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Document 62000CC0245

    Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 26 septembre 2002.
    Stichting ter Exploitatie van Naburige Rechten (SENA) contre Nederlandse Omroep Stichting (NOS).
    Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
    Directive 92/100/CEE - Droit de location et de prêt et certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle - Article 8, paragraphe 2 - Radiodiffusion et communication au public - Rémunération équitable.
    Affaire C-245/00.

    Recueil de jurisprudence 2003 I-01251

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2002:543

    62000C0245

    Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 26 septembre 2002. - Stichting ter Exploitatie van Naburige Rechten (SENA) contre Nederlandse Omroep Stichting (NOS). - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas. - Directive 92/100/CEE - Droit de location et de prêt et certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle - Article 8, paragraphe 2 - Radiodiffusion et communication au public - Rémunération équitable. - Affaire C-245/00.

    Recueil de jurisprudence 2003 page 00000


    Conclusions de l'avocat général


    Introduction

    1. Par ordonnance du 9 juin 2000, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) a déféré trois questions préjudicielles à la Cour à propos de l'interprétation de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (ci-après la «directive 92/100» ou la «directive»). Les trois questions portent toutes sur l'interprétation de la notion de «rémunération équitable» visée à l'article 8, paragraphe 2, de la directive et ont en substance pour but d'établir s'il s'agit ou non d'une notion communautaire et quelles conséquences en découlent, dans l'un et l'autre cas, en vue de déterminer des critères destinés à en définir le montant.

    Cadre juridique

    La directive 92/100

    2. La directive vise à mettre en place un cadre harmonisé des législations nationales relatives au droit de location et de prêt en matière de droit d'auteur et de certains droits dits «voisins au droit d'auteur», dans la mesure nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du marché commun.

    3. Pour ce qui nous importe en l'espèce, les considérants de la directive illustrent en particulier comme suit ses motivations et finalités:

    «considérant que la protection juridique que la législation et les usages des États membres assurent aux oeuvres couvertes par le droit d'auteur et aux objets protégés par des droits voisins diffère en matière de location et de prêt et que ces différences sont de nature à créer des entraves aux échanges, à provoquer des distorsions de concurrence et à nuire à la réalisation et au bon fonctionnement du marché intérieur;

    [...]

    considérant que la continuité du travail créateur et artistique des auteurs, artistes interprètes ou exécutants exige que ceux-ci perçoivent un revenu approprié et que les investissements, en particulier ceux qu'exige la production de phonogrammes et de films, sont extrêmement élevés et aléatoires; que seule une protection juridique appropriée des titulaires de droits concernés permet de garantir efficacement la possibilité de percevoir ce revenu et d'amortir ces investissements;

    [...]

    considérant que le cadre juridique communautaire relatif aux droits de location et de prêt ainsi qu'à certains droits voisins peut être limité à des dispositions précisant que les États membres prévoient les droits de location et de prêt pour certains groupes de titulaires et prévoient, en outre, les droits de fixation, de reproduction, de distribution, de radiodiffusion et de communication au public pour certains groupes de titulaires dans le domaine de la protection des droits voisins».

    4. Conformément à ce qui précède et toujours pour ce qui nous importe en l'espèce, la directive prévoit une protection harmonisée des droits voisins relatifs aux phonogrammes, films et radiotransmissions, respectivement dans le chef des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs, ainsi que des organismes de radiodiffusion, ceux-ci étant tous des opérateurs qui ne bénéficient pas de la protection de l'auteur.

    5. En particulier, l'article 8 régit les activités de radiodiffusion et de communication au public des «exécutions» en précisant que:

    «1. Les États membres prévoient pour les artistes interprètes ou exécutants le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques et la communication au public de leurs exécutions, sauf lorsque l'exécution est elle-même déjà une exécution radiodiffusée ou faite à partir d'une fixation.

    2. Les États membres prévoient un droit pour assurer qu'une rémunération équitable et unique est versée par l'utilisateur lorsqu'un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et producteurs de phonogrammes concernés. Ils peuvent, faute d'accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, déterminer les conditions de la répartition entre eux de cette rémunération.»

    6. La protection ainsi mise en place représente une harmonisation minimale, comme le révèle le vingtième considérant, qui est libellé comme suit:

    «considérant que les États membres peuvent prévoir, pour les titulaires de droits voisins, des dispositions plus protectrices que celles qui sont prévues à l'article 8 de la présente directive».

    7. La rémunération équitable visée à l'article 8, paragraphe 2, n'est pas explicitement définie par la directive et les considérants ne s'y réfèrent pas non plus directement.

    8. Le préambule comporte cependant certaines indications relatives à la rémunération équitable qui revient au titulaire dans l'hypothèse distincte de la cession du droit de location; il précise en particulier que cette rémunération est prévue compte tenu du fait que:

    «[...] il est nécessaire d'introduire un régime qui assure une rémunération équitable, à laquelle il ne peut être renoncé, aux auteurs et aux artistes interprètes ou exécutants, qui doivent retenir la possibilité de confier la gestion de ce droit à des sociétés de gestion collective qui les représentent;

    [...] cette rémunération équitable peut être acquittée sur la base d'un ou de plusieurs paiements à tout moment, lors de la conclusion du contrat ou ultérieurement;

    [...] cette rémunération équitable doit tenir compte de l'importance de la contribution apportée au phonogramme et au film par les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants concernés».

    La réglementation internationale

    9. La directive et, en particulier, les dispositions applicables dans le présent litige doivent être lues à la lumière de la réglementation internationale correspondante; le dixième considérant précise à cet égard que la directive n'affecte pas cette réglementation en soulignant «qu'il convient de rapprocher les législations des États membres dans le respect des conventions internationales sur lesquelles sont fondés le droit d'auteur et les droits voisins de nombreux États membres».

    10. Pour ce qui nous importe l'espèce, la réglementation internationale est fixée pour l'essentiel par l'accord TRIPS et par la convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, faite à Rome le 26 octobre 1961 (ci-après la «convention de Rome»), à laquelle sont parties tous les États membres à l'exception de la République portugaise et à laquelle renvoie l'accord TRIPS.

    11. En vertu de l'article 14 de l'accord TRIPS, les membres sont tenus à veiller à ce que:

    «1. Pour ce qui est d'une fixation de leur exécution sur un phonogramme, les artistes interprètes ou exécutants auront la possibilité d'empêcher les actes ci-après lorsqu'ils seront entrepris sans leur autorisation: la fixation de leur exécution non fixée et la reproduction de cette fixation. Les artistes interprètes ou exécutants auront aussi la possibilité d'empêcher les actes ci-après lorsqu'ils seront entrepris sans leur autorisation: la radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques et la communication au public de leur exécution directe.

    [...]

    6. Tout membre pourra, en rapport avec les droits conférés en vertu des paragraphes 1, 2 et 3, prévoir des conditions, limitations, exceptions et réserves dans la mesure autorisée par la Convention de Rome.[...]»

    12. À son tour, la convention de Rome prévoit en son article 7 une protection minimale que les États contractants sont tenus d'assurer aux artistes interprètes ou exécutants. Cette disposition précise en particulier que:

    «1. La protection prévue par la présente Convention en faveur des artistes interprètes ou exécutants devra permettre de mettre obstacle:

    a) à la radiodiffusion et à la communication au public de leur exécution sans leur consentement, sauf lorsque l'exécution utilisée pour la radiodiffusion ou la communication au public est elle-même déjà une exécution radiodiffusée ou est faite à partir d'une fixation» de leur exécution sur un support matériel .

    13. L'article 12 réglemente les utilisations dites secondaires des phonogrammes et dispose que:

    «Lorsqu'un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé directement pour la radiodiffusion ou pour une communication quelconque au public, une rémunération équitable et unique sera versée par l'utilisateur aux artistes interprètes ou exécutants, ou aux producteurs de phonogrammes ou aux deux. La législation nationale peut, faute d'accord entre ces divers intéressés, déterminer les conditions de la répartition de cette rémunération» .

    14. Outre qu'elle fixe une réglementation matérielle harmonisée, la convention contient aussi en ses articles 2, 4 et 5 des règles en matière de traitement national, auxquelles renvoie à son tour l'article 1er, paragraphe 3, de l'accord TRIPS. En vertu de cette dernière disposition, rappelons-le, «les membres accorderont le traitement prévu dans le présent accord aux ressortissants des autres membres» en précisant, pour ce qui nous importe en l'occurrence, que «les ressortissants des autres membres s'entendront des personnes physiques ou morales qui rempliraient les critères requis pour bénéficier d'une protection» prévue «dans [...] la Convention de Rome» .

    La réglementation néerlandaise

    15. L'article 7 de la Wet op de naburige rechten (loi néerlandaise sur les droits voisins, ci-après la «WNR») du 18 mars 1993, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1993 et a ensuite été modifiée par la loi du 21 décembre 1995 (Staatsblad 1995, 653), vise à adapter l'ordre juridique national à l'obligation découlant de l'article 8, paragraphe 2, de la directive, et à assurer dans le même temps que le droit néerlandais soit conforme à la convention de Rome.

    16. Il dispose que:

    «1. Un phonogramme produit à des fins commerciales ou sa reproduction peut être radiodiffusé ou communiqué au public d'une autre manière sans l'autorisation du producteur du phonogramme et de l'artiste interprète ou exécutant ou de leurs ayants droit, à condition qu'une rémunération équitable soit versée.

    2. En l'absence d'accord sur le montant de la rémunération équitable, l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage saisi en première instance par la partie la plus diligente sera seul compétent pour fixer le montant de la rémunération.

    3. La rémunération revient à l'artiste interprète ou exécutant et au producteur ou à leurs ayants droit et elle est répartie en parts égales entre eux» .

    17. L'article 15 de la WNR dispose que le versement de la rémunération équitable visée à l'article 7 doit se faire à une personne morale représentative à désigner par le ministre de la Justice, qui est aussi chargée de représenter les intéressés pour fixer le montant de la rémunération et pour exercer le droit exclusif.

    Faits et procédure

    18. Le litige pendant devant le juge de renvoi oppose la Stichting ter Exploitatie van Naburige Rechten (ci-après «SENA»), une fondation néerlandaise qui représente les intérêts des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs et importateurs de phonogrammes, à la Nederlandse Omroep Stichting (ci-après «NOS»), l'organe qui coordonne la radiodiffusion publique, et il a pour objet de déterminer la rémunération équitable due par NOS à SENA en vertu de l'article 7 de la WNR.

    19. En 1986, c'est-à-dire bien avant l'entrée en vigueur de la WNR, la Nederlandse Vereniging van Producenten en Importeurs van Beeld en Geluidsdragers (ci-après «NVPI»), l'organisme qui représentait alors les intérêts des producteurs de phonogrammes, avait conclu une convention avec NOS, en vertu de laquelle cette dernière s'engageait à verser à NVPI une somme déterminée à titre de compensation pour la radiodiffusion de phonogrammes par les émetteurs publics néerlandais. Cette somme, calculée sur une base annuelle, s'élevait à 605 000 NLG pour les actes d'utilisation en 1984 et aurait par la suite atteint 700 000 NLG en 1994.

    20. Avec l'entrée en vigueur de la WNR, la représentation des intérêts des producteurs et des artistes interprètes ou exécutants de phonogrammes a été confiée à SENA, en vertu de la loi. En décembre 1993, NVPI a par conséquent résilié la convention précitée. Les négociations qui sont ensuite intervenues entre NOS et SENA afin de conclure une nouvelle convention, prévue à l'article 7 de la WNR, ont été infructueuses. SENA a donc saisi l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage (tribunal de La Haye) en lui demandant de fixer la rémunération équitable à 7 500 000 NLG. Le tribunal en a fixé le montant à 2 000 000 NLG pour 1995, en réservant sa décision pour les années ultérieures.

    21. Saisi en appel, le Gerechtshof te 's-Gravenhage (cour d'appel de La Haye) a rendu un arrêt interlocutoire le 6 mai 1999, dans lequel il a fait observer que ni la loi néerlandaise ni la directive ne fournissent la moindre indication utile pour concrétiser la notion de rémunération équitable et que, en particulier, la directive n'a pas visé à en harmoniser le mode de calcul. La cour d'appel a par ailleurs précisé que la rémunération équitable prévue par la loi néerlandaise doit à peu près correspondre à ce que devait NOS à NVPI en application de la convention de 1986, puisque telle est la volonté réglementaire qui découle des travaux préparatoires de cette loi. NOS devra cependant consentir à un relèvement de la rémunération en cas d'augmentation d'un ou de plusieurs des facteurs suivants: le nombre d'heures de diffusion des phonogrammes, l'audience des chaînes représentées par NOS, le montant des rémunérations fixées conventionnellement pour l'utilisation d'oeuvres protégées par le droit d'auteur, le montant des rémunérations versées par les organismes de radiodiffusion dans les États membres voisins, ainsi que la rémunération versée aux Pays-Bas par les émetteurs commerciaux.

    22. SENA s'est pourvue en cassation de cet arrêt en invoquant son incompatibilité avec la directive. En effet, dans la mesure où cette dernière introduit une notion autonome de rémunération équitable, elle exigerait une interprétation uniforme de cette notion dans les divers États membres, résultat que la décision attaquée ne permettrait en revanche pas d'atteindre.

    23. Ainsi, devant interpréter une disposition de la directive 92/100, le Hoge Raad a déféré à la Cour les questions préjudicielles suivantes par ordonnance du 9 juin 2000:

    «1) La notion de rémunération équitable employée à l'article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992 [relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle] est-elle une notion communautaire qui doit être interprétée et appliquée de la même manière dans tous les États membres de la Communauté européenne?

    2) Si la première question appelle une réponse affirmative:

    a) Selon quels critères faut-il fixer le montant de la rémunération équitable?

    b) Faut-il chercher à se référer au montant de rémunérations qui avaient été convenues entre les organisations concernées dans l'État membre en question ou qu'elles avaient coutume de verser, avant l'entrée en vigueur de la directive?

    c) Faut-il ou peut-on tenir compte des attentes que l'adoption de la loi interne de transposition de la directive a suscitées chez les intéressés quant au montant de la rémunération?

    d) Faut-il chercher à se référer au montant de rémunérations qui sont versées au titre du droit d'auteur sur les oeuvres musicales pour des émissions d'organismes de radiodiffusion?

    e) La rémunération doit-elle être fonction du nombre potentiel ou du nombre effectif de spectateurs ou d'auditeurs ou bien doit-elle être fonction des deux et, dans ce cas, dans quelle proportion?

    3) Si la première question appelle une réponse négative, cela signifie-t-il alors que les États membres sont parfaitement libres de déterminer les critères servant à fixer le montant de la rémunération équitable? Ou bien cette liberté connaît-elle certaines limites et, dans ce cas, lesquelles?»

    24. Outre les parties à la procédure au fond, la Commission, les gouvernements néerlandais, allemand, finlandais, portugais et du Royaume-Uni ont déposé des observations dans la procédure devant la Cour.

    Analyse juridique

    25. En posant les trois questions précitées, le juge de renvoi demande à la Cour, en substance, si la notion de «rémunération équitable» visée à l'article 8, paragraphe 2, de la directive est ou non une notion communautaire et quelles conséquences en découlent, dans l'un et l'autre cas, en vue de déterminer des critères destinés à en définir le montant.

    Arguments des parties

    a) Sur la notion de rémunération équitable

    26. D'après SENA, la notion de rémunération équitable est une notion communautaire qui, en tant que telle, doit être interprétée sur la base de critères uniformes dans tous les États membres. Outre qu'elle s'imposerait en vertu des principes généraux d'égalité et de non-discrimination, cette solution résulterait avant tout de l'objectif poursuivi par la directive et la convention de Rome, dont la première s'inspire directement. Elles viseraient en effet toutes deux à assurer une harmonisation effective, destinée à compenser le désavantage économique que peuvent subir les artistes interprètes et exécutants ainsi que les producteurs en raison de la diffusion de leurs oeuvres. Un tel résultat ne pourrait être atteint qu'à travers une interprétation uniforme de la notion de rémunération équitable. Cette thèse serait d'ailleurs confirmée a contrario par l'article 5 de la directive, qui prévoit des dérogations au droit exclusif de prêt lorsque ce dernier est réalisé par des institutions publiques, à condition que les auteurs «obtiennent une rémunération». Dans cette hypothèse, la directive dispose expressément que les États membres, lorsqu'ils fixent cette rémunération, «ont la faculté de [...] ten[ir] compte de leurs objectifs de promotion culturelle»; la circonstance qu'il manque une indication analogue pour la «rémunération équitable» visée à l'article 8 prouverait que, dans ce cas, les États membres ne disposent pas de la marge d'appréciation qui leur est laissée dans l'autre hypothèse.

    27. NOS, la Commission, les gouvernements néerlandais, portugais et du Royaume-Uni considèrent eux aussi que la «rémunération équitable» est une notion communautaire. Elle renvoie cependant à une notion ouverte, l'équité, qui n'est d'aucune façon définie, ni par la directive ni par la convention de Rome, et qui renvoie plutôt, comme le soulignent en particulier NOS, le gouvernement portugais et celui du Royaume-Uni, au concept de justice du cas concret. Les États membres conserveraient donc une grande liberté dans l'interprétation de cette notion, en particulier si l'on considère que la directive n'entraîne qu'une harmonisation minimale.

    28. Il demeure néanmoins, comme l'ont souligné tant la Commission que le gouvernement néerlandais, que la liberté des États membres dans la détermination du contenu de la notion en cause ne serait pas absolue mais se heurterait à des limites découlant du système de la directive; cette liberté devrait en effet être destinée à atteindre un juste compromis entre les intérêts des producteurs et des artistes interprètes ou exécutants, d'une part, et celui des tiers utilisateurs, de l'autre.

    29. Le gouvernement néerlandais estime par ailleurs que la nature communautaire de la notion en cause implique que les États membres, tout en jouissant d'une large marge d'appréciation dans ce cas, ne sont cependant pas soustraits aux limites et aux contrôles qui dérivent de la nature précitée de la notion, et ce de la même façon que dans le cas d'autres notions communautaires, comme celle d'ordre public.

    Le gouvernement précité rappelle en particulier à ce propos les arrêts Van Duyn et Rutili , dans lesquels la Cour a reconnu que, «pour l'essentiel, les États membres restent libres de déterminer [...], conformément à leurs besoins nationaux, les exigences de l'ordre public; cependant, dans le contexte communautaire, notamment, en tant que justification d'une dérogation aux principes fondamentaux [...], cette notion doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté» .

    30. Enfin, les gouvernements allemands et finlandais proposent une solution formellement opposée mais qui, en substance, n'est pas éloignée des positions défendues par les autres gouvernements qui sont intervenus. Il est vrai qu'ils excluent que la notion de rémunération équitable soit une notion communautaire, mais ils font observer que cela n'implique pas une liberté illimitée pour les États membres. D'après la République fédérale d'Allemagne, en particulier, les limites auxquelles se heurtent les ordres juridiques nationaux lors de la détermination de la rémunération équitable découlent de l'objet et de la finalité de la directive elle-même et résident dans la nécessité d'assurer un revenu approprié aux artistes interprètes ou exécutants, ainsi qu'une distribution des recettes qui soit proportionnelle à l'importance de la contribution apportée par les auteurs et par les artistes interprètes ou exécutants.

    b) Sur les critères d'interprétation

    31. S'agissant des critères d'interprétation évoqués au point 2, sous a), de la question préjudicielle, toutes les parties intervenantes n'y accordent pas beaucoup d'attention et, en toute hypothèse, nous ne jugeons pas nécessaire de nous attarder sur les argumentations en cause, compte tenu de ce que nous préciserons ci-dessous. Faisons uniquement observer en l'occurrence que diverses parties intervenantes nient l'opportunité d'un arrêt de la Cour sur ce point et, bien qu'il consacre de larges développements à chacun des critères, le gouvernement allemand conteste la recevabilité même de la question, en considérant qu'elle porterait non pas tant sur l'interprétation de la directive, mais plutôt sur l'application du droit national au présent cas concret. Il n'y aurait donc pas lieu qu'intervienne un arrêt de la Cour, mais plutôt une expertise dans le cadre du litige au fond.

    Appréciation

    32. Parvenant au stade de l'appréciation des questions déférées, il nous semble avant tout difficile de nier que la notion de «rémunération équitable» est une notion communautaire, étant donné qu'elle est utilisée dans une directive sans que celle-ci renvoie, ni directement ni indirectement, aux droits nationaux en vue de son interprétation. Comme la Cour l'a souligné à plusieurs reprises, «il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause» .

    33. Cela étant dit, peu de précisions ont toutefois été apportées sur la définition de la notion en cause parce que la directive se limite à l'évoquer sans veiller d'aucune façon à la définir. À la vérité, cela ne peut pas être par ailleurs surprenant si l'on considère que cette notion s'inspire du concept d'équité et que, comme l'ont souligné presque toutes les parties, fût-ce avec des nuances différentes, l'équité est de par sa nature une notion «ouverte» qui exprime un principe général d'adéquation ou d'équilibre et laisse une large marge d'appréciation à celui qui est appelé à l'appliquer. En réalité, comme cela a aussi été souligné durant le débat qui s'est engagé dans le présent litige (en particulier par le gouvernement portugais et celui du Royaume-Uni), le renvoi à l'équité implique que, sauf naturellement en présence d'un accord entre les parties, le litige portant sur les intérêts opposés de celles-ci soit tranché par le juge sur la base des particularités du cas concret et non de critères normatifs prédéterminés de façon générale et abstraite.

    34. Comme nous l'avons déjà indiqué, il n'est donc pas surprenant que la notion de «rémunération équitable» ne fasse pas l'objet d'une définition précise dans la directive. Ce qui vaut la peine d'être souligné, c'est que, outre qu'elle ne veille pas à apporter cette définition, la directive ne se préoccupe pas non plus de fournir d'indications, directes ou indirectes, sur les éventuels critères utiles pour apprécier «l'équité» de la rémunération, et ce contrairement à ce qui se passe, par exemple, dans la même directive à propos de la cession du droit de location. Dans cette hypothèse en effet, un critère uniforme au moins est indiqué -encore que de façon assez générique - pour déterminer la rémunération équitable revenant aux auteurs et aux artistes interprètes ou exécutants (article 4, paragraphe 1) , à savoir le critère qui s'inspire de l'importance de la contribution apportée au phonogramme et au film (dix-septième considérant) .

    35. On retrouve cependant aussi des indications de critères d'application en vue de déterminer la compensation équitable dans la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information , dont l'article 5 précise que les États membres ont la faculté de prévoir la libre utilisation, à des fins privées, d'objets protégés par le droit d'auteur ou des droits voisins, à condition qu'une compensation équitable soit garantie en faveur de certains ayants droit. En particulier, d'une part, l'article 5 précité dispose explicitement, en relation avec l'une des hypothèses qu'il vise, que la mesure de la compensation «prend en compte l'application ou la non-application des mesures techniques» de protection prévues par ladite directive et, d'autre part et de façon plus générale, le trente-cinquième considérant de la directive énumère certains critères d'application supplémentaires qui peuvent être pris en compte, fût-ce de façon non exclusive, lors de la détermination du montant de la compensation équitable visée à l'article 5 .

    36. À d'autres occasions, par contre, le législateur communautaire n'a pas éprouvé la nécessité de préciser des critères d'application uniforme, comme dans le cas de la directive 93/83/CE , relative à la protection du droit d'auteur et des droits voisins en cas de transmission par satellite ou par câble, qui se limite à étendre à ces formes de communication au public l'application de l'article 8 de la directive 92/100.

    37. On peut donc en déduire que, lorsqu'il en a ressenti la nécessité ou l'opportunité, le législateur communautaire a veillé à intervenir en relation avec des notions tout à fait analogues à celle dont l'interprétation est en cause en l'espèce. Lorsqu'il n'a en revanche rien précisé, comme en l'occurrence, il a de ce fait voulu laisser une plus large marge de liberté aux États membres, en considérant évidemment qu'une harmonisation plus poussée de la matière n'était pas nécessaire ou opportune. Par ailleurs, nous ne croyons pas, d'autre part, que la Cour ait pour mission de se substituer au législateur communautaire en fixant elle-même des critères uniformes que celui-ci n'a pas imposés et en limitant donc sans justes motifs la liberté des États membres.

    38. Cela étant dit en termes généraux, force est cependant de préciser aussi que cette liberté n'est pas illimitée, dès lors qu'elle s'exerce néanmoins toujours dans le cadre de l'application d'une notion communautaire et, partant, sous le contrôle des institutions de la Communauté, en particulier de la Cour.

    39. En effet, nous sommes en présence en l'espèce, comme l'a rappelé le gouvernement néerlandais, d'une situation comparable à celle rencontrée pour certaines autres notions utilisées par le droit communautaire, mais qui ne sont pas définies par celui-ci et sont laissées dans une large mesure aux ordres juridiques nationaux. C'est le cas par exemple, toujours en nous reportant aux observations du gouvernement néerlandais, de la notion d'ordre public, spécialement dans la mesure où elle est évoquée par l'article 39 CE comme une limite à la libre circulation des travailleurs. D'après la bien connue jurisprudence Van Duyn et Rutili, cette notion, de par sa nature, renvoie aux compétences souveraines des États membres et, partant, aux ordres juridiques internes de ceux-ci. Dès lors, comme la Cour l'a souligné dans ces arrêts, «les États membres restent libres de déterminer [...], conformément à leurs besoins nationaux, les exigences de l'ordre public» , puisque celles-ci «varie[nt] d'un pays à l'autre d'une époque à l'autre» . Compte tenu du fait qu'elle est insérée dans le «contexte communautaire» et qu'elle implique une limite à un principe fondamental du traité, en l'espèce de celui de la libre circulation des personnes, la liberté dont jouissent les États membres dans la détermination des exigences de leur ordre public national ne peut néanmoins pas se soustraire au contrôle et aux limites du droit communautaire .

    40. Des considérations analogues peuvent selon nous être émises à propos de la notion de «rémunération équitable» visée à l'article 8 de la directive. La liberté reconnue à cet égard aux États membres doit donc s'exercer sous le contrôle des institutions de la Communauté, dans le respect des conditions et des limites pouvant être déduites de la directive, ainsi que, de façon plus générale, des principes et du système du traité.

    41. Si l'on souhaite préciser ces indications, il nous semble avant tout évident qu'un État membre ne peut pas déterminer la «rémunération équitable» en méconnaissant un principe général du droit communautaire.

    42. En particulier, comme le souligne à juste titre le gouvernement finlandais, le champ d'action des ordres juridiques nationaux est limité dans cette matière par la nécessité de sauvegarder l'application du principe de non-discrimination fondée sur la nationalité, qui est consacré par l'article 12 CE et précisé par la suite, pour ce qui est susceptible de nous intéresser en l'espèce, par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des personnes et des services.

    43. L'interdiction de discrimination fondée sur la nationalité a d'ailleurs en cette matière un champ d'application plus large par rapport à ce qu'impose le seul article 12 CE. En effet, s'agissant de la protection des droits voisins, cette interdiction s'étend à une série d'opérateurs qui, bien qu'étant ressortissants des pays tiers et n'étant donc pas protégés au sens de l'article 12 CE, bénéficient de la protection prévue par l'accord TRIPS de l'Organisation mondiale du commerce et de la convention de Rome.

    44. Comme chacun le sait, en effet, l'accord TRIPS lie la Communauté et tous ses États membres, tout comme nul ignore que, abstraction faite du débat sur son applicabilité directe, les règles sur le traitement national qu'il prévoit font partie intégrante du droit dont la Cour est appelée à assurer le respect, en vertu de l'article 220 CE. Or, à travers le renvoi opéré par son article 1er, paragraphe 3, cet accord incorpore les articles 2, 4 et 5 de la convention de Rome, lesquels entraînent l'application du principe du traitement national à une large catégorie d'opérateurs et de situations qui ne présentent pas de lien qualifié avec la Communauté, si ce n'est celui de l'appartenance ou de l'établissement et qui, dès lors, ne seraient en principe pas protégés au sens de l'article 12 CE. C'est donc notamment sur la base de ces dispositions conventionnelles, outre sur celle de l'article 12 CE, que la liberté d'action des États membres est limitée lorsqu'ils appliquent la directive et, en particulier, son article 8, paragraphe 2.

    45. Voilà pour ce qui est des principes généraux. Nous pensons néanmoins que l'on peut aussi déduire des indications susceptibles de limiter la marge d'appréciation laissée aux États membres du système de la directive et, en particulier, de la nécessité d'en préserver l'effet utile.

    46. De ce point de vue, nous pensons avant tout pouvoir affirmer que la rémunération ne peut pas être considérée comme étant équitable si elle s'avère susceptible de nuire au résultat poursuivi par la directive, en particulier à travers son article 8, paragraphe 2. En effet, cette disposition visant à garantir aux ayants droit à une «rémunération» pour les actes d'exploitation qui y sont visés, il nous semble évident que, pour autant qu'elle soit «équitable», cette rémunération doit néanmoins toujours être effective et substantielle pour éviter le risque de spolier l'artiste interprète ou exécutant et le producteur du droit qui leur est reconnu. En d'autres termes, comme le souligne à juste titre le gouvernement néerlandais, l'appréciation des circonstances du cas concret ne peut pas déboucher, sauf dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, sur la détermination d'une compensation purement symbolique, qui se traduise en définitive par une négation du droit à la rémunération.

    47. Il nous semble que cette conclusion est notamment confirmée par la teneur du septième considérant de la directive, d'après lequel la protection juridique des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs, prévue par la directive dans son ensemble, vise à garantir des niveaux de revenus adéquats pour les premiers et un retour sur investissement pour les seconds. La rémunération visée à l'article 8, paragraphe 2, de la directive doit donc être susceptible de contribuer effectivement à assurer la rentabilité de l'activité artistique et de production.

    48. On pourrait même se demander si la prise en compte de cette finalité ne peut pas servir d'étalon exclusif pour déterminer la rémunération équitable. Le fait que la rentabilité de l'activité artistique et de production soit assurée à travers l'ensemble des mesures instituées par la directive en faveur des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs plaide cependant contre une conclusion de ce type. Cette rentabilité est en particulier assurée, en première instance et normalement, par les droits exclusifs reconnus à ces opérateurs, tels que le droit de location et de prêt visé à l'article 2 , le droit de fixation visé à l'article 6 , le droit de reproduction visé à l'article 7 et le droit de radiodiffusion et de communication au public en direct, visé à l'article 8, paragraphe 1, de la directive. La radiodiffusion ou la communication au public obtenue par un phonogramme déjà publié à des fins commerciales, en revanche, ne fait pas l'objet d'un droit exclusif («d'autoriser ou d'interdire», d'après les termes de la directive) de l'interprète, ni davantage du producteur (article 8, paragraphe 1). Le droit à la rémunération équitable prévu dans cette hypothèse par l'article 8, paragraphe 2, n'est donc qu'une composante accessoire du système des garanties de la rentabilité, conformément à la nature «faible» de ce droit par rapport aux droits exclusifs cités en premier lieu.

    49. En définitive, nous estimons pouvoir conclure que la notion de «rémunération équitable», visée à l'article 8, paragraphe 2, de la directive, est une notion de droit communautaire, mais que la directive ne fixe pas de critères uniformes pour en déterminer le montant. Les États membres conservent donc la liberté de déterminer ces critères, dans le respect cependant des finalités de la directive et des principes de droit communautaire.

    Conclusion

    50. Eu égard aux éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles en ce sens que la notion de «rémunération équitable» visée à l'article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, est une notion de droit communautaire, mais que la directive ne fixe pas de critères uniformes pour en déterminer le montant. Les États membres conservent donc la liberté de déterminer ces critères, dans le respect cependant des finalités de la directive et des principes de droit communautaire.

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