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Document 61961CC0009

    Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 7 juin 1962.
    Royaume des Pays-Bas contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
    Affaire 9/61.

    édition française 1962 00413

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:1962:20

    Conclusions de l'avocat général

    M. KARL ROEMER

    7 juin 1962

    (Affaire no 9-61 et affaire no 11-61 ( *1 )

    SOMMAIRE

    Page
     

    Introduction

     

    Discussion juridique

     

    I — Quant à la recevabilité

     

    II — Les différents griefs

     

    1. La procédure suivie

     

    2. Vices de forme de la recommandation

     

    3. Griefs relatifs au contenu de la recommandation

     

    III — Conclusions

    Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

    Bien que les recours introduits par le gouvernement néerlandais et par le gouvernement italien n'aient pas été joints, nous voudrions cependant grouper nos conclusions dans ces deux affaires pour exposer en même temps notre point de vue. L'identité des points en litige, le caractère semblable des intérêts défendus et la très large concordance des arguments exposés permettent, nous semble-t-il, de procéder ainsi et cela apparaît même souhaitable dans l'intérêt d'une discussion logique des problèmes en litige. Il va de soi que nous nous attacherons tout spécialement à examiner intégralement tous les points de vue invoqués, compte tenu du rang des parties requérantes, car il ne serait pas admissible que certains arguments puissent être négligés du fait que les deux recours sont discutés en commun.

    Ces procès sont relatifs aux efforts répétés de la Haute Autorité pour amener les États membres de la Communauté, par des actes obligatoires dans le domaine des transports, à mettre en œuvre la situation dont elle estime qu'elle est prescrite par le traité. Ils sont la suite des procès intentés également par les gouvernements néerlandais et italien, à l'issue desquels la Cour a déclaré illégales les tentatives de la Haute Autorité d'agir sur les États membres par des décisions du 18 février 1959 qui se fondaient sur la base juridique de l'article 88.

    Après les arrêts 20-59 et 25-59, la Haute Autorité a pris le 1er mars 1961 la recommandation no 1-61, actuellement attaquée, par laquelle elle se proposait d'amener les gouvernements des États membres à prendre des mesures d'exécution pour la publication ou la communication des barèmes, prix et dispositions tarifaires pour le transport du charbon et de l'acier. La Haute Autorité a notifié sa recommandation par lettre adressée aux gouvernements de tous les États membres, dont le gouvernement du royaume des Pays-Bas et le gouvernement de la République italienne. En outre, elle a été publiée au «Journal officiel des Communautés européennes» du 9 mars 1961, page 469.

    Les recours se fondent sur l'article 33 du traité; subsidiairement, le gouvernement néerlandais invoque l'article 88. Les deux gouvernements demandent l'annulation totale de la recommandation. Sont intervenus dans la procédure introduite par le gouvernement néerlandais :

    les Charbonnages de France,

    les Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais,

    les Houillères du bassin de Lorraine.

    Les intervenants soutiennent les conclusions de la Haute Autorité dans son but, mais invoquent en partie des arguments dont la Haute Autorité déclare expressément qu'ils ne répondent pas complètement à sa propre conception. Notons dès maintenant qu'il va de soi que, dans la question de l'interprétation de ses actes, l'opinion de la Haute Autorité aura la priorité sur celle des intervenants.

    Les griefs des requérants peuvent se résumer ainsi :

    ils concernent la procédure suivie (caractère illicite d'une recommandation; non-respect des règles de l'article 88);

    ils visent des vices de forme dans la recommandation (manque de clarté, absence de différenciation du contenu, insuffisance de motifs);

    et ils concernent enfin et surtout le contenu de l'acte attaqué.

    Dans le troisième groupe, voici les principales critiques :

    la recommandation ne laisse aucun pouvoir d'appréciation au gouvernement;

    l'article 70, alinéa 3, ne saurait être utilisé pour assurer la mise en œuvre des dispositions du traité relatives aux prix (article 60) ;

    l'article 70, alinéa 3, n'a pas pour but de garantir un contrôle préventif du respect de l'interdiction de la discrimination ;

    l'article 70, alinéa 3, n'a, quant à sa fonction, aucun rapport avec l'introduction de tarifs internationaux directs et avec l'harmonisation des prix et des conditions de transport (paragraphe 10 de la convention relative aux dispositions transitoires);

    l'article 70, alinéa 3, ne prescrit pas la tarification générale des prix de transport;

    la Haute Autorité ordonne à tort aux gouvernements des États membres d'introduire des mesures de contrôle et des mesures répressives;

    la fixation d'un délai par la Haute Autorité n'est pas légale ;

    la Haute Autorité n'est pas en droit d'obliger les États membres à communiquer préalablement les mesures qu'ils entendent prendre.

    Pour le détail de ces critiques, nous nous permettons de renvoyer au rapport détaillé du juge rapporteur et aux discussions dans l'examen juridique.

    Discussion juridique

    I — QUANT A LA RECEVABILITÉ

    Aucune question de recevabilité ne se pose ici. C'est pourquoi nous pouvons passer tout de suite à l'examen juridique du bien-fondé.

    II — LES DIFFÉRENTS GRIEFS

    1. La procédure suivie

    a)

    Le gouvernement néerlandais estime que la Haute Autorité a voulu, en réalité, prendre une décision selon l'article 88, sans respecter les conditions qui y sont prévues.

    Il y a donc lieu, avant toute autre chose, d'examiner la nature juridique de l'acte attaqué, c'est-à-dire de constater si l'intention manifeste de la Haute Autorité et les caractéristiques objectives de l'acte lui-même font apparaître effectivement une critique de l'attitude des États membres, conformément à l'article 88 du traité.

    Un fait certain, c'est que la «recommandation» ne se réfère pas à l'article 88, ce qui, assurément, n'exclut pas qu'il s'agit en réalité d'une décision prise selon l'article 88.

    En outre, il n'est pas possible de nier que certains éléments de l'acte rappellent une décision selon l'article 88; c'est le cas, par exemple, lorsque l'exposé des motifs constate que les États membres n'ont pas pris de mesures pour la mise en œuvre de l'article 70, alinéa 3, ou que ces mesures sont incomplètes lorsqu'il les invite explicitement à les prendre et lorsqu'il fixe un délai à cet effet.

    D'un autre côté, la Haute Autorité a donné expressément le nom de «recommandation» à son acte. C'était donc son intention bien déclarée d'avoir recours à cet instrument formel. En outre, la haute réputation de l'exécutif de la C.E.C.A. et l'expérience qui prouve qu'il a toujours respecté scrupuleusement les décisions de la Cour excluent la thèse selon laquelle la Haute Autorité, après l'arrêt du 15 juillet 1960, rendu sur les mêmes matières et entre les mêmes parties, aurait utilisé à nouveau la voie de l'article 88 et de la même manière envers les États membres au mépris des leçons de la Cour. Enfin, il faut aussi remarquer que la Haute Autorité ne définit les obligations litigieuses découlant du traité qu'en se référant aux buts à poursuivre. Elle se borne à interpréter les objectifs que l'article 70, alinéa 3, est destiné à réaliser. Elle ne dit rien par contre sur le choix des moyens nécessaires, c'est-à-dire qu'elle ne tente pas de préciser ou de définir les mesures d'exécution que les États doivent prendre. Elle déclare notamment que les réglementations nationales peuvent être organisées différemment en fonction des particularités des différentes branches de transport. Il en résulte qu'il y a bien en fait une recommandation non seulement d'après l'intention reconnaissable de la Haute Autorité, mais aussi en raison de ses principales caractéristiques objectives.

    Cette qualification de principe n'apporte assurément aucune réponse à la question de savoir si l'acte qui a été pris respecte dans toutes ses parties les limites d'une recommandation. Nous prendrons position plus loin sur ce point.

    b)

    La Haute Autorité était-elle en droit de prendre une recommandation? Le gouvernement italien voit un abus de procédure dans la recommandation de la Haute Autorité. Selon sa thèse, la procédure aurait dû être continuée selon l'article 88 après le prononcé des arrêts du 15 juillet 1960, le gouvernement italien ayant répondu le 8 janvier 1959 à la lettre de la Haute Autorité du 12 août 1958 et s'étant déclaré prêt à prendre des mesures dans le cadre des trois possibilités exposées par la Haute Autorité. Celle-ci, dit le gouvernement italien, aurait dû étudier sa réponse et constater qu'il n'y avait pas violation du traité.

    Dans nos conclusions dans les affaires 20-59 et 25-59, nous avons soutenu que la Haute Autorité pouvait reprendre la procédure de l'article 88 en respectant toutes les conditions nécessaires. Aujourd'hui encore nous maintenons cette thèse. Mais nous sommes également persuadés que la Haute Autorité n'était pas obligée de recourir à nouveau à l'article 88. La procédure de l'article 88 constituait pour elle une tentative de réaliser les buts de l'article 70, alinéa 3. La Cour ayant déclaré ses efforts illégaux, elle était tenue, d'après l'article 34 du traité, de prendre «les mesures que comporte l'exécution d'une décision d'annulation».

    Nous en arrivons ainsi à un point du débat qui présente également de l'importance pour le grief du gouvernement néerlandais: ce dernier prétend que la Haute Autorité n'aurait pas dû prendre une recommandation en l'absence d'un pouvoir explicitement conféré à cet effet. La Haute Autorité se défend contre ces deux arguments, et ce n'est pas étonnant, en se référant aux arrêts 20-59 et 25-59 dont voici les motifs :

    «Dans le cas où ce, pouvoir réglementaire lui est refusé et demeure réservé aux États, la Haute Autorité, si elle désire rappeler aux États leurs obligations, peut uniquement recourir à une recommandation, sans pouvoir leur imposer d'emblée son propre choix quant aux moyens.»

    (Recueil, VI, p. 691 et 760.)

    On peut se demander si cette citation est bien de nature à s'appliquer à la procédure adoptée par la Haute Autorité.

    Voici ce qu'on pourrait objecter :

    l'arrêt met l'accent sur l'interdiction d'imposer aux États membres le choix entre des mesures d'exécution données (moyens) ;

    l'arrêt n'envisage que le cas d'un simple rappel à des obligations découlant du traité, c'est-à-dire un acte juridiquement sans importance, alors qu'une véritable recommandation au sens de l'article 14 fixe de façon obligatoire des objectifs, c'est-à-dire crée des effets juridiques;

    ce passage de l'arrêt contient uniquement une indication donnée en passant et qui ne participe pas de la force de la chose jugée. Le motif déterminant de l'arrêt est simplement la constatation qu'il n'y a pas de pouvoir réglementaire et non pas la mention, donnée à titre d'exemple, d'un procédé qui peut être envisagé à la place de la procédure critiquée.

    Ces objections ne sont pas décisives. Lorsque la Cour, dans un arrêt, utilise le terme de «recommandation», il faut admettre qu'elle l'entend dans son sens de technique juridique, c'est-à-dire qu'elle vise un acte qui se propose de créer certains effets juridiques. Il faut donc, dans cette mesure, rejeter la thèse du gouvernement néerlandais selon lequel une recommandation aurait dû se borner à répéter le texte de l'article 70, alinéa 3. Il nous a appris au cours de l'audience que seules les obligations pouvant être déduites clairement du texte du traité pouvaient constituer le texte d'une recommandation, en évitant tout autre objectif et toute autre interprétation à l'aide d'autres dispositions du traité. Mais cela en fait ne serait rien d'autre qu'un rappel juridiquement sans importance, n'ayant rien de commun avec la recommandation prévue à l'article 14.

    En outre, il nous semble que c'est d'une importance secondaire de rechercher dans les arrêts là où cessent les motifs déterminants et là où se trouvent éventuellement les mentions indiquées en passant. En tout cas, toutes les opinions énoncées dans le texte de l'arrêt sont l'expression de la volonté de la Cour. Si donc celle-ci, dans un procès immédiatement antérieur, lors de l'examen des moyens à la disposition de la Haute Autorité pour imposer les obligations prévues par le traité à l'article 70, alinéa 3, rejette l'adoption de décisions générales et suggère au contraire le choix d'une recommandation, il faut partir de l'idée qu'elle estime que, précisément à cet égard, la recommandation est licite et qu'elle l'estime adéquate. Cette constatation doit constituer la base de l'examen juridique actuel.

    Une remarque nous semble encore indispensable à cet égard: elle se réfère à l'article 88 du traité. Nous pensons là non pas aux arguments, à notre avis inexacts, selon lesquels l'article 88 serait inadéquat lorsque tous les États membres sont en infraction avec les dispositions du traité (ce que soutiennent les parties intervenantes) ou ne pourrait être envisagé que si les objectifs d'une disposition du traité ont été définis à l'aide de recommandations. Nos objections visent un autre problème.

    Lorsque les États membres n'exécutent pas les obligations découlant directement pour eux du traité, si la Haute Autorité peut les rappeler par voie de recommandation au respect de ces obligations et préciser les buts à respecter lors de leur exécution, il existe le risque que les États membres en question voient diminuer leurs possibilités de défense juridique. S'ils veulent empêcher que la recommandation ne prenne force de chose jugée selon l'article 33, c'est-à-dire dans le délai d'un mois, ils sont contraints d'engager un recours normal en annulation, ouvrant une procédure de contrôle judiciaire limité, alors que la procédure de l'article 88 leur donne un délai de deux mois pour engager le recours de pleine juridiction. Si, ultérieurement, la procédure de l'article 88 est ouverte (lorsque la Haute Autorité estime que la recommandation n'a pas été respectée), d'après la jurisprudence actuelle de la Cour, le contenu de la recommandation précédente ne peut plus faire l'objet d'un contrôle juridictionnel (voir à ce sujet l'arrêt 3-59, Recueil, VI, p. 133). Il y est dit ceci :

    «attendu que la Haute Autorité peut constater un manquement d'un État membre tant par rapport à une disposition du traité que par rapport à une décision prise par elle;

    que, dans ces conditions, il ne faut pas confondre le recours éventuel — aux termes de l'article 33 — contre une décision, dont la Haute Autorité a reproché par la suite la méconnaissance, et le recours — aux termes de l'article 88, deuxième alinéa — contre la constatation de manquement à l'égard de cette décision;

    qu'en effet l'objet des deux recours est tout à fait distinct, le premier ayant pour objet de faire déclarer l'illégalité d'une décision prise en dehors des cas d'application de l'article 88, le deuxième ne pouvant avoir pour objet que :

    a)

    D'obtenir l'annulation de la constatation de manquement en démontrant que l'État membre s'est conformé aux obligations découlant de la décision dont la méconnaissance lui est reprochée, ce qui exclut la possibilité de contester en même temps la légalité de cette décision…»

    Ce résultat peut donc être inévitable là où le traité habilite expressément la Haute Autorité à prendre des décisions et des recommandations. Mais si on admet des recommandations sans habilitation expresse, à titre de rappel des obligations à déduire directement du traité, la règle spéciale de l'article 88 peut être dépouillée de sa signification, tout au moins en ce qui concerne la définition du contenu des obligations découlant du traité. Pour l'empêcher, il n'existe qu'un procédé si l'on ne veut pas porter atteinte aux arrêts 20-59 et 25-59 et à leur suggestion de prendre des recommandations: la Cour devra envisager encore une fois, dans un cas donné, le point de vue énoncé dans l'arrêt 3-59 et se décider, dans une procédure selon l'article 88, à inclure dans le contrôle de pleine juridiction des décisions ou des recommandations préalables dont la Haute Autorité se plaint qu'elles n'aient pas été respectées. Sous cette réserve d'ailleurs importante, il est possible d'admettre que les arrêts 20-59 et 25-59, avec leurs remarques sur l'adoption de recommandations, constituent une base juridique, sans que le système de protection juridique du traité avec ses privilèges spéciaux au profit des États membres soit sensiblement perturbé.

    2. Vices de forme de la recommandation

    Les griefs relatifs au manque de clarté et de précision des textes, à l'exposé des motifs et aux questions connexes visent des vices de forme au sens large du mot.

    a)

    Selon le gouvernement néerlandais, la référence faite dans la recommandation au bon fonctionnement du marché commun, aux articles 2 à 5 du traité, dont la Cour a reconnu qu'ils ne peuvent tous être respectés simultanément et dans la même étendue, et la référence à l'article 60 ainsi qu'aux décisions prises par la Haute Autorité en exécution de cet article ne sont pas suffisamment précises comme directives pour le destinataire de la recommandation. Il voit une preuve de manque de clarté dans l'invitation de la Haute Autorité de communiquer préalablement les mesures envisagées, ce qui doit permettre aux gouvernements nationaux de s'orienter plus facilement.

    Il ne peut y avoir aucun doute que les parties obligatoires d'un acte administratif, donc aussi les objectifs d'une recommandation, doivent être parfaitement claires et précises. Dans le cas d'espèce, les griefs des requérantes se concentrent sur l'article 1er , alinéa 2, de la recommandation de la Haute Autorité :

    «Les mesures visées au paragraphe 1 doivent être prises de manière à promouvoir le bon fonctionnement du marché commun, tel qu'il résulte des prescriptions du traité, en particulier de ses articles 2 à 5 et 60, ainsi que des décisions de la Haute Autorité prises pour leur application.»

    Les attendus de la recommandation disent ceci à ce sujet :

    «Les États membres sont en outre tenus de prendre leurs mesures de manière à promouvoir le bon fonctionnement du marché commun du charbon et de l'acier, tel qu'il résulte des dispositions du traité, notamment des articles 2 à 5 et 60, ainsi que des décisions prises pour leur application par la Haute Autorité.»

    Ces citations montrent que le dispositif de la recommandation ne se distingue pas en fait par une précision toute particulière et que les attendus ne donnent pas non plus de commentaires supplémentaires approfondis.

    Mais il ne faut pas oublier ceci. D'une part, les objectifs indiqués, tels qu'ils résultent du texte même du traité, sont loin d'être bien spécifiés. De l'autre, la recommandation attaquée ne constitue pas le premier acte de la Haute Autorité en matière de politique des transports dont les États membres se verraient ex abrupto les destinataires. Elle a été précédée par des négociations qui se sont déroulées pendant des années au Comité des experts en matière de transports (voir son rapport du 21 janvier 1956) ainsi qu'au Conseil de ministres, sur la base de ce rapport. Elles se sont terminées par l'introduction par la Haute Autorité du recours prévu à l'article 88 (voir les lettres de la Haute Autorité adressées le 12 août 1958 aux gouvernements et sa décision du 18 février 1959), recours qui a donné lieu à de longues discussions devant la Cour.

    Tous les intéressés savaient donc depuis fort longtemps ce que la Haute Autorité entend par «bon fonctionnement du marché commun» en ce qui concerne l'article 70, alinéa 3, et par référence aux articles 2 à 5 et 60 du traité. Les considérants de la décision du 18 février 1959 cités dans l'exposé des points de fait de l'arrêt 25-59, Recueil, VI, p. 733 et 734, sont caractéristiques à cet égard.

    Compte tenu de cette situation, il apparaît excessif d'exiger que la recommandation attaquée, dont on sait qu'elle entend continuer régulièrement la procédure de réalisation des objectifs de l'article 70, alinéa 3, contienne une discussion détaillée qui répète tout ce qui a fait l'objet des déclarations constantes de la Haute Autorité au cours des années passées.

    b)

    Le gouvernement italien reproche à la Haute Autorité d'avoir adressé à tous les États membres une seule et même recommandation, sans tenir compte des particularités nationales. Il aurait été correct de procéder à une différenciation selon la situation particulière de chaque État et d'adresser ainsi un acte individuel spécial au gouvernement italien.

    Ce grief est, dans une certaine mesure, en contradiction avec une autre remarque du gouvernement italien, selon lequel la Haute Autorité n'aurait pas laissé suffisamment de liberté d'action aux États membres pour les mesures d'exécution. Il ne faut pas oublier que l'article 70, alinéa 3, comme la Cour l'a constaté, énonce une obligation directe qui concerne également tous les États membres. Lorsque la Haute Autorité s'efforce de définir le but et l'objectif de cette obligation, elle ne peut agir que de façon générale. Si elle envisageait la situation particulière de chaque État, elle courrait aussitôt le risque de sortir du cadre d'une recommandation qui ne peut se prononcer que sur les objectifs et de donner son avis sur les mesures d'exécution dont le choix doit, au contraire, être laissé aux seuls États membres. En ce qui concerne les possibilités juridiques liées à une recommandation, la Haute Autorité, en renonçant à une différenciation, a agi correctement.

    c)

    Le grief de défaut de motifs que le gouvernement néerlandais développe en disant que la recommandation ne contient pas d'indication sur les bases juridiques des actes de la Haute Autorité, sur la procédure adoptée par celle-ci et sur la nature juridique de l'acte émis, est en partie identique avec le grief de l'imprécision du contenu de la recommandation.

    Ce grief nous paraît, lui aussi, mal fondé. La recommandation indique expressément les articles du traité sur lesquels la Haute Autorité se fonde. En outre, il est manifeste pour le requérant que la recommandation a été prise en exécution des arrêts 20-59 et 25-59 qui ont indiqué explicitement ce moyen à la Haute Autorité.

    d)

    Enfin, il faut encore parler de l'objection du gouvernement italien qui prétend que la recommandation ne laisse aucune liberté d'action aux États membres et qu'elle méconnaît donc les exigences de l'article 14. Ce qui serait caractéristique, c'est que les gouvernements auraient été invités à faire connaître à la Haute Autorité les mesures envisagées avant le 31 octobre 1961. En cas de divergence d'avis, la Haute Autorité se serait donc réservé de prescrire elle-même les mesures nécessaires.

    Il n'est assurément pas exact que le texte de la recommandation ne laisse aucune liberté d'action dans le choix des moyens par les gouvernements des États membres. Les attendus de la recommandation aussi bien que son dispositif ne mentionnent que les obligations découlant du traité pour les États membres et les objectifs devant être respectés lors de leur exécution. Contrairement à la décision annulée no 18-59, il n'y a aucune indication sur les procédés à suivre en particulier. Et même, comme cela a été mentionné, l'attention a été spécialement attirée sur le fait que les États peuvent donner une structure différente aux réglementations à prendre, conformément aux particularités des différents moyens de transport.

    D'ailleurs, rien dans la recommandation ne laisse croire que la Haute Autorité voulait elle-même se donner le pouvoir de fixer de manière obligatoire les mesures d'exécution nécessaires, si les mesures communiquées ne lui paraissaient pas suffisantes. En fait, elle n'en aurait pas eu le droit. L'invitation à informer la Haute Autorité des mesures envisagées a, au contraire, manifestement le but, par une prise de contact faite en temps opportun, de faciliter par une procédure non formelle, précédant l'adoption des mesures législatives et réglementaires, une orientation non obligatoire des États membres sur les opinions de la Haute Autorité. Elle sert donc à réaliser une bonne collaboration entre la Communauté et les États membres, elle rend possible une certaine accélération dans la mise en œuvre des objectifs du traité et elle est avant tout aussi de nature à éviter l'introduction de la procédure formelle de l'article 88. Cette disposition ne lèse en rien les États membres, elle a été prise au contraire dans leur intérêt. S'il apparaît que les divergences sont insurmontables, il reste alors à la Haute Autorité le seul moyen de l'article 88 avec toutes ses garanties pour les États intéressés. Il ne peut donc être question d'un élargissement de ses pouvoirs et d'une diminution des possibilités restant ouvertes aux États.

    3. Griefs relatifs au contenu de la recommandation

    Sous une forme générale, les requérants reprochent à la Haute Autorité d'indiquer des objectifs qui devraient être atteints d'après l'article 70 à l'aide de mesures gouvernementales et par là d'imposer des obligations plus larges que le traité ne le prévoit pour les États membres. L'article 70, alinéa 3, n'aurait qu'un sens et qu'un but: permettre à la Haute Autorité de contrôler le respect de l'interdiction de la discrimination.

    a)

    La Haute Autorité exige avant tout à tort de mettre au service du droit des prix de la Communauté (article 60) la publication ou la communication des prix de transport prévus à l'article 70, alinéa 3.

    Ce grief porte sur la question fondamentale de ce procès.

    Tout d'abord nous voudrions affirmer qu'à notre avis les arrêts 20-59 et 25-59 n'ont pas pris position sur cette question, et cela contrairement à ce que pensent les requérants. Nous devons ici nous défendre de tirer des conclusions trop poussées de certaines formules de l'arrêt privées de leur contexte.

    Certes, les attendus de l'arrêt abordent le problème en ce sens qu'ils reproduisent la thèse de la Haute Autorité, selon laquelle les dispositions de l'article 60 présupposent une publication des barèmes des prix et des dispositions tarifaires qui sont appliqués pour le transport du charbon et de l'acier. Dans les attendus qui suivent, la Cour se borne à constater qu'un vendeur ne peut être obligé de publier les coûts de transport en tant qu'élément de son prix de revient; de même, la pratique des décisions de la Haute Autorité sur l'article 60 est telle qu'il n'est pas prévu de publication des frais de transport par les producteurs. Lorsque finalement l'arrêt dit qu'il n'existe pas de lien organique et fonctionnel entre l'obligation de publier les prix et celle de publier les coûts de transport, la seule conclusion qui en est tirée est la suivante :

    «On ne peut cependant déduire de ce [principe de discrimination] une habilitation de celle-ci [la Haute Autorité] à exercer un pouvoir de décision consacrant un contrôle anticipatif» ( 1 ).

    Comme l'arrêt a été rendu exclusivement sur le point de savoir si on peut déduire du traité un pouvoir réglementaire de la Haute Autorité dans le domaine de l'article 70, alinéa 3, il n'y avait pour la Cour aucune raison de s'occuper de la question de savoir comment les obligations en matière de transport que le traité impose aux États doivent être délimitées sous l'angle du droit des prix.

    Il est certain que le traité a étroitement délimité le domaine de l'intégration des économies nationales. Il est non moins certain qu'il y avait une nécessité pour certaines matières d'agir dans la sphère de souveraineté réservée aux États, de manière à assurer contre des influences extérieures, à l'aide de pouvoirs exceptionnels d'action de la Communauté ou d'obligations spéciales des États, l'intégration partielle avec ses règles de jeu particulières; il était clair pour tous les intéressés que le secteur des transports surtout avait une grande importance pour le marché du charbon et de l'acier. Les dispositions particulières de l'article 70, et parmi elles, l'article 70, alinéa 3, qui doit être interprété ici, sont le résultat de cette constatation.

    S'il faut essayer de définir la signification de l'alinéa 3 de l'article 70, il est naturellement possible, d'un point de vue théorique, de ne le considérer que dans son contexte, c'est-à-dire l'article 70 qui constitue à lui seul un chapitre du traité. Cette thèse peut s'appuyer sur le principe selon lequel, dans les domaines réservés à la compétence nationale, toute disposition exceptionnelle doit faire l'objet d'une interprétation étroite. Les répercussions sur le système du traité doivent permettre de voir si ce sens est obligatoire et correct.

    Dans le texte de la disposition de l'article 70, la Haute Autorité et les intervenants renvoient à l'alinéa 5 qui, par rapport à la politique nationale des transports, contient une réserve non seulement au profit de l'article 70 mais aussi, de façon générale, au profit des «autres dispositions du présent traité». Si l'article 70 devait se suffire à lui-même, si son alinéa 3 n'avait donc que des fonctions dans le cadre de l'interdiction de discrimination, la réserve mentionnée ne serait pas compréhensible. L'article 70, alinéa 5, ouvre donc une brèche importante dans l'argumentation des requérants.

    Il en résulte donc avec certitude que, pour l'interprétation de l'article 70, alinéa 3, il faut tout au moins respecter les principes fondamentaux du traité qui caractérisent la Communauté et ses fonctions et qui sont même essentiels, car on ne peut admettre que les partenaires du traité reconnaissent ces principes tout en admettant les mesures gouvernementales qui peuvent les mettre en cause. Les principes du traité sont énoncés aux articles 2 à 5 dont l'article 2, alinéa 2, l'article 3, a, b, c, l'article 4, b et c, et l'article 5 méritent ici une attention particulière. L'article 5 surtout mérite d'être relevé, car il oblige la Communauté à créer, à maintenir et à respecter les conditions normales de concurrence. L'article 60 constitue une base essentielle du système de concurrence du traité. Il interdit en matière de prix les pratiques contraires aux articles 2, 3 et 4, notamment la concurrence déloyale et les pratiques discriminatoires; il prescrit, en outre, dans l'intérêt de cette interdiction, la publication et le respect exact des barèmes de prix et conditions de vente appliquées dans le marché commun, les entreprises étant laissées libres dans une certaine mesure de choisir le point de parité, et ne permet une dérogation aux prix publiés que si les conditions d'alignement des prix sont remplies.

    Ce système suppose, ce qui est indéniable, une certaine connaissance des coûts de transport pour le calcul des prix de revient au point de parité et au lieu de livraison ainsi que pour le calcul des prix de revient des entreprises concurrentes. Faute de les connaître, l'article 60 est impraticable, le système des prix du traité n'est pas en mesure de fonctionner et surtout les alignements de prix qui, d'après l'arrêt de la Cour (arrêt 1-54, Recueil, I, p. 27), sont «un droit accordé aux entreprises par le traité et pas seulement une faculté» ne peuvent être exécutés de façon précise et par conséquent correcte que si les coûts de transport sont connus.

    Mais si la nécessité d'une publicité des frets pour le bon fonctionnement du marché commun est prouvée, il faut aussi admettre que les auteurs du traité avaient cet objectif en vue lorsqu'ils ont énoncé à l'article 70, alinéa 3, l'obligation pour les États de publier ou de communiquer à la Haute Autorité les barèmes, prix et dispositions tarifaires applicables aux transports intérieurs de charbon et d'acier à l'intérieur de chaque État membre et entre les États membres. Leur volonté était d'assurer la transparence du marché des transports en imposant des obligations juridiques aux États.

    En tout cas, le secret des tarifs spéciaux défendu par le gouvernement néerlandais est incompatible avec cette interprétation.

    La recommandation de la Haute Autorité qui n'indique que le but ne permet pas de déduire comment la publicité des prix doit être assurée en particulier. La Cour non plus n'a pas à s'en occuper. Notamment, la question de savoir si le traité prévoit la communication individuelle de chaque contrat de transport et la communication de ses données aux intéressés, c'est-à-dire les utilisateurs du trafic, peut rester ouverte. On ne peut nier qu'une telle procédure pourrait mettre les gouvernements et la Haute Autorité devant des difficultés insolubles et n'aurait en outre qu'une faible valeur pour les utilisateurs des transports. Il est donc parfaitement possible, pour son exécution pratique, de grouper certaines données sous forme de mercuriales publiées soit par les gouvernements, soit par la Haute Autorité.

    En tout cas, il est inexact d'admettre que la Haute Autorité tendrait à imposer une tarification générale. Même si les intervenants l'estiment utile ou même nécessaire, il faut cependant constater que la recommandation elle-même ne permet pas de déduire un objectif correspondant. Dans cette mesure, les arguments du gouvernement italien, qui s'appuient sur certaines publications d'un conseiller de la Haute Autorité, étrangères à la recommandation attaquée, portent donc à faux.

    Après ces remarques de principe, il faut encore examiner quelques arguments particuliers. La question se pose de savoir s'il y a une publicité suffisante des prix sans collaboration de l'État. Au cours du procès, les intervenants nous ont dit de façon persuasive que ce n'est pas le cas, tout au moins dans certaines parties du marché commun, parce que les renseignements ne sont donnés qu'en cas de demande de transport concrète et bien définie, dans un cas particulier. Mais même en faisant abstraction de telles difficultés objectives et en admettant qu'à l'aide d'un service d'information efficace certains renseignements sur les prix et conditions de transport puissent être obtenus de source sérieuse, même par les entreprises particulières, ce qui ne pourrait sûrement être le cas sans difficultés et sans frais sensibles, cette possibilité disparaît très certainement pour les petites et moyennes entreprises. La renonciation à une collaboration de l'État pour garantir la transparence des marchés entraînerait alors nécessairement une discrimination dans le marché, d'une part, entre entreprises qui ont leur siège dans les États qui aiment la publicité et celles qui exercent leur activité dans des États sans publicité des prix et, d'autre part, suivant les possibilités d'information mentionnées, entre grandes et petites entreprises. Or, ce résultat n'est en rien conciliable avec les principes du traité.

    Dans la discussion juridique, qui seule nous intéresse ici, l'allégation que jusqu'ici, même sans publicité complète du marché des transports, le fonctionnement du marché commun a été à peine troublé ne peut donner lieu à de fausses conclusions. Dans des formules remarquables, le représentant des intervenants a souligné que l'existence d'une obligation juridique ne peut dépendre du degré auquel elle est respectée. En effet, si on nie l'existence d'une obligation des États membres de garantir la publicité des prix de transport, on doit s'attendre à une évolution à la fin de laquelle le secret domine le marché des transports. Indépendamment du fait que cette évolution serait diamétralement opposée aux efforts déployés dans le cadre de la politique des transports de la C.E.E., personne ne pourra nier qu'elle rendrait irréalisables des principes importants de la Communauté charbon acier. Ainsi nous semble-t-il prouvé que, précisément en ce qui concerne la règle des articles 5 et 60, qui est importante et fondamentale pour le marché commun, la collaboration nationale exigée par la Haute Autorité est indispensable en matière de transports. C'est notamment la tâche de l'article 70, alinéa 3, que de la garantir.

    Après tout cela, il reste encore à réfléchir sur deux objections du gouvernement néerlandais. Il estime que l'interprétation soutenue par la Haute Autorité élimine au fond l'alternative de l'article 70, alinéa 3, parce que, dans chaque cas, la communication des prix de transport aux entreprises est prévue. Or, en réalité, l'article 70, alinéa 3, laisserait aux États membres le choix entre la publication des tarifs et la communication des prix pour l'usage exclusif de la Haute Autorité.

    A notre avis, ce raisonnement n'est pas pertinent. Il n'y a de véritable alternative que lorsque les possibilités offertes sont approximativement équivalentes dans leurs effets, mais elle n'existe pas, par contre, lors d'une confrontation entre des données extrêmes, telles que la publication des tarifs et le secret des prix communiqués. Dans la conception de la Haute Autorité, il existe une véritable alternative, car pour les intéressés (entreprises de transport et utilisateurs des transports) il y a une réelle différence entre une tarification administrative ou privée d'une part et d'autre part la possibilité de discuter les prix dans un cas particulier avec l'obligation de les communiquer à la Haute Autorité.

    Dans sa seconde objection, le gouvernement néerlandais expose que les mesures réclamées par la Haute Autorité entraîneraient une modification fondamentale de l'économie néerlandaise des transports, dont l'élément caractéristique est le principe de la concurrence. Cette critique est également fausse. Au fond, elle constitue une critique du traité et de son esprit. Indépendamment de l'article 70, alinéa 5, selon lequel la politique nationale des transports doit admettre des limitations dans l'intérêt de la Communauté, on ne voit pas, en outre, dans quelle mesure la publicité des prix écarterait la concurrence dans le secteur des transports. Pour le traité et pour la Communauté aussi, la concurrence constitue l'un des éléments les plus importants. Comme l'article 60 le montre, l'obligation de créer la transparence du marché n'exclut cependant pas la réalisation d'une véritable concurrence.

    b)

    Le gouvernement néerlandais déduit un deuxième grief relatif au contenu de la recommandation de l'idée que la Haute Autorité exige une publication des tarifs ou une communication des prix de telle sorte qu'elle seule, ainsi que les utilisateurs et producteurs puissent contrôler a priori le respect de l'interdiction de discrimination d'après l'article 70, alinéas 1 et 2, ce qui ne pourrait se faire selon la Cour (arrêt 25-59, Recueil, VI, p. 759).

    Un contrôle préalable n'est possible, s'il l'est même, qu'à l'aide de tarifs publiés dont la compatibilité avec l'article 70, alinéas 1 et 2, doit être contrôlée avant leur application, ou bien lorsque, avant la conclusion d'un contrat de transport déterminé, ses conditions sont communiquées à la Haute Autorité ou au public. Mais il faut constater que la recommandation de la Haute Autorité n'est pas rédigée de cette façon, sinon elle modifierait sensiblement en fait l'alternative prévue dans le traité (publication ou communication à la Haute Autorité). Comme la Haute Autorité se borne à reproduire le texte de l'article 70, alinéa 3, et ne mentionne pas le contrôle préalable dans l'énumération des buts à poursuivre, il faut admettre qu'elle n'entend pas exclure la possibilité d'un contrôle ultérieur tel qu'il résulte de la simple communication des prix appliqués. En réalité, l'argument du requérant ne constitue pas un grief pertinent mais simplement une crainte mal fondée.

    c)

    Dans une troisième remarque sur le contenu de la recommandation, les deux requérantes soulignent que l'article 70, alinéa 3, n'a pas pour tâche de rendre possible la mise en œuvre de mesures destinées à établir des tarifs internationaux directs et à harmoniser les prix et conditions de transport. Il s'agit là de matières qui étaient mentionnées exclusivement dans la convention relative aux mesures transitoires, laquelle a cessé entre-temps d'être en vigueur, et qui ne pourraient faire l'objet que d'accords gouvernementaux en dehors du traité.

    Ce qui est exact, c'est que l'introduction de tarifs internationaux directs et l'harmonisation des prix ne sont pas mentionnés expressément à l'article 70, mais seulement au paragraphe 10 de la convention relative aux mesures transitoires. Ce qui est également sûr, c'est que le paragraphe 10, alinéa 6, de cette convention mentionne l'accord des gouvernements et qu'il s'agit là de mesures qui doivent être traitées entre gouvernements. Le paragraphe 10 énonce donc un programme, mais non pas des obligations découlant directement du traité pour les États membres.

    Cependant, il faut constater ceci: le paragraphe 10, alinéa 1, de la convention relative aux dispositions transitoires parle, en ce qui concerne les tâches de la Commission d'experts, parmi lesquelles figurent l'étude des propositions d'établissement des tarifs directs internationaux et d'harmonisation des prix et conditions de transport, d'une activité qui relève des buts de l'article 70 : «Une Commission d'experts … sera chargée … de l'étude des dispositions à proposer aux gouvernements … pour atteindre les buts définis à l'article 70 du traité.» C'est là une interprétation authentique des rapports mutuels entre la disposition du paragraphe 10 de la convention relative aux dispositions transitoires et l'article 70 du traité. Personne ne peut affirmer qu'à l'expiration de la convention relative aux mesures transitoires les programmes qui ont un lien indissoluble avec les objectifs du traité, donc avec ceux de l'article 70, aient été abandonnés. Même si les États ne sont pas tenus directement de prendre des mesures en ce domaine, ils ont cependant l'obligation générale de s'efforcer de réaliser les programmes. La recommandation se réfère uniquement à cette obligation générale et, comme la Haute Autorité l'a déclaré au cours du procès, de telle sorte que, chaque fois qu'une mesure est prise pour mettre en œuvre les obligations découlant directement du traité, rien ne doit être fait qui puisse empêcher ou aggraver sérieusement la réalisation des programmes. Nous ne comprenons pas comment de cet avertissement découlerait l'obligation de procéder à une tarification générale.

    La mention des tarifs directs internationaux et de l'harmonisation des tarifs dans la recommandation de la Haute Autorité ne peut donc être critiquée.

    d)

    Selon le gouvernement néerlandais, la Haute Autorité prescrit à tort la mise en vigueur de mesures de contrôle et de sanctions, ce qui constituerait une immixtion inadmissible dans la souveraineté de l'État.

    Selon l'article 2 de la recommandation : «Les gouvernements des États membres sont tenus de prendre toutes mesures générales ou particulières appropriées pour que le respect des dispositions législatives et réglementaires existantes ou qui seraient créées en vue d'atteindre les buts définis à l'article 1 puisse être contrôlé et que les infractions à ces dispositions soient sanctionnées.»

    Il est incontestable que l'article 70 ne contient aucune référence à ces mesures. Mais s'il est certain que l'article 70, alinéa 3, constitue une règle du traité directement applicable, ce que la Cour a affirmé explicitement dans son arrêt 25-59, Recueil, VI, p. 756, il faut aussi admettre qu'une exécution correcte du traité exige des mesures efficaces. L'adoption d'un texte législatif ou réglementaire se bornant uniquement à reproduire à l'usage de ses ressortissants l'ordre de l'article 70 ne suffirait pas. Selon une conception générale, pour être efficaces, les mesures de l'administration nationale doivent être jointes à des contrôles et être garanties par des sanctions. Dans sa recommandation, la Haute Autorité n'a rien fait d'autre que d'énoncer une obligation accessoire des États membres qui va de soi et qui est nécessairement jointe à une obligation découlant directement du texte du traité.

    e)

    Selon le gouvernement néerlandais, le délai fixé à l'article 4 de la recommandation est également illicite parce qu'il ne se fonde pas sur l'article 88 du traité et parce que des mesures gouvernementales devaient uniquement être introduites pendant le délai fixé, ce qui pouvait entraîner des inégalités entre les États membres.

    Si nous examinons tout de suite la seconde partie du grief, nous ne pouvons voir de discrimination dans la recommandation, car tous les États ont la possibilité de se borner à mettre en vigueur les mesures nécessaires. En outre, et compte tenu des différences dans les systèmes de législation nationale, la réalisation des objectifs ne pouvait être ordonnée dans les limites d'un délai relativement court.

    En ce qui concerne le délai lui-même, l'article 70, alinéa 3, et la convention relative aux dispositions transitoires ne le prévoient manifestement pas. Mais il en résulte au sens strict que les États sont obligés de prendre immédiatement les mesures d'application nécessaires ou tout au moins dans un délai convenable. Tout au plus pourrait-on se demander si le retard dans la réalisation des objectifs de l'article 70, alinéa 3, joint au délai fixé par la Haute Autorité, n'est pas contraire au traité. Comme, en tout cas, le délai fixé constitue dans chaque cas un minimum convenable, le requérant ne peut invoquer aucun intérêt pour sa suppression.

    f)

    Enfin, à propos du contenu de la recommandation, les deux requérants critiquent encore l'obligation d'avertir préalablement des mesures envisagées: le traité ne connaîtrait qu'un contrôle a posteriori (article 88).

    Nous avons souligné déjà, en ce qui concerne le grief relatif à la forme et à la procédure, que la prise de contacts en temps voulu était parfaitement dans l'intérêt des États membres. Ils ne sont rien d'autre que l'expression d'une bonne collaboration entre la Haute Autorité et les États membres, ce que l'article 86 leur a déjà imposé en termes généraux. Il ne peut donc être question d'une lésion des droits.

    Il reste simplement la question du délai. Selon l'article 4, alinéa 2, de la recommandation, les gouvernements devront porter à la connaissance de la Haute Autorité, avant le 31 octobre 1961, le contenu des mesures envisagées.

    D'après les explications données sur l'argument précédent, nous pouvons estimer que cette date, calculée à partir de l'adoption de la recommandation, constitue un délai raisonnable. En tout cas, il était légitime de s'attendre à ce que les États élaborent d'ici là des mesures éventuelles au point de pouvoir dégager les caractéristiques les plus essentielles de leurs dispositions d'exécution.

    Sur ce point également, nous ne pouvons pas constater qu'il y ait eu une violation du droit.

    III — CONCLUSIONS

    Après un examen attentif de tous les arguments, nous en arrivons aux conclusions suivantes :

    1o

    La recommandation de la Haute Autorité du 1er mars 1961 n'est pas entachée de vices substantiels et elle est donc conforme au traité.

    2o

    Les interventions des Charbonnages de France, des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais et des Houillères du bassin de Lorraine sont recevables et bien fondées.

    3o

    Les recours du gouvernement italien et du gouvernement néerlandais sont recevables mais non fondés.

    4o

    Les dépens doivent être mis à la charge des requérants, les frais de l'intervention devant être supportés par le gouvernement néerlandais.


    ( *1 ) Gouvernement de la République italienne contre Haute Autorité de la C.E.C.A.

    ( 1 ) Recueil, VI, p. 759.

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