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Document 62017CC0018

Conclusions de l'avocat général M. N. Wahl, présentées le 26 avril 2018.
Danieli & C. Officine Meccaniche SpA e.a. contre Regionale Geschäftsstelle Leoben des Arbeitsmarktservice.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgerichtshof.
Renvoi préjudiciel – Adhésion des nouveaux États membres – République de Croatie – Mesures transitoires – Libre prestation des services – Directive 96/71/CE – Détachement de travailleurs – Détachement de ressortissants croates et d’États tiers en Autriche par l’intermédiaire d’une entreprise établie en Italie.
Affaire C-18/17.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:288

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 26 avril 2018 ( 1 )

Affaire C‑18/17

Danieli & C. Officine Meccaniche SpA,

Dragan Panic,

Ivan Arnautov,

Jakov Mandic,

Miroslav Brnjac,

Nicolai Dorassevitch,

Alen Mihovic

en présence de :

Arbeitsmarktservice Leoben

[demande de décision préjudicielle
du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Adhésion de nouveaux États membres – Croatie – Mesures transitoires – Libre circulation des travailleurs – Articles 56 et 57 TFUE – Libre prestation de services – Directive 96/71/CE – Détachement de travailleurs – Champ d’application – Détachement de ressortissants croates et de pays tiers en Autriche par l’intermédiaire d’une entreprise établie en Italie – Article 1er, paragraphe 3 – Détachement – Mise à disposition de main-d’œuvre »

1. 

Dans la présente procédure préjudicielle, il est demandé à la Cour de statuer sur la question de savoir si la République d’Autriche est en droit d’exiger de travailleurs mis à la disposition d’une entreprise italienne qui fournit une prestation de services en Autriche qu’ils disposent d’une autorisation de travail lorsque i) ces travailleurs sont des ressortissants croates employés par une entreprise croate, ou que ii) ces travailleurs sont des ressortissants de pays tiers légalement employés par une autre entreprise italienne.

2. 

Dans la suite des présentes conclusions, j’exposerai les raisons pour lesquelles, du point de vue du droit de l’Union, la République d’Autriche est en droit d’exiger, conformément aux articles 56 et 57 TFUE, lus conjointement avec les dispositions transitoires qui ressortent de l’annexe V, chapitre 2, de l’acte d’adhésion de 2012 ( 2 ), des ressortissants croates mis à la disposition d’une entreprise italienne fournissant une prestation de services en Autriche qu’ils aient une autorisation de travail. En revanche, elle ne peut appliquer une telle exigence, sur le fondement des articles 56 et 57 TFUE, à des ressortissants de pays tiers mis à la disposition de l’entreprise italienne prestataire de services en Autriche, puisque ces ressortissants de pays tiers sont employés légalement en Italie.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. L’acte d’adhésion de 2012

3.

Les conditions de l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne sont définies dans l’acte d’adhésion de 2012. Selon l’article 18 de cet acte, les mesures énumérées dans la liste figurant à l’annexe V s’appliquent dans les conditions définies par ladite annexe.

4.

L’annexe V de l’acte d’adhésion de 2012 est intitulée « Liste visée à l’article 18 de l’acte d’adhésion : mesures transitoires ». Son chapitre 2 est consacré aux mesures transitoires en matière de libre circulation des personnes. Il dispose :

« 1.   L’article 45 et l’article 56, premier alinéa, du TFUE ne s’appliquent pleinement que sous réserve des dispositions transitoires prévues aux paragraphes 2 à 13 pour ce qui est de la libre circulation des travailleurs et de la libre prestation de services impliquant une circulation temporaire de travailleurs, telle que définie à l’article 1er de la directive 96/71/CE, entre la Croatie, d’une part, et chacun des États membres actuels, d’autre part.

2.   Par dérogation aux articles 1er à 6 du règlement (CEE) no 492/2011 et jusqu’à la fin d’une période de deux ans suivant la date d’adhésion, les États membres actuels appliqueront des mesures nationales, ou des mesures résultant d’accords bilatéraux, qui réglementent l’accès des ressortissants croates à leur marché du travail. Les États membres actuels peuvent continuer à appliquer ces mesures jusqu’à la fin de la période de cinq ans suivant la date d’adhésion.

Les ressortissants croates qui travaillent légalement dans un État membre actuel à la date de l’adhésion et qui sont admis sur le marché du travail de cet État membre pour une période ininterrompue égale ou supérieure à douze mois pourront bénéficier de l’accès au marché du travail de cet État membre, mais non au marché du travail d’autres États membres qui appliquent des mesures nationales.

Les ressortissants croates admis sur le marché du travail d’un État membre actuel à la suite de l’adhésion, pendant une période ininterrompue égale ou supérieure à douze mois, bénéficient également des mêmes droits.

Les ressortissants croates visés aux deuxième et troisième alinéas cessent de bénéficier des droits visés auxdits alinéas s’ils quittent volontairement le marché du travail de l’État membre actuel en question.

Les ressortissants croates qui travaillent légalement dans un État membre actuel à la date d’adhésion, ou pendant une période où des mesures nationales sont appliquées, et qui sont admis sur le marché du travail de cet État membre pour une période inférieure à douze mois ne bénéficient pas des droits visés aux deuxième et troisième alinéas.

[…]

12.   Pour faire face à des perturbations graves ou des menaces de perturbations graves dans certains secteurs sensibles des services sur le marché du travail en Allemagne et en Autriche qui pourraient surgir dans certaines régions à la suite d’une prestation de services transnationale, telle que définie à l’article 1er de la directive 96/71/CE, et aussi longtemps qu’elles appliquent à la libre circulation des travailleurs croates, en vertu des dispositions transitoires précitées, des mesures nationales ou des mesures résultant d’accords bilatéraux, la République fédérale d’Allemagne et la République d’Autriche peuvent, après en avoir averti la Commission, déroger à l’article 56, premier alinéa, du TFUE en vue de limiter, dans le contexte de la prestation de services par des entreprises établies en Croatie, la circulation temporaire de travailleurs dont le droit d’accepter du travail en Allemagne et en Autriche est soumis à des mesures nationales. »

5.

La liste des secteurs des services susceptibles d’être concernés par la dérogation prévue au point 12 inclut, entre autres, les activités de construction, telles qu’elles sont définies dans cette disposition.

2. La directive 96/71/CE

6.

La directive 96/71/CE ( 3 ) énonce les règles applicables au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.

7.

L’article 1er définit le champ d’application de ladite directive. Il prévoit :

« 1.   La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre.

[…]

3.   La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :

a)

détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou

b)

détacher un travailleur sur le territoire d’un État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou

c)

détacher, en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.

[…] »

8.

Conformément à l’article 3 de la directive 96/71, les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi, telles que fixées par la loi ou, le cas échéant, par des conventions collectives concernant les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés, les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires, les conditions de mise à disposition des travailleurs, la sécurité, la santé et l’hygiène au travail, les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes, l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non‑discrimination.

B.   Le droit autrichien

9.

L’article 18 de l’Ausländerbeschäftigungsgesetz (loi sur l’emploi des étrangers, ci-après également l’« AuslBG ») ( 4 ) dispose :

« Étrangers détachés par une entreprise

Conditions d’emploi ; autorisation de détachement

1)

Les étrangers qui travaillent en tant que salariés d’un employeur étranger n’ayant pas de siège sur le territoire national doivent, sous réserve de dispositions contraires ci-dessous, disposer d’une autorisation de travail. Si ces travaux ne durent pas plus de six mois, les étrangers doivent disposer d’une autorisation de détachement qui peut être délivrée pour une période maximale de quatre mois.

[…]

12)

Les étrangers qui sont détachés en Autriche par une entreprise ayant son siège dans un autre État membre de l’Espace économique européen pour effectuer un travail à caractère temporaire n’ont besoin ni d’autorisation de travail ni d’autorisation de détachement lorsque ceux-ci :

1.

sont autorisés en bonne et due forme, pour une période allant au-delà de la durée du détachement en Autriche, à exercer une activité dans l’État du siège et qu’ils sont employés de manière légale par l’entreprise qui les détache, et lorsque

2.

les conditions du salaire et du travail du droit autrichien […] ainsi que les dispositions applicables en matière de sécurité sociale sont respectées.

Le service central de coordination, du ministère fédéral des finances, chargé du contrôle du travail illégal […] transmet sans délai la déclaration d’emploi d’étrangers détachés auprès d’une entreprise au bureau régional compétent du Service de l’emploi […]. Dans un délai de deux semaines à compter de la réception de la déclaration, le bureau régional du Service de l’emploi confirme à l’entreprise concernée et au cocontractant bénéficiaire des prestations de travail que les conditions requises sont remplies (confirmation du détachement dans le cadre de l’Union) ou, dans le cas contraire, interdit le détachement […] »

10.

L’article 32a de la loi sur l’emploi des étrangers, intitulé « Dispositions transitoires relatives à l’élargissement de l’Union européenne » dispose :

« 1)   Les ressortissants des États membres de l’Union européenne qui, en date du 1er janvier 2007, ont adhéré à l’Union européenne conformément au traité relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (traité d’adhésion de Luxembourg) […] ne bénéficient pas de la liberté de circulation des travailleurs […], sauf s’il sont des membres de la famille d’un ressortissant d’un autre État membre de l’EEE bénéficiant d’un droit de séjour en vertu du droit communautaire […]

[…]

11)   En vertu de [l’acte d’adhésion de 2012], les paragraphes 1 à 9 sont, à compter de l’adhésion de la Croatie à l’Union, applicables mutatis mutandis aux ressortissants de la République de Croatie et aux employeurs ayant leur siège en République de Croatie. »

II. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

11.

La présente affaire a pour origine un litige opposant Danieli & C. Officine Meccaniche SpA (ci-après « Danieli ») et quatre ressortissants croates ainsi qu’un ressortissant russe et un ressortissant biélorusse (ci-après, ensemble, les « requérants »), d’une part, à l’Arbeitsmarktservice Leoben (bureau régional du Service de l’emploi de Leoben, Autriche), d’autre part.

12.

Danieli, une entreprise établie en Italie, a accepté la commande d’une entreprise autrichienne portant sur la construction d’un laminoir à fil en Autriche. Danieli fait partie d’un groupe de sociétés à laquelle appartiennent également DS d.o.o., établie en Croatie (ci-après l’« employeur croate ») et DA-SpA, établie en Italie (ci-après l’« employeur italien »). Pour réaliser cette commande, Danieli avait l’intention de recourir à de la main-d’œuvre mise à sa disposition par les employeurs croate et italien.

13.

Plus précisément, Danieli a souhaité faire appel à quatre ressortissants croates, salariés de l’employeur croate et bénéficiant d’une couverture sociale en Croatie. Il a également souhaité employer deux ressortissants de pays tiers, un ressortissant russe et un ressortissant biélorusse, salariés de l’employeur italien et bénéficiant d’une couverture sociale en Italie.

14.

Le 18 janvier 2016, Danieli a procédé à l’enregistrement desdits salariés auprès de l’autorité compétente et a demandé la confirmation de leur détachement dans le cadre de l’Union.

15.

Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, Danieli avait indiqué qu’elle n’employait pas les salariés en question, mais qu’ils seraient mis à sa disposition, respectivement, par l’employeur croate et l’employeur italien, aux fins de la réalisation du projet de construction en Autriche.

16.

Le bureau régional du Service de l’emploi de Leoben a rejeté les demandes de confirmation du détachement dans le cadre de l’Union, conformément à l’article 18, paragraphe 12, de l’AuslBG, et a interdit le détachement.

17.

Cette décision a fait l’objet de recours, qui ont été rejetés par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) comme non fondés. Selon cette juridiction, les détachements ne relevaient pas du champ d’application de la directive 96/71. Elle a estimé que ladite directive n’était pas applicable au motif qu’il n’existait aucune relation de travail entre Danieli et les travailleurs qu’elle souhaitait affecter à la réalisation du projet de construction en Autriche.

18.

Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a été saisi de recours contre cette décision. Compte tenu de ses doutes quant à l’interprétation correcte des dispositions pertinentes du droit de l’Union, celui-ci a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Convient-il d’interpréter les dispositions des articles 56 et 57 TFUE, de la directive [96/71], ainsi que des points 2 et 12 du chapitre 2 Libre circulation des personnes de l’annexe V de [l’acte d’adhésion de 2012], en ce sens que la République d’Autriche est en droit de restreindre, par l’exigence d’une autorisation de travail, le détachement de travailleurs qui sont employés par une société ayant son siège en Croatie, lorsque le détachement de ces travailleurs intervient par le biais de leur mise à disposition à une société établie en Italie en vue de la prestation de services en Autriche par la société italienne et que l’activité des travailleurs croates pour la société italienne dans le cadre de la construction d’un laminoir à fil en Autriche se limite à la fourniture de cette prestation de services en Autriche et qu’il n’y a pas de relation de travail entre ces travailleurs et la société italienne ?

2)

Convient-il d’interpréter les articles 56 et 57 TFUE et la directive [96/71] en ce sens que la République d’Autriche est en droit de restreindre, par l’exigence d’une autorisation de travail, le détachement de travailleurs russes et biélorusses, employés par une société ayant son siège en Italie, lorsque le détachement de ces travailleurs intervient par le biais de leur mise à disposition à une deuxième société établie en Italie en vue de la prestation de services en Autriche par la deuxième société et que l’activité des travailleurs russes et biélorusses pour la deuxième société se limite à la fourniture de la prestation de services de cette société en Autriche et qu’il n’y a pas de relation de travail entre ces travailleurs et la deuxième société ? »

19.

Des observations écrites ont été déposées par les requérants et les gouvernements autrichien, allemand et néerlandais, ainsi que par la Commission européenne. Toutes ces parties intéressées, hormis le gouvernement néerlandais, ont présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est déroulée le 28 février 2018.

III. Analyse

20.

Avant d’aborder les questions déférées, je commencerai par quelques observations liminaires concernant, en particulier, le cadre juridique qui régit le droit des entreprises de fournir leurs services dans l’ensemble de l’Union européenne. Dans ce contexte, j’analyserai également comment il conviendrait de définir, du point de vue du droit de l’Union, le dispositif mis en place pour permettre à Danieli de recourir, pour sa prestation de services en Autriche, à des travailleurs ressortissants croates ou ressortissants de pays tiers légalement employés, respectivement, par les employeurs croate et italien dans ces États (ciaprès le « dispositif en cause dans la procédure au principal »). En effet, comme je l’expliquerai, il s’agit d’un point qui intéresse directement et plus particulièrement l’appréciation de la première question.

A.   Observations liminaires

21.

En Autriche, les étrangers employés par un employeur étranger non établi en Autriche doivent disposer d’une autorisation de travail. Cependant, dans le cas des détachements dits « dans le cadre de l’Union », c’est-à-dire lorsque les étrangers sont détachés en Autriche par une entreprise établie dans un État membre de l’Espace économique européen (EEE) pour y effectuer un travail temporaire, cette condition ne s’applique pas. Il est toutefois nécessaire, dans ce cas, que ces travailleurs soient, entre autres conditions, autorisés en bonne et due forme, pour une période allant au-delà de la durée du détachement en Autriche, à exercer une activité dans l’État du siège et qu’ils soient employés de manière légale par l’entreprise qui les détache. Pendant une période transitoire qui s’achève le 30 juin 2018, les ressortissants croates sont cependant soumis à l’exigence d’une autorisation de travail conformément aux règles nationales pertinentes (articles 18 et 32a de l’AuslBG).

22.

Dans la présente affaire, Danieli, une entreprise italienne, a demandé un détachement dans le cadre de l’Union sans autorisation de travail pour les ressortissants croates et de pays tiers qu’elle a l’intention d’affecter à la construction d’un laminoir à fil en Autriche. Cette demande a été refusée au motif que pour ces travailleurs une autorisation de travail est requise.

23.

La question qui se pose est de savoir si cette exigence est compatible avec le droit de l’Union, sachant que les ressortissants croates et les ressortissants de pays tiers ont été temporairement mis à disposition d’une entreprise italienne (Danieli) qui fournit un service en Autriche. Les ressortissants croates sont mis à la disposition de Danieli par une entreprise croate et les ressortissants de pays tiers sont mis à sa disposition par une entreprise italienne.

1. Le cadre juridique : libre prestation de services et détachement de travailleurs

24.

Il convient, d’emblée, de garder à l’esprit que la compatibilité avec le droit de l’Union d’une exigence d’une autorisation de travail relève, dans cette affaire, des règles pertinentes du traité en matière de libre prestation de services énoncées aux articles 56 et 57 TFUE ( 5 ). En outre, s’agissant plus particulièrement des ressortissants croates, il y a également lieu de tenir compte des règles spéciales adoptées par le législateur et limitant, pendant une période transitoire après l’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie, la libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services impliquant la circulation temporaire de travailleurs, au sens de la définition de l’article 1er de la directive 96/71. Ces règles ressortent de l’annexe V, chapitre 2, de l’acte d’adhésion de 2012.

25.

La directive 96/71, en revanche, n’est pas directement pertinente dans cette affaire. Contrairement à ce que pourraient suggérer les questions déférées et la place qui lui a été accordée lors de l’audience, la directive 96/71 n’a qu’une importance marginale pour la question de la compatibilité avec le droit de l’Union de l’exigence litigieuse en matière d’autorisation de travail.

26.

La directive 96/71 est destinée à protéger les travailleurs en conférant certains droits minimaux aux travailleurs détachés dans le contexte particulier de la prestation de services transnationale. Elle définit un « noyau de règles impératives de protection minimale » – concernant notamment le salaire et les congés minimaux – qui doivent être respectées dans l’État membre d’accueil par les entreprises qui y détachent temporairement des travailleurs ( 6 ). Plus précisément, l’État membre d’accueil doit veiller, conformément à l’article 3 de ladite directive, à ce que les entreprises qui détachent des travailleurs sur leur territoire respectent les conditions de travail minimales visées dans cette disposition.

27.

La directive 96/71 ne contient aucune règle relative aux exigences administratives auxquelles un prestataire de services (étranger) peut être tenu de se conformer dans l’État membre d’accueil. Les limites applicables à de telles exigences ressortent des articles 56 et 57 TFUE (et, le cas échéant, des dispositions transitoires annexées à l’acte d’adhésion de 2012).

28.

La directive 96/71 reste néanmoins pertinente pour la résolution de la présente affaire pour d’autres raisons. En effet, comme je l’expliquerai plus en détail dans la suite des présentes conclusions, la jurisprudence de la Cour opère une distinction entre différents types de détachement : selon que l’entreprise qui fournit un service dans l’État membre d’accueil assure cette prestation en détachant ses propres travailleurs dans l’État membre d’accueil [détachement classique au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71], ou met à disposition ses propres travailleurs dans l’État membre d’accueil [mise à disposition de main-d’œuvre auprès d’une autre entreprise au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c) de la directive 96/71], l’appréciation du dispositif choisi, du point de vue des règles applicables à la libre prestation de services et des dispositions transitoires pertinentes, obéit à une logique différente.

29.

Plus spécifiquement, les travailleurs mis à disposition dans l’État membre d’accueil, qu’ils le soient dans le contexte d’un détachement classique ou d’une mise à disposition de main-d’œuvre, relèvent du champ d’application de la directive. Cependant, il est de jurisprudence constante que, par opposition aux travailleurs détachés par leur employeur au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71, les travailleurs mis à disposition dans l’État membre d’accueil au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de ladite directive sont considérés comme mis à disposition sur le marché de l’emploi de l’État membre d’accueil, auquel ils peuvent donc avoir accès ( 7 ).

30.

Cette différence revêt une importance particulière aux fins de l’application des dispositions transitoires de l’annexe V, chapitre 2, points 2 et 12, de l’acte d’adhésion de 2012. En effet, les États membres ont une plus grande marge de manœuvre, quant à l’application des dispositions nationales pendant la période transitoire, dans le cas de la mise à disposition de main-d’œuvre.

31.

En vertu du point 2, un État membre est en droit de restreindre, par l’application de mesures nationales, la libre circulation des travailleurs (croates) pendant la période transitoire. Selon la Cour, la libre circulation des travailleurs inclut à la fois la situation du travailleur qui cherche à accéder directement au marché du travail de l’État membre d’accueil, et celle du travailleur mis à disposition du marché du travail de ce même État au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71 ( 8 ). Par ailleurs, en vertu du point 12, il est possible de déroger à l’article 56 TFUE et de restreindre le détachement classique au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 dans le contexte de la prestation de services. Cependant, cette possibilité n’est ouverte qu’à l’égard d’entreprises établies en Croatie dans certains secteurs sensibles mentionnés au point 12 des présentes conclusions ( 9 ).

32.

C’est pourquoi il y a lieu de déterminer, à titre liminaire, comment le dispositif en cause dans la procédure au principal devrait être défini au regard du droit de l’Union.

2. Comment convient-il d’analyser le dispositif en cause dans la procédure au principal du point de vue du droit de l’Union ?

33.

S’agissant du dispositif en cause dans la procédure au principal, un aspect doit d’emblée être souligné, à savoir que les travailleurs concernés ne sont pas employés directement par Danieli mais par d’autres entreprises appartenant au même groupe : si les ressortissants croates ont un contrat de travail avec l’employeur croate ainsi qu’une couverture sociale en Croatie, les ressortissants des pays tiers ont quant à eux un contrat de travail avec l’employeur italien et une couverture sociale en Italie.

34.

Les travailleurs devaient être mis à la disposition de Danieli afin que cette entreprise puisse réaliser la construction d’un laminoir à fil en Autriche, un projet de construction dont Danieli semble être le principal contractant. Pendant la durée de leur détachement en Autriche, les travailleurs devaient accomplir leurs tâches sous la direction de Danieli. En outre, selon les indications qui ressortent de la demande de décision préjudicielle, les intéressés n’ont pas travaillé pour Danieli en Italie, mais ont directement été envoyés en Autriche par leurs employeurs. En d’autres termes, les ressortissants croates n’ont pas été actifs sur le marché du travail en Italie. Les ressortissants de pays tiers, quant à eux, sont légalement employés en Italie où ils travaillent habituellement pour leur employeur italien.

35.

Comment, dans ce contexte, convient-il d’interpréter, du point de vue du droit de l’Union, le dispositif en cause dans la procédure au principal ?

36.

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, la directive 96/71, la directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de ladite directive, sur le territoire d’un État membre.

37.

Sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), la directive 96/71 s’applique lorsqu’une entreprise détache un travailleur, pour son compte et sous sa direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement.

38.

Comme je l’ai déjà indiqué précédemment, l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 96/71 traite également de la mise à disposition de main-d’œuvre d’une entreprise à une autre. L’article 1er, paragraphe 3, sous c), de cette directive est ici particulièrement pertinent ( 10 ).

39.

La directive 96/71 s’applique également lorsque, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, sous c), une entreprise de travail intérimaire ou une entreprise qui met un travailleur à disposition, telle qu’une agence de placement, met à disposition d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.

40.

Plus simplement, la directive s’applique à un large éventail de situations, lorsque des travailleurs sont envoyés d’un État membre à un autre dans le contexte de la prestation de services transnationale.

41.

À première vue, le dispositif en cause dans la procédure au principal ne semble pas vraiment correspondre aux situations visées à l’article 1er, paragraphe 3, sous a) et c), de la directive 96/71. Il n’est donc guère surprenant que les parties qui ont présenté des observations ne soient pas d’accord sur la question de savoir si ledit dispositif relève du champ d’application de ladite directive, et, dans l’affirmative, à quel titre.

42.

Il apparaît cependant, si l’on examine la question de plus près, que – sous réserves des vérifications qui s’imposent et qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer s’agissant des circonstances factuelles à l’origine de la présente affaire – le dispositif en cause dans la procédure au principal relève de la mise à disposition de main-d’œuvre au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71.

43.

Dans l’affaire Vicoplus e.a. ( 11 ), la Cour était invitée à statuer sur la compatibilité avec le droit de l’Union de dispositions de la législation néerlandaise qui imposaient aux ressortissants polonais l’obligation de disposer d’une autorisation de travail en cas de mise à disposition de travailleurs polonais sur le territoire néerlandais, postérieurement à l’adhésion de la Pologne à l’Union. Il était également demandé à la Cour de fournir des indications sur les critères permettant de déterminer si des travailleurs avaient été mis à disposition au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71.

44.

La Cour a jugé que la mise à disposition de main-d’œuvre est une prestation de services fournie contre rémunération pour laquelle le travailleur détaché reste au service de l’entreprise prestataire, sans qu’aucun contrat de travail ne soit conclu avec l’entreprise utilisatrice (première condition). En outre, cette mise à disposition se caractérise par la circonstance que le déplacement du travailleur dans l’État membre d’accueil constitue l’objet même de la prestation de services effectuée par l’entreprise prestataire (deuxième condition) et que ce travailleur accomplit ses tâches sous le contrôle et la direction de l’entreprise utilisatrice (troisième condition) ( 12 ).

45.

Dans l’arrêt Martin Meat ( 13 ), la Cour a fourni des précisions supplémentaires, en particulier, sur la deuxième condition précédemment évoquée. Elle a identifié les différents éléments susceptibles d’indiquer que la prestation (transnationale) de services constitue une mise à disposition de main‑d’œuvre, et non un détachement au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71. La Cour a jugé à cet égard qu’il convient de prendre en compte notamment tout élément propre à indiquer que le prestataire de services ne supporte pas les conséquences de l’exécution non conforme de la prestation stipulée au contrat. En particulier, s’il découle des obligations de ce contrat que le prestataire de services est tenu à la bonne exécution de la prestation stipulée audit contrat, il est, en principe, moins probable qu’il s’agisse d’une mise à disposition de main-d’œuvre que dans l’hypothèse où il n’a pas à supporter les conséquences de l’exécution non conforme de ladite prestation ( 14 ).

46.

Toutes ces conditions énoncées dans la jurisprudence en ce qui concerne la mise à disposition de main-d’œuvre sont remplies par le dispositif en cause dans la procédure au principal ( 15 ).

47.

Premièrement, il est constant que les travailleurs croates et des pays tiers restent employés par les entreprises qui les détachent en Autriche, à savoir les employeurs croate et italien (première condition). Il en va ainsi indépendamment du fait que Danieli et les entreprises employeurs font partie du même groupe d’entreprises.

48.

Deuxièmement, en ce qui concerne la mise à disposition elle-même, il a été précisé lors de l’audience que le déplacement des travailleurs en Autriche constitue la finalité même de l’arrangement convenu entre Danieli et les employeurs croate et italien (deuxième condition). Cet élément est également attesté par la circonstance que les travailleurs en question n’ont pas travaillé sous la direction de Danieli en Italie en tant que main-d’œuvre employée en Italie. En outre, et conformément aux indications de la Cour dans son arrêt Martin Meat, il ressort des observations écrites des requérants que ce ne sont pas les employeurs croate et italien mais Danieli qui répond de l’exécution des obligations contractuelles découlant de la prestation de services en Autriche.

49.

Troisièmement, pendant leur mise à disposition en Autriche, les travailleurs doivent accomplir leurs tâches sous le contrôle et la direction de l’entreprise utilisatrice, c’est-à-dire Danieli (troisième condition).

50.

Il pourrait certes être objecté que les employeurs croate et italien ne sont pas des entreprises de travail intérimaire ou des entreprises qui mettent un travailleur à disposition, telles que les agences de placement au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c) de la directive 96/71. À cet égard, il y a cependant lieu de noter que la Cour a attaché peu d’importance à cet aspect dans sa jurisprudence. À mon sens, cette approche est justifiée.

51.

Comme je l’ai déjà indiqué, la directive 96/71 est destinée à protéger les travailleurs en leur garantissant certains droits minimaux dans le contexte particulier de la prestation de services transnationale. Afin de protéger ces travailleurs, l’État membre d’accueil doit veiller à ce que les entreprises qui détachent ou mettent à disposition des travailleurs sur son territoire respectent certains droits minimaux ( 16 ).

52.

En effet, il ressort du préambule de la directive 96/71 que la notion de détachement doit être entendue au sens large : ladite directive s’applique indépendamment de la question de savoir si la prestation de services prend la forme de travaux exécutés par une entreprise pour son compte et sous sa direction, dans le cadre d’un contrat conclu entre cette entreprise et le destinataire de la prestation de services, ou dans la mise à disposition de travailleurs en vue de leur utilisation par une entreprise, dans le cadre d’un marché public ou d’un marché privé ( 17 ).

53.

L’objectif qui consiste à garantir un niveau minimal de protection aux travailleurs serait selon moi compromis si un dispositif tel que celui en cause dans la procédure au principal pouvait échapper au champ d’application de la directive 96/71 au seul motif que l’entreprise qui met à disposition les travailleurs en question n’est pas principalement active dans le secteur de la mise à disposition de main-d’œuvre auprès d’autres entreprises.

54.

Enfin, il y a lieu de souligner que la circonstance que l’entreprise désireuse de fournir un service en Autriche en ayant recours à de la main-d’œuvre mise à sa disposition par des entreprises établies, respectivement, en Croatie et en Italie soit elle-même une entreprise italienne ne devrait pas créer la confusion dans l’analyse menée au regard de la directive 96/71. Du point de vue de cette directive, l’élément pertinent est que les travailleurs en question ont été mis, à partir d’un État membre, à la disposition d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité dans l’État membre d’accueil, c’est-à-dire la République d’Autriche, dans le cadre d’une prestation de services transnationale ( 18 ). Tel est clairement le cas en l’espèce.

55.

En effet, du point de vue de la directive 96/71, le dispositif en cause dans la procédure au principal ne présente pas de différences par rapport à la situation dans laquelle le contractant principal du projet en Autriche serait, non pas Danieli, mais une entreprise autrichienne qui emploierait directement des travailleurs de Croatie (s’agissant des ressortissants croates) et d’Italie (s’agissant des ressortissants de pays tiers). En d’autres termes, ce dispositif constitue une mise à disposition au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71.

56.

Cependant, les requérants et la Commission en particulier soutiennent que, puisque les entreprises employeurs et Danieli font partie du même groupe d’entreprises, le dispositif en cause dans la procédure au principal devrait être considéré comme un détachement au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71. Plus particulièrement, elles défendent une interprétation large de la notion de « relation de travail » visée dans cette disposition, étant précisé que cette disposition ne peut s’appliquer que lorsqu’une relation de travail existe entre l’entreprise de détachement et les travailleurs concernés.

57.

À cet égard, il est constant que, dans la présente affaire, il n’existe pas de telle relation de travail entre Danieli et les travailleurs concernés. L’interprétation défendue par les requérants et la Commission impliquerait donc d’interpréter l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 d’une façon singulièrement extensive.

58.

Une telle approche ne me semble pas souhaitable. Premièrement, une telle interprétation n’est pas justifiée par la nécessité de protéger les travailleurs concernés, qui constitue l’objectif premier de ladite directive. En effet, indépendamment de la question de savoir si le dispositif relève de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), ou de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71, les travailleurs en question relèvent du champ d’application de cette directive. Deuxièmement, cela aurait également pour effet de brouiller la distinction opérée dans la jurisprudence concernant le détachement et la mise à disposition, une distinction particulièrement importante dans le contexte de l’application des dispositions transitoires telles que celles en cause dans la présente affaire.

59.

J’aborderai maintenant, en gardant ces considérations à l’esprit, l’examen de la première question préjudicielle.

B.   La première question préjudicielle : compatibilité avec le droit de l’Union de l’exigence d’une autorisation de travail en ce qui concerne les ressortissants croates

60.

La première question vise à savoir, en substance, si les articles 56 et 57 TFUE, lus conjointement avec l’annexe V, chapitre 2, points 2 et 12, de l’acte d’adhésion de 2012, doivent être interprétés en ce sens que la République d’Autriche est en droit d’exiger que les ressortissants croates, employés par une entreprise italienne pour une prestation de services en Autriche, disposent d’une autorisation de travail.

61.

Je suis d’avis que cette question appelle une réponse affirmative.

62.

Premièrement, comme je l’ai expliqué précédemment, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour qu’il existe une différence de nature entre le détachement de travailleurs et la mise à disposition de main-d’œuvre. C’est ce qui explique que ces deux situations soient traitées différemment dans le cadre des dispositions transitoires applicables.

63.

Ce principe a déjà été entériné dans l’arrêt Rush Portuguesa ( 19 ), une affaire concernant des travailleurs portugais envoyés en France par une entreprise portugaise après l’adhésion du Portugal à (ce qui était alors) la Communauté européenne. S’agissant précisément de la mise à disposition de main-d’œuvre – qui constitue une prestation de services au sens de l’article 57 TFUE conformément à la jurisprudence de la Cour ( 20 ) – la Cour a jugé qu’il s’agissait d’une activité permettant de faire accéder des travailleurs au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil. Dans un tel cas, selon la Cour, l’État membre d’accueil est en principe autorisé à restreindre – dans la mesure où les dispositions transitoires pertinentes le prévoient – l’accès de ces travailleurs au marché de l’emploi national ( 21 ).

64.

La Cour a fait application de ce principe plus récemment dans le contexte des règles transitoires applicables après l’adhésion de nouveaux États membres à l’Union européenne en 2004. Cette jurisprudence s’avère en l’occurrence particulièrement pertinente puisque le contenu des règles transitoires applicables en l’espèce est identique.

65.

Dans l’arrêt Vicoplus e.a. ( 22 ), la Cour a réitéré pour l’essentiel le principe énoncé dans l’arrêt Rush Portuguesa en jugeant qu’un travailleur détaché au titre de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71 est typiquement affecté, durant la période de sa mise à disposition, à un poste au sein de l’entreprise utilisatrice qui aurait autrement été occupé par un salarié de celle-ci ( 23 ). Pour cette raison, la Cour a considéré que l’obligation de disposer d’une autorisation de travail imposée par l’administration néerlandaise dans cette affaire devait être considérée comme une mesure réglementant l’accès des ressortissants polonais au marché du travail de l’État membre d’accueil au sens de l’annexe XII, chapitre 2, point 2, de l’acte d’adhésion de 2003 ( 24 ) compatible avec les articles 56 et 57 TFUE ( 25 ).

66.

En d’autres termes, cela signifie que les anciens États membres pouvaient se prévaloir de cette disposition pour exiger, pendant une période transitoire, que les travailleurs mis à disposition originaires d’un nouvel État membre possèdent une autorisation de travail. Cette disposition correspond à l’annexe V, chapitre 2, point 2, de l’acte d’adhésion de 2012.

67.

À cet égard, les doutes de la juridiction de renvoi quant à la question de savoir si l’affirmation de la Cour dans cette affaire peut être transposé au dispositif en cause dans la procédure au principal s’expliquent par les caractéristiques particulières du dispositif en question, à savoir que les travailleurs croates sont détachés auprès d’une entreprise italienne qui fournit un service en Autriche.

68.

En l’occurrence, il convient de rappeler que, de même que la disposition pertinente de l’acte d’adhésion de 2003, l’annexe V, chapitre 2, point 2, de l’acte d’adhésion de 2012 réglemente l’accès des ressortissants croates au marché du travail d’autres États membres pendant une période transitoire. Dans le contexte de l’élargissement de l’Union de 2004, la Cour a expliqué que cette disposition visait à éviter que, à la suite de l’adhésion à l’Union de nouveaux États membres, il ne se produise des perturbations sur le marché du travail des anciens États membres, dues à l’arrivée immédiate d’un nombre élevé de travailleurs ressortissants desdits nouveaux États ( 26 ). Pour éviter de telles perturbations, les dispositions transitoires autorisent les États membres à restreindre la libre circulation des travailleurs originaires des nouveaux États membres.

69.

Ainsi que la Cour l’a précisé, il serait artificiel d’opérer une distinction entre l’afflux de travailleurs sur le marché du travail d’un État membre selon qu’ils y accèdent au moyen de la mise à disposition de main-d’œuvre ou directement et de manière autonome ( 27 ). À cet égard, peu importe également de savoir si les travailleurs mis à disposition dans l’État membre d’accueil souhaitent en réalité rester dans cet État après la fin du travail effectué pour l’entreprise utilisatrice ou s’ils retournent dans leur État membre d’origine directement après la fin du détachement. Ce qui importe au contraire, selon la Cour, est que les travailleurs mis à disposition dans l’État membre d’accueil soient affectés à un poste qui aurait pu être occupé par un travailleur employé dans l’État membre d’accueil ( 28 ).

70.

Je suis d’avis qu’il serait tout aussi artificiel d’opérer une distinction entre la situation dans laquelle une entreprise autrichienne souhaite avoir recours à des travailleurs croates mis à sa disposition par l’employeur croate afin de finaliser un projet en Autriche, et la situation dans laquelle, comme c’est le cas en l’espèce, l’entreprise utilisatrice souhaitant fournir un service en Autriche est établie dans un autre État membre, et qu’il se trouve que celui-ci n’a pas choisi d’étendre l’application des dispositions transitoires. Dans les deux situations, les travailleurs croates sont mis à disposition du marché du travail de l’État membre d’accueil.

71.

De fait, une telle distinction serait susceptible de priver les dispositions transitoires qui réglementent la libre circulation des travailleurs d’une grande part de leur efficacité. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, dans la présente affaire, les ressortissants croates sont affectés, pendant leur période de mise à disposition, à un poste, en Autriche, sous la direction de Danieli, lequel poste aurait pu être occupé – en tout cas potentiellement – par une personne employée par cette entreprise en Autriche.

72.

Cette circonstance a également pour effet de distinguer la présente affaire de la situation évoquée dans l’arrêt Rush Portuguesa – et dont les éléments sont repris à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 96/71 – dans laquelle un prestataire de services se déplace avec sa propre main-d’œuvre dans l’État membre d’accueil pour la durée du travail qu’il s’est engagé à effectuer. Si tel avait été le cas, un tel dispositif relèverait en principe de l’annexe V, chapitre 2, point 12, de l’acte d’adhésion de 2012.

73.

Par conséquent, il conviendrait de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que les articles 56 et 57 TFUE ainsi que l’annexe V, chapitre 2, point 2, de l’acte d’adhésion de 2012 doivent être interprétés en ce sens que la République d’Autriche est en droit de restreindre, par l’exigence d’une autorisation de travail, le détachement de travailleurs croates qui sont employés par une société ayant son siège en Croatie, lorsque le détachement de ces travailleurs intervient par le biais de leur mise à disposition auprès d’une société établie en Italie en vue de la prestation de services en Autriche par ladite société italienne.

C.   La deuxième question préjudicielle : compatibilité avec le droit de l’Union de l’exigence d’une autorisation de travail en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers

74.

La deuxième question vise à savoir, en substance, si les articles 56 et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens que la République d’Autriche est en droit d’exiger que les ressortissants de pays tiers, mis à la disposition d’une entreprise italienne par une autre entreprise italienne pour une prestation de services en Autriche, disposent d’une autorisation de travail.

75.

Je suis d’avis que cette question appelle une réponse négative.

76.

Il convient d’insister d’emblée sur le fait que les ressortissants de pays tiers sont légalement employés en Italie par l’entreprise italienne et couverts par le régime italien de sécurité sociale.

77.

S’agissant du champ d’application de l’article 56 TFUE, cette disposition n’envisage de façon expresse que la situation d’un prestataire de services établi dans un État membre autre que celui dans lequel le destinataire des services est établi. Cependant, la situation qui sous-tend la deuxième question préjudicielle concerne la mise à disposition de main-d’œuvre de l’employeur italien à Danieli, une autre entreprise italienne, qui fournit pour sa part une prestation de services en Autriche.

78.

Ainsi que l’a jugé la Cour, l’article 56 TFUE a pour objet d’éliminer les restrictions à la libre prestation de services à l’égard de personnes non établies dans l’État sur le territoire duquel la prestation doit être fournie ( 29 ). Pour cette raison, la Cour a adopté une interprétation large de cette disposition : ce n’est que lorsque tous les éléments pertinents de l’activité en cause se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre que les dispositions du traité relatives à la libre prestation de services ne s’appliquent pas ( 30 ). A contrario, il ressort de la jurisprudence que les règles applicables à la libre prestation de services doivent s’appliquer dans tous les cas où un prestataire de services offre ces services sur le territoire d’un État membre autre que celui dans lequel il est établi, quel que soit le lieu où sont établis les destinataires de ces services ( 31 ).

79.

Pour que l’article 56 TFUE s’applique, il suffit que la prestation de services elle-même circule d’un État membre à un autre ( 32 ).

80.

Si l’on garde à l’esprit que le dispositif en cause dans la procédure au principal concerne une prestation de services transnationale (en l’occurrence, la mise à disposition de main-d’œuvre et, par extension, la prestation de services de Danieli en Autriche) dans un État membre autre que celui dans lequel le prestataire de services est établi, l’article 56 TFUE doit nécessairement s’appliquer à la situation qui sous-tend la deuxième question préjudicielle ( 33 ).

81.

Cet aspect ayant été précisé, je tiens maintenant à relever qu’il est de jurisprudence constante qu’une mesure nationale qui subordonne le détachement des travailleurs dans l’État membre d’accueil à l’exigence d’une autorisation de travail constitue une restriction au sens de l’article 56 TFUE ( 34 ). Comme l’a jugé la Cour, l’exigence d’une autorisation de travail est, en raison des formalités et des délais de procédure qu’elle implique, de nature à priver d’intérêt la libre prestation des services dans les États membres au moyen de travailleurs détachés ressortissants d’un État tiers ( 35 ).

82.

Néanmoins, la Cour a admis que l’exigence d’une autorisation de travail peut, en principe, être justifiée pour autant qu’elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général et que cet intérêt n’est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi, et pour autant qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci ( 36 ).

83.

En dépit de cette réserve cependant, la Cour a généralement considéré que des exigences allant au-delà d’une simple déclaration préalable sont disproportionnées au regard d’objectifs tels que la garantie de la stabilité du marché de l’emploi dans l’État membre d’accueil ou la protection des travailleurs, et donc contraires aux règles de la libre prestation de services ( 37 ).

84.

Dernièrement, elle l’a également constaté dans le contexte spécifique de la mise à disposition de main-d’œuvre au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71.

85.

Dans l’affaire Essent Energie Productie (C‑91/13), il était demandé à la Cour de se prononcer sur la compatibilité avec le droit de l’Union de l’exigence d’une autorisation de travail dans le cadre d’une mise à disposition de travailleurs ressortissants de pays tiers par une entreprise établie dans un État membre (Allemagne) auprès d’une entreprise utilisatrice établie dans l’État membre d’accueil (Pays-Bas). Dans cette affaire, la Cour a expliqué que si le souci d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi constitue, certes, une raison impérieuse d’intérêt général, les travailleurs employés par une entreprise établie dans un État membre et qui sont détachés dans un autre État membre en vue d’y effectuer une prestation de services ne prétendent cependant pas accéder au marché de l’emploi de ce second État, dès lors qu’ils retournent dans leur pays d’origine ou de résidence après l’accomplissement de leur mission ( 38 ). En effet, contrairement aux ressortissants de l’Union qui peuvent avoir accès au marché du travail de l’État membre d’accueil au moyen d’une mise à disposition, car ils bénéficient en principe du droit de libre circulation, les ressortissants de pays tiers ne peuvent se déplacer librement au sein de l’Union.

86.

Dans ce contexte – et très certainement parce que les ressortissants de pays tiers ne bénéficient pas du droit de libre circulation –, la Cour a admis que l’État membre d’accueil peut prendre un certain nombre de mesures destinées à garantir que l’entreprise qui se prévaut de la libre prestation de services ne le fait pas dans un but autre et à vérifier la régularité de la situation de ces travailleurs et que ceux-ci exercent leur activité principale dans l’État membre où est établie l’entreprise prestataire de services ( 39 ). Néanmoins, la Cour a jugé que de telles vérifications doivent respecter les limites que pose le droit de l’Union, et notamment celles découlant de la liberté de prestation des services, qui ne peut être rendue illusoire et dont l’exercice ne peut être soumis à la discrétion de l’administration ( 40 ).

87.

L’exercice de ce pouvoir de vérification, en d’autres termes, n’autorise pas l’État membre d’accueil à imposer des exigences disproportionnées.

88.

Dans l’arrêt Essent Energie Productie, ce qui constitue un point particulièrement important pour la présente affaire, la Cour a précisément jugé que le maintien, à titre permanent, par un État membre d’une exigence d’une autorisation de travail pour les ressortissants d’États tiers qui sont mis à la disposition d’une entreprise établie dans cet État par une entreprise établie dans un autre État membre excède ce qui est nécessaire pour assurer la stabilité du marché de l’emploi ( 41 ).

89.

Dans cet arrêt, les affirmations de la Cour quant à l’admissibilité de l’exigence d’une autorisation de travail applicable aux ressortissants de pays tiers détachés par l’entreprise qui les emploie dans le cadre de la prestation de services transnationale dans l’État membre d’accueil ont été explicitement étendues à la mise à disposition de main-d’œuvre.

90.

Aucune raison convaincante ne s’oppose, selon moi, à ce que ces affirmations s’appliquent également au dispositif en cause dans la procédure au principal : en effet, comme nous l’avons expliqué précédemment, ce dispositif consiste, de même que dans l’arrêt Essent Energie Productie, en une mise à disposition de main-d’œuvre au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71.

91.

À cet égard, il y a lieu de souligner que les première et deuxième questions concernent deux situations intrinsèquement différentes.

92.

Comme nous l’avons déjà expliqué, la Cour a considéré, dans le contexte de l’application de mesures transitoires, que la mise à disposition de main‑d’œuvre au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71 constitue une forme d’accès au marché de l’emploi de cet État membre d’accueil. C’est la raison pour laquelle la mise à disposition de travailleurs peut être soumise à l’exigence d’une autorisation de travail pendant une période transitoire faisant suite à l’adhésion à l’Union de nouveaux États membres, caractérisée par un risque certain et accru de perturbation immédiate et importante du marché de l’emploi de l’État membre d’accueil ( 42 ). Afin d’éviter de telles perturbations, le législateur a conçu des dispositions transitoires spécifiques qui permettent aux États membres de restreindre, le cas échéant, la libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services consacrée par les traités pendant une période limitée. Telle est la situation qui sous-tend la première question préjudicielle.

93.

En revanche, aucun risque comparable ne peut être identifié s’agissant des ressortissants de pays tiers, et pour cause : les ressortissants de pays tiers ne bénéficient pas de la liberté de circulation et doivent, en règle générale, disposer d’une autorisation de travail – et être légalement employés – dans l’État membre de résidence. En effet, il ne faut pas oublier que la mise à disposition de travailleurs, lorsqu’il s’agit de ressortissants de pays tiers, ne peut conférer à ces derniers qu’un accès temporaire au marché de l’emploi de l’État membre dans lequel ils sont détachés. Dans de telles circonstances, il serait tout simplement disproportionné, du point de vue de la libre prestation de services, d’exiger le respect des conditions régissant l’accès au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil ou le respect d’autres exigences spécifiques en matière de l’emploi des ressortissants de pays tiers, questions qui n’ont pas été harmonisées au niveau du droit de l’Union. En effet, il convient de ne pas perdre de vue que – contrairement aux travailleurs des nouveaux États membres – les ressortissants de pays tiers doivent se conformer à des formalités en matière d’immigration et d’accès au marché de l’emploi dans l’État membre de résidence également. Les exigences supplémentaires imposées par l’État membre d’accueil entraveraient donc considérablement la liberté des entreprises de fournir une prestation de services dans l’État membre d’accueil en ayant recours à cette fin à des ressortissants de pays tiers tels que ceux en cause dans l’affaire au principal.

94.

Plus fondamentalement, il faut garder à l’esprit que, dans la présente affaire, les ressortissants de pays tiers concernés sont employés légalement dans leur État membre de résidence, dans lequel ils retourneront après avoir accompli leur travail dans l’État membre d’accueil. Dans une telle situation, il est difficile de concevoir comment le maintien permanent de l’exigence d’une autorisation de travail pour les ressortissants de pays tiers affectés dans l’État membre d’accueil par une entreprise établie dans un autre État membre pourrait être considéré comme une mesure nécessaire aux fins de protéger la stabilité du marché de l’emploi de l’État membre d’accueil.

95.

En tout état de cause, la Cour a admis que les États membres peuvent exiger, de l’entreprise prestataire, des indications attestant que les travailleurs concernés sont en situation régulière, notamment en termes de résidence, d’autorisation de travail et de couverture sociale dans l’État membre dans lequel ils sont employés ( 43 ). En fait, une telle exigence établit un juste équilibre entre les intérêts légitimes de l’État membre d’accueil et ceux d’une entreprise établie dans un autre État membre souhaitant fournir une prestation de services transnationale en affectant des ressortissants de pays tiers dans l’État membre d’accueil. Une telle mesure apporte certainement des garanties suffisantes à l’État membre d’accueil quant à la régularité de la situation des ressortissants de pays tiers et quant au fait que ceux-ci exercent leur activité principale dans l’État membre où est établie l’entreprise prestataire de services sans restreindre de façon excessive la libre prestation de services garantie dans le traité FUE ( 44 ).

96.

Par conséquent, il conviendrait de répondre à la deuxième question que les articles 56 et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens que la République d’Autriche n’est pas en droit de restreindre, par l’exigence d’une autorisation de travail, le détachement de travailleurs russes et biélorusses employés légalement par une société ayant son siège en Italie, lorsque le détachement de ces travailleurs intervient au moyen de leur mise à disposition auprès d’une deuxième société établie en Italie en vue de la prestation de services en Autriche par ladite deuxième société.

IV. Conclusion

97.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) comme suit :

1)

Les articles 56 et 57 TFUE, lus conjointement avec l’annexe V, chapitre 2, point 2, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique, du 24 avril 2012, doivent être interprétés en ce sens que la République d’Autriche est en droit de restreindre, par l’exigence d’une autorisation de travail, le détachement de travailleurs croates qui sont employés par une société ayant son siège en Croatie, lorsque le détachement de ces travailleurs intervient au moyen de leur mise à disposition auprès d’une société établie en Italie en vue de la prestation de services en Autriche par ladite société italienne.

2)

Les articles 56 et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens que la République d’Autriche n’est pas en droit de restreindre, par l’exigence d’une autorisation de travail, le détachement de travailleurs russes et biélorusses, employés par une société ayant son siège en Italie, lorsque le détachement de ces travailleurs intervient au moyen de leur mise à disposition auprès d’une deuxième société établie en Italie en vue de la prestation de services en Autriche par ladite deuxième société.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique, du 24 avril 2012 (JO 2012, L 112, p. 21, ci-après l’« acte d’adhésion de 2012 »).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).

( 4 ) BGBl. 218/1975, tel que modifié par BGBl. I 72/2013.

( 5 ) En règle générale, lorsque la libre prestation de services est en jeu, la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), peut théoriquement être également pertinente. Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce. En effet, cette directive ne s’applique pas, conformément à son article 1er, paragraphe 6, aux questions de droit du travail. Voir l’affaire Čepelnik, C‑33/17, actuellement pendante devant la Cour, concernant l’exception relative au droit du travail.

( 6 ) Considérant 13 de la directive 96/71.

( 7 ) Arrêts du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C‑113/89, EU:C:1990:142, point 16), et du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, points 30 et 31). Voir également, dans le même sens, arrêt du 18 juin 2015, Martin Meat (C‑586/13, EU:C:2015:405, point 28).

( 8 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 35).

( 9 ) La question de savoir si l’activité de Danieli en Autriche (installation d’un laminoir à fil qui requiert des compétences de haute-technologie de la part de la main-d’œuvre affectée à cette installation) relève du point 12 – un aspect qui a été longuement développé lors de l’audience en particulier par Danieli – n’est pertinente que si le dispositif en cause dans la procédure au principal est considéré comme un détachement au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71.

( 10 ) Il ressort de l’exposé des motifs de la proposition à l’origine de la directive 96/71 [proposition de directive du Conseil relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, COM(91) 230 final, p. 16] que, à la différence de l’article 1er, paragraphe 3, sous a) et de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), l’article 1er, paragraphe 3, sous b), de ladite directive a pour objet de garantir que les entreprises ne puissent contourner l’application de cette même directive. En particulier, ainsi que l’a expliqué la doctrine, cette disposition est destinée à empêcher une entreprise d’ouvrir une filiale dans un autre État membre dans le seul but d’y affecter certains de ses salariés afin qu’ils effectuent des missions temporaires en évitant ainsi l’application de la directive 96/71. Voir Barnard, C., EU Employment Law, 4e édition, Oxford University Press, Oxford, 2012, p. 218. Voir également arrêt du 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto (C‑396/13, EU:C:2015:86, points 3 et 11 à 13).

( 11 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64).

( 12 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 51).

( 13 ) Arrêt du 18 juin 2015, Martin Meat (C‑586/13, EU:C:2015:405).

( 14 ) Arrêt du 18 juin 2015, Martin Meat (C‑586/13, EU:C:2015:405, points 35 et suivants).

( 15 ) De plus, ainsi que la Cour l’a également jugé, l’application de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71 présuppose que le service, c’est-à-dire la mise à disposition de main‑d’œuvre, soit fourni contre rémunération. Cette rémunération peut, bien évidemment, prendre différentes formes en fonction, par exemple, de la relation entre le prestataire de service et l’entreprise utilisatrice.

( 16 ) Voir, en particulier, article 3 de la directive 96/71.

( 17 ) Considérant 4 de la directive 96/71.

( 18 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 39).

( 19 ) Arrêt du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C‑113/89, EU:C:1990:142).

( 20 ) Voir, par exemple, arrêts du 17 décembre 1981, Webb (279/80, EU:C:1981:314, point 9) ; du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 27), et du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 37).

( 21 ) Arrêt du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C‑113/89, EU:C:1990:142, point 16).

( 22 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64).

( 23 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 31).

( 24 ) Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33).

( 25 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, points 40 et 41).

( 26 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 34).

( 27 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 35).

( 28 ) Arrêt du 10 février 2011, Vicoplus e.a. (C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 31).

( 29 ) Arrêts du 10 février 1982, Transporoute et travaux (76/81, EU:C:1982:49, point 14), et du 26 février 1991, Commission/France (C‑154/89, EU:C:1991:76, point 9).

( 30 ) Arrêts du 18 mars 1980, Debauve e.a. (52/79, EU:C:1980:83, point 9), et du 26 février 1991, Commission/France (C‑154/89, EU:C:1991:76, point 9).

( 31 ) Arrêt du 26 février 1991, Commission/France (C‑154/89, EU:C:1991:76, point 10).

( 32 ) Arrêt du 1er juillet 1993, Hubbard (C‑20/92, EU:C:1993:280, point 12). Voir également, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809, point 114).

( 33 ) Conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:312, points 66 à 78), sur la question de savoir qui peut se prévaloir de l’article 56 TFUE.

( 34 ) Arrêt du 9 août 1994, Vander Elst (C‑43/93, EU:C:1994:310, point 15).

( 35 ) Voir, en particulier, arrêt du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C‑445/03, EU:C:2004:655, points 30 et 41).

( 36 ) Arrêt du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 48 et jurisprudence citée).

( 37 ) Arrêts du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C‑445/03, EU:C:2004:655, point 50) ; du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne (C‑244/04, EU:C:2006:49, point 64) ; du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, point 68), et du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, points 58 à 60).

( 38 ) Arrêt du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 51 et jurisprudence citée).

( 39 ) Arrêt du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, points 52 et 57, et jurisprudence citée).

( 40 ) Arrêt du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 53 et jurisprudence citée).

( 41 ) Arrêt du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 56).

( 42 ) Conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:312, point 118).

( 43 ) Arrêt du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 57).

( 44 ) Voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C‑445/03, EU:C:2004:655, point 46) ; du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne (C‑244/04, EU:C:2006:49, point 41) ; du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, point 57), et du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 57).

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