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Document 62023CC0109

    Conclusions de l'avocat général Mme L. Medina, présentées le 11 avril 2024.


    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:307

     CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

    MME LAILA MEDINA

    présentées le 11 avril 2024 ( 1 )

    Affaire C‑109/23 [Jemerak] ( i )

    GM,

    ON

    contre

    PR

    [demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne)]

    « Renvoi préjudiciel – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives – Actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Règlement (UE) no 833/2014 du Conseil – Article 5 quindecies, paragraphes 2 et 6 – Interdiction de fournir des services de conseil juridique à des personnes morales établies en Russie – Exemption – Services qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre – Authentification et exécution par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble – Interprète assistant le notaire – Article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »

    I. Introduction

    1.

    La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (UE) no 833/2014 ( 2 ), tel que modifié par le règlement (UE) 2022/1904 ( 3 ), qui concerne des mesures restrictives adoptées par le Conseil de l’Union européenne eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.

    2.

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GM et ON, des personnes souhaitant acquérir un appartement situé à Berlin (Allemagne), à PR, un notaire qui a refusé d’authentifier et d’exécuter le contrat de vente de cet appartement au motif que le vendeur était une personne morale établie en Russie.

    3.

    La présente affaire nécessite d’interpréter la notion de « services de conseil juridique » au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, en particulier de déterminer si l’authentification et l’exécution d’un contrat de vente par un notaire, dans le contexte d’un transfert d’un bien immeuble appartenant à une personne morale établie en Russie, sont interdites par cette disposition.

    4.

    Dans l’affirmative se pose la question de savoir si cette authentification et cette exécution peuvent néanmoins faire l’objet d’une exemption au titre de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, de ce règlement. En substance, cet article permet de fournir des services de conseil juridique qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage.

    5.

    Des questions similaires se posent dans le contexte des deux dispositions susmentionnées en ce qui concerne l’assistance fournie par un interprète aux parties qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue dans laquelle se déroule la procédure d’authentification devant un notaire.

    II. Le cadre juridique

    6.

    Les considérants 1, 2, 3, 19 et 22 du règlement 2022/1904 prévoient :

    « (1)

    Le 31 juillet 2014, le Conseil a adopté le règlement [no 833/2014].

    (2)

    Le règlement [no 833/2014] donne effet à certaines mesures prévues dans la décision 2014/512/PESC du Conseil[, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13)].

    (3)

    En réponse à l’intensification de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, l’organisation de simulacres de “référendums” illégaux dans les parties des régions de Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporija actuellement occupées illégalement par la Fédération de Russie, l’annexion illégale de ces régions ukrainiennes par la Fédération de Russie, ainsi que la mobilisation en Fédération de Russie et les menaces répétées de recourir à des armes de destruction massive, le Conseil a adopté, le 6 octobre 2022, la décision (PESC) 2022/1909 modifiant la décision 2014/512/PESC [(JO 2022, L 259 I, p. 122)].

    [...]

    (19)

    [L]a [décision 2022/1909] étend l’interdiction actuelle de fournir certains services à la Fédération de Russie en interdisant la fourniture de services d’architecture et d’ingénierie ainsi que de services de conseil informatique et de conseil juridique. [...] Les “services de conseil juridique” couvrent la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit ; la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci ; et la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques. Les “services de conseil juridique” ne comprennent pas la représentation, les conseils, la préparation de documents ou la vérification des documents dans le cadre des services de représentation juridique, à savoir dans des affaires ou des procédures devant des organes administratifs, des cours ou d’autres tribunaux officiels dûment constitués, ou dans des procédures d’arbitrage et de médiation.

    [...]

    (22)

    Il convient dès lors de modifier le règlement [no 833/2014] en conséquence[.] »

    7.

    L’article 1er, point 12, du règlement 2022/1904 dispose :

    « L’article 5 quindecies est remplacé par le texte suivant :

    “Article 5 quindecies

    [...]

    2.   Il est interdit de fournir, directement ou indirectement, [...] des services de conseil juridique [...] :

    [...]

    b)

    à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.

    [...]

    6.   Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre, [...] à condition qu’une telle prestation de services soit compatible avec les objectifs du présent règlement et du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil[, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6)].

    [...]” »

    III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

    8.

    GM et ON sont des ressortissants allemands qui ont l’intention d’acquérir un appartement à Berlin. Cet appartement est inscrit au registre foncier de Schöneberg, tenu par l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg, Allemagne). Visit-Moscou Ltd, société à responsabilité limitée établie à Moscou (Russie), est propriétaire de l’appartement, conformément à ce registre.

    9.

    Aux fins de cette transaction, GM, ON et Visit-Moscou ont demandé à PR, notaire exerçant à Berlin, d’authentifier leur contrat de vente en ce qui concerne les indications qu’il contenait, à savoir la chose vendue, le prix de vente et d’autres stipulations contractuelles. Elles lui ont également demandé d’exécuter le contrat après son authentification, ce qui consistait notamment à transcrire le transfert de propriété de l’appartement aux acquéreurs, à obtenir la radiation des sûretés grevant le bien immobilier, ainsi qu’à conserver les fonds de la vente sur un compte séquestre et à les reverser au vendeur.

    10.

    Toutefois, PR a informé les parties qu’il avait refusé provisoirement d’authentifier le contrat de vente et, partant, de l’exécuter. Il a estimé ne pas pouvoir exclure que l’authentification enfreigne l’interdiction énoncée à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, concernant le fait de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique à des personnes morales établies en Russie. En outre, PR n’a pas déféré au recours formé par les parties et, conformément aux règles applicables, a transmis ce recours au Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne).

    11.

    Le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire, considère que le litige dont il est saisi nécessite de répondre à la question de savoir si l’authentification d’un contrat de vente par un notaire, ainsi que d’autres tâches accessoires effectuées pour l’exécution de ce contrat, relèvent du champ d’application de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, dès lors que le vendeur est une personne morale établie en Russie. Dans l’affirmative, la juridiction de renvoi estime qu’il serait alors nécessaire de déterminer si ces tâches peuvent être exemptées de cette interdiction en vertu de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, de ce règlement.

    12.

    Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi souligne, premièrement, que plusieurs considérations s’opposent à l’application de l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 aux tâches effectuées par un notaire en vertu du droit allemand. En particulier, cette juridiction explique qu’un notaire ne fournit pas un service, mais exerce des fonctions officielles. Il est nommé en qualité d’officier public indépendant chargé de l’authentification d’actes juridiques et d’autres tâches dans le domaine de l’administration préventive de la justice. Dans l’exercice de ses fonctions, le notaire ne peut représenter aucune partie spécifique, mais il doit exercer un rôle indépendant et impartial à l’égard de toutes les parties concernées.

    13.

    Deuxièmement, la juridiction de renvoi indique que, même si les activités notariales devaient être considérées comme des services de conseil juridique au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, l’interdiction qui y est prévue ne concernerait pas l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble. Selon cette juridiction, aux fins du transfert de la propriété d’un appartement situé en Allemagne, le Bürgerliches Gesetzbuch (code civil) exige, outre l’inscription de l’acquéreur au registre foncier, l’accord des deux parties sur le transfert de propriété, lequel doit à son tour être authentifié, en principe, devant le notaire. Par conséquent, dans le cas où l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 s’applique à l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble, les personnes morales établies en Russie seraient privées, en droit et en fait, de toute possibilité de disposer de leur patrimoine, étant donné que la participation d’un notaire est requise pour la cession d’un bien immeuble.

    14.

    Troisièmement, la juridiction de renvoi considère que, en tout état de cause, l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014, qui exclut de l’interdiction susmentionnée la prestation de services qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre, semble être applicable aux activités exercées par les notaires. À cet égard, elle relève que, en droit allemand, l’inscription au registre foncier est constitutive de l’institution et de l’acquisition d’un droit sur un bien immeuble. La tenue du registre foncier constitue, selon elle, une procédure judiciaire, dans le cadre de laquelle les notaires jouent un rôle central, une demande d’inscription dans ce registre n’étant valable que si l’opération juridique est attestée par des documents officiels ou des actes authentiques. Cela signifie que, en règle générale, pour qu’une inscription au registre foncier soit effectuée, l’intervention d’un notaire est nécessaire.

    15.

    Enfin, la juridiction de renvoi souligne néanmoins que la Commission européenne a publié des orientations intitulées « Frequently asked questions on provision of services concerning sanctions adopted following Russia’s military aggression against Ukraine » (« Questions fréquemment posées s’agissant de la fourniture de services concernant les sanctions adoptées à la suite de l’agression militaire de la Russie à l’encontre de l’Ukraine ») ( 4 ). Dans ces orientations, la Commission a estimé que l’interdiction en vertu de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 couvrait l’activité notariale pour le compte des personnes morales établies en Russie. Même si l’opinion exprimée par la Commission n’est pas contraignante, elle emporte un degré d’incertitude important quant à l’interprétation correcte de cette disposition. Cette incertitude s’étend aux tâches accessoires normalement exercées par le notaire pour l’exécution du contrat de vente après son authentification et aux prestations à fournir par un interprète qui, selon la loi, doit assister une partie ne maîtrisant pas l’allemand lors de l’authentification d’un contrat de vente.

    16.

    C’est dans ces conditions que le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Un notaire allemand enfreint-il l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique à une personne morale établie en Russie lorsqu’il authentifie un contrat de vente d’un appartement faisant partie d’une copropriété conclu entre ladite personne, en qualité de venderesse, et un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ?

    2)

    Un interprète enfreint-il l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique lorsque, en vue de l’authentification du contrat de vente, il accepte que le notaire fasse appel à lui afin de traduire le contenu du processus d’authentification au représentant de la personne morale établie en Russie qui ne maîtrise pas suffisamment la langue allemande ?

    3)

    Le notaire enfreint-il l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique lorsqu’il assume et accomplit les activités notariales prévues par la loi en vue de rendre exécutoire le contrat de vente (par exemple, réalisation de l’opération de paiement du prix de vente [au moyen d’]un compte séquestre géré par le notaire, demande de documents pour la mainlevée d’hypothèques et la radiation d’autres sûretés grevant l’objet de la vente, présentation des documents nécessaires à la transcription du transfert de propriété auprès du service du registre foncier) ? »

    17.

    La demande de décision préjudicielle a été présentée au greffe de la Cour le 23 février 2023. Des observations écrites ont été déposées par les gouvernements allemand, estonien, néerlandais, polonais et finlandais, ainsi que par la Commission et les parties au principal. Une audience de plaidoiries s’est tenue le 25 janvier 2024, à laquelle le Conseil a également été invité à participer, conformément à l’article 24, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

    IV. Analyse

    18.

    Par ses trois questions, la juridiction de renvoi cherche à clarifier l’interprétation de l’article 5 quindecies, paragraphes 2 et 6, du règlement no 833/2014.

    19.

    En substance, elle demande si l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 couvre les tâches effectuées par un notaire dans un État membre lorsqu’il authentifie un contrat de vente d’un bien immeuble détenu par une personne morale établie en Russie. Dans l’affirmative, cette juridiction cherche à savoir si ces tâches relèvent de l’exemption de cette interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 6, de ce règlement (première question préjudicielle).

    20.

    En outre, la juridiction de renvoi pose à la Cour les mêmes questions en ce qui concerne l’interprète qui, en vertu du droit national, doit assister un notaire lors de la procédure d’authentification lorsque l’une des parties ne maîtrise pas la langue employée dans cette procédure (deuxième question préjudicielle).

    21.

    Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’interdiction et l’exemption susmentionnées s’appliquent en ce qui concerne les tâches que le notaire pourrait être chargé par les parties d’accomplir pour l’exécution du contrat de vente après son authentification, par exemple, conserver les fonds de la vente sur un compte séquestre et les reverser au vendeur, obtenir la radiation des sûretés grevant le bien immeuble et transcrire le transfert de propriété des biens immeubles en faveur des acquéreurs (troisième question préjudicielle).

    22.

    Les première et troisième questions préjudicielles se référant aux tâches à accomplir par le notaire, et la deuxième question préjudicielle visant celles exercées par un interprète, j’examinerai d’abord la première question, puis la troisième et enfin la deuxième.

    A.   Sur la première question préjudicielle

    23.

    La première question posée par la juridiction de renvoi nécessite d’examiner si l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble détenu par une personne morale établie en Russie relève du champ d’application de l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 et, dans l’affirmative, si elle est couverte par l’exemption de cette interdiction, prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 6, de ce règlement.

    1. L’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014

    24.

    L’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 énonce qu’il est interdit de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie. Dès lors qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’une des parties ayant besoin de services notariés dans l’affaire au principal est une personne morale établie en Russie, cette question requiert principalement d’interpréter la notion de « services de conseil juridique », au sens de cette disposition, afin d’apprécier si l’authentification notariale d’un contrat de vente d’un bien immeuble relève de cette notion.

    25.

    Selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme ( 5 ).

    26.

    Dans la présente affaire, dans la mesure où la notion de « services de conseil juridique » ne découle que du règlement no 833/2014 et où il n’est pas fait référence au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée, cette notion doit être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union, qui doit ainsi être interprétée et appliquée de la même manière dans tous les États membres. Partant, il appartient à la Cour de donner à ladite notion une interprétation uniforme dans l’ordre juridique de l’Union.

    27.

    En outre, la Cour a itérativement rappelé les canons herméneutiques sur lesquels il convient de se fonder pour interpréter une disposition du droit de l’Union. Selon une jurisprudence constante, à cette fin, doivent être pris en considération non seulement les termes de celle-ci, mais aussi son contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 6 ).

    a) Interprétation textuelle

    28.

    Tout d’abord, en ce qui concerne l’interprétation textuelle, il importe de souligner que ni l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 ni aucune autre disposition de ce règlement ne fournit la définition de la notion de « services de conseil juridique ».

    29.

    Une explication de cette notion ne peut être trouvée que dans le considérant 19 du règlement 2022/1904, qui a modifié le règlement no 833/2014 en y insérant, notamment, l’article 5 quindecies, paragraphe 2.

    30.

    Selon le considérant 19, il convient d’entendre par la notion de « services de conseil juridique » : i) la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit ; ii) la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci, et iii) la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques.

    31.

    S’agissant, d’abord, de la question de savoir si l’authentification effectuée par un notaire constitue un conseil juridique aux clients en matière gracieuse, je relève qu’il est constant que l’authentification d’un acte – y compris d’un contrat de vente d’un bien immeuble – consiste essentiellement à confirmer que toutes les conditions légalement requises pour l’établissement de cet acte sont remplies, que les parties ont la personnalité juridique et qu’elles ont la capacité de participer à des opérations juridiques.

    32.

    Telle est la compréhension de la procédure d’authentification qui résulte de la jurisprudence de la Cour ( 7 ) et, plus particulièrement, de la description que la juridiction de renvoi a faite de cette procédure dans l’ordre juridique allemand. Par son authentification, ledit acte acquiert des effets juridiques significatifs, à savoir une pleine force probante et exécutoire ( 8 ). Dans le cas d’un contrat de vente, ces effets portent en général sur l’identité et la capacité juridique des parties, les déclarations des parties, l’identification et les caractéristiques de l’objet de l’achat, le prix d’achat, le consentement des parties ainsi que la date et le lieu de l’authentification ( 9 ).

    33.

    Il résulte également de la jurisprudence de la Cour qu’un document faisant l’objet d’une authentification doit être considéré comme étant librement souscrit par les parties ( 10 ).

    34.

    En effet, la Cour a jugé, lors de l’examen de la nature des activités notariales exercées dans certains États membres, y compris en Allemagne ( 11 ), que ce sont les parties qui décident elles-mêmes, dans les limites posées par la loi, de la portée de leurs droits et obligations. En outre, elles choisissent librement les stipulations auxquelles elles veulent se soumettre lorsqu’elles présentent un acte ou une convention pour authentification au notaire. L’intervention de ce dernier suppose, ainsi, selon la Cour, l’existence préalable d’un consentement ou d’un accord de volonté des parties ( 12 ), auquel ce notaire ne participe pas.

    35.

    Le notaire n’intervenant pas dans le processus décisionnel des parties, la procédure d’authentification qu’il mène ne saurait, en tant que telle, être considérée comme un conseil juridique. En effet, eu égard à la définition commune donnée à cette notion ( 13 ), pour être considérée comme un conseil juridique, l’authentification d’un acte par un notaire exigerait que celui-ci rende un avis, d’un point de vue juridique, sur les dispositions à convenir entre les parties, par exemple, dans le cadre de la définition des stipulations contractuelles de cet acte ou sur les avantages et inconvénients de la transaction pour ces parties. Toutefois, l’authentification d’un acte, à l’issue de laquelle le notaire ne fait que confirmer la légalité de la transaction concernée et appose sur cet acte la formule exécutoire ( 14 ), n’implique pas un tel conseil.

    36.

    Tel est le cas même lorsque le notaire refuse d’authentifier un acte ou une convention qui ne remplit pas les conditions légalement requises. Dans ce cas, la Cour a notamment souligné que, à la suite d’un tel refus, les parties restent libres soit de remédier à l’illégalité constatée, soit de modifier les stipulations de l’acte ou de la convention en cause, soit encore de renoncer à cet acte ou à cette convention ( 15 ).

    37.

    Il s’ensuit que la tâche accomplie par le notaire, lors de l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble, ne relève pas de la première partie de l’explication figurant au considérant 19 du règlement 2022/1904.

    38.

    Une conclusion similaire vaut, à mon sens, en ce qui concerne la deuxième partie de cette explication, qui se réfère, ainsi qu’il a déjà été relevé, à la participation, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci, à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers. En effet, lors de l’authentification d’un acte, il est évident que le notaire n’intervient, avec les parties sollicitant cette authentification ou comme leur représentant, dans aucune opération, négociation ou autre transaction à l’égard de tiers.

    39.

    Enfin, s’agissant de la troisième partie de l’explication contenue au considérant 19 du règlement 2022/1904, qui fait référence à la préparation, à l’exécution et à la vérification des documents juridiques, il est vrai qu’il s’agit, de prime abord, des tâches que le notaire exerce dans le cadre du traitement d’une demande d’authentification. Néanmoins, je ne pense pas que cela suffise à considérer que l’authentification d’un contrat de vente par un notaire relève de l’interdiction énoncée à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.

    40.

    En effet, il importe de noter, comme le Conseil l’a fait valoir lors de l’audience de plaidoiries, que, dans la mesure où le considérant 19 du règlement 2022/1904 fournit une explication de la notion de « services de conseil juridique » au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, les tâches qui sont visées dans cette explication doivent intégrer les éléments essentiels de cette notion. Parmi ces éléments figure leur caractère de « conseil ».

    41.

    Par conséquent, les tâches de préparation, d’exécution et de vérification de documents juridiques, telles qu’elles résultent du considérant 19 du règlement 2022/1904, doivent comporter un élément de conseil juridique pour relever de la notion de « services de conseil juridique » au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.

    42.

    Dans la présente affaire, pour des raisons analogues à celles exposées au point 35 des présentes conclusions, je ne considère pas que la préparation et la vérification que le notaire est appelé à effectuer lors de l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble comportent cet élément de conseil. Cet élément n’est, en principe, pas non plus présent lors de l’exécution d’un contrat authentifié, ce que j’examinerai dans le cadre de la troisième question préjudicielle ( 16 ).

    43.

    À cet égard, il est vrai, d’une part, que, dans le cadre d’une procédure d’authentification, un notaire doit vérifier la volonté des parties et, dans certains cas, reproduire leurs déclarations écrites sous une forme standardisée, ce qui peut impliquer la préparation et la vérification d’un document juridique. Néanmoins, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, c’est uniquement pour s’assurer que l’acte authentifié est établi en bonne et due forme, comme cela est légalement requis ( 17 ), afin que ce document puisse faire foi, acquérir un caractère certain et devenir pleinement exécutoire. La préparation et la vérification du document juridique auquel il est fait référence dans ce contexte n’impliquent certainement pas la fourniture de conseils aux parties en ce qui concerne la meilleure manière d’assurer le respect de leurs souhaits, notamment sur le plan contractuel.

    44.

    D’autre part, même si le notaire doit informer les parties, au cours de la procédure d’authentification, de leurs droits et obligations ainsi que des effets découlant de l’authentification du document concerné, comme l’exige, selon l’ordonnance de renvoi, le droit allemand, cette tâche ne comprend pas la fourniture de conseils destinés à promouvoir les intérêts spécifiques de l’une ou l’autre des parties ou des deux. Il s’agit d’une obligation légalement requise et son objectif est explicatif, afin que les parties comprennent pleinement les implications de cette procédure. De cette manière, les notaires garantissent également que les parties à un contrat prennent une décision en connaissance de cause en concluant la convention à laquelle elles ont préalablement consenti.

    45.

    On ne peut certainement pas exclure qu’un notaire, au cours d’une procédure d’authentification, fournisse des conseils juridiques sur des questions qui ne sont pas liées à l’authentification, auquel cas cette disposition deviendrait applicable. Toutefois, il s’agit d’un élément qui, d’un point de vue conceptuel, diffère de l’authentification elle-même et qui ne peut être apprécié par la juridiction saisie qu’au regard des circonstances particulières d’une affaire donnée.

    46.

    Par conséquent, selon moi, l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble ne relève pas de la troisième partie de l’explication figurant au considérant 19 du règlement 2022/1904, tant que, dans le cadre d’une procédure d’authentification, ce notaire ne fournit aucun conseil juridique sur des questions qui ne sont pas liées à l’authentification.

    47.

    Il s’ensuit que, dès lors qu’aucune des activités décrites dans ce considérant ne correspond aux tâches accomplies par le notaire lors de l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble, cette authentification ne devrait pas être considérée comme la fourniture de services de conseil juridique au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.

    48.

    Je tiens à ajouter que, pour parvenir à cette dernière conclusion, il importe peu que la liste des activités du considérant 19 du règlement 2022/1904 soit exhaustive ou non. Comme je l’ai expliqué dans les présentes conclusions, ces activités doivent revêtir un caractère de conseil, ce qui n’est pas le cas de l’authentification d’un document selon l’analyse que je propose à la Cour.

    49.

    En outre, il importe peu également, pour cette même raison, de savoir si la procédure d’authentification peut être considérée comme un « service », au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 ( 18 ). Dès lors que cette disposition se réfère aux « services de conseil juridique » et non aux « services juridiques », l’interdiction qui y est énoncée n’est applicable qu’aux services impliquant la fourniture de conseils, ce qui, là encore, n’est pas le cas des tâches d’authentification accomplies par les notaires.

    50.

    Eu égard aux considérations qui précèdent, une interprétation textuelle de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, lu à la lumière du considérant 19 du règlement 2022/1904, m’amène à conclure que la procédure d’authentification effectuée par un notaire ne tombe pas sous le coup de l’interdiction prévue à cet article, à moins qu’un conseil juridique supplémentaire, au-delà de cette authentification, ne soit fourni par le notaire.

    b) Interprétation contextuelle

    51.

    L’interprétation textuelle d’une disposition de l’Union, qui repose sur le seul libellé de celle-ci, peut être réévaluée après avoir replacé cette disposition dans son contexte et après l’avoir interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union ( 19 ).

    52.

    Dans la présente affaire, la Cour doit se prononcer sur la question de savoir si l’interprétation textuelle de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, telle que proposée aux points précédents des présentes conclusions, demeure valable, dans une logique de cohérence systématique, lorsque cette disposition est examinée à la lumière d’autres articles pertinents de ce règlement et d’autres actes législatifs de l’Union imposant des mesures restrictives à des personnes morales établies en Russie. La Cour doit également examiner si l’interprétation textuelle proposée est celle qu’il convient de retenir à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

    53.

    Tout d’abord, en ce qui concerne la cohérence interne du règlement no 833/2014, j’observe que l’article 5 bis bis, paragraphe 1, de ce règlement prévoit, en substance, l’interdiction de participer directement ou indirectement à toute transaction avec une personne morale qui, outre le fait qu’elle soit établie en Russie, est détenue ou contrôlée par l’État russe ou présente des liens étroits avec cet État ou avec des entités figurant à l’annexe XIX dudit règlement.

    54.

    En revanche, ni l’article 5 bis bis, paragraphe 1, du règlement no 833/2014 ni aucune autre disposition de ce règlement, n’interdit de participer à une transaction avec une personne morale établie en Russie qui n’a pas de liens avec l’État russe ou qui n’opère pas dans les secteurs économiques spécifiquement couverts par ledit règlement. Aucune disposition de ce même règlement n’interdit expressément aux personnes morales établies en Russie d’aliéner leurs biens immeubles situés sur le territoire de l’Union.

    55.

    Comme la majorité des parties l’ont fait valoir lors de l’audience de plaidoiries, pour des raisons de cohérence, il est donc difficile d’interpréter l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 en ce sens qu’il interdit la procédure d’authentification menée par un notaire, dans le contexte d’un transfert de propriété par des personnes morales établies en Russie, alors qu’il n’établit aucune restriction quant à l’aliénation par ces personnes de leurs biens immeubles.

    56.

    À cet égard, il convient de rappeler que l’authentification notariale du contrat de vente constitue, notamment dans les États membres qui appliquent un système notarié de droit civil, une condition essentielle pour l’aliénation d’un bien immeuble ( 20 ).

    57.

    Tel est le cas, en particulier, de l’ordre juridique allemand, qui, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Commission/Allemagne ( 21 ), exige, en ce qui concerne l’acquisition et le transfert de la propriété d’un bien immeuble, l’authentification par un notaire de l’acte confirmatif du transfert de droits patrimoniaux en vue de l’inscription de ce transfert au registre foncier.

    58.

    En effet, l’authentification notariale est requise dans ces États membres pour porter une inscription au registre foncier afin de s’assurer de l’exactitude de cette inscription et de garantir ainsi la sécurité juridique des transactions immobilières et, de manière plus générale, de protéger la bonne administration de la justice ( 22 ). Dans le même temps, le registre foncier et son bon fonctionnement revêtent une importance décisive, car l’opposabilité des droits du nouvel acquéreur est subordonnée à la réalisation d’une inscription dans ce registre ( 23 ).

    59.

    D’un point de vue systématique, il s’ensuit que, dans la mesure où, d’une part, l’authentification faite par un notaire est, dans certains États membres, une exigence essentielle pour transférer la propriété d’un bien immeuble et, d’autre part, que ce transfert n’est pas expressément interdit par le règlement no 833/2014 pour les personnes morales établies en Russie qui ne sont pas contrôlées ou détenues par l’État russe ou qui ne présentent pas de liens étroits avec cet État, cette authentification ne devrait pas être considérée comme étant interdite en vertu de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, de ce règlement. Dans le cas contraire, cela conduirait à un résultat incohérent dans le cadre de l’application dudit règlement, dans la mesure où cela permettrait certains types de transactions tout en interdisant les seules modalités pour les mettre en œuvre ( 24 ).

    60.

    Une conclusion similaire peut être tirée, selon moi, d’un point de vue contextuel plus large, en particulier si l’on tient compte de l’autre instrument juridique de l’Union imposant des mesures restrictives aux personnes morales établies en Russie et pertinentes dans le contexte actuel, à savoir le règlement (UE) no 269/2014 ( 25 ). Ce règlement prévoit des mesures de gel des fonds eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

    61.

    Plus précisément, l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement dispose que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I du même règlement, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou morales, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

    62.

    Dans la présente affaire, ainsi que l’a relevé le gouvernement allemand, la personne morale concernée dans la procédure devant la juridiction de renvoi ne figure pas sur la liste de cette annexe, ce qui implique qu’elle n’a été soumise à aucune des mesures de gel de fonds prévues par le règlement no 269/2014. Si le Conseil avait entendu interdire à cette personne morale de disposer de ses fonds et de ses avoirs, il aurait pu recourir au même type de mesures mis en place à l’égard des personnes morales ou entités concernées par cette liste.

    63.

    Pour cette raison, si l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 est interprété en ce sens qu’il interdit l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble par un notaire, lorsque cette authentification constitue une condition essentielle de l’inscription au registre foncier d’un État membre, une telle interprétation priverait la personne morale concernée de toute possibilité de disposer de ses actifs et la placerait dans une situation analogue à celles énumérées à l’annexe I du règlement no 269/2014. À mon avis, cette interprétation ne semble pas correspondre à la volonté exprimée par le Conseil.

    64.

    Il s’ensuit que la seule interprétation qui permettrait d’éviter des incohérences entre ces deux règlements serait celle selon laquelle l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble concernant une personne morale établie en Russie n’est pas interdite par l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.

    65.

    Enfin, il importe de noter que, dans la mesure où une interprétation selon laquelle la procédure d’authentification correspond à un service de conseil juridique résulterait dans l’impossibilité pour les personnes morales établies en Russie de disposer de leurs biens immeubles, une telle interprétation donnerait lieu, par définition ( 26 ), à une restriction de leur droit fondamental à la propriété, consacré à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Cet article prévoit, à sa première phrase, que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer.

    66.

    Toutefois, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par celle-ci doit, avant tout, être prévue par la loi. Dans la présente affaire, ainsi que le fait valoir le gouvernement finlandais, il s’agit là d’une condition qui ne serait pas remplie, aucune disposition du règlement no 833/2014 n’interdisant expressément à toutes les personnes morales établies en Russie de disposer de leurs biens immeubles.

    67.

    Par conséquent, une interprétation conduisant à l’interdiction de l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble sur la base de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 et, partant, à la limitation du droit de propriété des personnes morales établies en Russie n’est également pas conforme à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci.

    68.

    Compte tenu des considérations qui précèdent, l’interprétation contextuelle du règlement no 833/2014 ne conduit pas à une conclusion différente de celle découlant de l’interprétation textuelle de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, de ce règlement, telle qu’exposée au point 47 des présentes conclusions. Elle permet en fait de considérer que la procédure d’authentification effectuée par un notaire, notamment à l’égard d’un contrat de vente d’un bien immeuble, ne relève pas de l’interdiction prévue dans cette disposition.

    69.

    J’ajoute brièvement que le fait que la Commission a indiqué que les activités notariales relèvent de la notion de « services de conseil juridique » dans ses orientations relatives à la mise en œuvre du règlement no 833/2014 ( 27 ) est sans incidence. La Commission reconnaît à juste titre dans ces orientations que seule la Cour est compétente pour interpréter les règlements applicables dans le domaine des mesures restrictives de l’Union, ce qui signifie que lesdites orientations ne peuvent, en aucune manière, déterminer le résultat de mon analyse relative à l’interprétation correcte de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.

    c) Interprétation téléologique

    70.

    Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si l’interprétation textuelle du règlement no 833/2014 que je propose correspond à la finalité de ce règlement, il importe de rappeler que le règlement 2022/1904, qui a modifié le règlement no 833/2014 afin, notamment, d’insérer l’article 5 quindecies, paragraphe 2, de celui-ci, a été adopté eu égard à la gravité de la situation en Ukraine, à la suite de l’adoption de la décision 2022/1909 ( 28 ). Cette décision décrit l’enchaînement des événements ayant conduit le Conseil à introduire de nouvelles mesures restrictives ( 29 ), donnant lieu au « huitième train de sanctions » ( 30 ). Comme l’indique le considérant 8 de la décision 2022/1909, ces nouvelles mesures ont essentiellement été introduites en réponse aux actions illégales de la Russie et en vue d’intensifier encore la pression sur ce pays afin qu’il mette un terme à sa guerre d’agression.

    71.

    Je relève néanmoins que, s’agissant de l’interdiction de fournir des services de conseil juridique, aucune explication concrète n’est donnée dans la décision 2022/1909, ni donc dans le règlement 2022/1904, pour justifier la limitation de la fourniture de ces services aux personnes morales établies en Russie. On ne saurait non plus trouver d’explication, par exemple, en ce qui concerne l’interdiction de fournir d’autres services couverts par l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, à savoir les services d’architecture et d’ingénierie ainsi que les services de conseil informatique, et par l’article 5 quindecies, paragraphe 1, de ce règlement ( 31 ), à savoir, notamment, les services de comptabilité, de contrôle des comptes, de tenue de livres ou de conseils fiscaux.

    72.

    Il est constant entre les parties que l’interdiction concernant ces services d’utilité s’inscrit dans l’objectif général d’affaiblir stratégiquement la base économique et industrielle russe, en particulier les infrastructures de l’industrie de défense, afin d’anéantir la capacité de la Fédération de Russie à continuer à financer et à faire la guerre. En revanche, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si cet objectif général impliquait également l’objectif d’exclure toutes les formes de transactions avec des personnes morales simplement établies en Russie ou, à titre alternatif, celui de rendre plus difficile pour ces personnes l’exercice d’activités économiques dans l’Union.

    73.

    Contrairement à la position adoptée par les gouvernements estonien et néerlandais, il me paraît évident, pour les raisons déjà indiquées dans les présentes conclusions dans le cadre de l’analyse contextuelle de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, qu’une interdiction absolue des transactions commerciales avec des personnes morales établies en Russie n’était pas la volonté sous-tendant l’adoption de la décision 2022/1909 et du règlement 2022/1904. Cette interdiction absolue n’a été envisagée qu’en ce qui concerne des secteurs économiques et personnes spécifiques présentant un lien étroit avec l’État russe. Le considérant 10 de la décision 2022/1909 est explicite à cet égard, dès lors qu’il ne fait référence à l’interdiction de toutes les transactions qu’à l’égard de « certaines » personnes morales, entités ou organismes détenus ou contrôlés par l’État russe ( 32 ).

    74.

    Ensuite, en partant du principe que l’interdiction de fournir des services d’utilité en vertu de l’article 5 quindecies, paragraphes 1 et 2, du règlement no 833/2014 a été introduite comme un moyen de nuire à l’économie russe, on peut en déduire, d’une part, que le Conseil a perçu cette économie comme étant fortement dépendante de l’importation de ces services par des entreprises et des sociétés européennes ( 33 ). Il est constant que les activités notariales ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’importation, ce qui implique que l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble situé sur le territoire de l’Union n’affecte pas cet objectif.

    75.

    D’autre part, il importe de souligner que l’une des principales préoccupations exprimées par le Conseil dans la décision 2022/1909, en particulier dans son considérant 5, était la nécessité d’empêcher davantage le contournement des sanctions adoptées à l’égard des entités russes ( 34 ). Lue à la lumière de ce considérant, l’interdiction de fournir des services de conseil juridique, qui est l’une des principales nouveautés sur le plan normatif introduites par la décision 2022/1909, devrait également être comprise comme un moyen d’empêcher les prestataires de services juridiques d’aider les entités russes en leur fournissant des conseils pour éviter les effets des sanctions de l’Union. Or, s’agissant de l’authentification notariale d’un contrat de vente, il est clair selon moi que, dans la mesure où les transactions commerciales avec des personnes morales simplement établies en Russie ne sont pas interdites par le règlement no 833/2014, cette interdiction ne porte pas atteinte aux effets des mesures restrictives adoptées par le Conseil dans le contexte actuel, ni ne contribue à les contourner.

    76.

    Enfin, à supposer que le Conseil ait adopté l’interdiction de fournir des services de conseil juridique afin d’avoir un impact sur l’économie russe, c’est parce que, en l’absence de ces services, il serait plus difficile pour les personnes morales russes opérant sur le territoire de l’Union de poursuivre leurs activités commerciales sur ce territoire. À cet égard, la décision d’une personne morale établie en Russie de vendre un bien immeuble dans l’Union, en ayant recours à un notaire aux fins de l’authentification du contrat de vente, est en fait le meilleur signe que cette personne morale met fin à ses activités sur le territoire de l’Union et renonce aux avantages économiques que ces activités sont susceptibles de lui procurer. Dans cette perspective, l’intervention du notaire dans cette transaction n’est pas contraire à l’objectif du Conseil visant à affaiblir la base économique russe.

    77.

    Par conséquent, l’interprétation selon laquelle l’authentification d’un contrat de vente effectuée par un notaire ne constitue pas un « service de conseil juridique », au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, n’est pas contraire à la finalité de la décision 2022/1909, telle que mise en œuvre par la suite par le règlement 2022/1904. Cette interprétation corrobore même plutôt la compréhension textuelle de cet article que je propose à la Cour.

    78.

    Il résulte des considérations qui précèdent qu’aucun des principes d’interprétation du droit de l’Union examinés aux points précédents ne permet de conclure que l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble constitue un service de conseil juridique au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.

    79.

    Dès lors, selon moi, cette authentification ne devrait pas être considérée comme interdite par cette disposition.

    2. L’exemption prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014

    80.

    Eu égard à ma conclusion précédente, ce n’est que par souci d’exhaustivité que je présente brièvement mon point de vue sur la question de savoir si l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble peut, en tout état de cause, être exemptée sur le fondement de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014.

    81.

    Conformément à cette disposition, l’interdiction de fournir des services de conseil juridique à des personnes morales établies en Russie, telle que prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, ne s’applique pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage, à condition que la prestation de tels services soit compatible avec les objectifs de ce règlement et du règlement no 269/2014 ( 35 ).

    82.

    L’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014 subordonne donc l’application de l’exemption qu’il contient à trois conditions : premièrement, l’accès en question doit concerner des procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage, deuxièmement, les services de conseil juridique examinés doivent être strictement nécessaires pour garantir cet accès et, troisièmement, ces services ne doivent pas porter atteinte aux objectifs poursuivis par les règlements no 833/2014 et no 269/2014.

    83.

    En ce qui concerne la première de ces trois conditions, j’ai déjà relevé que, selon la Cour, le registre foncier revêt une importance décisive pour le transfert de biens immeubles, notamment dans les États membres qui appliquent un système notarié de droit civil ( 36 ). En substance, seule une inscription au registre foncier est de nature à établir les droits du nouveau propriétaire et à les rendre exécutoires.

    84.

    En outre, lorsque la tenue du registre foncier dans un État membre est confiée aux juridictions locales et est régie par des règles relatives à la procédure judiciaire, cette inscription doit être considérée comme relevant de la notion de « procédures judiciaires » au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014. Même si, indépendamment de la compétence de ces juridictions, les procédures relatives au registre foncier ne devaient pas être considérées comme étant de nature judiciaire, elles seraient, en tout état de cause, qualifiées d’« administratives ». Tel serait également le cas dans les systèmes juridiques où le registre foncier fait partie de l’administration publique de l’État membre lui-même ( 37 ).

    85.

    Dans les circonstances d’une affaire analogue à celle de l’affaire au principal, la première condition serait donc remplie, dès lors que l’ensemble de ces éléments semblent être réunis sur la base de l’ordonnance de renvoi.

    86.

    En ce qui concerne la deuxième condition prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014, qui porte sur le caractère strictement nécessaire des services en question pour garantir l’accès aux procédures judiciaires ou administratives, la caractéristique essentielle de cette condition est fondée sur le fait que ces services sont indispensables aux fins de cette procédure. Dans le cas de la procédure d’authentification effectuée par un notaire, ladite condition doit être considérée comme remplie si, d’une part, cette authentification ne peut être effectuée que par ce professionnel et, d’autre part, elle constitue une condition impérative pour effectuer une inscription au registre foncier ( 38 ).

    87.

    Là encore, cela serait applicable, par exemple, dans une affaire semblable à celle au principal, dans laquelle, selon les explications fournies par la juridiction de renvoi dans l’ordonnance de renvoi, tant l’établissement de documents officiels relatifs à des opérations de droit privé que l’authentification d’actes sous seing privé relèvent de la compétence exclusive des notaires ( 39 ). Dans le même temps, le registre foncier n’est accessible que si un acte sous seing privé est authentifié ( 40 ), ce qui implique que le critère de la stricte nécessité est pleinement satisfait.

    88.

    Enfin, s’agissant de la troisième condition prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014, je relève brièvement, conformément à l’analyse téléologique effectuée aux points précédents des présentes conclusions, que l’exemption de la procédure d’authentification d’un contrat de vente relative à une personne morale établie en Russie ne porte pas atteinte aux objectifs poursuivis par ce règlement ou par le règlement no 269/2014, à supposer, bien entendu, que la personne morale engagée dans la transaction ne soit pas mentionnée dans ce dernier règlement ou présente l’un quelconque des liens énoncés à l’article 5 bis bis, paragraphe 1, du règlement no 833/2014.

    89.

    Il s’ensuit que l’authentification d’un contrat de vente par un notaire dans le cadre d’une transaction impliquant une personne morale établie en Russie remplit les trois conditions auxquelles est subordonnée l’application de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014. Par conséquent, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que cette authentification relève de l’interdiction prévue au paragraphe 2 de cet article, ladite authentification devrait en tout état de cause tomber sous le coup de l’exemption en vertu du paragraphe 6 dudit article.

    B.   Sur la troisième question préjudicielle

    90.

    Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014 interdit aux notaires d’exécuter un contrat de vente d’un bien immeuble détenu par une personne morale établie en Russie après l’avoir authentifié. En particulier, la juridiction de renvoi pose cette question en ce qui concerne trois tâches pour lesquelles les parties pourraient solliciter le notaire, à savoir la conservation des fonds de la vente sur un compte séquestre et leur reversement au vendeur, la radiation des sûretés grevant le bien, ainsi que la transcription au registre foncier du transfert de propriété au profit des nouveaux propriétaires.

    91.

    Ainsi qu’il ressort des points 30 et 39 des présentes conclusions, le considérant 19 du règlement 2022/1904 énonce que la notion de « services de conseil juridique » couvre l’exécution de documents juridiques. Toutefois, cette tâche ne peut pas relever du champ d’application de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, à moins qu’elle ne comporte un élément de conseil, ce qui deviendrait ainsi le standard au regard duquel la présente question de la juridiction de renvoi doit être analysée.

    92.

    Je tiens également à rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, il est loisible aux États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, d’établir des règles relatives à l’exécution forcée des documents juridiques et d’assigner un rôle aux notaires dans le cadre de cette procédure ( 41 ). Par conséquent, la législation nationale peut confier aux notaires la responsabilité de s’acquitter de certaines tâches d’exécution forcée pour l’exécution d’un contrat après son authentification.

    93.

    Par ailleurs, il importe de relever que le fait que les tâches d’exécution couvertes par la présente question préjudicielle puissent être effectuées, par exemple, par les parties elles-mêmes ou même par des tiers n’est pas pertinent pour déterminer si ces tâches sont interdites en vertu de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014. En effet, si le critère de stricte nécessité est un élément essentiel de l’application de l’exemption prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 6, de ce règlement, ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, dudit règlement, pour laquelle l’analyse doit se concentrer sur le point de savoir si une tâche spécifique constitue ou non un conseil juridique.

    94.

    En ce qui concerne la présente affaire, même si les informations fournies par la juridiction de renvoi ne sont pas particulièrement exhaustives, il me semble difficile d’identifier, d’un point de vue strict, un élément de conseil juridique dans les tâches concrètes mentionnées par cette juridiction pour l’exécution du contrat de vente d’un bien immeuble. Ces tâches constituent en effet les étapes qui suivent automatiquement l’authentification de ce contrat.

    95.

    En particulier, s’agissant de la conservation des fonds de la vente sur un compte séquestre et de leur reversement au vendeur, cette tâche ne saurait être considérée comme un service de conseil juridique, dès lors que le rôle du notaire se limite à protéger les fonds de la vente détenus pour le compte de l’acheteur et à les reverser au vendeur. La Cour a indiqué en substance, à cet égard, que le dépôt notarié des fonds se limite à la vérification du respect des conditions légalement requises ( 42 ).

    96.

    Ce raisonnement est également applicable à la transcription du transfert de propriété au profit des nouveaux propriétaires au registre foncier, qui exige uniquement la présentation de l’acte authentifié dans ce registre ou, tout au plus, comme dans le système allemand, l’introduction d’une demande en tant qu’exigence purement formelle ( 43 ).

    97.

    Enfin, en ce qui concerne la radiation des sûretés grevant le bien immeuble, cette tâche ne semble pas non plus relever de la catégorie des services de conseil juridique. Une telle radiation n’implique, en principe, qu’une demande à l’égard du registre foncier, laquelle doit comporter la déclaration de consentement du bénéficiaire de cette sûreté devant un notaire ( 44 ).

    98.

    Il s’ensuit que les tâches accomplies par le notaire en vue de l’exécution d’un contrat de vente d’un bien immeuble détenu par une personne morale établie en Russie, après l’authentification de ce contrat, ne relèvent pas de l’interdiction énoncée à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.

    99.

    Néanmoins, compte tenu de l’absence d’informations précises relatives à ces tâches et aux modalités de leur exercice dans le système allemand, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en tenant compte des particularités de l’affaire au principal, si celles-ci peuvent être exécutées sans fournir un quelconque conseil juridique aux parties.

    100.

    En ce qui concerne l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014, il suffit de relever que, dès lors que lesdites tâches peuvent être assumées non seulement par les notaires, mais également par d’autres personnes, dont les parties concernées par le contrat de vente, le critère de nécessité, comme je l’ai mentionné dans les présentes conclusions, ne serait pas rempli. Dans ces conditions, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que les tâches effectuées par un notaire pour l’exécution d’un contrat de vente d’un bien immeuble relèvent de l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, je ne pense pas que ces tâches puissent être exemptées en vertu de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, de ce règlement.

    C.   Sur la deuxième question préjudicielle

    101.

    Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 s’applique aux services fournis par un interprète assistant le représentant d’une personne morale établie en Russie lors d’une procédure d’authentification.

    102.

    Je relève que l’intervention d’un interprète dans le cadre de l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble sert deux objectifs principaux.

    103.

    D’une part, l’interprète fournit une assistance en interprétant des conversations entre une personne et un notaire et en transmettant dans la langue demandée les informations essentielles des documents à authentifier. Cette tâche assure le respect du droit d’être informé au cours de la procédure d’authentification, notamment pour la personne qui a besoin de l’assistance d’un interprète.

    104.

    D’autre part, un interprète garantit l’efficacité des communications orales entre le notaire et les parties. Comme je l’ai indiqué ( 45 ), l’acte authentique constitue une preuve complète des faits et des déclarations authentifiées par le notaire. Ces faits sont fondés sur sa connaissance personnelle acquise lors des échanges oraux avec les parties. Le notaire doit être certain des intentions des parties et, dans certains cas, transcrire leurs déclarations de manière claire et non équivoque. Ces tâches relèvent du contrôle de légalité effectué par un notaire, car elles visent à vérifier si le contrat a une finalité illicite ou malhonnête, auquel cas le notaire doit refuser l’authentification.

    105.

    Il est clair que cette interprétation permet la vérification des conditions légales de l’authentification du contrat, de sorte que l’absence d’interprétation entraverait cette authentification elle-même. Partant, bien qu’elle constitue un service accessoire de simple assistance dans la procédure d’authentification, ladite interprétation est essentielle pour mener à bien cette procédure.

    106.

    Toutefois, je suis persuadée que l’assistance d’un interprète ne relève pas du champ d’application de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014. En fait, malgré son lien avec l’authentification elle-même, j’éprouve de sérieux doutes quant à la qualification en tant que « conseil juridique » de l’activité d’interprétation, étant donné que la profession d’interprète n’est, par définition, pas de nature juridique, même lorsqu’il s’agit de fournir une assistance dans le cadre de la préparation de documents juridiques. Le rôle d’un interprète est de transmettre oralement et avec précision les propos d’une personne dans la langue d’une autre, ce qui implique un service de communication, quel que soit le contenu transmis.

    107.

    Pour résumer, je considère que l’activité d’interprétation dans le contexte d’une procédure d’authentification ne saurait être considérée comme un « service de conseil juridique » au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 et, partant, qu’elle ne relève pas du champ d’application de cette disposition.

    V. Conclusion

    108.

    Compte tenu de l’analyse qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) :

    1)

    L’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine

    doit être interprété en ce sens que :

    l’authentification, par un notaire, d’un contrat de vente d’un bien immeuble appartenant à une personne morale établie en Russie ne relève pas de l’interdiction prévue par cette disposition, pour autant que la participation à des transactions est autorisée pour cette personne en vertu de ce règlement et que cette authentification n’est pas assortie de conseils juridiques, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

    2)

    L’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014

    doit être interprété en ce sens que :

    les services fournis par un interprète lors de l’authentification par un notaire d’un contrat de vente d’un bien immeuble détenu par une personne morale établie en Russie ne relèvent pas de l’interdiction prévue par cette disposition.

    3)

    L’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014

    doit être interprété en ce sens que :

    l’exécution par le notaire d’un contrat authentifié de vente d’un bien immeuble détenu par une personne morale établie en Russie, consistant, notamment, à conserver les fonds de la vente sur un compte séquestre et à les reverser au vendeur, à radier les sûretés grevant le bien immeuble et à transcrire au registre foncier le transfert de propriété en faveur des nouveaux propriétaires, ne relève pas du champ d’application de l’interdiction prévue par cette disposition, pour autant que la participation à des transactions est autorisée pour cette personne en vertu de ce règlement et que ces tâches n’impliquent aucun conseil juridique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.


    ( 1 ) Langue originale : l’anglais.

    ( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.

    ( 2 ) Règlement du Conseil du 31 juillet 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1).

    ( 3 ) Règlement du Conseil du 6 octobre 2022 (JO 2022, L 259 I, p. 3).

    ( 4 ) Ci-après les « orientations relatives à la mise en œuvre du règlement no 833/2014 », disponible à l’adresse suivante : https://finance.ec.europa.eu/publications/provision-services_en, p. 14 et 15.

    ( 5 ) Arrêt du 29 février 2024, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Conversion religieuse ultérieure) (C‑222/22, EU:C:2024:192, point 25 et jurisprudence citée).

    ( 6 ) Arrêt du 22 février 2024, Landkreis Jerichower Land (C‑85/23, EU:C:2024:161, point 30 et jurisprudence citée).

    ( 7 ) Voir, en ce qui concerne l’ordre juridique allemand, arrêt du 24 mai 2011, Commission/Allemagne (C‑54/08, EU:C:2011:339, points 18 et 90). Voir, également, arrêts du 24 mai 2011, Commission/Belgique (C‑47/08, EU:C:2011:334, points 14 et 89) ; du 24 mai 2011, Commission/France (C‑50/08, EU:C:2011:335, points 10 et 79) ; du 24 mai 2011, Commission/Luxembourg (C‑51/08, EU:C:2011:336, points 13 et 89) ; du 24 mai 2011, Commission/Autriche (C‑53/08, EU:C:2011:338, points 17 et 88) ; du 24 mai 2011, Commission/Grèce (C‑61/08, EU:C:2011:340, points 15 et 81) ; du 1er décembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑157/09, non publié, EU:C:2011:794, points 9 et 62), ainsi que du 10 septembre 2015, Commission/Lettonie (C‑151/14, EU:C:2015:577, point 57).

    ( 8 ) Voir, notamment, arrêt du 24 mai 2011, Commission/Allemagne (C‑54/08, EU:C:2011:339, points 90 et 91).

    ( 9 ) Voir, à titre illustratif, Conseil des notariats de l’Union européenne, Actes authentiques en Europe, disponible à l’adresse suivante : https://www.authentic-acts.eu/fr/.

    ( 10 ) Arrêt du 24 mai 2011, Commission/Allemagne (C‑54/08, EU:C:2011:339, point 91).

    ( 11 ) Voir note en bas de page 7 des présentes conclusions.

    ( 12 ) Arrêt du 24 mai 2011, Commission/Allemagne (C‑54/08, EU:C:2011:339, point 91).

    ( 13 ) Voir, par exemple, définition de la notion d’« advice » (« conseil ») dans le dictionnaire Cambridge Advances Learner’s Dictionary, disponible à l’adresse suivante : https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/advice.

    ( 14 ) Arrêt du 1er février 2017, Commission/Hongrie (C‑392/15, EU:C:2017:73, point 126).

    ( 15 ) Arrêt du 24 mai 2011, Commission/Allemagne (C‑54/08, EU:C:2011:339, point 99).

    ( 16 ) Voir points 90 à 100 des présentes conclusions.

    ( 17 ) Arrêt du 24 mai 2011, Commission/Allemagne (C‑54/08, EU:C:2011:339, point 90).

    ( 18 ) Voir également considérant 19 du règlement 2022/1904, qui fait référence aux activités effectuées à l’égard de « clients ».

    ( 19 ) Arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 20).

    ( 20 ) Voir, à cet égard, arrêt du 9 mars 2017, Piringer (C‑342/15, EU:C:2017:196, point 58).

    ( 21 ) Arrêt du 24 mai 2011 (C‑54/08, EU:C:2011:339, point 25).

    ( 22 ) Voir, à cet égard, arrêt du 9 mars 2017, Piringer (C‑342/15, EU:C:2017:196, point 59).

    ( 23 ) Arrêt du 9 mars 2017, Piringer (C‑342/15, EU:C:2017:196, point 58).

    ( 24 ) J’indique brièvement que la considération précédente ne s’applique qu’aux États membres dans lesquels il existe une intervention notariée pour le transfert du droit de propriété sur un bien immeuble. S’agissant des États membres dans lesquels cela n’est pas le cas, il suffit de relever que, cette situation ne faisant pas l’objet de la présente affaire, une telle analyse ne devrait être effectuée, le cas échéant, que dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle spécifique portant sur ces systèmes particuliers.

    ( 25 ) Règlement du Conseil du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

    ( 26 ) Voir, à cet égard, arrêt du 30 juillet 1996, Bosphorus (C‑84/95, EU:C:1996:312, point 22).

    ( 27 ) Voir note en bas de page 4 des présentes conclusions.

    ( 28 ) Note sans pertinence dans la version en langue française des présentes conclusions.

    ( 29 ) Considérants 1 à 9 de la décision 2022/1909.

    ( 30 ) Voir communiqué de presse du 6 octobre 2022, « Ukraine : l’UE convient d’un huitième train de sanctions contre la Russie », disponible à l’adresse suivante : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_5989.

    ( 31 ) Cet article a été inséré initialement dans le règlement no 833/2014 par le règlement (UE) 2022/879 du Conseil, du 3 juin 2022 (JO 2022, L 153, p. 53), à la suite du « sixième train de sanctions ».

    ( 32 ) Voir également considérant 16 du règlement 2022/1904.

    ( 33 ) Voir considérant 12 de la décision 2022/1909, qui indique qu’il convient d’étendre l’interdiction actuelle de fournir certains services « à la Fédération de Russie ». Voir également, à cet égard, Conseil de l’Union européenne, « Quels services fournis à la Russie par l’UE sont interdits ? », dans Le point sur les sanctions de l’UE contre la Russie, disponible à l’adresse suivante : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/sanctions-against-russia-explained/#services.

    ( 34 ) Voir article 12 du règlement no 833/2014. Voir également Commission européenne, « Questions et réponses : Huitième train de mesures restrictives à l’encontre de la Russie », disponible à l’adresse suivante : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_22_5990.

    ( 35 ) Voir également considérant 19 du règlement 2022/1904.

    ( 36 ) Voir point 58 des présentes conclusions.

    ( 37 ) Voir Association européenne des registres fonciers, Agence responsable, disponible à l’adresse suivante : https://www.elra.eu/facts-sheets/description-of-land-registration-systems/responsible-agency.

    ( 38 ) Voir points 56 à 58 des présentes conclusions.

    ( 39 ) Voir également Malavet, P. A., « Counsel for the situation: The Latin Notary: a historical and comparative model », Hastings International and Comparative Law Review, vol. 19, no 3, 1996, p. 455.

    ( 40 ) Voir également Wilsch, H., « The German “Grundbuchordnung”: History, principles and future about land registry in Germany », Fachbeitrag, vol. 137, no 4, 2012, p. 228.

    ( 41 ) Voir, à cet égard, arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637, point 49 et jurisprudence citée).

    ( 42 ) Arrêt du 1er février 2017, Commission/Hongrie (C‑392/15, EU:C:2017:73, point 118).

    ( 43 ) En ce qui concerne le système allemand, voir Wilsch, H., op. cit., p. 227, ainsi que Christian, H., et Hartmut, W., « Real property law and procedure in the European Union – National report: Germany », European University Institute, 2005, p. 11 et 14.

    ( 44 ) Voir, par exemple, ministère fédéral de l’Intérieur et du Territoire, « Encumbrances and restrictions in the land register deletion », disponible à l’adresse suivante : https://verwaltung.bund.de/leistungsverzeichnis/EN/leistung/99043017064000/herausgeber/BB-109438956/region/12.

    ( 45 ) Voir points 32 et 43 des présentes conclusions.

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