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Document 62020CJ0179

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 27 janvier 2022.
Fondul Proprietatea SA contre Guvernul României e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti.
Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Article 15, paragraphe 4 – Appel prioritaire – Sécurité d’approvisionnement – Article 32, paragraphe 1 – Libre accès des tiers – Accès garanti aux réseaux de transport – Directive 2009/28/CE – Article 16, paragraphe 2 – Accès garanti – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Aides d’État.
Affaire C-179/20.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:58

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

27 janvier 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Article 15, paragraphe 4 – Appel prioritaire – Sécurité d’approvisionnement – Article 32, paragraphe 1 – Libre accès des tiers – Accès garanti aux réseaux de transport – Directive 2009/28/CE – Article 16, paragraphe 2 – Accès garanti – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Aides d’État »

Dans l’affaire C‑179/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 3 mars 2020, parvenue à la Cour le 7 avril 2020, dans la procédure

Fondul Proprietatea SA

contre

Guvernul României,

SC Complexul Energetic Hunedoara SA, en liquidation,

SC Complexul Energetic Oltenia SA,

Compania Naţională de Transport al Energiei Electrice « Transelectrica » SA,

en présence de :

Ministerul Economiei, Energiei şi Mediului de Afaceri,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la cinquième chambre, M. C. Lycourgos, président de la quatrième chambre, MM I. Jarukaitis (rapporteur) et M. Ilešič, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 juin 2021,

considérant les observations présentées :

pour Fondul Proprietatea SA, par Mes C. Dontu, D. Petrache et J. Anghel, avocaţi,

pour SC Complexul Energetic Oltenia SA, par MM. D. Burlan, V. Bobei et V. Boca ainsi que par Mme L. Diaconu Pintea,

pour la Commission européenne, par Mmes O. Beynet et L. Nicolae ainsi que par MM. A. Bouchagiar et K.-Ph. Wojcik, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, et de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ainsi que de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72/CE du Parlement et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Fondul Proprietatea SA au Guvernul României (gouvernement roumain), à SC Complexul Energetic Hunedoara SA, en liquidation (ci-après « CE Hunedoara »), représentée par son administrateur judiciaire Expert Insolvență SPRL, à SC Complexul Energetic Oltenia SA (ci-après « CE Oltenia »), ainsi qu’à la Compania Naţională de Transport al Energiei Electrice « Transelectrica » SA (compagnie nationale de transport de l’énergie électrique Transelectrica) (ci-après « Transelectrica »), au sujet d’une demande d’annulation d’une décision du gouvernement roumain adoptant des mesures pour la sécurité de l’approvisionnement en énergie électrique.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2005/89/CE

3

Aux termes du considérant 5 de la directive 2005/89/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 janvier 2006, concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité et les investissements dans les infrastructures (JO 2006, L 33, p. 22) :

« Lors de la promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, il est nécessaire d’assurer la disponibilité de la capacité de secours associée lorsque cela est nécessaire du point de vue technique, afin de maintenir la fiabilité et la sécurité du réseau. »

La directive 2009/28/CE

4

Le considérant 60 de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO 2009, L 140, p. 16), énonçait :

« Un accès prioritaire et un accès garanti pour l’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables sont importants pour intégrer les sources d’énergie renouvelables dans le marché intérieur de l’électricité, conformément à l’article 11, paragraphe 2, et approfondir l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2003/54/CE [du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE, (JO 2003, L 176, p. 37)]. Les exigences relatives au maintien de la fiabilité et de la sécurité du réseau et à l’appel peuvent différer en fonction des caractéristiques du réseau national et de son bon fonctionnement. L’accès prioritaire au réseau donne aux producteurs connectés d’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables l’assurance qu’ils seront en mesure de vendre et de transporter l’électricité issue de sources d’énergie renouvelables conformément aux règles de raccordement à tout moment lorsque la source devient disponible. Lorsque l’électricité issue de sources d’énergie renouvelables est intégrée dans le marché au comptant, l’accès garanti assure que toute l’électricité vendue et bénéficiant d’une aide a accès au réseau, ce qui permet d’utiliser une quantité maximale d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables provenant d’installations raccordées au réseau. [...] »

5

L’article 16 de cette directive, intitulé « Accès aux réseaux et gestion des réseaux », disposait, à son paragraphe 2 :

« Sous réserve des exigences relatives au maintien de la fiabilité et de la sécurité du réseau, reposant sur des critères transparents et non discriminatoires définis par les autorités nationales compétentes :

[...]

b)

les États membres prévoient, en outre, soit un accès prioritaire, soit un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables ; [...] »

La directive 2009/72

6

Les considérants 3 et 5 de la directive 2009/72 énonçaient :

« (3)

Les libertés que le traité garantit aux citoyens de l’Union – entre autres, la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services – ne peuvent être effectives que dans un marché entièrement ouvert qui permet à tous les consommateurs de choisir librement leurs fournisseurs et à tous les fournisseurs de fournir librement leurs produits à leurs clients.

[...]

(5)

La sécurité d’approvisionnement en électricité revêt une importance vitale pour le développement de la société européenne, pour la mise en œuvre d’une politique durable en matière de changement climatique ainsi que pour la promotion de la compétitivité sur le marché intérieur. À cette fin, il convient de développer davantage les interconnexions transfrontalières pour garantir l’offre de toutes les sources d’énergie aux prix les plus bas possibles pour les consommateurs et pour les entreprises de [l’Union européenne]. »

7

L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoyait :

« La présente directive établit des règles communes concernant la production, le transport, la distribution et la fourniture d’électricité, ainsi que des dispositions relatives à la protection des consommateurs, en vue de l’amélioration et de l’intégration de marchés de l’électricité compétitifs dans [l’Union]. [...] »

8

Aux termes de l’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3.

“transport”, le transport d’électricité sur le réseau à très haute tension et à haute tension interconnecté aux fins de fourniture à des clients finals ou à des distributeurs, mais ne comprenant pas la fourniture ;

4.

“gestionnaire de réseau de transport”, une personne physique ou morale responsable de l’exploitation, de la maintenance et, si nécessaire, du développement du réseau de transport dans une zone donnée et, le cas échéant, de ses interconnexions avec d’autres réseaux, et chargée de garantir la capacité à long terme du réseau à satisfaire une demande raisonnable de transport d’électricité ;

[...]

16.

“ordre de préséance économique”, le classement des sources d’approvisionnement en électricité selon des critères économiques ;

17.

“service auxiliaire”, un service nécessaire à l’exploitation d’un réseau de transport ou de distribution ».

9

L’article 3 de ladite directive, intitulé « Obligations de service public et protection des consommateurs », énonçait, à son paragraphe 14 :

« Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer les dispositions des articles 7, 8, 32 et/ou 34 si leur application risque d’entraver l’accomplissement, en droit ou en fait, des obligations imposées aux entreprises d’électricité dans l’intérêt économique général et pour autant que le développement des échanges n’en soit pas affecté dans une mesure qui serait contraire aux intérêts de [l’Union]. Les intérêts de [l’Union] comprennent, entre autres, la concurrence en ce qui concerne les clients éligibles conformément à la présente directive et à l’article [106] du traité [FUE]. »

10

L’article 15 de la directive 2009/72, intitulé « Appel et ajustement », disposait, à ses paragraphes 1 à 4 :

«1.   Sans préjudice de la fourniture d’électricité sur la base d’obligations contractuelles, y compris celles qui découlent du cahier des charges de l’appel d’offres, le gestionnaire de réseau de transport, lorsqu’il assure cette fonction, est responsable de l’appel des installations de production situées dans sa zone et de la détermination de l’utilisation des interconnexions avec les autres réseaux.

2.   L’appel des installations de production et l’utilisation des interconnexions sont faits sur la base de critères qui sont approuvés par les autorités de régulation nationales si elles sont compétentes en la matière, et qui doivent être objectifs, publiés et appliqués de manière non discriminatoire, afin d’assurer un bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité. Ces critères tiennent compte de l’ordre de préséance économique de l’électricité provenant des installations de production disponibles ou de transferts par interconnexion, ainsi que des contraintes techniques pesant sur le réseau.

3.   Un État membre impose aux gestionnaires de réseau de se conformer à l’article 16 de la directive [2009/28], lorsqu’ils appellent les installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables. Il peut également exiger des gestionnaires de réseau, lorsqu’ils appellent les installations de production, qu’ils donnent la priorité à celles qui produisent de la chaleur et de l’électricité combinées.

4.   Un État membre peut, pour des raisons de sécurité d’approvisionnement, ordonner que les installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire soient appelées en priorité, dans une limite de 15 % de la quantité totale d’énergie primaire nécessaire pour produire l’électricité consommée dans l’État membre concerné au cours d’une année civile. »

11

L’article 32 de la directive 2009/72, intitulé « Accès des tiers », énonçait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, un système d’accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ce système, fondé sur des tarifs publiés, doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau. Les États membres veillent à ce que ces tarifs, ou les méthodes de calcul de ceux-ci, soient approuvés avant leur entrée en vigueur conformément à l’article 37, et à ce que ces tarifs et les méthodes de calcul, lorsque seules les méthodes de calcul sont approuvées, soient publiés avant leur entrée en vigueur. »

Le droit roumain

La loi no 123/2012

12

La Legea energiei electrice și a gazelor naturale nr. 123/2012 (loi no 123/2012 sur l’électricité et les gaz naturels), du 10 juillet 2012 (Monitorul Oficial al României, Partie I, no 485, du 16 juillet 2012), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi no 123/2012 »), prévoit, à son article 5, paragraphe 3 :

« Par décision du gouvernement, pour des raisons liées à la sécurité de l’approvisionnement en électricité, un accès garanti aux réseaux électriques peut être accordé pour l’électricité produite par des centrales électriques qui utilisent du combustible indigène, dans la limite d’une quantité annuelle d’énergie primaire de 15 % de la quantité totale de combustible équivalent nécessaire pour produire l’électricité afférente à la consommation brute finale du pays. »

La décision du gouvernement no 138/2013

13

L’Hotărârea Guvernului nr. 138/2013 privind adoptarea unor măsuri pentru siguranța alimentării cu energie electrică (décision du gouvernement no 138/2013 portant adoption de mesures pour la sécurité de l’approvisionnement en électricité), du 3 avril 2013 (Monitorul Oficial al României, Partie I, no 196, du 8 avril 2013) (ci-après la « décision no 138/2013 »), prise sur le fondement de l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012, indiquait, à son article 1er :

« Est accordé un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite par la centrale thermoélectrique de Mintia appartenant à [CE Hunedoara], ce qui lui assure le fonctionnement continu à une puissance électrique moyenne d’au moins 200 MW. »

14

Aux termes de l’article 2 de cette décision :

« Est accordé un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite par [CE Oltenia], ce qui lui assure le fonctionnement continu à une puissance électrique moyenne d’au moins 500 MW. »

15

L’article 3 de ladite décision énonçait :

« [Transelectrica], en qualité de gestionnaire de réseau de transport, est tenue de garantir l’appel prioritaire de l’électricité produite par les centrales thermoélectriques visées aux articles 1 et 2 dans les conditions prévues par la réglementation adoptée par l’Autoritatea Națională de Reglementare în Domeniul Energiei [autorité nationale de régulation du domaine de l’énergie]. »

16

L’article 4 de cette même décision disposait :

« Afin de maintenir le niveau de sécurité du système électro-énergétique national, [CE Hunedoara] a l’obligation de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau de transport d’une puissance électrique valant au moins 400 MW, conformément à la réglementation adoptée par l’Autoritatea Națională de Reglementare în Domeniul Energiei [autorité nationale de régulation du domaine de l’énergie]. »

17

L’article 5 de la décision no 138/2013 était ainsi libellé :

« Afin de maintenir le niveau de sécurité du système électro-énergétique national, [CE Oltenia] a l’obligation de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau de transport d’une puissance électrique valant au moins 600 MW, conformément à la réglementation adoptée par l’Autoritatea Națională de Reglementare în Domeniul Energiei [autorité nationale de régulation du domaine de l’énergie]. »

18

L’article 6 de cette décision prévoyait :

« Les mesures prévues dans la présente décision s’appliquent du 15 avril 2013 au 1er juillet 2015. »

19

Par la décision du gouvernement no 941/2014, le délai imparti pour appliquer à CE Hunedoara les mesures prévues aux articles 1er, 3 et 4 de la décision no 138/2013 a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2017.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20

Fondul Proprietatea, société actionnaire minoritaire de S.P.E.E.H. Hidroelectrica SA, a introduit devant la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie) un recours en annulation de la décision no 138/2013, au motif que, par celle-ci, une aide d’État illégale a été accordée à CE Hunedoara et à CE Oltenia, deux producteurs d’électricité utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire et dont le capital est majoritairement détenu par l’État.

21

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la décision no 138/2013 a institué une série de mesures en faveur de ces deux sociétés qui ont été appliquées du 15 avril 2013 au 1er juillet 2015 pour CE Oltenia et jusqu’au 31 décembre 2017 pour CE Hunedoara. Tout d’abord, les articles 1er et 2 de la décision no 138/2013 ont accordé un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite par les centrales thermoélectriques de ces deux sociétés afin d’assurer le fonctionnement continu à une puissance moyenne d’au moins 200 mégawatts (MW) pour la centrale appartenant à CE Hunedoara et d’au moins 500 MW pour la centrale appartenant à CE Oltenia. Ensuite, conformément à l’article 3 de cette décision, Transelectrica, l’unique gestionnaire de réseau de transport, était tenue de garantir l’appel prioritaire de l’électricité produite par les centrales thermoélectriques de ces deux sociétés. Enfin, les articles 4 et 5 de ladite décision ont instauré une obligation pour CE Hunedoara et CE Oltenia de fournir à Transelectrica des services auxiliaires respectivement d’une puissance électrique d’au moins 400 MW et 600 MW.

22

Par un arrêt du 10 mars 2015, la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest) a rejeté le recours de Fondul Proprietatea. Celle-ci a ensuite formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant l’Înalta Curte de Casație și Justiție – Secția de Contencios Administrativ și Fiscal (Haute Cour de cassation et de justice – chambre du contentieux administratif et fiscal, Roumanie) qui a partiellement cassé l’arrêt attaqué, par un arrêt du 22 mai 2018, au motif que la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest), n’avait pas apprécié l’ensemble des motifs soulevés par Fondul Proprietatea. L’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a dès lors renvoyé l’affaire devant la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest) afin que cette dernière examine l’ensemble desdits motifs.

23

À l’occasion de l’examen du renvoi du recours en annulation devant la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest), Fondul Proprietatea a demandé à cette juridiction de poser à la Cour des questions préjudicielles.

24

Fondul Proprietatea indique, à cet égard, devant la juridiction de renvoi, que la décision no 138/2013 est susceptible de constituer une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

25

En particulier, Fondul Proprietatea relève que Transelectrica, société majoritairement détenue par l’État, est tenue d’assurer, à tout moment, l’équilibre du système électro-énergétique national, à savoir l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité. À cet égard, elle achèterait des services auxiliaires au titre de procédures de passation de marché suivant lesquelles les offres déposées par les producteurs d’électricité sont classées par ordre croissant en commençant par l’offre de prix la plus faible. Les producteurs qui auraient des coûts de production faibles et qui pourraient proposer ces services auxiliaires à des prix compétitifs seraient ceux qui, en règle générale, les fourniraient.

26

Selon Fondul Proprietatea, les centrales détenues par CE Hunedoara et CE Oltenia ont des coûts de production élevés de telle sorte qu’elles ne fonctionnent pas en permanence et ne vendent pas une grande quantité d’électricité. Lorsqu’elles sont à l’arrêt, leurs chances de fournir des services auxiliaires diminueraient fortement, car leur redémarrage prendrait beaucoup de temps et impliquerait des coûts supplémentaires. Ainsi, si les critères économiques avaient été respectés, ces sociétés n’auraient pas pu vendre de tels services auxiliaires. Dans ce contexte, l’État roumain serait intervenu en leur accordant l’accès garanti aux réseaux de transport et l’appel prioritaire assorti de l’obligation d’acheter les services auxiliaires.

27

Fondul Proprietatea considère que ces mesures confèrent à ces deux sociétés un avantage économique sélectif financé au moyen de ressources d’État au détriment des autres producteurs d’électricité sur le marché. Lesdites mesures détourneraient le mécanisme d’accès garanti, créé pour encourager la production d’électricité à partir de sources renouvelables, non polluantes, de sa finalité, puisque cet accès est octroyé à deux sociétés qui produisent de l’électricité à partir de sources polluantes. L’accès garanti n’aurait été accordé par la décision no 138/2013 que pour permettre aux installations de production bénéficiaires de fonctionner en continu de sorte qu’elles puissent produire de l’électricité à un meilleur prix et fournir des services auxiliaires.

28

Le gouvernement roumain, partie défenderesse au principal, fait valoir, devant la juridiction de renvoi, que l’obligation pour Transelectrica, d’appeler en priorité l’électricité produite par les installations de CE Hunedoara et CE Oltenia en vertu de l’article 3 de la décision no 138/2013 vise à appliquer à l’échelle nationale l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72.

29

Concernant les services auxiliaires, ce gouvernement indique qu’il est précisé, dans la décision no 138/2013, que l’obligation des deux producteurs, CE Hunedoara et CE Oltenia, de fournir des services auxiliaires est soumise aux conditions prévues par la réglementation de l’Autoritatea Națională de Reglementare în Domeniul Energiei (autorité nationale de régulation du domaine de l’énergie) (ci-après l’« ANRE »), autorité qui élabore, adopte et suit l’application des règles obligatoires, à l’échelle nationale, nécessaires pour le fonctionnement du secteur de l’énergie.

30

Il soutient à l’égard des mesures nationales en cause au principal que celles-ci ne constituent pas une aide d’État.

31

Le Ministerul Economiei, Energiei și Mediului de Afaceri (ministère de l’Économie, de l’Énergie et de l’Environnement des affaires), partie intervenante devant la juridiction de renvoi, indique que la décision no 138/2013 comprend des mesures nécessaires pour que le système électro-énergétique national fonctionne de manière sûre et qu’elle a été prise en prenant en compte différentes considérations. Tout d’abord, la forte croissance des capacités de production à partir de sources renouvelables aurait imposé au gouvernement roumain de prendre des mesures qui garantissent la sécurité de l’approvisionnement en électricité conformément au considérant 5 de la directive 2005/89.

32

Ensuite, le fonctionnement des centrales utilisant des sources conventionnelles d’énergie aurait été considéré comme étant nécessaire pour couvrir la courbe de charge de la consommation d’électricité.

33

En outre, les études concernant la sécurité et le caractère approprié du système électro-énergétique national auraient indiqué qu’il était nécessaire que les centrales électriques locales réparties sur tout le territoire du pays soient en fonctionnement, ces centrales assurant les services auxiliaires et réalisant l’équilibre entre l’offre et la demande. Dans ce contexte, il aurait été considéré que CE Hunedoara pouvait contribuer de manière significative à la sécurité dans la zone centre et nord-ouest du système électro-énergétique national.

34

Enfin, à l’époque de l’adoption de la décision no 138/2013, l’intensification des échanges transfrontaliers par l’interface occidentale et la réduction des pertes dans le réseau de transport, directement proportionnelles à la distance entre les producteurs et les consommateurs, auraient imposé l’existence d’une capacité de production significative dans cette zone et CE Hunedoara aurait été le seul grand producteur dans la zone centre et nord-ouest du pays.

35

Ce serait sur ces considérations que le gouvernement roumain aurait adopté la décision no 138/2013 qui prévoit d’octroyer un accès garanti aux réseaux de transport pour l’électricité produite par les installations de CE Hunedoara et de CE Oltenia, afin de leur assurer un fonctionnement continu pour une puissance électrique respectivement d’au moins 200 MW et d’au moins 500 MW, sachant que ces valeurs auraient représenté un droit pour les producteurs bénéficiaires et non pas une obligation de fonctionner à ces puissances.

36

Transelectrica soutient, devant la juridiction de renvoi, que, pour garantir l’adéquation du système et pour couvrir la demande d’électricité, le système électro-énergétique national doit avoir une certaine puissance disponible, garantie par des centrales, plus élevée que la puissance consommée en consommation de pointe. De même, il serait obligatoire de maintenir en permanence une réserve opérationnelle pouvant équilibrer le bilan des variations continues de la charge.

37

En outre, le système électro-énergétique national enregistrerait une croissance significative du nombre de centrales électriques produisant de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables dont la production est imprévisible et intermittente. De plus, les centrales électriques utilisant des sources conventionnelles, en particulier celles qui utilisent du charbon, enregistreraient des coûts croissants parce qu’elles ne pourraient pas fonctionner de manière continue et, lorsqu’elles sont arrêtées, elles ne pourraient fournir aucun service auxiliaire compte tenu de la lenteur de leur redémarrage et de coûts très élevés.

38

Ainsi, ces centrales ne pourraient pas être compétitives sur le marché, mais leur fonctionnement en tant que centrales produisant de l’électricité à partir de sources d’énergie conventionnelles demeurerait nécessaire pour couvrir la courbe de charge de la consommation d’électricité et garantir les services auxiliaires. La sécurité du système électro-énergétique national requerrait également d’avoir recours à différents combustibles pour produire l’électricité nécessaire afin de couvrir la consommation nationale d’énergie. À cet égard, le gouvernement roumain accorderait une importance particulière à l’utilisation en priorité de ressources énergétiques intérieures, en vue de garantir l’indépendance énergétique.

39

Transelectrica soutient également, devant la juridiction de renvoi, que Fondul Proprietatea confond le marché d’équilibrage et le marché des services auxiliaires. Selon elle, sur le marché des services auxiliaires, des réserves sont achetées auprès de fournisseurs qualifiés à cet effet et ces réserves sont activées, ou non, sur le marché d’équilibrage. L’activation des réserves sur le marché d’équilibrage ne serait garantie pour aucun fournisseur de services auxiliaires et serait réalisée conformément aux règles du marché. Ces règles s’appliqueraient également aux producteurs visés par la décision no 138/2013 et il n’existerait aucune garantie d’utilisation préférentielle de l’énergie d’équilibrage fournie par ceux-ci.

40

En outre, le marché national des services auxiliaires serait très concentré et la concurrence y serait faible. Dans le cadre d’une offre limitée, les prix du marché concurrentiel des services auxiliaires seraient très élevés, et les prix moyens pondérés lors de l’appel d’offres dépasseraient souvent les prix réglementés. Il ne saurait dès lors être affirmé avec certitude que le prix d’achat des réserves en l’absence de la décision no 138/2013 aurait été plus bas.

41

Par ailleurs, l’article 3 de la décision no 138/2013, selon lequel Transelectrica est tenue d’appeler en priorité l’électricité produite par les centrales de CE Hunedoara et de CE Oltenia, constitue, selon Transelectrica et le gouvernement roumain, une mise en œuvre de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72, transposé en droit national par l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012. À cet égard, l’ANRE aurait affirmé, avant l’adoption de cette décision, que les mesures envisagées respectent tant la législation roumaine que le droit de l’Union applicables tandis que le conseil de la concurrence roumain aurait indiqué que ces mesures ne faussent pas le marché d’électricité et n’instituent pas un traitement anticoncurrentiel.

42

La juridiction de renvoi relève que l’État roumain pourrait avoir mis en place un système en faveur de CE Hunedoara et de CE Oltenia afin d’offrir plus d’avantages à ces deux sociétés, à savoir la vente garantie de l’électricité produite par le fonctionnement continu des centrales et la production d’électricité à un meilleur prix grâce à l’élimination des coûts de redémarrage des centrales, susceptible de constituer une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

43

Elle estime qu’il convient de préciser si l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 constitue une transposition erronée de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72. Selon elle, le libellé de cette dernière disposition se réfère au même type de producteurs d’électricité que ladite loi, à savoir ceux qui utilisent des sources combustibles indigènes d’énergie primaire, et vise une limite identique, à savoir 15 % de l’énergie primaire totale nécessaire pour produire de l’électricité. Cependant, il existerait une différence entre cette directive et la législation roumaine qui la transpose, puisque ladite directive vise non pas l’accès garanti auquel se réfère ledit article 5, paragraphe 3, mais le fait d’accorder l’appel prioritaire.

44

Elle considère qu’il convient, dès lors, d’apprécier si l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 constitue une exception, d’application stricte, qui permet exclusivement d’accorder un appel prioritaire aux réseaux de transport, mais pas un accès garanti à ceux-ci, comme le prévoit la décision no 138/2013.

45

Eu égard aux dispositions de cette directive, la juridiction de renvoi relève que l’accès garanti aux réseaux n’est accordé qu’à l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Par conséquent, elle estime que l’accès garanti accordé à l’électricité produite par CE Hunedoara et CE Oltenia peut constituer une violation de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72.

46

Dans ces conditions, la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

[...] [L]’adoption par l’État roumain d’une réglementation qui prévoit en faveur de deux sociétés à capital majoritairement d’État :

a)

l’appel prioritaire et l’obligation pour le gestionnaire de réseau de transport d’acheter des services auxiliaires à ces sociétés, et

b)

un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite par ces deux sociétés de sorte à assurer le fonctionnement continu de celles-ci

représente-t-elle une aide d’État, au sens de l’article 107 TFUE, en d’autres termes une mesure financée par l’État ou au moyen de ressources d’État, ayant un caractère sélectif et qui peut affecter les échanges commerciaux entre les États membres ? En cas de réponse affirmative, cette aide d’État devait-elle être notifiée conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE ? [...]

2)

[...] [L]e fait que l’État roumain accorde un droit d’accès garanti au réseau électrique à deux sociétés à capital majoritairement d’État, de sorte à assurer le fonctionnement continu de celles-ci, est-il conforme aux dispositions de l’article 15, paragraphe 4, de la directive [2009/72] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la seconde question

47

Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui octroie un accès garanti aux réseaux de transport à certains producteurs d’électricité dont les installations utilisent des sources combustibles indigènes d’énergie primaire afin de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité.

48

Aux termes de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72, un État membre peut, pour des raisons de sécurité d’approvisionnement, ordonner que les installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire soient appelées en priorité, dans une limite de 15 % de la quantité totale d’énergie primaire nécessaire pour produire l’électricité consommée dans l’État membre concerné au cours d’une année civile.

49

À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort des éléments présentés par la juridiction de renvoi que l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 a pour objectif de transposer en droit roumain l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72. Ainsi que le constate la juridiction de renvoi, l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 vise les mêmes installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire et la même limite que l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72. Cependant, cette disposition nationale prévoit non pas la possibilité d’accorder un appel prioritaire, mais celle d’accorder un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite. Or, si la directive 2009/72 ne comporte aucune indication expresse à un tel accès garanti, il convient de constater que, d’une part, l’article 15, paragraphe 3, de celle-ci renvoie à l’article 16 de la directive 2009/28, dont le paragraphe 2, sous b), vise, notamment, l’accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables et, d’autre part, l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 prévoit le principe de libre accès des tiers aux réseaux.

50

Dans ces circonstances, afin de donner une réponse utile à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient d’interpréter l’article 15, paragraphes 3 et 4, et l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 ainsi que l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28.

51

S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72, il convient d’examiner le sens à donner à la possibilité pour une installation d’être « appelée en priorité ».

52

À cet égard, il convient de rappeler qu’il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme [arrêt du 9 septembre 2021, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Demande ultérieure de protection internationale), C‑18/20, EU:C:2021:710, point 32 et jurisprudence citée].

53

Or, l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 ne contenant aucun renvoi au droit national des États membres, les termes figurant dans cette disposition doivent faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme.

54

À cet égard, il y a lieu de relever que la Cour a déjà considéré que le service d’appel permet au gestionnaire du réseau électrique de procéder à l’appel des installations de production situées dans une zone déterminée afin, notamment, de se procurer l’énergie qu’il utilise pour couvrir les pertes d’énergie et maintenir une capacité de réserve dans son réseau ainsi que d’assurer l’équilibre de ce réseau et de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2018, Solvay Chimica Italia e.a., C‑262/17, C‑263/17 et C‑273/17, EU:C:2018:961, point 63).

55

Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2009/72, la détermination des installations de production appelées à cette occasion se fait en application de critères qui doivent être objectifs, publiés et appliqués de manière non discriminatoire et qui tiennent compte en particulier de l’ordre de préséance économique.

56

Les termes « en priorité » utilisés à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 indiquent que l’appel prioritaire vient déroger aux règles de l’appel énoncées à l’article 15, paragraphe 2, de cette même directive. Ainsi, comme l’a relevé M. l’avocat général, au point 29 de ses conclusions, l’appel prioritaire consiste pour le gestionnaire du réseau de transport à appeler les installations de production sur la base de critères autres que celui de l’ordre de préséance économique.

57

À cet égard, il convient de constater que, par l’article 15, paragraphes 3 et 4, de la directive 2009/72, le législateur de l’Union a institué deux types d’appel prioritaire, à savoir un appel prioritaire des installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables et des installations produisant de la chaleur et de l’électricité combinées en vertu de l’article 15, paragraphe 3, de cette directive, fondé sur l’objectif de protection de l’environnement et un appel prioritaire des installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire, en vertu de l’article 15, paragraphe 4, de ladite directive, fondé sur l’objectif de la sécurité d’approvisionnement.

58

S’agissant, en deuxième lieu, de l’interprétation de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28, qui impose aux États membres d’accorder soit un accès prioritaire, soit un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, il convient de constater que cette disposition ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée. Dès lors, les termes figurant dans cette disposition doivent être interprétés de manière autonome et uniforme sur le territoire de l’Union, conformément à la jurisprudence rappelée au point 52 du présent arrêt.

59

Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’accès au réseau s’entend comme le droit d’utiliser les réseaux électriques (voir, par analogie, arrêt du 9 octobre 2008, Sabatauskas e.a., C‑239/07, EU:C:2008:551, point 42).

60

Toutefois, cet accès n’est pas illimité, puisqu’il dépend de la capacité maximale que peut supporter le réseau de transport.

61

Le considérant 60 de la directive 2009/28 indique que, lorsque l’électricité issue de sources d’énergie renouvelables est intégrée dans le marché au comptant, l’accès garanti assure que toute l’électricité vendue et bénéficiant d’une aide a accès au réseau, ce qui permet d’utiliser une quantité maximale d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables provenant d’installations raccordées au réseau. Il en résulte, comme l’a relevé M. l’avocat général, au point 35 de ses conclusions, que l’accès garanti, tel qu’exposé à ce considérant 60, est un mécanisme qui assure aux installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables l’accès aux réseaux afin d’acheminer l’électricité produite.

62

L’accès garanti prévu à l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 vise à intégrer les sources d’énergie renouvelables dans le marché intérieur de l’électricité en assurant que toute l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables a accès aux réseaux, ce qui permet d’utiliser une quantité maximale d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables.

63

Cependant, ce même article 16, paragraphe 2, indique que l’accès garanti de l’électricité produite à partir de sources renouvelables n’est pas inconditionnel. En effet, cette disposition prévoit un tel accès garanti pour de l’électricité produite à partir de sources renouvelables, sous réserve du respect des exigences relatives au maintien de la fiabilité et de la sécurité du réseau, reposant sur des critères transparents et non discriminatoires définis par les autorités nationales compétentes.

64

Il découle ainsi de l’interprétation de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 et de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28, ainsi que l’a, en substance, indiqué la Commission européenne, dans ses écritures et lors de l’audience devant la Cour, que les règles d’appel déterminent quelles installations de production d’électricité produisent de l’électricité à un certain moment de la journée tandis que les règles d’accès déterminent quel producteur a accès aux réseaux électriques en cas de congestion physique du réseau lorsque la capacité est insuffisante.

65

Par conséquent, dès lors que l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 prévoit uniquement la possibilité d’accorder un droit d’appel prioritaire, cette disposition ne saurait servir de base juridique aux États membres afin d’introduire un droit d’accès garanti aux réseaux de transport. Quant à l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28, il évoque, certes, la possibilité d’instaurer un « accès garanti », mais uniquement en ce qui concerne l’électricité verte. Il ne saurait donc non plus servir de base juridique à des dispositions nationales visant l’accès garanti pour des installations de production d’énergie non renouvelable.

66

Toutefois, il importe, en troisième lieu, afin de déterminer si une réglementation nationale peut octroyer un accès garanti aux réseaux de transport pour l’électricité produite à partir de sources combustibles indigènes d’énergie primaire, de tenir également compte de l’accès des tiers aux réseaux prévu à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72. Conformément à cette disposition, les États membres ont, en principe, l’obligation de mettre en place, pour tous les clients éligibles, un système d’accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution qui doit être fondé sur des tarifs publiés et être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau concerné.

67

Ainsi que la Cour l’a déjà souligné à maintes reprises, le libre accès des tiers à ces réseaux, institué à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72, constitue l’une des mesures essentielles que les États membres sont tenus de mettre en œuvre pour parvenir à l’achèvement du marché intérieur de l’électricité (arrêt du 28 novembre 2018, Solvay Chimica Italia e.a., C‑262/17, C‑263/17 et C‑273/17, EU:C:2018:961, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

68

En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 3 de la directive 2009/72, celle-ci vise à réaliser un marché entièrement ouvert qui permette à tous les consommateurs de choisir librement leurs fournisseurs et à tous les fournisseurs de fournir librement leurs produits à leurs clients.

69

À cet égard, il convient de relever que l’accès aux réseaux de transport et de distribution de l’électricité d’une manière non discriminatoire, transparente et disponible au juste prix est nécessaire au bon fonctionnement de la concurrence et revêt une importance primordiale (arrêt du 17 octobre 2019, Elektrorazpredelenie Yug, C‑31/18, EU:C:2019:868, point 40 et jurisprudence citée).

70

L’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72, qui exige que l’action de l’État dans la mise en œuvre de l’accès au réseau soit non discriminatoire, est une expression particulière du principe général d’égalité (voir, par analogie, arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C‑492/14, EU:C:2016:732, point 79 et jurisprudence citée).

71

Conformément à une jurisprudence constante, l’interdiction de discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une telle différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C‑492/14, EU:C:2016:732, point 80 et jurisprudence citée).

72

Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, à savoir lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C‑492/14, EU:C:2016:732, point 81 et jurisprudence citée).

73

S’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si une différence de traitement, telle que celle en cause au principal, est justifiée, il revient, toutefois, à la Cour de lui fournir à cet effet tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui permettront de se prononcer.

74

En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que l’accès garanti n’est octroyé en application de la décision no 138/2013 que pour l’électricité produite par deux installations utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire. Cette décision ne s’applique pas aux autres producteurs d’électricité utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire ou aux producteurs d’électricité utilisant des sources d’énergie renouvelables et constitue une différence de traitement dès lors que, d’une part, ces producteurs d’électricité et, d’autre part, ceux visés par ladite décision se trouvent dans une situation comparable au regard de l’accès aux réseaux de transport.

75

S’agissant de la justification éventuelle d’une telle différence de traitement, il y a lieu de relever que la décision no 138/2013 avait pour but d’assurer la sécurité d’approvisionnement. Il ressort, en effet, des éléments mis à la disposition de la Cour que les mesures prises en vertu de cette décision visaient à assurer l’adéquation du réseau en créant une capacité de réserve pour les périodes de consommation de pointe et étaient nécessaires pour résoudre les problèmes d’équilibre du réseau résultant de l’augmentation de la capacité de production à partir de sources d’énergie renouvelables ainsi que pour répondre à l’augmentation des échanges transfrontaliers. Elle visait également à assurer l’utilisation de différents combustibles pour la production de l’électricité en accordant une importance particulière à l’utilisation en priorité de ressources énergétiques intérieures en vue de garantir l’indépendance énergétique.

76

La légitimité de l’objectif lié à la sécurité de l’approvisionnement ne fait pas de doute. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de la directive 2009/72, la sécurité d’approvisionnement en électricité revêt une importance vitale pour le développement de la société européenne, pour la mise en œuvre d’une politique durable en matière de changement climatique ainsi que pour la promotion de la compétitivité sur le marché intérieur.

77

S’agissant du critère objectif et raisonnable de différenciation par rapport à l’objectif poursuivi, il convient de relever, en l’occurrence, qu’un tel critère, qui permettrait de distinguer les deux installations bénéficiant de l’accès garanti aux réseaux de transport de celles qui n’en bénéficient pas, ne ressort pas des éléments mis à la disposition de la Cour. Cela étant, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si d’autres producteurs, utilisant des sources combustibles d’énergie primaire ou d’autres sources d’énergie, situés dans la même zone géographique, auraient été mieux à même de participer à la constitution de capacité de production et d’accéder aux réseaux de transport.

78

Ensuite, il convient de vérifier si l’accès garanti aux réseaux de transport est, conformément au principe de proportionnalité, propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C‑492/14, EU:C:2016:732, point 100).

79

En l’occurrence, il apparaît que les deux installations visées par la décision no 138/2013 utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire ont pu fonctionner en continu grâce à l’accès garanti aux réseaux électriques combiné à l’appel prioritaire de ces installations, ce qui a permis à ces dernières de participer à la constitution de capacités de production permettant d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité. Dès lors, l’accès garanti, combiné aux autres mesures prises dans la décision no 138/2013, apparaît apte à assurer la sécurité d’approvisionnement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

80

Cela étant, la juridiction de renvoi devra vérifier si l’octroi d’un accès garanti aux réseaux de transport, dans les conditions prévues par la décision no 138/2013, ne dépassait pas les limites de ce qui était approprié et était une mesure nécessaire pour atteindre l’objectif visé d’assurer la sécurité d’approvisionnement. À cet égard, il lui faudra rechercher si cet objectif ne pouvait pas être atteint par d’autres moyens qui auraient moins porté atteinte au principe du libre accès des tiers au réseau prévu à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72.

81

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’octroi par un État membre d’un droit d’accès garanti aux réseaux de transport à certains producteurs d’électricité dont les installations utilisent des sources combustibles indigènes d’énergie primaire afin de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité, pour autant que ce droit d’accès garanti est fondé sur des critères objectifs et raisonnables, et est proportionné au but légitime poursuivi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la première question

82

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une série de mesures instituée par une décision gouvernementale et consistant en un appel prioritaire par le gestionnaire de réseau de l’électricité produite par certains producteurs d’électricité, en un accès garanti de l’électricité produite par les installations de ces producteurs aux réseaux de transport et en l’obligation pour lesdits producteurs de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau pour une certaine quantité de mégawatts est susceptible d’être qualifiée d’« aide d’État », au sens de cette disposition et, partant, dans l’affirmative, si une telle série de mesures est soumise à l’obligation de notification au titre de l’article 108 TFUE.

83

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d’une mesure nationale avec le droit de l’Union. Elle ne saurait davantage se prononcer sur la compatibilité d’une aide d’État ou d’un régime d’aides avec le marché intérieur, l’appréciation de cette compatibilité relevant de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle du juge de l’Union (arrêt du 16 juillet 2015, BVVG, C‑39/14, EU:C:2015:470, point 19 et jurisprudence citée).

84

Cependant, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier la conformité d’une mesure nationale avec ce droit en vue du jugement de l’affaire dont elle est saisie. En matière d’aides d’État, elle peut, notamment, fournir au juge de renvoi les éléments d’interprétation lui permettant de déterminer si une mesure nationale peut être qualifiée d’« aide d’État », au sens du droit de l’Union (arrêt du 16 juillet 2015, BVVG, C‑39/14, EU:C:2015:470, point 20 et jurisprudence citée).

85

En effet, les juridictions nationales peuvent être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d’« aide », visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en particulier en vue de déterminer si une mesure étatique aurait dû ou non être soumise à la procédure de contrôle préalable établie à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et, le cas échéant, de vérifier si l’État membre concerné s’est conformé à cette obligation (arrêt du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 31 et jurisprudence citée).

86

Il convient, également, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 18 et jurisprudence citée).

87

S’agissant en premier lieu, de la première de ces conditions, il y a lieu de rappeler que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 19 et jurisprudence citée).

88

Afin d’apprécier l’imputabilité de la mesure à l’État, il convient d’examiner si les autorités publiques ont été impliquées dans l’adoption de cette mesure (arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 23 et jurisprudence citée).

89

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la série de mesures en cause a été instituée par des textes de nature législative et réglementaire, à savoir la loi no 123/2012, sur laquelle est fondée la décision no 138/2013. Dès lors, ces mesures doivent être considérées comme étant imputables à l’État, au sens de la jurisprudence mentionnée au point précédent.

90

En outre, afin de déterminer si l’avantage a été accordé directement ou indirectement au moyen de ressources d’État, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tant les aides accordées directement par l’État que celles accordées au moyen de ressources d’État ou par des organismes publics ou privés institués ou désignés par ce dernier en vue de les gérer (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 25 et jurisprudence citée).

91

La distinction établie dans cette disposition entre les « aides accordées par les États » et les aides accordées « au moyen de ressources d’État » ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu’ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État (arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 26 et jurisprudence citée).

92

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’une mesure consistant, notamment, en une obligation d’achat d’énergie peut relever de la notion d’« aide », bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

93

L’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe, en effet, tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. Même si des sommes correspondant à la mesure d’aide concernée ne sont pas de façon permanente en la possession du Trésor public, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de « ressources d’État » (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

94

La Cour a, plus précisément, jugé que des fonds alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l’État, gérés et répartis conformément à cette législation, peuvent être considérés comme des ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, même s’ils sont gérés par des entités distinctes de l’autorité publique. L’élément décisif, à cet égard, est constitué par le fait que de telles entités sont mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, et non pas simplement tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée).

95

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que Transelectrica, l’unique gestionnaire de réseau de transport, est une entreprise publique dont le capital est détenu majoritairement par l’État. Cette société est tenue de garantir à tout moment l’équilibre du système énergétique national, à savoir l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité. À cet égard, Transelectrica achète des services auxiliaires sur la base de procédures de passation de marché en fonction de l’ordre de préséance économique. Cependant, en vertu de la décision no 138/2013, Transelectrica est tenue d’acheter des services auxiliaires auprès de deux producteurs d’électricité au prix fixé par l’ANRE, sans tenir compte de l’ordre de préséance économique, ce qui peut aboutir à l’achat de ces services auxiliaires à des prix supérieurs que ceux qui résulteraient du marché. Cela est susceptible de représenter une charge financière imposée à Transelectrica qui grève les ressources de l’État.

96

S’agissant, en deuxième lieu, de la condition selon laquelle la série de mesures en cause au principal doit être analysée comme constituant l’octroi d’un avantage à son bénéficiaire, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que sont considérées comme des aides les interventions qui, quelle que soit leur forme, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme constituant un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêt du 17 septembre 2020, Compagnie des pêches de Saint-Malo, C‑212/19, EU:C:2020:726, point 39 et jurisprudence citée).

97

Ainsi, sont notamment considérées comme des aides les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 66).

98

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la série de mesures instituée par la décision no 138/2013 constituerait un paquet complet de mesures en faveur de deux producteurs d’électricité, CE Hunedoara et CE Oltenia. Ces trois mesures seraient liées et formeraient un mécanisme permettant le fonctionnement continu des installations de production. La juridiction de renvoi indique que les deux installations visées par la décision no 138/2013 ont des coûts de production élevés de sorte qu’elles ne fonctionnent normalement pas en permanence. Lorsque ces installations sont à l’arrêt, cela réduirait leurs chances de fournir des services auxiliaires en raison de la lenteur du démarrage des installations et engendrerait également des coûts élevés de démarrage et de redémarrage de ces installations. En permettant auxdites installations de fonctionner de manière continue, la série de mesures en cause au principal leur garantirait ainsi de livrer une certaine quantité d’électricité et leur permettrait de fournir des services auxiliaires, d’économiser les coûts liés au démarrage et au redémarrage des installations et ainsi de produire l’électricité à un meilleur prix grâce à l’élimination de ces coûts.

99

Partant, des mesures telles que celles prévues par la décision no 138/2013 apparaissent conférer aux producteurs d’électricité bénéficiaires un avantage économique par rapport à leurs concurrents, avantage qu’ils n’auraient pas obtenu dans des conditions normales de marché. Dès lors, il convient de considérer que, en l’occurrence, la condition relative à l’existence d’un avantage économique sélectif est susceptible d’être remplie.

100

S’agissant, en troisième lieu, de la condition selon laquelle l’intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser ou de menacer de fausser la concurrence, il convient de rappeler que, aux fins de la qualification d’une mesure nationale en tant qu’« aide d’État », il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si l’aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 29 et jurisprudence citée).

101

En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges au sein de l’Union, ces derniers doivent être considérés comme étant influencés par cette aide. À cet égard, il n’est pas nécessaire que les entreprises bénéficiaires participent elles-mêmes à ces échanges. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à des entreprises, l’activité sur son marché intérieur peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre en sont diminuées (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

102

En outre, il convient de rappeler que les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales faussent, en principe, les conditions de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Arriva Italia e.a., C‑385/18, EU:C:2019:1121, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

103

En l’occurrence, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, les producteurs d’électricité exercent leur activité sur un marché ouvert à la concurrence et aux échanges entre les États membres étant donné que l’électricité fait l’objet d’échanges transfrontaliers.

104

Par ailleurs, ainsi qu’il a été relevé, au point 98 du présent arrêt, les mesures en cause au principal apparaissent avoir permis aux installations bénéficiaires de fonctionner de manière continue, leur faisant ainsi économiser les coûts liés au démarrage et au redémarrage des installations, ce qui leur aurait également permis de réduire le prix final de l’électricité qu’ils proposent.

105

Dès lors, des mesures telles que celles instituées par la décision no 138/2013 sont susceptibles, en principe, d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence.

106

Il s’ensuit que, à la lumière des éléments d’interprétation qui précèdent, les mesures en cause dans l’affaire au principal doivent, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, être qualifiées d’« aides d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

107

La juridiction de renvoi demande encore à la Cour si, dans le cas où elles devaient être qualifiées d’« aides d’État », ces mesures auraient dû ou non être soumises à la procédure de contrôle préalable établie à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

108

Conformément à cette disposition, les aides nouvelles doivent être notifiées préalablement à la Commission et ne peuvent être mises à exécution avant que la procédure n’ait abouti à une décision finale.

109

Selon une jurisprudence constante de la Cour, une mesure d’aide mise à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l’article 108, paragraphe 3, TFUE est illégale (arrêt du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 66 et jurisprudence citée).

110

Il découle de ce qui précède que, à supposer que la juridiction de renvoi qualifie la série de mesures en cause au principal d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, cette série de mesures devrait être considérée comme une aide nouvelle, et aurait été, à ce titre, soumise à l’obligation de notification préalable à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de vérifier si l’État membre concerné s’est conformé à cette obligation.

111

En l’occurrence, il ressort des observations écrites de la Commission que celle-ci n’a reçu aucune notification au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE relative à une aide d’État octroyée à CE Hunedoara et à CE Oltenia en application de la décision no 138/2013. Par ailleurs, il y a lieu de relever que lesdites mesures n’apparaissent pas entrer dans le champ d’application du règlement (CE) no 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles [107] et [108] du traité [FUE] (Règlement général d’exemption par catégorie) (JO 2008, L 214, p. 3) et du règlement (UE) no 651/2014 de la Commission, du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité [FUE] (JO 2014, L 187, p. 1), applicables pendant la période de validité de la décision no 138/2013, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

112

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, une série de mesures instituée par une décision gouvernementale et consistant en un appel prioritaire par le gestionnaire de réseau, dont le capital est majoritairement détenu par l’État, de l’électricité produite par certains producteurs d’électricité dont les installations utilisent des sources combustibles indigènes d’énergie primaire, en un accès garanti de l’électricité produite par ces installations desdits producteurs aux réseaux de transport et en une obligation pour ces mêmes producteurs de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau pour une certaine quantité de mégawatts, qui leur réserve concernant cette quantité un droit de fourniture aux prix préalablement fixés et censés dépasser ceux résultant du marché, est susceptible d’être qualifiée d’« aide d’État », au sens de cet article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans l’affirmative, une telle série de mesures doit être considérée comme une aide nouvelle et est, à ce titre, soumise à l’obligation de notification préalable à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

Sur les dépens

113

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’octroi par un État membre d’un droit d’accès garanti aux réseaux de transport à certains producteurs d’électricité dont les installations utilisent des sources combustibles indigènes d’énergie primaire afin de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité, pour autant que ce droit d’accès garanti est fondé sur des critères objectifs et raisonnables, et est proportionné au but légitime poursuivi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

2)

L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, une série de mesures instituée par une décision gouvernementale et consistant en un appel prioritaire par le gestionnaire de réseau, dont le capital est majoritairement détenu par l’État, de l’électricité produite par certains producteurs d’électricité dont les installations utilisent des sources combustibles indigènes d’énergie primaire, en un accès garanti de l’électricité produite par ces installations desdits producteurs aux réseaux de transport et en une obligation pour ces mêmes producteurs de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau pour une certaine quantité de mégawatts, qui leur réserve concernant cette quantité un droit de fourniture aux prix préalablement fixés et censés dépasser ceux résultant du marché, est susceptible d’être qualifiée d’« aide d’État », au sens de cet article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans l’affirmative, une telle série de mesures doit être considérée comme une aide nouvelle et est, à ce titre, soumise à l’obligation de notification préalable à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.

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