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Document 61999CC0315

    Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 3 mai 2001.
    Ismeri Europa Srl contre Cour des comptes des Communautés européennes.
    Pourvoi - Programmes MED - Rapport spécial nº 1/96 de la Cour des comptes - Principe du contradictoire - Désignation nominative de tiers - Nécessité et proportionnalité.
    Affaire C-315/99 P.

    Recueil de jurisprudence 2001 I-05281

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2001:243

    61999C0315

    Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 3 mai 2001. - Ismeri Europa Srl contre Cour des comptes des Communautés européennes. - Pourvoi - Programmes MED - Rapport spécial nº 1/96 de la Cour des comptes - Principe du contradictoire - Désignation nominative de tiers - Nécessité et proportionnalité. - Affaire C-315/99 P.

    Recueil de jurisprudence 2001 page I-05281


    Conclusions de l'avocat général


    I. Introduction

    1 Ismeri Europa Srl (ci-après, «Ismeri») avait saisi le Tribunal de première instance, conformément aux articles 178 et 215 du traité CE (devenus articles 288 et 235 CE), d'une demande en réparation des préjudices qu'elle prétendait avoir subis à cause des critiques dont elle avait fait l'objet dans le rapport spécial n_ 1/96 de la Cour des comptes relatif aux programmes MED.

    2 Elle avait conclu à ce qu'il plaise au Tribunal:

    1_) constater «la violation du principe fondamental du droit à la défense et au débat contradictoire, et donc l'illégalité du comportement de la Cour des comptes»;

    2_) constater, en conséquence, «la responsabilité extracontractuelle» de cette institution et

    3_) ordonner à la Cour des comptes «de publier les observations de la société au Journal officiel des Communautés européennes et d'en donner sans tarder communication officielle et formelle au Parlement, reconnaissant le droit d'Ismeri Europa Srl de faire connaître ses explications en ce qui concerne les programmes MED, tel qu'il est conféré aux diverses institutions contrôlées par la Cour des comptes en vertu des dispositions de l'article 206, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne».

    3 Le Tribunal de première instance ayant rejeté le recours par arrêt du 15 juin 1999, (1) Ismeri a saisi la Cour d'un pourvoi le 24 août 1999.

    II. Les faits du litige

    4 Voici les faits que l'on retiendra de l'arrêt aux fins de la procédure de pourvoi:

    - les programmes MED font partie de la politique d'aides de l'Union européenne aux pays tiers méditerranéens. Ils sont l'expression de la volonté de la Communauté de développer la coopération multilatérale avec ces pays et de promouvoir leur coopération entre eux.

    Ils ont été conçus de manière à permettre le développement de certains secteurs (2) au moyen d'une coopération décentralisée, concrétisée par la mise en oeuvre de projets dans lesquels la Commission apporte le complément financier et l'aide technique nécessaires.

    - La Commission a confié l'administration et la gestion financière des budgets destinés aux programmes MED à une association belge sans but lucratif créée spécialement à cette fin, à savoir l'Agence pour les Réseaux transméditerranéens (ci-après, «Agence»). Le suivi technique de l'exécution des programmes a été confié à des bureaux d'assistance technique, qui sont généralement des cabinets de consultants.

    - Les projets sont approuvés par un comité, dit comité d'engagement, qui se compose de représentants de l'agence et de représentants des bureaux d'assistance technique, ces derniers assistant aux débats pour fournir un avis technique et n'ayant pas de droit de vote. Le comité est présidé par l'administrateur responsable de la commission.

    - Dans son rapport spécial n_ 1/96, du 30 mai 1996, (3) la Cour des comptes a formulé diverses critiques sur la gestion de ces programmes MED, mettant notamment en évidence des confusions d'intérêts dans le système global de gestion. Elle a signalé que, jusqu'au mois d'avril 1995, deux des quatre administrateurs de l'agence dirigeaient deux bureaux d'assistance technique chargés du suivi des programmes et elle a épinglé la particularité que ces deux entreprises avaient obtenu des contrats qu'elles avaient contribué à élaborer dans le cadre du conseil d'administration de l'agence. Un des deux bureaux de consultants nommément visés dans le rapport est Ismeri.

    - Le 31 janvier 1997, Ismeri a demandé à la Cour des comptes de rectifier les inexactitudes que contenait le rapport spécial en question. Elle estimait en outre qu'elle aurait dû être consultée avant sa publication. La Cour des comptes a rejeté sa demande en lui répondant qu'elle avait suivi la procédure correcte. À deux reprises, à savoir le 24 avril et le 12 juin 1997, Ismeri a réitéré sa demande et a de nouveau été déboutée à chaque fois.

    - Au cours de la session du 17 juillet 1997, le Parlement européen a adopté une résolution sur le rapport spécial n_ 1/96 de la Cour des comptes, (4) dans laquelle il souscrit à l'exposé des faits donné par la Cour des comptes. Il souligne que 62 % du total des dépenses d'assistance technique sont allées à deux bureaux d'assistance technique, à savoir précisément ceux qui étaient représentés à l'agence par un administrateur chacun. Le Parlement en a déduit «qu'un cas manifeste de confusion d'intérêts s'est perpétué des années durant» (5) et que les administrateurs en question s'étaient retrouvés «dans une situation peut être délictueuse au regard du code pénal des États membres concernés» (6). Le Parlement a conclu en signalant le caractère exemplaire de l'affaire et il a invité la Commission «dont la crédibilité [était] en jeu» à prendre des mesures énergiques afin d'éviter que des situations analogues se reproduisent dans le cadre d'autres programmes de coopération (7).

    - Le 20 octobre 1997, Ismeri a engagé devant le Tribunal le recours que celui-ci a rejeté par l'arrêt en cause dans la présente affaire.

    III. L'arrêt entrepris

    5 En ce qui concerne le fond de l'affaire (8), l'arrêt du Tribunal de première instance contient deux parties clairement distinctes. La première porte sur la violation alléguée du principe du contradictoire et la seconde sur le caractère prétendument diffamatoire pour Ismeri des critiques que contient le rapport spécial n_ 1/96 de la Cour des comptes.

    6 Voici ce que le Tribunal de première instance a déclaré à propos de la violation du principe du contradictoire: (9)

    - La responsabilité de la Communauté pour faute extracontractuelle ne peut être engagée que si le requérant prouve non seulement l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée et la réalité d'un préjudice, mais également l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et ce préjudice.

    - À supposer que la Cour des comptes ait été obligée de permettre à la requérante de faire valoir son point de vue avant l'adoption et la publication du rapport spécial et qu'à ne pas l'avoir fait, elle se soit rendue coupable d'un comportement illégal, le contenu du rapport n'en eût pas été modifié. Le Tribunal de première instance aboutit à cette conclusion parce que la Cour des comptes avait rejeté toutes les observations qu'Ismeri lui avait transmises dans sa lettre du 31 janvier 1997. Il résulte de sa réponse à cette lettre qu'elle n'aurait pas modifié le contenu du rapport spécial même si Ismeri avait été en mesure de lui présenter ses observations avant son adoption.

    7 À propos du caractère diffamatoire des critiques adressées à Ismeri dans le rapport, le Tribunal de première instance a déclaré ce qui suit: (10)

    - Le souci de s'acquitter efficacement de sa mission peut amener la Cour des comptes à dénoncer exceptionnellement les faits constatés d'une façon complète et donc à désigner nommément les personnes tierces directement impliquées. Une telle désignation s'impose plus particulièrement lorsque l'anonymat risque de prêter à confusion ou encore de jeter le doute sur l'identité des personnes impliquées, ce qui est susceptible de nuire aux intérêts de personnes concernées par l'enquête de la Cour des comptes, mais non visées par ces appréciations critiques. En tout état de cause, les appréciations portées sur des personnes tierces dans ces conditions sont soumises à un contrôle complet du Tribunal. Elles sont de nature à constituer une faute, et donc à engager, le cas échéant, la responsabilité extracontractuelle de la Communauté (11).

    - Dans l'accomplissement de sa mission, la Cour des comptes était tenue de dénoncer une situation dans laquelle un marché public avait été adjugé à une personne qui avait participé à l'évaluation et à la sélection des offres. La société Ismeri était en mesure d'influencer la procédure de décision et de favoriser ses intérêts privés puisqu'un de ses dirigeants faisait partie de l'agence. Ismeri se trouvait donc dans une situation de conflit d'intérêts (12).

    - La Cour des comptes affirme dans son rapport spécial que la Commission avait insisté auprès des dirigeants des deux bureaux d'assistance technique pour qu'ils démissionnent du conseil d'administration de l'agence, mais qu'Ismeri avait renâclé. Ces affirmations sont fondées sur des faits établis et correctement interprétés. Le dirigeant d'Ismeri qui occupait un poste au conseil d'administration de l'agence n'a démissionné que deux ans après que la Commission l'eut invité à le faire et eut accepté les conditions de sa démission, conditions relatives à l'élection de son successeur et à l'attribution d'un contrat d'assistance technique (13).

    - L'appréciation de la qualité du travail accompli par Ismeri et des résultats qu'il a permis d'obtenir n'est pas un critère susceptible de mettre en cause la pertinence des constatations effectuées par la Cour des comptes dans son rapport spécial n_ 1/96 (14).

    IV. Le pourvoi

    8 Le recours d'Ismeri s'articule autour de six moyens, que je vais résumer successivement avec la réponse que la Cour des comptes a donnée à chacun d'entre eux. Je les analyserai ensuite l'un après l'autre au paragraphe V des présentes conclusions.

    Premier moyen: vices de procédure; le Tribunal de première instance ne s'est pas prononcé sur la demande d'audition de témoins et n'a pas suffisamment instruit l'affaire

    9 Selon Ismeri, le fait que le Tribunal de première instance n'ait pas répondu à sa demande d'audition de témoins constitue un vice de procédure parce que la juridiction est tenue, en vertu des principes généraux du droit, de se prononcer sur toutes les questions dont elle est saisie. Ce rejet implicite d'une preuve qui lui était proposée a entraîné une insuffisance de l'instruction dans la mesure où le Tribunal a exprimé ses doutes sur la crédibilité de certains documents et a préféré se fonder sur la version des faits exposée dans le rapport spécial n_ 1/96 de la Cour des comptes.

    10 La Cour des comptes rétorque que ce moyen est irrecevable en ce qu'il vise à ce que la Cour s'engage sur un terrain où elle n'a rien à faire dès lors que l'évaluation des éléments de preuve relève de l'appréciation souveraine du Tribunal, sauf à prétendre que celui-ci les aurait dénaturés dans son appréciation, moyen qui n'a pas été soulevé. À titre subsidiaire, la Cour des comptes soutient que le moyen est dénué de fondement parce que l'instruction a été suffisante et parce que le juge n'est pas tenu d'expliquer dans son arrêt les raisons - par ailleurs évidentes en l'espèce - pour lesquelles il ne fait pas droit à une proposition de preuve par témoins.

    Deuxième moyen: violation du «principe du contradictoire» admis en droit communautaire et insuffisance des motifs

    11 Ismeri fait grief au Tribunal de ne pas s'être prononcé dans son arrêt sur l'application du principe du contradictoire dans la procédure qui l'a opposée à la Cour des comptes et de maintenir, comme argument essentiel, que l'appréciation de cette institution n'aurait pas entraîné une modification de la teneur de son rapport, même si elle avait décidé d'entendre Ismeri avant sa publication. Selon la société demanderesse au pourvoi, le respect du principe du contradictoire, qui oblige toute autorité publique à entendre les intéressés avant d'adopter une décision les concernant, est une condition fondamentale de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. L'article 206 du traité CE (devenu, après modification, article 276 CE) confère le droit d'être entendus non seulement aux institutions contrôlées par la Cour des comptes, mais également aux autres sujets visés par son activité de contrôle. L'audition préalable est également un élément nécessaire de la procédure de décharge de la Cour des comptes par le Parlement européen.

    12 La Cour des comptes rappelle que le litige a pour objet de faire constater sa responsabilité extracontractuelle et non pas l'illégalité d'un de ses actes. Une telle constatation nécessitant le concours de trois conditions (acte illégal, préjudice et lien de cause à effet), l'absence d'une d'entre elles (à savoir le lien de causalité) permet d'écarter toute responsabilité sans qu'il soit nécessaire d'examiner les deux autres (à savoir l'illégalité de l'acte incriminé et le préjudice qu'il aurait entraîné). Pour le surplus, la Cour des comptes estime que la société demanderesse au pourvoi s'est bornée à reproduire les arguments qu'elle avait déjà articulés en première instance et qu'elle n'a pas émis de griefs particuliers à l'égard des bases de l'arrêt entrepris, ce qui rend son moyen irrecevable.

    Troisième moyen: le Tribunal n'a pas statué sur le moyen déduit du principe fondamental du droit à la défense et du principe du contradictoire

    13 Ismeri prétend que le Tribunal n'a pas statué sur un point décisif du litige qu'elle avait soulevé dans la requête, à savoir sur le droit à la défense et à un débat contradictoire dans une procédure devant la Cour des comptes.

    14 Cette dernière rétorque que le Tribunal n'était pas tenu d'aborder cette question puisqu'elle avait déclaré que, même si le principe du contradictoire avait été appliqué, le contenu du rapport spécial eût été identique. Selon elle, ce moyen est dépourvu de fondement.

    Quatrième moyen: violation du droit communautaire par diffamation et insuffisance des motifs

    15 Ismeri prétend que le Tribunal n'a pas exposé les motifs de la conclusion qu'il a adoptée à propos de la notion de diffamation et que cette conclusion est dénuée de fondement. Elle prétend que citer nommément les deux bureaux d'assistance technique dans le rapport spécial et y évoquer d'éventuelles responsabilités pénales est incompatible avec le principe de confidentialité et le principe de proportionnalité.

    16 La Cour des comptes juge ce moyen irrecevable dans la mesure où il n'est pas directement dirigé contre le raisonnement que le Tribunal a tenu dans l'arrêt entrepris et ne fait que reproduire les arguments articulés dans la requête. Il serait également irrecevable en ce qu'il introduit dans le débat des éléments qui sont eux aussi irrecevables parce qu'ils sont nouveaux (à savoir l'obligation de discrétion, le principe de proportionnalité et le fait que les deux autres membres du conseil d'administration de l'agence n'appartenaient à aucun bureau d'assistance technique chargé du suivi des programmes MED).

    Cinquième moyen: déformation des faits relatifs à la prétendue «confusion d'intérêts», insuffisance de motifs et qualification juridique erronée

    17 Ismeri estime que l'affirmation que le Tribunal a faite à propos du rôle décisif du conseil d'administration de l'agence dans l'adjudication de marchés aux bureaux d'assistance technique, ses appréciations sur les deux contrats qui lui ont été attribués et ce qu'il appelle la «phase expérimentale» sont le fruit d'une déformation manifeste des faits. Elle ajoute que cette affirmation et ces considérations sont en outre dépourvues de toute motivation. Selon elle, la notion de «confusion d'intérêts» appliquée par le Tribunal est en outre erronée et dépourvue de motivation.

    18 La Cour des comptes prétend quant à elle que le moyen est irrecevable en ce qu'il vise à mettre en cause l'appréciation des faits opérée par le Tribunal alors qu'il n'y a ni inexactitude matérielle ni dénaturation des éléments de preuve. Quant à la discussion relative à la notion de «confusion d'intérêts», elle prétend que cette branche du moyen est irrecevable parce qu'Ismeri se borne à répéter un moyen qu'elle avait déjà invoqué en première instance et qu'elle n'apporte aucune analyse critique de l'arrêt à l'appui de ses dires. Elle estime d'ailleurs que ce moyen est également non fondé dès lors que le Tribunal a donné de la notion de confusion d'intérêts une définition qui correspond au cas d'espèce.

    Sixième moyen: déformation des faits et insuffisance des motifs concernant la prétendue résistance que le représentant d'Ismeri au conseil d'administration de l'agence aurait opposée aux demandes de démission qui lui étaient adressées par la Commission

    19 Ismeri considère que le Tribunal ne pouvait pas se limiter à mettre en doute la crédibilité d'un document démontrant que la Commission avait renoncé à demander la démission de son représentant au conseil d'administration de l'agence et elle conteste que cette démission n'ait été donnée qu'au terme d'une longue négociation et après acceptation de certaines conditions.

    20 Pour la Cour des comptes, ce moyen est irrecevable en ce que rien ne permet d'affirmer qu'en adoptant les conclusions antérieures, le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve sur lesquels il devait fonder sa décision.

    V. Analyse du pourvoi

    21 Les six moyens autour desquels Ismeri a articulé son pourvoi sont en réalité plus nombreux dès lors que certains englobent des arguments distincts. Ils peuvent cependant être réunis en trois groupes:

    - les moyens concernant la régularité formelle de la procédure ou de l'arrêt: il s'agit des premier et troisième moyens;

    - les moyens dirigés contre les conclusions de fait que le Tribunal a tirées dans son arrêt: ce groupe inclut la première branche du cinquième moyen et le sixième;

    - enfin, les moyens de fond dirigés contre l'interprétation en droit opérée par le Tribunal: il s'agit du deuxième et du quatrième moyen ainsi que de la seconde branche du cinquième.

    22 La classification qui précède a pour seule vertu d'introduire un peu de clarté dans le débat, mais elle peut s'avérer artificielle dès lors que les arguments articulés à propos de certains moyens l'ont également été à propos d'autres. Tous les moyens présentent des points de connexion avec d'autres, ce qui m'obligera plusieurs fois à faire marche arrière pour reprendre le fil d'un argument que j'aurai momentanément laissé en suspens.

    1. Les moyens de forme

    A. L'absence de réponse à la proposition de preuve par témoins (premier moyen)

    23 Le droit à un jugement juste et équitable est un principe général du droit communautaire qui s'inspire de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (15). Le droit de fournir la preuve et d'utiliser les moyens nécessaires pour établir les faits sur lesquels est fondé l'intérêt juridiquement protégé que chaque partie litigante défend fait partie de l'ensemble des facultés qui composent la garantie d'un jugement juste. S'il est vrai que ce droit n'empêche pas la juridiction saisie d'apprécier la pertinence des moyens de preuve qui lui sont proposés et de rejeter ceux qui lui paraissent sans lien avec le litige, il est tout aussi vrai que ce rejet doit être motivé et qu'il n'y a pas plus grand défaut de motifs que le silence.

    24 Les formes, y compris les formes de procédure, sont un outil, jamais une fin. Pour qu'un moyen de cette nature puisse prospérer dans un pourvoi, il ne suffit pas qu'un vice de forme se soit produit, mais il faut encore qu'il se matérialise et que son existence entraîne pour la partie qui l'invoque une limitation effective de ses moyens de défense. De surcroît, celui qui dénonce une situation attentatoire à ses droits de la défense du fait de la présence d'un vice de procédure doit l'avoir ressenti ainsi lorsqu'il s'est produit et l'avoir dénoncé à la première occasion.

    25 Ismeri dit avoir proposé l'audition de neuf témoins dans la requête et que le Tribunal n'a pas répondu expressément à sa demande. Si ces deux affirmations sont constantes, elles ne représentent pas toute la vérité. Ismeri omet de dire qu'elle a renouvelé sa proposition de preuve par témoins dans son mémoire en réplique, mais uniquement «pour le cas où le Tribunal considérerait que la documentation jointe par la requérante et par la défenderesse n'est pas suffisante aux fins de la reconstitution des faits et de la constatation du caractère non fondé des observations que la Cour des comptes a formulées sur le comportement d'Ismeri». La demanderesse au pourvoi passe également sous silence le fait qu'à partir de ce moment-là, elle n'a plus, à aucun moment, rappelé au Tribunal qu'il devait statuer sur la proposition de preuve.

    26 Il résulte de ce qui précède que ce moyen du pourvoi est dénué de fondement. En premier lieu parce que, dans le mémoire en réplique, Ismeri a elle-même subordonné l'audition des témoins à la condition que le Tribunal juge insuffisante la documentation fournie par les parties. L'arrêt démontre qu'il en a jugé autrement (en particulier aux points 95 à 147). Qui plus est, la demanderesse semble elle-même ne pas avoir estimé que cette preuve était vraiment nécessaire puisqu'à l'issue de la phase écrite de la procédure et avant que le Tribunal statue, elle ne paraît pas avoir cru nécessaire de rappeler au Tribunal qu'il convenait d'administrer la preuve qu'elle avait initialement demandée et encore moins d'attirer son attention sur l'atteinte aux droits de la défense que l'absence de cette preuve pouvait provoquer. Je crois que la partie qui, par sa passivité ou sa négligence, a contribué à ce que se produise une situation portant atteinte aux droits de la défense ne peut pas se prévaloir de la violation de ceux-ci. Tout porte à croire qu'Ismeri n'a formulé ce moyen à l'appui de son pourvoi qu'en raison du dépit que lui causait sa défaite et qu'elle n'a utilisé que comme un prétexte le vice de forme qu'elle avait jugé dénué de pertinence en son temps.

    27 Ce moyen du pourvoi s'inscrit en filigrane d'un argument récurant dans le discours d'Ismeri. Le Tribunal a préféré suivre la version des faits fournie par la Cour des comptes et n'a pas voulu ordonner la production des preuves que la société requérante lui avait proposée. Administré dans de telles conditions, ce moyen s'avère manifestement irrecevable. C'est au Tribunal qu'il appartenait de constater les faits du litige en appréciant les éléments de preuve dont il disposait. La Cour saisie d'un pourvoi ne peut s'engager sur ce terrain que si les preuves ont été obtenues à la faveur d'une violation d'une disposition ou d'un principe général du droit communautaire ou si le Tribunal a enfreint les règles d'administration et d'appréciation de la preuve en donnant à celles-ci une interprétation illogique ou arbitraire qui les dénature. Sans préjudice du contrôle de la qualification juridique qui leur aurait été donnée, la Cour ne peut jamais statuer sur les faits, mais uniquement réformer l'arrêt en remédiant à la violation de droit que le Tribunal aurait commise (16).

    B. Violation du principe dispositif (troisième moyen)

    a) Le Tribunal ne s'est pas prononcé sur la violation alléguée du droit d'Ismeri à être entendue par la Cour des comptes

    28 Ne pas répondre à un argument est un déni de justice qui touche directement le coeur même du droit à un procès équitable. Si toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue, lui opposer le silence est la plus grave méconnaissance de ce droit.

    29 Ismeri avait formulé trois prétentions devant le Tribunal. Par la première, dont le contenu est complexe, elle souhaitait que le Tribunal reconnaisse qu'elle avait le droit d'être entendue par la Cour des comptes avant la publication d'un rapport qui la touchait directement et qu'il déclare que cette institution avait enfreint ce droit. La deuxième prétention visait à obtenir une réparation des dommages et préjudices qu'elle prétendait avoir subis du fait que la Cour des comptes avait violé son droit d'être entendue. La troisième prétention, enfin, visait à ce que la Cour des comptes soit condamnée à publier les observations qu'Ismeri avait formulées sur le rapport spécial n_ 1/96. Je vais d'abord examiner la première prétention et m'étendrai sur les deux autres ultérieurement.

    30 Ismeri fait grief au Tribunal de n'avoir pas statué sur sa première prétention (17). Il est exact que, dans son arrêt, le Tribunal a passé cette première prétention sous silence et a directement examiné la deuxième, qu'il a rejetée au motif que, même dans l'hypothèse où la Cour des comptes aurait dû entendre Ismeri avant de publier son rapport et que, ne l'ayant pas fait, elle aurait commis un acte illégal, sa responsabilité extracontractuelle n'était pas engagée parce qu'il n'existait aucun lien de causalité entre cet hypothétique comportement fautif et le préjudice que la société prétendait avoir subi.

    31 Or, pour qu'il puisse y avoir violation du principe dispositif, il est indispensable que la prétention à laquelle il n'a pas été répondu soit pertinente et qu'elle mérite donc qu'on l'examine et qu'on y réponde. Si tel n'était pas le cas, le silence de la juridiction serait sans incidence. Ne peut se plaindre de n'avoir pas été entendu que celui qui avait le droit de l'être.

    32 Ismeri avait commencé sa requête en disant qu'elle exerçait une action en responsabilité extracontractuelle sur le pied des articles 215, deuxième alinéa, et 178 du traité. Lorsqu'elle a formulé les conclusions de sa requête, elle a cependant été au-delà et n'a pas seulement demandé au Tribunal de déclarer que la responsabilité de la Cour des comptes était engagée, mais également de reconnaître son droit à être entendue par cette institution, de déclarer que celle-ci avait violé ce droit et de la condamner à publier les observations qu'elle, Ismeri, avait formulées à propos du rapport spécial n_ 1/96. Ces prétentions n'ont pas seulement été formulées en tant que prémisse et effet de la déclaration de responsabilité, mais également comme étant des conclusions autonomes.

    33 Rien ne s'opposait à ce qu'elle adopte cette attitude. Le cumul d'actions distinctes dans une même procédure est parfaitement recevable (18) pourvu et à condition que ces actions soient connexes et ne soient pas incompatibles. Un tel comportement est parfaitement conforme à une règle métajuridique d'économie de procédure. Le cumul des actions cache cependant des motifs à portée juridique: il s'agit d'éviter de morceler le contenu de la cause et de prévenir tout risque de contradiction.

    b) Le recours en annulation et la Cour des comptes

    34 La question qui se pose à présent est celle de savoir si une action en déclaration telle que celle qu'Ismeri a exercée est possible, c'est-à-dire si elle pouvait demander au Tribunal de reconnaître qu'elle avait le droit d'être entendue à propos du rapport spécial n_ 1/96 de la Cour des comptes et de déclarer, le cas échéant, que ce droit avait été violé. Ce qu'Ismeri a demandé au Tribunal, c'est de contrôler la légalité de la procédure au terme de laquelle la Cour des comptes a adopté son rapport spécial et de constater qu'elle est entachée de vices de forme substantiels.

    35 Une première approche semble dicter une réponse négative à cette question. Les recours formés sur le pied de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE) ne peuvent avoir pour objet que de faire annuler l'acte contre lequel ils sont dirigés (19); ils ne peuvent poursuivre la simple constatation de points de fait ou de droit (20). Ce qu'Ismeri demande, c'est l'annulation du rapport spécial n_ 1/96 (le point de savoir si un tel acte peut être annulé est une autre question, à laquelle je reviendrai ultérieurement). En effet, déclarer que le droit de se défendre et d'obtenir un débat contradictoire dans la procédure suivie pour l'adoption du rapport spécial n_ 1/96 a été enfreint rendrait cet acte invalide et obligerait donc à l'annuler.

    i) La possibilité d'engager des recours en annulation contre les actes de la Cour des comptes

    36 L'article 173 du traité vise uniquement les actes adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, les actes du Conseil, de la Commission et de la BCE autres que les recommandations et les avis ainsi que les actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers. Cet article ne mentionne pas la Cour des comptes. Ainsi donc, à s'en tenir à la lettre de cette disposition, le rapport de la Cour des comptes et la procédure que celle-ci a suivie pour l'adopter ne seraient pas susceptibles d'un contrôle juridictionnel, de sorte que le recours d'Ismeri serait irrecevable sur ce point. Le silence du Tribunal serait dès lors dépourvu de pertinence et ce moyen du pourvoi serait donc non fondé.

    37 Je crois cependant que le raisonnement ne peut en rester là et qu'il doit aller plus loin. Il convient de se pencher sur la raison d'être de cette disposition du traité pour déterminer si, en effet, les actes de la Cour des comptes ne peuvent pas faire l'objet de recours en annulation. A bien analyser l'article 173 du traité, on s'aperçoit que le recours en annulation poursuit une double finalité: il s'agit, d'une part, de contrôler que les institutions respectent le droit communautaire et, d'autre part, de défendre les droits des parties requérantes (autres que les institutions communautaires, les États membres ou les particuliers) face aux actes des institutions. On ne conçoit guère dès lors qu'une d'entre elles, la Cour des comptes, bénéficie d'une sorte d'immunité (21). Il ne fait aucun doute que cette institution est bel et bien une institution communautaire puisque le traité sur l'Union européenne lui a conféré cette qualité (22) en la faisant figurer à l'article 4 du traité CE (qui est désormais l'article 7 CE), bien que la reconnaissance de ce rang est paradoxale (23) puisque, contrairement aux autres institutions, elle ne participe à l'exercice d'aucun des pouvoirs essentiels de la Communauté. En revanche, elle possède l'autonomie de gestion, la capacité juridique et le pouvoir de se doter librement de son propre règlement intérieur.

    38 Ce n'est pas la première fois que la Cour est confrontée à la question de savoir si l'article 173 du traité s'applique aux actes d'institutions qui ne sont pas désignées dans le texte de cette disposition. Elle l'a examinée pour la première fois dans l'arrêt du 10 février 1983, Luxembourg/Parlement, (24) mais elle s'est montrée évasive et s'est abstenue de préciser si l'article 173 du traité était susceptible d'une interprétation extensive autorisant les recours en annulation contre les actes du Parlement (25). Ce n'est que plus tard, dans son arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, (26) que la Cour a admis qu'elle était compétente à connaître d'un recours en annulation dont elle avait été saisie conformément à l'article 173 du traité contre un acte du Parlement européen destiné à produire des effets juridiques à l'égard de tiers. Depuis cet arrêt, elle a toujours confirmé cette jurisprudence (27).

    39 Dans cet arrêt Les Verts/Parlement, la Cour a souligné que la Communauté européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité. Par ses articles 173 et 164 (devenu article 220 CE), d'une part, et par son article 177 (devenu article 234 CE), d'autre part, le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions. Ce système consiste à ouvrir un recours direct contre «toutes dispositions prises par les institutions et visant à produire un effet juridique» (28).

    40 La Cour a résolu le problème du silence de l'article 173 concernant le Parlement en déclarant que, s'il ne figurait pas expressément parmi les institutions dont les actes peuvent être attaqués, c'est parce que le traité, dans sa version originaire, ne lui conférait que des pouvoirs consultatifs et de contrôle politique et non pas le pouvoir d'adopter des actes destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers. Lorsque le Parlement avait la possibilité d'adopter des dispositions de cette nature, elles pouvaient faire l'objet de recours en annulation. Tel était le cas de l'article 38 du traité CECA. Par conséquent, lorsque le Parlement a acquis le pouvoir d'adopter, dans le domaine du traité CEE, des actes et dispositions susceptibles de produire des effets externes, force était de considérer que son activité devait être soumise au contrôle de la Cour en application de l'article 173. Une interprétation de cette disposition «qui excluerait les actes du Parlement européen de ceux qui peuvent être attaqués aboutirait à un résultat contraire tant à l'esprit du traité tel qu'il a été exprimé dans l'article 164 qu'à son système» (29).

    41 Cette jurisprudence a été intégrée dans le premier alinéa de l'article 173 par l'article G, point 53, du traité sur l'Union européenne et fait désormais partie de l'actuel article 230 CE. Conformément au nouveau texte, la Cour de justice contrôle également les «actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers».

    42 On voit donc qu'en matière de recours en annulation, la situation actuelle de la Cour des comptes est la même que celle du Parlement en 1986 et l'on conçoit que les raisons que la Cour a énoncées dans son arrêt Les Verts/Parlement précité s'appliquent aujourd'hui à la Cour des comptes.

    43 Les institutions sont chargées, chacune dans le domaine de compétence que lui attribue le traité, de réaliser les objectifs de la Communauté (article 4 du traité). La réalisation de ces objectifs, qui sont énoncés à l'article 2, implique la mise en oeuvre de politiques et d'activités qui, à l'instar de celles qui sont prévues à l'article 3, sont susceptibles de toucher la sphère juridique des sujets de droit des différents États membres. L'Europe des citoyens esquissée aux articles 8 à 8 E du traité CE (devenus, après modification, articles 17 à 22 CE) ne pourrait pas être une réalité si ceux qui en sont les ultimes destinataires (article 8, paragraphe 2) ne disposaient pas de moyens adéquats d'obtenir une protection juridictionnelle face aux actes des institutions. C'est d'ailleurs ce qu'impose le droit fondamental reconnu par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'Union européenne s'est engagée à respecter (30).

    44 Le constituant communautaire a voulu que les actes de toutes les institutions soient soumis au contrôle juridictionnel de la Cour dans la mesure où ils sont susceptibles de produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers. La Cour des comptes étant une institution communautaire, rien ne s'oppose à ce que la Cour reçoive des recours en annulation dirigés contre ces actes (31).

    ii) La notion d'actes sortissant des effets juridiques vis-à-vis des tiers

    45 Pour préciser cette notion, il n'est pas superflu de jeter un coup d'oeil à la jurisprudence de la Cour, qui nous enseigne que la dénomination ou la forme de l'acte ne sont pas déterminantes. Ce qui importe, c'est son contenu et à sa portée (32). Sont susceptibles de recours tous les actes sortissant des effets juridiques obligatoires qui sont susceptibles d'affecter les intérêts de la partie requérante en modifiant sa situation juridique. Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour a déclaré recevable un recours en annulation engagé contre une délibération du Conseil invitant les États membres à conclure un accord international pour le compte de la Communauté (33) ainsi qu'un recours dirigé contre une communication de la Commission qui, sous le couvert d'interpréter les dispositions d'une directive, imposait de nouvelles obligations aux États membres (34).

    46 La forme de l'acte est sans importance. En effet, la Cour a considéré qu'étaient recevables un recours contre une lettre (35) et même un recours contre une décision verbale (36).

    47 Sont, en revanche, irrecevables les recours engagés contre des actes qui n'ont pas le pouvoir de créer, par eux-mêmes, des droits et obligations vis-à-vis de tiers. C'est la raison pour laquelle la Cour a rejeté les recours intentés contre des mesures d'ordre domestique qui ne sortissent aucun effet en dehors de la sphère interne de l'institution auteur de l'acte (37). De la même manière, sont irrecevables les recours formés contre des actes préalables ou postérieurs à une décision définitive dans une procédure complexe. Les vices des actes préparatoires d'un acte ultérieur contenant la décision de l'institution doivent être dénoncés à l'occasion du recours engagé contre la décision elle-même (38) ce qui ne veut pas dire que les actes préparatoires ne peuvent pas faire l'objet d'un recours autonome dans la mesure où ils sortissent des effets juridiques réglant de manière définitive un aspect de la procédure principale. Pour la même raison, les actes qui ont pour seul objet de reproduire ou de confirmer des actes antérieurs (39) et les actes de simple exécution (40) ne sont pas davantage susceptibles de recours.

    48 Maintenant que j'ai établi que toutes les institutions communautaires, sans exception, sont soumises au contrôle juridictionnel de la Cour et du Tribunal par le biais de recours en annulation lorsqu'elles adoptent des actes qui produisent des effets juridiques vis-à-vis de tiers, la question à laquelle il me faut désormais répondre est celle de savoir si la Cour des comptes peut prendre des décisions présentant cette caractéristique. Plus précisément, il faudra déterminer si les rapports qu'elle établit sont des actes capables de produire des effets juridiques ad extra. Pour répondre à cette question, il faut analyser la nature de l'activité de cette institution.

    ii.a) La nature de l'activité de la Cour des comptes

    49 La Cour des comptes (41) a une double fonction: il s'agit à la fois d'un organe de contrôle et d'un organe consultatif. Dans l'exercice de son premier rôle, elle examine les comptes de la Communauté en passant au crible toutes les recettes et toutes les dépenses de celle-ci. Ses diligences portent aussi bien sur la légalité et la régularité des unes et des autres que sur la bonne gestion financière. En particulier, elle doit signaler toute irrégularité qu'elle constaterait. Pour rassembler les informations dont elle a besoin pour remplir sa mission, la Cour des comptes peut effectuer les enquêtes comptables nécessaires sur place auprès des institutions concernées, dans les locaux de tout organisme gérant des recettes ou des dépenses de la Communauté, y compris dans les locaux de toute personne physique ou morale bénéficiaire de versements provenant du budget, lesquels sont par ailleurs tenus de lui communiquer tout document ou toute donnée utile à cette fin. Cette activité trouve son aboutissement matériel dans des rapports et des observations. La seconde fonction, qui est une fonction de consultation, s'exprime par des avis (42).

    50 Les rapports (annuels ou spéciaux) de la Cour des comptes contiennent ses opinions et ses observations sur la gestion financière qu'elle a analysée. Ils sont l'aboutissement d'une procédure au cours de laquelle, après avoir réalisé des contrôles précis, elle évalue les résultats, non sans avoir préalablement donné à l'institution contrôlée l'occasion de manifester son opinion sur les commentaires de l'organe de contrôle, ce qui contribue à garantir l'exactitude et le bien-fondé de ses affirmations (43). Mais, par leur nature même, les rapports ne sont pas susceptibles de produire directement des droits et obligations dans le chef des institutions ou des organes contrôlés. Ils ne contiennent aucune décision et ne font qu'exprimer une opinion.

    ii.b) La fonction de contrôle et la surveillance de l'exécution du budget communautaire

    51 Cette fonction de contrôle de la Cour des comptes fait partie d'un processus beaucoup plus vaste, qui est l'exécution du budget de la Communauté par le Conseil et le Parlement européen. Le contrôle de cette exécution comporte une procédure de reddition des comptes ou de «décharge» dans laquelle, par ses rapports et informations, la Cour des comptes joue un rôle indispensable, (44) mais auxiliaire, à savoir qu'elle doit assister ces deux institutions en leur manifestant son opinion sur l'exécution budgétaire (45). La décision finale d'approbation de la gestion appartient au Parlement, qui se prononcera sur proposition du Conseil (46).

    52 C'est la raison pour laquelle un rapport de la Cour des comptes n'est pas, selon moi, un acte susceptible de produire des effets juridiques vis-à-vis de tiers et ne peut pas, conformément à la jurisprudence de la Cour, faire l'objet d'un recours en annulation. En conséquence, le fait que le Tribunal de première instance n'ait pas répondu à la prétention d'Ismeri est dénué de pertinence, puisqu'en tout état de cause, elle était irrecevable, et le moyen s'avère à nouveau dépourvu de fondement.

    iii) Le délai d'introduction d'un recours en annulation

    53 On pourrait soutenir que la jurisprudence de la Cour n'exige pas que l'acte de l'institution affecte directement la sphère juridique de son destinataire et soit susceptible de la modifier, et qu'il suffirait qu'il ait sur elle une simple incidence, même indirecte, (47) comme peut en avoir le fait d'être mentionné en termes peu élogieux dans un rapport de la Cour des comptes publié au Journal officiel des Communautés européennes.

    54 Mais, même si tel était le cas, la première prétention d'Ismeri serait irrecevable parce qu'intempestive. En effet, conformément au cinquième alinéa de l'article 230 CE, Ismeri aurait dû introduire son recours dans un délai de deux mois à compter de la publication du rapport au Journal officiel des Communautés européennes, ce qu'elle n'a pas fait. Le rapport spécial n_ 1/96 a été publié le 19 août 1996 et la requête a été présentée au Tribunal de première instance le 20 octobre 1997 (48). Son action avait déjà expiré à cette seconde date et était donc irrecevable, de sorte que, vu sous cet angle, le rapport s'était converti en un acte définitif.

    55 Comme j'ai déjà eu l'occasion de le signaler à une autre occasion, (49) la règle générale qui empêche d'attaquer les actes définitifs ne s'applique pas aux actes nuls de plein droit, c'est-à-dire aux actes entachés d'un vice irréparable auquel ni le temps ni le consentement tacite de la partie affectée ne peuvent remédier. Comme exemples classiques d'actes nuls de plein droit, j'ai mentionné à l'époque les actes adoptés par un organe manifestement incompétent ou ceux qui l'ont été en méconnaissance totale et absolue de la procédure légale. J'avais rappelé également que la Cour avait utilisé la notion d'acte inexistant pour consacrer, quoique assez restrictivement, cette catégorie juridique et ses effets (50).

    56 Selon moi, le vice de forme qui, selon Ismeri, entacherait la procédure que la Cour des comptes a suivie pour adopter son rapport spécial n_ 1/96 n'est pas susceptible de convertir celui-ci en un acte matériellement inexistant. Il pourrait tout au plus s'agir d'un acte annulable dans la mesure où, parce qu'elle n'a pas été entendue avant son adoption, la société requérante aurait ainsi vu ses moyens de défense diminués. Elle aurait cependant dû réagir dans le délai prévu par le traité, ce qu'elle n'a pas fait, comme nous venons de le voir.

    57 En conclusion, rien n'autorise à penser que la première prétention d'Ismeri puisse être recevable et, partant, que le silence du Tribunal de première instance puisse être considéré comme un déni de justice résultant d'une violation du principe dispositif par omission.

    2. La contestation des faits établis par le Tribunal de première instance (sixième moyen et première branche du cinquième moyen)

    58 Au point 27 des présentes conclusions, j'ai rappelé que, lorsqu'elle est saisie d'un pourvoi, la Cour n'a pas à s'engager sur le terrain des faits. Je vais examiner à présent les motifs pour lesquels Ismeri conteste l'exposé des faits que le Tribunal a donné dans son arrêt afin de déterminer, le cas échéant, si ces motifs nous donnent une clé permettant d'ouvrir une porte qui, à défaut, devrait rester fermée.

    59 Ismeri prétend que le Tribunal se trompe lorsqu'il affirme que l'agence joue un rôle décisif dans l'adjudication des contrats d'assistance technique, (51) lorsqu'il commente les contrats qui lui ont été attribués (52) et lorsqu'il relate la phase expérimentale, au cours de laquelle les contrats étaient attribués directement (53).

    60 En ce qui concerne le rôle décisif de l'agence dans l'adjudication des contrats, il suffit de lire la demande de pourvoi (points 91 à 98) pour constater que la société requérante se contente purement et simplement de prendre le contre-pied des conclusions en fait auxquelles le Tribunal a abouti. Pour conclure que l'agence intervenait de manière déterminante dans l'adjudication des contrats, le Tribunal s'est fondé sur des faits qu'Ismeri ne conteste pas, à savoir la composition de l'agence, ses attributions et son fonctionnement. Comme il ne semble pas que sa déduction soit arbitraire, invraisemblable ou absurde, ce moyen du pourvoi est irrecevable.

    61 Ismeri prétend que le Tribunal n'a pas correctement relaté la fin de la phase expérimentale, au cours de laquelle les contrats étaient adjugés directement, (54) et qu'il s'est trompé à propos des deux contrats d'assistance technique dont Ismeri a été - et ne conteste pas avoir été - l'adjudicataire une fois que l'agence a été constituée. Les erreurs dont elle fait état ne sont cependant pas pertinentes.

    62 Pour apprécier correctement la portée de ces soi-disant erreurs, il importe de bien garder présent à l'esprit le contexte dans lequel le Tribunal les aurait commises. C'est dans le cadre du raisonnement qu'il a tenu à propos de l'existence du conflit d'intérêts dénoncé par la Cour des comptes dans le rapport spécial n_ 1/96 que le Tribunal a fait les affirmations en fait qu'Ismeri conteste. Il a estimé que ce conflit était réel en se fondant sur des éléments de fait qui n'étaient pas contestés, à savoir les fonctions de l'agence, sa composition, la présence d'un dirigeant d'Ismeri dans son conseil d'administration et le fait que divers contrats d'assistance technique avaient été adjugés à cette société. Des faits tels que la date à laquelle la phase expérimentale a pris fin ou le fait de savoir si un des contrats a été adjugé sur proposition de l'agence ou à la suite d'une instruction directe de la Commission sont dès lors dépourvus de pertinence.

    63 À supposer même que le Tribunal se soit trompé sur ce point, son erreur serait sans importance pour le règlement du litige. Il en résulte que le moyen du pourvoi est dénué de fondement.

    64 Les divergences d'opinion entre Ismeri et le Tribunal en ce qui concerne les faits ne s'arrêtent pas ici. La société requérante a contesté, dans le dernier moyen de son pourvoi en première instance, que son représentant au conseil d'administration de l'agence ait rechigné à présenter sa démission. L'argumentation qu'elle a développée à ce propos (points 122 et suivants) démontre clairement qu'en fin de compte, Ismeri conteste l'appréciation des preuves faite par le Tribunal et le crédit qu'il a apporté aux documents dont il disposait pour fonder sa décision (55). Des arguments de cet ordre n'ont pas leur place dans un pourvoi. C'est la raison pour laquelle ce moyen - le sixième - doit lui aussi être déclaré irrecevable.

    3. Les questions de fond (deuxième et quatrième moyens et seconde branche du cinquième moyen)

    A. La notion de «confusion d'intérêts»

    65 J'entamerai l'examen des moyens relatifs à l'interprétation en droit que le Tribunal a donnée dans l'arrêt litigieux par la seconde branche du cinquième moyen, dans laquelle Ismeri discute de la notion de «confusion d'intérêts» (56).

    66 Le terme confusion désigne le manque de clarté qui engendre le désordre. Lorsqu'un sujet de droit occupe une position juridique dans laquelle il est amené à défendre des intérêts - publics ou privés - antagonistes de ses propres intérêts, il se produit cette ambiguïté propre aux situations confuses. Personne, pas même Ismeri, ne songerait à contester qu'il existe bel et bien un conflit d'intérêts dans la situation, par exemple, d'un membre de la Cour des comptes qui serait en même temps propriétaire d'une entreprise bénéficiant de fonds communautaires contrôlés par cette institution. C'est la raison pour laquelle nul ne peut contester, pas même Ismeri, qu'il y a également conflit d'intérêts lorsque celui qui doit faire des recommandations (ou qui fait partie de l'organisme dont c'est la mission) en vue de l'adjudication de marchés publics est également dirigeant d'une des entreprises qui participent à l'appel d'offres. Dans l'un comme dans l'autre cas, l'intérêt particulier de celui qui doit administrer ou gérer l'intérêt public, lequel doit guider les activités de contrôle financier ou de conseil, fait obstacle au bon service dudit intérêt public.

    67 On ne voit dès lors guère quel grief on pourrait adresser aux affirmations que le Tribunal a faites sur ce point dans l'arrêt entrepris, et notamment pas à l'encontre des affirmations qui figurent aux points 112 (57) et 119 (58). Tout autre est la question concernant les faits sur lesquels le Tribunal a fondé de telles affirmations. Néanmoins, comme je l'ai déjà dit plus haut, la Cour n'a pas à aborder cette question puisque la partie requérante ne lui a pas fourni les raisons qui lui permettraient de s'engager sur ce terrain, dont l'accès lui est en principe interdit.

    B. Les rapports de la Cour des comptes, les indications nominatives et la procédure d'audition

    68 Les deux autres moyens relatifs au fond de la question litigieuse peuvent être traités conjointement et, donc, obtenir une réponse unique. Ismeri conteste les appréciations que le Tribunal a portées

    - à propos du fait que la Cour des comptes n'avait pas entendu la requérante avant de publier son rapport; Ismeri considère qu'en écartant ce moyen comme dénué de pertinence aux fins de la décision relative à l'action en responsabilité, le Tribunal aurait méconnu la raison d'être du principe du contradictoire et l'obligation d'en faire application dans les procédures devant la Cour des comptes (deuxième moyen);

    - à propos des indications nominatives dans les rapports de la Cour des comptes (quatrième moyen).

    À y regarder de plus près, la question que soulèvent ces deux moyens du pourvoi est celle de savoir si la Cour des comptes peut citer nommément des personnes ou des entreprises dans ses rapports et si elle doit donner à celles-ci la possibilité d'être entendues.

    69 J'observe en premier lieu que nous assistons ici à la résurrection d'une discussion que l'on croyait morte et qu'Ismeri a rouverte de manière intempestive dans sa requête, dont c'est la première conclusion. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose, a fortiori si l'on considère que la réponse fournie par le Tribunal à la demande d'indemnisation pour responsabilité extracontractuelle est juridiquement correcte, même si l'on peut s'interroger sur son opportunité étant donné qu'elle passe à côté du noyau du débat.

    70 Néanmoins, conscient de la fonction juridictionnelle qui m'incombe d'assister la Cour dans l'accomplissement de sa mission (article 222 CE, deuxième alinéa), je vais exprimer mon opinion sur le sujet.

    a) Les mentions nominatives

    71 Pour se prononcer sur la question de savoir si, dans ses rapports, la Cour des comptes peut désigner nommément les personnes responsables des irrégularités qu'elle a constatées, il faut se rappeler très précisément la fonction qui est la sienne, et que j'ai déjà eu l'occasion d'exposer plus haut, et en particulier la raison d'être de ses attributions de contrôle. La Cour des comptes examine et analyse toutes les recettes et dépenses de la Communauté, et elle le fait pour assurer une bonne gestion financière. À cette fin, elle travaille en collaboration avec le Parlement européen et avec le Conseil. Une des manifestations de cette coopération est l'obligation qu'elle a de signaler les irrégularités qu'elle découvre. Elle doit attirer l'attention sur les dysfonctionnements qu'elle discerne afin qu'à l'avenir, ils puissent être corrigés par qui de droit et ne se reproduisent plus. Sa fonction est une fonction d'auxiliaire: elle informe et, le cas échéant, elle conseille, mais en aucun cas elle ne décide, ne menace ou ne sanctionne.

    72 Pour qu'elle puisse s'acquitter de la mission qui lui a été confiée, il faut donc que les faits constitutifs d'une irrégularité ou d'une pratique répréhensible soient connus. En revanche, il n'est pas nécessaire d'en identifier les auteurs. Il suffit de décrire objectivement la situation pour que ceux dont c'est la compétence puissent adopter les mesures qui permettront d'y remédier.

    73 En règle générale, donc, la Cour des comptes ne peut pas identifier, dans les rapports qu'elle publie, les personnes, physiques ou morales, qui sont responsables des mauvaises pratiques financières et des irrégularités qu'elle a découvertes. Cette règle est imposée par le principe de confidentialité qui a été inscrit dans le droit communautaire aussi bien par le législateur (59) que par le juge, (60) principe qui est la réplique du droit fondamental énoncé à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Comme toute règle générale, celle-ci souffre un certain nombre d'exceptions.

    74 La première exception est imposée par des raisons du même type que celles qui interdisent à la Cour des comptes de faire des références nominatives dans ses rapports. Lorsqu'il est indispensable d'identifier le coupable pour atteindre l'objectif que poursuit la dénonciation des irrégularités qu'elle découvre, la Cour des comptes non seulement pourra citer nommément ce coupable, mais elle sera même obligée de le faire. En effet, l'intérêt public sur lequel ses compétences sont fondées exige qu'en pareils cas, elle indique le ou les responsables.

    75 L'affaire dont la Cour doit connaître aujourd'hui est une de celles qui relèvent de cette exception. Comme chacun sait, l'irrégularité dénoncée par la Cour des comptes consistait en ce que deux bureaux d'assistance technique, qui s'étaient vu attribuer deux contrats pour le suivi des programmes MED, étaient représentés l'un et l'autre par un de leurs dirigeants au conseil d'administration de l'agence, ce qui, à tout le moins, donnait lieu à une situation de confusion d'intérêts. Pour y remédier, il fallait non seulement que ces deux dirigeants remettent leur démission, ce qu'ils ont fait, non sans difficultés, avant la publication du rapport, mais il fallait également revoir la conception, la gestion et la mise en oeuvre des programmes MED (61). En pareille situation, il était indispensable de désigner nommément les deux bureaux concernés afin de pouvoir tenir compte de leur situation antérieure dans l'organisation future des programmes.

    76 La seconde exception à la règle générale est abordée par le Tribunal au point 109 de son arrêt. Elle est précisément fondée sur la même valeur que celle qui impose, en règle générale, de garder le secret sur les responsables d'irrégularités dans la gestion budgétaire. Lorsque le silence peut être source de doutes, faire tache d'huile et donner lieu à des supputations étendant la responsabilité des pratiques budgétaires irrégulières à des personnes qui y sont totalement étrangères, le principe de confidentialité doit être assoupli afin que la lumière puisse être faite là où les ténèbres sont susceptibles de porter préjudice aux intérêts légitimes de ceux qui sont vierges de toute responsabilité dans la situation dénoncée.

    77 Seuls deux des quatre administrateurs de l'agence se trouvaient dans la situation de confusion d'intérêts épinglée par la Cour des comptes. En se limitant à décrire objectivement les faits sans préciser qui étaient les administrateurs impliqués, la Cour des comptes aurait soulevé des doutes sur le comportement de ceux qui étaient innocents de l'irrégularité incriminée.

    78 Les deux exceptions que je viens de préciser visent aussi bien les fonctionnaires et agents des institutions communautaires contrôlées que ceux qui, sans avoir cette qualité, gèrent et administrent le budget et même ceux qui bénéficient de fonds publics communautaires. La Cour des comptes est compétente à examiner toutes les recettes et dépenses de la Communauté et elle peut, pour mener à bien sa mission, solliciter la collaboration de ceux qui manipulent des fonds budgétaires et exiger d'avoir accès à leurs locaux (62). Ceux qui administrent de tels fonds et, le cas échéant, ceux qui en reçoivent le font pour satisfaire aux fins de la Communauté. Dans la mesure où ils agissent sur mandat des institutions communautaires, ils demeurent soumis au contrôle de la Cour des comptes (63).

    79 La règle générale est donc le secret, mais elle souffre des exceptions. Il n'en demeure pas moins que lorsqu'il s'impose d'identifier les responsables des irrégularités à propos desquels la Cour des comptes a émis des appréciations critiques, il faut encore respecter le principe de proportionnalité, conformément auquel les actes des institutions communautaires ne peuvent pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu'un choix s'offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante (64). Ce principe exige donc que les données permettant l'identification des auteurs ainsi que l'étendue et le contenu des jugements de valeur exprimés dans le rapport n'aillent pas au-delà de ce qui est strictement indispensable à la sauvegarde des valeurs qui justifient que la règle générale de confidentialité cède le pas à l'exception.

    80 Ce dont il s'agissait en l'espèce, c'était de remédier, pour le présent et pour l'avenir, à la situation de confusion d'intérêts dans laquelle se trouvaient deux des bureaux d'assistance technique du fait qu'ils étaient représentés chacun par un de leurs dirigeants au conseil d'administration de l'agence. Comme je l'ai déjà signalé, il était indispensable à cet effet de les identifier dans le rapport, identification qui était par ailleurs équitable dans la mesure où il s'agissait d'éviter de jeter le discrédit sur le comportement des deux autres administrateurs. La Cour des comptes l'a fait de la manière la moins dommageable pour tout le monde: elle a identifié les deux administrateurs impliqués en désignant nommément les bureaux d'assistance technique dont ils étaient les dirigeants et elle a ainsi atteint les deux objectifs. Je considère qu'elle a pleinement respecté le principe de proportionnalité et le principe du moindre dommage.

    81 Ismeri prétend qu'en tout état de cause, la Cour des comptes a enfreint le principe de proportionnalité parce que, dans son rapport, elle a évoqué les éventuelles responsabilités pénales que les faits qu'elle décrivait étaient susceptibles d'impliquer. Il se fait néanmoins que, parmi les principales versions linguistiques du rapport, la seule qui utilise un terme visant spécifiquement des responsabilités d'ordre criminel est la version italienne (65). Les autres versions contiennent des expressions moins précises, qui sont susceptibles de désigner des imputations de toute nature, qu'elles soient civiles, pénales ou simplement administratives (66).

    82 Quoi qu'il en soit, la Cour des comptes s'est limitée à rapporter (67) qu'eu égard à la gravité des faits, elle avait immédiatement informé la Commission afin que celle-ci puisse prendre les mesures nécessaires et examiner la nécessité éventuelle d'engager «une action pénale» contre les responsables. La Commission lui a répondu qu'elle avait l'intention d'ouvrir une enquête et, le cas échéant, «»d'«engager une procédure pénale». (68) Il n'y a ici aucun jugement de valeur qui n'ait été nécessaire et auquel on puisse reprocher d'être disproportionné. La Cour des comptes a exposé la manière dont les programmes MED sont gérés, comment sa mission d'enquête sur le système s'était déroulée, en particulier, en ce qui concerne la délégation de compétences, et elle a expliqué comment, au cours de cette procédure, elle s'était jugée obligée d'avertir la Commission de la gravité des irrégularités qu'elle avait constatées et de la nécessité de définir les responsabilités. Le rapport de la Cour des comptes ne contient aucune affirmation de cette nature ni la moindre imputation de type pénal à l'encontre des responsables d'Ismeri, que ce soit dans ses conclusions ou dans les recommandations, où la Cour manifeste sa volonté et exprime son opinion (69).

    b) La procédure d'audition

    83 Tout autre est la question de savoir si, lorsque la Cour des comptes fait, dans ses rapports, des observations critiques sur les agissements de personnes physiques ou morales qu'elle cite nommément, elle doit leur donner l'occasion d'exprimer leurs opinions et de se défendre des imputations mises à leur charge.

    84 Il ne suffit pas, pour répondre à cette question, de reproduire ce que disent de la procédure d'audition le paragraphe 4 de l'article 248 CE et le paragraphe 1 de l'article 276 CE ni les précisions apportées à ce sujet par l'article 88 du règlement financier et l'article 32 du règlement intérieur de la Cour des comptes. Il résulte de ces dispositions que les institutions contrôlées peuvent manifester leur opinion sur les observations de la Cour des comptes à deux moments distincts:

    1_) elles peuvent le faire tout d'abord lorsque le rapport est encore à l'état de projet et avant que la Cour des comptes ne lui donne son statut de texte définitif (article 32 du règlement intérieur précité);

    2_) elles peuvent le faire ensuite après l'approbation du rapport par la Cour des comptes, laquelle remet ses observations aux institutions afin qu'elles puissent formuler les réponses qu'elles jugent appartenir et qui pourront être publiées à la suite du rapport (paragraphe 4 de l'article 248 CE et articles 88, paragraphes 1 et 3, et 90 du règlement financier) (70).

    85 Ces auditions ne sont pas des instruments garantissant les droits de la défense des institutions et des organismes contrôlés par la Cour des comptes. Elles ont pour objet d'aider celle-ci à formuler ses observations à bon escient et opportunément et d'aider le Parlement européen à adopter, dans les mêmes conditions, la décision qu'il rendra en temps voulu sur la gestion du budget.

    86 Je crois qu'Ismeri se trompe lorsqu'elle affirme qu'elle aurait dû être entendue, car cette possibilité est prévue au bénéfice des institutions. L'autorité contrôlée dans le rapport spécial n_ 1/96 est la Commission et, si Ismeri y est citée, c'est parce qu'à travers un de ses dirigeants, elle intervenait dans l'exécution du budget et qu'elle était en outre bénéficiaire de fonds communautaires.

    87 Ceci n'autorise cependant pas à affirmer qu'Ismeri n'avait pas le droit d'être entendue au cours de la procédure d'élaboration et d'adoption du rapport, mais ce droit est fondé sur des raisons différentes de celles qui dictent d'entendre les institutions. Elles ont donc une portée tout à fait différente.

    88 Les droits de la défense, qui reposent sur un principe général de l'ordre juridique communautaire, (71) impliquent que tout sujet de droit doit se voir donner l'occasion d'être entendu avant l'adoption d'une décision qui va l'affecter négativement de manière directe et individuelle, (72) non seulement dans les procédures juridictionnelles, mais également dans les procédures administratives, afin qu'il puisse exprimer son opinion avant que soit adopté l'acte lui faisant grief, et cela même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure (73).

    89 Le terme «affecter» a ici un sens beaucoup plus large que celui dans lequel je l'ai déjà utilisé lorsque j'ai expliqué qu'un rapport de la Cour des comptes n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation (74). Affecter signifie avoir une incidence défavorable sur la sphère juridique du destinataire, ce qui est le cas lorsque la Cour des comptes porte un jugement défavorable sur une personne, physique ou morale, dans un rapport qui doit être publié au Journal officiel des Communautés européennes afin d'être porté à la connaissance générale ou qui doit faire l'objet d'une diffusion «large» (75). Comme je l'ai déjà observé, il ne fait aucun doute que le rapport n'impose directement ni obligation ni charge à Ismeri. Il n'est pas moins vrai que le fait de la mentionner nommément est susceptible de nuire à son crédit et de lui causer des préjudices graves dans ses intérêts légitimes.

    90 J'estime, par conséquent, que, lorsque les circonstances qui, conformément aux considérations qui précèdent, justifient que la personne physique ou morale responsable d'irrégularités budgétaires soit nommément citée dans un rapport de la Cour des comptes sont réunies, elle doit se voir offrir l'occasion de se défendre, pourvu et à condition que le rapport soit destiné à être publié ou à connaître une large diffusion. Cette institution devra tenir compte de cet élément et organiser une audition s'il y a lieu.

    91 Dans le cas présent, la Cour des comptes n'a pas formellement donné à Ismeri la possibilité de se manifester avant d'approuver et de diffuser son rapport spécial n_ 1/96. Si la Cour devait estimer qu'il faut examiner les présents moyens du pourvoi, (76) elle devrait alors leur faire droit et déclarer que le droit à une audition contradictoire a été enfreint.

    C. Le rejet de la demande d'indemnisation et de la demande de publication des observations de la requérante sur le rapport de la Cour des comptes

    92 Faire droit au recours pour la raison que je viens d'exposer devrait avoir pour conséquence que la Cour accueille la première prétention formulée par Ismeri dans la requête. Après lui avoir reconnu le droit qu'elle invoque, la Cour devrait alors déclarer que ce droit a été enfreint par le Tribunal. J'estime néanmoins que la deuxième et la troisième prétentions sont vouées à l'échec.

    93 La troisième prétention ne saurait être accueillie parce que, si l'audition qu'il fallait accorder à Ismeri aurait eu pour fondement l'obligation de garantir les droits de la défense, l'intervention des institutions est, quant à elle, destinée à aider la Cour des comptes à rédiger ses rapports à bon escient et opportunément afin d'assurer au mieux les intérêts généraux communautaires. Ce ne sont donc pas les mêmes raisons et rien ne justifie que les observations d'Ismeri soient publiées au Journal officiel des Communautés européennes et qu'elles soient portées à la connaissance du Parlement européen. Les droits de la défense de la société requérante imposaient qu'elle soit entendue par la Cour des comptes, mais ils n'imposaient pas que ses observations soient publiées et portées à la connaissance de l'institution chargée d'approuver l'exécution du budget de la Communauté.

    94 La deuxième prétention, qui a trait à la responsabilité extracontractuelle, doit être rejetée parce qu'il n'y a pas, entre le comportement illégal allégué de la Cour des comptes et le préjudice qu'Ismeri prétend avoir subi, le nécessaire lien de causalité. Ce lien fait défaut, non pas pour les raisons exposées par le Tribunal, (77) mais parce que, si Ismeri a subi un quelconque préjudice, elle en est responsable.

    95 Les dommages et préjudices qu'Ismeri prétend avoir subis résulteraient des affirmations que contient le rapport spécial n_ 1/96 de la Cour des comptes. Ces affirmations sont toutefois fondées, du point de vue de la procédure en tout cas. L'agence, ses fonctions, la participation d'un de ses dirigeants à son conseil d'administration, l'adjudication de différents marchés et le peu d'empressement que le dirigeant en question a mis à démissionner sont des faits qui soit ne sont pas contestés par la requérante soit ont été déclarés établis par le Tribunal de première instance, qui a correctement fait usage de son pouvoir d'apprécier l'ensemble des preuves dont il disposait. Par ailleurs, les mentions et jugements de valeur formulés dans le rapport de la Cour des comptes n'excèdent pas, comme on a pu le voir, les limites dans lesquelles ils devaient rester. Ce n'est pas le fait que la Cour des comptes ait omis d'entendre Ismeri qui est la cause du préjudice dont celle-ci demande la réparation: l'origine de ce préjudice est bien antérieure et se situe dans le comportement même de la société requérante. Selon moi, ce serait pervertir le régime de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté si, sous le couvert d'une irrégularité de forme, il fallait reconnaître à une personne physique ou morale le droit d'être indemnisée parce que, dans l'accomplissement de sa mission, une institution a rapporté les agissements de celle-ci.

    96 De surcroît, bien qu'elle n'ait pas été entendue, Ismeri n'a, en réalité, subi aucune limitation de ses droits de la défense dont elle ne soit pas elle-même responsable. Au cours des travaux préparatoires et de l'élaboration du rapport spécial n_ 1/96, elle a eu au moins une fois l'occasion de faire valoir son point de vue. L'agence a obtenu un exemplaire du projet de rapport spécial par le biais de la Commission (78): elle a donc pu avoir connaissance de son contenu et des imputations qui étaient mises à sa charge puisqu'en sa qualité de membre fondateur de l'agence, elle participait à son assemblée générale. Si elle n'a pas réagi à ce moment-là, elle doit assumer les conséquences de son inertie.

    97 Le raisonnement que je vais tenir à la fin de ces conclusions est le même que celui que j'ai tenu au début. La Cour des comptes s'est rendue coupable d'un vice de forme dénué de pertinence dont les conséquences dommageables à la requérante ont pour origine le propre comportement de celle-ci, ce qui rompt le lien causal qui doit exister entre le comportement illégal allégué de la Cour des comptes et le préjudice subi par Ismeri pour que naisse, dans le chef de la Communauté, l'obligation de l'indemniser (79).

    VI. Les dépens

    98 Conformément aux dispositions combinées de l'article 122 et de l'article 69, paragraphe 2 du règlement de procédure, qui sont applicables au pourvoi en vertu de l'article 118, la partie succombée doit être condamnée aux dépens. Par conséquent, si la Cour rejette, comme je l'invite à le faire, les moyens du pourvoi articulés par la demanderesse ou, le cas échéant, les prétentions qui résultent de la requête en première instance, il y a lieu de condamner Ismeri aux dépens du pourvoi et, s'il y a lieu, aux dépens de première instance.

    VII. Conclusion

    99 Pour les raisons que je viens d'exposer, je propose à la Cour de déclarer que le pourvoi est partiellement irrecevable et partiellement non fondé. Si la Cour devait régler définitivement le litige en faisant droit à l'un des moyens du pourvoi, je lui propose de rejeter les conclusions de la demanderesse et de la condamner aux dépens de la première instance et du pourvoi.

    (1) - Arrêt Ismeri Europa/Cour des comptes (T-277/97, Rec. p. II-1825).

    (2) - L'administration locale (MED-Urbs), l'enseignement supérieur (MED-Campus), les moyens de communication (MED-Media), la recherche (MED-Avicena) et les entreprises (MED-Invest).

    (3) - JO C 240, p. 1.

    (4) - JO C 286, p. 263.

    (5) - Paragraphe L.

    (6) - Paragraphe Q.

    (7) - Paragraphe AF.

    (8) - Les points 24 à 94 sont consacrés au rejet des moyens d'irrecevabilité articulés par la Cour des comptes.

    (9) - Points 97 à 105 de l'arrêt Ismeri Europa/Cour des comptes, déjà cité.

    (10) - Point 106 à 147 de l'arrêt.

    (11) - Points 109 et 110 de l'arrêt.

    (12) - Points 112 à 125 de l'arrêt.

    (13) - Points 126 à 143 de l'arrêt.

    (14) - Points 144 à 147 de l'arrêt.

    (15) - Voir l'avis 2/94 du 28 mars 1996 (Rec. p. I-1759), point 33, et les arrêts du 29 mai 1997, Kremzow (C-299/95, Rec. p. I-2629), point 14, et du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417), point 21.

    (16) - Voir, notamment, les arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission (C-53/92 P, Rec. p. I-667), point 42, et du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission [C-346/99 P(R), Rec. p. I-8733], point 45. Voir également le point 41 des conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Ufex e.a./Commission (C-119/97 P, Rec. p. I-1341) (arrêt du 4 mars 1999).

    (17) - Il n'a pas davantage répondu à la troisième.

    (18) - Cumul qu'il ne faut pas confondre avec la jonction d'affaires ou de procédures, visé à l'article 50 du règlement de procédure du Tribunal de première instance (voir également l'article 43 du règlement de procédure de la Cour).

    (19) - Voir l'arrêt du 8 mars 1993, Lezzi Pietro/Commission (C-123/92, Rec. p. I-809), point 10.

    (20) - Voir l'ordonnance du 6 mars 1997, Bernardi/Parlement (C-303/96 P, Rec. p. I-1239), point 45.

    (21) - La Cour des comptes a été créée par le traité de Bruxelles, le 22 juillet 1975, modifiant certaines dispositions financières des traités instituant les Communautés européennes et du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes. Selon P. Lelong, El Tribunal de Cuentas de las Communidades Europeas: composición y funcionamiento, PGP, n_ 20 (1984), p. 181, sa naissance «répondait à une nécessité politique et technique», car «il fallait répondre à la sensibilité de l'opinion publique européenne, constituée de contribuables qui, par l'apport de leurs ressources, nourrissaient directement le budget des Communautés». J.M. Márquez Gutiérrez, «El Tribunal de Cuentas de la Comunidades Europeas», dans l'ouvrage collectif El Tribunal de Cuentas de las Comunidades Europeas y los Tribunales de Cuentas de los países miembros: competencias y relaciones, Ed. Tribunal de Cuentas, Madrid, 1986, p. 258, relève, parmi les éléments qui ont favorisé la naissance de la Cour des comptes, l'augmentation des pouvoirs budgétaires du Parlement européen après la signature des traités de Luxembourg, du 22 avril 1970, et de Bruxelles, du 22 juillet 1975.

    (22) - Depuis le 1er janvier 1993, date de l'entrée en vigueur du traité de Maastricht.

    (23) - A. Espinosa Fernández, «El control externo de los ingresos y los gastos comunitarios: El Tribunal de Cuentas de las Comunidades Europeas», dans l'ouvrage collectif El Tribunal de Cuentas de las Comunidades Europeas y los Tribunales de Cuentas de los países miembros: competencias y relactiones, déjà cité, p. 218; Y. Gómez Sánchez, El Tribunal de Cuentas. El control económico financiero externo en el ordenamiento constitucional español, Ed. Marcial Pons, Madrid-Barcelona, 2001, p. 71, soutient que la Cour des comptes européenne a la qualité d'institution communautaire. P. Lelong, «El Tribunal de Cuentas de la Comunidad Económica Europea», dans l'ouvrage collectif La función de los Tribunales de Cuentas en la sociedad democrática, Ed. Tribunal de Cuentas, Madrid, 1985, p. 208, dit que la Cour des comptes a une nature quasi institutionnelle. L. Bautista Pérez Pérez, Algunas notas sobre el Tribunal de Cuentas de las Comunidades Europeas, PGP. n_ 6 (1980), p. 71, conteste que la Cour des comptes européennes ait la qualité d'institution communautaire.

    (24) - Affaire 230/81, p. 255.

    (25) - Voici ce qu'elle a déclaré au point 20 de l'arrêt: «Compte tenu de l'applicabilité en l'espèce de l'article 38, alinéa 1, du traité CECA, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si le principe du respect de la légalité et du contrôle exercé à ce titre par la Cour, tels que consacrés par les articles 164 du traité CEE et 136 du traité CEEA, exigent d'interpréter les articles 173 du traité CEE et 146 du traité CEEA en ce sens que le Parlement peut être partie au contentieux devant la Cour».

    (26) - Affaire 294/83, Rec. p. 1339.

    (27) - Voir les arrêts du 3 juillet 1986, Conseil/Parlement (34/86, Rec. p. 2155), point 5, et du 23 mars 1993, Weber/Parlement (C-314/91, Rec. p. I-1093), point 8; voir également l'ordonnance du 4 juin 1986, groupe des Droites Européennes/Parlement (78/85, Rec. p. 1753), point 10.

    (28) - Points 23 et 24. La phrase mise entre guillemets est une citation, par la Cour, extraite de l'arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil (22/70, Rec. p. 263).

    (29) - Points 24 et 25 de l'arrêt Les Verts/Parlement, déjà cité.

    (30) - Voir l'article 6 UE.

    (31) - Dans les conclusions qu'il a présentées dans les affaires jointes 173/87 et 174/87 (Maurissen et Union Syndicale/Cour des comptes; arrêt du 11 mai 1989, Rec. p. I-1045), l'avocat général Darmon a défendu le même point de vue, déclarant que «la `ratio decidendi' de votre arrêt rend, à notre avis, sans objet toute discussion quant au point de savoir si la Cour des comptes est une institution `stricto sensu'. Les exigences du contrôle de la légalité ne sauraient être moins impérieuses en présence d'un acte émanant d'une `quasi institution' ou d'`un organe auxiliaire doté de prérogatives spécifiques de nature administrative'» (point 54). Dans son arrêt, la Cour ne s'est pas prononcée sur la question. L'avocat général Lenz a emboîté le pas à l'avocat général Darmon dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire C-416/92 (H./Cour des comptes; arrêt du 17 mai 1994, Rec. p. I-1741). Dans son arrêt, la Cour ne s'est pas davantage prononcée expressément sur la possibilité d'engager des recours contre les actes de la Cour des comptes sur le pied de l'article 173 du traité. Elle a néanmoins fait droit au recours dont elle avait été saisie après avoir déclaré d'emblée qu'il s'agissait d'un recours introduit conformément à cette disposition.

    (32) - Dans son arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, déjà cité, la Cour a déclaré que le recours en annulation doit être ouvert à l'égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu'en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (point 42).

    (33) - Voir l'arrêt Commission/Conseil, cité à la note précédente.

    (34) - Voir l'arrêt du 16 juin 1993, France/Commission (C-325/91, Rec. p. I-3283).

    (35) - Arrêt du 10 décembre 1957, Société des usines à tubes de la Sarre/Haute Autorité (1/57, Rec. p. 201).

    (36) - Arrêt du 9 février 1984, Kohler/Cour des comptes (affaires jointes 316/82 et 40/83, Rec. p. 641). Il s'agissait, précisément, d'un ordre verbal que la Cour des comptes avait adressé à un fonctionnaire de son service linguistique.

    (37) - Voir l'arrêt du 17 juillet 1959, Phoenix-Rheinrohr/Haute Autorité (20/58, Rec. p. 163).

    (38) - Voir l'arrêt Phoenix-Rheinrohr/Haute Autorité, cité à la note précédente.

    (39) - Voir les arrêts du 22 mars 1961, SNUPAT (affaires jointes 42/59 et 49/59, Rec. p. 105); du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26/76, Rec. p. 1875), et du 25 mai 1993, Foyer culturel du Sart-Tilman/Commission (C-199/91, Rec. p. I-2667).

    (40) - Voir l'arrêt du 25 février 1988, Les Verts/Parlement (190/84, Rec. p. 1017).

    (41) - Malgré son titre de «Cour», elle n'exerce aucune fonction juridictionnelle.

    (42) - Voir les articles 246, 248, 279 et 280 CE (à savoir, les articles 188 A, 188 C, 209 et 209 A du traité CE, avant sa modification).

    (43) - Voir les articles 83 et suiv. du règlement financier, du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1), dans la version du règlement (Euratom, CECA, CEE) n_ 610/90 du Conseil, du 13 mars 1990 (JO 70, p. 1). Voir également le titre III du règlement intérieur de la Cour des comptes, approuvé au cours de la session du 29 avril 1999. Il résulte de ces dispositions que la procédure d'élaboration et d'adoption d'un rapport par la Cour des comptes est caractérisée par un dialogue constant avec la partie contrôlée. Après avoir accompli le travail de terrain, un avant-projet d'observations préliminaires est rédigé et envoyé à l'institution contrôlée, qui doit répondre par écrit. À partir de là, la procédure contradictoire qui permet de vérifier les faits constatés et d'affiner les conclusions obtenues se met en branle. La procédure trouve son aboutissement dans l'adoption du rapport définitif, auquel les réponses de l'institution doivent être annexées. Le rapport peut être publié au Journal officiel des Communautés européennes, ce qui sera obligatoirement le cas s'il s'agit du rapport annuel.

    (44) - Qui lui a valu le nom de «conscience financière» de la Communauté.

    (45) - Voir l'article 188 C du traité CE (devenu, après modification, article 248 CE); en particulier le paragraphe 4.

    (46) - Voir l'article 206 du traité.

    (47) - Ce qui est loin d'être démontré. Il suffit de lire le quatrième alinéa de l'article 230 CE (deuxième alinéa de l'ancien article 173 du traité CE) ainsi que la jurisprudence qui lui a été consacrée pour conclure que l'acte litigieux doit avoir le pouvoir d'affecter directement la sphère juridique de tiers. Comment comprendre autrement que, pour être recevables à agir, les requérants ordinaires ou non privilégiés doivent obligatoirement être concernés directement et individuellement par l'acte qu'ils contestent [voir notamment les arrêts du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki/Commission (11/82, Rec. p. 207), point 4, et du 5 mai 1998, Glencore Grain/Commission (C-404/96 P, Rec. p. I-2435), point 41].

    (48) - À supposer même que le délai d'introduction du recours en annulation ait été interrompu par la lettre qu'Ismeri a adressée à la Cour des comptes pour lui demander de rectifier son rapport, son droit d'action aurait péri parce qu'à la date de cette lettre (le 31 janvier 1997), le délai de deux mois susvisé avait déjà expiré.

    (49) - Voir les conclusions que j'ai présentées dans l'affaire C-310/97 P (Commission/AssiDomän Kraft Products e.a.; arrêt du 14 décembre 1999, Rec. p. I-5363), points 82 et suiv.

    (50) - Voir les points 83 et 84 des conclusions citées à la note précédente.

    (51) - Points 115 à 120 de l'arrêt.

    (52) - Points 117 et 118 de l'arrêt.

    (53) - Points 121 et 122 de l'arrêt.

    (54) - Un de ces contrats au moins a été adjugé à Ismeri.

    (55) - Un passage de la demande de pourvoi est révélateur: «Avec tout le respect qu'elle lui doit, la requérante est convaincue que le Tribunal a mal compris et transformé le sens manifeste de ces documents [il s'agit du document que le Tribunal analyse aux points 135 et 136 de l'arrêt] et qu'il a méconnu la réalité des faits dans lesquels ils s'inscrivent» (point 126).

    (56) - La distinction qu'Ismeri fait entre «confusion d'intérêts» et «conflit d'intérêts» est un jeu de mot superflu et sans incidence sur le règlement du litige. La version française de l'arrêt du Tribunal parle de «confusion» tandis que la version espagnole parle de «conflit».

    (57) - «Le principe d'égalité de traitement en matière de marchés publics, le souci d'une bonne gestion financière des deniers communautaires et la prévention de la fraude rendent hautement critiquable, et le droit pénal de plusieurs États membres incrimine, le fait qu'une personne qui contribue à évaluer et à sélectionner les offres d'un marché public se voit attribuer ce marché.»

    (58) - «Il s'ensuit que la requérante était en mesure d'exercer une influence sur le processus de prise de décisions et donc de favoriser ses intérêts privés par sa position et celle de son dirigeant. Elle se trouvait donc dans une situation de confusion d'intérêts.»

    (59) - Voir, par exemple, la directive 98/79/CE du Parlement et du Conseil, du 27 octobre 1998, relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (JO L 331, p. 1); la directive 98/81/CE du Conseil, du 26 octobre 1997, modifiant la directive 90/219/CEE, relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés (JO L 330, p. 13), et la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (directive sur le commerce électronique) (JO L 178, p. 1).

    (60) - Voir les arrêts du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission (136/79, Rec. p. 2033), cité par Ismeri dans la requête en première instance, et l'arrêt plus récent du 5 octobre 1994, X/Commission (C-404/92 P, Rec. p. I-4737).

    (61) - Voir les points 138 et 140 du rapport de la Cour des comptes.

    (62) - Voir l'article 248 CE.

    (63) - Voir l'arrêt du 13 juin 1958, Meroni/Haute Autorité (9/56, Rec. p. 11).

    (64) - Voir, notamment les arrêts du 1er octobre 1985, Corman (125/83, Rec. p. 3039), point 36, et du 16 décembre 1999, UDL (C-101/98, Rec. p. I-8841), point 30.

    (65) - «Azione penale» et «procedimento penale».

    (66) - Dans le texte espagnol du rapport, la Cour a utilisé dans les deux cas l'expression «iniciar acciones legales»; dans la version française, elle a employé les termes «engager des poursuites». La version anglaise fait référence à une «legal action» tandis que la version allemande parle de «rechtliche(r) Schritte».

    (67) - Voir le point 57 de son rapport.

    (68) - J'ai utilisé la version italienne du rapport.

    (69) - Le Parlement européen a déclaré, dans sa résolution (paragraphe Q), que les administrateurs des bureaux d'assistance technique, qui étaient en même temps membres du conseil d'administration de l'agence, s'étaient retrouvés dans une situation peut-être délictueuse au regard du code pénal. Le Tribunal de première instance a lui aussi émis des considérations à ce sujet. Au point 112 de son arrêt, il déclare que des situations telles que celles qui sont visées dans le rapport de la Cour des comptes sont passibles de poursuites selon le code pénal de différents États membres.

    (70) - La Commission dispose d'une dernière occasion de fournir des explications au cours de la procédure de décharge devant le Parlement européen (voir le paragraphe 2 de l'article 276 CE), c'est-à-dire après la clôture de la procédure devant la Cour des comptes.

    (71) - La Cour a dit pour droit que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci est un principe fondamental de droit communautaire [voir l'arrêt du 10 juillet 1986, Belgique/Commission (234/84, Rec. p. 2263), point 27]. Sur les droits de la défense dans l'ordre juridique communautaire, voir l'ouvrage intéressant de O. Due, ancien président de la Cour, «Le respect des droits de la défense dans le droit administratif communautaire», publié dans Cahiers de Droit Européen, 1987, n_s 1 et 2, p. 383.

    (72) - Voir, notamment, parmi les arrêts les plus récents, l'arrêt du 8 juillet 1999, Hércules Chemicals/Commission (C-51/92 P, p. I-4235), point 76.

    (73) - Voir, notamment, l'arrêt du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a. (C-32/95 P, Rec. p. I-5373), point 21, ainsi que les arrêts qui y sont cités.

    (74) - D'aucuns verront ici une contradiction. J'ai dit plus haut que les rapports de la Cour des comptes ne sont pas susceptibles d'affecter directement et individuellement le patrimoine juridique des sujets de droit et qu'il n'est dès lors pas possible de les attaquer sur le pied de l'article 230 CE. Néanmoins, j'affirme aujourd'hui que leur contenu peut affecter les intérêts légitimes de ceux qui y sont mentionnés en termes critiques, et cela afin d'ouvrir le droit à une audition. La contradiction n'est qu'apparente. Il s'agit d'intervenir, à des niveaux d'intensité distincts, dans la sphère juridique des tiers et, partant, des droits de la défense à des niveaux différents. Dans la seconde hypothèse, l'acte en cause ne crée ni obligation ni devoir dans le chef de son destinataire, ce qui n'empêche pas celui-ci d'être indirectement affecté puisque les opinions exprimées par la Cour des comptes sont susceptibles de le discréditer. Il est donc nécessaire de lui donner l'occasion de se défendre et de faire valoir sa version des faits ou du moins d'exposer les justifications dont il pourrait exciper. Sa défense doit cependant s'en tenir à cela puisque le rapport qui le mentionne en termes critiques ne lui impose pas d'obligations. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, de tels rapports ne sont pas des actes susceptibles de produire directement des effets ad extra.

    (75) - Voir l'article 33, paragraphe 6, du règlement intérieur de la Cour des comptes.

    (76) - On se souviendra que ces moyens portent sur une demande irrecevable, en ce qu'elle a été présentée tardivement, et que, par conséquent, ils doivent être rejetés a limine. On observera également que le silence du Tribunal sur cette demande n'est pas un élément pertinent puisque cette demande a été présentée en dehors des délais.

    (77) - Qui, soit dit en passant, sont assez minces. Prétendre que la solution n'eût pas été différente même si Ismeri avait pu être entendue avant l'adoption du rapport compte tenu de la réponse qui lui a été faite aux allégations qu'elle a formulées après l'approbation de celui-ci, dénote, de la part du Tribunal, une certaine méconnaissance de la «psychologie» des institutions et de leur répugnance à se dédire. Qui plus est, une telle affirmation revient à nier l'efficacité de toute audition. À quoi bon procéder à cette formalité préalable si la réponse doit être identique, que la partie soit entendue avant ou après l'adoption de la décision?

    (78) - C'est la Cour des comptes qui l'affirme aux points 44 et 74 du mémoire en défense qu'elle a présenté en première instance. Ismeri ne l'a pas contredite sur ce point.

    (79) - Voir les arrêts que le Tribunal de première instance a cités au point 100 de l'arrêt ici entrepris.

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