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Document 61997CJ0378

    Arrêt de la Cour du 21 septembre 1999.
    Procédure pénale contre Florus Ariël Wijsenbeek.
    Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank Rotterdam - Pays-Bas.
    Libre circulation des personnes - Droit des citoyens de l'Union européenne de circuler et de séjourner librement - Contrôles aux frontières - Réglementation nationale faisant obligation aux personnes en provenance d'un autre Etat membre de présenter un passeport.
    Affaire C-378/97.

    Recueil de jurisprudence 1999 I-06207

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:1999:439

    61997J0378

    Arrêt de la Cour du 21 septembre 1999. - Procédure pénale contre Florus Ariël Wijsenbeek. - Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank Rotterdam - Pays-Bas. - Libre circulation des personnes - Droit des citoyens de l'Union européenne de circuler et de séjourner librement - Contrôles aux frontières - Réglementation nationale faisant obligation aux personnes en provenance d'un autre Etat membre de présenter un passeport. - Affaire C-378/97.

    Recueil de jurisprudence 1999 page I-06207


    Sommaire
    Parties
    Motifs de l'arrêt
    Décisions sur les dépenses
    Dispositif

    Mots clés


    1 Traité CE - Expiration du délai prévu pour la réalisation du marché intérieur - Effets - Obligation pour les États membres de supprimer les contrôles des personnes aux frontières intérieures de la Communauté - Exclusion en l'absence d'une intervention législative du Conseil

    (Traité CE, art. 7 A (devenu, après modification, art. 14 CE))

    2 Citoyenneté de l'Union européenne - Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres - Exercice soumis, en l'absence de règles communes ou harmonisées, à la preuve de la possession de la nationalité d'un État membre

    (Traité CE, art. 8 A (devenu, après modification, art. 18 CE))

    3 Citoyenneté de l'Union européenne - Exigence d'une preuve de la nationalité lors du franchissement des frontières intérieures de la Communauté - Admissibilité en l'absence de règles communes ou harmonisées en matière de franchissement des frontières extérieures - Sanctions en cas d'inobservation - Conditions d'admissibilité

    (Traité CE, art. 7 A et 8 A (devenus, après modification, art. 14 CE et 18 CE))

    Sommaire


    1 L'article 7 A du traité (devenu, après modification, article 14 CE), qui prévoit que la Communauté adopte les mesures destinées à établir progressivement le marché intérieur avant le 31 décembre 1992, ne saurait être interprété en ce sens que, en l'absence de mesures adoptées par le Conseil avant cette date et imposant aux États membres l'obligation de supprimer les contrôles des personnes aux frontières intérieures de la Communauté, cette obligation résulte automatiquement de l'échéance de ladite période.

    En effet, une telle obligation présuppose l'harmonisation des législations des États membres en matière de franchissement des frontières extérieures de la Communauté, d'immigration, d'octroi des visas, d'asile et d'échange d'informations sur ces questions.

    2 L'exercice des droits conférés aux citoyens de l'Union par l'article 8 A du traité (devenu, après modification, article 18 CE) de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres suppose, tant que des dispositions communautaires relatives aux contrôles aux frontières extérieures de la Communauté, impliquant également des règles communes ou harmonisées en matière notamment de conditions d'accès, de visas et d'asile, n'ont pas été adoptées, que les personnes concernées soient en mesure d'établir qu'elles ont la nationalité d'un État membre.

    3 Dès lors qu'il n'existe pas de règles communes ni d'harmonisation des législations des États membres, notamment en matière de contrôles aux frontières extérieures de la Communauté, de politique d'immigration, de visas et d'asile, ni l'article 7 A ni l'article 8 A du traité (devenus, après modification, articles 14 CE et 18 CE) ne s'opposent à ce qu'un État membre oblige, sous peine de sanctions pénales, une personne, citoyen ou non de l'Union européenne, à établir sa nationalité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure de la Communauté, pourvu que les sanctions soient comparables à celles qui s'appliquent à des infractions nationales similaires et ne soient pas disproportionnées, créant une entrave à la libre circulation des personnes.

    Parties


    Dans l'affaire C-378/97,

    ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par l'Arrondissementsrechtbank te Rotterdam (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

    Florus Ariël Wijsenbeek,

    une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 7 A et 8 A du traité CE (devenus, après modification, articles 14 CE et 18 CE),

    LA COUR,

    composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet et P. Jann, présidents de chambre, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, J. L. Murray, D. A. O. Edward, H. Ragnemalm, L. Sevón (rapporteur) et M. Wathelet, juges,

    avocat général: M. G. Cosmas,

    greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

    considérant les observations écrites présentées:

    - pour M. Wijsenbeek, par Me J. L. Janssen van Raay, avocat au barreau de Rotterdam,

    - pour le gouvernement néerlandais, par M. J. G. Lammers, conseiller juridique remplaçant au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

    - pour le gouvernement espagnol, par Mme N. Díaz Abad, abogado del Estado, en qualité d'agent,

    - pour le gouvernement irlandais, par M. A. Buckley, Chief State Solicitor, en qualité d'agent,

    - pour le gouvernement finlandais, par M. H. Rotkirch, ambassadeur, chef du service des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme T. Pynnä, conseiller juridique au même ministère, en qualité d'agents,

    - pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Ridley, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de MM. P. Sales et M. Hoskins, barristers,

    - pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. J. Kuijper, conseiller juridique, en qualité d'agent,

    vu le rapport d'audience,

    ayant entendu les observations orales de M. Wijsenbeek, représenté par lui-même et par Me J. L. Janssen van Raay, du gouvernement néerlandais, représenté par M. M. A. Fierstra, chef du département de droit européen au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement espagnol, représenté par M. S. Ortíz Vaamonde, abogado del Estado, en qualité d'agent, du gouvernement irlandais, représenté par M. D. McGuinness, barrister, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. P. Sales et M. Hoskins, et de la Commission, représentée par M. P. J. Kuijper, à l'audience du 12 janvier 1999,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 16 mars 1999,

    rend le présent

    Arrêt

    Motifs de l'arrêt


    1 Par jugement du 30 octobre 1997, parvenu à la Cour le 5 novembre suivant, l'Arrondissementsrechtbank te Rotterdam a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 7 A et 8 A du traité CE (devenus, après modification, articles 14 CE et 18 CE).

    2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale poursuivie à l'encontre de M. Wijsenbeek pour avoir refusé de présenter, lors de son entrée aux Pays-Bas, son passeport et d'établir sa nationalité néerlandaise, en violation de la législation néerlandaise applicable.

    Cadre juridique

    3 Le Vreemdelingenbesluit (arrêté sur les étrangers du 19 septembre 1966, Stb. 1966, 387, ci-après l'«arrêté») prévoit, en son article 23, paragraphe 1, sous a), que les étrangers qui entrent aux Pays-Bas doivent présenter et remettre le document dont ils disposent pour passer la frontière, si cela leur est demandé par un fonctionnaire chargé de la surveillance des frontières.

    4 En son article 25, l'arrêté dispose que les ressortissants néerlandais qui entrent aux Pays-Bas sont tenus de présenter et de remettre, sur demande, à un agent commis à la surveillance des frontières les papiers d'identité et les documents de voyage en leur possession et d'établir au besoin leur nationalité néerlandaise par tout autre moyen.

    5 L'arrêté a été adopté sur le fondement de l'article 3, paragraphe 1, de la Wet van 13 januari 1965, houdende nieuwe regelen betreffende: a. de toelating en uitzetting van vreemdelingen, b. het toezicht op vreemdelingen die in Nederland verblijf houden, c. de grensbewaking [loi néerlandaise du 13 janvier 1965, comportant des dispositions nouvelles relatives: a) à l'accès et à l'expulsion des étrangers, b) au contrôle des étrangers résidant aux Pays-Bas, c) à la surveillance de la frontière, Stb. 1965, 40]. En vertu de l'article 44 de ladite loi, toute infraction à l'arrêté est passible d'une sanction pénale.

    6 Aux termes de l'article 7 A du traité CE:

    «La Communauté arrête les mesures destinées à établir progressivement le marché intérieur au cours d'une période expirant le 31 décembre 1992, conformément aux dispositions du présent article, des articles 7 B, 7 C et 28, de l'article 57, paragraphe 2, de l'article 59, de l'article 70, paragraphe 1, et des articles 84, 99, 100 A et 100 B et sans préjudice des autres dispositions du présent traité.

    Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité.»

    7 L'article 8 A du traité dispose:

    «1. Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.

    2. Le Conseil peut arrêter des dispositions visant à faciliter l'exercice des droits visés au paragraphe 1; sauf si le présent traité en dispose autrement, il statue à l'unanimité sur proposition de la Commission et après avis conforme du Parlement européen.»

    8 Lors de la signature de l'acte final de l'Acte unique européen (ci-après l'«Acte unique»), les 17 et 28 février 1986, la conférence des représentants des gouvernements a notamment adopté une déclaration relative à l'article 8 A du traité CEE, introduit par l'article 13 de l'Acte unique et devenu l'article 7 A du traité CE (ci-après la «déclaration relative à l'article 8 A du traité CEE»), ainsi qu'une déclaration générale relative aux articles 13 à 19 de l'Acte unique (ci-après la «déclaration relative aux articles 13 à 19 de l'Acte unique»).

    9 La première de ces deux déclarations est libellée ainsi:

    «Par l'article 8 A, la conférence souhaite traduire la ferme volonté politique de prendre avant le 1er janvier 1993 les décisions nécessaires à la réalisation du marché intérieur défini dans cette disposition et plus particulièrement les décisions nécessaires à l'exécution du programme de la Commission tel qu'il figure dans le livre blanc sur le marché intérieur.

    La fixation de la date du 31 décembre 1992 ne crée pas d'effets juridiques automatiques.»

    10 Par la déclaration relative aux articles 13 à 19 de l'Acte unique, la conférence déclare:

    «Aucune de ces dispositions n'affecte le droit des États membres de prendre celles des mesures qu'ils jugent nécessaires en matière de contrôle de l'immigration de pays tiers ainsi qu'en matière de lutte contre le terrorisme, la criminalité, le trafic de drogue et le trafic des oeuvres d'art et des antiquités.»

    11 En outre, la conférence a pris acte, notamment, d'une déclaration politique des gouvernements des États membres relative à la libre circulation des personnes qui précise:

    «En vue de promouvoir la libre circulation des personnes, les États membres coopèrent, sans préjudice des compétences de la Communauté, notamment en ce qui concerne l'entrée, la circulation et le séjour des ressortissants de pays tiers. Ils coopèrent également en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la criminalité, la drogue et le trafic des oeuvres d'art et des antiquités.»

    12 Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 68/360/CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 13), et de la directive 73/148/CEE du Conseil, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services (JO L 172, p. 14):

    «Les États membres admettent sur leur territoire les personnes visées à l'article 1er sur simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité».

    13 La directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO L 180, p. 26), la directive 90/365/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle (JO L 180, p. 28), et la directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 317, p. 59), renvoient, en leur article 2, paragraphe 2, premier alinéa, notamment à l'article 3 de la directive 68/360.

    Procédure au principal

    14 M. Wijsenbeek, de nationalité néerlandaise, est prévenu d'avoir refusé, lors de son entrée aux Pays-Bas par l'aéroport de Rotterdam le 17 décembre 1993, de présenter et de remettre son passeport à l'agent de la gendarmerie nationale commis à la surveillance des frontières et d'établir sa nationalité par tout autre moyen, en violation de l'article 25 de l'arrêté.

    15 M. Wijsenbeek a reconnu les faits. Cependant, il nie avoir commis une infraction. A cet égard, il fait valoir que, à l'aéroport de Rotterdam, où il a débarqué d'un vol régulier venant de Strasbourg, il n'y a que des vols réguliers en provenance et à destination d'autres États membres et que l'article 25 de l'arrêté est contraire aux articles 7 A et 8 A du traité.

    16 Le Kantonrechter a, par jugement du 8 mai 1995, condamné M. Wijsenbeek à une amende de 65 HFL et, à titre subsidiaire, à un jour d'emprisonnement, pour infraction à l'article 25 de l'arrêté.

    17 M. Wijsenbeek a interjeté appel de cette décision devant l'Arrondissementsrechtbank te Rotterdam qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «1) Faut-il interpréter les articles 7 A, second alinéa, du traité CE, disposant que le marché unique comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes est assurée, et l'article 8 A du traité CE, conférant à tout citoyen de l'Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation interne d'un État membre obligeant sous peine de sanctions pénales une personne (citoyenne ou non de l'Union européenne) à présenter un passeport à l'entrée dans un État membre lorsqu'elle entre dans cet État membre par l'aéroport national en venant d'un autre État membre?

    2) Toute autre disposition de droit communautaire s'oppose-t-elle à une obligation de cet ordre?»

    Sur la recevabilité

    18 Le gouvernement irlandais considère que les questions sont irrecevables au motif, d'une part, que, portant sur l'application aux Pays-Bas d'une disposition néerlandaise à un ressortissant néerlandais, le litige au principal présente un caractère purement interne (voir arrêt du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90, Rec. p. I-1979, point 37) et, d'autre part, que le jugement de renvoi ne contient pas les indications factuelles nécessaires permettant à la Cour de répondre aux questions posées, notamment quant à la question de savoir si M. Wijsenbeek avait entamé son voyage dans un État membre ou dans un pays tiers.

    19 Sur ce dernier point, la Commission relève que, à son retour aux Pays-Bas, M. Wijsenbeek a fait usage du droit à la libre circulation à l'intérieur de la Communauté, en sorte qu'il peut bénéficier de la protection découlant du droit communautaire (voir arrêt du 7 juillet 1992, Singh, C-370/90, Rec. p. I-4265).

    20 En premier lieu, il convient de constater que l'affirmation de M. Wijsenbeek selon laquelle son vol venait de Strasbourg n'est pas contestée.

    21 Dès lors, le jugement de renvoi ainsi que les observations écrites et orales ont fourni à la Cour des informations suffisantes lui permettant d'interpréter les règles de droit communautaire au regard de la situation faisant l'objet du litige au principal (voir, notamment, arrêt du 3 mars 1994, Vaneetveld, C-316/93, Rec. p. I-763, point 14).

    22 En second lieu, dès lors qu'il a débarqué dans un aéroport de l'État membre dont il a la nationalité d'un vol en provenance d'un autre État membre, M. Wijsenbeek a utilisé son droit à la libre circulation, droit reconnu par le traité aux ressortissants des États membres. En effet, si ces derniers, qui ont le droit de circuler librement dans les autres États membres (voir arrêt du 24 novembre 1998, Bickel et Franz, C-274/96, Rec. p. I-7637, point 15), n'étaient pas en mesure de se prévaloir de ce droit dans leur État d'origine, ce droit ne pourrait pleinement produire son effet (voir, en ce sens, arrêt Singh, précité, points 21 et 23).

    23 Les questions posées portent donc sur l'interprétation du droit communautaire et la Cour est, par conséquent, en principe tenue de statuer (voir arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59).

    Sur les questions préjudicielles

    24 Par ses questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 7 A ou l'article 8 A du traité interdit à un État membre d'obliger, sous peine de sanctions pénales, une personne, citoyen ou non de l'Union européenne, à établir sa nationalité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure de la Communauté.

    25 M. Wijsenbeek fait valoir que, depuis le 1er janvier 1993, c'est-à-dire à l'échéance de la période expirant le 31 décembre 1992, l'article 7 A du traité a un effet direct et que les États membres n'ont désormais plus aucune compétence dans ce domaine, puisque l'article 3, sous c), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous c), CE] et l'article 7 A du traité comportent un transfert complet des compétences à la Communauté.

    26 Il prétend que ces dispositions ainsi que les directives 68/360 et 73/148 interdisent directement les contrôles aux frontières intérieures. Puisque la Cour considère que tout touriste est un bénéficiaire de services, elle devrait également considérer que, après le 1er janvier 1993, toute personne qui franchit une frontière est un consommateur. Aux fins d'une interprétation raisonnable de l'article 7 A du traité, à l'instar de ce qui est le cas pour la libre circulation des marchandises, la libre circulation des personnes impliquerait au moins que les frontières intérieures puissent être franchies sans le moindre contrôle et que le contrôle des personnes ait lieu aux frontières extérieures.

    27 Les gouvernements espagnol, irlandais et du Royaume-Uni estiment que tant l'article 7 A que l'article 8 A du traité sont dénués d'effet direct, en sorte que M. Wijsenbeek ne peut s'en prévaloir devant le juge national. Le gouvernement néerlandais et la Commission, pour leur part, soutiennent que l'article 7 A du traité n'a pas d'effet direct. Tous considèrent que la suppression des contrôles aux frontières intérieures de la Communauté exige des mesures d'accompagnement.

    28 Selon la Commission, la suppression de ces contrôles concerne toutes les personnes, car tout maintien des contrôles des ressortissants de pays tiers aux frontières intérieures conduirait à devoir les distinguer des ressortissants des États membres et donc à devoir également contrôler ces derniers. Dès lors, des mesures communautaires spéciales aux frontières extérieures s'imposeraient afin qu'aucun des États membres n'ait affaire à des étrangers indésirables provenant de pays tiers qui entrent via un autre État membre.

    29 A cet égard, le gouvernement néerlandais relève que lesdites mesures communautaires relatives aux frontières extérieures comprennent, notamment, un niveau équivalent de surveillance des frontières, une harmonisation des conditions d'accès, une politique commune en matière de visas, des règles applicables aux demandeurs d'asile déposant des demandes dans plusieurs États membres, une intensification de la coopération dans le domaine de la police et de la justice et la création d'un système commun d'échanges automatisés d'informations.

    30 Selon le gouvernement du Royaume-Uni, étant donné que, en l'état actuel du droit communautaire, contrairement à ce qui existe en matière de libre circulation des marchandises, aucune politique communautaire commune ne régit, notamment, l'entrée de ressortissants de pays tiers dans les États membres, chaque État membre conserve le droit d'adopter sa propre politique d'immigration (voir, également, la déclaration relative aux articles 13 à 19 de l'Acte unique) et d'exiger de chaque personne qui tente de pénétrer sur son territoire de présenter une carte d'identité ou un passeport en cours de validité, ceci étant le seul moyen de distinguer les ressortissants des pays tiers des ressortissants communautaires.

    31 Le gouvernement irlandais ainsi que la Commission indiquent qu'il résulte des déclarations annexées à l'Acte unique, et notamment de la déclaration relative à l'article 8 A du traité CEE, adoptée par la conférence des représentants des gouvernements afin d'éviter que ledit article ait un effet direct à partir du 1er janvier 1993, que l'article 7 A du traité n'est pas inconditionnel et qu'il laisse une marge d'appréciation pour son exécution.

    32 Les gouvernements néerlandais et irlandais ainsi que la Commission estiment, par ailleurs, qu'il ressort de l'arrêt du 20 octobre 1993, Baglieri (C-297/92, Rec. p. I-5211, point 16), que, en l'absence de mesure adoptée par le Conseil en la matière, les États membres ne sont pas automatiquement soumis à l'obligation de supprimer les contrôles aux frontières dès le lendemain du 31 décembre 1992.

    33 Les gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni soutiennent que, même au cas où l'article 7 A du traité pourrait avoir un effet direct, il n'interdirait pas les contrôles aux frontières intérieures. Cet article n'irait pas au-delà des autres dispositions du traité. D'après ces deux gouvernements, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes, à savoir les articles 48, 52 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE, 43 CE et 49 CE), et la réglementation adoptée conformément à ces dispositions, à savoir les directives 90/364, 90/365 et 93/96, confèrent des droits directs aux seuls ressortissants communautaires alors que ceux des pays tiers ne se voient conférer aucun droit autonome de libre circulation (voir arrêt Singh, précité). Étant donné qu'il serait impossible de n'effectuer des contrôles à la frontière que pour une seule catégorie de personnes, le droit des États membres d'exiger que toute personne présente une carte d'identité ou un passeport en cours de validité serait expressément reconnu par l'article 3, paragraphe 1, des directives 68/360 et 73/148.

    34 Pour ce qui est de l'article 8 A du traité, les gouvernement irlandais et du Royaume-Uni estiment que, à l'instar de l'article 7 A du traité, il exige des mesures complémentaires, mesures qui n'ont pas encore été adoptées.

    35 La Commission, en revanche, considère que l'effet direct de l'article 8 A, paragraphe 1, du traité est incontestable. Le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres y serait reconnu directement, sans réserve et sans la moindre marge d'appréciation, à tout citoyen de l'Union. Le fait que ledit droit est soumis aux «limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application» n'affecterait aucunement cette conclusion (voir arrêts du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, Rec. p. 631; du 3 décembre 1974, Van Binsbergen, 33/74, Rec. p. 1299, et du 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74, Rec. p. 1337). Les mesures d'exécution que le Conseil peut prendre en vertu de l'article 8 A, paragraphe 2, du traité auraient pour objectif de faciliter l'exercice des droits visés au paragraphe 1 et confirmeraient l'effet direct de ce dernier.

    36 Quant à la portée de l'article 8 A du traité, la Commission souligne que le droit de circuler et de séjourner librement constitue un droit matériel autonome soumis aux limitations et conditions spécifiques prévues par le traité et ses dispositions d'application. Ce nouveau droit reconnu aux citoyens de l'Union devrait être interprété de manière large et ses exceptions et limitations devraient l'être de manière stricte. Cependant, tant que des règles communautaires spécifiques concernant les contrôles aux frontières extérieures de la Communauté n'auront pas été adoptées et mises en application, l'exigence de la production d'un passeport ou d'une carte d'identité en cours de validité aux frontières intérieures, prévue à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 68/360, ne constituerait pas une entrave abusive au droit de circuler librement dans la Communauté et ne serait pas disproportionnée.

    37 Les gouvernements néerlandais, finlandais et du Royaume-Uni estiment qu'il ressort du libellé de l'article 8 A du traité que ce dernier ne crée pas non plus un droit de circulation et de séjour qui aille au-delà des dispositions existantes du traité et des dispositions prises pour son application. L'article 8 A du traité n'apporterait donc aucun élément supplémentaire par rapport à l'article 7 A du traité. En tout état de cause, selon le gouvernement du Royaume-Uni, étant donné que les droits reconnus par l'article 8 A ne s'appliquent qu'aux personnes ayant la nationalité d'un État membre, les contrôles d'identité aux frontières doivent être permis.

    38 Le gouvernement finlandais ajoute qu'un État membre a le droit de sanctionner pénalement le défaut de présentation des documents de voyage exigés, sous réserve que la peine applicable ne soit pas, compte tenu du type d'infraction commise, si sévère qu'elle constituerait en fait une entrave à la libre circulation des personnes (voir arrêt du 14 juillet 1977, Sagulo e.a., 8/77, Rec. p. 1495, point 12).

    39 Il convient de rappeler que l'article 7 A, premier alinéa, du traité prévoit que la Communauté adopte les mesures destinées à établir progressivement le marché intérieur avant le 31 décembre 1992, conformément aux dispositions du traité citées dans cette disposition. En vertu de l'article 7 A, second alinéa, le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du traité.

    40 Cet article ne saurait être interprété en ce sens que, en l'absence de mesures adoptées par le Conseil avant le 31 décembre 1992 et imposant aux États membres l'obligation de supprimer les contrôles des personnes aux frontières intérieures de la Communauté, cette obligation résulte automatiquement de l'échéance de ladite période. En effet, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 77 de ses conclusions, une telle obligation présuppose l'harmonisation des législations des États membres en matière de franchissement des frontières extérieures de la Communauté, d'immigration, d'octroi des visas, d'asile et d'échange d'informations sur ces questions (voir, en ce sens, en matière de sécurité sociale, arrêt Baglieri, précité, points 16 et 17).

    41 Par ailleurs, il y a lieu de relever que l'article 8 A, paragraphe 1, du traité confère le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres aux citoyens de l'Union, sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité et par les dispositions prises pour son application. Selon l'article 8 A, paragraphe 2, du traité, le Conseil peut arrêter des dispositions visant à faciliter l'exercice de ces droits.

    42 Cependant, ainsi que la Commission l'a à juste titre souligné, tant que des dispositions communautaires relatives aux contrôles aux frontières extérieures de la Communauté, impliquant également des règles communes ou harmonisées en matière notamment de conditions d'accès, de visas et d'asile, n'ont pas été adoptées, l'exercice de ces droits suppose que la personne concernée soit en mesure d'établir qu'elle a la nationalité d'un État membre.

    43 Dès lors, il suffit de constater que, au moment des faits au principal, il n'existait pas de règles communes ni d'harmonisation des législations des États membres, notamment en matière de contrôles aux frontières extérieures, de politique d'immigration, de visas et d'asile. Par conséquent, même au cas où, en vertu de l'article 7 A ou de l'article 8 A du traité, les ressortissants des États membres auraient un droit inconditionnel de circuler librement sur le territoire des États membres, ces derniers conserveraient le droit d'effectuer des contrôles d'identité aux frontières intérieures de la Communauté, obligeant un intéressé à présenter une carte d'identité ou un passeport en cours de validité, ainsi que le prévoient les directives 68/360, 73/148, 90/364, 90/365 et 93/96, afin de pouvoir établir si la personne concernée est un ressortissant d'un État membre, ayant donc le droit de circuler librement sur le territoire des États membres, ou un ressortissant d'un pays tiers, n'ayant pas ce droit.

    44 Il convient d'ajouter que, en l'absence d'une réglementation communautaire en la matière, les États membres restent compétents pour sanctionner la violation d'une telle obligation pourvu que les sanctions soient comparables à celles qui s'appliquent à des infractions nationales similaires. En outre, ils ne sauraient prévoir une sanction disproportionnée qui créerait une entrave à la libre circulation des personnes, telle qu'une peine d'emprisonnement (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1989, Messner, C-265/88, Rec. p. 4209, point 14, et du 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos, C-193/94, Rec. p. I-929, point 36). Ces mêmes considérations s'imposent en ce qui concerne la violation de l'obligation de présenter une carte d'identité ou un passeport à l'occasion de l'entrée sur le territoire d'un État membre.

    45 Il convient donc de répondre aux questions posées que, en l'état du droit communautaire applicable au moment des faits au principal, ni l'article 7 A ni l'article 8 A du traité ne s'opposaient à ce qu'un État membre oblige, sous peine de sanctions pénales, une personne, citoyen ou non de l'Union européenne, à établir sa nationalité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure de la Communauté, pourvu que les sanctions soient comparables à celles qui s'appliquent à des infractions nationales similaires et ne soient pas disproportionnées, créant ainsi une entrave à la libre circulation des personnes.

    Décisions sur les dépenses


    Sur les dépens

    46 Les frais exposés par les gouvernements néerlandais, espagnol, irlandais, finlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

    Dispositif


    Par ces motifs,

    LA COUR,

    statuant sur les questions à elle soumises par l'Arrondissementsrechtbank te Rotterdam, par jugement du 30 octobre 1997, dit pour droit:

    En l'état du droit communautaire applicable au moment des faits au principal, ni l'article 7 A ni l'article 8 A du traité CE (devenus, après modification, articles 14 CE et 18 CE) ne s'opposaient à ce qu'un État membre oblige, sous peine de sanctions pénales, une personne, citoyen ou non de l'Union européenne, à établir sa nationalité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure de la Communauté, pourvu que les sanctions soient comparables à celles qui s'appliquent à des infractions nationales similaires et ne soient pas disproportionnées, créant une entrave à la libre circulation des personnes.

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