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Document 62022CC0184

    Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 16 novembre 2023.


    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:879

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. ATHANASIOS RANTOS

    présentées le 16 novembre 2023 ( 1 )

    Affaires jointes C‑184/22 et C‑185/22

    IK (C‑184/22),

    CM (C‑185/22)

    contre

    KfH Kuratorium für Dialyse und Nierentransplantation e.V.

    [demande de décision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne)]

    « Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Article 157 TFUE – Directive 2006/54/CE – Égalité des chances et égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – Article 2, paragraphe 1, sous b), et article 4, premier alinéa – Interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe – Discrimination indirecte – Convention collective prévoyant une majoration de salaire pour les heures supplémentaires effectuées au-delà des heures de travail du mois civil d’un employé à temps plein – Différence de traitement entre les travailleurs à temps plein et les travailleurs à temps partiel – Disposition désavantageant particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe – Discrimination indirecte établie sur la base de données statistiques – Modalités de prise en compte des données »

    I. Introduction

    1.

    Les présentes demandes de décision préjudicielle, introduites par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), portent notamment sur l’interprétation de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 2, paragraphe 1, sous b), et de l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54/CE ( 2 ).

    2.

    Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant IK (affaire C‑184/22) et CM (affaire C‑185/22) ( 3 ), deux aides-soignantes employées à temps partiel (ci-après les « requérantes »), à leur employeur, KfH Kuratorium für Dialyse und Nierentransplantation e.V. (ci-après le « défendeur »), au sujet de leur droit à des majorations de salaire pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du temps de travail convenu dans leurs contrats de travail.

    3.

    Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur l’analyse des deuxièmes questions préjudicielles, sous a), dans ces deux affaires, rédigées en des termes identiques. Celles-ci portent sur l’appréciation de l’existence d’une discrimination indirecte, au sens de la directive 2006/54, et, plus particulièrement, sur les modalités de prise en compte des données statistiques afin de déterminer si une disposition désavantage particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe.

    4.

    Les présentes affaires offrent à la Cour l’opportunité de préciser davantage la méthodologie appropriée, à savoir s’il convient d’examiner uniquement les données statistiques concernant le groupe des personnes désavantagées par la mesure nationale en cause ou s’il y a lieu de se référer également aux données relatives au groupe de personnes qui n’est pas soumis à cette mesure.

    II. Le cadre juridique

    A.   Le droit de l’Union

    5.

    Aux termes du considérant 30 de la directive 2006/54 :

    « L’adoption de règles relatives à la charge de la preuve joue un rôle important en ce qui concerne la possibilité de mettre effectivement en œuvre le principe de l’égalité de traitement. Comme la Cour de justice l’a affirmé, il convient donc de prendre des dispositions de telle sorte que la charge de la preuve revienne à la partie défenderesse dès qu’il existe une apparence de discrimination, sauf pour les procédures dans lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction ou à l’instance nationale compétente. Il y a toutefois lieu de préciser que l’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte demeure de la compétence de l’instance nationale concernée, conformément au droit national et/ou aux pratiques nationales. En outre, il revient aux États membres de prévoir, quel que soit le stade de la procédure, un régime probatoire plus favorable à la partie demanderesse. »

    6.

    L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », énonce :

    « La présente directive vise à garantir la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

    À cette fin, elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne :

    [...]

    b) les conditions de travail, y compris les rémunérations ;

    [...]

    Elle comprend également des dispositions visant à faire en sorte que la mise en œuvre de ce principe soit rendue plus effective par l’établissement de procédures appropriées. »

    7.

    L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », prévoit, à son paragraphe 1, sous a et b) :

    « Aux fins de la présente directive, on entend par :

    a)

    “discrimination directe” : la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ;

    b)

    “discrimination indirecte” : la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires. »

    8.

    L’article 4 de la même directive, intitulé « Interdiction de toute discrimination », dispose :

    « Pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, la discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est éliminée dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération.

    En particulier, lorsqu’un système de classification professionnelle est utilisé pour la détermination des rémunérations, ce système est fondé sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins et est établi de manière à exclure les discriminations fondées sur le sexe. »

    9.

    L’article 14 de la directive 2006/54, intitulé « Interdiction de toute discrimination », est libellé comme suit, à son paragraphe 1, sous c) :

    « Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

    [...]

    c)

    les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement ainsi que la rémunération, comme le prévoit l’article 141 [CE]. »

    B.   Le droit allemand

    1. La loi sur le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée

    10.

    L’article 4 du Gesetz über Teilzeitarbeit und befristete Arbeitsverträge (Teilzeit- und Befristungsgesetz) (loi sur le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée), du 21 décembre 2000 ( 4 ), dans sa version applicable aux litiges au principal, intitulé « Interdiction de discrimination », énonce, à son paragraphe 1 :

    « Un travailleur à temps partiel ne doit pas être traité du fait du travail à temps partiel d’une manière moins favorable qu’un travailleur à temps plein comparable, à moins qu’il existe des raisons objectives justifiant une différence de traitement. Le travailleur à temps partiel doit obtenir une rémunération ou une autre prestation à titre onéreux divisible dont l’étendue doit au moins correspondre à la quote-part de sa durée du travail par rapport à celle d’un travailleur à temps plein comparable. »

    2. L’AGG

    11.

    L’article 1er de l’Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz (loi générale sur l’égalité de traitement), du 14 août 2006 ( 5 ), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après l’« AGG »), intitulé « Objectif de la loi », prévoit :

    « La présente loi a pour objectif d’empêcher ou d’éliminer tout désavantage fondé sur la race ou l’origine ethnique, le sexe, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’identité sexuelle. »

    12.

    L’article 7 de cette loi, intitulé « Interdiction de discrimination », dispose, à son paragraphe 1 :

    « Les travailleurs salariés ne doivent subir aucune discrimination pour l’un des motifs visés à l’article 1er ; cette interdiction s’applique également lorsque l’auteur de la discrimination ne fait que supposer l’existence de l’un des motifs visés à l’article 1er dans le cadre du fait discriminatoire. »

    13.

    L’article 15 de ladite loi, intitulé « Dédommagement et réparation », est libellé comme suit, à ses paragraphes 1 et 2 :

    « 1.   En cas de violation de l’interdiction des discriminations, l’employeur est tenu de réparer le dommage qui en résulte. Cette règle ne s’applique pas si l’employeur n’est pas responsable de la violation de cette obligation.

    2.   Pour un dommage autre qu’un dommage patrimonial, le travailleur peut exiger une indemnisation pécuniaire appropriée [...] »

    3. La loi sur la promotion de la transparence salariale entre les femmes et les hommes

    14.

    L’article 3 du Gesetz zur Förderung der Entgelttransparenz zwischen Frauen und Männern (Entgelttransparenzgesetz) (loi sur la promotion de la transparence salariale entre les femmes et les hommes), du 30 juin 2017 ( 6 ), intitulé « Interdiction de la discrimination salariale directe et indirecte fondée sur le sexe », énonce, à son paragraphe 1 :

    « À travail égal ou de valeur égale, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe au regard de l’ensemble des éléments de rémunération ou des conditions de rémunération est interdite. »

    15.

    L’article 7 de cette loi, intitulé « Obligation d’égalité des rémunérations », prévoit :

    « Dans le cadre d’une relation de travail, à travail égal ou de valeur égale, une rémunération plus faible que celle d’un travailleur ou d’une travailleuse du sexe opposé ne peut pas être convenue ou versée en raison du sexe du travailleur ou de la travailleuse. »

    4. Le MTV

    16.

    Le Manteltarifvertrag (convention collective générale, ci-après le « MTV »), conclu entre le syndicat ver.di et le défendeur le 8 mars 2017, est libellé comme suit, à son article 10, intitulé « Temps de travail » :

    « 1.   La durée hebdomadaire normale de travail d’un salarié à temps plein, hors pauses, est en moyenne de 38,5 heures.

    [...]

    La durée journalière normale de travail d’un salarié à temps plein est de 7 heures 42 minutes.

    [...]

    6.   Si la charge de travail nécessite des heures supplémentaires, celles-ci doivent en principe être imposées. [...] Les heures supplémentaires doivent être limitées aux cas urgents et être réparties aussi équitablement que possible entre tous les salariés.

    7.   Les heures supplémentaires sont des heures travaillées imposées, qui vont au-delà de la durée normale de travail au titre de la section 1, clauses 1 et 3, selon le tableau de service ou d’usage dans l’entreprise. Sont soumises à une majoration de salaire conformément à l’article 13, paragraphe 1, les heures supplémentaires effectuées au-delà des heures de travail du mois civil d’un employé à temps plein et qui ne peuvent pas être compensées par l’octroi d’un congé au cours du mois civil de travail en cause [...] »

    17.

    L’article 13 du MTV, intitulé « Rémunération des heures supplémentaires, majorations de salaire et indemnités pour service à des horaires inconvénients », énonce, à son paragraphe 1 :

    « La compensation pour les heures supplémentaires conformément à l’article 10, point 7, du MTV s’élève à 1/167e du salaire tarifaire mensuel par heure supplémentaire. Les majorations de salaire pour heures supplémentaires conformément à l’article 10, point 7, clause 2, sont de 30 %. »

    III. Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

    18.

    Le défendeur est un fournisseur de soins ambulatoires de dialyse, opérant sur l’ensemble du territoire allemand dans différents sites, qui emploie des médecins et du personnel non médical. Le MTV s’applique dans tous ces sites, notamment aux contrats de travail des requérantes, employées en tant qu’aides-soignantes à temps partiel avec un temps de travail pour IK (affaire C‑184/22) représentant 40 % du temps de travail hebdomadaire normal d’un employé à temps plein et pour CM (affaire C‑185/22) de 80 % d’un tel temps de travail.

    19.

    Selon les informations fournies par le défendeur, sur le nombre total de ses employés, qui s’élève à plus de 5000 personnes, 76,96 % sont des femmes et 52,78 % de tous les employés le sont à temps partiel. S’agissant de ces personnes travaillant à temps partiel, 84,74 % sont des femmes et 15,26 % sont des hommes tandis que, parmi les travailleurs à temps plein, 68,20 % sont des femmes et 31,80 % sont des hommes.

    20.

    Le défendeur tient des comptes épargne-temps, notamment pour les requérantes. Ces derniers affichaient, à la fin du mois de mars 2018, un crédit de 129 heures et 24 minutes pour IK et, à la fin du mois de février 2018, un crédit de 49 heures pour CM, correspondant aux heures travaillées au-delà du temps de travail mentionné dans le contrat de travail des requérantes. Le défendeur n’a pas versé à celles-ci de majoration de salaire pour heures supplémentaires au titre de l’article 10, point 7, deuxième phrase, du MTV (ci-après la « disposition nationale en cause ») et n’a pas inscrit un crédit correspondant aux majorations de salaire dans leurs comptes épargne-temps.

    21.

    Les requérantes ont introduit un recours en justice en vue d’obtenir, notamment, un crédit-temps correspondant à une majoration de salaire pour heures supplémentaires ainsi que le versement d’une réparation au titre de l’article 15, paragraphe 2, de l’AGG. À cet égard, elles ont fait valoir que, en ne leur accordant pas une majoration de salaire pour heures supplémentaires et en n’inscrivant pas de crédit-temps correspondant à cette majoration dans leurs comptes épargne-temps, le défendeur les aurait illégalement discriminées en tant qu’employées à temps partiel par rapport aux employés à temps plein. En outre, elles auraient été indirectement discriminées en raison de leur sexe dès lors que le défendeur emploie à temps partiel majoritairement des femmes. Le défendeur, quant à lui, a fait valoir que la disposition nationale en cause n’entraîne ni une discrimination illégale du fait de la qualité d’employé à temps partiel ni une telle discrimination en raison du sexe.

    22.

    Le Landesarbeitsgericht (tribunal supérieur du travail, Allemagne) a considéré que les requérantes ont été discriminées en raison de leur emploi à temps partiel et a condamné le défendeur à inscrire dans leurs comptes épargne-temps un crédit correspondant aux majorations de salaire pour heures supplémentaires. En revanche, ce tribunal a rejeté le recours des requérantes en ce qu’il tendait à obtenir le versement d’une réparation au titre de l’article 15, paragraphe 2, de l’AGG. Ces dernières ont introduit un recours en Revision devant le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), la juridiction de renvoi, en vue d’obtenir le versement d’une réparation. Le défendeur a introduit un recours en Revision incident contre sa condamnation à imputer les majorations de salaire sur les comptes épargne-temps des requérantes.

    23.

    La juridiction de renvoi souligne que la question de la discrimination fondée sur le sexe et celle en raison de l’emploi à temps partiel sont décisives pour la solution des litiges au principal. S’agissant des deuxièmes questions préjudicielles, sous a), dans les présentes affaires, cette juridiction indique qu’elle part du principe selon lequel, dans le cadre de l’application de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 2, paragraphe 1, sous b), et de l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54, la réponse à la question de savoir si une inégalité de traitement touche considérablement plus de femmes que d’hommes dépend du cercle des personnes auxquelles la réglementation en cause s’applique ( 7 ) et qu’il importe à cet égard de prendre en considération l’ensemble des travailleurs soumis à la réglementation nationale dans laquelle la différence de traitement trouve sa source ( 8 ). En ce qui concerne ces travailleurs, il conviendrait de comparer tant parmi les travailleurs masculins que parmi les travailleurs féminins, donc dans chaque groupe, les proportions respectives de travailleurs qui sont affectés par la règle en cause et ceux qui ne le sont pas ( 9 ).

    24.

    Selon la juridiction de renvoi, le MTV s’applique à l’ensemble des sites du défendeur et, conformément à son article 1er, à tous les travailleurs et travailleuses employés par celui-ci. L’article 2, point 1, du MTV n’exclurait de son champ d’application que les « travailleurs dont le salaire dépasse le dernier échelon du groupe tarifaire le plus élevé, [...] le personnel d’encadrement et les médecins ». L’article 2, point 2, du MTV stipulerait en outre que les personnes en formation sont soumises à d’autres conventions collectives si de telles conventions existent. Dans l’hypothèse où, selon la réponse de la Cour aux deuxièmes questions préjudicielles, sous a), la solution des litiges au principal nécessiterait de constater si, et le cas échéant comment, les exceptions au champ d’application du MTV produisent des effets sur les proportions d’hommes et de femmes parmi les travailleurs employés à temps plein et à temps partiel par le défendeur, il appartiendrait au Landesarbeitsgericht (tribunal supérieur du travail) de procéder aux constatations matérielles nécessaires.

    25.

    La juridiction de renvoi considère que, en l’occurrence, en vue de vérifier si l’inégalité de traitement touche considérablement plus de femmes que d’hommes, il convient de comparer, parmi les travailleurs masculins et féminins employés par le défendeur, la proportion respective des personnes qui sont affectées négativement par la disposition nationale en cause. Dans les litiges au principal, les parts en pourcentage n’auraient certes pas encore été constatées de manière définitive. Il apparaîtrait cependant que le groupe des femmes est fortement représenté tant parmi les employés à temps partiel que parmi les employés à temps plein. Dans le même temps, le groupe des hommes, même sensiblement minoritaire, serait plus fortement représenté au sein des employés à temps plein que parmi les employés à temps partiel.

    26.

    Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi se demande si l’article 157 TFUE ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), et l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens que, dans un tel cas, il suffit, pour constater que l’inégalité de traitement touche considérablement plus de femmes que d’hommes, qu’il y ait parmi les travailleurs à temps partiel considérablement plus de femmes que d’hommes, ou si doit s’y ajouter la circonstance que, parmi les travailleurs à temps plein, il y a considérablement plus d’hommes, voire une part considérablement plus élevée d’hommes.

    27.

    La juridiction de renvoi souligne que cette dernière situation ne se présenterait pas dans les litiges au principal dès lors que, parmi les travailleurs à temps plein, 68,20 % sont des femmes et seulement 31,80 % sont des hommes. Les femmes seraient ainsi considérablement plus représentées chez le défendeur tant dans le groupe des employés à temps partiel que dans le groupe des employés à temps plein. La même juridiction ne serait pas en mesure de juger avec la certitude requise comment, dans un tel contexte, il convient de constater si l’inégalité de traitement affecte considérablement plus de femmes que d’hommes, au sens du droit de l’Union.

    28.

    Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    L’article 157 TFUE ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), et l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une convention collective nationale, en vertu de laquelle le versement de majorations de salaire pour heures supplémentaires n’est prévu que pour les heures de travail effectuées au-delà de la durée normale de travail d’un travailleur employé à temps plein, contient une inégalité de traitement des employés à temps plein et des employés à temps partiel ?

    2)

    Dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la première question par l’affirmative :

    a)

    L’article 157 TFUE ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), et l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54 doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans un tel cas, il ne suffit pas, pour constater que la différence de traitement concerne considérablement plus de femmes que d’hommes, qu’il y ait parmi les employés à temps partiel considérablement plus de femmes que d’hommes, mais que doit s’ajouter à cela la circonstance qu’il y a parmi les employés à temps plein considérablement plus d’hommes ou que la part des hommes est considérablement plus élevée ?

    b)

    Une autre solution découle-t-elle pour l’article 157 TFUE et la directive 2006/54 des développements de la Cour de justice aux points 25 à 36 de son arrêt du 26 janvier 2021, Szpital Kliniczny im. dra J. Babińskiego Samodzielny Publiczny Zakład Opieki Zdrowotnej w Krakowie (C‑16/19, EU:C:2021:64), selon lesquels une différence de traitement se produisant au sein d’un groupe de personnes atteintes d’un handicap est susceptible de relever du concept de “discrimination”, visé à l’article 2 de la directive 2000/78[/CE] [ ( 10 )] ?

    3)

    Dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la première question par l’affirmative et aux deuxièmes questions, sous a) et b), en ce sens que, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, il pourrait être constaté que la différence de traitement dans la rémunération touche considérablement plus de femmes que d’hommes : l’article 157 TFUE ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), et l’article 4, première phrase, de la directive 2006/54 doivent-ils être interprétés en ce sens que peut constituer un objectif légitime le fait pour les parties à une convention collective de poursuivre avec une réglementation – comme celle citée dans la première question –, d’une part, l’objectif d’empêcher l’employeur d’imposer des heures supplémentaires et de rétribuer par une majoration de salaire pour heures supplémentaires le recours aux travailleurs au-delà des périodes convenues, mais, d’autre part, aussi l’objectif d’empêcher un traitement plus défavorable des employés à temps plein par rapport aux employés à temps partiel et de prévoir par conséquent que les majorations de salaire ne sont dues que pour les heures supplémentaires fournies au-delà du temps de travail d’un mois civil d’un employé à temps plein ?

    4)

    La clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel figurant à l’annexe de la directive 97/81/CE [ ( 11 )] doit-elle être interprétée en ce sens qu’une convention collective nationale en vertu de laquelle le versement de majorations de salaire pour heures supplémentaires n’est prévu que pour les heures de travail fournies au-delà de la durée normale de travail d’un travailleur à temps plein contient une inégalité de traitement des employés à temps plein et des employés à temps partiel ?

    5)

    Dans l’hypothèse où la Cour devrait répondre à la quatrième question par l’affirmative : la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel figurant à l’annexe de la directive 97/81 doit-elle être interprétée en ce sens que peut constituer un motif légitime le fait pour les parties à une convention collective de poursuivre avec une réglementation – comme celle citée dans la quatrième question –, d’une part, l’objectif d’empêcher l’employeur d’imposer des heures supplémentaires et de rétribuer par une majoration de salaire pour heures supplémentaires le recours aux travailleurs au-delà des périodes convenues, mais, d’autre part, aussi l’objectif d’empêcher un traitement plus défavorable des employés à temps plein par rapport aux employés à temps partiel et de prévoir par conséquent que les majorations de salaire ne sont dues que pour les heures supplémentaires fournies au-delà du temps de travail d’un mois civil d’un employé à temps plein ? »

    29.

    Des observations écrites ont été présentées à la Cour par les requérantes, le défendeur, les gouvernements danois, polonais et norvégien ainsi que la Commission européenne.

    IV. Analyse

    30.

    Par ses deuxièmes questions préjudicielles, sous a), dans les affaires C‑184/22 et C‑185/22, à propos desquelles la Cour a demandé que les présentes conclusions soient ciblées, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 157 TFUE ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), et l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une discrimination indirecte, pour constater qu’une disposition nationale apparemment neutre désavantage « particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre », il suffit qu’il existe une proportion significativement plus importante de personnes d’un sexe donné dans le groupe des travailleurs désavantagés par cette disposition ou s’il est également nécessaire que le groupe des travailleurs qui n’est pas soumis à ladite disposition comprenne une proportion significativement plus importante de personnes de l’autre sexe.

    31.

    Aux termes de l’article 157, paragraphe 1, TFUE, « [c]haque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur ». Par ailleurs, l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54 énonce que, « [p]our un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, la discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est éliminée dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération ». Conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette directive, la notion de « discrimination indirecte » est définie comme « la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ».

    32.

    Il résulte de cette définition qu’une « discrimination indirecte », au sens de la directive 2006/54, est établie lorsque trois éléments sont réunis, pour lesquels les intentions de l’auteur de la mesure nationale en cause n’entrent pas en ligne de compte. Premièrement, est présente une mesure d’apparence neutre en ce qu’elle n’opère pas de distinction formelle entre des catégories de personnes pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale. Deuxièmement, cette mesure entraîne un désavantage particulier envers les personnes d’un sexe par rapport aux personnes de l’autre sexe. Troisièmement, un tel désavantage particulier n’est pas justifié par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe ( 12 ).

    33.

    En l’occurrence, premièrement, s’agissant de l’élément relatif à la neutralité apparente de la disposition nationale en cause, celui-ci ne soulève pas de difficulté particulière. En effet, il ressort des décisions de renvoi que cette disposition de la convention collective concernée ( 13 ), selon laquelle sont soumises à une majoration de salaire les heures supplémentaires effectuées au-delà des heures de travail du mois civil d’un employé à temps plein, s’applique à l’ensemble des sites du défendeur et, sauf exception, à toutes les personnes employées par celui-ci ( 14 ). Dès lors, ladite disposition, en visant indistinctement les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, n’établit pas une discrimination directe, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/54.

    34.

    Deuxièmement, en ce qui concerne l’élément relatif à l’existence d’un désavantage particulier, celui-ci implique, en premier lieu, qu’un groupe de personnes subisse un désavantage, à savoir, en l’occurrence, les travailleurs à temps partiel quant au paiement de majorations de salaire pour les heures supplémentaires effectuées. Je relève que la juridiction de renvoi a indiqué que les deuxièmes questions préjudicielles dans les présentes affaires ne sont posées que si la réponse aux premières questions préjudicielles est affirmative. À cet égard, je suis d’avis que la disposition nationale en cause désavantage les travailleurs à temps partiel en ce que les heures de travail supplémentaires qu’ils effectuent au-delà du temps de travail convenu dans leurs contrats de travail et jusqu’au nombre d’heures de travail d’un travailleur à temps plein ( 15 ) n’entraînent pas pour eux de majoration de salaire. En d’autres termes, ces heures de travail supplémentaires sont moins rémunérées que les heures de travail supplémentaires effectuées par un travailleur à temps plein ( 16 ).

    35.

    En second lieu, la mesure en apparence neutre doit avoir pour résultat, en pratique, de désavantager de manière particulière les personnes d’un sexe par rapport à l’autre sexe. À cet égard, la Cour a reconnu depuis longtemps l’utilité des statistiques dans le cadre de l’analyse de l’existence ou non d’une discrimination indirecte, notamment dans l’arrêt du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, EU:C:1981:80, point 13). Dans cet arrêt, la Cour a fait référence à un « pourcentage considérablement plus faible » de travailleurs féminins que de travailleurs masculins qui peuvent prétendre au salaire horaire à taux plein. Cette référence a été reprise, notamment, dans l’arrêt du 13 mai 1986, Bilka-Kaufhaus (170/84, EU:C:1986:204, point 29). En ce sens, la Cour a suivi une voie pragmatique dans le cadre de l’examen des discriminations ( 17 ).

    36.

    La notion de « discrimination indirecte » a ensuite été consacrée par le législateur de l’Union, notamment dans la directive 2002/73/CE ( 18 ), remplacée par la directive 2006/54. Cette dernière directive a retenu, à son article 2, paragraphe 1, sous b), une définition de la « discrimination indirecte » formulée exactement dans les mêmes termes que celle contenue à l’article 1er, paragraphe 2, deuxième tiret, de la directive 2002/73. Cette définition, pas plus que les autres dispositions de la directive 2006/54, ne fait référence à des éléments quantitatifs dans l’examen de la discrimination indirecte. En effet, ladite définition retient une approche qualitative, à savoir qu’il importe de vérifier si la mesure nationale en cause est susceptible, par sa nature même, de « désavantager particulièrement » des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe. Il en résulte que le juge national doit examiner l’ensemble des éléments pertinents de nature qualitative en vue de déterminer si un tel désavantage existe, par exemple sans se limiter à l’entreprise à laquelle s’applique la disposition litigieuse, en regardant la situation dans l’État membre concerné ou dans l’Union en général. En outre, dans certaines situations, il peut s’avérer très difficile d’obtenir des données statistiques ( 19 ) ou les données obtenues peuvent susciter des difficultés d’utilisation ( 20 ) ou d’interprétation ( 21 ).

    37.

    Cependant, y compris dans ce cadre qualitatif, la Cour a continué à se référer à des données statistiques, lorsqu’elles existent, en vue de caractériser l’existence d’une discrimination indirecte dans le cadre de la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Ainsi, selon la jurisprudence constante de la Cour relative à la directive 2006/54, l’existence d’un tel désavantage particulier peut être établie, notamment, s’il est prouvé qu’une réglementation nationale affecte négativement une proportion significativement plus importante de personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe ( 22 ). Ainsi qu’il ressort du considérant 30 de cette directive, l’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination indirecte appartient à la juridiction nationale, conformément au droit national ou aux pratiques nationales qui peuvent prévoir, en particulier, que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, y compris sur la base de données statistiques ( 23 ).

    38.

    J’insiste sur le fait que les données statistiques susmentionnées ne constituent qu’un élément parmi d’autres et que, en outre, ces données peuvent être diverses. Ainsi, la Cour a jugé qu’un travailleur s’estimant lésé par une discrimination indirecte fondée sur le sexe peut étayer une apparence de discrimination en se fondant sur des données statistiques générales concernant le marché du travail dans l’État membre concerné, dans le cas où il ne saurait être attendu de l’intéressé qu’il produise des données plus précises relatives au groupe de travailleurs pertinent, celles-ci étant difficilement accessibles, voire indisponibles ( 24 ). Il n’est pas suffisant de considérer le nombre de personnes affectées, étant donné que ce nombre dépend du nombre de travailleurs actifs dans l’ensemble de cet État membre ainsi que de la répartition de travailleurs masculins et de travailleurs féminins dans ledit État membre ( 25 ).

    39.

    Dans l’hypothèse où le juge national dispose de données statistiques, la Cour a considéré qu’il appartient à celui-ci de prendre en considération l’ensemble des travailleurs soumis à la réglementation nationale dans laquelle la différence de traitement trouve sa source ( 26 ) et que lameilleure méthode de comparaison des statistiques consiste à comparer la proportion de travailleurs affectés par cette différence de traitement, d’une part, au sein de la main-d’œuvre masculine et, d’autre part, au sein de la main-d’œuvre féminine ( 27 ).

    40.

    Il convient de souligner que si l’utilisation de données statistiques peut se révéler utile pour caractériser l’existence d’une discrimination indirecte, ces données doivent être prises en compte avec précaution en ce que leur mode d’élaboration détermine la validité des résultats obtenus ( 28 ). Dans ce cadre, selon une jurisprudence constante de la Cour, il incombe au juge national d’apprécier dans quelle mesure les données statistiques produites devant lui sont fiables et si celles-ci peuvent être prises en compte, c’est-à-dire si, notamment, elles ne sont pas l’expression de phénomènes purement fortuits ou conjoncturels et si elles sont suffisamment significatives ( 29 ).

    41.

    Troisièmement, si les statistiques auxquelles la juridiction nationale peut avoir égard devaient effectivement faire apparaître que le pourcentage des travailleurs d’un sexe est affecté par la réglementation nationale en cause de manière considérablement plus élevée que celui des travailleurs de l’autre sexe relevant également du champ d’application de cette réglementation, il y aurait lieu de considérer qu’une telle situation révèle une discrimination indirecte fondée sur le sexe, contraire à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54, à moins que ladite réglementation ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe ( 30 ).

    42.

    Je relève qu’il n’existe pas de seuil référentiel au-delà duquel des statistiques seraient considérées comme étant suffisantes, cette appréciation se révélant par nature essentiellement empirique ( 31 ). Toutefois, ces données statistiques doivent être pertinentes en ce sens qu’elles doivent porter sur un nombre suffisant d’individus pour être représentatives, mais également être rigoureuses et dépourvues d’ambiguïté.

    43.

    S’agissant des litiges au principal, il ressort des décisions de renvoi que l’analyse visant à déterminer si la disposition nationale en cause instaure une discrimination indirecte, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, prend en compte des données statistiques qui concernent le défendeur. Il découle de la jurisprudence de la Cour citée au point 39 des présentes conclusions que la juridiction de renvoi doit établir la proportion de travailleurs affectés par cette différence de traitement, d’une part, au sein de la main-d’œuvre masculine et, d’autre part, au sein de la main-d’œuvre féminine.

    44.

    En l’occurrence, il ressort des décisions de renvoi que le défendeur emploie plus de 5000 personnes dont 76,98 % sont des femmes. Sur la totalité de ces employés, 52,78 % travaillent à temps partiel. Parmi les travailleurs à temps partiel, 84,74 % sont des femmes et 15,26 % sont des hommes.

    45.

    Par ses deuxièmes questions préjudicielles, sous a), la juridiction de renvoi demande si, dans l’examen de l’existence d’un désavantage particulier à l’égard des travailleurs féminins, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, il suffit que le groupe des employés à temps partiel comprenne considérablement plus de femmes que d’hommes ou si, également, le groupe des employés à temps plein doit être constitué par considérablement plus d’hommes ou que la part des hommes soit considérablement plus élevée.

    46.

    En l’occurrence, les travailleurs féminins sont majoritaires tant dans le groupe « avantagé » que dans le groupe « désavantagé » par la disposition nationale en cause. Dans une telle situation, je conçois qu’il n’est pas évident de considérer que cette disposition désavantage particulièrement les femmes par rapport aux hommes.

    47.

    À cet égard, comme je l’ai déjà indiqué, je suis d’avis que le juge national doit suivre une approche qualitative, sans se limiter aux seules données statistiques. Une telle approche suppose d’examiner le marché de l’emploi dans son ensemble et non uniquement dans l’entreprise concernée.

    48.

    S’agissant des données statistiques, à propos desquelles la juridiction de renvoi pose une question de droit relative aux modalités de prise en compte de celles-ci, il convient de rappeler la logique de l’analyse de la discrimination indirecte dans le cadre de la directive 2006/54.

    49.

    Tout d’abord, selon le libellé même de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette directive, la discrimination indirecte fait référence uniquement à une disposition, un critère ou une pratique qui « désavantagerait » des personnes d’un sexe par rapport aux personnes de l’autre sexe. Par conséquent, cet article 2, paragraphe 1, sous b), se focalise sur le groupe des personnes « désavantagées », en l’occurrence les travailleurs à temps partiel. Cette disposition ne mentionne pas les personnes « avantagées », à savoir celles qui ne sont pas soumises à la mesure en cause. Par conséquent, il découle des termes de ladite disposition qu’une discrimination indirecte peut être caractérisée du seul fait que sont désavantagées particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe.

    50.

    Ensuite, selon la jurisprudence de la Cour citée au point 39 des présentes conclusions, la meilleure méthode de comparaison des statistiques consiste à comparer la proportion de travailleurs affectés par cette différence de traitement, d’une part, au sein de la main-d’œuvre masculine et, d’autre part, au sein de la main-d’œuvre féminine. Par conséquent, la Cour s’est prononcée explicitement sur l’approche à suivre et a considéré qu’il convient de viser les personnes désavantagées pour déterminer si la mesure nationale établit une discrimination indirecte. À cet égard, il me paraît utile de citer les termes d’un arrêt récent de la Cour, à savoir l’arrêt du 24 février 2022, TGSS (Chômage des employés de maison) (C‑389/20, EU:C:2022:120). Dans cet arrêt, la Cour a jugé ce qui suit, à propos d’une disposition nationale qui exclut les prestations de chômage des prestations de sécurité sociale accordées aux employés de maison par un régime légal de sécurité sociale :

    « 45. [...] [i]l y a lieu de constater qu’il ressort des données statistiques présentées [...] que, d’une part, à la date du 31 mai 2021, le nombre des travailleurs salariés soumis [au] régime général était de 15872720, dont 7770798 femmes (48,96 % des salariés) et 8101899 hommes (51,04 % des salariés). D’autre part, à la même date, le groupe de salariés affiliés au système spécial des employés de maison comptait 384175 travailleurs, dont 366991 femmes (95,53 % des affiliés à ce système spécial, soit 4,72 % des femmes salariées) et 17171 hommes (4,47 % des affiliés audit système spécial, soit 0,21 % des hommes salariés).

    46. Ainsi, il résulterait de ces données statistiques que la proportion des travailleurs salariés de sexe féminin soumis au régime général de sécurité sociale espagnol qui sont affectés par la différence de traitement découlant de la disposition nationale en cause au principal est significativement plus élevée que celle des salariés de sexe masculin. »

    51.

    Par conséquent, conformément à sa jurisprudence relative à la discrimination indirecte, la Cour a examiné uniquement le groupe des personnes désavantagées, à savoir les employés de maison, composé à 95,53 % de femmes, sans prendre en compte la totalité des personnes soumises au régime général de sécurité sociale, réparties de manière équilibrée entre les femmes (48,96 % des salariés) et les hommes (51,04 % des salariés).

    52.

    Enfin, l’objectif de la directive 2006/54 est d’interdire toute discrimination fondée sur le sexe, notamment la discrimination indirecte. Jusqu’à présent, la Cour a considéré que cet objectif impliquait d’examiner spécifiquement la situation du groupe de personnes désavantagées par une mesure nationale. Il ne me paraît pas que ledit objectif conduirait à prendre en compte également la situation du groupe de personnes qui n’est pas soumis à cette mesure. À supposer que la mesure nationale en cause désavantage particulièrement les travailleurs d’un sexe par rapport aux travailleurs de l’autre sexe, il conviendrait alors d’examiner si elle est justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

    53.

    Par conséquent, je considère que, pour constater l’existence d’un désavantage particulier à l’égard des travailleurs féminins, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, il convient d’examiner uniquement le groupe des travailleurs désavantagés. J’ajoute que l’approche qualitative visant à déterminer si une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantage particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe pouvant présenter des difficultés de mise en œuvre, il me semble que la question de la discrimination à raison de l’emploi à temps partiel, qui fait l’objet des quatrième et cinquième questions préjudicielles dans les présentes affaires, est susceptible de constituer un fondement approprié pour assurer l’égalité de traitement entre les travailleurs à temps plein et ceux à temps partiel ( 32 ).

    54.

    Partant, je propose de répondre aux deuxièmes questions préjudicielles, sous a), que l’article 157 TFUE ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), et l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une discrimination indirecte, pour constater qu’une disposition nationale apparemment neutre désavantage « particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre », le juge national doit examiner l’ensemble des éléments pertinents de nature qualitative en vue de déterminer si un tel désavantage existe. S’agissant des données statistiques, qui ne constituent qu’un élément parmi d’autres, il convient de vérifier s’il existe une proportion significativement plus importante de personnes d’un sexe donné dans le groupe des travailleurs désavantagés par cette disposition nationale, sans qu’il soit également nécessaire que le groupe des travailleurs qui n’est pas soumis à ladite disposition comprenne une proportion significativement plus importante de personnes de l’autre sexe.

    V. Conclusion

    55.

    Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux deuxièmes questions préjudicielles, sous a), posées par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) dans les affaires jointes C‑184/22 et C‑185/22 de la manière suivante :

    L’article 157 TFUE ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous b), et l’article 4, premier alinéa, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail,

    doivent être interprétés en ce sens que :

    dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une discrimination indirecte, pour constater qu’une disposition nationale apparemment neutre désavantage « particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre », le juge national doit examiner l’ensemble des éléments pertinents de nature qualitative en vue de déterminer si un tel désavantage existe. S’agissant des données statistiques, qui ne constituent qu’un élément parmi d’autres, il convient de vérifier s’il existe une proportion significativement plus importante de personnes d’un sexe donné dans le groupe des travailleurs désavantagés par cette disposition nationale, sans qu’il soit également nécessaire que le groupe des travailleurs qui n’est pas soumis à ladite disposition comprenne une proportion significativement plus importante de personnes de l’autre sexe.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).

    ( 3 ) Par décision du président de la Cour de justice du 19 avril 2022, ces deux affaires ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

    ( 4 ) BGBl. 2000 I, p. 1966.

    ( 5 ) BGBl. 2006 I, p. 1897.

    ( 6 ) BGBl. 2017 I, p. 2152.

    ( 7 ) La juridiction de renvoi mentionne à cet égard l’arrêt du 13 janvier 2004, Allonby (C‑256/01, EU:C:2004:18, points 73 et suiv.).

    ( 8 ) La juridiction de renvoi se réfère aux arrêts du 6 décembre 2007, Voß (C‑300/06, EU:C:2007:757, point 40), ainsi que du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan (C‑274/18, EU:C:2019:828, points 47 et 52).

    ( 9 ) La juridiction de renvoi cite l’arrêt du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan (C‑274/18, EU:C:2019:828, points 47 et 52).

    ( 10 ) Directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

    ( 11 ) Directive du Conseil du 15 décembre 1997 concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9).

    ( 12 ) Pour une application de ces trois éléments, voir, notamment, arrêt du 5 mai 2022, BVAEB (C‑405/20, EU:C:2022:347, points 47 à 69).

    ( 13 ) Selon la jurisprudence de la Cour, dans le contexte de la directive 2006/54, la prohibition de la discrimination entre travailleurs de sexe masculin et travailleurs de sexe féminin s’étend à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié (voir arrêt du 18 novembre 2020, Syndicat CFTC, C‑463/19, EU:C:2020:932, point 48 et jurisprudence citée).

    ( 14 ) Les exceptions à l’application du MTV n’apparaissent pas, à ce stade, pertinentes dans le cadre de la réponse à apporter aux deuxièmes questions préjudicielles, sous a), dans les présentes affaires (voir, à cet égard, point 24 des présentes conclusions).

    ( 15 ) À savoir 38,5 heures par semaine, comme l’énonce l’article 10, paragraphe 1, du MTV.

    ( 16 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 mai 2004, Elsner-Lakeberg (C‑285/02, EU:C:2004:320, point 17).

    ( 17 ) Voir conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Enderby (C‑127/92, EU:C:1993:313, point 15).

    ( 18 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO 2002, L 269, p. 15).

    ( 19 ) Voir Ellis, E., et Watson, P., EU Anti-Discrimination Law, 2e éd., Oxford University Press, Oxford, 2012, en particulier p. 151.

    ( 20 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Medina dans l’affaire INSS (Cumul de pensions d’invalidité professionnelle totale) (C‑625/20, EU:C:2022:132, point 1), qui relève que l’utilisation des chiffres et des statistiques peut s’avérer problématique pour établir une discrimination indirecte car le résultat peut varier en fonction du groupe de référence utilisé pour opérer la comparaison.

    ( 21 ) Voir Barnard, C., et Hepple, B., « Indirect Discrimination : Interpreting Seymour-Smith », Cambridge Law Journal, 58(2), 1999, p. 399 à 412. Ces auteurs présentent une vue critique de l’approche adoptée par la Cour consistant à se référer à des données statistiques, notamment dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle.

    ( 22 ) Arrêt du 5 mai 2022, BVAEB (C‑405/20, EU:C:2022:347, point 49 et jurisprudence citée).

    ( 23 ) Voir arrêts du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, EU:C:2020:753, point 50), et du 5 mai 2022, BVAEB (C‑405/20, EU:C:2022:347, point 50).

    ( 24 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan (C‑274/18, EU:C:2019:828, point 56).

    ( 25 ) Voir arrêt du 8 mai 2019, Villar Láiz (C‑161/18, EU:C:2019:382, point 39 et jurisprudence citée).

    ( 26 ) Voir, notamment, arrêt du 30 juin 2022, INSS (Cumul de pensions d’invalidité professionnelle totale) (C‑625/20, EU:C:2022:508, point 40 et jurisprudence citée). À cet égard, je relève que la juridiction de renvoi a indiqué que les parts en pourcentage n’ont pas encore été constatées de manière définitive dans les affaires au principal.

    ( 27 ) Voir, notamment, arrêt du 6 décembre 2007, Voß (C‑300/06, EU:C:2007:757, point 41 et jurisprudence citée).

    ( 28 ) Voir, en doctrine, Robin-Olivier, S., « L’émergence de la notion de discrimination indirecte : évolution ou révolution ? », dans Fines, F., Gauthier, C., Gautier, M., La non-discrimination entre les Européens, Pedone, Paris, 2012, p. 23 à 36, en particulier p. 30.

    ( 29 ) Voir, notamment, arrêt du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan (C‑274/18, EU:C:2019:828, point 48 et jurisprudence citée).

    ( 30 ) Voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, BVAEB (C‑405/20, EU:C:2022:347, points 50 et 51 ainsi que jurisprudence citée).

    ( 31 ) Voir, notamment, en doctrine, Alberton, G., « Et la Cour de cassation se fit plus “européaniste” que la CJUE », AJDA, 2018, no 6, p. 340.

    ( 32 ) Voir, à cet égard, arrêt du 19 octobre 2023, Lufthansa CityLine (C‑660/20, EU:C:2023:789).

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