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Document 62002CJ0100
Judgment of the Court (Fifth Chamber) of 7 January 2004. # Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co. v Putsch GmbH. # Reference for a preliminary ruling: Bundesgerichtshof - Germany. # Directive 89/104/EEC - Limitation of the effects of a trade mark in relation to indications concerning geographical origin - Use of a geographical indication as a trade mark as an element of use in accordance with honest practices in industrial or commercial matters. # Case C-100/02.
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 janvier 2004.
Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co. contre Putsch GmbH.
Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
Directive 89/104/CEE - Limitation des effets de la marque en ce qui concerne les indications relatives à la provenance géographique - Utilisation d'une indication géographique à la manière d'une marque comme élément de la conformité aux 'usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale'.
Affaire C-100/02.
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 janvier 2004.
Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co. contre Putsch GmbH.
Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
Directive 89/104/CEE - Limitation des effets de la marque en ce qui concerne les indications relatives à la provenance géographique - Utilisation d'une indication géographique à la manière d'une marque comme élément de la conformité aux 'usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale'.
Affaire C-100/02.
Recueil de jurisprudence 2004 I-00691
Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2004:11
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 janvier 2004. - Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co. contre Putsch GmbH. - Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne. - Directive 89/104/CEE - Limitation des effets de la marque en ce qui concerne les indications relatives à la provenance géographique - Utilisation d'une indication géographique à la manière d'une marque comme élément de la conformité aux 'usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale'. - Affaire C-100/02.
Recueil de jurisprudence 2004 page 00000
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dans l'affaire C-100/02,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundesgerichtshof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co.
et
Putsch GmbH ,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1),
LA COUR (cinquième chambre)
composée de M. P. Jann, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. C. W. A. Timmermans et D. A. O. Edward (rapporteur), juges,
avocat général: Mme C. Stix-Hackl,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co., par Mes W. J. H. Stahlberg et A. Ebert-Weidenfeller, Rechtsanwälte,
- pour Putsch GmbH, par Me P. Neuwald, Rechtsanwalt,
- pour le gouvernement grec, par Mmes G. Skiani et G. Alexaki, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme P. Ormond, en qualité d'agent, assistée de M. D. Alexander, barrister,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Raith et N. B. Rasmussen, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co., représentée par Me A. Ebert-Weidenfeller, de Putsch GmbH, représentée par Me P. Neuwald, du gouvernement grec, représenté par Mmes G. Skiani et G. Alexaki, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. K. Manji, en qualité d'agent, assisté de M. D. Alexander, et de la Commission, représentée par M. R. Raith, à l'audience du 20 mai 2003,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 juillet 2003,
rend le présent
Arrêt
1. Par ordonnance du 7 février 2002, parvenue à la Cour le 18 mars suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Gerolsteiner Brunnen GmbH & Co. (ci-après «Gerolsteiner Brunnen») à la société Putsch GmbH (ci-après «Putsch»), au sujet de la prétendue violation des droits de marque de Gerolsteiner Brunnen par l'utilisation faite par Putsch des termes «KERRY Spring» sur des étiquettes de boissons rafraîchissantes que cette dernière société commercialise.
Le cadre juridique
3. La directive 89/104 vise, selon son premier considérant, à supprimer les disparités existantes susceptibles d'entraver la libre circulation des produits ainsi que la libre prestation des services et de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun.
4. L'article 6 de ladite directive, intitulé «Limitation des effets de la marque», dispose en son paragraphe 1, sous b):
«1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires,
[...]
b) d'indications relatives à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci;
[...]
pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»
5. Le Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (loi allemande sur la protection des marques et autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082, 1995 I, p. 156, ci-après le «Markengesetz»), a transposé la directive 89/104 en droit allemand.
6. L'article 23 du Markengesetz, intitulé «Usage de noms et indications descriptives; Marché des pièces de rechange», dispose:
«Le titulaire d'une marque ou d'une désignation commerciale n'est pas en droit d'interdire à un tiers d'utiliser, dans la vie des affaires,
[...]
2. un signe identique ou semblable à la marque ou à la désignation commerciale en tant qu'indication concernant des caractéristiques ou des particularités de produits ou services tels que, notamment, leur nature, leur qualité, leur destination, leur valeur, leur provenance géographique ou l'époque de leur production ou prestation,
[...]
pour autant que cet usage ne soit pas contraire aux usages honnêtes.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7. Gerolsteiner Brunnen produit de l'eau minérale et des boissons rafraîchissantes à base d'eau de source et les commercialise en Allemagne. Elle est titulaire de la marque verbale no 1100746 «Gerri» enregistrée en Allemagne avec date de priorité le 21 décembre 1985, ainsi que des marques verbales/figuratives allemandes nos 2010618, 2059923, 2059924 et 2059925 qui comportent le mot «GERRI». Ces marques couvrent les eaux minérales, les boissons non alcooliques, les boissons à base de jus de fruits et les limonades.
8. Putsch commercialise en Allemagne, depuis le milieu des années 90, des boissons rafraîchissantes sous des étiquettes comportant les mots «KERRY Spring». Ces boissons sont produites et mises en bouteilles à Ballyferriter dans le comté de Kerry, en Irlande, par la société irlandaise Kerry Spring Water, en utilisant l'eau qui provient de la source «Kerry Spring».
9. Gerolsteiner Brunnen a assigné Putsch devant les juridictions allemandes pour violation de ses droits de marque. Statuant en première instance, le Landgericht München a fait droit, pour l'essentiel, aux demandes de Gerolsteiner Brunnen et a interdit à Putsch d'utiliser le signe distinctif «KERRY Spring» pour de l'eau minérale ou des boissons rafraîchissantes. Saisi sur appel de Putsch, l'Oberlandesgericht München (cour d'appel) a, en revanche, rejeté les demandes de Gerolsteiner Brunnen. Cette dernière a alors saisi le Bundesgerichtshof d'une demande en «Revision».
10. Le Bundesgerichtshof estime que sont réunies, en l'espèce au principal, les conditions d'un risque de confusion auditive au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104. Dans ces conditions, l'issue de la demande en «Revision» dépendrait de l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104, et plus particulièrement, de la question de savoir si l'utilisation «à la manière d'une marque» exclut l'applicabilité de cette disposition.
11. Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof a, par ordonnance du 7 février 2002, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L'article 6, paragraphe 1, sous b), de la première directive sur les marques est-il également applicable en cas d'utilisation, par un tiers, à la manière d'une marque (markenmässig), des indications mentionnées dans cette disposition?
2) En cas de réponse affirmative à la question énoncée ci-dessus, l'utilisation de ces indications à la manière d'une marque constitue-t-elle un élément à prendre notamment en compte aux fins de l'examen, requis par l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la première directive sur les marques, du critère de conformité aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale'?»
Sur les questions préjudicielles
12. Par ses questions préjudicielles, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la portée de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 89/104 dans une situation telle que celle de l'espèce au principal.
13. Cette juridiction observe qu'il y a des divergences de vues sur la question de savoir si l'utilisation d'une indication géographique pour distinguer des produits et identifier leur provenance, ce qu'elle qualifie d'utilisation «à la manière d'une marque» («markenmässig»), a pour conséquence que l'article 6, paragraphe 1, de la directive 89/104 ne s'applique pas.
14. La Commission a relevé, se référant aux travaux préparatoires de la directive 89/104, que la proposition de première directive du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1980, C 351, p. 1) prévoyait, à son article 5 (devenu article 6 de la directive 89/104), la formule «pour autant que cet usage n'est pas fait à titre de marque». Or, cette formule a été remplacée dans la proposition modifiée [COM (85) 793 final (JO 1985, C 351 p. 4)] par les mots «pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale». La Commission ajoute qu'il ressort de l'exposé des motifs de la proposition modifiée que cette substitution a été opérée dans un souci de plus grande clarté.
15. Dans ces conditions, une expression telle que «à la manière d'une marque» ne peut être considérée comme appropriée pour déterminer la portée de l'article 6 de la directive 89/104.
16. Pour mieux cerner sa portée dans des circonstances telles que celles de l'espèce au principal, il importe de rappeler que, par une limitation des effets des droits que le titulaire d'une marque tire de l'article 5 de la directive 89/104, l'article 6 de cette directive vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services dans le marché commun, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d'élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir (voir, notamment, arrêt du 23 février 1999, BMW, C63/97, Rec. p. I905, point 62).
17. L'article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 permet au titulaire d'une marque d'interdire à tout tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée [article 5, paragraphe 1, sous a)] et d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits en cause, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion [article 5, paragraphe 1, sous b)].
18. Selon l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104, le titulaire de la marque ne peut interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, d'indications relatives, notamment, à la provenance géographique d'un produit, pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.
19. Il y a lieu de noter que cette disposition n'opère aucune distinction entre les usages possibles des indications mentionnées à l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104. Pour qu'une telle indication entre dans le champ d'application dudit article, il suffit qu'il s'agisse d'une indication relative à l'une des caractéristiques qui y sont énumérées, comme la provenance géographique.
20. En l'espèce au principal, il s'agit, d'une part, de la marque «GERRI» qui n'a aucune connotation géographique et, d'autre part, du signe «KERRY Spring» qui se réfère à la provenance géographique de l'eau utilisée dans la production du produit concerné, le lieu où le produit est embouteillé, ainsi que le lieu d'établissement du producteur.
21. La Commission a souligné la nature géographique de l'expression «KERRY Spring» en observant que la source «Kerry Spring» figure expressément sur la liste des eaux minérales reconnues par l'Irlande aux fins de la directive 80/777/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'exploitation et la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles (JO L 229, p. 1) (voir la liste des eaux minérales naturelles reconnues par les États membres publiée par la Commission au JO 2002, C 41, p. 1).
22. La juridiction de renvoi constate qu'il existe un risque de confusion auditive, au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104, entre «GERRI» et «KERRY», l'expérience montrant que, en cas de commande verbale, la clientèle abrège «KERRY Spring» en «KERRY».
23. La question se pose donc de savoir si un tel risque de confusion entre, d'une part, une marque verbale et, d'autre part, une indication de provenance géographique permet au titulaire de la marque d'invoquer l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 pour interdire à un tiers l'usage de l'indication de provenance géographique.
24. Pour répondre à cette question, le seul critère d'appréciation indiqué par l'article 6, paragraphe 1, de la directive 89/104 est celui de savoir si l'usage fait de l'indication de provenance géographique est conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. La condition d'«usage honnête» constitue en substance l'expression d'une obligation de loyauté à l'égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque (arrêt BMW, précité, point 61).
25. Le seul fait qu'il existe un risque de confusion auditive entre une marque verbale enregistrée dans un État membre et une indication de provenance géographique d'un autre État membre ne saurait donc suffire pour conclure que l'usage de cette indication dans la vie des affaires n'est pas conforme aux usages honnêtes. En effet, dans une Communauté de quinze États membres et d'une grande diversité linguistique, la possibilité qu'il existe une similitude phonétique quelconque entre, d'une part, une marque enregistrée dans un État membre et, d'autre part, une indication de provenance géographique d'un autre État membre est déjà considérable et le sera davantage après l'élargissement prochain.
26. Il s'ensuit que, dans une affaire telle que celle au principal, il incombe à la juridiction nationale de procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances pertinentes. S'agissant des boissons embouteillées, figureraient notamment parmi les circonstances à prendre en compte par cette juridiction la forme et l'étiquetage de la bouteille afin d'apprécier, plus particulièrement, si le producteur de la boisson portant l'indication de provenance géographique pourrait être considéré comme pratiquant une concurrence déloyale vis-à-vis du titulaire de la marque.
27. Il convient dès lors de répondre aux questions préjudicielles que l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il existe un risque de confusion auditive entre, d'une part, une marque verbale enregistrée dans un État membre et, d'autre part, une indication, dans la vie des affaires, de la provenance géographique d'un produit originaire d'un autre État membre, le titulaire de la marque ne peut, en vertu de l'article 5 de la directive 89/104, interdire l'usage de l'indication de provenance géographique que si cet usage n'est pas conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. À cet égard, il appartient à la juridiction nationale de procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances de l'espèce.
Sur les dépens
28. Les frais exposés par les gouvernements grec et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 7 février 2002, dit pour droit:
L'article 6, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104 /CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il existe un risque de confusion auditive entre, d'une part, une marque verbale enregistrée dans un État membre et, d'autre part, une indication, dans la vie des affaires, de la provenance géographique d'un produit originaire d'un autre État membre, le titulaire de la marque ne peut, en vertu de l'article 5 de la directive 89/104, interdire l'usage de l'indication de provenance géographique que si cet usage n'est pas conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. À cet égard, il appartient à la juridiction nationale de procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances de l'espèce.