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Document 62018CJ0451

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 29 juillet 2019.
Tibor-Trans Fuvarozó és Kereskedelmi Kft. contre DAF Trucks NV.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Győri Ítélőtábla.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétences spéciales – Article 7, point 2 – Matière délictuelle ou quasi délictuelle – Lieu où le fait dommageable s’est produit – Lieu de la matérialisation du dommage – Demande en réparation du préjudice causé par une entente déclarée contraire à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen.
Affaire C-451/18.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:635

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

29 juillet 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétences spéciales – Article 7, point 2 – Matière délictuelle ou quasi délictuelle – Lieu où le fait dommageable s’est produit – Lieu de la matérialisation du dommage – Demande en réparation du préjudice causé par une entente déclarée contraire à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen »

Dans l’affaire C‑451/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Győri Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Győr, Hongrie), par décision du 19 juin 2018, parvenue à la Cour le 10 juillet 2018, dans la procédure

Tibor-Trans Fuvarozó és Kereskedelmi Kft.

contre

DAF Trucks NV,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme C. Toader (rapporteure), présidente de chambre, MM. A. Rosas et M. Safjan, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour DAF Trucks NV, par Me M. Boronkay, ügyvéd, ainsi que par Mes B. Winters et J. K. de Pree, advocaten,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme Z. Wagner, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes M. Heller et K. Talabér-Ritz ainsi que par M. G. Meessen, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Tibor-Trans Fuvarozó és Kereskedelmi Kft. (ci-après « Tibor-Trans »), société de droit hongrois, à DAF Trucks NV, société de droit néerlandais, au sujet d’une action en dommages et intérêts intentée aux fins de la réparation d’un préjudice prétendument causé par une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »).

Le cadre juridique

3

Les considérants 15, 16 et 34 du règlement no 1215/2012 sont libellés comme suit :

« (15)

Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.

(16)

Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation.

[...]

(34)

Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32)], le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de la convention de Bruxelles de 1968 et des règlements qui la remplacent. »

4

Sous le chapitre I du règlement no 1215/2012, intitulé « Portée et définitions », l’article 1er, paragraphe 1, de celui-ci prévoit :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. [...] »

5

Le chapitre II de ce règlement, intitulé « Compétence », contient notamment une section 1, intitulée « Dispositions générales », et une section 2, intitulée « Compétences spéciales ». L’article 4, paragraphe 1, dudit règlement, qui figure sous cette section 1, dispose :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

6

L’article 7 du règlement no 1215/2012, qui figure sous la section 2 du chapitre II de ce règlement, est libellé comme suit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

[...]

2)

en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

7

Le 19 juillet 2016, la Commission européenne a adopté la décision C(2016) 4673 final relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire AT.39824 – Camions), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 6 avril 2017 (JO 2017, C 108, p. 6, ci-après la « décision concernée »).

8

Par la décision concernée, la Commission a constaté l’existence d’une entente entre quinze fabricants internationaux de camions, dont DAF Trucks, en ce qui concerne deux catégories de produits, à savoir les camions pesant entre 6 et 16 tonnes ou pesant plus de 16 tonnes, qu’il s’agisse de porteurs ou de tracteurs.

9

Selon cette décision, l’entente a pris la forme d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, laquelle s’est déroulée, pour trois sociétés participantes, entre le 17 janvier 1997 et le 20 septembre 2010 et, pour les douze autres sociétés participantes, dont DAF Trucks, entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011. L’infraction a consisté à conclure des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions dans l’Espace économique européen (EEE) ainsi que sur le calendrier et la répercussion des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émission pour ces camions imposées par les normes Euro 3 à 6.

10

Il résulte de la décision concernée que, jusqu’à l’année 2004, les discussions sur les prix, leur augmentation et l’introduction des nouvelles normes d’émission avaient lieu directement aux sièges des sociétés destinataires de cette décision et que, au moins à partir du mois d’août 2002, des discussions se sont tenues par l’intermédiaire de filiales allemandes qui faisaient rapport à leur siège à des degrés divers.

11

La Commission a considéré que l’infraction à l’article 101 TFUE s’étendait à l’ensemble de l’EEE et a duré du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011. Par conséquent, elle a infligé des amendes à toutes les entités participantes, y compris à DAF Trucks, à l’exception d’une entité ayant bénéficié d’une immunité.

12

Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, Tibor-Trans est une société de transport national et international de marchandises ayant progressivement investi, à partir de l’année 2000 et jusqu’à l’année 2008, dans l’achat de camions neufs. En tant qu’utilisateur final, Tibor-Trans ne pouvait acheter directement auprès des producteurs, étant obligée d’avoir recours aux concessionnaires établis en Hongrie. Elle bénéficiait du financement des sociétés de crédit-bail, également établies en Hongrie, au moyen de contrats de crédit-bail à transfert de propriété ferme, le crédit-bailleur appliquant au prix convenu par Tibor-Trans une majoration correspondant aux coûts du crédit-bail et à sa marge. La propriété des camions était transférée à Tibor-Trans au terme du contrat de crédit-bail après que celle-ci s’était acquittée des obligations en découlant.

13

Il n’est pas contesté dans l’affaire au principal que Tibor-Trans n’a jamais acheté de camions directement à DAF Trucks.

14

Il résulte de la demande de décision préjudicielle que d’autres sociétés de droit hongrois ont également réalisé des acquisitions au cours de la période visée par la décision concernée. Le 4 avril 2007, ces sociétés ont été absorbées par Tibor-Trans qui a, dès lors, succédé à leurs droits et à leurs obligations.

15

Le 20 juillet 2017, Tibor-Trans a saisi la Győri Törvényszék (cour de Győr, Hongrie) d’une action en dommages et intérêts contre DAF Trucks, fondée sur la responsabilité extracontractuelle, le dommage allégué résultant du fait qu’elle avait acquis des camions à un prix faussé par les arrangements collusoires auxquels DAF Trucks avait participé.

16

Tibor-Trans a fait valoir que les juridictions hongroises tirent leur compétence internationale pour connaître de l’affaire au principal de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, tel qu’interprété dans la jurisprudence de la Cour, notamment dans l’arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335), en vertu de laquelle, lorsque des défendeurs établis dans différents États membres se voient réclamer en justice des dommages et intérêts en raison d’une infraction unique et continue à laquelle ils ont participé dans plusieurs États membres à des dates et à des endroits différents, cette infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE ayant été constatée par la Commission, chacune des prétendues victimes peut saisir la juridiction du lieu de son propre siège social.

17

DAF Trucks conteste la compétence internationale des juridictions hongroises et estime que les particularités de l’affaire au principal font que l’arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335), n’est pas pertinent en l’occurrence. À cet égard, elle fait valoir que, d’une part, les réunions collusoires auraient eu lieu en Allemagne, ce qui devrait emporter la compétence des juridictions allemandes et que, d’autre part, elle n’a jamais conclu un rapport contractuel direct avec Tibor-Trans, de sorte qu’elle ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à être attraite devant les juridictions hongroises.

18

Par décision du 19 avril 2018, la Győri Törvényszék (cour de Győr) a constaté qu’elle n’est pas compétente pour connaître de l’affaire au principal, en privilégiant, comme critère de rattachement aux fins de l’application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, le lieu de l’évènement causal à l’origine du dommage, à savoir le lieu où les arrangements collusoires étaient mis en place.

19

Saisie d’un appel contre cette décision, la juridiction de renvoi doute de la possibilité d’appliquer, par analogie, dans l’affaire au principal, en l’absence d’un lien contractuel direct entre les parties, le raisonnement tiré de l’arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335). Elle fait également écho des réserves concernant la possibilité que ledit arrêt puisse conduire à l’établissement d’une règle du forum actoris conçue largement, ce qui serait contraire à l’objectif poursuivi par le règlement no 1215/2012.

20

La demande de décision préjudicielle ne contient aucun élément permettant de conclure que, dans l’affaire au principal, il est contesté que les juridictions hongroises ne peuvent pas tirer leur compétence internationale du lieu de l’évènement causal qui est à l’origine du dommage allégué car aucun des arrangements collusoires constitutifs d’une infraction au titre de l’article 101 TFUE ne se serait déroulé en Hongrie. La juridiction de renvoi se demande, dès lors, si les juridictions hongroises peuvent, néanmoins, fonder leur compétence sur le lieu de la matérialisation du dommage allégué.

21

Dans ces conditions, la Győri Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Győr, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Faut-il interpréter la règle de compétence spéciale de l’article 7, point 2, du règlement [...] no 1215/2012 [...] en ce sens que la juridiction d’un État membre est compétente en tant que juridiction du “lieu où le fait dommageable s’est produit” si

la requérante [au principal] qui déclare avoir subi un préjudice a son siège ou le centre de son activité économique ou de ses intérêts patrimoniaux dans cet État membre ;

la requérante [au principal] fonde sa prétention à l’encontre d’une seule défenderesse (constructeur de camions) ayant son siège dans un autre État membre [...] sur une décision de la Commission constatant, en application de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE], une infraction ayant consisté à conclure des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions dans l’EEE, laquelle décision était adressée à plusieurs destinataires en plus de la défenderesse [au principal] ;

la requérante [au principal] s’est procurée exclusivement des camions construits par d’autres entreprises impliquées dans l’entente ;

il n’y aucune information indiquant qu’une ou plusieurs des réunions qui ont été considérées comme constituant des restrictions à la concurrence aient eu lieu dans l’État [membre] de la juridiction saisie ;

la requérante [au principal] a régulièrement acheté – selon elle à un prix faussé – des camions dans l’État [membre] de la juridiction saisie en concluant des contrats de crédit-bail à transfert de propriété ferme avec des sociétés opérant dans ce même État, sachant que, selon ses dires, elle avait toutefois directement négocié avec les concessionnaires automobiles et que le crédit-bailleur majorait le prix qu’elle avait convenu de sa propre marge et des coûts du crédit-bail, elle-même acquérant la propriété des camions au terme du contrat de crédit-bail, après s’être acquittée des obligations en découlant ? »

Sur la question préjudicielle

22

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une action en réparation d’un préjudice causé par une infraction au titre de l’article 101 TFUE, consistant notamment en des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions, peut être considéré comme « lieu où le fait dommageable s’est produit » le lieu où la victime prétend avoir subi ce préjudice, même si l’action est dirigée contre un participant à l’entente en cause avec lequel cette victime n’avait pas établi de relations contractuelles.

23

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, qu’il est de jurisprudence constante que, dans la mesure où le règlement no 1215/2012 abroge et remplace le règlement no 44/2001 qui a lui-même remplacé la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces derniers instruments juridiques vaut également pour le règlement no 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (voir, en ce sens, arrêts du 31 mai 2018, Nothartová, C‑306/17, EU:C:2018:360, point 18 ; du 15 novembre 2018, Kuhn, C‑308/17, EU:C:2018:911, point 31, ainsi que du 28 février 2019, Gradbeništvo Korana, C‑579/17, EU:C:2019:162, point 45 et jurisprudence citée).

24

En deuxième lieu, il convient de faire observer qu’une action visant à obtenir la réparation du préjudice résultant de violations alléguées du droit de la concurrence de l’Union, telle que l’action au principal, relève de la notion de « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, et entre, par voie de conséquence, dans le champ d’application de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 38).

25

En troisième lieu, il convient également de rappeler que, ainsi qu’il a été itérativement jugé par la Cour dans sa jurisprudence relative à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’évènement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (arrêts du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 45 ; du 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C‑12/15, EU:C:2016:449, point 28, ainsi que du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑27/17, EU:C:2018:533, point 28 et jurisprudence citée).

26

En l’occurrence, aucun élément de la demande de décision préjudicielle ne permet de conclure qu’il est contesté que les juridictions hongroises ne peuvent pas tirer leur compétence internationale pour connaître de l’affaire au principal du lieu de l’évènement causal qui est à l’origine du dommage allégué car aucun des arrangements collusoires constitutifs d’une infraction au titre de l’article 101 TFUE ne s’est déroulé en Hongrie. La question posée se rapporte uniquement à la détermination du lieu de la matérialisation du dommage allégué, consistant en des surcoûts payés en raison d’un prix artificiellement élevé, tel que celui des camions ayant fait l’objet de l’entente en cause au principal.

27

S’agissant de la détermination du lieu de la matérialisation d’un tel dommage, il convient d’observer que celui-ci dépend de la question de savoir s’il s’agit d’un dommage initial, découlant directement de l’évènement causal, dont le lieu de survenance pourrait justifier la compétence au regard de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, ou s’il s’agit des conséquences préjudiciables ultérieures qui ne sont pas susceptibles de fonder une attribution de compétence sur le fondement de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑27/17, EU:C:2018:533, point 31).

28

À cet égard, la Cour a jugé que la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » ne saurait être interprétée de façon extensive au point d’englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d’un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu. Par conséquent, elle a précisé que cette notion ne saurait être interprétée comme incluant le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État (arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑27/17, EU:C:2018:533, point 32 et jurisprudence citée).

29

La Cour a également dit pour droit, s’agissant de l’article 5, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, dont le libellé correspond à celui de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, qu’un dommage qui n’est que la conséquence indirecte du préjudice éprouvé initialement par d’autres personnes qui ont été directement victimes du dommage matérialisé en un lieu différent de celui où la victime indirecte a ensuite subi le préjudice ne pourrait pas fonder la compétence juridictionnelle au titre cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba, C‑220/88, EU:C:1990:8, points 14 et 22).

30

Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour et sous réserve de l’appréciation des faits qu’il revient à la juridiction de renvoi d’effectuer, le dommage allégué par Tibor-Trans consiste en des surcoûts payés en raison des prix artificiellement élevés appliqués aux camions à la suite des arrangements collusoires constitutifs d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE qui avait déployé ses effets sur le territoire de l’ensemble de l’EEE entre le 17 janvier 1997 et 18 janvier 2011 et à laquelle avaient participé quinze fabricants internationaux de camions, dont DAF Trucks. Il ressort également dudit dossier que Tibor-Trans n’achetait pas directement des camions auprès des participants à l’entente en cause, ceux-ci étant initialement vendus aux concessionnaires automobiles hongrois qui répercutaient l’augmentation des prix sur les utilisateurs finaux, tels que Tibor-Trans.

31

S’agissant de la nature du dommage allégué, il y a lieu de faire observer que celui-ci ne constitue pas une simple conséquence financière du dommage qui aurait pu être subi par les acheteurs directs, tels que les concessionnaires automobiles hongrois, et qui aurait pu consister dans une perte de ventes à la suite de l’augmentation des prix. En revanche, le dommage allégué dans l’affaire au principal résulte pour l’essentiel des surcoût payés en raison des prix artificiellement élevés et, de ce fait, apparaît comme étant la conséquence immédiate de l’infraction au titre de l’article 101 TFUE et constitue donc un dommage direct permettant de fonder, en principe, la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel il s’est matérialisé.

32

S’agissant du lieu de la matérialisation d’un tel dommage, il résulte de la décision concernée que l’infraction constatée à l’article 101 TFUE s’étendait à l’ensemble de l’EEE. Elle a donc emporté une distorsion de la concurrence au sein de ce marché dont la Hongrie fait également partie à partir du 1er mai 2004.

33

Or, lorsque le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel le dommage allégué est prétendument survenu, il y a lieu de considérer que le lieu de la matérialisation du dommage, aux fins de l’application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, se trouve dans cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑27/17, EU:C:2018:533, point 40).

34

Cette solution répond, en effet, aux objectifs de proximité et de prévisibilité des règles de compétence, dans la mesure où, d’une part, les juridictions de l’État membre dans lequel se situe le marché affecté sont les mieux placées pour examiner de tels recours indemnitaires et, d’autre part, un opérateur économique se livrant à des comportements anticoncurrentiels peut raisonnablement s’attendre à être attrait devant les juridictions du lieu où ses comportements ont faussé les règles d’une concurrence saine (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑27/17, EU:C:2018:533, point 40).

35

Ainsi que la Commission l’a fait valoir dans ses observations écrites et qu’il a été également rappelé au point 41 de l’arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑27/17, EU:C:2018:533), une telle détermination du lieu de la matérialisation du dommage est aussi conforme aux exigences de cohérence prévues au considérant 7 du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO 2007, L 199, p. 40), dans la mesure où, selon l’article 6, paragraphe 3, sous a), de ce règlement, la loi applicable en cas d’actions en dommages et intérêts en lien avec un acte restreignant la concurrence est celle du pays dans lequel le marché est affecté ou susceptible de l’être.

36

S’agissant des autres circonstances particulières relevées par la juridiction de renvoi, liées au fait que Tibor-Trans a agi à l’encontre d’une seule des entreprises impliquées dans l’infraction en cause auprès de laquelle elle ne s’est pas directement approvisionnée, il y a lieu d’observer, à l’instar de la Commission, qu’une infraction unique et continue au droit de la concurrence emporte la responsabilité solidaire de ses auteurs. Dès lors, la circonstance que Tibor-Trans a agi en justice uniquement contre l’un des auteurs auprès duquel elle ne s’est pas directement approvisionnée n’est pas de nature à remettre en cause les développements contenus aux points 31 à 33 du présent arrêt, en ce qui concerne la règle de compétence prévue à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012.

37

Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une action en réparation d’un préjudice causé par une infraction au titre de l’article 101 TFUE, consistant notamment en des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions, le « lieu où le fait dommageable s’est produit » vise, dans une situation telle que celle en cause au principal, le lieu du marché affecté par cette infraction, à savoir le lieu où les prix du marché ont été faussés, au sein duquel la victime prétend avoir subi ce préjudice, même si l’action est dirigée contre un participant à l’entente en cause avec lequel cette victime n’avait pas établi de relations contractuelles.

Sur les dépens

38

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 7, point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une action en réparation d’un préjudice causé par une infraction au titre de l’article 101 TFUE, consistant notamment en des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions, le « lieu où le fait dommageable s’est produit » vise, dans une situation telle que celle en cause au principal, le lieu du marché affecté par cette infraction, à savoir le lieu où les prix du marché ont été faussés, au sein duquel la victime prétend avoir subi ce préjudice, même si l’action est dirigée contre un participant à l’entente en cause avec lequel cette victime n’avait pas établi de relations contractuelles.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.

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