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Document 62001CJ0338

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 29 avril 2004.
Commission des Communautés européennes contre Conseil de l'Union européenne.
Directive 2001/44/CE - Choix de la base juridique.
Affaire C-338/01.

Recueil de jurisprudence 2004 I-04829

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2004:253

Arrêt de la Cour

Affaire C-338/01


Commission des Communautés européennes
contre
Conseil de l'Union européenne


«Directive 2001/44/CE – Choix de la base juridique»

Conclusions de l'avocat général M. S. Alber, présentées le 9 septembre 2003
    
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 29 avril 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Actes des institutions – Choix de la base juridique – Critères – Acte communautaire poursuivant une double finalité ou ayant une double composante – Référence à la finalité ou à la composante principale ou prépondérante – Finalités indissociables – Cumul de bases juridiques – Limite – Incompatibilité des procédures – Procédures des articles 93 CE et 94 CE, d'une part, et de l'article 95 CE, d'autre part

(Art. 93 CE, 94 CE et 95 CE)

2.
Rapprochement des législations – Article 95 CE – Champ d'application – Exclusion des «dispositions fiscales» – Notion – Modalités de recouvrement des impositions – Inclusion

(Art. 95, § 2, CE)

3.
Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Directive 2001/44 – Base juridique – Articles 93 CE et 94 CE

(Art. 93 CE, 94 CE et 95 CE; directive du Conseil 2001/44)

1.
Le choix de la base juridique d’un acte communautaire doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte. Si l’examen d’un acte communautaire démontre qu’il poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou composante principale ou prépondérante. À titre exceptionnel, s’il est établi que l’acte poursuit à la fois plusieurs objectifs, qui sont liés d’une façon indissociable, sans que l’un soit second et indirect par rapport à l’autre, un tel acte devra être fondé sur les différentes bases juridiques correspondantes. Toutefois, le cumul de deux bases juridiques est exclu lorsque les procédures prévues pour l’une et l’autre base juridique sont incompatibles. À cet égard, les procédures des articles 93 CE et 94 CE, d’une part, et celle de l’article 95 CE, d’autre part, empêchent que ce dernier puisse être cumulé avec l’un des deux autres articles susmentionnés pour servir de base juridique lors de l’adoption d’un acte communautaire. En effet, alors que l’unanimité est requise pour l’adoption d’un acte sur le fondement des articles 93 CE et 94 CE, la majorité qualifiée suffit pour qu’un acte puisse être valablement adopté sur le fondement de l’article 95 CE. Ainsi, parmi les dispositions susvisées, seuls les articles 93 CE et 94 CE sont susceptibles de fournir cumulativement une base juridique valable pour l’adoption d’un acte juridique par le Conseil.

(cf. points 54-58)

2.
Les termes «dispositions fiscales», figurant à l’article 95, paragraphe 2, CE, qui exclut l’application à de telles dispositions de la procédure d’adoption des mesures de rapprochement ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, prévue au paragraphe 1 de cet article, doivent être interprétés en ce sens qu’ils recouvrent non seulement les dispositions déterminant les personnes assujetties, les opérations imposables, l’assiette de l’imposition, les taux et les exonérations des impôts directs et indirects, mais également celles relatives aux modalités de recouvrement de ceux-ci.

(cf. point 67)

3.
C’est à bon droit que le Conseil a adopté la directive 2001/44, modifiant la directive 76/308 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement de certaines créances, sur le fondement des articles 93 CE et 94 CE et non sur le fondement de l’article 95 CE. Ladite directive porte en effet sur des «dispositions fiscales», au sens du paragraphe 2 de cette dernière disposition, en sorte que celle-ci ne saurait constituer la base juridique appropriée pour l’adoption de ladite directive.

(cf. points 76-77)




ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
29 avril 2004(1)


«Directive 2001/44/CE – Choix de la base juridique»

Dans l'affaire C-338/01,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. R. Lyal, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue parParlement européen, représenté par MM. R. Passos et A. Baas, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par Mme M. Sims-Robertson et M. F. Florindo Gijón, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

soutenu parIrlande, représentée par M. D. O'Hagan, en qualité d'agent, assisté de M. E. Fitzsimons, SC, et de MM. K. Maguire et D. Moloney, BL, ayant élu domicile à Luxembourg, parGrand-duché de Luxembourg, représenté par M. J. Faltz, en qualité d'agent,parRépublique portugaise, représentée par MM. L. Fernandes, V. Guimarães et Â. Seiça Neves, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg, et parRoyaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. D. Wyatt, QC, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet, d'une part, l'annulation de la directive 2001/44/CE du Conseil, du 15 juin 2001, modifiant la directive 76/308/CEE concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d'opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane, et relative à la taxe sur la valeur ajoutée et à certains droits d'accise (JO L 175, p. 17), et, d'autre part, le maintien des effets de cette directive jusqu'à l'entrée en vigueur d'une directive adoptée sur la base juridique appropriée,



LA COUR (sixième chambre),



composée de M. C. Gulmann, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues, J.-P. Puissochet et R. Schintgen (rapporteur), et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. S. Alber,
greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 septembre 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 7 septembre 2001, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l’article 230, premier alinéa, CE, demandé, d’une part, l’annulation de la directive 2001/44/CE du Conseil, du 15 juin 2001, modifiant la directive 76/308/CEE concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane, et relative à la taxe sur la valeur ajoutée et à certains droits d’accise (JO L 175, p. 17), et, d’autre part, le maintien des effets de cette directive jusqu’à l’entrée en vigueur d’une directive adoptée sur la base juridique appropriée.


Les antécédents du litige et le cadre juridique

2
La directive 76/308/CEE du Conseil, du 15 mars 1976, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane (JO L 73, p. 18), a été adoptée sur le fondement de l’article 100 du traité CEE (devenu, après modification, article 100 du traité CE, lui-même devenu article 94 CE).

3
La directive 79/1071/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, modifiant la directive 76/308 (JO L 331, p. 10), a élargi le champ d’application de cette dernière en l’étendant aux créances relatives à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»). Visant un impôt indirect, cette directive a été adoptée sur le fondement des articles 99 du traité CEE (devenu, après modification, article 99 CE, lui-même devenu article 93 CE) et 100 du traité.

4
La directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 390, p. 124, ci-après la «directive 92/12»), a une nouvelle fois élargi le champ d’application de la directive 76/308 en l’étendant aux créances relatives aux droits d’accises harmonisés. La directive 92/12 était également fondée sur l’article 99 du traité CEE.

5
Les quatre premiers considérants de la directive 2001/44 énoncent:

«(1)
Il est nécessaire de modifier les modalités actuelles de l’assistance mutuelle en matière de recouvrement définies dans la directive 76/308 […], afin de répondre à la menace que constitue le développement de la fraude pour les intérêts financiers de la Communauté et des États membres, ainsi que pour le marché intérieur.

(2)
Dans le cadre du marché intérieur, il convient de protéger les intérêts financiers communautaires et nationaux qui se trouvent de plus en plus menacés par la fraude, de façon à mieux garantir la compétitivité et la neutralité fiscale du marché intérieur.

(3)
Il convient que le champ d’application de l’assistance mutuelle fixé par la directive 76/308/CEE soit étendu aux créances relatives à certains impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu’à certaines taxes sur les primes d’assurance de manière à mieux protéger les intérêts financiers des États membres et la neutralité du marché intérieur.

(4)
Pour permettre un recouvrement plus efficient et plus efficace des créances qui font l’objet d’une demande de recouvrement, il convient que le titre permettant l’exécution de la créance soit traité, en principe, comme un titre de l’État membre où l’autorité requise a son siège.»

6
L’article 2 de la directive 76/308, telle que modifiée par la directive 2001/44 (ci-après la «directive 76/308»), dispose:

«La présente directive s’applique à toutes les créances afférentes:

a)
aux restitutions, aux interventions et aux autres mesures faisant partie du système de financement intégral ou partiel du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), y compris les montants à percevoir dans le cadre de ces actions;

b)
aux cotisations et aux autres droits prévus dans le cadre de l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre;

c)
aux droits à l’importation;

d)
aux droits à l’exportation;

e)
à la taxe sur la valeur ajoutée;

f)
aux droits d’accise sur:

les tabacs manufacturés,

l’alcool et les boissons alcoolisées,

les huiles minérales;

g)
aux impôts sur le revenu et sur la fortune;

h)
aux taxes sur les primes d’assurance;

i)
aux intérêts, aux pénalités et aux amendes administratives et aux frais relatifs aux créances visées aux points a) à h), à l’exclusion de toute sanction à caractère pénal prévue par les lois en vigueur dans l’État membre où l’autorité requise a son siège.»

7
L’article 7 de la directive 76/308 prévoit:

«1.     La demande de recouvrement d’une créance que l’autorité requérante adresse à l’autorité requise doit être accompagnée d’un exemplaire officiel ou d’une copie certifiée conforme du titre qui en permet l’exécution, émis dans l’État membre où l’autorité requérante a son siège et, le cas échéant, de l’original ou d’une copie certifiée conforme d’autres documents nécessaires pour le recouvrement.

2.       L’autorité requérante ne peut formuler une demande de recouvrement que:

a)
si la créance ou le titre qui en permet l’exécution ne sont pas contestés dans l’État membre où elle a son siège, sauf dans le cas où l’article 12, paragraphe 2, deuxième alinéa, est appliqué;

b)
lorsqu’elle a mis en œuvre, dans l’État membre où elle a son siège, les procédures de recouvrement appropriées susceptibles d’être exercées sur la base du titre visé au paragraphe 1, et que les mesures prises n’aboutiront pas au paiement intégral de la créance.

3.       La demande de recouvrement indique:

a)
le nom, l’adresse et tout autre renseignement utile à l’identification de la personne concernée et/ou du tiers détenant ses avoirs;

b)
le nom, l’adresse et tout autre renseignement utile à l’identification de l’autorité requérante;

c)
le titre qui en permet l’exécution, émis dans l’État membre où l’autorité requérante a son siège;

d)
la nature et le montant de la créance, y compris le principal, les intérêts et les autres pénalités, amendes et frais dus, le montant étant indiqué dans la monnaie des États membres où les deux autorités ont leur siège;

e)
la date de notification du titre au destinataire par l’autorité requérante et/ou l’autorité requise;

f)
la date à compter de laquelle et la période pendant laquelle l’exécution est possible selon les règles de droit en vigueur dans l’État membre où l’autorité requérante a son siège;

g)
tout autre renseignement utile.

4.       La demande de recouvrement contient en outre une déclaration de l’autorité requérante confirmant que les conditions prévues au paragraphe 2 sont remplies.

5.       L’autorité requérante adresse à l’autorité requise, dès qu’elle en a connaissance, tous les renseignements utiles se rapportant à l’affaire qui a motivé la demande de recouvrement.»

8
L’article 8 de la directive 76/308 est libellé comme suit:

«1.     Le titre permettant l’exécution du recouvrement de la créance est directement reconnu et traité automatiquement comme un instrument permettant l’exécution d’une créance de l’État membre où l’autorité requise a son siège.

2.       Nonobstant le paragraphe 1, le titre exécutoire permettant le recouvrement de la créance peut, le cas échéant et conformément aux dispositions en vigueur dans l’État membre où l’autorité requise a son siège, être homologué comme, reconnu comme, complété par ou remplacé par un titre autorisant l’exécution sur le territoire de cet État membre.

Dans les trois mois suivant la date de réception de la demande, les États membres s’efforcent d’achever les formalités consistant à homologuer le titre, à le reconnaître, à le compléter ou à le remplacer, sauf dans les cas où sont appliquées les dispositions du troisième alinéa. Elles ne peuvent pas faire l’objet d’un refus, si le titre est correctement rédigé. En cas de dépassement du délai de trois mois, l’autorité requise informe l’autorité requérante des raisons qui le motivent.

Si l’une quelconque de ces formalités donne lieu à une contestation concernant la créance et/ou le titre exécutoire permettant le recouvrement émis par l’autorité requérante, l’article 12 s’applique.»

9
Aux termes de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 76/308:

«L’autorité requise peut, si les lois, les règlements et les pratiques administratives en vigueur dans l’État membre où elle a son siège le permettent, et après avoir consulté l’autorité requérante, octroyer au redevable un délai de paiement ou autoriser un paiement échelonné. Les intérêts perçus par l’autorité requise du fait de ce délai de paiement sont également à transférer à l’État membre où l’autorité requérante a son siège.

À partir de la date à laquelle le titre permettant l’exécution du recouvrement de la créance a été directement reconnu ou homologué, reconnu, complété ou remplacé conformément à l’article 8, des intérêts sont perçus pour tout retard de paiement en vertu des lois, des règlements et des pratiques administratives en vigueur dans l’État membre où l’autorité requise a son siège et ils sont également à transférer à l’État membre où l’autorité requérante a son siège.»

10
L’article 10 de la directive 76/308 dispose:

«Nonobstant l’article 6, paragraphe 2, les créances à recouvrer ne jouissent pas nécessairement des privilèges des créances analogues nées dans l’État membre où l’autorité requise a son siège.»

11
Aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 76/308:

«Dès que l’autorité requise a reçu la notification visée au paragraphe 1, soit de la part de l’autorité requérante, soit de la part de l’intéressé, elle suspend la procédure d’exécution dans l’attente de la décision de l’instance compétente en la matière, sauf demande contraire formulée par l’autorité requérante, conformément au deuxième alinéa. Si elle l’estime nécessaire et sans préjudice de l’article 13, elle peut recourir à des mesures conservatoires pour garantir le recouvrement dans la mesure où les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur dans l’État membre où elle a son siège le permettent pour des créances similaires.

Nonobstant le paragraphe 2, premier alinéa, l’autorité requérante peut, conformément aux lois, aux règlements et aux pratiques administratives en vigueur dans l’État membre où elle a son siège, demander à l’autorité requise de recouvrer une créance contestée, pour autant que les lois, les règlements et les pratiques administratives en vigueur dans l’État membre où l’autorité requise a son siège le permettent. Si l’issue de la contestation se révèle favorable au débiteur, l’autorité requérante est tenue de rembourser toute somme recouvrée, ainsi que toute compensation due, conformément à la législation en vigueur dans l’État membre où l’autorité requise a son siège.»

12
La directive 2001/44 est le fruit d’une procédure engagée par la Commission avec la présentation, le 26 juin 1998, d’une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 76/308 (JO C 269, p. 16). Cette proposition, qui avait pour objectif d’étendre le champ d’application de la directive 76/308 à certains impôts directs et devait également avoir une influence sur la procédure de recouvrement des impôts et taxes visés par la directive 76/308, était fondée sur l’article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE).

13
Après avis du Parlement européen, la Commission a, le 10 mai 1999, présenté une nouvelle proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 76/308 (JO C 179, p. 6), qui tenait compte de certains des amendements proposés par le Parlement. Cette proposition était également fondée sur l’article 95 CE.

14
Toutefois, considérant que ladite proposition portait sur des questions fiscales, le Conseil de l’Union européenne a adopté la directive 2001/44 sur le fondement des articles 93 CE et 94 CE.

15
Estimant que ladite directive aurait dû être adoptée sur le fondement de l’article 95 CE, la Commission a introduit le présent recours en annulation.

16
Par ordonnance du président de la Cour du 23 janvier 2002, le Parlement a été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission et l’Irlande, le grand-duché de Luxembourg, la République portugaise ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.


Sur le recours

Arguments des parties

17
La Commission fait valoir, à titre liminaire, que la directive 2001/44 ne pouvait être adoptée que sur le fondement soit des articles 93 CE et 94 CE, soit de l’article 95 CE. Contrairement à ce que fait valoir le Conseil, il aurait été impossible de fonder cette directive simultanément sur les articles 93 CE et 95 CE. En effet, un tel cumul serait exclu, conformément à l’arrêt du 11 juin 1991, Commission/Conseil, dit «Dioxyde de titane» (C-300/89, Rec. p. I-2867, point 21), lorsque les procédures prévues pour l’une et l’autre base juridique sont incompatibles.

18
En ce qui concerne la finalité de la directive 2001/44, la Commission soutient qu’il est constant que les mesures mises en place par cette directive sont nécessaires à l’établissement du marché intérieur. Il ressortirait clairement des considérants de la directive 76/308 ainsi que de ceux des différentes directives qui l’ont successivement modifiée en élargissant son champ d’application, y compris la directive 2001/44, que l’objectif poursuivi par ces directives était de permettre de recouvrer des créances dans un État membre avec des titres émanant d’un autre État membre, en éliminant ainsi les obstacles aux activités économiques transfrontalières. Ces directives viseraient ainsi manifestement à réaliser le marché intérieur.

19
Dans ces conditions, le choix de l’article 95 CE comme base juridique pour l’adoption de la directive 2001/44 se serait imposé, sauf à considérer que les modifications introduites par celle-ci dans la directive 76/308 portent sur des dispositions fiscales, auquel cas ce choix se heurterait à l’interdiction prévue au paragraphe 2 de ce même article. Cette dernière disposition constituant toutefois une exception au principe énoncé à l’article 95, paragraphe 1, CE, elle serait d’interprétation stricte et son application devrait se limiter à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qu’elle poursuit, tels que la protection de la souveraineté des États membres en matière fiscale.

20
La directive 2001/44 respecterait cette souveraineté dans la mesure où elle ne porterait pas sur des «dispositions fiscales» au sens de l’article 95, paragraphe 2, CE. Ne seraient visées par cette notion que les dispositions matérielles déterminant les personnes assujetties, les opérations imposables, l’assiette d’imposition, les taux et les exonérations ainsi que les modalités de perception et de recouvrement des impositions. Or, les dispositions nationales relatives à ces matières ne seraient pas touchées par cette directive étant donné que l’assistance mutuelle qu’elle vise à mettre en place pourrait se faire sans harmonisation ni rapprochement des règles fiscales nationales. Certes, ladite directive étendrait les mécanismes de la directive 76/308, notamment, à certains impôts directs et apporterait des changements aux renseignements qui doivent être communiqués par l’autorité requérante à l’autorité requise, mais le droit fiscal matériel des différents États membres ne serait pas modifié.

21
À cet égard, la Commission relève notamment que la nouvelle version de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 76/308 n’affecte pas les dispositions nationales relatives aux délais de paiement ou aux «pénalités».

22
La Commission ajoute que, en tout état de cause, ainsi que le prouveraient un grand nombre d’actes adoptés sur le fondement de l’article 95 CE, le fait qu’un acte a un lien avec la fiscalité ne suffit pas pour qu’il relève de l’interdiction énoncée à l’article 95, paragraphe 2, CE.

23
Le Parlement considère que la position défendue par la Commission est conforme à la jurisprudence constante selon laquelle le choix de la base juridique appropriée pour l’adoption d’un acte doit se fonder sur des éléments objectifs, tels que le but et le contenu de l’acte. Dès lors que des bases juridiques différentes peuvent, en raison des procédures de décision qu’elles impliquent, être incompatibles entre elles, il faudrait, pour déterminer la base juridique appropriée, se référer au «centre de gravité» de l’acte à adopter (voir arrêt du 23 février 1999, Parlement/Conseil, C-42/97, Rec. p. I-869, point 43).

24
Or, la directive 2001/44 aurait pour but de préserver les intérêts financiers de la Communauté et des États membres, de lutter contre la fraude et de préserver la neutralité fiscale du marché intérieur. La lutte contre la fraude étant un élément important mais non déterminant de ladite directive, le recours à l’article 280 CE comme base juridique ne serait donc pas nécessaire.

25
Le Parlement fait valoir en outre que, en admettant même que les termes «dispositions fiscales», figurant à l’article 95, paragraphe 2, CE, doivent être interprétés comme visant des dispositions relatives aux modalités de paiement et de recouvrement des impôts, un tel libellé ne s’opposerait pas à ce que la directive 2001/44 soit adoptée sur le fondement de l’article 95 CE. En effet, celle-ci ne contiendrait aucune disposition concernant les dispositions nationales relatives à la collecte et au recouvrement des créances en cause et se bornerait à prescrire un «traitement national» pour des créances étrangères. Les différents éléments que le Conseil considère comme couverts par les termes «dispositions fiscales» continueraient à relever des droits nationaux et ladite directive ne procéderait pas à leur harmonisation.

26
Le Parlement ajoute que l’article 95 CE doit être interprété comme une dérogation à l’article 94 CE et que ce dernier ne saurait donc constituer une base juridique appropriée pour l’adoption de la directive 2001/44. L’article 93 CE, quant à lui, ne saurait être choisi comme base juridique en raison du fait que cette directive ne vise pas à harmoniser la fiscalité indirecte, au sens de cet article. Enfin, l’application de l’article 95, paragraphe 2, CE se heurterait à la circonstance que ladite directive n’institue aucune disposition fiscale. Dès lors, seul l’article 95 CE constituerait la base juridique appropriée pour l’adoption de la directive 2001/44.

27
Cette conclusion ne serait pas remise en cause par le fait que certaines des créances couvertes par la directive 2001/44 sont de nature fiscale. Le «centre de gravité» de celle-ci serait manifestement l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, ce qui imposerait le choix de l’article 95 CE comme base juridique.

28
Le Conseil fait valoir, tout d’abord, que les bases juridiques appropriées pour l’adoption de la directive 2001/44 ne se limitent pas, contrairement à ce que soutient la Commission, d’une part, aux articles 93 CE ainsi que 94 CE et, d’autre part, à l’article 95 CE. Rien ne s’opposerait, par exemple, au choix des articles 93 CE et 95 CE comme base juridique, la Cour ayant déjà admis, dans son arrêt du 27 septembre 1988, Commission/Conseil (165/87, Rec. p. 5545), la possibilité d’une double base juridique, laquelle impose au Conseil de statuer à la majorité qualifiée et à l’unanimité.

29
Le Conseil rappelle ensuite que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, le choix de la base juridique d’un acte doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. Parmi de tels éléments figureraient, notamment, le but et le contenu de l’acte. En outre, le souhait d’une institution de participer de manière plus intense à l’adoption d’un acte déterminé serait sans incidence sur ce choix.

30
En ce qui concerne le but de la directive 2001/44, le Conseil relève qu’il ressort des considérants de celle-ci qu’elle vise à protéger les intérêts financiers de la Communauté et des États membres, à mieux garantir la compétitivité et la neutralité fiscale du marché intérieur ainsi qu’à limiter les risques de fraude. Il ressortirait en outre de la proposition de directive de la Commission du 26 juin 1998 que ladite directive fait partie de la stratégie communautaire visant à mettre en œuvre des régimes fiscaux sans distorsion de concurrence et orientés vers le marché unique, ainsi que cela résulterait de la communication de la Commission intitulée «La fiscalité dans l’Union européenne» (COM/96/546 final).

31
S’agissant du contenu de la directive 2001/44, le Conseil précise que les dispositions de celle-ci, d’une part, fixent la procédure à suivre tant par l’État membre requérant que par celui qui accorde l’assistance relative à une créance pour recouvrer l’argent dû et, d’autre part, définissent le statut juridique du débiteur tout au long de cette procédure. Cette directive porterait plus précisément sur les privilèges pouvant être attachés à la créance, les recours ouverts au débiteur, le recouvrement auprès du débiteur des frais engagés par les États membres et la répartition des fonds entre les États membres concernés. Étant donné que ladite directive applique ces règles aux créances relatives aux impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu’aux taxes sur les primes d’assurance, elle interviendrait tant dans le domaine des impôts directs que dans celui des impôts indirects.

32
Enfin, concernant les bases juridiques susceptibles d’être retenues pour adopter des mesures relatives à de tels impôts, le Conseil fait valoir, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la Commission, la procédure prévue à l’article 95, paragraphe 1, CE ne saurait être considérée comme constituant la procédure «normale» pour l’adoption de dispositions visant à l’achèvement du marché intérieur.

33
Le Conseil rappelle, en second lieu, qu’il est de jurisprudence constante que, lorsqu’il existe une base juridique spécifique, c’est sur cette dernière que doit être fondé l’acte à adopter (arrêt du 26 mars 1996, Parlement/Conseil, C-271/94, Rec. p. I-1689). Les articles 93 CE et 94 CE visant clairement l’adoption de mesures relevant du domaine fiscal, ils constitueraient des dispositions spécifiques par rapport à l’article 95 CE.

34
Concernant plus particulièrement la base juridique appropriée pour l’adoption de la directive 2001/44, le Conseil fait valoir que, dès lors que celle-ci vise à harmoniser les législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et aux autres impôts indirects en prévoyant des règles communes pour le recouvrement de ces taxes et impôts, seul l’article 93 CE est susceptible de constituer une base juridique valable. En effet, dès lors qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que les dispositions portant sur les modalités de recouvrement de taxes ainsi que sur les sanctions frappant les infractions relatives au paiement de la TVA relèvent de la fiscalité interne des États membres (voir arrêts du 27 février 1980, Commission/Irlande, 55/79, Rec. p. 481, et du 25 février 1988, Drexl, 299/86, Rec. p. 1213), des dispositions telles que celles introduites par la directive 2001/44 relèveraient également de la fiscalité interne des États membres.

35
En ce qui concerne l’élargissement du champ d’application de la directive 76/308 aux créances relatives à certains impôts directs, le Conseil soutient que c’est précisément cet élargissement qui fait que l’article 95, paragraphe 1, CE ne peut plus être considéré comme constituant une base juridique appropriée pour l’adoption de la directive 2001/44, le paragraphe 2 de ce même article interdisant l’application de celui-ci aux «dispositions fiscales».

36
Seraient des «dispositions fiscales», au sens de l’article 95, paragraphe 2, CE, toutes mesures régissant les recettes publiques. Ces termes couvriraient ainsi non seulement la définition et la description des impôts, mais également la manière dont ceux-ci sont liquidés et recouvrés. Le terme «fiscales» constituerait un renvoi à la notion de recettes publiques. Dans la troisième partie du traité CE, sous le titre VI de celle-ci, l’intitulé en langue anglaise du chapitre 2, à savoir «Tax provisions», mettrait davantage l’accent sur le caractère obligatoire de ces recettes publiques. Or, ce caractère obligatoire, lié aux privilèges et aux pouvoirs très spéciaux dont jouissent les États membres pour liquider et recouvrer les recettes fiscales, serait une caractéristique importante des impôts ou des charges fiscales et apparaîtrait plus clairement dans le mot «fiscal», utilisé dans d’autres versions linguistiques. En principe, le «droit fiscal» porterait tant sur la structure que sur la liquidation et le recouvrement des impôts. L’interprétation de l’article 95, paragraphe 2, CE devrait tenir compte de cette circonstance et l’interdiction qui y est énoncée serait donc applicable à toutes les dispositions relatives à la structure, à la liquidation et au recouvrement des impôts concernés.

37
L’interprétation restrictive des termes «dispositions fiscales» préconisée par la Commission ne trouverait, contrairement à ce que soutient cette dernière, aucun fondement dans le libellé de l’article 95, paragraphe 2, CE. En outre, le choix de la base juridique ne saurait dépendre de la question de savoir dans quelle mesure l’acte à adopter empiète sur la souveraineté des États membres, puisqu’une telle approche serait tributaire d’évaluations politiques, ce qui serait contraire tant au système de répartition des compétences au sein de la Communauté qu’au principe de sécurité juridique. Enfin, les dispositions de la directive 2001/44 ne prévoiraient pas une coopération ou une vérification généralisée entre les administrations pour servir des intérêts purement nationaux, mais viseraient à réglementer la manière dont les États membres perçoivent leurs recettes fiscales et appliquent leurs dispositions fiscales afin d’éliminer les disparités à cet égard dans les conditions de concurrence.

38
Le Conseil rappelle en outre que, même s’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une simple pratique n’est pas susceptible de déroger aux règles du traité (voir arrêt 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil, C‑84/94, Rec. p. I-5755, point 19), en l’occurrence, la pratique suivie en ce qui concerne le choix de la base juridique a été constante, les articles 93 CE ou 94 CE ayant été choisis chaque fois que des dispositions fiscales ont fait l’objet d’une harmonisation.

39
Le gouvernement irlandais soutient que la Commission interprète les termes «dispositions fiscales» d’une manière trop restrictive. Selon lui, doit être considérée comme une disposition fiscale toute disposition se rapportant à l’administration et au recouvrement d’un impôt. Il ressortirait d’ailleurs de la version en langue anglaise de l’article 95, paragraphe 2, CE que celui-ci vise les dispositions relatives aux finances publiques et aux recettes tirées des impôts. En outre, ni le traité ni la jurisprudence ne contiendraient un quelconque indice confortant la thèse de la Commission.

40
Ledit gouvernement fait également valoir que la question de savoir dans quelle mesure la Commission est libre de choisir l’article 95 CE comme base juridique pour l’adoption d’une directive ne saurait trouver de réponse sans que soit définie la notion de rapprochement des législations nationales par rapport à celle d’harmonisation de celles-ci. Dès lors qu’il existerait un doute quant aux effets concrets d’un acte, il serait nécessaire, pour respecter le principe de sécurité juridique, de se référer aux règles qui régissent la mise en œuvre des dispositions communautaires en matière d’harmonisation desdites législations.

41
En l’occurrence, dès lors que la directive 2001/44 a un rapport avec des questions fiscales, l’interdiction énoncée à l’article 95, paragraphe 2, CE s’opposerait à ce que cette directive soit adoptée sur le fondement de l’article 95 CE. Il résulterait en effet tant du but que du contenu de ladite directive que, outre le fait qu’elle a étendu le régime d’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances aux impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu’aux taxes sur les primes d’assurance, elle a imposé aux États membres des obligations impérieuses en matière d’application et de recouvrement des impôts et des taxes. Dès lors que les mesures introduites par la directive 2001/44 sont relatives à la perception, à l’administration ainsi qu’à l’exécution du recouvrement d’impôts et, partant, à des questions fiscales, le «centre de gravité» de cette directive serait clairement déterminé.

42
Le gouvernement irlandais ajoute que l’article 95, paragraphe 1, CE s’oppose également à ce que la directive 2001/44 puisse être adoptée sur le fondement de l’article 95 CE. En effet, conformément à son libellé, cet article n’aurait vocation à s’appliquer que si le traité n’en dispose pas autrement. Or, les articles 93 CE et 94 CE constituant des dispositions plus spécifiques que l’article 95 CE pour l’adoption de mesures telles que celles édictées par la directive 2001/44, cette dernière disposition ne trouverait pas à s’appliquer.

43
Selon le gouvernement luxembourgeois, l’interprétation retenue par la Commission des termes «dispositions fiscales» est trop restrictive et ne correspond pas à la réalité législative dans les États membres. Lors de l’interprétation de cette disposition, il faudrait tenir compte du fait que les notions de «fiscalité», de «dispositions fiscales» et d’«impôts» couvrent les dispositions relatives à l’administration et au recouvrement des impôts, les modalités de mise en œuvre de ces notions relevant, dans de nombreux États membres, du droit fiscal.

44
Ledit gouvernement souligne, en outre, que la Commission admet, dans sa réplique, que la directive 2001/44 ne tend pas à harmoniser des règles existantes, mais vise à instituer des possibilités pour l’échange d’informations et l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances qui n’existaient pas auparavant. Or, le choix de l’article 95 CE comme base juridique de ladite directive ne serait pas justifié.

45
Le même gouvernement soutient également que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, l’article 8 de la directive 76/308 a une incidence directe sur les dispositions nationales des États membres.

46
Le gouvernement luxembourgeois ajoute que la Cour a déjà jugé que les modalités de paiement, les règles d’assiette ainsi que les sanctions applicables aux infractions fiscales peuvent relever de l’interdiction contenue à l’article 90 CE (voir arrêt du 11 décembre 1990, Commission/Danemark, C-47/88, Rec. p. I‑4509). Il ne saurait donc être valablement soutenu que les dispositions relatives aux modalités de recouvrement d’impôts directs et indirects ne constituent pas des dispositions fiscales.

47
En l’occurrence, la directive 2001/44 permettrait aux autorités nationales d’asseoir et de recouvrer correctement l’impôt dû, en élargissant le champ de leurs compétences au-delà du territoire de l’État membre concerné. L’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances constituerait dès lors un complément essentiel et inhérent à l’exercice des prérogatives des États membres dans le domaine fiscal. Partant, la base juridique appropriée pour l’adoption de cette directive serait les articles 93 CE et 94 CE.

48
Le gouvernement portugais considère également que l’interprétation des termes «dispositions fiscales» défendue par la Commission est trop restrictive et ne saurait donc être retenue. Ces termes devraient inclure les droits et garanties des contribuables. Or, la directive 2001/44 définirait, notamment par la modification des articles 8, paragraphe 1, 10 et 12 de la directive 76/308, un certain nombre de règles qui seraient en contradiction directe avec les droits des contribuables et qui devraient, par conséquent, être transposées en droit interne. Par ailleurs, la directive 2001/44 enfreindrait le principe du contradictoire en ce qu’elle ne reconnaît pas au résident considéré comme débiteur de l’autorité requérante la possibilité de contester le titre exécutoire qui lui est opposé, et ce alors même que la créance dont se prévaut ladite autorité peut être une créance contestable. Enfin, en modifiant l’article 12, paragraphe 2, de la directive 76/308, la directive 2001/44 créerait un droit matériel direct à réparation en cas de préjudice causé par un usage indu ou erroné des pouvoirs attribués aux États membres. Eu égard au contenu de cette dernière directive, les articles 93 CE et 94 CE s’imposeraient donc comme base juridique pour l’adoption de celle-ci.

49
Le gouvernement du Royaume-Uni partage la position défendue par le gouvernement irlandais. Selon lui, l’article 93 CE est la base juridique spécifique pour l’adoption de mesures d’harmonisation en matière d’impositions indirectes. Dans la mesure où le traité a ainsi prévu une disposition spécifique pour une telle harmonisation, celle-ci ne saurait se faire sur le fondement de l’article 95 CE. Quant à l’harmonisation des dispositions relatives aux impôts directs, il devrait y être procédé, ainsi qu’il résulterait de l’article 95, paragraphe 2, CE, sur le fondement de l’article 94 CE.

50
Ledit gouvernement reproche à la Commission, d’une part, d’interpréter de manière trop restrictive les termes «dispositions fiscales» et, d’autre part, de ne pas tenir compte du début de la première phrase du paragraphe 1 de l’article 95 CE, qui prévoit que celui-ci n’a vocation à s’appliquer que si le traité n’en dispose pas autrement. Or, les articles 93 CE et 94 CE constitueraient des dispositions spéciales pour l’adoption de mesures relatives aux impôts directs et indirects. Dès lors que la directive 2001/44 harmonise des dispositions nationales relatives à ces deux catégories d’impôts, l’article 95, paragraphe 1, CE ne serait pas la base juridique appropriée pour l’adoption de cette directive.

51
Par ailleurs, il ne ferait aucun doute que des règles poursuivant un tel objectif empiètent sur la souveraineté fiscale des États membres, de sorte que leur adoption à l’unanimité s’imposerait.

52
Le gouvernement du Royaume-Uni ajoute que le terme «fiscal», employé dans la version en langue anglaise de l’article 95 CE, englobe non seulement les impositions au sens strict, mais également les dépenses publiques et l’emprunt public. Contrairement à ce que soutient la Commission, rien ne permettrait de faire une distinction entre les règles traitant des assujettis, de l’assiette, des faits générateurs, des taux ou des exonérations d’un impôt et celles visant l’administration et le recouvrement de cet impôt. Cette interprétation serait d’ailleurs conforme à la jurisprudence constante de la Cour (voir arrêts du 12 mai 1992, Commission/Grèce, C-327/90, Rec. p. I-3033, et du 17 juin 1998, Grundig Italiana, C-68/96, Rec. p. I-3775).

53
Enfin, ledit gouvernement relève que la réglementation appliquée aux redevables en vue de prévenir la fraude et l’évasion fiscales, qui est au cœur même des relations entre ces derniers et les autorités fiscales, est de ce fait inséparable du pouvoir d’imposition dont disposent les États membres.

Appréciation de la Cour

54
Selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte communautaire doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte (voir, notamment, arrêts Dioxyde de titane, précité, point 10; du 4 avril 2000, Commission/Conseil, C-269/97, Rec. p. I-2257, point 43, et du 11 septembre 2003, Commission/Conseil, C-211/01, non encore publié au Recueil, point 38).

55
Si l’examen d’un acte communautaire démontre qu’il poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou composante principale ou prépondérante (voir en ce sens, notamment, arrêts du 17 mars 1993, Commission/Conseil, C-155/91, Rec. p. I-939, points 19 et 21; du 30 janvier 2001, Espagne/Conseil, C-36/98, Rec. p. I-779, point 59, et du 11 septembre 2003, Commission/Conseil, précité, point 39).

56
À titre exceptionnel, s’il est établi que l’acte poursuit à la fois plusieurs objectifs, qui sont liés d’une façon indissociable, sans que l’un soit second et indirect par rapport à l’autre, un tel acte devra être fondé sur les différentes bases juridiques correspondantes (voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2002, Huber, C-336/00, Rec. p. I-7699, point 31; du 12 décembre 2002, Commission/Conseil, C-281/01, Rec. p. I-12049, point 35, et du 11 septembre 2003, Commission/Conseil, précité, point 40, ainsi que avis 2/00, du 6 décembre 2001, Rec. p. I-9713, point 23).

57
Toutefois, le cumul de deux bases juridiques est exclu lorsque les procédures prévues pour l’une et l’autre base juridique sont incompatibles (voir, notamment, arrêts Dioxyde de titane, précité, points 17 à 21, et du 25 février 1999, Parlement/Conseil, C-164/97 et C‑165/97, Rec. p. I-1139, point 14).

58
En l’occurrence, il y a lieu de constater que les procédures des articles 93 CE et 94 CE, d’une part, et celle de l’article 95 CE, d’autre part, empêchent que ce dernier puisse être cumulé avec l’un des deux autres articles susmentionnés pour servir de base juridique lors de l’adoption d’un acte tel que la directive 2001/44. En effet, alors que l’unanimité est requise pour l’adoption d’un acte sur le fondement des articles 93 CE et 94 CE, la majorité qualifiée suffit pour qu’un acte puisse être valablement adopté sur le fondement de l’article 95 CE. Ainsi, parmi les dispositions susvisées, seuls les articles 93 CE et 94 CE sont susceptibles de fournir cumulativement une base juridique valable pour l’adoption d’un acte juridique par le Conseil.

59
En ce qui concerne le champ d’application de l’article 95 CE, dont la Commission et le Parlement soutiennent qu’il aurait dû servir de base juridique pour l’adoption de la directive 2001/44, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il ressort du libellé même du paragraphe 1 dudit article que celui-ci ne s’applique que si le traité n’en dispose pas autrement.

60
Il s’ensuit que, dès lors qu’il existe, dans le traité, une disposition plus spécifique pouvant constituer la base juridique de l’acte en cause, celui-ci doit être fondé sur cette disposition. Tel est notamment le cas de l’article 93 CE, s’agissant de l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et aux autres impôts indirects.

61
Il convient de souligner, d’autre part, que le paragraphe 2 de l’article 95 CE exclut explicitement certains domaines du champ d’application de cet article. Il en est ainsi, notamment, des «dispositions fiscales», dont le rapprochement ne saurait donc avoir lieu sur le fondement dudit article.

62
La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner en premier lieu si la directive 2001/44 relève de la notion de «dispositions fiscales» au sens de l’article 95, paragraphe 2, CE.

63
En ce qui concerne l’interprétation des termes «dispositions fiscales», il y a lieu de constater qu’aucune indication relative à l’interprétation de cette notion ne peut être trouvée dans le traité. Il importe toutefois de relever que, en raison de leur caractère général, ces termes couvrent non seulement tous les domaines de la fiscalité, sans distinguer les types d’impôts ou de taxes concernés, mais aussi tous les aspects de cette matière, qu’il s’agisse de règles matérielles ou procédurales.

64
Ceci est d’ailleurs corroboré par le fait que, dans de certains États membres, les dispositions relatives aux modalités de paiement et de recouvrement des impôts directs et indirects sont considérées comme constituant des «dispositions fiscales».

65
Il convient d’ajouter que conformément à la jurisprudence de la Cour relative à l’article 90 CE, afin d’évaluer le caractère discriminatoire ou non d’un système de taxation, il faut prendre en considération non seulement les taux d’imposition, mais également l’assiette d’imposition et les modalités de perception des divers impôts. C’est en effet l’incidence effective de chaque impôt sur la production nationale, d’une part, et sur les produits importés, d’autre part, qui constitue le critère de comparaison décisif en vue de l’application de l’article 90 CE. Même à taux de perception égal, l’incidence de cette charge peut varier en fonction des modalités d’assiette et de perception appliquées à la production nationale et aux produits importés (voir arrêts précités Commission/Irlande, point 8, et Grundig Italiana, point 13).

66
Il s’ensuit que les modalités de recouvrement des impositions de quelque nature que ce soit ne sauraient être dissociées du système de taxation ou d’imposition auquel celles-ci se rattachent.

67
Eu égard à ces considérations il y a lieu d’interpréter les termes «dispositions fiscales», figurant à l’article 95, paragraphe 2, CE, en ce sens qu’ils recouvrent non seulement les dispositions déterminant les personnes assujetties, les opérations imposables, l’assiette de l’imposition, les taux et les exonérations des impôts directs et indirects, mais également celles relatives aux modalités de recouvrement de ceux-ci.

68
En ce qui concerne la finalité de la directive 2001/44, il résulte de ses trois premiers considérants qu’elle vise à assurer la «neutralité fiscale du marché intérieur» et à protéger les intérêts financiers tant de la Communauté que des États membres.

69
Ainsi que les considérants de ladite directive l’énoncent, cet objectif doit être atteint, d’une part, en étendant le champ d’application de la directive 76/308 aux créances relatives à certains impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu’à certaines taxes sur les primes d’assurance (troisième considérant) et, d’autre part, en assurant que les titres permettant l’exécution d’une créance délivrés dans l’État membre de l’autorité requérante soient traités, en principe, comme un titre de l’État membre où l’autorité requise a son siège (quatrième considérant).

70
Les modifications que la directive 2001/44 apporte à la directive 76/308 reflètent ces objectifs. Ainsi, l’article 2 de cette dernière directive, qui définit le champ d’application de celle-ci, prévoit désormais, sous g) et h), qu’elle s’applique aux impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu’aux taxes sur les primes d’assurance. L’article 7, paragraphe 3, de la directive 76/308 a été modifié en ce sens qu’il prévoit désormais une liste plus détaillée des indications que doit contenir la demande de recouvrement adressée par l’autorité requérante à l’autorité requise.

71
Conformément à l’article 8 de la directive 76/308, les titres permettant l’exécution du recouvrement d’une créance doivent désormais, en règle générale, être directement reconnus et automatiquement traités comme un instrument permettant l’exécution d’une créance sur le territoire national, alors que, auparavant, ces titres devaient seulement être homologués, reconnus, complétés ou remplacés par un titre permettant leur exécution sur le territoire de l’État membre où l’autorité requise avait son siège.

72
Quant à l’article 10 de la directive 76/308, qui prévoyait que les créances à recouvrer ne jouissaient d’aucun privilège dans l’État membre où l’autorité requise avait son siège, il dispose, dans sa version résultant de la directive 2001/44, que lesdites créances ne jouissent pas nécessairement des privilèges des créances analogues nées dans l’État membre où l’autorité requise à son siège. Une telle modification constitue un changement substantiel dans le traitement des créances visées par la directive 76/308, dans la mesure où elle équivaut à un renversement du principe jusque-là applicable, à savoir que lesdites créances ne bénéficiaient d’aucun privilège dans l’État requis.

73
Or, force est de constater d’abord que toutes ces modifications ont trait au recouvrement de créances relatives à des impôts aussi bien directs qu’indirects et obligeront les États membres à prendre des mesures législatives, réglementaires ou administratives pour assurer leur mise en œuvre.

74
Ensuite, il importe de relever que, s’il est vrai, ainsi que la Commission le soutient, que la directive 2001/44 n’harmonise pas les dispositions matérielles concernant les modalités de recouvrement applicables dans les États membres, il n’en demeure pas moins que ces derniers seront tenus d’élargir le champ d’application de leurs dispositions nationales concernant les modalités de recouvrement des créances en matière d’impôts directs tels que les impôts sur le revenu et sur la fortune, afin qu’elles puissent également s’appliquer aux créances fiscales émanant d’un autre État membre.

75
Enfin, il convient d’ajouter que la directive 2001/44 procède à un certain rapprochement des dispositions nationales en matière fiscale dès lors qu’elle oblige tous les États membres à traiter les créances émanant des autres États membres comme des créances nationales, une telle interprétation étant corroborée par les termes «neutralité fiscale» figurant au deuxième considérant de ladite directive.

76
Eu égard à toutes ces considérations il y a lieu de constater que la directive 2001/44 porte sur des «dispositions fiscales», au sens de l’article 95, paragraphe 2, CE, en sorte que cet article ne saurait constituer la base juridique appropriée pour l’adoption de ladite directive.

77
Dans ces conditions, c’est à bon droit que le Conseil a adopté la directive 2001/44 sur le fondement des articles 93 CE et 94 CE.

78
Dès lors, il y a lieu de rejeter le recours de la Commission.


Sur les dépens

79
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. En application de l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

déclare et arrête:

1)
Le recours est rejeté.

2)
La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

3)
L’Irlande, le grand-duché de Luxembourg, la République portugaise, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que le Parlement européen supportent leurs propres dépens.

C. Gulmann

J. N. Cunha Rodrigues

J.-P. Puissochet

R. Schintgen

F. Macken

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: l'anglais.

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