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Документ 62021CJ0358

Arrêt de la Cour (septième chambre) du 24 novembre 2022.
Tilman SA contre Unilever Supply Chain Company AG.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Clause attributive de juridiction – Conditions de forme – Clause contenue dans les conditions générales – Conditions générales pouvant être consultées et imprimées à partir d’un lien hypertexte mentionné dans un contrat conclu par écrit – Consentement des parties.
Affaire C-358/21.

Сборник съдебна практика — общ сборник — раздел „Информация относно непубликуваните решения“

Идентификатор ECLI: ECLI:EU:C:2022:923

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Clause attributive de juridiction – Conditions de forme – Clause contenue dans les conditions générales – Conditions générales pouvant être consultées et imprimées à partir d’un lien hypertexte mentionné dans un contrat conclu par écrit – Consentement des parties »

Dans l’affaire C‑358/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 20 mai 2021, parvenue à la Cour le 9 juin 2021, dans la procédure

Tilman SA

contre

Unilever Supply Chain Company AG,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Tilman SA, par Mes N. Cariat, A. Hoc et B. Hoc,

pour Unilever Supply Chain Company AG, par Me W. van Eeckhoutte, advocaat,

pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, C. Pochet et M. van Regemorter, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, U. Bartl, M. Hellmann et R. Kanitz, en qualité d’agents,

pour le gouvernement suisse, Mmes N. Marville-Dosen et J. Schickel‑Küng, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme A. Azéma et M. S. Noë, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 23, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1, ci-après la « convention de Lugano II »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Tilman SA, dont le siège social se trouve en Belgique, à Unilever Supply Chain Compagny AG (ci-après « Unilever »), dont le siège social est situé en Suisse, au sujet du non-paiement, par Unilever, de sommes facturées par Tilman.

Le cadre juridique

La convention de Lugano II

3

La convention de Lugano II a été signée par la Communauté européenne, le Royaume de Danemark, la République d’Islande, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse.

4

Selon l’article 1er, paragraphe 3, de cette convention :

« Dans la présente convention, on entend par “État lié par la présente convention” tout État qui est partie contractante à la présente convention ou tout État membre de la Communauté européenne. Ce terme peut également désigner la Communauté européenne. »

5

L’article 23 de ladite convention, intitulé « Prorogation de compétence », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État lié par la présente convention, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État lié par la présente convention pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :

a)

par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; ou

b)

sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou

c)

dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

2.   Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite. »

6

Aux termes de l’article 64, paragraphes 1 et 2, de la même convention :

« 1.   La présente convention ne préjuge pas l’application par les États membres de la Communauté européenne du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil[, du 22 décembre 2000,] concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [(JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le “règlement Bruxelles I ”)], et de toute modification apportée à celui-ci, de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [(JO 1972, L 299, p. 32)], signée à Bruxelles le 27 septembre 1968, et du protocole concernant l’interprétation de cette convention par la Cour de justice des Communautés européennes, signé à Luxembourg le 3 juin 1971, tels qu’ils ont été modifiés par les conventions d’adhésion à ladite convention et audit protocole par les États adhérant aux Communautés européennes [(ci-après la “convention de Bruxelles”)], ainsi que de l’accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signé à Bruxelles le 19 octobre 2005.

2.   Toutefois, la présente convention s’applique en tout état de cause :

a)

en matière de compétence, lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État où s’applique la présente convention, à l’exclusion des instruments visés au paragraphe 1, ou lorsque les articles 22 ou 23 de la présente convention confèrent une compétence aux tribunaux d’un tel État ;

[...] »

7

En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, du protocole no 2 sur l’interprétation uniforme de la convention [de Lugano II] et sur le comité permanent :

« Tout tribunal appliquant et interprétant la présente convention tient dûment compte des principes définis par toute décision pertinente rendue par les tribunaux des États liés par la présente convention et par la Cour de justice des Communautés européennes concernant la ou les dispositions en cause ou toute disposition similaire de la convention de Lugano de 1988 et des instruments visés à l’article 64, paragraphe 1, de la présente convention ».

Le règlement Bruxelles I

8

L’article 23, paragraphes 1 et 2, du règlement Bruxelles I prévoit :

« 1.   Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :

a)

par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou

b)

sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou

c)

dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

2.   Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite. »

Le règlement Bruxelles I bis

9

Le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis »), a abrogé le règlement Bruxelles I.

10

L’article 25 du règlement Bruxelles I bis, intitulé « Prorogation de compétence », qui figure dans le chapitre II de ce règlement, lui-même intitulé « Compétence », énonce :

« 1.   Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :

a)

par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;

b)

sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou

c)

dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

2.   Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite.

[...] »

L’accord de retrait

11

L’article 2 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7), signé à Bruxelles et à Londres le 24 janvier 2020 et entré en vigueur le 1er février 2020 (ci-après l’« accord de retrait »), dispose :

« Aux fins du présent accord, on entend par :

a)

“droit de l’Union” :

[...]

iv)

les accords internationaux auxquels l’Union est partie et les accords internationaux conclus par les États membres agissant au nom de l’Union ;

[...] »

12

L’article 67 de cet accord, intitulé « Compétence, reconnaissance et exécution des décisions judiciaires, et coopération connexe entre autorités centrales », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Au Royaume-Uni, ainsi que dans les États membres en cas de situations impliquant le Royaume-Uni, en ce qui concerne les actions judiciaires intentées avant la fin de la période de transition et les procédures ou demandes liées à de telles actions judiciaires en vertu des articles 29, 30 et 31 du règlement [Bruxelles I bis] [...], les actes ou dispositions suivants s’appliquent :

a)

les dispositions relatives à la compétence du règlement [Bruxelles I bis] ;

[...] »

13

Aux termes de l’article 126 dudit accord, intitulé « Période de transition » :

« Une période de transition ou de mise en œuvre est fixée, laquelle commence à la date d’entrée en vigueur du présent accord et se termine le 31 décembre 2020. »

14

L’article 127 du même accord, intitulé « Portée des dispositions transitoires », énonce :

« 1.   Sauf disposition contraire du présent accord, le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition.

[...]

6.   Sauf disposition contraire du présent accord, pendant la période de transition, toute référence aux États membres dans le droit de l’Union applicable en vertu du paragraphe 1, y compris dans sa mise en œuvre et son application par les États membres, s’entend comme incluant le Royaume-Uni.

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

15

Le 22 novembre 2010, Tilman et Unilever ont conclu un premier contrat en vertu duquel la première s’engageait à emballer et à conditionner, pour le compte de la seconde, des boîtes de sachets de thé pour un prix déterminé.

16

Par un second contrat, conclu le 6 janvier 2011, le prix convenu a été modifié. Ce contrat précisait que, à défaut d’autres stipulations, il était régi par les conditions générales d’achat de produits d’Unilever. Ces conditions générales, qui pouvaient être consultées et téléchargées sur un site Internet au moyen d’un lien hypertexte figurant sur ledit contrat, prévoyaient que chaque partie au contrat « se soumettr[ait] irrévocablement à la juridiction exclusive des tribunaux anglais pour le règlement de tout litige qui pourrait découler directement ou indirectement du contrat ».

17

À la suite d’un changement intervenu dans les modalités de facturation, un désaccord est né entre les parties à propos de la majoration du prix facturé et Unilever n’a payé que partiellement les factures émises par Tilman.

18

Tilman a cité Unilever devant les juridictions belges en vue du paiement des sommes restées impayées. Unilever a alors fait valoir que, en application des conditions générales du contrat en cause au principal, seules les juridictions anglaises étaient compétentes pour connaître du litige.

19

Par jugement du 12 août 2015, la juridiction belge de première instance s’est déclarée compétente pour connaître du litige, tout en jugeant que le contrat était régi par et devait être interprété selon le droit anglais.

20

Tilman a interjeté appel de ce jugement en soutenant que le contrat devait être régi par et interprété selon le droit belge. Unilever a formé un appel incident faisant valoir que la compétence revenait non pas aux juridictions belges, mais aux juridictions anglaises.

21

Par un arrêt du 12 février 2020, la cour d’appel de Liège (Belgique) a fait droit au déclinatoire de juridiction soulevé par Unilever en jugeant que, conformément à la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales du contrat en cause au principal, les juridictions belges n’étaient pas compétentes pour connaître du litige né de l’exécution dudit contrat.

22

Tilman s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation (Belgique) en invoquant une violation de l’article 23, paragraphes 1 et 2, de la convention de Lugano II. En effet, selon Tilman, la cour d’appel de Liège aurait assimilé à tort la situation au principal avec celle dans laquelle le contrat est conclu par Internet, mais où l’acheteur doit cocher une case indiquant qu’il accepte les conditions générales du vendeur.

23

La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, dans l’affaire au principal, les conditions de preuve de la réalité du consentement de Tilman sur la clause attributive de juridiction sont satisfaites, étant donné que cette clause était énoncée dans les conditions générales d’achat de produits d’Unilever, et non dans le contrat en cause au principal, et que ces conditions n’étaient pas directement annexées audit contrat.

24

D’un côté, cette juridiction rappelle que, dans l’arrêt du 12 février 2020, la cour d’appel de Liège a jugé que les conditions dégagées par la jurisprudence de la Cour, notamment dans les arrêts du 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani (24/76, EU:C:1976:177), et du 21 mai 2015, El Majdoub (C‑322/14, EU:C:2015:334), semblent satisfaites.

25

En effet, s’agissant de la condition selon laquelle le contrat doit renvoyer de manière expresse aux conditions générales, le contrat communiqué par Unilever à Tilman pour signature et effectivement signé par cette dernière le 6 janvier 2011 prévoirait expressément qu’il est régi par les conditions générales d’achat de produits d’Unilever à défaut d’autres stipulations contenues dans celui-ci ou dans d’autres conventions intervenues entre les parties. Pour ce qui est de la condition selon laquelle le renvoi aux conditions générales « doit pouvoir être contrôlé » par une personne normalement diligente, ledit contrat mentionnerait un lien hypertexte d’un site Internet permettant d’accéder aux conditions générales d’Unilever. Quant à la condition selon laquelle les conditions générales doivent pouvoir être « consignées sur un support durable », Tilman aurait eu la possibilité, en accédant au site Internet sur lequel figuraient les conditions générales d’Unilever, de les télécharger et de les imprimer.

26

Cependant, d’un autre côté, Tilman n’aurait pas été invitée à cocher une case indiquant qu’elle acceptait les conditions générales d’Unilever, de sorte que se poserait la question de savoir si les stipulations de l’article 23, paragraphes 1 et 2, de la convention de Lugano II ont été respectées.

27

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Est-il satisfait à l’article 23, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la convention [de Lugano II], lorsqu’une clause attributive de juridiction est contenue dans des conditions générales auxquelles un contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d’un site Internet dont l’accès permet de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer, sans que la partie à laquelle cette clause est opposée ait été invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site Internet ? »

Sur la question préjudicielle

28

À titre liminaire, il convient de relever que, conformément à l’article 67, paragraphe 1, sous a), de l’accord de retrait, les dispositions relatives à la compétence figurant dans le règlement Bruxelles I bis s’appliquent, au Royaume-Uni ainsi que dans les États membres en cas de situations impliquant le Royaume-Uni, aux actions judiciaires intentées avant la fin de la période de transition prévue à l’article 126 de cet accord.

29

En outre, aux termes de l’article 127 du même accord, le droit de l’Union, y compris les accords internationaux parmi lesquels figure la convention de Lugano II, est applicable au Royaume-Uni pendant cette période de transition.

30

S’agissant des clauses attributives de juridiction, il y a lieu de rappeler que celles-ci sont, de par leur nature, une option de compétence qui n’a pas d’effet juridique tant qu’une instance judiciaire n’est pas déclenchée et qui ne tire à conséquence qu’au jour où l’action judiciaire est mise en mouvement (arrêt du 13 novembre 1979, Sanicentral, 25/79, EU:C:1979:255, point 6). C’est donc à cette date qu’il convient de se placer pour apprécier la portée d’une telle clause au regard de la règle de droit applicable.

31

Or, en l’occurrence, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que l’action judiciaire en cause au principal a été introduite antérieurement au 31 décembre 2020, date d’expiration de la période de transition prévue à l’article 126 de l’accord de retrait, de telle sorte que l’interprétation de la convention de Lugano II demeure nécessaire pour trancher le litige au principal.

32

Quant au fond, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 23, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la convention de Lugano II doit être interprété en ce sens qu’une clause attributive de juridiction est valablement conclue lorsqu’elle est contenue dans des conditions générales auxquelles le contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d’un site Internet dont l’accès permet de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer, sans que la partie à laquelle cette clause est opposée ait été invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site Internet.

33

En vue de répondre à cette question, il importe de rappeler que, ainsi qu’il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, du protocole no 2 sur l’interprétation de la convention de Lugano II, celle-ci doit être appliquée et interprétée en tenant compte des principes définis par la Cour concernant la ou les dispositions en cause ou toute disposition similaire contenue dans d’autres instruments, au nombre desquels figurent la convention de Bruxelles et le règlement Bruxelles I.

34

Ainsi, et dès lors que l’article 23, paragraphes 1 et 2, de la convention de Lugano II est identique à l’article 23, paragraphes 1 et 2, du règlement Bruxelles I, et que l’article 23, paragraphe 1, de ce règlement était lui-même rédigé en des termes quasiment identiques à l’article 17, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, il convient, aux fins de l’interprétation de l’article 23, paragraphes 1 et 2, de la convention de Lugano II, de tenir compte de l’interprétation donnée par la Cour des dispositions correspondantes de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I (voir, par analogie, arrêts du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, points 18 et 19, ainsi que du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, points 27 et 28). De même, dans la mesure où l’article 25, paragraphes 1 et 2, du règlement Bruxelles I bis a remplacé, dans des termes en substance identiques, l’article 23, paragraphes 1 et 2, du règlement Bruxelles I, il y a lieu de prendre également en considération la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne la première de ces dispositions.

35

Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État lié par ladite convention, peuvent convenir d’attribuer compétence exclusive à un tribunal d’un État également lié par cette convention pour connaître des différends nés à l’occasion d’un rapport de droit déterminé. Afin d’être valide, cette attribution de compétence doit être conclue, notamment, ainsi qu’il ressort du point a) de cette disposition, « par écrit ou verbalement avec une confirmation écrite ».

36

S’agissant des dispositions de l’article 23 du règlement Bruxelles I, la Cour a jugé que, étant donné qu’elles excluent tant la compétence déterminée par le principe général du for du défendeur consacré à l’article 2 de ce règlement que les compétences spéciales des articles 5 à 7 de celui-ci, elles sont d’interprétation stricte quant aux conditions y fixées (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, point 25 et jurisprudence citée).

37

Or, l’article 23, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I indique clairement que son champ d’application se limite aux cas où les parties sont « convenues » d’un tribunal. C’est cet accord de volontés entre les parties qui justifie la primauté accordée, au nom du principe de l’autonomie de la volonté, au choix d’une juridiction autre que celle qui aurait été éventuellement compétente en vertu de ce règlement (voir, en ce sens, arrêts du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, point 24).

38

En subordonnant la validité d’une telle clause attributive de juridiction à l’existence d’une « convention » entres les parties, l’article 23, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I impose au juge saisi l’obligation d’examiner si la clause qui lui attribue compétence a fait effectivement l’objet d’un consentement entre les parties, ce consentement devant se manifester d’une manière claire et précise (voir, par analogie, arrêts du 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani, 24/76, EU:C:1976:177, point 7 ; du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 27, et du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, point 27).

39

En effet, les formes exigées à l’article 23, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I ont pour fonction d’assurer que le consentement entre les parties est effectivement établi (voir, par analogie, en ce qui concerne la convention de Bruxelles, arrêt du 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani, 24/76, EU:C:1976:177, point 7), la réalité de ce consentement étant l’un des objectifs de cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 28 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, point 27).

40

À cet égard, la Cour a jugé, en ce qui concerne la convention de Bruxelles, que satisfait, en principe, à l’exigence de la forme écrite posée à l’article 17, premier alinéa, de cette convention une clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de vente de l’une des parties dans le cas où ces conditions générales sont imprimées au verso du contrat et que celui-ci comporte un renvoi exprès auxdites conditions générales, ou encore dans le cas où, dans le texte de leur contrat, les parties se sont référées à une offre qui, à son tour, renvoie de manière expresse aux conditions générales, lorsque ce renvoi explicite est susceptible d’être contrôlé par une partie appliquant une diligence normale et s’il est établi que les conditions générales comportant la clause attributive de juridiction ont été effectivement communiquées à l’autre partie contractante (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani, 24/76, EU:C:1976:177, points 10 et 12).

41

La Cour a toutefois précisé que l’exigence de la forme écrite posée à l’article 17, premier alinéa, de la convention de Bruxelles n’est pas remplie dans le cas de renvois indirects ou implicites à des correspondances antérieures, aucune certitude n’étant alors donnée que la clause attributive de juridiction a effectivement fait l’objet du contrat proprement dit (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani, 24/76, EU:C:1976:177, point 12).

42

De même, la Cour a jugé qu’une clause attributive de juridiction ne satisfait pas aux exigences de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du règlement Bruxelles I bis, dont le libellé et celui de l’article 23, paragraphe 1, sous a), de la convention de Lugano II sont similaires, lorsque le contrat a été conclu verbalement, sans confirmation ultérieure par écrit, et que les conditions générales contenant cette clause attributive n’ont été mentionnées que dans les factures émises par l’une des parties (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2018, Saey Home & Garden, C‑64/17, EU:C:2018:173, points 28 et 29).

43

Or, selon l’article 23, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I, qui constitue une nouvelle disposition par rapport à l’article 17 de la convention de Bruxelles, ajoutée afin de tenir compte du développement de nouvelles techniques de communication, la validité d’une convention attributive de juridiction, telle que celle en cause au principal, peut dépendre, notamment, de la possibilité de la consigner durablement (arrêt du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, point 32).

44

Ainsi qu’il ressort d’une interprétation littérale de cette disposition, celle-ci exige que la « possibilité » soit offerte de consigner durablement la convention attributive de juridiction, indépendamment de la question de savoir si le texte des conditions générales a effectivement été consigné durablement par l’acheteur après ou avant qu’il a coché la case indiquant qu’il accepte lesdites conditions (arrêt du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, point 33).

45

En effet, la finalité de ladite disposition est d’assimiler certaines formes de transmissions électroniques à la forme écrite, en vue de simplifier la conclusion des contrats par voie électronique, la transmission des informations concernées étant réalisée également si ces informations sont accessibles au moyen d’un écran. Pour que la transmission électronique puisse offrir les mêmes garanties, notamment en matière de preuve, il suffit qu’il soit « possible » de sauvegarder et d’imprimer les informations avant la conclusion du contrat (arrêt du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, point 36).

46

En l’occurrence, il résulte du dossier dont dispose la Cour que la clause attributive de juridiction en cause au principal est stipulée dans les conditions générales d’Unilever auxquelles il est expressément renvoyé dans le contrat écrit conclu entre les parties.

47

S’agissant d’une situation dans laquelle, comme en l’occurrence, les conditions générales où figure la clause attributive de juridiction ne sont pas directement annexées au contrat, il convient de constater que, compte tenu de la jurisprudence citée aux points 37 à 45 du présent arrêt, est licite une telle clause lorsque, dans le texte même du contrat signé par les deux parties, un renvoi exprès est fait à ces conditions générales comportant ladite clause.

48

Cela ne vaut cependant que pour le cas d’un renvoi explicite, susceptible d’être contrôlé par une partie appliquant une diligence normale et s’il est établi que les conditions générales comportant la clause attributive de juridiction ont été effectivement communiquées à l’autre partie contractante (arrêt du 7 juillet 2016, Hőszig, C‑222/15, EU:C:2016:525, point 40).

49

En l’occurrence, il ne paraît pas contesté que le texte du contrat en cause au principal contient un tel renvoi explicite, susceptible d’être contrôlé par la requérante au principal, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier.

50

Il importe, dès lors, de vérifier si les conditions générales ont été effectivement communiquées à cette partie contractante.

51

Dans la mesure où, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I, tel qu’interprété par la Cour, la transmission des informations concernées est réalisée si ces informations sont accessibles au moyen d’un écran, le renvoi, dans le contrat écrit, à des conditions générales par la mention du lien hypertexte d’un site Internet dont l’accès permet, en principe, de prendre connaissance de ces conditions générales, pour peu que ce lien hypertexte fonctionne et puisse être actionné par une partie appliquant une diligence normale, équivaut a fortiori à une preuve de communication de ces informations.

52

Dans un tel cas de figure, la circonstance qu’il n’existe, sur la page du site Internet en cause, aucune case susceptible d’être cochée aux fins d’exprimer l’acceptation de ces conditions générales ou que la page contenant ces conditions ne s’ouvre pas automatiquement lors de l’accès audit site Internet n’est pas en mesure de remettre en cause une telle conclusion (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, point 39), dès lors que l’accès auxdites conditions générales est possible avant la signature du contrat et que l’acceptation de ces conditions intervient moyennant signature par la partie contractante concernée.

53

En outre, dès lors que la simple possibilité de sauvegarder et d’imprimer les conditions générales avant la conclusion du contrat suffit pour remplir les exigences de forme, il importe peu de savoir si les informations transmises ont été « fournies » par l’entreprise concernée ou « reçues » par le contractant.

54

En effet, les exigences de forme posées à l’article 23, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I répondent au souci de ne pas entraver les usages commerciaux tout en neutralisant les effets des clauses qui risqueraient de passer inaperçues dans les contrats, comme les stipulations qui figurent sur les imprimés servant à la correspondance ou à l’établissement des factures et qui n’auraient pas été acceptées par la partie à laquelle elles sont opposées (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 1981, Elefanten Schuh, 150/80, EU:C:1981:148, point 24, et du 7 juillet 2016, Hőszig, C‑222/15, EU:C:2016:525, point 36).

55

Or, en l’occurrence, l’affaire en cause au principal concerne des relations contractuelles continues entre entreprises commerciales, de sorte que les exigences de protection du consommateur acheteur ne sauraient entrer en considération.

56

En tout état de cause, et même si la juridiction de renvoi n’a pas interrogé la Cour sur l’éventuelle existence d’un usage du commerce international connu des parties, il convient d’ajouter que, en dehors des deux options que l’article 23, paragraphe 1, de la convention de Lugano II prévoit à son point a), à savoir la conclusion écrite ou la conclusion verbale avec confirmation écrite, cet article 23, paragraphe 1, ajoute, à ses points b) et c), qu’une clause attributive de juridiction peut également être conclue, respectivement, sous une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ou, dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée (voir, par analogie, arrêt du 8 mars 2018, Saey Home & Garden, C‑64/17, EU:C:2018:173, point 31).

57

En effet, dans un tel cas, la conclusion d’une clause attributive de juridiction est jugée valable lorsqu’elle est faite dans une forme admise dans ce domaine que les parties connaissent ou sont censées connaître. Si cet assouplissement ne signifie pas pour autant qu’un accord de volontés entre parties ne doit pas nécessairement exister, la réalité du consentement des intéressés étant toujours l’un des objectifs de cette disposition, l’accord de volontés des parties sur la clause attributive de juridiction est toutefois présumé établi lorsqu’il existe à cet égard des usages commerciaux dans la branche considérée du commerce international, usages que ces parties connaissent ou sont censées connaître (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 1997, MSG, C‑106/95, EU:C:1997:70, points 16, 17 et 19, ainsi que du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, points 39 et 40).

58

En l’occurrence, il incombera, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier si une clause attributive de juridiction a été conclue entre les parties au principal sous une des formes visées à l’article 23, paragraphe 1, sous b) et c), de la convention de Lugano II.

59

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 23, paragraphes 1 et 2, de la convention de Lugano II doit être interprété en ce sens qu’une clause attributive de juridiction est valablement conclue lorsqu’elle est contenue dans des conditions générales auxquelles le contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d’un site Internet dont l’accès permet, avant la signature dudit contrat, de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer, sans que la partie à laquelle cette clause est opposée ait été formellement invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site Internet.

Sur les dépens

60

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

L’article 23, paragraphes 1 et 2, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

une clause attributive de juridiction est valablement conclue lorsqu’elle est contenue dans des conditions générales auxquelles le contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d’un site Internet dont l’accès permet, avant la signature dudit contrat, de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer, sans que la partie à laquelle cette clause est opposée ait été formellement invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site Internet.

 

Arastey Sahún

Biltgen

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 novembre 2022.

Le greffier

A. Calot Escobar

La présidente de chambre

M. L. Arastey Sahún


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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