EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62021CC0382

Conclusions de l'avocat général Mme T. Ćapeta, présentées le 13 juillet 2023.
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) contre The KaiKai Company Jaeger Wichmann GbR.
Pourvoi – Propriété intellectuelle – Dessins ou modèles communautaires – Traité de coopération en matière de brevets (TCB) – Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce – Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle – Article 4 – Règlement (CE) no 6/2002 – Article 41 – Demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle – Droit de priorité – Revendication de priorité fondée sur une demande internationale déposée en vertu du TCB – Délai – Interprétation conforme à l’article 4 de cette convention – Limites.
Affaire C-382/21 P.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:576

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 13 juillet 2023 ( 1 )

Affaire C‑382/21 P

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

contre

The KaiKai Company Jaeger Wichmann GbR

« Pourvoi – Propriété intellectuelle – Dessins ou modèles communautaires – Règlement (CE) no 6/2002 – Article 41, paragraphe 1 – Droit de priorité – Revendication de priorité fondée sur une demande internationale déposée au titre du traité de coopération en matière de brevets – Délai de priorité – Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle – Article 4 – Interprétation du droit de l’Union conforme au droit international – Effet direct des accords internationaux – Mécanisme d’admission préalable des pourvois – Affaire soulevant une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union »

I. Introduction

1.

La présente affaire trouve son origine dans le pourvoi formé par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) contre l’arrêt du 14 avril 2021, The KaiKai Company Jaeger Wichmann/EUIPO (Appareils et articles de gymnastique ou de sport) (T‑579/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:186).

2.

Par cet arrêt, le Tribunal a annulé la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 13 juin 2019 (affaire R 573/2019‑3), qui a refusé de reconnaître le droit de priorité dans la demande présentée par The KaiKai Company Jaeger Wichmann GbR (ci-après « KaiKai ») en vue de l’enregistrement en tant que dessins ou modèles communautaires des appareils de gymnastique et de sport en vertu du règlement (CE) no 6/2002 ( 2 ). La revendication de priorité de KaiKai était fondée sur une demande internationale antérieure déposée au titre du traité de coopération en matière de brevets ( 3 ).

3.

Formellement, le présent pourvoi n’est fondé que sur un moyen, tiré d’une violation de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 par le Tribunal. Toutefois, les arguments avancés par l’EUIPO soulèvent des questions importantes concernant la relation entre les accords internationaux liant l’Union européenne et le droit dérivé de l’Union, ainsi que les compétences et obligations pertinentes des juridictions de l’Union à cet égard. Le présent pourvoi soulève également la question de l’interprétation d’une convention internationale, en l’occurrence la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ( 4 ).

4.

Ce sont les raisons pour lesquelles le présent pourvoi a été admis dans le cadre du mécanisme d’admission préalable des pourvois (ci‑après le « mécanisme de filtrage des pourvois ») instauré par l’article 58 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ( 5 ). Il s’agit du premier pourvoi ainsi admis par la Cour depuis l’instauration de ce mécanisme le 1er mai 2019. Les pourvois concernés par ce mécanisme peuvent être admis seulement lorsqu’ils soulèvent une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union ( 6 ).

5.

Après avoir brièvement expliqué le contexte de la présente affaire (partie II), je dirai quelques mots sur le mécanisme de filtrage des pourvois et sur les raisons pour lesquelles le présent pourvoi méritait d’être admis (partie III). Je procéderai ensuite à l’analyse au fond des arguments soulevés par les parties (partie IV).

II. Les antécédents du litige

A.   Le cadre juridique

1. Le règlement no 6/2002

6.

L’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 dispose :

« Celui qui a régulièrement déposé une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle ou d’un modèle d’utilité dans ou pour l’un des États parties à la convention de Paris ou à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce [(OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994], ou son ayant cause, jouit, pour effectuer le dépôt d’une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire pour le même dessin ou modèle ou pour le même modèle d’utilité, d’un droit de priorité pendant un délai de six mois à compter de la date de dépôt de la première demande. »

2. La convention de Paris

7.

L’article 4, section A, paragraphe 1, de la convention de Paris prévoit :

« Celui qui aura régulièrement fait le dépôt d’une demande de brevet d’invention, d’un modèle d’utilité, d’un dessin ou modèle industriel, d’une marque de fabrique ou de commerce, dans l’un des [États parties à la convention de Paris], ou son ayant cause, jouira, pour effectuer le dépôt dans les autres pays, d’un droit de priorité pendant les délais déterminés ci-après. »

8.

L’article 4, section C, paragraphe 1, de la convention de Paris énonce :

« Les délais de priorité mentionnés ci-dessus seront de douze mois pour les brevets d’invention et les modèles d’utilité, et de six mois pour les dessins ou modèles industriels et pour les marques de fabrique ou de commerce. »

9.

L’article 4, section E, de la convention de Paris prévoit :

« 1)   Lorsqu’un dessin ou modèle industriel aura été déposé dans un pays en vertu d’un droit de priorité basé sur le dépôt d’un modèle d’utilité, le délai de priorité ne sera que celui fixé pour les dessins ou modèles industriels.

2)   En outre, il est permis de déposer dans un pays un modèle d’utilité en vertu d’un droit de priorité basé sur le dépôt d’une demande de brevet et inversement. »

B.   Les événements à l’origine de la procédure devant le Tribunal

10.

Le 24 octobre 2018, KaiKai a présenté à l’EUIPO, en vertu du règlement no 6/2002, une demande d’enregistrement multiple de douze dessins ou modèles communautaires. KaiKai a revendiqué la priorité sur la base de la précédente demande internationale PCT/EP2017/077469 qu’elle a déposée au titre du PCT le 26 octobre 2017.

11.

Appliquant l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, l’examinateur de l’EUIPO a accepté la demande multiple, mais a refusé la revendication de priorité au motif que la date de dépôt de la demande internationale de KaiKai dépassait le délai de six mois prévu par cette disposition.

12.

KaiKai a introduit un recours contre cette décision en considérant, en substance, que le délai de priorité applicable était de douze mois et non de six mois.

13.

Par décision du 13 juin 2019 dans l’affaire R 573/2019‑3, la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté ce recours. Elle a considéré, en substance, que l’examinateur avait correctement appliqué l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, selon lequel une demande internationale au titre du PCT pouvait être assimilée à une demande de modèle d’utilité et, partant, servir de fondement à une revendication de priorité pour un dessin ou modèle communautaire. Toutefois, cette priorité devait être revendiquée dans le délai requis de six mois, qui avait été dépassé dans la procédure engagée par KaiKai.

C.   La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

14.

Le 20 août 2019, KaiKai a formé devant le Tribunal un recours contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO. À l’appui de son recours, KaiKai a invoqué deux moyens, le premier tiré de la violation de formes substantielles et le second tiré de la violation du règlement no 6/2002.

15.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le second moyen de KaiKai et a annulé la décision de cette chambre de recours, sans se prononcer sur le premier moyen.

16.

Le Tribunal a constaté que c’est à juste titre que l’EUIPO a considéré qu’une demande internationale en vertu du PCT pouvait être invoquée pour revendiquer la priorité pour un dessin ou modèle communautaire en vertu de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Toutefois, l’EUIPO aurait commis une erreur en appliquant un délai de priorité de six mois, et non de douze mois, en l’espèce.

17.

Le Tribunal est parvenu à cette conclusion parce qu’il a considéré que la demande internationale de KaiKai au titre du PCT pouvait être qualifiée de « demande internationale de brevet », et non pas seulement de « modèle d’utilité ». Le Tribunal a ensuite observé que l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 est muet quant au délai de priorité découlant d’une demande de brevet ; il indique uniquement la durée du délai si la priorité est fondée sur une demande antérieure de dessin ou modèle ou d’un modèle d’utilité. Dans ce dernier cas, ce délai est de six mois. Afin de combler cette lacune législative, le Tribunal a jugé qu’il convenait de tenir compte de l’article 4 de la convention de Paris.

18.

Le Tribunal semble avoir considéré que la convention de Paris autorise des revendications de priorité entre différentes paires de droits de propriété intellectuelle. Ainsi, il est possible en vertu de la convention de Paris de fonder une revendication de priorité pour un dessin ou modèle industriel sur une demande antérieure de brevet. Le Tribunal a en outre considéré que le délai de priorité dans une telle affaire était de douze mois, étant donné que l’article 4, section C, paragraphe 1, de ladite convention prévoit que le délai de priorité pour les brevets est de douze mois.

19.

Pour le Tribunal, le délai de priorité pertinent pour la paire constituée d’un brevet antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur dépend du délai prévu pour les brevets dans la convention de Paris. Il en est ainsi parce que celle-ci établit une règle générale selon laquelle la nature du droit antérieur détermine la durée du délai de priorité. Selon l’interprétation du Tribunal, l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris, qui prévoit que le délai de priorité fixé pour le droit postérieur est déterminant si ce droit postérieur est un dessin ou modèle et que le droit antérieur est un modèle d’utilité, est une règle spéciale qui constitue une exception à cette règle générale.

20.

Par conséquent, le Tribunal a conclu que l’EUIPO avait commis une erreur en considérant que le délai de priorité applicable à la revendication de la priorité pour une demande internationale de brevet antérieure pour une demande de dessin ou modèle communautaire était de six mois.

D.   La procédure devant la Cour

21.

Le 23 juin 2021, l’EUIPO a introduit le présent pourvoi contre l’arrêt du Tribunal. Il demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de rejeter le recours introduit par KaiKai en première instance. Il demande également à la Cour de condamner KaiKai à l’intégralité des dépens.

22.

Le 23 juin 2021 également, l’EUIPO a présenté une demande d’admission du pourvoi, conformément à l’article 58 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 170 bis du règlement de procédure de la Cour.

23.

Par ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann (C‑382/21 P, EU:C:2021:1050), la Cour a admis le pourvoi.

24.

Dans son mémoire en réponse déposé le 25 février 2022, KaiKai a demandé à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner l’EUIPO à la totalité des dépens.

25.

Par décision du président de la Cour du 8 avril 2022, la Commission européenne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de l’EUIPO.

26.

En outre, l’EUIPO a déposé un mémoire en réplique le 30 mai 2022 et KaiKai un mémoire en duplique le 11 juillet 2022.

27.

Une audience s’est tenue le 13 mars 2023, au cours de laquelle l’EUIPO, KaiKai et la Commission ont présenté des observations orales.

III. Le mécanisme de filtrage des pourvois et son application en l’espèce

28.

Comme indiqué en introduction des présentes conclusions, il s’agit de la première affaire dans laquelle la Cour a admis un pourvoi dans le cadre du mécanisme de filtrage des pourvois ( 7 ). La nouveauté de cette procédure m’amène à formuler quelques observations sur ce mécanisme et son utilisation en l’espèce.

A.   Quelques observations sur le mécanisme de filtrage des pourvois

29.

Le mécanisme de filtrage des pourvois s’inscrit dans le contexte des réformes (toujours en cours) du pouvoir judiciaire de l’Union. L’idée découlait du fait que de nombreux pourvois sont formés dans des affaires qui ont déjà fait l’objet d’un double examen, d’une part, par une chambre de recours indépendante et, d’autre part, par le Tribunal, et que bon nombre de ces pourvois sont rejetés comme manifestement irrecevables ou manifestement non fondés. Ainsi, ce mécanisme a été adopté afin de permettre à la Cour de se concentrer sur les affaires qui requièrent toute son attention ( 8 ).

30.

Le mécanisme de filtrage des pourvois s’applique actuellement aux décisions d’une chambre de recours indépendante de quatre offices et organismes de l’Union (l’EUIPO, l’Office communautaire des variétés végétales, l’Agence européenne des produits chimiques et l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne), ainsi qu’aux décisions de toutes les chambres de recours indépendantes créées après le 1er mai 2019 au sein de tout autre office ou agence de l’Union ( 9 ). La récente proposition de la Cour, si elle est acceptée par le législateur de l’Union, appliquera ce mécanisme à un certain nombre d’autres offices, organes et agences de l’Union existants qui disposent d’une chambre de recours indépendante ( 10 ).

31.

Dans le cadre du mécanisme de filtrage des pourvois, la Cour n’admet le pourvoi, en tout ou en partie, que « lorsqu’il soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union » ( 11 ). La demande d’admission d’un pourvoi doit être présentée par le requérant au moyen d’un document séparé, annexé à celui-ci, qui doit expliquer l’importance de ce pourvoi pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union ( 12 ).

32.

Les règles de procédure pertinentes ne précisent pas ce qu’il faut entendre par une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union. C’est plutôt à la Cour qu’il appartient de le préciser dans la jurisprudence ( 13 ). En outre, le libellé de ces règles utilise « ou », et non « et » (« l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union »), ce qui permet l’admission d’un pourvoi même si un ou deux de ces aspects, mais non pas tous, sont en jeu.

33.

Cette formulation ouverte suggère que la Cour dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider si elle estime qu’un pourvoi donné soulève une question qu’elle considère comme importante pour le développement global de l’ordre juridique de l’Union.

34.

À cet égard, à titre de réflexion comparative, je me rappelle, par exemple, les règles relatives au mécanisme de certiorari de la Cour suprême des États-Unis, par lequel il est demandé à celle-ci de contrôler les décisions des juridictions inférieures en matière de droit fédéral. Généralement, la Cour suprême des États-Unis ne décide d’examiner de telles affaires que lorsqu’elles pourraient être d’importance nationale, harmoniser des décisions contradictoires ou avoir une valeur de précédent ( 14 ).

35.

La règle 10 de la Cour suprême des États-Unis, intitulée « Considérations régissant le certiorari » ( 15 ), explique que le contrôle sur demande de certiorari n’est pas une question de droit, mais de pouvoir discrétionnaire du juge, et n’est accordé que pour des raisons impérieuses. Cette règle énumère certains éléments qui peuvent être pris en considération, mais qui « ne déterminent pas entièrement le pouvoir discrétionnaire de la Cour suprême ni n’en donnent la mesure » ( 16 ).

36.

À mon sens, le mécanisme de filtrage des pourvois peut être compris comme une sorte de « certiorari de l’Union ». Il est là pour corriger non pas toutes les erreurs commises par le Tribunal, mais uniquement celles qui revêtent une importance considérable. C’est pourquoi il ne doit être utilisé que si la décision de la Cour peut avoir une incidence fondamentale sur l’ordre juridique de l’Union ( 17 ).

37.

Le mécanisme de filtrage des pourvois met en évidence la fonction de la Cour en tant que Cour suprême et constitutionnelle de l’Union ( 18 ). En effet, il implique la Cour dans des affaires de « type constitutionnel » revêtant de l’importance pour l’Union, nécessitant une interprétation des principes constitutionnels fondamentaux du droit de l’Union ainsi que la répartition horizontale et verticale des compétences.

38.

À mon sens, le mécanisme de filtrage des pourvois renforce également le rôle du Tribunal. Dans tous les cas où la Cour n’admet pas le pourvoi, le Tribunal devient la juridiction de dernier ressort pour les affaires opposant des particuliers aux autorités de l’Union dans un certain nombre de domaines (dont la propriété intellectuelle), de sorte que l’interprétation du droit applicable par le Tribunal est contraignante dans l’ensemble de l’Union.

B.   Questions justifiant l’admission du présent pourvoi

39.

Il résulte de l’ordonnance d’admission du pourvoi ( 19 ) que l’arrêt attaqué, non seulement est susceptible d’avoir valeur de précédent pour des affaires futures concernant des droits de priorité, mais aussi soulève des questions importantes pour le droit des relations extérieures de l’Union et la répartition horizontale des compétences entre les juridictions et les autres institutions de l’Union. Par conséquent, la Cour a jugé que le présent pourvoi soulève des questions importantes pour l’unité, la cohérence « et » le développement du droit de l’Union.

40.

Selon moi, la présente affaire soulève deux ensembles de questions qui justifient son admission au moyen du mécanisme de filtrage des pourvois.

41.

Le premier ensemble de questions concerne l’applicabilité devant les juridictions de l’Union des accords internationaux liant celle-ci. Plus précisément, une question concerne la relation entre l’effet direct et l’effet interprétatif de ces accords. En l’espèce, l’EUIPO fait valoir que le Tribunal a comblé une lacune (non existante) dans la législation pertinente de l’Union (règlement no 6/2002) en donnant un effet direct à la convention de Paris (dont il a fait une interprétation erronée). Selon l’EUIPO, la convention de Paris n’a pas d’effet direct dans l’ordre juridique de l’Union. Dans le même temps, l’EUIPO ne nie pas son éventuel effet interprétatif. C’est pourquoi la Cour est invitée à préciser quand un accord international a un effet direct et s’il peut avoir un effet interprétatif lorsqu’il est dépourvu d’effet direct.

42.

Une autre question se pose s’agissant de l’applicabilité des accords internationaux, elle concerne les limites de l’interprétation conforme et la question de savoir si ces limites sont les mêmes lorsqu’il s’agit d’une interprétation du droit de l’Union conforme avec les accords internationaux et lorsqu’il s’agit d’une interprétation conforme du droit national avec le droit de l’Union. Cette question a été introduite par les allégations de l’EUIPO selon lesquelles le Tribunal aurait outrepassé la limite contra legem. Partant, la présente affaire invite la Cour à décider si la constatation d’une lacune dans une disposition du droit de l’Union est une méthode d’interprétation conforme.

43.

Le second ensemble de questions justifiant l’admission du pourvoi a trait à l’interprétation de la convention de Paris. En l’espèce, l’EUIPO fait valoir que le Tribunal a fait une interprétation erronée de cette convention. La convention de Paris ne prévoit pas de droit de priorité pour une demande ultérieure de dessin ou modèle sur la base d’une demande de brevet antérieure. Elle ne contient pas non plus de règle générale selon laquelle le délai de priorité dépend de la nature du droit antérieur. Cela pose la question de savoir ce qui doit guider la Cour dans l’interprétation de la convention de Paris et d’autres accords internationaux.

IV. Analyse

44.

L’EUIPO, soutenu par la Commission, soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Ce moyen unique est divisé en trois branches. Selon la première, le Tribunal a interprété le règlement no 6/2002 contra legem. Selon la deuxième, le Tribunal a attribué un effet direct à la convention de Paris, en violation du droit de l’Union. Selon la troisième, le Tribunal a fait une interprétation erronée de la convention de Paris et du PCT.

45.

Les deux premières branches du moyen de l’EUIPO portent sur l’applicabilité de la convention de Paris devant les juridictions de l’Union, que j’aborderai dans la section A). Pour les besoins de mon argumentation, je les traiterai dans l’ordre inverse. J’aborderai ensuite, dans la section B), l’interprétation de cette convention.

A.   Applicabilité de la convention de Paris devant les juridictions de l’Union

46.

À titre liminaire, il convient de préciser qu’une règle juridique peut être appliquée dans une affaire de différentes manières ( 20 ). Elle peut être utilisée pour résoudre directement certaines situations de fait, sans qu’il soit nécessaire d’appliquer d’autres règles, voire en écartant d’autres règles qui font obstacle à la règle à appliquer. En droit de l’Union, cela est appelé « effet direct ». Une règle peut également être appliquée indirectement, si, par exemple, elle sert de guide pour l’interprétation d’une autre règle à appliquer. En droit de l’Union, cela est appelé « effet indirect » ou « interprétatif ». Pour les considérations énoncées dans les points suivants des présentes conclusions, il importe de reconnaître que les deux aboutissent au même résultat. Par exemple : si un litige est résolu directement sur la base d’une directive, le résultat est le même que si le même litige est résolu sur la base d’une règle nationale interprétée conformément à cette directive.

47.

L’EUIPO et la Commission soutiennent que la convention de Paris n’a pas d’effet direct. Ni l’un ni l’autre n’excluent la possibilité de son effet interprétatif, mais ils considèrent que cela n’est pas possible en l’espèce, car cela nécessiterait une interprétation contra legem du règlement no 6/2002. Dans la première partie de cette analyse, je défendrai la thèse selon laquelle un accord international est soit applicable (que ce soit directement ou indirectement) devant les juridictions de l’Union, soit inapplicable (que ce soit directement ou indirectement). Je suis d’avis que la convention de Paris est applicable, raison pour laquelle, dans la seconde partie de l’analyse, j’examinerai la question soulevée par l’EUIPO concernant les limites de l’interprétation conforme.

1. Effet direct et effet interprétatif de la convention de Paris

48.

L’EUIPO, soutenu par la Commission, reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en substituant à l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 les dispositions (interprétées de manière erronée) de la convention de Paris. Cela reviendrait à reconnaître l’effet direct de l’article 4 de la convention de Paris, ce qui irait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour. L’absence d’effet direct de la convention de Paris découlerait également de son article 25 et, en tout état de cause, les conditions de l’effet direct (inconditionnelles et suffisamment précises) ne seraient pas remplies.

49.

KaiKai ne parle pas de l’éventuel effet direct de la convention de Paris, mais soutient que le Tribunal n’a reconnu l’effet interprétatif de cette convention que lorsqu’il a comblé la lacune de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 par référence à l’article 4 de ladite convention.

50.

Quel effet un accord international, tel que la convention de Paris, peut-il avoir devant les juridictions de l’Union ?

51.

Tout d’abord, la question de savoir comment un accord international peut être appliqué dans l’Union ne se pose que si cet accord fait partie de l’ordre juridique de l’Union. Un accord international forme, en principe, partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union si l’Union y est partie ( 21 ). Une fois intégré à l’ordre juridique de l’Union, un accord international lie les institutions de l’Union et les États membres ( 22 ) et bénéficie de la primauté sur le droit dérivé de l’Union ( 23 ).

52.

L’Union n’est pas partie à la convention de Paris. Tous les États membres de l’Union y sont parties, mais cela ne signifie pas en soi que la convention de Paris fait également partie de l’ordre juridique de l’Union et lie ses institutions.

53.

Toutefois, l’Union est partie à l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’« accord sur les ADPIC ») ( 24 ). L’accord sur les ADPIC lui-même ne réglemente pas les droits de priorité. Au contraire, son article 2, paragraphe 1, dispose :

« Pour ce qui est des Parties II, III et IV du présent accord, les Membres se conformeront aux articles 1er à 12 et à l’article 19 de la [c]onvention de Paris (1967). »

54.

On pourrait ainsi conclure que l’Union doit reconnaître les droits de priorité comme le fait la convention de Paris ( 25 ). Par conséquent, l’Union est devenue liée par l’article 4 de la convention de Paris, qui est pertinent en l’espèce, par les obligations qui lui incombent en vertu de l’accord sur les ADPIC ( 26 ).

55.

Cela ne répond toujours pas à la question de savoir si une partie, telle que KaiKai, peut invoquer devant les juridictions de l’Union l’article 4 de la convention de Paris, directement ou aux fins d’interpréter le droit de l’Union applicable.

56.

L’effet direct d’une disposition légale dépend non seulement de la clarté de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit. Ainsi, selon une jurisprudence constante, la Cour a considéré qu’une disposition d’une directive, même suffisamment précise et inconditionnelle, ne saurait avoir d’effet direct pour résoudre un litige entre particuliers ( 27 ).

57.

De même, l’effet direct d’un accord international dépend non seulement de la clarté des dispositions destinées à conférer des droits aux particuliers, mais également de la nature de l’accord en cause ( 28 ).

58.

De manière similaire, les traités ne s’opposent pas à ce que des accords internationaux se voient reconnaître un effet direct. La Cour a, par exemple, reconnu l’effet direct d’un certain nombre d’accords d’association, et ce que leur fonction soit de préparer un État à l’adhésion future à l’Union ( 29 ) ou non ( 30 ). La Cour a également reconnu l’effet direct d’autres accords bilatéraux, tels que l’accord « ciel ouvert » avec les États-Unis ( 31 ), ainsi que de certaines dispositions d’accords multilatéraux, tels que les conventions de Yaoundé et de Lomé ( 32 ) ainsi que le protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique ( 33 ).

59.

En revanche, la nature des accords de l’OMC, et non leur formulation peu claire, constituait le principal motif de la jurisprudence qui a exclu, en principe, leur effet direct ( 34 ).

60.

À la lumière de la jurisprudence relative au système de l’OMC, la Cour a également considéré que, en principe, l’accord sur les ADPIC n’avait pas d’effet direct ( 35 ).

61.

Étant donné que certaines dispositions de la convention de Paris sont devenues partie intégrante du droit de l’Union et lient cette dernière par l’intermédiaire de l’accord sur les ADPIC, il est possible de conclure que ces dispositions, en principe, ne devraient pas non plus se voir reconnaître un effet direct.

62.

La nature des accords de l’OMC, que la Cour avait à l’esprit lorsqu’elle a écarté, en principe, leur effet direct, se rapportait à la flexibilité et à la réciprocité des obligations que l’Union a contractées envers les autres parties contractantes. Le système de l’OMC est flexible en ce sens que ses dispositions pourraient être contournées et autorisent différentes solutions négociées pour résoudre le différend qui en découle ( 36 ). Cette flexibilité permet aux institutions politiques de l’Union, comme c’est le cas pour les autres parties contractantes aux accords de l’OMC, d’opter pour des solutions que la Cour pourrait juger non conformes aux exigences de l’OMC. Afin de laisser une telle marge de manœuvre politique, la Cour a considéré qu’elle ne devait pas contrôler la validité de la réglementation de l’Union au regard du droit de l’OMC. Au lieu d’exprimer ce choix comme une sorte d’autolimitation délibérée visant à respecter la répartition des compétences au sein de l’OMC, la Cour a utilisé la notion juridique d’« effet direct ». Toutefois, à mon avis, le refus de reconnaître, en principe, l’effet direct du droit de l’OMC visait non pas à priver les particuliers de la possibilité d’invoquer des accords internationaux devant le juge, mais plutôt à laisser une marge de manœuvre politique aux institutions de l’Union ( 37 ).

63.

Néanmoins, la Cour a exercé son pouvoir de contrôle juridictionnel de la réglementation de l’Union au regard du droit de l’OMC lorsqu’elle a considéré que le législateur de l’Union n’avait pas l’intention de faire usage de la flexibilité politique que permet le système de l’OMC. Dans une telle situation, le contrôle juridictionnel ne porterait pas atteinte au pouvoir d’appréciation politique nécessaire au niveau de l’OMC ( 38 ).

64.

Par conséquent, il est possible de distinguer deux situations différentes dont dépend l’applicabilité directe du droit de l’OMC. La première situation, représentée notamment par l’affaire ayant conduit à l’arrêt Nakajima/Conseil ( 39 ), est celle où la Cour considère que la législation pertinente de l’Union a été adoptée en vue de l’application d’un engagement fondé sur l’OMC. L’expression « en vue de l’application » désigne non seulement une situation dans laquelle une obligation dans le cadre de l’OMC nécessite une mise en œuvre plus poussée, mais englobe également les situations dans lesquelles le législateur de l’Union a décidé d’aligner sa législation (existante ou nouvelle) sur ses engagements dans le cadre de l’OMC. La seconde situation, représentée notamment par l’affaire ayant conduit à l’arrêt Commission/Rusal Armenal ( 40 ), est celle où la Cour considère qu’il est possible que le législateur de l’Union ait voulu adopter une solution spécifique de l’Union, nonobstant ses obligations dans le cadre de l’OMC. Cela ne signifie pas que la solution de l’Union n’est pas conforme au droit de l’OMC, mais seulement qu’elle est adoptée sans tenter de s’adapter aux obligations de l’OMC.

65.

Les deux situations s’excluent mutuellement. En d’autres termes, comme je l’ai déjà indiqué par ailleurs ( 41 ), c’est soit l’arrêt Nakajima, soit l’arrêt Rusal Armenal qui s’applique.

66.

En l’espèce, la Commission fait valoir qu’il ne saurait être déduit de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 que le législateur de l’Union a entendu faire de l’article 4 de la convention de Paris une norme de l’Union pour les délais de priorité pouvant être invoqués pour l’application des dessins ou modèles communautaires ( 42 ). Au contraire, l’Union aurait adopté sa propre solution : lors d’une demande d’obtention d’un dessin ou modèle communautaire, une personne peut se prévaloir d’un droit de priorité fondé sur une demande antérieure de dessin ou modèle ou de modèle d’utilité pendant la période de six mois. Ainsi, comme le fait valoir l’EUIPO, le législateur de l’Union aurait délibérément exclu tout autre type de demande antérieure, y compris une demande de brevet. Selon lui, cette solution est conforme à la convention de Paris, mais même si tel n’était pas le cas, cela importerait peu, puisqu’elle exprime la volonté claire du législateur de l’Union, et la Cour irait à son encontre si elle appliquait une solution différente. En d’autres termes, nous serions dans une situation du type de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Rusal Armenal, et non dans une situation du type de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Nakajima. Il n’y aurait donc aucune raison de reconnaître l’effet direct de la convention de Paris.

67.

Je ne partage pas ce point de vue. Il convient d’interpréter l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 comme une expression traduisant la volonté du législateur de l’Union de l’aligner sur l’article 4 de la convention de Paris. Premièrement, le libellé de l’article 41 du règlement no 6/2002 est quasi identique à celui de l’article 4 de la convention de Paris, ce qui a été reconnu par la Cour ( 43 ). Cela suggère une intention du législateur d’aligner le règlement no 6/2002 sur cet accord international ( 44 ). Deuxièmement, l’inclusion d’un modèle d’utilité, à côté d’un dessin ou modèle, semble exprimer la volonté du législateur de l’Union de donner effet à l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris. Cela semble également résulter des travaux préparatoires ayant conduit au règlement no 6/2002, dans lesquels la Commission a modifié sa proposition initiale en vue de l’adapter à l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris ( 45 ).

68.

Compte tenu de ce qui précède, j’estime que, dans les circonstances de l’espèce, la nature de la convention de Paris introduite dans le droit de l’Union par l’intermédiaire de l’accord sur les ADPIC ne fait pas obstacle à son effet direct. Par l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, le législateur de l’Union a entendu aligner le droit des dessins ou modèles de l’Union sur la convention de Paris en ce qui concerne l’existence et la durée des droits de priorité. Partant, la présente affaire est comparable à la situation de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Nakajima, et non à celle de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Rusal Armenal.

69.

Je ne partage pas non plus les arguments avancés par l’EUIPO et la Commission selon lesquels l’article 25, paragraphe 1, de la convention de Paris ferait obstacle à son effet direct. Cette disposition, intitulée « Application de la Convention sur le plan national », est libellée comme suit : « [t]out pays partie à la présente Convention s’engage à adopter, conformément à sa constitution, les mesures nécessaires pour assurer l’application de la présente Convention ». À mon sens, cette disposition requiert simplement que les parties contractantes fassent ce qui est nécessaire en vertu de leurs constitutions. Pour les pays dont le choix constitutionnel concernant les rapports de leurs ordres juridiques avec le droit international est principalement dualiste, cela peut impliquer de transformer la convention de Paris en source de droit interne afin de lui donner effet. Cependant, comme je l’ai déjà expliqué, les traités n’excluent pas, en principe, l’effet direct des accords internationaux qui lient l’Union. Alors que certaines dispositions de la convention de Paris pourraient en effet exiger des choix supplémentaires de la part du législateur de l’Union, les dispositions qui ne le font pas peuvent avoir un effet direct. Ainsi, étant donné que le législateur de l’Union n’a pas entendu se prévaloir du caractère flexible de l’accord sur les ADPIC, mais a choisi d’aligner sa législation sur les droits de priorité sur les solutions offertes par la convention de Paris, l’effet direct de ces règles de la convention de Paris est subordonné au respect des critères habituels requérant que ces règles soient suffisamment précises et inconditionnelles. J’aborderai l’interprétation des règles pertinentes de la convention de Paris aux points 94 à 140 des présentes conclusions.

70.

À ce stade, il est nécessaire d’aborder une autre question. KaiKai soutient que, en comblant une lacune législative, le Tribunal a accordé non pas un effet direct, mais plutôt un effet interprétatif, à la convention de Paris. À cet égard, je suis d’accord avec KaiKai. Par conséquent, l’argument de l’EUIPO selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit parce qu’il a accordé un effet direct à la convention de Paris (interprétée de manière erronée) doit être rejeté, non pas parce que cette convention n’a pas d’effet direct en l’espèce, mais parce que le Tribunal ne l’a pas appliquée directement et l’a utilisée à des fins interprétatives.

71.

Même si l’EUIPO rejette la possibilité de l’effet direct de la convention de Paris, il ne s’oppose pas à son éventuel effet interprétatif. Cela appelle la question suivante.

72.

Si, en effet, comme le soutiennent l’EUIPO et la Commission, nous sommes dans une situation du type de celle de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Rusal Armenal et si l’on ne saurait reconnaître un effet direct à la convention de Paris afin de sauvegarder la marge de manœuvre politique laissée aux institutions de l’Union en vertu de l’accord sur les ADPIC, y compris la possibilité de s’écarter des exigences de la convention de Paris lors de la réglementation des dessins et modèles communautaires, pourquoi donc la Cour devrait-elle s’efforcer d’interpréter la législation pertinente de l’Union en conformité avec la convention de Paris ?

73.

Comme je l’ai rappelé au point 46 des présentes conclusions, si la Cour interprète avec succès une réglementation de l’Union en conformité avec un accord international, le résultat revient à donner un effet direct à cet accord. Dès lors que la Cour a refusé de reconnaître un effet direct en vue de préserver la marge de manœuvre politique des institutions de l’Union pour s’écarter d’une obligation internationale, les mêmes raisons plaident en faveur d’une renonciation à une interprétation conforme.

74.

Lorsqu’elle s’impose aux juridictions nationales, l’obligation d’interprétation conforme est une obligation de portée générale d’interpréter dans toute la mesure du possible le droit national pour parvenir au résultat requis par le droit de l’Union par l’interprétation du droit national ( 46 ). Elle requiert une interprétation conforme non seulement du droit national adopté aux fins de la mise en œuvre du droit de l’Union (généralement une directive), mais également de tout autre droit national, tant antérieur que postérieur ( 47 ).

75.

Transposée à la relation entre la législation de l’Union et les accords internationaux, cela signifierait que l’obligation d’interprétation conforme s’appliquerait à l’ensemble de la législation de l’Union, qu’elle soit adoptée spécifiquement pour la mise en œuvre d’un engagement international, ou non. En d’autres termes, les juridictions de l’Union auraient l’obligation d’interpréter la législation de l’Union en conformité avec un accord international, non seulement dans une situation du type de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Nakajima, mais également dans une situation du type de celle de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Rusal Armenal. Si une telle obligation d’interpréter dans toute la mesure du possible la réglementation de l’Union dans le même sens que celui requis par un accord international était imposée au juge de l’Union malgré l’exclusion de principe de l’effet direct, cela irait à l’encontre de la finalité de cette exclusion.

76.

Appliqué à la présente affaire, si le motif de l’exclusion de l’effet direct de la convention de Paris est de permettre au législateur de l’Union d’exclure une demande antérieure de brevet en tant que fondement de la revendication de droits de priorité pour un dessin ou modèle communautaire ultérieur, alors, insister pour que la Cour interprète néanmoins le règlement no 6/2002 pour parvenir à un tel résultat n’a pas beaucoup de sens.

77.

Par conséquent, si la Cour ne partage pas mon appréciation selon laquelle la convention de Paris peut avoir un effet direct en l’espèce parce que le législateur de l’Union n’a pas entendu aligner le règlement no 6/2002 sur cette convention, mais a adopté une solution spécifique de l’Union (qui peut ou non être conforme à la convention de Paris), elle devrait constater que le Tribunal a commis une erreur de droit rien qu’en tentant une interprétation conforme. À mon avis, tant l’effet direct que l’obligation d’interprétation conforme sont exclus dans une situation du type de celle de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Rusal Armenal. La recherche d’une lacune dans la législation de l’Union afin de combler celle-ci par une solution conforme à la convention de Paris devrait, dans ce cas, être exclue. Comme je le montrerai dans la section suivante des présentes conclusions, l’interprétation conforme est une méthode d’interprétation spécifique qui impose de faire preuve de créativité afin d’atteindre un résultat requis par la règle cible (en l’espèce, l’article 4 de la convention de Paris). Elle ne devrait donc être employée que dans une situation du type de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Nakajima.

78.

Cela m’amène à la branche suivante du moyen invoqué par l’EUIPO, selon laquelle le Tribunal aurait dépassé les limites de l’interprétation conforme.

2. Limites à l’obligation d’interprétation conforme

79.

L’EUIPO fait valoir que le Tribunal a interprété contra legem l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Il aurait inséré le terme « brevet » et l’expression « douze mois » dans le libellé de cette disposition, alors que le libellé univoque de celle-ci n’admettrait que les dessins et modèles d’utilité et un délai de priorité de six mois.

80.

KaiKai conteste le caractère exhaustif de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Selon elle, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu qu’il y avait une lacune devant être comblée et que cette disposition ne contient pas de règles spécifiques relatives à la durée du délai de priorité fondé sur une demande de brevet. C’est pourquoi KaiKai a souligné lors de l’audience qu’il n’y a pas d’interprétation contra legem en l’espèce ; l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 n’exclurait pas, par son libellé, que d’autres types de droits de propriété intellectuelle puissent servir de fondement au droit de priorité.

81.

En matière interne, en commençant par l’arrêt Pupino ( 48 ), la Cour a admis une limitation contra legem à l’obligation des juridictions nationales de trouver des solutions conformes au droit de l’Union. La Cour n’a pas encore précisé le sens de cette limite. Toutefois, l’EUIPO semble la comprendre en ce sens que les juridictions ne peuvent pas remettre en cause le résultat imposé expressément et sans ambiguïté par le libellé ( 49 ).

82.

Dans cette optique, l’EUIPO fait valoir que le législateur de l’Union a réglementé exhaustivement et expressément les situations dans lesquelles il est possible de revendiquer un droit de priorité pour la demande ultérieure d’un dessin ou modèle communautaire ; les demandes de brevet n’en feraient pas partie ( 50 ). Il n’y aurait pas de lacune réglementaire dans cette disposition. En constatant une telle lacune législative, le Tribunal aurait procédé à une interprétation contra legem de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

83.

Le point de savoir si la constatation d’une telle lacune est contra legem dépend, selon moi, du contexte d’interprétation dans lequel une juridiction opère. Si la convention de Paris liant l’Union par l’intermédiaire de l’accord sur les ADPIC n’existait pas ou était dénuée de pertinence ( 51 ), le Tribunal n’aurait aucune raison de considérer qu’elle comporte une lacune législative. Toutefois, la constatation d’une lacune législative pourrait constituer une solution dans le contexte d’une interprétation conforme à la convention de Paris. L’interprétation conforme est une interprétation qui vise non seulement à choisir un sens d’une disposition, mais également à trouver une solution spécifique correspondant aux exigences de la règle cible.

84.

Sur la base du libellé de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, l’EUIPO fait valoir que les demandes de brevet sont exclues de manière claire et non équivoque en tant que base valable d’un droit de priorité au titre de cette disposition. Est-ce vraiment le cas ? En effet, comme l’affirme KaiKai, aucune disposition du règlement no 6/2002 n’exclut expressément une demande de brevet. Si la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, le niveau d’ambiguïté est dans l’œil de celui qui interprète.

85.

En effet, l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 n’inclut expressément que deux types de demandes antérieures : i) de demandes de dessin ou modèle ; et ii) de modèle d’utilité. Lu isolément, cela ne donne aucune raison de penser que le législateur de l’Union a « oublié » de réglementer les demandes de brevet antérieures.

86.

Toutefois, si le règlement no 6/2002 est replacé dans le contexte des engagements pris par l’Union au titre de la convention de Paris, tels qu’acceptés par l’accord sur les ADPIC, et si cette convention est comprise comme exigeant la possibilité d’utiliser un droit de priorité pour une demande de dessin ou modèle sur la base d’une demande de brevet antérieure, l’interprétation change. L’absence de mention des brevets semble, dans un tel contexte, être une omission du législateur de l’Union. Dans le cadre de l’interprétation conforme, une juridiction est tenue de corriger les oublis possibles du législateur. Ainsi, le Tribunal ne devrait pas être empêché de constater une lacune législative fondée sur la prétendue exigence de la convention de Paris de permettre la paire constituée d’un brevet antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur. À mon sens, la technique consistant à trouver une lacune est acceptable dans le cadre de l’interprétation conforme.

87.

Cela semble, à tout le moins, être le cas de questions internes d’interprétation du droit national conforme au droit de l’Union. Comme je l’ai déjà exposé au point 74 des présentes conclusions, l’obligation d’interprétation conforme dans des situations internes qui s’impose aux juridictions nationales revêt une portée considérable. Dans ce contexte, la Cour n’a pas facilement retenu les positions des juridictions nationales selon lesquelles une interprétation différente du droit national serait contra legem. La Cour a demandé aux juridictions nationales d’être plus créatives que dans leur jurisprudence nationale afin d’atteindre le résultat visé ( 52 ), voire de s’écarter de la jurisprudence constante interprétant la règle nationale en cause ( 53 ). La créativité requise inclut la technique consistant à trouver une lacune ( 54 ).

88.

Toutefois, les juridictions de l’Union devraient-elles recourir au même niveau de créativité lorsqu’elles sont tenues d’interpréter la législation de l’Union en conformité avec les engagements internationaux de l’Union ?

89.

La Cour a justifié de la manière suivante l’obligation d’interprétation conforme dans des situations internes. Les juridictions nationales, en tant que juridictions des États membres, sont tenues par l’obligation de loyauté exprimée aujourd’hui à l’article 4, paragraphe 3, TUE et appelée « principe de coopération loyale » ( 55 ). Ainsi, les juridictions nationales sont tenues d’aboutir aux résultats requis par le droit de l’Union, dans le cadre de leurs compétences, à savoir l’interprétation du droit. En outre, en raison de la même obligation de loyauté, un État membre, en sa qualité de législateur, devrait être supposé ne pas avoir l’intention de violer le droit de l’Union. Il est possible de déduire de cela que, sauf indication expresse contraire, toute législation nationale, antérieure et postérieure au droit de l’Union, est conforme à ce dernier ( 56 ). Pour les juridictions nationales, cela signifie qu’elles ne contreviennent pas à la volonté du législateur si elles interprètent le droit national en conformité avec le droit de l’Union.

90.

Même si, selon l’article 216, paragraphe 2, TFUE ou le principe international pacta sunt servanda, l’Union est liée par ses obligations internationales, cela ne repose pas sur la même obligation de loyauté de nature constitutionnelle ( 57 ) qui existe pour les États membres conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE. Une présomption selon laquelle le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention de violer les engagements internationaux de l’Union ne saurait être aussi solide que la même présomption dans des situations internes.

91.

Cela peut justifier de considérer que l’obligation d’interprétation conforme du droit de l’Union avec les accords internationaux a une portée moindre. À cet égard, la technique consistant à trouver une lacune pourrait plus facilement être qualifiée d’« interprétation contra legem » en l’absence de preuve claire de la volonté du législateur de l’Union de respecter les engagements internationaux de l’Union. En tout état de cause, la limite à l’interprétation conforme, que constitue l’interprétation contra legem, est elle-même un objet d’interprétation dans chaque cas particulier.

92.

Étant donné que le législateur de l’Union a choisi des termes quasi identiques à ceux de la convention de Paris lorsqu’il a réglementé les droits de priorité en ce qui concerne les demandes de dessins ou modèles communautaires, et même s’il n’a expressément exprimé son intention de respecter les règles de priorité de cette convention nulle part dans le règlement no 6/2002, j’estime, comme je l’ai déjà énoncé au point 68 des présentes conclusions, que la présente affaire peut être assimilée à une situation du type de celle de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Nakajima. Pour cette raison, la constatation d’une lacune dans le règlement no 6/2002 serait justifiée et non pas une interprétation contra legem, si la convention de Paris exigeait effectivement clairement le délai de priorité de douze mois. C’est pourquoi le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a cherché à interpréter le règlement no 6/2002 conformément à la convention de Paris.

93.

Toutefois, selon moi, la convention de Paris ne contient pas une telle règle requérant un délai de priorité de douze mois, et encore moins une règle aussi claire, et le Tribunal a, dès lors, fait une interprétation erronée de cette convention. Cela m’amène à la dernière partie de mes conclusions.

B.   Interprétation de la convention de Paris

94.

Il y a deux questions principales d’interprétation de la convention de Paris sur lesquelles les parties sont en désaccord.

95.

Premièrement, l’EUIPO, soutenu par la Commission, fait valoir que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la convention de Paris permet de fonder une demande ultérieure de dessin ou modèle sur une demande de brevet antérieure. KaiKai soutient que le Tribunal a interprété correctement cette convention.

96.

Deuxièmement, l’EUIPO fait valoir que le Tribunal a conclu à tort que la convention de Paris établit une règle générale selon laquelle le droit antérieur détermine la durée du délai de priorité et dont l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris constitue une exception. Par conséquent, l’EUIPO estime que le Tribunal a commis une erreur en concluant que KaiKai pouvait bénéficier d’un délai de priorité de douze mois. KaiKai défend l’interprétation du Tribunal.

97.

À mon avis, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé que la convention de Paris admet une revendication de priorité fondée sur la paire constituée d’une demande antérieure de brevet et d’une demande ultérieure de dessin ou modèle. Toutefois, le Tribunal a commis une erreur de droit en reconnaissant un délai de priorité de douze mois lorsque la revendication de priorité d’un dessin ou modèle communautaire est fondée sur une demande de brevet antérieure.

98.

Avant d’exposer les raisons d’une telle interprétation de la convention de Paris, j’examinerai brièvement les méthodes que la Cour devrait utiliser pour interpréter un accord international tel que la convention de Paris.

1. Méthodes d’interprétation d’un accord international

99.

Le droit international, y compris le droit de l’OMC malgré l’existence de son mécanisme de règlement des différends, n’est pas doté d’une institution judiciaire habilitée à interpréter des dispositions d’accords internationaux avec le pouvoir de dernier juge liant tous les intéressés. Ainsi, contrairement à l’ordre juridique de l’Union, il est dépourvu d’un mécanisme garantissant une interprétation uniforme.

100.

La convention de Vienne sur le droit des traités ( 58 ), qui comporte des règles d’interprétation des accords internationaux, est un instrument permettant d’atténuer le problème de l’interprétation hétérogène des accords internationaux. Même si l’Union n’est pas partie à cette convention, les règles qu’elle énonce sont une codification du droit international coutumier ( 59 ), et l’Union devrait les appliquer lors de l’interprétation des accords internationaux ( 60 ).

101.

L’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne énonce les règles d’interprétation suivantes : « [u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». L’article 31, paragraphes 2 à 4, de cette convention fournit des précisions complémentaires, et l’article 32 énonce quelques règles d’interprétation supplémentaires.

102.

Selon moi, les règles d’interprétation de la convention de Vienne ne sont pas tellement différentes des méthodes d’interprétation habituelles utilisées par la Cour. Partant, lors de l’interprétation de la convention de Paris, la Cour devrait tout d’abord prendre en considération le libellé de celle-ci, le contexte et la finalité pour laquelle elle a été adoptée. Cependant, le point de départ devrait être le libellé, le contexte et la finalité de cet accord international lui-même, et non la manière dont l’Union l’a mis en œuvre. Ainsi, même si le législateur de l’Union a interprété de bonne foi la convention de Paris comme ne permettant pas la paire constituée d’un brevet antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur et que c’est la raison pour laquelle il a décidé de n’admettre que les dessins et modèles d’utilité antérieurs comme source de droits de priorité pour les dessins ou modèles communautaires, cela ne signifie pas que cette interprétation de la convention de Paris soit correcte ( 61 ).

103.

En gardant cela à l’esprit, je vais maintenant examiner les deux questions litigieuses.

2. Une demande de brevet antérieure en tant que source de droits de priorité pour une demande ultérieure de dessin ou modèle

a) Observations liminaires

104.

La protection de la propriété intellectuelle est territoriale, ce qui signifie qu’elle n’est valable que sur le territoire du pays (ou de la région) qui l’accorde. Pour les types de droits de propriété intellectuelle qui nécessitent un enregistrement afin de bénéficier de la protection, tels que les brevets, les modèles d’utilité et les dessins ou modèles, cela signifie que la protection ne sera valable que sur le territoire couvert par la juridiction de l’organisme d’enregistrement qui l’a approuvée.

105.

Quiconque souhaite protéger son invention, son dessin ou la marque sous laquelle le produit est vendu doit en demander la protection dans chaque pays ou région. Afin de pallier les problèmes liés à la territorialité de la protection de la propriété intellectuelle, la convention de Paris a instauré le système des droits de priorité. Elle n’élimine pas la nécessité de demander séparément une protection dans chaque territoire souhaité, mais elle permet de « gagner du temps » pour demander une telle protection avant que des concurrents potentiels ne puissent faire de même. Ce délai, appelé « délai de priorité », peut être de six ou douze mois et commence à courir à partir de la date à laquelle la première demande a été valablement déposée.

106.

Outre la territorialité, une autre complication de la protection de la propriété intellectuelle résulte des différences dans les types de droits de propriété intellectuelle. Les pays définissent différemment ce que l’on entend par un certain type de droit de propriété intellectuelle, et ils ne prévoient pas tous les mêmes types de droits de propriété intellectuelle. Ainsi, il semble que onze États membres de l’Union reconnaissent les modèles d’utilité comme une forme distincte de droit de propriété intellectuelle ( 62 ). En outre, des types similaires de droits de propriété intellectuelle sont souvent désignés par des noms différents. Par exemple, le type de protection le plus proche de ce qui est généralement appelé « dessin » ou « modèle » en Europe est appelé « design patent » (brevet de dessin ou modèle) aux États-Unis ( 63 ). Même l’expression « dessin ou modèle communautaire » n’est pas uniforme au niveau de l’Union. Ainsi, la version en langue anglaise du règlement no 6/2002 emploie l’expression « Community designs », alors que la version française parle de « dessins ou modèles communautaires » ( 64 ).

b) Une demande au titre du PCT

107.

Le PCT, en vertu duquel KaiKai a déposé la demande sur la base de laquelle elle a demandé à l’EUIPO de reconnaître un droit de priorité en l’espèce, représente un effort international visant à faciliter la vie des inventeurs.

108.

Le PCT est un accord international conclu en 1970 et entré en vigueur en 1978. Il compte actuellement 157 États signataires, dont l’ensemble des 27 États membres de l’Union, mais pas l’Union. Il s’agit d’un accord particulier relevant du champ d’application de la convention de Paris et administré par l’OMPI. Le PCT prévoit le dépôt d’une « demande internationale » de protection d’inventions ( 65 ). Une fois qu’une telle demande internationale est déposée, elle peut être comprise comme une demande de brevet, de modèle d’utilité et d’autres types de protection des inventions, tels que les certificats d’auteur d’invention et les certificats d’utilité ( 66 ). Après la phase internationale, qui ne peut pas aboutir à l’octroi de la protection, la personne qui a déposé une demande internationale doit entamer la phase nationale, au cours de laquelle elle demande la forme appropriée de protection dans chaque pays ou région séparément. L’objet d’une demande internationale est, notamment, de fixer une date de dépôt en vue de bénéficier de droits de priorité.

109.

L’EUIPO fait valoir que le raisonnement erroné du Tribunal commence par l’utilisation de l’expression « demande internationale de brevet », qui serait juridiquement inexistante. En effet, KaiKai a déposé une demande internationale au sens du PCT, et non une demande internationale de brevet. Comme je viens de l’expliquer, une telle demande internationale peut être comprise soit comme une demande de brevet, soit comme une demande de modèle d’utilité, mais tant qu’une telle décision n’est pas prise en déposant une demande nationale, une demande internationale se trouve dans un état de superposition quantique, de sorte qu’il s’agit en même temps d’une demande de brevet et d’une demande de modèle d’utilité.

110.

Selon moi, en utilisant l’expression « demande internationale de brevet », le Tribunal a voulu souligner que la demande de KaiKai peut être comprise comme une demande de brevet, même si elle peut également être une demande de modèle d’utilité. C’est précisément pour cette raison que le Tribunal a conclu que KaiKai bénéficiait d’un délai de priorité de douze mois. Pour revenir à la terminologie de la physique quantique, alors que, pour le Tribunal, l’effondrement de la demande internationale de KaiKai donne un brevet, pour l’EUIPO, il donne un modèle d’utilité. Il en serait de même si l’EUIPO parlait de « demande international de modèle d’utilité ». Dès lors, l’allégation de l’EUIPO selon laquelle le Tribunal aurait utilisé une expression inexistante est dénuée de pertinence.

c) Motifs incitant à interpréter la convention de Paris comme autorisant la paire constituée d’un brevet antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur

111.

La convention de Paris ne prévoit pas expressément la possibilité de fonder sur une demande de brevet antérieure un droit de priorité pour une demande ultérieure de dessin ou modèle. Toutefois, elle n’exclut pas une telle possibilité.

112.

Le libellé de l’article 4, section A, paragraphe 1, de la convention de Paris énumère différentes possibilités de premier dépôt (« demande de brevet d’invention, d’un modèle d’utilité, d’un dessin ou modèle industriel, d’une marque de fabrique ou de commerce ») et indique ensuite que, aux fins d’un dépôt ultérieur dans d’autres pays, une personne jouit d’un droit de priorité, sans toutefois préciser le type de demande. Cela peut aisément suggérer que l’une quelconque des possibilités de premier dépôt énumérées peut être la source de droits de priorité pour tout dépôt ultérieur.

113.

Par conséquent, le libellé de l’article 4, section A, paragraphe 1, de la convention de Paris n’est pas concluant. En effet, le contexte dans lequel s’inscrit cette convention, qui inclut la diversité des formes de droits de propriété intellectuelle dans le monde, plaide en faveur d’une interprétation qui n’attribue pas un rôle déterminant à la forme ou au nom d’un droit de propriété intellectuelle.

114.

L’EUIPO fait valoir que le Tribunal a interprété de manière erronée la règle générale de la convention de Paris relative à l’identité de l’objet. Selon l’EUIPO, chaque type de droit de propriété industrielle ne donne naissance qu’à un droit de priorité pour le même type de droit, tel qu’un brevet pour un brevet, un dessin ou modèle ou un modèle d’utilité pour un modèle d’utilité ( 67 ). Ainsi, sauf disposition expresse contraire, seul un dessin ou modèle antérieur peut donner naissance à un droit de priorité pour un dessin ou modèle communautaire ultérieur ; un brevet ne satisfait pas à cette règle.

115.

À mon sens, la règle relative à l’identité de l’objet peut être comprise en termes formels ou matériels. Dans le présent pourvoi, l’EUIPO semble l’utiliser dans son acception formelle, car il insiste sur l’identité de la forme de la demande antérieure et de la demande ultérieure ( 68 ).

116.

Toutefois, le guide d’application de la convention de Paris semble suggérer une acception matérielle de la règle relative à l’identité de l’objet. Ainsi, s’agissant de l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris, ce guide précise qu’« [il] arrive rarement qu’un dessin ou modèle industriel et un modèle d’utilité aient trait au même objet, étant donné qu’en principe le premier porte sur les aspects ornementaux d’un article industriel alors que le dernier a trait à sa nouveauté technique » ( 69 ). Cette référence au même objet semble impliquer la substance de l’idée nouvelle dont la protection est demandée, et non la forme sous laquelle elle est protégée.

117.

Il me semble que l’objectif de la convention de Paris d’atténuer le principe de territorialité en instaurant des droits de priorité dicte également une telle acception matérielle, plutôt que formelle, de la règle relative à l’identité de l’objet.

118.

C’est sans doute la perception qu’il pourrait y avoir un chevauchement substantiel entre l’objet de la protection sous différentes formes de droits de propriété industrielle qui a provoqué les modifications de la convention de Paris en 1925, avec l’introduction de l’article 4, section E, paragraphe 1, qui autorise expressément la paire consistant en un modèle d’utilité antérieur et un dessin ou modèle ultérieur.

119.

Si un chevauchement aussi important peut exister entre un modèle d’utilité et un dessin ou modèle, il peut également exister entre un brevet et un dessin ou modèle. Selon des documents institutionnels de l’Union, un modèle d’utilité est un droit enregistré qui confère une protection exclusive pour une invention technique, tout comme un brevet ; il ressemble à un brevet en ce que l’invention doit être nouvelle, mais souvent le niveau d’inventivité requis n’est pas aussi élevé que dans le cas des brevets. Contrairement aux brevets, les modèles d’utilité sont octroyés sans recherche préalable pour établir la nouveauté et le degré d’inventivité. Cela signifie que la protection peut être obtenue plus rapidement et à moindre coût, mais que la protection conférée est moins sûre ( 70 ). C’est pourquoi les modèles d’utilité ont été appelés, par exemple, « brevets de deuxième classe » ( 71 ), « inventions mineures » ( 72 ) ou « brevets nationaux de courte durée » ( 73 ).

120.

On peut se demander pourquoi la possibilité de se fonder sur une demande de brevet antérieure pour une demande ultérieure de dessin ou modèle n’a pas été expressément insérée dans le texte de la convention de Paris au moment où l’article 4, section E, paragraphe 1, a été introduit, afin de prévoir la possibilité de recourir à un modèle d’utilité. À mon sens, cela n’était pas nécessaire précisément parce que la paire constituée d’un brevet antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur était déjà possible en raison de la règle relative à l’identité de l’objet dans son acception matérielle. La raison de la mention expresse de la paire impliquant un modèle d’utilité et un dessin ou modèle peut s’expliquer par la relative nouveauté des modèles d’utilité dans la convention de Paris.

121.

À cet égard, il y a lieu de constater que la convention de Paris a été conclue dès 1883. À l’époque, le modèle d’utilité en tant que forme de protection d’une invention n’était pas traité. Il n’a été reconnu par cette convention qu’en 1911, sur la base de la révision de la conférence de Washington. Par la suite, l’article 4, section E, a été introduit dans cette convention en 1925, à la conférence de révision de La Haye ( 74 ). C’est pourquoi il était nécessaire de clarifier la manière dont les modèles d’utilité s’intégraient dans le système des droits prioritaires de la convention de Paris. En revanche, cela n’était pas nécessaire pour les brevets, car la convention de Paris les reconnaissait depuis le début comme une forme de droit de propriété industrielle. Par conséquent, la paire constituée d’un brevet antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur ne méritait pas de mention particulière lorsqu’il existait un chevauchement substantiel dans l’objet de la protection, car elle découlait déjà de la règle relative à l’identité de l’objet dans son acception matérielle.

122.

En résumé, compte tenu des similitudes entre les brevets et les modèles d’utilité, il ne peut être exclu que des chevauchements substantiels puissent également survenir entre une demande de brevet antérieure et une demande ultérieure de dessin ou modèle. Si l’on admet que la règle relative à l’identité d’objet est de nature matérielle, rien ne s’oppose à ce qu’un brevet puisse être utilisé comme source de droits de priorité pour un dessin ou modèle ultérieur de la même manière que cela est admis pour un modèle d’utilité. À mon avis, une telle possibilité n’est exclue par aucune des dispositions de la convention de Paris.

123.

C’est pourquoi j’estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a interprété la convention de Paris comme permettant l’utilisation d’une demande antérieure de brevet comme source de droits de priorité pour une demande ultérieure de dessin ou modèle, pour autant que l’objet des deux demandes soit matériellement le même.

3. Délai de priorité d’une demande ultérieure de dessin ou modèle sur la base d’une demande antérieure de brevet

124.

L’EUIPO fait valoir qu’il n’existe pas de règle générale inhérente à la logique de la convention de Paris ( 75 ), selon laquelle la durée du délai de priorité est déterminée par la nature du droit antérieur. Par conséquent, il soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant une telle règle.

125.

Sur ce point, je suis d’accord avec l’EUIPO.

126.

L’article 4, section C, paragraphe 1, de la convention de Paris accorde un délai de priorité de douze mois aux brevets et aux modèles d’utilité et un délai de priorité de six mois aux dessins et modèles industriels et aux marques de fabrique ou de commerce. Cette disposition ne précise pas si ce délai dépend du droit antérieur ou du droit ultérieur. Si les éléments d’une paire sont les mêmes, cette question est sans objet, ainsi que le fait valoir à juste titre l’EUIPO. Toutefois, elle devient pertinente si les paires sont hétérogènes, comme dans la combinaison d’un modèle d’utilité antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur ou dans celle d’un brevet antérieur et d’un dessin ou modèle ultérieur.

127.

Pour la première de ces deux situations, la convention de Paris offre une solution explicite à son article 4, section E, paragraphe 1, qui s’appuie sur la durée du délai de priorité accordé au droit ultérieur, à savoir le délai de six mois que l’article 4, section C, paragraphe 1, accorde aux dessins et modèles industriels. La convention de Paris est muette sur la seconde combinaison consistant en un brevet antérieur et un dessin ou modèle ultérieur.

128.

Même si le texte est silencieux sur ce point, le Tribunal a déduit de la prétendue règle générale, selon laquelle la nature du droit antérieur est déterminante pour déterminer la durée du délai de priorité, que le délai approprié pour cette seconde combinaison est de douze mois. Cela résulterait de l’article 4, section C, paragraphe 1, de la convention de Paris, qui accorde douze mois aux brevets.

129.

Le Tribunal a interprété l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris comme une exception à cette règle générale. Au contraire, l’EUIPO affirme que cette disposition de la convention de Paris est bien une exception, mais que le Tribunal n’a pas correctement identifié la règle générale à laquelle elle constitue une exception ( 76 ).

130.

Tout d’abord, le texte de la convention de Paris n’explique pas si le délai de priorité dépend de la nature du droit antérieur ou du droit ultérieur. Dans un tel cas, il convient d’envisager des méthodes d’interprétation supplémentaires, parmi lesquelles figure la prise en compte des travaux préparatoires.

131.

À cet égard, l’arrêt attaqué est révélateur. Le Tribunal a indiqué que les travaux préparatoires de la convention de Paris ont révélé que l’extension du délai de priorité des brevets de six à douze mois était motivée par le fait que, dans certains pays, notamment l’Allemagne, il était difficile de mener l’examen préliminaire de la demande de brevet dans le délai de six mois ( 77 ).

132.

Je comprends cette explication de la manière suivante. Afin de pouvoir apprécier la durée de la période de priorité, deux dates sont pertinentes : la date de dépôt du premier droit, à partir de laquelle ce délai commence à courir, et la date de dépôt du droit ultérieur, à laquelle ce délai expire. Si, en Allemagne, le dépôt pour un brevet ultérieur prend plus de six mois, il est impossible de bénéficier d’un dépôt antérieur lorsque le délai est de six mois à compter du premier dépôt. Cela signifie par exemple que si une personne déposait un brevet en France, elle ne serait pas en mesure de déposer le brevet ultérieur en Allemagne dans le délai de six mois. C’est la raison pour laquelle ce délai a été prolongé à douze mois. De cette manière, l’équilibre a été trouvé entre, d’une part, les intérêts des déposants qui demandent un droit de propriété industrielle et qui devraient pouvoir organiser l’extension internationale de ce droit dans les pays de l’Union dans un délai adéquat, en bénéficiant d’une priorité à compter de la date du premier dépôt et, d’autre part, les intérêts des tiers qui ne devraient pas se heurter à des délais de priorité trop longs pendant lesquels les droits qu’ils pourraient désirer acquérir pour les mêmes objets ne peuvent être valablement obtenus ( 78 ). En résumé, la prolongation du délai de priorité des brevets a été motivée par la durée des procédures de dépôt d’un brevet en tant que droit ultérieur dans certains pays.

133.

Par conséquent, je considère que c’est à tort que le Tribunal a conclu à l’existence d’une règle générale dans la convention de Paris selon laquelle la durée du délai de priorité dépend du premier dépôt. Il me semble plus logique que ce délai dépende du dépôt ultérieur.

134.

C’est pourquoi j’estime que la durée des délais de priorité tels qu’ils sont prévus à l’article 4, section C, paragraphe 1, de la convention de Paris dépend de la nature de la demande ultérieure, plutôt que de la première.

135.

En appliquant cette logique au cas d’espèce, si le droit de priorité pour une demande ultérieure de dessin ou modèle est revendiqué sur la base d’une demande de brevet antérieure, la durée du délai de priorité en application de l’article 4, section C, paragraphe 1, de la convention de Paris serait de six mois.

136.

L’arrêt Signal Communications/OHMI (TELEYE) ( 79 ), invoqué par le Tribunal dans l’arrêt attaqué ( 80 ), ne fait pas obstacle à la conclusion qui précède. Dans cet arrêt, le Tribunal a jugé, dans le contexte du droit des marques, que c’est la demande d’enregistrement d’un droit antérieur qui fait naître le droit de priorité. Cette conclusion semble tout à fait conforme à la convention de Paris, selon laquelle l’existence et la date de la demande antérieure sont pertinentes pour déterminer à quel moment le délai de priorité commence à courir. Toutefois, contrairement à la raison pour laquelle le Tribunal a invoqué cet arrêt, cela ne dit rien sur la durée du délai en cause.

137.

Si je suis d’accord avec l’EUIPO sur le fait que, en l’espèce, la durée du délai de priorité est de six mois, je ne peux accepter son argument tiré de l’absence de réciprocité avec les pays tiers, et notamment les États-Unis. L’EUIPO fait valoir, en substance, que, aux États-Unis, les dessins ou modèles sont protégés par le droit des brevets (ci-après les « brevets de dessins ou modèles ») et que, en conséquence de l’arrêt attaqué, les demandeurs peuvent automatiquement bénéficier d’un délai de priorité de douze mois, alors que, dans l’Union, les demandeurs ne disposent que d’un délai de priorité de six mois. Or, les directives de l’EUIPO traitent déjà les brevets de dessins ou modèles américains comme des demandes de dessins ou modèles, ce qui pourrait être une source de droits de priorité pour les dessins ou modèles communautaires pendant un délai de six mois à compter de la demande de brevets de dessins ou modèles. Je ne vois pas en quoi cela peut perturber la réciprocité au détriment des personnes qui ont déposé leur demande antérieure de dessin ou modèle dans l’Union si une demande de brevet antérieure confère douze mois de protection à une demande ultérieure de dessin ou modèle communautaire. Les brevets de dessins ou modèles des États-Unis seraient toujours classés en tant que demandes de dessins ou modèles, et non en tant que demandes de brevets.

138.

Enfin, je me dois d’aborder les arguments fondés sur l’article 4, section E, paragraphe 1, de la convention de Paris. Le Tribunal s’est fondé sur cette disposition pour conclure à l’existence d’une règle générale selon laquelle le délai de priorité est lié à la nature du droit antérieur. Il a interprété cette disposition comme une exception à la prétendue règle générale, de telle façon que ce n’est que dans cette situation particulière qu’un délai de priorité est attaché au droit ultérieur. Toutefois, à mon sens, cette disposition est non pas une exception, mais plutôt l’application de la règle générale selon laquelle la durée du délai de priorité dépend de la nature du droit ultérieur.

139.

Pour les raisons qui précèdent, la Cour devrait constater que le Tribunal a commis une erreur de droit, dans la mesure où il a conclu que, en vertu de la convention de Paris, une demande de dessin ou modèle bénéficie d’un délai de priorité de douze mois plutôt que de six mois si elle est fondée sur une demande antérieure de brevet.

140.

En conclusion, je propose à la Cour d’interpréter la convention de Paris en ce sens qu’elle permet que la demande de dessin ou modèle ultérieur (y compris un dessin ou modèle communautaire) soit fondée sur une demande de brevet antérieure, à condition qu’il y ait identité matérielle de l’objet. La durée du délai de priorité dans un tel cas est de six mois, comme le prévoit la convention de Paris pour les dessins et modèles industriels.

V. Conséquences

141.

Le moyen unique du pourvoi est, à mon avis, partiellement fondé. En conséquence, l’arrêt attaqué doit être annulé.

142.

En application de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour devrait rejeter le second moyen soulevé par KaiKai devant le Tribunal.

143.

Toutefois, je ne considère pas que le litige soit en état d’être jugé par la Cour sur le premier moyen, qui n’a pas été analysé par le Tribunal dans l’arrêt attaqué et dont les allégations factuelles relatives au fond du litige n’ont pas fait l’objet d’un débat devant la Cour. Il y a donc lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur ce moyen, les dépens étant réservés.

VI. Conclusion

144.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour :

d’annuler l’arrêt du 14 avril 2021, The KaiKai Company Jaeger Wichmann/EUIPO (Appareils et articles de gymnastique ou de sport) (T‑579/19, EU:T:2021:186) ;

de rejeter le second moyen soulevé par The KaiKai Company Jaeger Wichmann GbR devant le Tribunal ;

de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le moyen restant, et

de réserver les dépens.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).

( 3 ) Signé à Washington, D.C., le 19 juin 1970 et modifié en dernier lieu le 3 octobre 2001 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1160, no 18336, p. 231, ci-après le « PCT »).

( 4 ) Signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée en dernier lieu le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, no 11851, p. 305, ci‑après la « convention de Paris »).

( 5 ) Voir points 28 à 43 des présentes conclusions.

( 6 ) Voir article 58 bis, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et article 170 bis, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

( 7 ) Outre la présente affaire, cinq autres ont été admises jusqu’à présent, qui concernent toutes la marque de l’Union européenne. Trois d’entre elles soulèvent des questions liées au Brexit [voir ordonnances du 7 avril 2022, EUIPO/Indo European Foods (C‑801/21 P, EU:C:2022:295) ; du 16 novembre 2022, EUIPO/Nowhere (C‑337/22 P, EU:C:2022:908), et du 18 avril 2023, Shopify/EUIPO (C‑751/22 P, EU:C:2023:328)]. Les deux autres affaires soulèvent des questions relatives à l’indépendance des avocats devant les juridictions de l’Union [voir ordonnances du 30 janvier 2023, bonnanwalt/EUIPO (C‑580/22 P, non publiée, EU:C:2023:126), et du 8 mai 2023, Studio Legale Ughi e Nunziante/EUIPO (C‑776/22 P, EU:C:2023:441)].

( 8 ) Voir règlement (UE, Euratom) 2019/629 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, modifiant le protocole no 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne (JO 2019, L 111, p. 1), considérants 1, 4 et 5 ainsi qu’articles 1er à 3 ; communiqué de presse de la Cour de justice de l’Union européenne no 53/19, Luxembourg, 30 avril 2019. Pour un examen général du mécanisme de filtrage des pourvois, voir, par exemple, De Lucia, L., « The Shifting State of Rights Protection vis-a-vis EU Agencies: A Look at Article 58a of the Statute of the Court of Justice of the European Union », European Law Review, vol. 44, no 6, 2019, p. 809 ; Gaudissart, M.-A., « L’admission préalable des pourvois : une nouvelle procédure pour la Cour de justice », Cahiers de droit européen, no 1, 2020, p. 177 ; Orzan, M. F., « Some remarks on the first applications of the filtering of certain categories of appeals before the Court of Justice », European Intellectual Property Review, vol. 42, no 7, 2020, p. 426 à 430.

( 9 ) Voir premier et deuxième alinéas de l’article 58 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

( 10 ) La demande de modification de l’article 58 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ajouterait six offices, organes et agences de l’Union existant au 1er mai 2019 (l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie, le Conseil de résolution unique, l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des marchés financiers, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer). Elle étendrait également le champ d’application de ce mécanisme aux pourvois formés contre des décisions du Tribunal relatives à l’exécution d’un contrat contenant une clause compromissoire au sens de l’article 272 TFUE. Voir demande présentée par la Cour de justice, au titre de l’article 281, deuxième alinéa, [TFUE], en vue de modifier le protocole no 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, disponible à l’adresse Internet suivante : https://curia.europa.eu/jcms/jcms/P_64268/fr/.

( 11 ) Troisième alinéa de l’article 58 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ; voir, également, article 170 bis, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. La décision est prise par une chambre spécialement instituée à cet effet : voir article 170 ter, paragraphe 2, de ce règlement.

( 12 ) Voir, à cet égard, article 170 bis du règlement de procédure ; voir aussi, par exemple, ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann (C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, points 20 à 22 ainsi que 27 et 28).

( 13 ) Voir, à cet égard, Gaudissart, M.-A., « L’admission préalable des pourvois : une nouvelle procédure pour la Cour de justice », Cahiers de droit européen, no 1, 2020, cité à la note en bas de page 8 des présentes conclusions, p. 188, constatant que certaines délégations du Conseil avaient suggéré de définir dans les règles de procédure les notions d’« unité », de « cohérence » et de « développement » du droit de l’Union, mais que cela n’a pas été repris et qu’on a laissé à la Cour le soin de développer ces notions dans sa jurisprudence.

( 14 ) Voir, par exemple, site des juridictions des États-Unis, « Supreme Court Procedures », accessible à l’adresse Internet suivante : https://www.uscourts.gov/about-federal-courts/educational-resources/about-educational-outreach/activity-resources/supreme-1.

( 15 ) Règles de la Cour suprême des États-Unis, adoptées le 5 décembre 2022 et en vigueur depuis le 1er janvier 2023, disponibles à l’adresse Internet suivante : https://www.supremecourt.gov/filingandrules/2023RulesoftheCourt.pdf.

( 16 ) La règle 10 de la Cour suprême mentionne que ce qui suit indique la nature des motifs susceptibles d’inciter la Cour suprême des États-Unis d’accepter la demande de contrôle : « a) une cour d’appel des États-Unis a rendu une décision en conflit avec la décision d’une autre cour d’appel des États-Unis sur la même question importante ; a tranché une question fédérale importante d’une manière qui entre en conflit avec une décision d’une cour d’État de dernier ressort ; ou s’est écartée du cours accepté et habituel des procédures judiciaires, ou a sanctionné un tel écart par une cour inférieure, au point d’exiger l’exercice du pouvoir de supervision de la Cour suprême ; b) une cour d’État de dernier ressort a tranché une question fédérale importante d’une manière qui entre en conflit avec la décision d’une autre cour d’État de dernier ressort ou d’une cour d’appel des États-Unis ; c) une cour d’État ou une cour d’appel des États-Unis a tranché une question importante de droit fédéral qui n’a pas été, mais devrait être, réglée par la Cour suprême, ou a tranché une question fédérale importante d’une manière qui va à l’encontre des décisions pertinentes de la Cour suprême ».

( 17 ) Voir, concernant le mécanisme de certiorari des États-Unis, Giannini, L. J., « Access Filters and the Institutional Performance of the Supreme Courts », International Journal of Procedural Law, vol. 12, no 2, 2022, p. 190, en particulier p. 218.

( 18 ) Pour une conclusion similaire concernant la Cour dans le contexte de la procédure de contrôle prévue à l’article 256 TFUE, voir Brkan, M., « La procédure de réexamen devant la Cour de justice : vers une efficacité accrue du nouveau règlement de procédure », dans Mahieu, S. (éd.), Contentieux de l’Union européenne : questions choisies, Larcier, 2014, p. 489. Voir, également, Rousselot, R., « La procédure de réexamen en droit de l’Union européenne », Cahiers de droit européen, no 3, 2014, p. 535.

( 19 ) Ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann (C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, points 31 à 34). Concernant les arguments de l’EUIPO, voir, également, points 13 à 19 de cette ordonnance.

( 20 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Spedition Welter (C‑306/12, EU:C:2013:359, point 35).

( 21 ) La Cour l’a reconnu dès 1974. Voir arrêt du 30 avril 1974, Haegeman (181/73, EU:C:1974:41, points 4 et 5).

( 22 ) Article 216, paragraphe 2, TFUE.

( 23 ) Voir, par exemple, arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, EU:C:2008:312, point 42).

( 24 ) Figurant à l’annexe 1C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1).

( 25 ) Cela est différent de l’obligation de l’Union de ne pas entraver les obligations des États membres au titre de la convention de Paris. L’obligation de « ne pas entraver » découle de l’article 2, paragraphe 2, de l’accord sur les ADPIC, qui prévoit qu’aucune disposition de cet accord ne dérogera aux obligations que les membres peuvent avoir les uns à l’égard des autres en vertu de la convention de Paris. La Cour a estimé qu’une telle obligation de l’Union n’entravait pas les obligations des États membres au titre de la convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, signée à Rome le 26 octobre 1961, dont les États membres, mais non l’Union, sont parties. La Cour a estimé qu’une telle obligation pour l’Union découlait de l’article 1, paragraphe 1, du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, signé à Genève le 20 décembre 1996, auquel elle est partie. Voir arrêt du 15 mars 2012, SCF (C‑135/10, EU:C:2012:140, point 50).

( 26 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2012, Bericap Záródástechnikai (C‑180/11, EU:C:2012:717, point 70). Une telle conception a également été exprimée au point 15 de la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO dans la présente affaire : « [l]’article 4 de la Convention s’applique mutatis mutandis à [l’Union], qui, en tant qu’organisation intergouvernementale, n’est pas un pays membre de la Convention, mais un membre de l’OMC, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de l’accord sur les ADPIC ».

( 27 ) La Cour a constaté l’absence de principe d’effet direct horizontal dans les arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 48), et du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 20), et elle a confirmé cette position dans des affaires ultérieures. Voir, par exemple, arrêts du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 37), et du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin (C‑261/20, EU:C:2022:33, point 32).

( 28 ) Voir, notamment, arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, EU:C:2011:125, point 45).

( 29 ) Ainsi, la Cour a reconnu l’effet direct des dispositions d’accords d’association entre l’Union et des États tiers accordant aux particuliers des droits d’établissement susceptibles d’être invoqués en justice. Voir, à cet égard, arrêts du 27 septembre 2001, Gloszczuk (C‑63/99, EU:C:2001:488, points 30 à 38), et du 20 novembre 2001, Jany e.a. (C‑268/99, EU:C:2001:616, points 26 et 28).

( 30 ) Voir, par exemple, arrêts du 12 avril 2005, Simutenkov (C‑265/03, EU:C:2005:213, points 20 à 29) (concernant des dispositions d’un accord de partenariat avec la Russie), et du 24 novembre 2016, SECIL (C‑464/14, EU:C:2016:896, points 99 à 109 et 131 à 137) (concernant des dispositions d’accords d’association avec la Tunisie et le Liban).

( 31 ) Voir arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, points 79 à 84). Aux points 73 à 78 de cet arrêt, la Cour a reconnu que le protocole à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, signée à Kyoto le 11 décembre 1997, pouvait, en principe, produire un effet direct, mais a considéré que les dispositions pertinentes n’avaient pas d’effet direct au motif qu’elles n’étaient pas inconditionnelles et suffisamment précises.

( 32 ) Voir arrêt du 12 décembre 1995, Chiquita Italia (C‑469/93, EU:C:1995:435, points 34 et 35).

( 33 ) Voir arrêt du 15 juillet 2004, Pêcheurs de l’étang de Berre (C‑213/03, EU:C:2004:464, points 39 à 47).

( 34 ) Déjà dans l’arrêt du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a. (21/72 à 24/72, EU:C:1972:115, points 18 et 27), la Cour a considéré que, bien que l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994 lie les institutions de l’Union, ces dispositions ne sont pas de nature à engendrer pour les justiciables de l’Union le droit de s’en prévaloir en justice. Dans l’arrêt du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil (C‑149/96, EU:C:1999:574, point 47), la Cour a considéré que la création de l’OMC ne changeait pas la nature du GATT ou d’autres accords relevant de l’OMC.

( 35 ) Voir, par exemple, arrêts du 14 décembre 2000, Dior e.a. (C‑300/98 et C‑392/98, EU:C:2000:688, point 44) ; du 25 octobre 2007, Develey/OHMI (C‑238/06 P, EU:C:2007:635, point 39), et du 15 mars 2012, SCF (C‑135/10, EU:C:2012:140, point 46).

( 36 ) Voir, par exemple, concernant le GATT, arrêts du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a. (21/72 à 24/72, EU:C:1972:115, point 21), ainsi que du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C‑280/93, EU:C:1994:367, points 106 à 109). Concernant les accords de l’OMC en général, voir arrêt du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil (C‑149/96, EU:C:1999:574, points 36 à 42).

( 37 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Changmao Biochemical Engineering/Commission (C‑123/21 P, EU:C:2022:890, points 37 à 43 ainsi que 56 et 57). L’arrêt dans cette affaire n’a pas encore été rendu.

( 38 ) Voir, à cet égard, mes conclusions dans l’affaire Changmao Biochemical Engineering/Commission (C‑123/21 P, EU:C:2022:890, points 46, 59 et 60).

( 39 ) Voir arrêt du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil (C‑69/89, ci-après l’« arrêt Nakajima , EU:C:1991:186). Voir, également, arrêt du 22 juin 1989, Fediol/Commission (70/87, EU:C:1989:254).

( 40 ) Voir arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal (C‑21/14 P, ci-après l’« arrêt Rusal Armenal », EU:C:2015:494).

( 41 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Changmao Biochemical Engineering/Commission (C‑123/21 P, EU:C:2022:890, point 64).

( 42 ) À cet égard, la Commission fait une comparaison avec l’article 25, paragraphe 1, sous g), du règlement no 6/2002, qui fait expressément référence à l’article 6 ter de la convention de Paris, montrant ainsi une intention de mettre en œuvre cette disposition de ladite convention.

( 43 ) Voir arrêt du 5 juillet 2018, Mast-Jägermeister/EUIPO (C‑217/17 P, EU:C:2018:534, point 56).

( 44 ) Voir, à cet égard, arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Hubei Xinyegang Special Tube (C‑891/19 P, EU:C:2022:38, points 30 et 34), dans lequel la Cour a considéré que l’analogie du libellé d’une législation de l’Union avec celui d’un accord international incite à conclure que le législateur de l’Union a voulu mettre en œuvre cet accord.

( 45 ) Voir proposition modifiée de règlement du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires, COM(2000) 660 final, présentée par la Commission le 20 octobre 2000, exposé des motifs, titre IV, section 2 : Priorité (« le nouveau paragraphe 1 bis de l’article 43 assure la compatibilité de la réglementation du dessin communautaire avec l’article 4, section E, de la convention de Paris »).

( 46 ) Voir, par exemple, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 119) ; du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 27), et du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C‑684/16, EU:C:2018:874, point 59).

( 47 ) Voir, par exemple, arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing (C‑106/89, EU:C:1990:395, point 8), et du 10 mars 2011, Deutsche Lufthansa (C‑109/09, EU:C:2011:129, point 52).

( 48 ) Voir arrêt du 16 juin 2005 (C‑105/03, EU:C:2005:386, point 47). Voir également, par exemple, arrêts du 1er août 2022, Sea Watch (C‑14/21 et C‑15/21, EU:C:2022:604, point 84), et du 27 avril 2023, M.D. (Interdiction d’entrée en Hongrie) (C‑528/21, EU:C:2023:341, point 99).

( 49 ) À cet égard, l’EUIPO invoque les arrêts du 8 décembre 2005, BCE/Allemagne (C‑220/03, EU:C:2005:748, point 31), et du 28 février 2008, Carboni e derivati (C‑263/06, EU:C:2008:128, point 48).

( 50 ) Cette position est également exprimée au point 6.2.1.1 des directives de l’EUIPO relatives aux marques et aux dessins ou modèles, du 31 mars 2023 (ci-après les « directives de l’EUIPO »), ainsi que dans la version du 1er octobre 2018, pertinente en l’espèce : « Une revendication de priorité fondée sur une demande de brevet antérieure est en principe rejetée [...] ».

( 51 ) Selon moi, la convention de Paris est effectivement pertinente à des fins d’interprétation s’il existe un motif d’exclusion de son effet direct.

( 52 ) Voir, comme exemple frappant, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, points 25 à 31).

( 53 ) Voir, par exemple, arrêts du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 72), et du 5 septembre 2019, Pohotovosť (C‑331/18, EU:C:2019:665, point 56).

( 54 ) C’est pour moi la seule explication possible à la situation dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Marleasing. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Marleasing (C‑106/89, EU:C:1990:310, point 10).

( 55 ) Lorsque la Cour a invoqué pour la première fois cette obligation pour justifier l’obligation d’interprétation conforme, la disposition applicable était l’article 5 du traité CEE. Voir arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 26), et du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 26).

( 56 ) Lorsqu’un État membre ne transpose pas une directive, les juridictions nationales peuvent en conclure que le législateur a estimé que la législation existante satisfaisait déjà aux obligations légales découlant de la directive.

( 57 ) Voir, à cet égard, Temple Lang, J., « Community Constitutional Law: Article 5 EEC Treaty », Common Market Law Review, vol. 27, no 4, 1990, p. 645 ; Temple Lang, J., « The Duties of Cooperation of National Authorities and Courts under Article 10 EC: Two More Reflections », European Law Review, vol. 26, no 1, 2001, p. 84.

( 58 ) Signée à Vienne le 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci‑après la « convention de Vienne »).

( 59 ) Voir, à cet égard, résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 décembre 2018, A/RES/73/202, Accords et pratique ultérieurs dans le contexte de l’interprétation des traités, conclusion 2, point 1, selon lequel les articles 31 et 32 de la convention de Vienne sont également applicables à titre de droit international coutumier.

( 60 ) Voir, par exemple, arrêts du 25 février 2010, Brita (C‑386/08, EU:C:2010:91, points 42 et 43), ainsi que du 14 juillet 2022, ÖBB-Infrastruktur Aktiengesellschaft (C‑500/20, EU:C:2022:563, point 56).

( 61 ) D’autres systèmes juridiques, par exemple en Allemagne, en Suisse et aux États‑Unis, ont une approche différente. Voir, à cet égard, Hartwig, H., « Claiming Priority under the Community Design Scheme », dans Hartwig, H. (éd.), Research Handbook on Design Law, Edward Elgar, 2021, p. 250, notamment p. 253 à 255.

( 62 ) Il s’agit de la République tchèque, du Royaume de Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, du Royaume d’Espagne, de la République italienne, de la Hongrie, de la République d’Autriche, de la République portugaise, de la République slovaque et de la République de Finlande. Voir directives de l’EUIPO, point 6.2.1.1.

( 63 ) Selon le Manual of Patent Examining Procedure de l’US Patent and Trademark Office, février 2023 (9e éd.), section 1502.01, « Distinction Between Design and Utility Patents » (distinction entre les brevets de dessin ou modèle et d’utilité) : « En termes généraux, un “brevet d’utilité” protège la façon dont un article est utilisé et fonctionne (35 U.S.C. 101), tandis qu’un “brevet de dessin ou modèle” protège l’apparence d’un article (35 U.S.C. 171). [...] Des brevets de dessin ou modèle et d’utilité peuvent être obtenus sur un article si l’invention réside à la fois dans son apparence utile et dans son apparence ornementale. Si les brevets d’utilité et de dessin ou modèle offrent une protection juridiquement distincte, l’utilité et l’ornementation d’un article peuvent ne pas être aisément séparables. Des articles manufacturés peuvent posséder à la fois des caractéristiques fonctionnelles et ornementales. » Voir également, à cet égard, Schickl, L., « Protection of Industrial Design in the United States and in the EU: Different Concepts or Different Labels? », The Journal of World Intellectual Property, vol. 16, no 1-2, 2013, p. 15.

( 64 ) En outre, à titre d’exemples, la version en langue croate emploie seulement le terme « dessin » (« dizajn Zajednice ») et la version en langue slovène seulement le terme « modèle » (« model Skupnosti »). La version en langue allemande aussi n’emploie qu’un seul terme (« das Gemeinschaftsgeschmacksmuster »), alors que les versions en langues espagnole et italienne font référence aux « dessins et modèles » (respectivement « dibujos y modelos comunitarios » et « disegni e modelli comunitari »).

( 65 ) Voir article 2, sous vii), et article 3, paragraphe 1, du PCT.

( 66 ) Voir article 2, sous i), du PCT. L’article 2, sous ii), du PCT indique en outre que toute référence à un « brevet » s’entend comme une référence à toute forme de protection d’une invention visée à son article 2, sous i).

( 67 ) À l’appui de son affirmation selon laquelle il existe une règle générale de l’identité de l’objet, l’EUIPO invoque l’article 4, section C, paragraphe 4, de la convention de Paris. À cet égard, il convient de relever que, même si cette disposition emploie l’expression « même objet », elle ne comporte pas de règle générale et résout plutôt une situation particulière dans laquelle il y a deux demandes antérieures, dont la première a été retirée, abandonnée ou rejetée, afin de déterminer le point de départ du délai de priorité. Voir Bodenhausen, G.H.C., Guide d’application de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle telle que révisée à Stockholm en 1967, Bureaux internationaux réunis pour la protection de la propriété intellectuelle (BIRPI), 1969, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/fr/intproperty/611/wipo_pub_611.pdf (ci-après le « guide d’application de la convention de Paris »), « Article 4, lettre C, alinéa 4) », commentaire sous b), p. 47.

( 68 ) À cet égard, je fais remarquer que les directives de l’EUIPO semblent reconnaître la règle relative à l’identité de l’objet tant au sens formel que matériel. Au sens formel, elles requièrent que la demande antérieure porte sur un dessin ou modèle d’utilité. Au sens matériel, elles requièrent que le dessin ou modèle communautaire se rapporte au même dessin ou modèle d’utilité. En ce qui concerne cette dernière exigence, ces directives précisent en outre que les deux demandes ne peuvent différer que par des détails pouvant être qualifiés d’« insignifiants », faisant ainsi référence à l’objet de la protection, et non à la forme de la protection. Voir directives de l’EUIPO, citées en note de bas de page 50 des présentes conclusions, point 6.2.1.1, en particulier p. 61 et 63.

( 69 ) Guide d’application de la convention de Paris, cité à la note en bas de page 67 des présentes conclusions, « Article 4, lettre E », commentaire sous b), p. 54 (mise en italique par mes soins).

( 70 ) Livre vert de la Commission, La protection par le modèle d’utilité dans le marché intérieur, COM(95) 370 final, 19 juillet 1995, p. i-b.

( 71 ) Guide d’application de la convention de Paris, cité à la note en bas de page 67 des présentes conclusions, « Article 1er, alinéa 2) », commentaire sous d), p. 22.

( 72 ) Livre vert de la Commission sur la protection juridique des dessins et modèles industriels, juin 1991, 111/F/5131/91-FR, point 2.6.3.

( 73 ) Avis du Comité économique et social sur la « Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au rapprochement des régimes juridiques de protection des inventions par le modèle d’utilité » (JO 1998, C 235, p. 26), point 2.7.

( 74 ) Voir guide d’application de la convention de Paris, cité à la note en bas de page 67 des présentes conclusions, « Article 4, lettre E », commentaire sous a), p. 54.

( 75 ) Ainsi que l’a constaté le Tribunal au point 77 de l’arrêt attaqué.

( 76 ) Selon l’EUIPO, cette disposition est une exception à la règle générale relative à l’identité de l’objet dans son acception formelle.

( 77 ) Voir point 79 de l’arrêt attaqué.

( 78 ) Voir guide d’application de la convention de Paris, cité à la note en bas de page 67 des présentes conclusions, « Article 4, lettre C, alinéas 1), 2) et 3) », commentaire sous b), p. 46.

( 79 ) Arrêt du 15 novembre 2001 (T‑128/99, EU:T:2001:266).

( 80 ) Voir point 78 de l’arrêt attaqué.

Top