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Document 62002CJ0042

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 13 novembre 2003.
Diana Elisabeth Lindman.
Demande de décision préjudicielle: Ålands förvaltningsdomstol - Finlande.
Libre prestation des services - Billets de loterie - Montant gagné lors d'un jeu de hasard organisé dans un autre État membre - Impôt sur le revenu - Impôt sur les jeux de hasard - Régime spécial des îles d'Åland.
Affaire C-42/02.

Recueil de jurisprudence 2003 I-13519

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2003:613

Arrêt de la Cour

Affaire C-42/02


Procédure engagée par Diana Elisabeth Lindman


(demande de décision préjudicielle, formée par l'Ålands förvaltningsdomstol (Finlande))

«Libre prestation des services – Billets de loterie – Montant gagné lors d'un jeu de hasard organisé dans un autre État membre – Impôt sur le revenu – Impôt sur les jeux de hasard – Régime spécial des îles d'Åland»

Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 10 avril 2003
    
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 13 novembre 2003
    

Sommaire de l'arrêt

Libre prestation des services – Restrictions – Législation fiscale – Imposition des gains provenant de jeux de hasard – Exemption en faveur des seuls gains provenant de jeux organisés sur le territoire national – Inadmissibilité

(Art. 49 CE)

L’article 49 CE s’oppose à la législation d’un État membre selon laquelle les gains provenant de jeux de hasard organisés dans d’autres États membres sont considérés comme un revenu du gagnant imposable au titre de l’impôt sur les revenus, tandis que les gains provenant de jeux de hasard organisés dans l’État membre en question ne sont pas imposables.

(cf. point 27 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
13 novembre 2003(1)


«Libre prestation des services – Billets de loterie – Montant gagné lors d'un jeu de hasard organisé dans un autre État membre – Impôt sur le revenu – Impôt sur les jeux de hasard – Régime spécial des îles d'Åland»

Dans l'affaire C-42/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par l'Ålands förvaltningsdomstol (Finlande) et tendant à obtenir, dans une procédure engagée par

Diana Elisabeth Lindman,


une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 49 CE,

LA COUR (cinquième chambre),,



composée de M. C. W. A. Timmermans, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. A. O. Edward (rapporteur) et P. Jann, juges,

avocat général: M me C. Stix-Hackl,
greffier: M me L. Hewlett, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

pour M me Lindman, par elle-même,

pour le gouvernement finlandais, par M me E. Bygglin, en qualité d'agent,

pour le gouvernement belge, par M me A. Snoecx, en qualité d'agent, assistée de M e P. Vlaemminck, avocat,

pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, en qualité d'agent,

pour le gouvernement norvégien, par M mes G. Hansson Bull et H. Klem, en qualité d'agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et K. Simonsson, en qualité d'agents,

pour l'Autorité de surveillance AELE, par M me E. Wright et M. V. Kronenberger, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales du gouvernement finlandais, représenté par M me E. Bygglin, du gouvernement belge, représenté par M. P. De Wael, en qualité d'agent, de la Commission, représentée par M. K. Simonsson, et de l'Autorité de surveillance AELE, représentée par M me E. Wright, à l'audience du 23 janvier 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 avril 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par ordonnance du 5 février 2002, parvenue à la Cour le 15 février suivant, l’Ålands förvaltningsdomstol a posé, en vertu de l’article 234 CE, une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 49 CE.

2
Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant M me Lindman au skatterättelsenämnden (commission de révision en matière fiscale) en raison du rejet par ce dernier de la réclamation qu’elle avait introduite en vue d’obtenir le dégrèvement de l’imposition à laquelle a été soumise la somme qu’elle avait gagnée en participant à une loterie organisée en Suède.


Le cadre juridique

A –  La réglementation communautaire

3
Aux termes de l’article 49, premier alinéa, CE:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.»

B –  La réglementation nationale

4
Conformément à l’article 1 er de la lotteriskattelagen (552/1992) (loi relative à l’impôt sur les jeux de hasard), l’impôt sur les jeux de hasard est dû à l’État en ce qui concerne les jeux organisés en Finlande. Selon l’article 2 de cette loi, les loteries sont des jeux de hasard. L’article 3 de la même loi dispose que c’est l’organisateur de la loterie qui est assujetti à l’impôt.

5
En vertu de l’article 85 de l’inkomstskattelagen (1535/1992) (loi relative l’impôt sur le revenu), «les gains obtenus dans le cadre des jeux de hasard visés à l’article 2 de la lotteriskattelagen ne constituent pas des revenus imposables […]». Il ressort du dossier que la non‑imposition ne vaut que pour les jeux de hasard visés à l’article 2 de la lotteriskattelagen, lesquels ne comprennent que les jeux organisés en Finlande.

C –  Le régime particulier des îles d’Åland

6
En vertu de la självstyrelselagen (1144/1991) för Åland (loi relative à l’autonomie d’Åland), la réglementation des loteries et des autres jeux d’argent relève de la compétence législative de la région d’Åland. L’organisation de loteries est soumise à une autorisation du gouvernement régional dont les modalités sont fixées par la landskapslagen om lotterier (loi régionale sur les jeux de hasard, Ålands författningssamling 10/1966). L’organisation des jeux de hasard est régie par cette dernière loi. L’autorisation d’organiser des loteries et des jeux d’argent visés à l’article 3 de la landskapslagen om lotterier peut être accordée à une association de droit public instituée par un règlement régional. Le produit des activités de l’association doit être inscrit au budget de la région d’Åland et servir à promouvoir et à soutenir des projets d’utilité publique ou d’intérêt général, ainsi que des projets pouvant être considérés comme favorisant les activités et les objectifs de l’association.


Le litige au principal et la question préjudicielle

7
M me Lindman, citoyenne finlandaise, réside dans la commune de Saltvik, située dans les îles d’Åland (Finlande). Le 7 janvier 1998, elle a gagné 1 000 000 SEK à l’issue d’un tirage de loterie de la société AB Svenska Spel, qui a eu lieu à Stockholm (Suède). Elle avait acheté son billet gagnant lors d’un séjour en Suède.

8
Ce gain de loterie a été considéré comme un revenu professionnel imposable au titre de l’impôt sur le revenu pour l’année 1998 et il a fait l’objet de l’impôt national revenant à l’État finlandais, de l’impôt communal dû à la commune de Saltvik, de l’impôt du culte au profit de la paroisse ainsi que d’un supplément de prime d’assurance maladie perçu en vertu de la sjukförsäkringslagen (loi relative à l’assurance maladie).

9
M me Lindman a introduit une réclamation devant le skatterättelsenämnden d’Åland, en vue d’obtenir la rectification de l’imposition à laquelle elle avait été assujettie. Cette réclamation a été rejetée le 22 mai 2000 au motif que l’article 85 de l’inkomstskattelagen n’interdit pas l’imposition en Finlande de gains provenant de loteries étrangères.

10
M me Lindman a alors introduit un recours devant l’Ålands förvaltningsdomstol pour obtenir la réformation de la décision de rejet du skatterättelsenämnden, en soutenant que l’imposition de la somme gagnée en Suède devrait être annulée et, subsidiairement, que celle-ci devait être imposée non pas en tant que revenu professionnel, mais en tant que revenu du capital, ce qui implique un taux d’imposition moins élevé.

11
L’Ålands förvaltningsdomstol considère que l’imposition, en tant que revenu professionnel ou revenu du capital, des gains provenant de jeux organisés à l’étranger peut éventuellement être considérée comme constituant une règle spéciale fondée sur le lieu d’origine de la prestation de services.

12
Estimant que l’interprétation du droit communautaire était nécessaire à la solution du litige pendant devant lui, l’Ålands förvaltningsdomstol a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La législation d’un État membre selon laquelle les gains provenant de jeux de hasard organisés dans d’autres États membres sont considérés comme un revenu du gagnant imposable au titre de l’impôt sur les revenus, tandis que les gains provenant de jeux de hasard organisés dans l’État membre en question ne sont pas imposables, est-elle compatible avec l’article 49 CE?»


Sur le fond

Observations soumises à la Cour

13
M me Lindman fait valoir que la réglementation finlandaise est discriminatoire, dès lors que, si elle avait résidé en Suède ou si la somme en cause au principal avait été gagnée à une loterie finlandaise, elle n’aurait pas été soumise à l’impôt sur le revenu.

14
Les gouvernements finlandais, belge, danois et norvégien considèrent que la législation finlandaise est compatible avec l’article 49 CE. À cet égard, ils s’appuient sur la jurisprudence de la Cour (arrêts du 24 mars 1994, Schindler, C‑275/92, Rec. p. I-1039; du 21 septembre 1999, Läärä e.a., C-124/97, Rec. p. I‑6067, et du 21 octobre 1999, Zenatti, C-67/98, Rec. p. I-7289) pour soutenir que l’imposition des jeux de hasard n’est qu’un aspect spécifique du régime général des jeux de hasard, domaine dans lequel les États membres jouissent d’un large pouvoir d’appréciation. Selon ces gouvernements, les éventuelles restrictions sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général liées à la lutte contre les conséquences néfastes des jeux de hasard, en ce sens que, si les gains de loteries étrangères étaient exonérés, le public serait incité à participer à de telles loteries.

15
Plus particulièrement, le gouvernement finlandais fait valoir que l’imposition des gains de jeux de hasard organisés en dehors de la Finlande s’explique par l’impossibilité d’imposer dans cet État membre les entreprises étrangères qui proposent des jeux d’argent à partir de l’étranger. S’il en allait autrement, les contribuables assujettis en Finlande et les organisateurs de jeux de hasard se partageraient un avantage fiscal, indépendamment de la question de savoir si les recettes sont destinées à satisfaire des objectifs d’utilité publique dans l’État d’origine ou si la législation de cet État tente de prendre en considération les objectifs de protection des consommateurs et de prévention du dommage social.

16
La Commission et l’Autorité de surveillance AELE estiment que l’imposition, dans un État membre, des gains de loteries uniquement lorsqu’il s’agit de loteries organisées dans d’autres États membres est contraire à l’article 49 CE et ne saurait être justifiée par des motifs d’intérêt général.

17
La Commission se fonde sur l’arrêt du 11 juin 1998, Fischer (C-283/95, Rec. p. I‑3369), pour soutenir que, conformément au principe de neutralité fiscale, un État membre ne saurait appliquer au gagnant d’un jeu de hasard légalement organisé dans un autre État membre un traitement moins favorable que celui dont bénéficie un gagnant ayant participé à un jeu organisé dans le premier État.

Réponse de la Cour

18
À titre liminaire, il convient de rappeler que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C‑80/94, Rec. p. I-2493, point 16; du 16 juillet 1998, ICI, C-264/96, Rec. p. I‑4695, point 19; du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311/97, Rec. p. I‑2651, point 19; du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/98, Rec. p. I-4071, point 32, et du 3 octobre 2002, Danner, C‑136/00, Rec. p. I-8147, point 28).

19
S’agissant des dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services, elles s’appliquent, ainsi que la Cour l’a déjà jugé au sujet de l’organisation de loteries, à une activité qui consiste à permettre aux utilisateurs de participer, contre rémunération, à un jeu d’argent (voir arrêt Schindler, précité, point 19). Partant, une telle activité relève du champ d’application de l’article 49 CE, dès lors que l’un au moins des prestataires est établi dans un État membre autre que celui dans lequel le service est offert. Il y a donc lieu d’examiner l’affaire sous l’optique de la libre prestation des services.

20
Selon une jurisprudence constante, l’article 49 CE interdit non seulement toute discrimination, en raison de sa nationalité, d’un prestataire de services établi dans un autre État membre, mais également toute restriction et toute entrave à la libre prestation des services, même si elles s’appliquent indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux établis dans d’autres États membres (voir arrêt du 13 février 2003, Commission/Italie, C-131/01, Rec. p. I-1659, point 26).

21
Il est constant que, dans l’affaire au principal, les loteries étrangères reçoivent un traitement fiscal différent de celui dont bénéficient les loteries finlandaises et se trouvent dans une position désavantageuse par rapport à celle de ces dernières. En effet, en application de la lotteriskattelagen, seuls les gains provenant de jeux de hasard non autorisés en Finlande sont considérés comme des revenus imposables, tandis que les gains provenant de jeux de hasard organisés dans cet État membre ne constituent pas des revenus imposables. Le gouvernement finlandais a d’ailleurs reconnu que l’existence d’une telle législation a pour effet qu’un contribuable finlandais préfère participer à une loterie organisée en Finlande plutôt qu’à une loterie ayant lieu dans un autre État membre.

22
Contrairement à ce que soutient ledit gouvernement, le fait que les prestataires de jeux établis en Finlande sont soumis à l’impôt en tant qu’organisateurs de jeux d’argent ne retire pas à la législation finlandaise son caractère manifestement discriminatoire, ledit impôt n’étant pas analogue à l’impôt sur le revenu qui frappe les gains provenant de la participation des contribuables aux loteries organisées dans d’autres États membres.

23
Selon le gouvernement finlandais, en admettant même que la réglementation nationale soit discriminatoire, elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général telles que la prévention des abus et des fraudes, la réduction du dommage social provoqué par le jeu, le financement d’activités d’utilité publique ou la sauvegarde de la sécurité juridique.

24
Le gouvernement norvégien invoque également, à titre de justification, la nécessité de lutter contre les conséquences dommageables de la dépendance à l’égard du jeu, lesquelles relèveraient de la santé publique. Ainsi, il existerait des centres de réadaptation et d’autres infrastructures de traitement des joueurs et le jeu créerait des problèmes sociaux, tels que la privation de ressources de la famille de la personne dépendante du jeu, des divorces et des suicides.

25
À cet égard, il importe de rappeler que les raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre doivent être accompagnées d’une analyse de l’opportunité et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec. p. I-4165, et du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal, C-100/01, Rec. p. I-10981).

26
Dans l’affaire au principal, le dossier transmis à la Cour par la juridiction de renvoi ne révèle aucun élément de nature statistique ou autre permettant de conclure à la gravité des risques liés à la pratique des jeux de hasard ni, a fortiori, à l’existence d’une relation de connexité particulière entre de tels risques et la participation des ressortissants de l’État membre concerné à des loteries organisées dans d’autres États membres.

27
Il convient donc de répondre à la question posée que l’article 49 CE s’oppose à la législation d’un État membre selon laquelle les gains provenant de jeux de hasard organisés dans d’autres États membres sont considérés comme un revenu du gagnant imposable au titre de l’impôt sur les revenus, tandis que les gains provenant de jeux de hasard organisés dans l’État membre en question ne sont pas imposables.


Sur les dépens

28
Les frais exposés par les gouvernements finlandais, belge, danois et norvégien, ainsi que par la Commission et l’Autorité de surveillance AELE, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par l’Ålands förvaltningsdomstol, par ordonnance du 5 février 2002, dit pour droit:

L’article 49 CE s’oppose à la législation d’un État membre selon laquelle les gains provenant de jeux de hasard organisés dans d’autres États membres sont considérés comme un revenu du gagnant imposable au titre de l’impôt sur les revenus, tandis que les gains provenant de jeux de hasard organisés dans l’État membre en question ne sont pas imposables.

Timmermans

Edward

Jann

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 novembre 2003.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: le suédois.

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