en dehors du fait qu’ils sont complexes à mettre en œuvre et à contrôler, ces engagements ne peuvent pas être considérés comme permettant d’éliminer effectivement les problèmes de concurrence identifiés.»

56
Par son argumentation, la Commission conteste les points 156 à 162 de l’arrêt attaqué, qui suivent immédiatement les points 148 à 155 de celui-ci, également critiqués par cette dernière et qui ont été examinés par la Cour dans le cadre du premier moyen. Dans lesdits points, le Tribunal s’est prononcé de la manière suivante:

«156
En l’espèce, la survenance de l’effet de levier exercé depuis les marchés du carton aseptique, décrit dans la décision [litigieuse], se traduirait, par-delà la possibilité pour la nouvelle entité de recourir à diverses pratiques consistant à lier les ventes d’équipements et de produits consommables pour les emballages carton à celles des équipements d’emballage PET, y compris en recourant aux ventes forcées (considérants 345 et 365), premièrement, par la fixation probable par cette entité de prix d’éviction (‘predatory pricing’, considérant 364, cité au point 49 ci-dessus), deuxièment, par le recours à une guerre des prix et, troisièmement, par l’octroi de rabais de fidélité. Le recours à l’usage de ces pratiques permettrait à la nouvelle entité de s’assurer que ses clients des marchés du carton s’approvisionnent, autant que possible, quant à leurs besoins éventuels en équipements PET, auprès de Sidel. À cet égard, il convient d’observer que la décision [litigieuse] constate l’existence d’une position dominante de Tetra sur les marchés du carton aseptique, c’est-à-dire les marchés des systèmes d’emballage carton aseptique et des cartons aseptiques (considérant 231, voir point 40 ci-dessus), et que ladite constatation n’est pas contestée par la requérante.

157
Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors qu’une entreprise se trouve en position dominante, elle est tenue, le cas échéant, d’adapter en conséquence son comportement afin de ne pas porter atteinte à une concurrence effective sur le marché, indépendamment de l’adoption éventuelle par la Commission d’une décision à cette fin (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 57; arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, T‑51/89, Rec. p. II-309, point 23, et du 22 mars 2000, Coca-Cola/Commission, T-125/97 et T-127/97, Rec. p. I‑1733, point 80).

158
Il y a lieu de relever, en outre, que, en réponse aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience, la Commission n’a pas nié que l’exercice par Tetra d’un effet de levier moyennant les comportements exposés à titre principal ci-dessus pourrait être constitutif d’abus de la position dominante préexistante que détient Tetra sur les marchés du carton aseptique. Cela pourrait être également le cas, selon les inquiétudes exprimées par la Commission dans son mémoire en défense, dans l’hypothèse d’éventuels refus de la nouvelle entité à participer à l’installation et à la transformation éventuelle des machines SBM de Sidel, de fournir un service après-vente et de respecter les garanties relatives à ces machines lorsqu’elles sont vendues par des convertisseurs. Toutefois, selon la Commission, le fait qu’un comportement puisse constituer une violation autonome de l’article 82 CE n’empêche pas que ce comportement soit pris en compte dans le cadre d’une appréciation effectuée par la Commission de tous les modes d’exercice d’un effet de levier rendus possibles par une opération de concentration.

159
À cet égard, il y a lieu de constater que, si le règlement prévoit l’interdiction des opérations de concentration créant ou renforçant une position dominante qui auront des effets significatifs anticoncurrentiels, ces conditions ne présupposent pas la démonstration d’un comportement abusif et, donc, illégal de l’entité issue de l’opération comme résultat de cette concentration. S’il ne peut donc être présumé que le droit communautaire ne sera pas respecté par les parties à une opération de concentration de type conglomérat, une telle possibilité ne saurait être exclue par la Commission dans l’exercice de son contrôle des concentrations. Dès lors, lorsque la Commission, en analysant des effets d’une telle concentration, se fonde sur des comportements prévisibles qui sont susceptibles de constituer en eux-mêmes des abus d’une position dominante existante, il lui incombe d’apprécier si, en dépit de la prohibition de ces comportements, il est néanmoins vraisemblable que l’entité issue de l’opération se comportera d’une telle manière ou si, au contraire, le caractère illégal du comportement et/ou le risque de détection d’un tel comportement rend une telle stratégie peu probable. Dans le cadre d’une telle appréciation, s’il est approprié de tenir compte des incitations à adopter des comportements anticoncurrentiels, tels que ceux résultant en l’espèce pour Tetra des avantages commerciaux prévisibles sur les marchés des équipements PET (considérant 359), la Commission est également tenue d’examiner dans quelle mesure lesdites incitations seraient réduites, voire éliminées, en raison de l’illégalité des comportements en question, de la probabilité de leur détection, de leur poursuite par les autorités compétentes, tant au niveau communautaire que national, et des sanctions pécuniaires qui pourraient en résulter.

160
La Commission n’ayant pas effectué une telle appréciation dans la décision [litigieuse], il s’ensuit que, dans la mesure où l’appréciation de la Commission est fondée sur la possibilité, ou même la probabilité, de l’adoption par Tetra d’un tel comportement sur les marchés des cartons aseptiques, ses conclusions à cet égard doivent être écartées.

161
De plus, la circonstance que la requérante a proposé, en l’espèce, des engagements relatifs à son comportement futur est également un élément dont la Commission aurait nécessairement dû tenir compte aux fins d’apprécier s’il était vraisemblable que la nouvelle entité se comportera d’une manière rendant possible la création d’une position dominante sur un ou plusieurs des marchés des équipements PET en cause. Or, il ne ressort pas de la décision [litigieuse] que la Commission a pris en considération les implications desdits engagements dans son analyse relative à la création à l’avenir d’une telle position moyennant l’exercice de l’effet de levier prévu.

162 Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’examiner si la Commission a fondé son analyse prospective de la probabilité d’un effet de levier à partir des marchés du carton aseptique ainsi que des conséquences d’un tel effet par la nouvelle entité sur des preuves suffisamment solides. Dans le cadre dudit examen, il convient, en l’espèce, de tenir compte uniquement des comportements qui, du moins vraisemblablement, ne seraient pas illégaux. De plus, comme la position dominante prévue ne se concrétiserait qu’après un certain laps de temps, selon la Commission d’ici 2005, l’analyse prospective de cette dernière doit, sans préjudice de sa marge d’appréciation, être particulièrement plausible.»

57
Examinant de manière approfondie les modes d’exercice de l’effet de levier, le Tribunal a statué comme suit:

«217
Les modes d’exercice de l’effet de levier qui sont énumérés au considérant 364 de la décision [litigieuse] (cité au point 49 ci-dessus) sont fondés sur la position dominante détenue par Tetra sur les marchés du carton aseptique. Compte tenu notamment de l’engagement de Tetra relatif à la cession de ses activités dans le domaine des préformes, l’effet de levier serait opéré par le biais de deux catégories de mesures: d’une part, par des pressions conduisant à des ventes liées ou groupées d’équipements et de consommables pour les emballages carton avec des équipements d’emballage PET. Ces pressions pourraient s’exercer sur la clientèle de Tetra ayant besoin de continuer à utiliser des emballages carton pour une partie de sa production et surtout sur les clients qui ont des accords à long terme avec Tetra pour leurs besoins en emballage carton (considérant 365, cité au point 50 ci-dessus). D’autre part, des mesures d’incitation pourraient être adoptées, telles que des prix prédatoires, une guerre des prix et des rabais de fidélité.

218
Cependant, le recours à des pressions, telles que des ventes forcées, ou à des incitations, telles que des prix prédatoires ou des rabais de fidélité non objectivement justifiés, par une entreprise détenant une position dominante comme celle que Tetra détient sur les marchés du carton aseptique serait normalement constitutif d’un abus de cette position. Comme le Tribunal l’a déjà constaté, le possible recours à de telles stratégies ne peut être présumé par la Commission, comme elle le fait dans la décision [litigieuse], aux fins de justifier une décision interdisant une opération de concentration qui lui est notifiée conformément au règlement (voir points 154 à 162 ci-dessus). Il s’ensuit que les modes d’exercice d’un effet de levier pouvant être pris en considération par le Tribunal sont limités à ceux qui, du moins vraisemblablement, ne constituent pas un abus de position dominante sur les marchés du carton aseptique.

219
Il convient, donc, de considérer, en résumé, les stratégies relatives aux ventes liées ou groupées qui ne sont pas en elles-mêmes forcées, aux rabais de fidélité objectivement justifiés sur les marchés du carton ou aux offres de prix avantageuses pour les équipements d’emballage carton ou PET qui ne sont pas prédatoires au sens de la jurisprudence bien établie (arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, Rec. p. I‑3359, notamment points 102, 115, 156 et 157; arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, précité [C-333/94 P, Rec. p. I-5951], points 41 à 44, confirmant l’arrêt [du Tribunal du] 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, précité [T-83/91, Rec. p. II‑755], et conclusions de l’avocat général M. Fennelly sous l’arrêt de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C-395/96 P et C-396/96 P, Rec. p. I‑1365, I-1371, notamment points 123 à 130). Dans ce contexte, il convient d’examiner si la Commission a tenu compte de l’engagement relatif à la séparation entre Sidel et les sociétés relevant de Tetra Pak, convenu en principe pour une période de dix ans, selon lequel aucune ‘offr[e] portant conjointement sur les produits carton Tetra Pak et des machines SBM Sidel’ ne sera présentée.

220
En outre, ainsi qu’il ressort de la décision [litigieuse], Tetra a demandé à la Commission de prendre note de ses obligations existantes en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la décision 92/163 […], qui dispose:

‘Tetra Pak ne pratique ni prix éliminatoires ni prix discriminatoires et il n’accorde à aucun client, sous quelque forme que ce soit, des remises sur ses produits ou des conditions plus favorables de paiement qui ne sont pas justifiées par une contrepartie objective. Ainsi pour les cartons, les remises ne doivent concerner que des remises de quantité à la commande, non cumulables pour des cartons de types différents.’

221
Il s’ensuit que Tetra a signalé clairement sa volonté de respecter pleinement les obligations spéciales que l’article 82 CE lui impose en conséquence de la position dominante qu’elle détient sur les marchés du carton aseptique. Elle a également réitéré son acceptation de toutes les obligations pertinentes qui lui ont été imposées à la suite de la constatation dans la décision 92/163 d’une violation de l’article 82 CE relative à ces marchés. De plus, elle s’est engagée, dans le cadre de la présente affaire, à ne faire aucune offre conjointe portant sur ses produits cartons et sur les machines SBM de Sidel.

222
Par conséquent, les seuls modes de ventes liées ou groupées effectivement praticables pour la nouvelle entité consisteraient en des offres faites par Tetra à ses actuels clients des marchés du carton qui ne pourraient être obligatoires ou forcées et qui ne pourraient concerner que les équipements d’emballage carton et/ou les produits cartons, d’une part, et les équipements d’emballage PET à l’exception des machines SBM, d’autre part. Il y a lieu également d’observer à cet égard que, nonobstant l’accent porté par la Commission dans la décision [litigieuse] (considérants 177 et 369), dans ses écritures et dans ses plaidoiries, sur l’importance de la capacité de la nouvelle entité à offrir presque tout l’équipement nécessaire pour l’installation d’une ligne PET intégrée, il ressort des engagements qu’il ne serait pas possible pour cette dernière de faire une offre jointe à un client portant sur des équipements d’emballage carton et une ligne PET intégrée, du moins pour autant que cette dernière contiendrait une machine SBM de Sidel.

223
Par ailleurs, si la conclusion de la décision [litigieuse] quant à la discrimination par des prix prétendument pratiquée dans le passé par Sidel n’est pas, sur la base des écritures des parties et des plaidoiries de la Commission concernant l’analyse économétrique qui la sous-tend, entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, elle ne peut constituer une preuve suffisamment solide de la continuation d’un comportement semblable par la nouvelle entité. Cette dernière, à la différence de Sidel avant la concentration, serait liée non seulement par les engagements, mais également par les diverses obligations limitant le comportement de Tetra.

224
Force est donc de conclure que les possibilités ouvertes à la nouvelle entité pour exercer un effet de levier seraient assez circonscrites. L’examen des conséquences prévisibles d’un recours éventuel par celle-ci à un tel comportement doit en tenir compte.»

Arguments des parties

58
La Commission soutient, en premier lieu, que l’approche adoptée par le Tribunal en ce qui concerne les effets de conglomérat et le comportement illégal de Tetra est contraire à l’article 2 du règlement et au contrôle des concentrations en général.

59
Elle fait valoir, tout d’abord, que cette approche va à l’encontre de l’interprétation rationnelle dudit article 2. En effet, si l’article 82 CE avait été suffisant pour prévenir les abus, il n’aurait pas été nécessaire de prévoir un contrôle a priori des concentrations. La Commission conteste plus particulièrement le point 218 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a jugé que «le possible recours à de telles stratégies [abusives] ne peut être présumé par la Commission», en estimant, au contraire, que la présomption qu’une entreprise en position dominante puisse considérer comme rationnel d’exclure des concurrents et/ou d’exploiter des clients et donc, dans certains cas, de violer l’article 82 CE, est inscrite dans le règlement.

60
La Commission considère ensuite que l’approche du Tribunal est erronée, dans la mesure où elle est fondée sur des distinctions entre différents types de concentrations qui sont injustifiées et contraires à l’article 2 du règlement. Elle critique à cet égard le point 154 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal considère que ce ne serait pas la structure résultant de l’opération de concentration elle-même qui créerait ou renforcerait une position dominante, au sens du paragraphe 3 dudit article 2, mais les comportements futurs de la nouvelle entité. Elle soutient qu’une telle affirmation est contraire au point 94 de l’arrêt Gencor/Commission, précité, dans lequel le Tribunal aurait jugé qu’une concentration aurait eu un effet immédiat lorsque «la création des conditions rendant non seulement possible mais aussi économiquement rationnel ce genre de comportements [abusifs] aurait été la conséquence directe et immédiate de la concentration, étant donné que celle-ci aurait entravé de manière significative la concurrence effective existant dans le marché, en modifiant la structure des marchés concernés de manière durable». Elle fait valoir qu’il est injustifié de distinguer, comme le fait le Tribunal dans l’arrêt attaqué, selon que la création de la position dominante sur le second marché intervient immédiatement ou à moyen terme. À défaut, les concentrations verticales ou à effet de conglomérat risqueraient d’échapper à l’application dudit règlement dès lors que ce sont les types de concentrations qui donnent à la nouvelle entité la capacité d’utiliser – et d’abuser de – sa position dominante sur un marché ainsi que les incitations à cet effet pour exclure ses concurrents sur un second marché. La Commission conclut que, en l’espèce, il y avait lieu de considérer que la concentration entraînait une modification immédiate de la structure et des conditions de concurrence.

61
La Commission fait enfin valoir qu’il existe des obstacles juridiques et pratiques insurmontables à l’analyse de la force dissuasive de la nature illégale de certaines pratiques commerciales abusives. Elle devrait non pas analyser des caractéristiques structurelles, mais la propension d’une entreprise à respecter la loi. Une telle analyse enfreindrait le principe d’égalité et la présomption d’innocence. Le critère serait également inutilisable, car le risque pourrait difficilement être quantifié et varierait selon l’intensité de la politique de concurrence dans chaque État membre. Eu égard au niveau de preuve exigé par le Tribunal, la Commission conclut qu’elle serait dans l’impossibilité de contrôler correctement, en application du règlement, les concentrations verticales et à effet de conglomérat.

62
La Commission soutient, en second lieu, que le Tribunal a violé les articles 2 et 8, paragraphe 2, dudit règlement en considérant qu’elle aurait dû tenir compte des engagements de nature comportementale souscrits par Tetra. Elle oppose la position du Tribunal, exprimée au point 161 de l’arrêt attaqué, à celle retenue aux points 316 et 317 de l’arrêt Gencor/Commission, précité, dans lesquels le Tribunal aurait exclu la prise en considération d’engagements de nature comportementale lorsqu’il apparaît que l’opération de concentration est susceptible de créer ou de renforcer une position dominante. Elle estime que, même si des engagements non structurels peuvent être acceptables dans certains cas, des engagements qui se réduiraient à une simple promesse de se comporter d’une certaine manière, par exemple celui de ne pas abuser d’une position dominante créée ou renforcée par un projet de concentration, ne sont pas considérés en tant que tels comme étant de nature à rendre une concentration compatible avec le marché commun.

63
La Commission considère que le Tribunal a dénaturé la décision litigieuse en jugeant, au point 161 de l’arrêt attaqué, qu’il ne ressort pas de cette décision qu’elle avait pris en considération dans son analyse les implications des engagements de Tetra. La Commission souligne qu’elle a analysé les engagements de cette société, mais qu’elle les a écartés (points 423 à 451 des motifs de la décision litigieuse). Le Tribunal ne saurait légalement affirmer que ladite décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en tant qu’elle conclut que la concentration devait être interdite, sans analyser préalablement les arguments de la Commission selon lesquels ces engagements ne sont pas viables et sont en tout état de cause insuffisants pour résoudre les problèmes de concurrence soulevés par la concentration notifiée.

64
En revanche, Tetra estime, en premier lieu, que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en imposant à la Commission de prendre en considération l’illégalité du comportement abusif. Le critère retenu par le Tribunal, au point 159 de l’arrêt attaqué, est celui du comportement rationnel et prévisible d’une entreprise. Ce comportement doit être analysé en tenant compte à la fois des incitations à adopter un comportement illégal, mais également des facteurs de nature à diminuer, voire à éliminer, de telles incitations.

65
Tetra souligne que les comparaisons avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Gencor/Commission, précité, ne sont pas pertinentes. Selon elle, dans cette dernière affaire, la position dominante collective était créée immédiatement par la fusion horizontale, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire où la position dominante ne peut apparaître qu’après un certain laps de temps et nécessite un comportement abusif préalable.

66
Selon Tetra, l’interprétation du règlement par la Commission repose sur l’hypothèse erronée que celui-ci a pour objectif de faire obstacle aux abus. Or, il résulte des termes de l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement qu’il a pour objectif d’interdire la création de toute position dominante qui, par elle-même et en l’absence d’abus, entraînerait la mise en place d’un obstacle important à la concurrence.

67
Tetra ne voit pas les raisons pour lesquelles il existerait des obstacles juridiques et pratiques insurmontables à l’appréciation de l’incidence de la nature illégale de certains comportements ni en quoi une telle appréciation présenterait des difficultés différentes de celles relatives à l’analyse des incitations à adopter un comportement abusif. Elle relève que la Commission s’estime parfaitement capable de quantifier la probabilité de la détection d’une infraction aux articles 81 CE ainsi que 82 CE et qu’elle en tient compte pour fixer le taux des amendes.

68
S’agissant, en second lieu, de la prise en considération des engagements de Tetra, celle-ci souligne que le point 161 de l’arrêt attaqué affirme tout au plus que la Commission aurait dû tenir compte des propositions d’engagement, en appréciant le comportement futur prévisible de la nouvelle entité. Elle relève que le Tribunal n’a pas lui-même procédé à une évaluation des engagements proposés et que, dans aucun point de l’arrêt attaqué, il n’est imposé à la Commission, contrairement à ce qu’elle soutient, «de tenir compte d’engagements comportementaux consistant en de simples promesses de ne pas adopter de comportements abusifs».

69
Tetra fait valoir que l’interprétation par la Commission de l’arrêt Gencor/Commission, précité, est incorrecte. Contrairement à cette interprétation, le Tribunal aurait, au point 319 de cet arrêt, jugé que la classification des engagements serait dénuée de pertinence et que des engagements de type comportemental pourraient également être de nature à empêcher l’émergence ou le renforcement d’une position dominante.

70
Tetra relève enfin que, contrairement à ce qu’affirme la Commission, celle-ci n’a pas apprécié concrètement l’incidence des engagements proposés par cette société, mais s’est contentée de faire valoir une objection de principe contre l’assimilation d’engagements de nature comportementale à des mesures susceptibles de remédier valablement à la création d’une position dominante au sens du règlement.

Appréciation de la Cour sur le deuxième moyen

71
Il convient de souligner d’emblée que les points 148 à 162 de l’arrêt attaqué, qui sont contestés par la Commission tant dans le premier que dans le deuxième moyen du pourvoi, forment un ensemble dans lequel le Tribunal décrit certains aspects spécifiques des effets de conglomérat, notamment des aspects temporels, et en déduit certaines règles générales quant à la preuve que la Commission doit fournir lorsqu’elle estime que le projet de concentration doit être déclaré incompatible avec le marché commun.

72
C’est dans ce contexte du rappel de la nécessité d’une «preuve solide» («convincing evidence») que le Tribunal a mis en évidence lルobligation de procéder à un examen de l’ensemble des données pertinentes.

73
Un tel examen doit être effectué à la lumière de l’objectif du règlement, qui est de prévenir la création ou le renforcement de positions dominantes susceptibles d’entraver de manière significative la concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

74
L’adoption des comportements visés au point 364 des motifs de la décision litigieuse étant, selon celle-ci, une étape essentielle de l’exercice d’un effet de levier, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré que la probabilité de cette adoption devait être examinée de manière complète, c’est-à-dire en prenant en considération, ainsi qu’il l’exprime au point 159 de l’arrêt attaqué, tant les incitations à adopter de tels comportements que les facteurs de nature à diminuer, voire à éliminer, de telles incitations, y compris le caractère éventuellement illégal de ces comportements.

75
Toutefois, il serait contraire à l’objectif de prévention du règlement d’exiger de la Commission, ainsi qu’il est jugé au point 159, dernière phrase, de l’arrêt attaqué que, pour chaque projet de concentration, elle examine dans quelle mesure les incitations à adopter des comportements anticoncurrentiels seraient réduites, voire éliminées, en raison de l’illégalité des comportements en question, de la probabilité de leur détection, de leur poursuite par les autorités compétentes, tant au niveau communautaire que national, et des sanctions qui pourraient en résulter.

76
En effet, une analyse telle que celle exigée par le Tribunal imposerait un examen exhaustif et détaillé des réglementations des divers ordres juridiques susceptibles de s’appliquer et de la politique répressive pratiquée dans ces derniers. Par ailleurs, pour être utile, une telle analyse présuppose un degré élevé de vraisemblance quant aux faits envisagés comme pouvant être reprochés, car faisant partie d’un comportement anticoncurrentiel.

77
Il s’ensuit que, au stade de l’appréciation du projet de concentration, une analyse visant à établir l’existence probable d’une infraction à l’article 82 CE et à s’assurer que celle-ci fera l’objet d’une sanction dans plusieurs ordres juridiques serait trop spéculative et ne permettrait pas à la Commission de fonder son appréciation sur l’ensemble des éléments factuels pertinents afin de vérifier s’ils soutiennent la description d’un scénario d’évolution économique tel qu’un effet de levier.

78
Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit en écartant les conclusions de la Commission relatives à l’adoption, par la nouvelle entité, de comportements anticoncurrentiels susceptibles de produire un effet de levier au seul motif que cette institution n’aurait pas apprécié la vraisemblance de l’adoption de tels comportements en tenant compte de leur caractère illégal et, par suite, de la probabilité de leur détection, de leur poursuite par les autorités compétentes, tant au niveau communautaire que national, et des sanctions pécuniaires qui pourraient en résulter. Toutefois, l’arrêt attaqué étant également fondé sur l’absence de prise en considération des engagements proposés par Tetra, il convient de poursuivre l’examen du deuxième moyen.

79
S’agissant de l’argument tiré d’une modification de l’approche du Tribunal par rapport à celle adoptée dans l’arrêt Gencor/Commission, précité, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient la Commission, le Tribunal ne s’est pas écarté de la position qu’il a explicitée au point 94 de cet arrêt, selon laquelle il y aurait entrave significative à la concurrence effective dans la mesure où la structure des marchés concernés serait modifiée de manière durable lorsqu’une concentration a pour conséquence directe et immédiate la création de conditions rendant possibles et économiquement rationnels des comportements abusifs.

80
À cet égard, il convient de relever que la situation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Gencor/Commission, précité, était complètement différente de celle visée dans la décision litigieuse. Ainsi qu’il ressort du point 91 de cet arrêt, le résultat de l’opération de concentration aurait été la création d’une position dominante duopolistique sur les marchés du platine et du rhodium, la conséquence d’une telle opération étant que la concurrence effective aurait été entravée de manière significative dans le marché commun.

81
C’est donc l’opération de concentration qui aurait modifié de manière durable la structure des marchés concernés dans ladite affaire, rendant ainsi possibles et économiquement rationnels des comportements abusifs.

82
En l’espèce, la concentration était susceptible, certes, de modifier légèrement la structure du marché du carton dans la mesure où la nouvelle entité pouvait renforcer la position dominante que Tetra occupait depuis longtemps sur ce marché, position qui avait d’ailleurs fait l’objet d’une décision de la Commission au titre de l’article 82 CE. Toutefois, ce n’est pas tant la concurrence effective sur le marché du carton que la Commission entendait protéger en interdisant ladite concentration, mais la concurrence sur le marché des équipements PET, en particulier celui des machines SBM à faible et à forte capacité utilisées pour les produits sensibles.

83
À cet égard, il convient de relever que la structure de ce dernier marché n’aurait pas été immédiatement et directement affectée par la concentration notifiée, mais elle n’aurait pu l’être qu’à la suite de l’effet de levier et, notamment, des comportements abusifs de la nouvelle entité sur le marché du carton.

84
Il résulte des considérations qui précèdent que la situation examinée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Gencor/Commission, précité, n’est pas suffisamment comparable à celle sur laquelle le Tribunal a statué par l’arrêt attaqué pour que ce dernier pût en tirer des indications utiles. La structure du marché sur lequel la Commission entendait, par la décision litigieuse, préserver une concurrence effective était, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt Gencor/Commission, directement modifiée par l’opération de concentration alors que, dans la présente espèce, elle ne pouvait être modifiée que par l’exercice de l’effet de levier.

85
S’agissant de la prise en considération des engagements de nature comportementale de Tetra, c’est à juste titre que le Tribunal a relevé, au point 161 de l’arrêt attaqué, que la circonstance que cette dernière a proposé, en l’espèce, des engagements relatifs à son comportement futur est un élément dont la Commission devait nécessairement tenir compte aux fins d’apprécier s’il était vraisemblable que la nouvelle entité se comporterait d’une manière rendant possible la création d’une position dominante sur un ou plusieurs des marchés des équipements PET concernés.

86
À cet égard, la Cour rappelle les considérations exprimées par le Tribunal aux points 318 et 319 de l’arrêt Gencor/Commission, précité. Contrairement à ce que soutient la Commission, il ne ressort pas de cet arrêt que le Tribunal aurait exclu la prise en considération d’engagements de nature comportementale. Au contraire, le Tribunal a, au point 318, posé le principe selon lequel les engagements proposés par les entreprises concernées doivent permettre à la Commission de conclure que l’opération de concentration en cause ne créerait ou ne renforcerait pas une position dominante au sens de l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement. Puis, au point 319, il a déduit d’un tel principe qu’il est indifférent que l’engagement proposé puisse être qualifié d’engagement comportemental ou d’engagement structurel et qu’il ne saurait être exclu a priori que des engagements à première vue de type comportemental, tels que la non-utilisation d’une marque pendant une certaine période ou la mise à la disposition des tiers concurrents d’une partie de la capacité de production de l’entreprise issue de la concentration, ou plus généralement l’accès à une infrastructure essentielle dans des conditions non discriminatoires, soient de nature eux aussi à empêcher l’émergence ou le renforcement d’une position dominante.

87
S’agissant de l’examen de la prise en considération, par la Commission, des engagements de nature comportementale, le Tribunal s’est contenté de constater, au point 161 de l’arrêt attaqué, qu’il ne ressort pas de la décision litigieuse que la Commission avait pris en considération les implications desdits engagements dans son analyse relative à la création à l’avenir d’une position dominante moyennant l’exercice de l’effet de levier prévu.

88
Toutefois, il n’apparaît pas que le Tribunal aurait dénaturé la décision litigieuse ou insuffisamment motivé l’arrêt attaqué sur ce point. En effet, il ressort des points 429 à 432 des motifs de ladite décision, qui sont les seuls points de celle-ci relatifs aux engagements de nature comportementale souscrits par Tetra, que la Commission a, par des affirmations de principe, refusé d’accepter de tels engagements, en estimant, au point 429, que, «en tant que tels, ils ne sont pas à même de rétablir durablement les conditions d’une concurrence effective […], dans la mesure où ils n’abordent pas le problème de la modification permanente de la structure du marché suscitée par l’opération notifiée» et, au point 431, que «[d]e telles promesses de type comportemental sont contraires à la politique déclarée de la Commission sur les mesures correctives et à l’objectif du règlement sur les concentrations lui-même […], et elles sont extrêmement difficiles, sinon impossibles, à contrôler effectivement».

89
Il résulte de l’ensemble de l’examen du deuxième moyen que, si le Tribunal a commis une erreur de droit en écartant les conclusions de la Commission relatives à l’adoption, par la nouvelle entité, de comportements susceptibles de produire un effet de levier, c’est cependant à bon droit qu’il a jugé, au point 161 de l’arrêt attaqué, que la Commission aurait dû tenir compte des engagements souscrits par Tetra au sujet du comportement futur de ladite entité. Dès lors, quand bien même ce moyen est partiellement fondé, il ne saurait cependant conduire à la mise en cause de l’arrêt attaqué en tant que celui-ci a annulé la décision litigieuse, dans la mesure où cette annulation trouve son fondement notamment dans le refus de la Commission de prendre en considération lesdits engagements.

Sur le troisième moyen

90
Par son troisième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en raison de l’utilisation d’un critère du contrôle juridictionnel erroné et d’une violation de l’article 2 du règlement dans la mesure où il a jugé, au point 269 de l’arrêt attaqué, que «la décision [litigieuse] ne fournit pas d’éléments suffisants pour justifier la définition de sous-marchés distincts parmi les machines SBM selon leur utilisation finale» et que «[p]artant, les seuls sous-marchés qu’il convient de considérer sont ceux des machines à faible et à forte capacité».

Arguments des parties

91
La Commission rappelle que la définition des marchés pour les machines SBM constitue un élément fondamental de la décision litigieuse. Elle fait valoir que la proportion du marché en cause représentée par une clientèle commune pour le PET et pour le carton, vis-à-vis de laquelle Tetra est susceptible d’exploiter sa position dominante sur les marchés du carton en ayant recours à un effet de levier, influera de façon déterminante sur la probabilité d’une élimination des concurrents et d’une domination de ce marché par la nouvelle entité.

92
La Commission indique que, aux points 176 à 183 des motifs de la décision litigieuse, complétés par les points 347 à 358 et 381 à 383 des motifs de celle-ci, elle a défini des marchés distincts pour les machines SBM selon qu’elles sont utilisées pour emballer des produits sensibles ou des produits non sensibles, en se fondant sur des facteurs liés à la fois à l’offre et à la demande. S’agissant de celle-ci, le point 178 desdits motifs est rédigé comme suit:

«En tout état de cause, un groupe distinct de clients pour le produit en cause peut constituer un marché de produits plus étroit et distinct lorsqu’il peut faire l’objet de prix discriminatoires. Tel sera normalement le cas lorsque deux conditions sont remplies: a) il est possible de déterminer précisément à quel groupe appartient un client donné au moment où on lui vend le produit en cause, et b) les échanges entre clients ou l’arbitrage par des tiers ne sont pas réalisables.»

93
Au point 259 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a synthétisé comme suit l’argumentation développée dans la décision litigieuse par la Commission, sans que cette synthèse soit contestée par cette dernière:

«La Commission constate d’abord, dans la décision [litigieuse], que, “même pour un équipement prétendument ‘générique’ comme une machine SBM, il est justifié d’examiner le marché des équipements en fonction des segments de consommation finale”, ce qui est ‘encore plus indiqu[é] lorsque l’on compare entre eux des systèmes d’emballage complets en vue de déterminer s’ils peuvent ou non faire partie du même marché de produits’ (considérant 43). Elle relève ensuite que chaque produit liquide destiné à être emballé a ses ‘propres caractéristiques qui ouvrent ou non la possibilité d’utiliser une forme donnée d’emballage’, avant de conclure en faveur de l’emploi de la segmentation par l’utilisation finale comme instrument d’analyse des marchés des équipements d’emballage de liquides alimentaires (considérant 44, cité au point 30 ci-dessus). Elle fait donc la distinction entre les produits sensibles appartenant aux ‘segments des produits communs’ et les autres produits, sur la base de la capacité des premiers à être emballés, au moins d’un point de vue technique, tant en carton qu’en PET, contrairement aux produits non sensibles comme les eaux minérales et les boissons gazeuses qui ne peuvent être emballées en carton (considérant 58). Tout en acceptant que “les machines SBM [soient], dans leur majorité, ‘génériques’” (considérant 177), la Commission fait valoir, au même considérant, qu’’une ligne d’emballage PET, dont la machine SBM ne constitue qu’un élément, est généralement spécialement adaptée aux produits conditionnés par le client’, ce qui est en particulier le cas pour les produits sensibles, argument réitéré dans l’appréciation des conséquences de l’effet de levier (considérant 369). Elle cite l’exemple de la ‘SRS G Combi’ de Sidel, ‘conçue pour le conditionnement de boissons gazeuses [et qui] ne peut constituer une solution de rechange pour un producteur de boissons qui souhaite conditionner les jus’ (considérant 177), pour laquelle une machine ‘Combi SRA’ aseptique serait nécessaire. Citant sa communication du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO C 372, p. 5, point 43), elle constate ensuite que les deux conditions normalement requises pour la constatation de l’existence d’un groupe distinct de clients, et ainsi d’un marché de produits plus étroit, sont remplies dans la présente affaire: à savoir la possibilité de déterminer précisément à quel groupe appartient un client donné au moment où il achète une machine SBM et le fait que les échanges entre clients ou l’arbitrage par des tiers relatifs à ces machines ne sont pas réalisables (considérant 178).»

94
Aux points 260 à 269 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a statué comme suit:

«260
Le Tribunal constate, d’abord, que l’accent mis dans la décision [litigieuse] sur les produits sensibles appartenant aux ‘segments des produits communs’ est fondé sur un critère objectif, à savoir l’appartenance de ces produits à la catégorie des produits emballés en carton et la capacité, du moins technique, de les emballer en PET, capacité qui, eu égard au niveau de croissance qui peut être retenu (voir points 201 à 216 ci-dessus), deviendra probablement une réalité commerciale assez répandue d’ici à 2005, au moins pour les BPF et les boissons au thé ou au café.

261
Cependant, la décision [litigieuse] ne fournit pas de preuves suffisamment solides pour démontrer les caractéristiques prétendument particulières des machines SBM utilisées pour le conditionnement des produits sensibles. Certes, une machine combinée particulièrement conçue pour le remplissage des boissons gazeuses ne peut être utilisée pour les jus. Toutefois, cela est loin de démontrer que des machines SBM à faible et à forte capacité, même si elles ont été adaptées avant leur vente selon les désirs de leurs acheteurs, ne demeurent pas, comme le fait valoir en substance la requérante, des machines génériques, c’est-à-dire aptes à emballer plusieurs sortes de produits.

262
Quant à la prétendue spécificité des moules d’emballage selon les produits visés, avancée à cet égard par la Commission, alors que la requérante ne conteste pas que le nombre de moules détermine la capacité de la machine, une telle spécificité ne démontre pas que les machines SBM, dont les moules ne forment qu’une partie, se distinguent les unes des autres de manière significative. Il ressort de la notification que la durée moyenne d’un moule n’est que de trois ans environ, tandis que la durée de vie est de quinze ans pour une machine SBM (point 304). Alors que Sidel fabrique ses propres moules, la décision [litigieuse] ne conteste pas les informations fournies dans la notification quant au marché des moules, selon laquelle Sidel n’est pas active sur ce marché (en tant que fournisseur de moules à des parties tierces) et selon laquelle la concurrence parmi les entreprises qui y sont actives est très forte, en particulier celle de SIG qui, sur son site Internet, prétend être en position prééminente (point 309).

263
En outre, la décision [litigieuse] ne met pas non plus en cause l’affirmation faite dans la notification selon laquelle un client peut utiliser, dans une grande installation, plusieurs machines SBM afin de les combiner pour satisfaire à ses différents besoins de production. La décision [litigieuse] ne comporte pas d’examen de la question de savoir si la flexibilité demandée par certains clients quant aux moules de machines SBM peut s’expliquer par des besoins liés à de telles utilisations.

264
Dans sa défense, la Commission se réfère à une série de modifications pouvant être faites à une machine SBM afin de la rendre plus performante ou plus utile dans une chaîne PET intégrée, comme l’ajout d’un système spécial de filtration d’air de soufflage ou un traitement moyennant des lampes à ultraviolets pour réduire le risque de contamination avant que les préformes n’y entrent. Lors de l’audience, la Commission a précisé que ces modifications démontrent qu’une machine SBM utilisée dans une chaîne de remplissage PET a des caractéristiques très particulières, auxquelles la décision [litigieuse] se réfère (considérant 177). Tetra, tout en contestant l’attribution par la Commission des spécificités d’autres éléments d’une chaîne PET aux machines SBM, a néanmoins fait observer que ces modifications ne représentent pas plus que 5 % du coût d’une machine SBM.

265
Il convient, d’abord, de constater qu’aucune référence n’est faite à ces informations dans la décision [litigieuse]. Si cette décision met correctement l’accent sur l’importance des exigences particulières des clients qui ont besoin, en particulier, d’une ligne de remplissage PET aseptique, à savoir essentiellement d’une garantie d’asepsie, cet élément ne saurait justifier la définition d’un sous-marché distinct pour les machines SBM utilisées dans une ligne de remplissage des produits sensibles en cause. En effet, le simple fait que chaque machine SBM doive être installée dans une chaîne PET afin d’être utile à son acheteur ne justifie pas que la spécificité d’autres équipements PET propre à cette chaîne, et notamment celles de remplissage PET aseptique, rejaillisse sur les machines SBM elles-mêmes.

266
Le caractère générique des machines SBM doit d’autant plus être accepté que la Commission n’a pas été en mesure, à l’audience, de renverser l’affirmation de Tetra quant au coût relativement modeste, par rapport au coût d’une machine SBM dite ‘standard’, surtout lorsqu’il s’agit d’une machine SBM à forte capacité, des modifications, le cas échéant, souhaitables pour rendre une telle machine plus compatible avec l’utilisation de machines de remplissage PET aseptique et non aseptique, et, éventuellement avec des machines de remplissage aseptique capables de passer du PET au PEHD.

267
En outre, il est constant entre les parties que les machines combinées, dont l’utilisation pour le remplissage aseptique reste très limitée (voir points 248 et 249 ci-dessus), ne constituent pas un marché distinct, tel que cela ressort également de la décision [litigieuse].

268
Quant aux possibilités de déterminer précisément à quel groupe appartient un client donné au moment où il achète une machine SBM et à l’absence ou non, au moins aujourd’hui dans l’[Espace économique européen], de possibilités pour un tel client de chercher un meilleur prix en recourant à l’arbitrage entre les fournisseurs disponibles, il apparaît clairement que ces possibilités, à les considérer établies, s’appliqueraient tout autant aux machines SBM utilisées pour des produits non sensibles qu’à celles utilisées aux fins de conditionner des produits sensibles. La possibilité pour la nouvelle entité d’identifier le groupe auquel appartient un client réside dans le fait que beaucoup de clients des marchés du carton qui passeront vers le PET seront des clients actuels de Tetra. Cependant, cet avantage possible, qui résulte de l’avantage de ‘premier arrivant’ détenu de façon prévisible par la nouvelle entité, n’exclut pas que ces clients puissent se tourner vers d’autres fournisseurs de machines SBM s’ils ne sont plus satisfaits des conditions offertes par ladite entité.

269
Sur la base des éléments fournis dans la décision [litigieuse], la Commission a donc commis une erreur, d’une part, en constatant que les machines SBM sont “dans leur majorité, ‘génériques’” (considérant 177) et, d’autre part, en distinguant entre elles selon leur utilisation finale. En effet, la décision [litigieuse] ne fournit pas d’éléments suffisants pour justifier la définition de sous-marchés distincts parmi les machines SBM selon leur utilisation finale. Partant, les seuls sous-marchés qu’il convient de considérer sont ceux des machines à faible et à forte capacité.»

95
La Commission considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en exigeant, au point 265 de l’arrêt attaqué, qu’elle explicite dans la décision litigieuse l’ensemble des informations techniques recueillies au cours de son enquête. Elle rappelle à cet égard que la question de savoir si la motivation d’une décision satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de celle-ci, mais aussi de son contexte et, notamment, du degré de connaissance préalable des faits pertinents et du délai disponible pour arrêter cette décision.

96
En outre, le Tribunal aurait violé les limites du contrôle juridictionnel, dénaturé la décision litigieuse et substitué sa propre appréciation à celle de la Commission, sans même motiver le rejet de l’analyse de cette dernière, en considérant, au même point 265, que l’exigence d’une garantie des conditions d’asepsie ne justifiait pas la définition d’un sous-marché pour les machines SBM utilisées dans une ligne de remplissage des produits sensibles en cause. De même, au point 266 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait rejeté l’appréciation de la Commission concernant l’importance des modifications à apporter aux machines SBM pour les rendre utilisables en vue de l’emballage aseptique en se fondant uniquement sur l’élément relatif au coût de l’adaptation nécessaire, sans examiner les autres éléments qu’elle avait pris en compte, notamment celui de savoir si les fournisseurs de ces machines aux clients traditionnels des secteurs de l’eau et des boissons gazeuses non alcoolisées disposent de l’expertise nécessaire pour procéder à de telles modifications et offrir les garanties nécessaires.

97
La Commission conteste également le rejet de son argumentation selon laquelle la discrimination par les prix peut constituer une preuve de l’existence de sous-marchés distincts. Au point 223 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait en effet considéré qu’une telle discrimination, prétendument pratiquée dans le passé par Sidel, ne pouvait constituer une preuve suffisamment solide de la continuation d’un comportement semblable par la nouvelle entité, dès lors que cette dernière, à la différence de Sidel avant la concentration, serait liée non seulement par les engagements, mais également par les diverses obligations limitant le comportement de Tetra. Elle considère que le Tribunal a, à cet égard, commis une erreur de droit pour trois raisons. La première tiendrait au fait que la discrimination par les prix est la preuve même de l’existence de conditions distinctes, sur le plan de l’offre et de la demande, pour la vente d’un produit à des clients différents et donc la preuve de l’existence de marchés distincts. La deuxième raison résulte de ce que le Tribunal imposerait à la Commission de ne pas prendre en considération une conduite illégale, quand bien même elle serait économiquement rationnelle. La troisième raison consiste à soutenir que, ainsi qu’il résulterait des points 161 et 162 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ne prendrait pas en considération la position dominante de Tetra sur le marché du carton, mais partirait de la constatation selon laquelle la nouvelle entité ne disposera pas d’une position dominante sur le marché du PET et que, dès lors, une discrimination par les prix sur ce marché ne saurait constituer un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE.

98
La Commission critique enfin la constatation du Tribunal selon laquelle les clients auraient la possibilité de s’adresser à des fournisseurs autres que Tetra. Elle considère que le Tribunal a ignoré ses arguments relatifs à l’absence de possibilité d’arbitrage pour les machines d’un même fournisseur (achat de machines d’occasion et transfert, à l’intérieur d’une même entreprise, d’une machine d’une division «produits non sensibles» à une division «produits sensibles»).

99
Tetra fait valoir, de manière générale, que ce moyen doit être déclaré irrecevable en tant qu’il vise des appréciations de fait.

100
Elle rappelle que, au point 177 des motifs de la décision litigieuse, c’est la Commission elle-même qui a reconnu que les machines SBM sont «génériques», mais que c’est la ligne d’emballage PET qui est spécialement adaptée aux produits conditionnés par le client. Elle soutient que c’est en vain que la Commission invoque des éléments qui ne figuraient pas dans ladite décision, car, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence, une décision doit contenir tous les éléments de fait et de droit sur lesquels la Commission s’est fondée de manière à permettre un contrôle juridictionnel effectif de cette décision. Or, la décision litigieuse ne contiendrait aucune référence à la nécessité de considérer la machine SBM comme un élément d’une chaîne d’emballage d’un type particulier. En tout état de cause, le Tribunal aurait répondu aux arguments développés par la Commission au cours de la procédure juridictionnelle. Ainsi, le point 266 de l’arrêt attaqué serait une réponse à un nouvel argument invoqué par la Commission dans son mémoire en défense.

101
Tetra considère que la Commission sort de son contexte le point 223 de l’arrêt attaqué. En effet, dans ce point, le Tribunal ne se serait pas référé à la possibilité d’invoquer la discrimination en tant que moyen de preuve de l’existence de marchés distincts, mais se serait limité à examiner si le comportement passé de Sidel constitue une preuve suffisamment solide de la continuation d’un comportement semblable par la nouvelle entité. Ce ne serait qu’aux points 258 à 269 dudit arrêt que le Tribunal aurait examiné la définition du marché.

Appréciation de la Cour sur le troisième moyen

102
Il convient de rejeter d’emblée comme inopérant l’argument tiré par la Commission du fait que le Tribunal a constaté, au point 265 de l’arrêt attaqué, l’absence de référence, dans la décision litigieuse, à un certain nombre d’explications techniques concernant les prétendues caractéristiques très particulières des machines SBM utilisées dans des chaînes de remplissage PET, explications qui n’ont été développées par la Commission que dans sa défense et lors de l’audience. Il résulte en effet de la lecture des points 266 et 267 du même arrêt que le Tribunal n’a pas fondé son appréciation sur la seule insuffisance, dans ladite décision, de preuves solides des caractéristiques prétendument particulières de ces machines, mais qu’il a pris en considération les arguments présentés par la Commission dans sa défense ainsi que lors de l’audience et a répondu à ceux-ci.

103
Il y a lieu, de même, de rejeter comme non pertinent l’argument tiré d’un prétendu rejet, par le Tribunal, d’une discrimination par les prix comme preuve de l’existence de sous-marchés distincts. En effet, il résulte de la lecture des points 259, dernière phrase, et 268 de l’arrêt attaqué que, dans le cadre de la détermination de marchés distincts, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la preuve directe d’une discrimination par les prix, mais a concentré son analyse sur les conditions auxquelles la preuve d’une possibilité de discrimination par les prix peut être effectuée, ces conditions étant définies au point 178 des motifs de la décision attaquée, à savoir la possibilité de déterminer précisément à quel groupe appartient un client donné et l’impossibilité de recourir aux échanges entre clients ou à l’arbitrage par des tiers.

104
S’agissant des autres arguments invoqués par la Commission au soutien de son troisième moyen, par lesquels cette dernière conteste l’appréciation du Tribunal quant au caractère générique des machines SBM, à la possibilité d’identifier à quel groupe appartient un client et à l’impossibilité de recourir aux échanges entre clients ou à l’arbitrage par des tiers en ce qui concerne ces machines, il y a lieu de les déclarer irrecevables, dès lors qu’ils mettent en cause l’appréciation d’éléments de preuve par le Tribunal, appréciation qui ne saurait être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

105
Il résulte de ces considérations que le troisième moyen est, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé.

Sur le quatrième moyen

106
Par son quatrième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a violé l’article 2 du règlement, a dénaturé des faits et a omis de prendre en compte certains de ses arguments en ne reconnaissant pas le bien-fondé de sa conclusion selon laquelle Tetra renforcerait sa position dominante dans le secteur du carton.

107
Les points 390 à 401 des motifs de la décision litigieuse visent à démontrer que la position dominante que détient Tetra dans le secteur du carton pourrait être renforcée par la concentration notifiée, en raison de l’élimination, sur le marché de l’emballage des produits sensibles, de la concurrence potentielle que constitue le plus gros fournisseur du marché du PET, à savoir Sidel. Ainsi soumise à une concurrence moins forte, Tetra ne serait pas incitée à baisser les prix de ses emballages en carton et pourrait être conduite à cesser d’innover.

108
Ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 311 et 317 de l’arrêt attaqué, la Commission a invoqué l’arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, précité, confirmé sur pourvoi par l’arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, précité (ci-après la «jurisprudence Tetra Pak II»), à l’appui de son argumentation selon laquelle un affaiblissement de la concurrence potentielle permettrait à Tetra de se sentir moins menacée sur les marchés du carton aseptique, ce qui devrait être considéré comme un renforcement de sa position dominante sur ces marchés, aux sens de l’article 2 du règlement.

109
Au point 312 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé ce qui suit:

«[...] lorsque la Commission s’appuie sur l’élimination ou la réduction significative d’une concurrence potentielle, même d’une concurrence qui a vocation à croître, afin de justifier l’interdiction d’une concentration notifiée, les éléments constitutifs du renforcement d’une position dominante identifiés doivent être fondés sur des preuves solides. Le simple fait que l’entreprise acquéreuse occupe déjà une position dominante très nette sur le marché concerné, bien que constituant un élément important, comme le constate la décision [litigieuse], ne suffit pas en lui-même pour justifier la conclusion qu’une réduction de la concurrence potentielle à laquelle cette entreprise doit faire face est constitutive d’un renforcement de sa position».

110
Au point 322 du même arrêt, le Tribunal a constaté qu’il n’existe, en principe, aucun empêchement à l’application, dans le cadre du contrôle des concentrations, de la théorie des «liens de connexité», qui aurait été reconnue dans le cadre de l’application de l’article 82 CE par la jurisprudence Tetra Pak II. L’affaire ayant donné lieu à celle-ci concernait un comportement sur un marché donné, comportement qui a été considéré comme constitutif d’un abus de position dominante sur un marché connexe. Dans la présente espèce, il s’agirait de marchés voisins. Le Tribunal a cependant considéré, au point 323 dudit arrêt, que la référence à cette jurisprudence n’est pas pertinente, dès lors que «la présente affaire concerne tout simplement les effets de l’élimination, ou de la réduction significative, d’une concurrence potentielle qui est, selon la Commission, importante et croissante».

111
Au même point 323, le Tribunal a rappelé à cet égard que «parmi les critères de l’article 2, paragraphe 1, du règlement s’imposant à la Commission dans le cadre de son appréciation des opérations de concentration notifiées figure ‘la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence [...] potentielle d’entreprises [...]’». Le Tribunal a poursuivi en jugeant comme suit:

«La Commission n’a commis, dès lors, aucune erreur en examinant la signifiance d’une réduction de la concurrence potentielle émanant des marchés des équipements PET sur les marchés du carton. Cependant, il lui incombe de démontrer qu’une telle réduction, si elle existe, aurait vocation à renforcer la position dominante de Tetra vis-à-vis de ses concurrents sur les marchés du carton aseptique.»

112
Au point 324 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, ainsi qu’il ressort de sa propre analyse, la croissance de l’utilisation du PET pour l’emballage des produits sensibles serait vraisemblablement beaucoup moins nette que ne l’estime la Commission. Il ne serait dès lors plus possible, sur la base des éléments invoqués dans la décision litigieuse, de déterminer avec la certitude requise pour justifier l’interdiction d’une concentration si la mise en œuvre de la concentration notifiée placerait Tetra dans une situation où elle pourrait être plus indépendante que par le passé par rapport à ses concurrents sur les marchés du carton aseptique.

113
Au point 325 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les deux éléments de fait relatifs au comportement futur de Tetra sur lesquels s’appuie la Commission afin de démontrer les prétendus effets négatifs de la concentration notifiée sur les marchés du carton aseptique.

114
Aux points 326 à 328 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les éléments relatifs à la concurrence sur les prix produits par la Commission et a jugé, audit point 328, dernière phrase, que la conclusion de la décision litigieuse selon laquelle Tetra serait exposée à moins de pression pour baisser ses prix du carton, au cas où elle serait autorisée à acquérir Sidel, n’est pas fondée sur des éléments convaincants.

115
Aux points 329 à 331 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les éléments produits par la Commission pour soutenir que la concentration notifiée entraînerait une diminution de l’incitation à innover dans le chef de Tetra. Au point 332 du même arrêt, il a considéré qu’il ne ressort pas à suffisance de droit de la décision litigieuse que la nouvelle entité serait moins incitée que ne l’est actuellement Tetra à innover dans le secteur du carton.

116
Au point 333 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu comme suit:

«Il s’ensuit que les éléments invoqués dans la décision [litigieuse] ne démontrent pas, à suffisance de droit, que les effets de la concentration [notifiée] sur la position occupée par Tetra, principalement sur les marchés du carton aseptique, en éliminant Sidel comme un concurrent potentiel, seraient tels que les conditions de l’article 2, paragraphe 3, du règlement seraient remplies. En effet, il ressort de ce qui précède qu’il n’a pas été démontré que la position de la nouvelle entité, vis-à-vis de ses concurrents sur les marchés du carton, serait renforcée.»

Arguments des parties

117
Par son quatrième moyen, qui comporte plusieurs branches, la Commission conteste les points 312 et 323 de l’arrêt attaqué. Elle considère, tout d’abord, que la manière dont le Tribunal a présenté la question de l’importance de la concurrence potentielle aboutit à une dénaturation des faits. Selon la Commission, la concurrence potentielle serait sans rapport avec le lien concurrentiel existant entre l’entreprise considérée comme dominante et d’autres entreprises présentes sur le marché en cause. La question déterminante serait celle de savoir si l’élimination structurelle d’une source importante de concurrence potentielle rend l’entreprise dominante encore plus libre de toute contrainte, notamment à l’égard de ses clients et des consommateurs.

118
La Commission fait valoir ensuite que les deux éléments mentionnés au point 312 de l’arrêt attaqué, à savoir l’élimination ou la réduction significative de la concurrence potentielle et le fait que l’entreprise au profit de laquelle est réalisée la concentration occupe déjà une position dominante sur le marché concerné, suffisent pour justifier la constatation du renforcement d’une telle position.

119
Elle considère en outre que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en rejetant son appréciation de la croissance probable de l’utilisation du PET pour le conditionnement des produits sensibles et en se fondant exclusivement sur sa propre prévision selon laquelle «cette croissance serait [...] vraisemblablement beaucoup moins nette que ne l’estime la Commission».

120
Enfin, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 316 à 328 de l’arrêt attaqué, en ne tenant pas compte de ses arguments relatifs aux effets en matière de prix induits par l’élimination de Sidel et, aux points 329 à 332 du même arrêt, en rejetant sa conclusion selon laquelle la nouvelle entité serait moins incitée à innover dans le secteur du carton que ne l’est Tetra actuellement.

121
Tetra considère que le point 312 de l’arrêt attaqué n’est pas entaché d’erreur. Elle souligne que, selon le règlement, une concentration peut être interdite si elle entraîne la création ou le renforcement d’une position dominante. Étant donné que, par définition, une position dominante concerne la position d’une entreprise dominante sur un marché donné, c’est-à-dire à l’égard de ses concurrents, il serait incompréhensible que la Commission s’estime capable de dissocier la position dominante de l’entreprise dominante de celle de ses concurrents sur le même marché.

122
Selon Tetra, soutenir que les deux facteurs visés au point 312 de l’arrêt attaqué suffisent pour justifier la constatation du renforcement d’une position dominante, ainsi que le fait la Commission, revient à établir une règle per se en vertu de laquelle toute réduction de la concurrence potentielle renforcera toujours une position dominante. Or, l’article 2, paragraphe 3, du règlement exige qu’il soit démontré non seulement qu’une position dominante est renforcée à la suite de la concentration, mais également que la concurrence effective sera sensiblement entravée à la suite de ce renforcement. Aucune de ces deux conditions ne peut être présumée remplie, en particulier s’agissant d’une affaire dans laquelle, comme en l’espèce, la concurrence potentielle évoquée est celle qu’un premier marché exerce sur un second marché, distinct mais voisin.

123
En tout état de cause, la Commission a invoqué plusieurs facteurs dans la décision litigieuse et elle ne saurait dès lors reprocher au Tribunal d’avoir analysé ces facteurs dans l’arrêt attaqué. S’agissant de la croissance probable de l’utilisation du PET, Tetra renvoie à l’argumentation qu’elle a déjà développée à ce sujet.

124
Enfin, s’agissant des arguments tirés de ce que le Tribunal n’aurait pas retenu les conclusions de la Commission relatives aux effets de l’opération sur les incitations de Tetra en matière de prix et d’innovation, cette dernière soutient que la Commission critique des appréciations de fait portées par le Tribunal, qui échappent au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

Appréciation de la Cour sur le quatrième moyen

125
Ainsi qu’il résulte de l’article 2, paragraphe 1, du règlement, pour apprécier la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché commun, la Commission tient compte d’un ensemble d’éléments tels que la structure des marchés en cause, de la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises, de la position ainsi que de la puissance économique et financière des entreprises concernées, des possibilités de choix des fournisseurs et des utilisateurs, de l’existence de barrières à l’entrée, et de l’évolution de l’offre et de la demande.

126
C’est donc à bon droit et sans violer l’article 2 du règlement que le Tribunal a rappelé, au point 312 de l’arrêt attaqué, que le simple fait que l’entreprise acquéreuse occupe déjà une position dominante très nette sur le marché concerné, bien que constituant un élément important, comme le constate la décision litigieuse, ne suffit pas en lui-même pour justifier la conclusion qu’une réduction de la concurrence potentielle à laquelle cette entreprise doit faire face est constitutive d’un renforcement de sa position.

127
En effet, la concurrence potentielle que représente un producteur de produits de substitution sur une partie du marché en cause, à savoir en l’espèce la concurrence de Sidel, en sa qualité de fournisseur d’emballages PET, sur la partie du marché des produits sensibles à l’égard de l’emballage carton aseptique, n’est que l’un des éléments parmi l’ensemble de ceux qui doivent être pris en considération pour apprécier si une opération de concentration risque d’avoir pour effet de renforcer une position dominante. À cet égard, il ne saurait être exclu qu’une réduction de cette concurrence potentielle soit compensée par d’autres éléments, le résultat d’une telle compensation étant que la position concurrentielle de l’entreprise qui occupait déjà une position dominante demeure inchangée.

128
Il ressort de la synthèse des arguments des parties, faite par le Tribunal aux points 313 à 320 de l’arrêt attaqué, que Tetra a contesté la thèse du renforcement de la position dominante de la nouvelle entité sur les marchés du carton aseptique, en alléguant notamment qu’une absence d’innovation dans le secteur du carton profiterait essentiellement aux concurrents actuels de Tetra sur les marchés du carton. C’est donc à juste titre que, dans le cadre de la discussion et de l’appréciation des arguments des parties sur ce point, le Tribunal a rappelé, au point 323 dudit arrêt, qu’il incombe à la Commission de démontrer qu’une réduction de la concurrence potentielle, si elle existe, aurait vocation à renforcer la position dominante de Tetra vis-à-vis de ses concurrents sur les marchés du carton aseptique.

129
Ainsi, le Tribunal s’est fondé sur les réactions potentielles des concurrents de Tetra sur les marchés du carton, qui sont également actifs sur le marché du PET, pour réfuter, au point 327 de l’arrêt attaqué, l’affirmation de la Commission selon laquelle cette société pourrait être incitée, une fois la concentration réalisée, à augmenter ses prix sur les marchés du carton aseptique et, au point 330 dudit arrêt, l’argumentation selon laquelle la nouvelle entité pourrait décider de moins innover.

130
Ne saurait dès lors être considérée comme fondée la branche du quatrième moyen dans laquelle la Commission soutient que la concurrence potentielle serait sans rapport avec le lien concurrentiel existant entre l’entreprise considérée comme dominante et d’autres entreprises présentes sur le marché en cause.

131
S’agissant de l’appréciation de la croissance probable de l’utilisation du PET pour le conditionnement des produits sensibles, il convient de rappeler que l’argumentation de la Commission à cet égard a été examinée dans le cadre du premier moyen du pourvoi, au point 46 du présent arrêt, en vue de vérifier si le Tribunal avait violé l'article 230 CE en tant qu’il n’aurait pas appliqué le critère de l’erreur manifeste d’appréciation et n’aurait pas respecté la marge d’appréciation dont dispose la Commission pour ce qui concerne les questions factuelles et économiques complexes. Pour autant que, par cette branche du moyen, cette dernière conteste les conclusions du Tribunal à cet égard, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’une critique de l’appréciation d’éléments de preuve effectuée par le Tribunal, appréciation qui ne saurait être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

132
Il en est de même de la branche du moyen par laquelle la Commission conteste les points 316 à 328 et 329 à 332 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a apprécié les éléments de preuve produits par cette dernière, relatifs respectivement aux effets en matière de prix induits par l’élimination de Sidel et à la moindre incitation à innover dans le secteur du carton de la nouvelle entité.

133
Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le quatrième moyen est, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé.

Sur le cinquième moyen

134
Par son cinquième moyen, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir commis une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement en écartant ses conclusions relatives à la création d’une position dominante sur le marché des machines SBM.

Arguments des parties

135
La Commission soutient que la conclusion du Tribunal, figurant au point 307 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «la décision [litigieuse] ne démontre pas à suffisance de droit que la nouvelle entité pourrait s’emparer d’ici à 2005 d’une position dominante sur les marchés des machines à faible et à forte capacité», est fondée sur des erreurs de droit critiquées dans le cadre des moyens précédents, à savoir l’inclusion des machines SBM pour produits non sensibles et pour la bière dans le même marché que celui des machines SBM pour produits sensibles et le fait de considérer comme suffisant l’engagement de Tetra de ne pas lier la vente desdites machines à celle de produits carton. Pour compléter son argumentation, la Commission estime nécessaire de démontrer les erreurs commises par le Tribunal en ce qui concerne la création d’une position dominante sur le marché des machines SBM.

136
S’agissant des machines SBM à faible capacité, la Commission soutient, tout d’abord, que le Tribunal n’a pas pris en considération certains éléments pertinents figurant dans la décision litigieuse, tels l’amélioration, en parts de marché, de la position de Sidel (point 266 des motifs de cette décision) et le renforcement immédiat de sa position grâce à la combinaison, d’une part, de sa position prééminente en termes de parts de marché et, d’autre part, de la puissance financière, de la force de vente, de la supériorité établie dans l’emballage aseptique, de l’avantage au premier arrivant auprès de la clientèle du secteur de l’emballage carton et de la position dominante dont bénéficie déjà Tetra dans ce secteur (points 376 à 387 des motifs de ladite décision).

137
La Commission soutient en outre que le Tribunal s’est fondé sur des éléments de fait dépourvus de pertinence. Ainsi, l’importance des machines SBM à faible capacité pour l’emballage de produits non sensibles ne serait pas un élément pertinent si la définition du marché proposée par la Commission devait être admise. De même, l’affirmation du Tribunal, au point 279 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «une proportion importante des machines SBM utilisées pour le conditionnement des produits sensibles concernera, selon toute vraisemblance, des machines à faible capacité» ne serait pas pertinente pour apprécier la possibilité de Tetra de s’appuyer sur sa position dominante dans le secteur de l’emballage carton pour acquérir une position dominante dans celui des machines SBM à faible capacité.

138
S’agissant des machines à forte capacité, la Commission soutient que le Tribunal a négligé de prendre en considération des éléments pertinents, et notamment, au point 284 de l’arrêt attaqué, l’accroissement de la part de marché de Sidel grâce à la concentration notifiée. Elle estime également que c’est à tort que le Tribunal a pris en considération la possibilité d’une croissance inférieure aux prévisions de l’utilisation du PET pour les produits sensibles ainsi que l’éventualité que les clients fabriquant des produits sensibles recourent au PEHD plutôt qu’au PET, alors que ces éléments sont dénués de pertinence pour déterminer si Tetra bénéficierait d’un avantage au premier arrivant dans ses rapports avec les clients qui choisissent le PET.

139
De même, en ce qui concerne les clients venant du conditionnement en verre, le raisonnement du Tribunal négligerait certains éléments et dénaturerait les faits. D’une part, en effet, ce dernier ne prendrait pas en considération le fait qu’un client utilisant ce type d’emballage ne conditionnerait que rarement ses produits exclusivement dans ce matériau. D’autre part, le Tribunal donnerait une présentation erronée des faits lorsqu’il affirme que les concurrents de Tetra/Sidel présents dans le secteur de l’emballage en verre bénéficieraient de l’avantage au premier arrivant, car, ce faisant, il négligerait le fait que les fournisseurs d’équipements verre et métal n’ont pas de liens étroits et permanents avec les producteurs de boissons parce que la quasi-totalité de la fabrication des emballages en verre et en métal est effectuée par des convertisseurs.

140
S’agissant de la position des concurrents, la Commission estime que le Tribunal a dénaturé la décision litigieuse en jugeant, au point 294 de l’arrêt attaqué, que celle-ci ne contiendrait pas une analyse adéquate de la concurrence sur le marché des machines à forte capacité à laquelle Sidel doit faire face et sous-estimerait la concurrence représentée par les trois principaux concurrents de cette société. Selon la Commission, ladite décision contient une analyse approfondie des positions relatives de la nouvelle entité et de ses concurrents, notamment aux points 232 à 248, 293 à 300, 303 à 310 et 369 à 387 de ses motifs. Par ailleurs, la constatation des faits par le Tribunal serait inexacte puisque ce dernier affirme, d’une part, que le concurrent SIG dispose d’un avantage parce qu’il est présent sur le marché en aval des préformes, alors que, selon la Commission, il n’est pas présent en aval en tant que fournisseur de préformes proposant ses produits à des entreprises recourant à l’embouteillage PET et, d’autre part, que cette même société bénéficie d’un avantage au premier arrivant dû à ses activités dans le secteur du verre, alors qu’elle fabrique des machines et n’est pas présente sur le marché en aval des bouteilles en verre.

141
Enfin, la Commission considère que la constatation du Tribunal, au point 305 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «la conclusion quant à la dépendance des convertisseurs envers Sidel n’est pas convaincante», constatation fondée exclusivement sur le «niveau actuel de la concurrence existante», ne contient pas une motivation claire ou suffisante pour invalider l’appréciation complexe développée par la Commission à cet égard aux points 303 à 310 des motifs de la décision litigieuse.

142
Tetra soutient que les diverses critiques, apparemment sans lien entre elles, formulées par la Commission dans son cinquième moyen doivent être déclarées irrecevables pour un double motif. En effet, d’une part, celle-ci invoquerait des éléments qui n’étaient pas mentionnés dans la décision litigieuse et, d’autre part, elle contesterait directement l’appréciation des faits par le Tribunal.

Appréciation de la Cour sur le cinquième moyen

143
Il résulte de l’analyse des arguments présentés par la Commission que la plupart de ceux-ci concernent l’appréciation d’éléments de preuve par le Tribunal, laquelle n’est pas soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Tel est le cas lorsque la Commission reproche à ce dernier de ne pas avoir pris en considération certains éléments qu’elle considère comme pertinents ou d’avoir tenu compte d’autres éléments qu’elle considère comme dépourvus de pertinence, que ce soit en ce qui concerne les machines SBM à faible ou à forte capacité ou encore au sujet de la prise en considération des clients venant du conditionnement en verre.

144
Par d’autres arguments invoqués au soutien de son cinquième moyen, la Commission conteste explicitement la constatation ou l’appréciation des faits par le Tribunal. Tel est notamment le cas de l’argument relatif aux concurrents de Tetra/Sidel pour l’emballage en verre ou de l’analyse de la position du concurrent SIG.

145
S’agissant de la prétendue dénaturation de la décision litigieuse qui aurait été commise au point 294 de l’arrêt attaqué, il convient de constater que la Commission n’indique aucun point précis des motifs de cette décision dont le contenu aurait été dénaturé par le Tribunal et que cet argument vise, en réalité, l’appréciation des faits et des éléments de preuve portée par le Tribunal.

146
Enfin, en ce qui concerne de l’argument tiré d’un défaut de motivation de la conclusion, figurant au point 305 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la dépendance des convertisseurs envers Sidel ne serait pas établie de manière convaincante, il suffit de constater que le Tribunal a succinctement mais suffisamment motivé cette appréciation dans la dernière phrase de ce même point 305.

147
Il résulte de ces considérations que le cinquième moyen est, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé.

Conclusion

148
Aucun des moyens invoqués par la Commission au soutien de son pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, il y a lieu de rejeter celui-ci.


Sur les dépens

149
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Tetra ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)
Le pourvoi est rejeté.

2)
La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

Signatures


1
Langue de procédure: l'anglais.

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