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Document 62020CJ0519

    Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 mars 2022.
    Procédure engagée par K.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Amtsgericht Hannover.
    Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Directive 2008/115/CE – Rétention à des fins d’éloignement – Article 16, paragraphe 1 – Effet direct – Centre de rétention spécialisé – Notion – Rétention dans un établissement pénitentiaire – Conditions – Article 18 – Situation d’urgence – Notion – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Contrôle juridictionnel effectif.
    Affaire C-519/20.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:178

     ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

    10 mars 2022 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Directive 2008/115/CE – Rétention à des fins d’éloignement – Article 16, paragraphe 1 – Effet direct – Centre de rétention spécialisé – Notion – Rétention dans un établissement pénitentiaire – Conditions – Article 18 – Situation d’urgence – Notion – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Contrôle juridictionnel effectif »

    Dans l’affaire C‑519/20,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre, Allemagne), par décision du 12 octobre 2020, parvenue à la Cour le 15 octobre 2020, dans la procédure engagée contre

    K

    en présence de :

    Landkreis Gifhorn,

    LA COUR (cinquième chambre),

    composée de M. E. Regan, président de chambre, Mme K. Jürimäe, présidente de la troisième chambre, faisant fonction de juge de la cinquième chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la quatrième chambre, MM. I. Jarukaitis et M. Ilešič, juges,

    avocat général : M. J. Richard de la Tour,

    greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 septembre 2021,

    considérant les observations présentées :

    pour K, par Mes P. Fahlbusch et B. Böhlo, Rechtsanwälte,

    pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. H. Leupold, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 novembre 2021,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, et de l’article 18 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure d’éloignement engagée contre K au sujet de la légalité de la rétention de celui-ci dans la section de Langenhagen (Allemagne) de l’établissement pénitentiaire de Hanovre (Allemagne).

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    Les considérants 3, 13 et 16 de la directive 2008/115 énoncent :

    « (3)

    Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté, le 4 mai 2005, “vingt principes directeurs sur le retour forcé”.

    [...]

    (13)

    Il convient de subordonner expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. Il convient d’établir des garanties minimales applicables à la conduite de retours forcés, en tenant compte de la décision 2004/573/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative à l’organisation de vols communs pour l’éloignement, à partir du territoire de deux États membres ou plus, de ressortissants de pays tiers faisant l’objet de mesures d’éloignement sur le territoire de deux États membres ou plus [(JO 2004, L 261, p. 8)]. Les États membres devraient pouvoir avoir recours à différentes possibilités pour contrôler le retour forcé.

    [...]

    (16)

    Le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas. »

    4

    L’article 15, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

    « À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, ne puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :

    a)

    il existe un risque de fuite, ou

    b)

    le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

    Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. »

    5

    L’article 16 de cette directive dispose :

    « 1.   La rétention s’effectue en règle générale dans des centres de rétention spécialisés. Lorsqu’un État membre ne peut les placer dans un centre de rétention spécialisé et doit les placer dans un établissement pénitentiaire, les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont séparés des prisonniers de droit commun.

    2.   Les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont autorisés — à leur demande — à entrer en contact en temps utile avec leurs représentants légaux, les membres de leur famille et les autorités consulaires compétentes.

    3.   Une attention particulière est accordée à la situation des personnes vulnérables. Les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies sont assurés.

    4.   Les organisations et instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ont la possibilité de visiter les centres de rétention visés au paragraphe 1, dans la mesure où ils sont utilisés pour la rétention de ressortissants de pays tiers conformément au présent chapitre. Ces visites peuvent être soumises à une autorisation.

    5.   Les ressortissants de pays tiers placés en rétention se voient communiquer systématiquement des informations expliquant le règlement des lieux et énonçant leurs droits et leurs devoirs. Ces informations portent notamment sur leur droit, conformément au droit national, de contacter les organisations et instances visées au paragraphe 4. »

    6

    Aux termes de l’article 17 de ladite directive :

    « 1.   Les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible.

    2.   Les familles placées en rétention dans l’attente d’un éloignement disposent d’un lieu d’hébergement séparé qui leur garantit une intimité adéquate.

    3.   Les mineurs placés en rétention ont la possibilité de pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge, et ont, en fonction de la durée de leur séjour, accès à l’éducation.

    4.   Les mineurs non accompagnés bénéficient, dans la mesure du possible, d’un hébergement dans des institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés aux besoins des personnes de leur âge.

    5.   L’intérêt supérieur de l’enfant constitue une considération primordiale dans le cadre de la rétention de mineurs dans l’attente d’un éloignement. »

    7

    L’article 18 de la même directive, intitulé « Situations d’urgence », est ainsi libellé :

    « 1.   Lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire, l’État membre en question peut, aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste, décider d’accorder pour le contrôle juridictionnel des délais plus longs que ceux prévus à l’article 15, paragraphe 2, troisième alinéa, et de prendre des mesures d’urgence concernant les conditions de rétention dérogeant à celles énoncées à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2.

    2.   Lorsqu’il recourt à ce type de mesures exceptionnelles, l’État membre concerné en informe la Commission. Il informe également la Commission dès que les motifs justifiant l’application de ces mesures ont cessé d’exister.

    3.   Aucune disposition du présent article ne saurait être interprétée comme autorisant les États membres à déroger à l’obligation générale qui leur incombe de prendre toutes les mesures appropriées, qu’elles soient générales ou particulières, pour veiller au respect de leurs obligations découlant de la présente directive. »

    Le droit allemand

    8

    L’article 62a, paragraphe 1, du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral), du 30 juillet 2004 (BGBI. 2008 I, p. 162), dans sa version en vigueur du 29 juillet 2017 au 20 août 2019 (ci-après la « loi sur le séjour des étrangers »), énonçait :

    « La rétention à des fins d’éloignement s’effectue en principe dans des centres de rétention spécialisés. Si aucun centre de rétention spécialisé n’existe sur le territoire fédéral ou si l’étranger présente une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure, la rétention peut être effectuée dans d’autres établissements pénitentiaires ; dans ce cas, les personnes détenues à des fins d’éloignement sont séparées des prisonniers de droit commun. »

    9

    L’article 1er, point 22, du Zweites Gesetz zur besseren Durchsetzung der Ausreisepflicht (deuxième loi en vue d’améliorer la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire), du 15 août 2019 (BGB1. 2019 I, p. 1294, ci-après la « loi du 15 août 2019 »), prévoit :

    « L’article 62a, paragraphe 1, [de la loi sur le séjour des étrangers] est remplacé par le texte suivant :

    “Les personnes détenues à des fins d’éloignement sont séparées des prisonniers de droit commun. Lorsque plusieurs membres d’une famille sont placés en rétention, ils sont hébergés séparément des autres personnes détenues à des fins d’éloignement. Il convient de leur garantir une intimité adéquate.” »

    10

    L’article 6 de cette loi dispose :

    « Autre modification de [la loi sur le séjour des étrangers] avec effet au 1er juillet 2022

    L’article 62a, paragraphe 1, de [la loi sur le séjour des étrangers], est remplacé par le texte suivant :

    “La rétention à des fins d’éloignement s’effectue en principe dans des centres de rétention spécialisés. Si aucun centre de rétention spécialisé n’existe sur le territoire fédéral ou si l’étranger présente une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure, la rétention peut être effectuée dans d’autres établissements pénitentiaires ; dans ce cas, les personnes détenues à des fins d’éloignement sont séparées des prisonniers de droit commun. Lorsque plusieurs membres d’une famille sont placés en rétention, ils sont hébergés séparément des autres personnes détenues à des fins d’éloignement. Il convient de leur garantir une intimité adéquate.” »

    11

    Aux termes de l’article 8 de la loi du 15 août 2019 :

    « Entrée en vigueur

    (1) Sous réserve du paragraphe 2, la présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation.

    (2) L’article 6 entre en vigueur le 1er juillet 2022. »

    12

    L’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 15 août 2019 précisait, notamment :

    « En conséquence de la modification de l’article 62a, paragraphe 1, il n’est temporairement plus requis, en application de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, que les personnes détenues à des fins d’éloignement soient hébergées dans des centres de rétention spécialisés. La rétention à des fins d’éloignement peut temporairement avoir lieu dans tous les centres de rétention et, dans une limite de 500 places, dans des établissements pénitentiaires. Il est toujours imposé que les personnes détenues à des fins d’éloignement et les prisonniers de droit commun soient séparés. La règle actuelle concernant l’hébergement de plusieurs membres d’une même famille énoncée à l’article 62a, paragraphe 1, troisième et quatrième phrases, ainsi que les exigences des articles 16 et 17 de la directive 2008/115 sont par ailleurs toujours d’application. Il est en outre toujours nécessaire d’apprécier et de trancher la question de savoir si un hébergement dans un établissement pénitentiaire est acceptable et légal dans le cas concret, par exemple s’agissant de personnes appartenant à un groupe vulnérable. Il est prévu que les autorités judiciaires des Länder mettent à disposition jusqu’à 500 places pour des personnes détenues à des fins d’éloignement afin que, compte tenu de l’augmentation prévue du nombre de places en rétention à des fins d’éloignement dans les centres de rétention des Länder, environ 1000 places soient au total disponibles en rétention à des fins d’éloignement. [...] L’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 crée, pour les situations d’urgence, la possibilité de déroger à l’obligation de séparation en vertu de l’article 16, paragraphe 1, ainsi qu’à l’exigence que les familles disposent d’un lieu d’hébergement séparé, énoncée à l’article 17, paragraphe 2. [...] La condition pour pouvoir faire usage de la possibilité de dérogation prévue à l’article 18, paragraphe 1, est qu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fasse peser sur les capacités des centres de rétention ou sur le personnel administratif et judiciaire une charge qui excède ces capacités. Cette condition est remplie en ce qui concerne l’Allemagne. Les capacités existant en Allemagne sont (au 27 mars 2019) d’environ 487 places en rétention à des fins d’éloignement sur l’ensemble du territoire fédéral. En raison du déséquilibre entre le nombre de personnes soumises à une obligation de quitter le territoire exécutoire et le nombre de places en rétention à des fins d’éloignement, il pèse clairement une charge excessive sur ces capacités existantes. Cette charge supérieure aux capacités constitue dans les faits un important goulot d’étranglement, qui fait obstacle à la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire exécutoire. Les places en rétention à des fins d’éloignement existantes sont déjà utilisées au mieux à l’échelle fédérale par une coordination entre Länder. C’est de même une amélioration de la gestion des places en rétention à des fins d’éloignement que poursuit le Gemeinsame Zentrum zur Unterstützung der Rückkehr [centre commun de soutien du retour (ZUR)], créé au cours de l’année 2017. Le taux des places en rétention occupées, sur l’ensemble du territoire fédéral, par l’intermédiaire du ZUR est d’une dizaine de pourcent. Cela signifie que, dans la pratique, un grand nombre de demandes de placement en rétention ne peuvent pas être présentées, alors même que les conditions en sont remplies. Il était par ailleurs imprévisible que la charge excède ainsi les capacités. Le nombre des demandeurs de protection nouvellement arrivés ayant été en baisse constante pendant des années, jusqu’en 2015, les Länder avaient adapté au cours des années les capacités en places en rétention à des fins d’éloignement aux besoins, alors moins élevés, en en réduisant le nombre. En conséquence du changement de la situation au cours de l’année 2015 et de la montée en flèche du nombre de demandeurs de protection, l’obligation première de l’État fédéral et des Länder était de créer des capacités pour pourvoir aux besoins des personnes. Cette obligation résulte entre autres du droit européen, notamment de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96), et de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), ainsi que, au-delà, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans cette situation, la prise en charge des personnes nouvellement arrivées avait la priorité sur l’accroissement des capacités de rétention, dans le but de satisfaire à une date ultérieure (après que la procédure de demande d’asile et de recours aura été menée à bout) aux exigences de la directive 2008/115. En effet, la règle dérogatoire prévue à l’article 18 [de cette directive] a, justement, pour objet et pour finalité de permettre dans une telle situation aux autorités de s’occuper de façon prioritaire de la prise en charge des nouveaux arrivants sans violer, de façon prévisible, des obligations dans l’avenir. [...] Après que la situation exceptionnelle avait pris fin, les Länder ont immédiatement commencé à développer les capacités de rétention et sont déjà parvenus à accroître le nombre de places en rétention à 487 pour l’ensemble du territoire fédéral (au 27 mars 2019). Compte tenu du temps habituellement nécessaire pour la réalisation de projets de construction et la création de centres de rétention à des fins d’éloignement, une adéquation complète du nombre de places en rétention à des fins d’éloignement aux besoins actuels n’a pas encore été atteinte. Compte tenu des mesures prises, il convient de s’attendre à ce que le nombre de places en rétention à des fins d’éloignement réponde aux besoins le 30 juin 2022. Jusqu’à cette date, la situation exceptionnelle persiste et il convient par conséquent d’abroger l’article 62a, paragraphe 1, dans sa rédaction actuelle jusqu’à cette date. La législation actuellement applicable entrera alors de nouveau en vigueur. »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    13

    Selon ses propres déclarations, K, ressortissant pakistanais, est entré, le 9 octobre 2015, sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne. Le 24 mai 2017, sa demande d’asile a été rejetée comme étant manifestement non fondée.

    14

    L’avertissement d’éloignement, adopté par la suite à son égard, est exécutoire depuis le 7 juin 2017.

    15

    Le 11 août 2020, K a été arrêté à bord d’un autocar sur la ligne Berlin-Bruxelles. Le même jour, l’Amtsgericht Meppen (tribunal de district de Meppen, Allemagne) a ordonné son placement en rétention à des fins d’éloignement jusqu’au 25 septembre 2020 inclus et il a été placé en rétention dans la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de Hanovre.

    16

    Le 24 septembre 2020, le Landkreis Gifhorn (district de Gifhorn, Allemagne) a demandé à l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district d’Hanovre, Allemagne) qu’il ordonne la prolongation de la rétention de K jusqu’au 12 novembre 2020. Dans sa demande, le district de Gifhorn a indiqué qu’il était prévu de maintenir K en rétention dans la section de Langenhagen de l’établissement pénitentiaire de Hanovre.

    17

    Par ordonnance du 25 septembre 2020, après avoir entendu K, l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre) a ordonné son placement en rétention dans cette section jusqu’au 12 novembre 2020.

    18

    Le 28 septembre 2020, K a introduit un recours contre cette décision devant la même juridiction et a été entendu, dans le cadre de cette nouvelle procédure, le 7 octobre 2020.

    19

    En premier lieu, la juridiction de renvoi, qui se considère compétente pour connaître du recours de K uniquement en ce qui concerne son placement en rétention entre le 25 septembre et le 2 octobre 2020, relève que la section de Langenhagen a été mise en service au cours du mois de mai 2000 et qu’elle est dirigée par un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire. L’établissement pénitentiaire de Hanovre, auquel elle est rattachée administrativement, peut accueillir, dans son ensemble, environ 600 prisonniers et est dirigé par un directeur, qui est également responsable de la section de Langenhagen. L’établissement pénitentiaire de Hanovre, dans son intégralité, est placé sous la surveillance du ministre de la Justice.

    20

    Cette juridiction souligne, également, que les capacités de la section de Langenhagen, qui lui permettaient initialement d’accueillir jusqu’à 171 personnes retenues à des fins d’éloignement, ont été nettement réduites. Actuellement, il est possible d’y placer 48 personnes en rétention à des fins d’éloignement. Le complexe est ceint d’un grillage de fils métalliques de grande hauteur et comprend trois bâtiments à deux étages de taille similaire, dont les fenêtres sont pourvues de barreaux, ainsi qu’un autre petit bâtiment et un sas pour voitures, utilisés comme entrée pour les visiteurs et le personnel de l’établissement, ainsi que pour l’entrée et la sortie de véhicules.

    21

    Dans le premier de ces trois bâtiments sont logés des ressortissants de pays tiers masculins retenus à des fins d’éloignement. Le deuxième bâtiment accueille des femmes et, en fonction du taux d’occupation, des hommes, ressortissants de pays tiers retenus à des fins d’éloignement. Les personnes ainsi retenues peuvent recevoir une visite tous les jours, passer plusieurs heures à l’air libre, accéder à Internet et posséder un téléphone portable. Les pièces ne sont pas fermées et ne sont occupées que par une personne. Toutefois, à leur demande, plusieurs personnes peuvent être hébergées ensemble dans une même pièce. Dans le couloir se trouvent des douches communes et des toilettes, librement accessibles toute la journée.

    22

    Le troisième bâtiment, qui était temporairement fermé depuis l’année 2013, a été utilisé, à tout le moins depuis l’adoption de la décision du 25 septembre 2020 et jusqu’au 2 octobre 2020, pour incarcérer des prisonniers de droit commun purgeant des peines d’emprisonnement de substitution ou des peines privatives de liberté de courte durée, pouvant aller jusqu’à trois mois. L’établissement pénitentiaire veillait à séparer les ressortissants de pays tiers, retenus à des fins d’éloignement, de ces prisonniers. Il n’existait pas d’accès direct entre les bâtiments occupés par les ressortissants de pays tiers en attente d’un éloignement et les bâtiments où étaient incarcérés lesdits prisonniers.

    23

    La juridiction de renvoi doute du fait que, au cours de cette période, la section de Langenhagen constituait un « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, dès lors que cette section accueillait, outre des personnes retenues à des fins d’éloignement, également des prisonniers de droit commun et qu’une séparation géographique et organisationnelle n’y était pas assurée. En effet, les bâtiments de cette section se trouvent à proximité immédiate les uns des autres et ne sont accessibles – en particulier au personnel de l’établissement pénitentiaire – que par une zone d’entrée commune.

    24

    En outre, cette juridiction relève que, même si la section de Langenhagen a sa propre directrice, le même personnel pénitentiaire y intervient pour s’occuper tant des personnes condamnées que des personnes retenues à des fins d’éloignement.

    25

    En deuxième lieu, la juridiction de renvoi considère que la modification apportée à l’article 62a, paragraphe 1, de la loi sur le séjour des étrangers par la loi du 15 août 2019, et qui permet, jusqu’au 1er juillet 2022, de déroger à l’obligation, découlant de l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115, de placer en rétention les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans des centres de rétention spécialisés, est contraire au droit de l’Union.

    26

    En effet, si, afin de déroger à cet article 16, paragraphe 1, le législateur allemand a, certes, invoqué l’existence d’une situation d’urgence, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, cette juridiction souligne que, indépendamment du point de savoir si, à la date de l’adoption de la loi du 15 août 2019, les conditions imposées par cet article 18 étaient réunies, il convient, en tout état de cause, de constater que ces conditions ne sont plus remplies. En effet, même s’il se pourrait que les centres de rétention spécialisés soient confrontés à une charge lourde en raison des besoins de distanciation liés à la pandémie de COVID-19, cette charge ne serait toutefois pas liée à la présence d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers, comme l’exige cet article 18, paragraphe 1. Par ailleurs, le législateur allemand n’aurait pas fourni d’informations sur le taux d’occupation des centres de rétention, ni précisé le nombre prévisionnel de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de quitter le territoire exécutoire et, parmi eux, le nombre de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier à l’égard desquels des motifs de rétention pourraient exister.

    27

    Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande, tout d’abord, si le juge national doit, lui-même, vérifier l’existence d’une situation d’urgence, au sens dudit article 18, dans chaque procédure de placement en rétention à des fins d’éloignement ou s’il doit, au contraire, accepter la constatation opérée par le législateur national, sans procéder lui-même à un examen dans le cas concret.

    28

    Dans l’hypothèse où le juge ordonnant le placement en rétention devrait s’assurer lui-même de l’existence d’une situation d’urgence, au sens de ce même article 18, la juridiction de renvoi estime qu’il convient d’examiner si l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 lui impose d’écarter l’application de la loi du 15 août 2019 lorsqu’une telle situation d’urgence n’est pas établie.

    29

    S’il fallait répondre affirmativement à cette question, il conviendrait encore de vérifier si la seule intégration organisationnelle du centre de rétention à l’administration de la justice suffit à exclure qu’il puisse être considéré comme un « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16 de la directive 2008/115, et, dans la négative, si cette qualification de « centre de rétention spécialisé » est exclue en raison du fait qu’un des bâtiments de ce centre est utilisé à des fins d’incarcération des personnes condamnées pénalement.

    30

    Dans ces conditions, l’Amtsgericht Hannover (tribunal de district de Hanovre) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Convient-il d’interpréter le droit de l’Union, en particulier l’article 18, paragraphes 1 et 3, de la directive 2008/115, en ce sens qu’un juge national qui décide du placement en rétention à des fins d’éloignement doit vérifier dans chaque cas concret les conditions imposées par cette disposition, et notamment que la situation exceptionnelle persiste lorsque, invoquant [cet] article 18, paragraphe 1, le législateur national a dérogé en droit national aux conditions de l’article 16, paragraphe 1, [de cette directive] ?

    2)

    Convient-il d’interpréter le droit de l’Union, en particulier l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, en ce sens qu’il fait obstacle à une réglementation nationale qui permet temporairement jusqu’au 1er juillet 2022 de placer des personnes détenues à des fins d’éloignement dans des établissements pénitentiaires, alors qu’il existe dans l’État membre concerné des centres de rétention spécialisés et qu’aucune situation d’urgence au sens de l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive ne l’impose de façon contraignante ?

    3)

    Convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 en ce sens que la qualification d’un établissement de “centre de rétention spécialisé”, destiné à la rétention de personnes détenues à des fins d’éloignement, est exclue du seul fait que

    ce “centre de rétention spécialisé” est indirectement soumis à l’autorité du même membre du gouvernement que les établissements destinés à la détention de prisonniers de droit commun, à savoir le ministre de la Justice,

    ce “centre de rétention spécialisé” est organisé sous la forme d’une section d’un établissement pénitentiaire et a de ce fait son propre directeur, mais, étant une section parmi d’autres de l’établissement pénitentiaire, il est dans l’ensemble subordonné à la direction de l’établissement pénitentiaire ?

    4)

    En cas de réponse négative à la troisième question :

    Convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 en ce sens qu’un placement a lieu dans un “centre de rétention spécialisé” destiné à la rétention de personnes détenues à des fins d’éloignement lorsqu’un établissement pénitentiaire crée une section spécifique pour une prison d’éloignement, que cette section occupe un complexe spécifique avec trois bâtiments entouré d’une clôture et qu’un de ces trois bâtiments est temporairement exclusivement occupé par des prisonniers qui purgent des peines d’emprisonnement de substitution ou des peines privatives de liberté de courte durée, l’établissement pénitentiaire veillant à séparer les personnes détenues à des fins d’éloignement et les prisonniers et, en particulier, chaque bâtiment disposant d’installations propres (de son propre vestiaire solidaire, sa propre infirmerie, sa propre salle de sport) et la cour/la zone extérieure étant certes visible depuis tous les bâtiments, mais chaque bâtiment disposant de sa propre zone, entourée d’un grillage de fils métalliques, pour les prisonniers et aucun accès direct n’existant donc entre les bâtiments ? »

    La procédure devant la Cour

    31

    Par décision du 18 novembre 2020, le président de la Cour a accordé à la présente affaire un traitement prioritaire en vertu de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour.

    Sur les questions préjudicielles

    Sur les troisième et quatrième questions

    32

    Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner en premier lieu et conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’une section spécifique d’un établissement pénitentiaire qui, d’une part, tout en disposant de son propre directeur, est subordonnée à la direction de cet établissement et soumise à l’autorité du ministre ayant autorité sur les établissements pénitentiaires et dans laquelle, d’autre part, des ressortissants de pays tiers sont retenus, à des fins d’éloignement, au sein de bâtiments spécifiques, disposant de leurs installations propres et isolés des autres bâtiments de cette section dans lesquels sont incarcérées des personnes condamnées pénalement, peut être considérée comme un « centre de rétention spécialisé », au sens de cette disposition.

    33

    Afin de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, d’interpréter la notion de « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16 de la directive 2008/115. Il convient, à cet égard, de souligner que ni l’article 16 ni aucune autre disposition de la directive 2008/115 ne définit ce qu’il convient d’entendre par cette notion. Il s’ensuit que celle-ci doit être interprétée conformément au sens habituel des termes qui la composent dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ces termes sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont lesdits termes font partie [arrêt du 1er octobre 2020, Staatssecretaris van Financiën (Taux réduit de TVA pour aphrodisiaques), C‑331/19, EU:C:2020:786, point 24 et jurisprudence citée].

    34

    À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que la première phrase de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive pose le principe selon lequel la rétention à des fins d’éloignement de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier s’effectue dans des centres de rétention spécialisés (arrêt du 2 juillet 2020, Stadt Frankfurt am Main, C‑18/19, EU:C:2020:511, point 31 et jurisprudence citée).

    35

    Il s’ensuit que les centres de rétention spécialisés, au sens de cette disposition, ont vocation à permettre aux États membres de faire exécuter une décision ordonnant, au titre de l’article 15 de cette directive, la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, à savoir une mesure coercitive qui prive l’intéressé de sa liberté de mouvement et l’isole du reste de la population, en lui imposant de demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 223 et 225).

    36

    Il découle également du libellé de cet article 16, paragraphe 1, que les centres de rétention spécialisés se distinguent des établissements pénitentiaires, ce qui implique que les conditions de rétention dans ces centres doivent présenter certaines spécificités par rapport aux conditions normales d’exécution des peines privatives de liberté dans des établissements pénitentiaires.

    37

    Deuxièmement, il ressort explicitement de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/115 que la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre ne peut, en l’absence d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, qui pourraient être appliquées efficacement, être justifiée qu’en vue de préparer le retour de ce ressortissant et/ou de procéder à son éloignement, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque ledit ressortissant évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Dès lors, ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que les États membres peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une rétention (arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 268 et 269 ainsi que jurisprudence citée).

    38

    Il s’ensuit que, lorsqu’elle est ordonnée à des fins d’éloignement, la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier n’est destinée qu’à assurer l’effectivité de la procédure de retour et ne poursuit aucune finalité punitive, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 104 de ses conclusions.

    39

    Troisièmement, il convient de rappeler que la directive 2008/115 vise à mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect intégral des droits fondamentaux ainsi que de la dignité des personnes concernées [arrêt du 14 janvier 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Retour d’un mineur non accompagné), C‑441/19, EU:C:2021:9, point 70 et jurisprudence citée].

    40

    À cet égard, il importe, plus particulièrement, de souligner que toute rétention relevant de la directive 2008/115 est strictement encadrée par les dispositions du chapitre IV de ladite directive, de manière à garantir, d’une part, le respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis et, d’autre part, le respect des droits fondamentaux des ressortissants concernés de pays tiers (arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 274 et jurisprudence citée).

    41

    Ainsi, les mesures de rétention adoptées au titre du chapitre IV de la directive 2008/115 doivent, notamment, ne pas contrevenir au droit à la liberté des ressortissants de pays tiers faisant l’objet de telles mesures, tel qu’il est garanti à l’article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

    42

    À cet égard, il importe de rappeler que, dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à ceux garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci–après la « CEDH »), l’article 52, paragraphe 3, de la Charte prévoit que le sens et la portée de ces derniers sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention, tout en précisant que le droit de l’Union peut accorder une protection plus étendue. Aux fins de l’interprétation de l’article 6 de la Charte, il convient donc de tenir compte de l’article 5 de la CEDH en tant que seuil de protection minimale (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 37).

    43

    Or, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 5, paragraphe 1, de la CEDH exige que « le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés » et qu’« un lien doit exister entre le motif invoqué pour la privation autorisée [de liberté] et le lieu et le régime de détention », en tenant compte du fait qu’une telle détention peut s’appliquer à des personnes « qui, le cas échéant, n’ont pas commis d’autres infractions que celles liées au séjour » (Cour EDH, 13 décembre 2011, Kanagaratnam e.a. c. Belgique, ECHR :2011 :1213JUD 001529709, § 84, ainsi que Cour EDH, 28 février 2019, H. A. e.a. c. Grèce, ECHR :2019 :0228JUD001995116, § 196).

    44

    Quatrièmement, il importe de relever que le considérant 3 de la directive 2008/115 renvoie aux « principes directeurs sur le retour forcé », adoptés par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Selon le dixième de ces principes, les ressortissants de pays tiers retenus aux fins de leur éloignement « devraient normalement être [placés], dans le délai le plus court, dans des locaux spécialement affectés à cet effet, offrant des conditions matérielles et un régime adaptés à leur statut juridique, et dotés d’un personnel possédant des qualifications appropriées ».

    45

    Il découle des points 34 à 44 du présent arrêt qu’un « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, est caractérisé par un agencement et un équipement de ses locaux ainsi que par des modalités d’organisation et de fonctionnement qui sont de nature à contraindre le ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier qui y est placé à demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos, tout en limitant une telle contrainte à ce qui est strictement nécessaire afin d’assurer une préparation effective de son éloignement. Partant, les conditions de rétention applicables dans un tel centre doivent être telles qu’elles évitent, autant que possible, que la rétention de ce ressortissant s’apparente à un enfermement dans un environnement carcéral, propre à une détention à des fins punitives.

    46

    En outre, ces conditions de rétention doivent être conçues d’une telle manière que tant les droits fondamentaux garantis par la Charte que les droits consacrés à l’article 16, paragraphes 2 à 5, et à l’article 17 de la directive 2008/115 soient respectés.

    47

    En second lieu, il est constant que, dans le cadre de l’article 267 TFUE, la Cour n’a pas compétence pour appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée. Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de procéder aux qualifications juridiques nécessaires pour la solution du litige au principal. En revanche, il incombe à la Cour de lui fournir toutes les indications nécessaires en vue de la guider dans cette appréciation (arrêt du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing, C‑242/18, EU:C:2019:558, point 48 et jurisprudence citée).

    48

    Dans cette perspective, il importe de relever qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, en tenant compte de tous les éléments pertinents et au terme d’une appréciation d’ensemble de ceux-ci, si le lieu et les conditions de rétention, en cause au principal, considérés dans leur globalité, sont appropriés à une rétention ordonnée au titre de l’article 15 de la directive 2008/115.

    49

    À cette fin, il y a lieu de préciser, premièrement, que plusieurs éléments pertinents, susceptibles de guider l’appréciation d’ensemble à laquelle cette juridiction doit procéder, sont, notamment, contenus aux dixième et onzième principes directeurs sur le retour forcé, adoptés par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, et auxquels renvoie le considérant 3 de cette directive.

    50

    Deuxièmement, comme M. l’avocat général l’a souligné, au point 124 de ses conclusions, la seule circonstance qu’un lieu de rétention, qui dispose de sa propre structure de direction, soit rattaché administrativement à une autorité disposant également de compétences à l’égard d’établissements pénitentiaires ne suffit pas à exclure que ce lieu soit qualifié de « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115. En effet, un tel rattachement de nature purement administrative est, en principe, dépourvu de pertinence à cet égard. Il n’en irait autrement que si l’application de certaines conditions de rétention était liée à pareil rattachement.

    51

    Troisièmement, conformément à la seconde phrase de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, lorsqu’un État membre ne peut placer les ressortissants de pays tiers en attente de leur éloignement dans un centre de rétention spécialisé et doit les retenir dans un établissement pénitentiaire, ces ressortissants doivent y être séparés des prisonniers de droit commun.

    52

    Partant, la seule séparation, au sein d’un même établissement de rétention, des ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier et des prisonniers de droit commun ne suffit pas pour considérer que la partie de cet établissement au sein de laquelle ces ressortissants sont retenus à des fins d’éloignement constitue un « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

    53

    Cela étant, et pourvu qu’une telle séparation soit effectivement garantie, la qualification d’un établissement en tant que « centre de rétention spécialisé » n’est pas pour autant automatiquement exclue au motif que, comme en l’occurrence, une partie séparée d’un complexe dans lequel des ressortissants de pays tiers sont retenus à des fins d’éloignement sert à incarcérer des personnes condamnées pénalement.

    54

    En effet, si une telle configuration doit assurément entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la juridiction de renvoi, celle-ci doit également accorder une attention particulière à l’aménagement des locaux spécifiquement dédiés à la rétention des ressortissants de pays tiers, aux règles qui précisent leurs conditions de rétention ainsi qu’à la qualification spécifique et aux attributions du personnel en charge de l’établissement dans lequel se déroule cette rétention et déterminer si, au vu de l’ensemble de ces éléments, la contrainte qui pèse sur les ressortissants de pays tiers concernés est limitée à ce qui est strictement nécessaire afin de garantir une procédure efficace de retour et évite, autant que possible, que ladite rétention s’apparente à un enfermement dans un environnement carcéral propre à une détention à des fins punitives.

    55

    Dans cette perspective, la circonstance que les règles nationales relatives à l’exécution des peines sont applicables, fût-ce par analogie, à la rétention de ressortissants de pays tiers en attente de leur éloignement constitue un indice fort qu’une telle rétention n’a pas lieu dans un « centre de rétention spécialisé », au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

    56

    Inversement, le fait que au moins la majeure partie du personnel chargé d’encadrer la rétention des ressortissants de pays tiers en vue de leur éloignement ainsi que les principaux responsables chargés du fonctionnement de l’établissement dans lequel se déroule la rétention disposent d’une formation spécifique à pareil encadrement constitue un indice militant en faveur de la qualification de cet établissement en tant que « centre de rétention spécialisé ». Il en va de même de la circonstance que le personnel en contact direct avec ces ressortissants de pays tiers est exclusivement affecté à l’établissement dans lequel se déroule leur rétention et non, simultanément, à un centre qui sert à incarcérer des personnes condamnées pénalement.

    57

    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’une section spécifique d’un établissement pénitentiaire qui, d’une part, tout en disposant de son propre directeur, est subordonnée à la direction de cet établissement et soumise à l’autorité du ministre ayant autorité sur les établissements pénitentiaires et dans laquelle, d’autre part, des ressortissants de pays tiers sont retenus, à des fins d’éloignement, au sein de bâtiments spécifiques, disposant de leurs installations propres et isolés des autres bâtiments de cette section dans lesquels sont incarcérées des personnes condamnées pénalement, peut être considérée comme un « centre de rétention spécialisé », au sens de cette disposition, pour autant que les conditions de rétention applicables à ces ressortissants évitent, autant que possible, que cette rétention s’apparente à un enfermement dans un environnement carcéral et qu’elles sont conçues d’une manière telle que les droits fondamentaux garantis par la Charte ainsi que les droits consacrés à l’article 16, paragraphes 2 à 5, et à l’article 17 de cette directive sont respectés.

    Sur la première question

    58

    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union et, en particulier, l’article 18, paragraphes 1 et 3, de la directive 2008/115 doivent être interprétés en ce sens que la juridiction nationale qui est appelée à ordonner le placement en rétention ou la prolongation de la rétention, dans un établissement pénitentiaire,d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins d’éloignement doit pouvoir vérifier le respect des conditions auxquelles cet article 18 subordonne la possibilité pour un État membre de prévoir que ce ressortissant fasse l’objet d’une rétention dans un établissement pénitentiaire.

    59

    En premier lieu, il convient de relever que la rétention et la prolongation de celle-ci présentent une nature analogue, ayant toutes les deux pour effet de priver de liberté le ressortissant concerné d’un pays tiers afin de préparer son retour et/ou de procéder à son éloignement (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, Mahdi, C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 44).

    60

    En deuxième lieu, il importe de souligner que l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 permet à un État membre de prendre des mesures d’urgence concernant les conditions de rétention d’un ressortissant d’un pays tiers dérogeant à celles énoncées à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2, de cette directive, lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité de ses centres de rétention et aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste. Le paragraphe 3 de cet article 18 précise encore que le paragraphe 1 dudit article n’autorise pas les États membres à déroger à l’obligation générale qui leur incombe de prendre toutes les mesures appropriées, qu’elles soient générales ou particulières, pour veiller au respect de leurs obligations découlant de la directive 2008/115.

    61

    Il s’ensuit qu’un État membre qui adopte une réglementation, telle que celle en cause au principal, en application de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, demeure tenu de respecter les règles, autres que celles prévues à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2, de ladite directive, qui encadrent le placement en rétention et la prolongation de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier.

    62

    En troisième lieu, il convient de souligner que, en tant qu’elle est de nature à porter atteinte au droit à la liberté du ressortissant d’un pays tiers concerné, consacré à l’article 6 de la Charte, une décision ordonnant son placement en rétention ou la prolongation de sa rétention est soumise au respect de garanties strictes, à savoir, notamment, la protection contre l’arbitraire (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 40). Or, une telle protection implique, entre autres, qu’une rétention ne peut être ordonnée ou prolongée que dans le respect des règles générales et abstraites qui en fixent les conditions et les modalités.

    63

    En outre, il serait contraire au contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective, garanti à l’article 47 de la Charte, qu’aucune juridiction ne puisse examiner si une décision ordonnant une rétention, au titre de la directive 2008/115, est conforme aux droits et aux libertés qui sont garantis par le droit de l’Union aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 290).

    64

    Il s’ensuit que, lorsqu’une juridiction est amenée, dans le cadre de ses compétences, à ordonner, sur le fondement d’une réglementation d’un État membre mettant en œuvre l’article 18 de la directive 2008/115, que la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins d’éloignement soit exécutée dans un établissement pénitentiaire ou que la rétention de ce ressortissant dans un tel établissement soit prolongée, cette juridiction doit être en mesure de faire précéder sa décision d’un examen de la compatibilité de pareille réglementation avec le droit de l’Union et, partant, de contrôler si cette dernière est conforme à ce qu’autorise cet article 18 [voir, par analogie, arrêt du 28 janvier 2021, Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits), C‑649/19, EU:C:2021:75, point 74 et jurisprudence citée].

    65

    À cette fin, cette juridiction doit pouvoir statuer sur tout élément de fait et de droit pertinent pour déterminer si, au-delà du principe même de la rétention du ressortissant d’un pays tiers concerné, les modalités dérogatoires dans lesquelles elle sera exécutée, au titre de l’article 18 de la directive 2008/115, sont justifiées. Ladite juridiction doit, ainsi, être en mesure de prendre en considération tant les éléments de fait et les preuves invoqués par l’autorité administrative sollicitant le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire que toute observation éventuelle du ressortissant concerné d’un pays tiers. En outre, elle doit être en mesure de rechercher tout autre élément pertinent pour sa décision au cas où elle le jugerait nécessaire. Il s’ensuit que les pouvoirs détenus par l’autorité judiciaire ne peuvent, en aucun cas, être circonscrits aux seuls éléments présentés par l’autorité administrative concernée (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2014, Mahdi, C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 62).

    66

    Enfin, contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, l’obligation pour l’État membre concerné, conformément à l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2008/115, d’informer la Commission du fait qu’il a recours aux mesures exceptionnelles autorisées par le paragraphe 1 de cet article, tout comme de la cessation des motifs justifiant l’application de ces mesures, n’est pas de nature à modifier une telle conclusion. En effet, cette procédure de simple notification n’équivaut pas à un examen juridictionnel de la légalité des mesures de rétention susceptibles d’être ordonnées sur le fondement de cette dernière disposition.

    67

    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la première question que l’article 18 de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale qui est appelée, dans le cadre de sa compétence, à ordonner le placement en rétention ou la prolongation de la rétention, dans un établissement pénitentiaire, d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins d’éloignement doit pouvoir vérifier le respect des conditions auxquelles cet article 18 subordonne la possibilité pour un État membre de prévoir que ce ressortissant fasse l’objet d’une rétention dans un établissement pénitentiaire.

    Sur la deuxième question

    68

    Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale peut écarter l’application d’une réglementation d’un État membre qui permet, à titre temporaire, que les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier soient retenus, aux fins de leur éloignement, dans des établissements pénitentiaires, séparés des prisonniers de droit commun, lorsque les conditions auxquelles l’article 18, paragraphe 1, de cette directive soumet la conformité d’une telle réglementation au droit de l’Union ne sont pas ou plus réunies.

    69

    À titre liminaire, il convient de relever que les États membres sont autorisés à déroger au principe établi à l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2008/115, selon lequel les ressortissants de pays tiers doivent être retenus, à des fins d’éloignement, dans des centres de rétention spécialisés, en vertu tant de la seconde phrase de ce paragraphe que de l’article 18 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2020, Stadt Frankfurt am Main, C‑18/19, EU:C:2020:511, points 36 et 39).

    70

    Afin de répondre à la deuxième question préjudicielle, et nonobstant le fait que la réglementation nationale en cause au principal a été adoptée au titre de l’article 18 de la directive 2008/115, il convient, dès lors, de déterminer les conditions dans lesquelles un État membre peut déroger, en vertu non seulement de cet article 18, mais aussi de l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115, à l’obligation de faire exécuter une mesure de rétention à des fins d’éloignement dans un centre de rétention spécialisé, avant d’examiner si, lorsqu’aucune de ces dispositions n’est applicable, une juridiction d’un État membre peut écarter la réglementation de cet État membre autorisant temporairement la rétention, à des fins d’éloignement, des ressortissants de pays tiers dans des établissements pénitentiaires, séparés des prisonniers de droit commun.

    71

    S’agissant, en premier lieu, de l’article 18 de la directive 2008/115, il convient de souligner, à titre liminaire, que, en tant qu’il permet aux États membres de déroger à certains principes établis par cette directive lorsque la présence sur leur territoire d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur les capacités de leurs centres de rétention spécialisés, cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.

    72

    Or, il importe de relever, à cet égard, que la simple présence d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour sur le territoire de l’État membre concerné ne permet pas de démontrer qu’il est satisfait aux conditions imposées à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115. En effet, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de celle-ci, seule une partie de ces ressortissants de pays tiers peuvent être placés en rétention à des fins d’éloignement et, partant, faire peser une charge lourde et imprévue sur les capacités des centres de rétention spécialisés de l’État membre concerné.

    73

    Dès lors, la mise en œuvre, par un État membre, de la faculté de dérogation qui lui est reconnue à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 implique que cet État membre soit en mesure de démontrer que le nombre de ressortissants de pays tiers qui font l’objet d’une décision ordonnant leur placement en rétention à des fins d’éloignement est à ce point élevé qu’il fait peser une charge lourde et imprévue sur les capacités des centres de rétention spécialisés situés sur l’ensemble de son territoire.

    74

    À cet égard, s’agissant, premièrement, de la condition spécifique relative à la lourdeur de la charge qui doit peser sur les capacités des centres de rétention de l’État membre concerné, il convient de relever, tout d’abord, que, comme M. l’avocat général l’a souligné, en substance, au point 59 de ses conclusions, l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 exige non pas que les capacités de ces centres de rétention spécialisés soient durablement et intégralement saturées, mais seulement que ces capacités soient structurellement proches de la saturation.

    75

    La circonstance que certaines versions linguistiques de cette disposition, comme la version en langue allemande, visent une « surcharge » (Überlastung) des capacités de ces centres ne modifie pas un tel constat. En effet, d’autres versions linguistiques de ladite disposition se limitent à évoquer une charge « lourde », à l’instar des versions en langues française et néerlandaise (zwaar worden belast), ou une charge « importante », « considérable » ou « grande », comme les versions en langues espagnole, italienne et lituanienne (importante, notevole et didelė).

    76

    Or, selon une jurisprudence constante, une interprétation purement littérale d’une ou de plusieurs versions linguistiques d’un texte de droit de l’Union, à l’exclusion des autres, ne saurait prévaloir, l’application uniforme des normes de l’Union exigeant qu’elles soient interprétées à la lumière, notamment, des versions établies dans toutes les langues. En cas de disparité entre les versions linguistiques d’un texte de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo, C‑24/16 et C‑25/16, EU:C:2017:724, point 72).

    77

    À cet égard, si, comme il a été relevé au point 71 du présent arrêt, l’article 18 de la directive 2008/115 doit certes être interprété strictement, cette interprétation doit, toutefois, également être conforme à l’objectif poursuivi à cet article et ne peut le priver de ses effets (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, Fastweb, C‑19/13, EU:C:2014:2194, point 40). Or, la faculté de déroger à certaines dispositions de la directive 2008/115 que cet article 18 concède aux États membres, afin de leur permettre de garantir l’efficacité de la procédure de retour malgré la situation d’urgence à laquelle ils sont confrontés, serait très largement privée d’effet si un État membre était empêché d’adopter une réglementation autorisant, au cours d’une certaine période, le placement en rétention, à des fins d’éloignement, des ressortissants de pays tiers dans un établissement pénitentiaire au seul motif que, au cours de cette période, des places seraient ou pourraient s’avérer disponibles, fût-ce pour une brève durée et en très faible quantité, dans certains centres de rétention spécialisés situés sur son territoire.

    78

    Partant, un État membre peut adopter, au titre de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, une réglementation permettant de placer des ressortissants de pays tiers en rétention à des fins d’éloignement dans des établissements pénitentiaires, même s’il n’est pas exclu que, au cours de la période durant laquelle cet État membre fait usage d’une telle faculté, des places soient temporairement disponibles dans certains centres de rétention spécialisés sur son territoire.

    79

    S’agissant, deuxièmement, de la condition spécifique relative au caractère imprévu de la charge qui doit peser sur la capacité des centres de rétention de l’État membre concerné, il convient de relever que, conformément à l’article 18, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/115, les mesures dérogatoires à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2, de cette directive qui sont susceptibles d’être adoptées par un État membre, au titre de cet article 18, sont des mesures d’urgence, de nature exceptionnelle. En outre, la Cour a déjà jugé que les autorités nationales chargées de l’application de la législation nationale transposant l’article 16 de la directive 2008/115 doivent, en principe, être en mesure d’effectuer la rétention dans des centres de rétention spécialisés (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2014, Bero et Bouzalmate, C‑473/13 et C‑514/13, EU:C:2014:2095, point 29).

    80

    L’État membre concerné doit, dès lors, pouvoir démontrer que, à la date à laquelle il a adopté de telles mesures dérogatoires, il ne pouvait pas lui être raisonnablement reproché de ne pas avoir davantage anticipé la charge lourde que le nombre de ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de placement en rétention ferait peser à cette date, sur les centres de rétention spécialisés situés sur son territoire ou, à tout le moins, qu’il ne pouvait pas lui être raisonnablement reproché de ne pas avoir adopté, à cette date, des mesures structurelles suffisantes afin d’alléger une telle charge pesant sur les capacités de ces centres de rétention spécialisés.

    81

    Il s’ensuit qu’un État membre ne saurait, notamment, se prévaloir de l’article 18 de la directive 2008/115 lorsque la charge lourde qui pèse sur les capacités de ses centres de rétention spécialisés n’est pas la conséquence d’une augmentation inattendue du nombre de ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une mesure de rétention, mais est seulement causée par la réduction du nombre de places disponibles dans ces centres de rétention spécialisés ou par un manque d’anticipation des autorités nationales.

    82

    Troisièmement, il importe encore que ledit État membre puisse démontrer qu’une charge lourde, au sens du point 74 du présent arrêt, persiste tout au long de la période au cours de laquelle il se fonde sur l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, afin de déroger au principe établi à l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de cette directive. En effet, il ressort expressément de cet article 18, paragraphe 1, que de telles mesures doivent cesser de produire leurs effets dès que la situation d’urgence décrite à cette disposition a disparu.

    83

    En outre, cet État membre doit être en mesure de prouver, tout au long de la période durant laquelle il met en œuvre l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, qu’il ne lui a pas encore été possible d’adopter les mesures structurelles suffisantes, au sens du point 80 du présent arrêt, afin d’alléger cette charge lourde pesant sur les capacités de ces centres de rétention spécialisés.

    84

    L’article 18 de la directive 2008/115 autorise, dès lors, un État membre à maintenir en vigueur une réglementation permettant, à titre temporaire, que les ressortissants de pays tiers soient retenus, à des fins d’éloignement, dans des établissements pénitentiaires tant qu’il ne peut être raisonnablement attendu de cet État membre qu’il mette fin à la charge lourde, survenue de manière imprévue, qui continue de peser sur les capacités de l’ensemble de ses centres de rétention spécialisés, en raison du nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision ordonnant leur rétention à des fins d’éloignement.

    85

    Le respect de ces conditions peut nécessiter que les autorités compétentes de l’État membre concerné soient légalement contraintes de réexaminer périodiquement la persistance d’une telle situation d’urgence, à tout le moins lorsque la réglementation adoptée par cet État membre, au titre de l’article 18 de la directive 2008/115, n’a pas vocation à produire ses effets seulement sur une brève période, le cas échéant renouvelable.

    86

    Quatrièmement, il convient de rappeler que, comme il a été souligné au point 61 du présent arrêt, un État membre ne peut, sur le fondement de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, priver un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier d’autres droits que ceux qui lui sont reconnus à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2, de cette directive.

    87

    Or, comme le confirment ses considérants 13 et 16, la directive 2008/115 subordonne expressément le recours à des mesures coercitives et, plus particulièrement, à des mesures de rétention, au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis.

    88

    Il s’ensuit que la réglementation nationale mettant en œuvre cet article 18 doit prévoir que la rétention dans un établissement pénitentiaire d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins d’éloignement ne peut être ordonnée ou prolongée qu’après avoir examiné, dans chaque cas individuel, d’une part, si aucune place n’est actuellement disponible dans un des centres de rétention spécialisés de l’État membre concerné et, d’autre part, si aucune autre mesure moins coercitive n’est envisageable.

    89

    En outre, l’État membre qui fait application de l’article 18 de cette directive demeure tenu d’accorder, conformément à l’article 16, paragraphe 3, et à l’article 17, paragraphes 3 à 5, de cette directive, une attention particulière à la situation des personnes vulnérables placées en rétention, et spécifiquement à la situation des mineurs dont l’intérêt supérieur doit être pris en compte en tant que considération primordiale.

    90

    Dès lors, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 70 de ses conclusions, un ressortissant d’un pays tiers vulnérable ne peut être placé en rétention, à des fins d’éloignement, dans un établissement pénitentiaire, au titre de l’article 18 de la directive 2008/115, lorsqu’une telle rétention s’avère incompatible avec la prise en compte des besoins particuliers qui découlent de sa situation de vulnérabilité.

    91

    Enfin, lorsqu’il met en œuvre la faculté qui lui est reconnue à l’article 18 de la directive 2008/115, l’État membre concerné doit également respecter les droits fondamentaux consacrés par la Charte et, notamment, à son article 6. Dès lors et conformément à ce qui a été relevé aux points 41 à 43 du présent arrêt, cet État membre doit s’assurer que les conditions de rétention des ressortissants de pays tiers placés, à des fins d’éloignement, dans des établissements pénitentiaires se distinguent, dans toute la mesure du possible, des conditions de rétention des personnes condamnées pénalement qui y sont incarcérées. À cet égard, il importe, notamment, que l’État membre concerné veille à ce qu’il soit évité, autant que possible, que ces ressortissants puissent se retrouver en contact avec les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement.

    92

    En deuxième lieu, l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115 autorise les États membres, à titre exceptionnel et en dehors des situations expressément visées à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, à placer des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier en rétention à des fins d’éloignement dans un établissement pénitentiaire pour autant qu’ils soient séparés des prisonniers de droit commun lorsque, en raison de circonstances particulières du cas d’espèce, ils ne peuvent respecter les objectifs poursuivis par cette directive en assurant leur rétention dans des centres de rétention spécialisés (arrêt du 2 juillet 2020, Stadt Frankfurt am Main, C‑18/19, EU:C:2020:511, point 39).

    93

    La Cour a ainsi jugé qu’une telle disposition, d’interprétation restrictive, permettait, en particulier, la rétention dans un établissement pénitentiaire d’un ressortissant d’un pays tiers, à des fins d’éloignement, lorsque celui-ci présente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société ou de la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné, pour autant que ce ressortissant soit séparé des prisonniers de droit commun (arrêt du 2 juillet 2020, Stadt Frankfurt am Main, C‑18/19, EU:C:2020:511, points 31 et 48).

    94

    De la même manière, une saturation totale, soudaine et momentanée des capacités de l’ensemble des centres de rétention spécialisés situés sur le territoire d’un État membre, distincte de la charge lourde et imprévue visée à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115, pourrait également aboutir à ce que cet État membre soit dans l’impossibilité de respecter les objectifs poursuivis par la directive 2008/115 tout en veillant à ce que l’ensemble des ressortissants de pays tiers qui sont retenus à des fins d’éloignement soient placés dans des centres de rétention spécialisés.

    95

    Il en irait ainsi si un État membre était confronté à une saturation de ses centres de rétention spécialisés, telle que décrite au point précédent, et qu’il apparaissait, de manière manifeste, qu’aucune mesure moins coercitive que le placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers déterminé, soumis à une obligation de retour, n’est suffisante pour garantir l’effectivité de la procédure de retour le concernant.

    96

    Dans une telle hypothèse, il convient de considérer que l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2008/115 autorise, en principe, que ce ressortissant d’un pays tiers soit retenu, temporairement, dans un établissement pénitentiaire, séparé des prisonniers de droit commun.

    97

    Cela étant, compte tenu du fait que cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation à la fois restrictive et compatible avec le champ d’application de l’article 18 de la directive 2008/115, le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire, dans une situation telle que celle visée au point 95 du présent arrêt, ne peut, tout d’abord, être ordonné que pour une brève durée, ne pouvant dépasser quelques jours et seulement afin de permettre à l’État membre concerné de prendre, en urgence, les mesures nécessaires pour garantir à l’intéressé que sa rétention se poursuive, dans les plus brefs délais, au sein d’un centre de rétention spécialisé. En outre, une telle rétention cesse d’être justifiée, au titre de l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de cette directive lorsque la saturation des centres de rétention spécialisés de l’État membre concerné persiste au-delà de quelques jours ou se répète systématiquement et à brefs intervalles.

    98

    Il importe encore de rappeler qu’une telle rétention dans un établissement pénitentiaire doit respecter tant les droits fondamentaux garantis par la Charte que les droits consacrés à l’article 16, paragraphes 2 à 5, et à l’article 17 de la directive 2008/115.

    99

    En troisième lieu, il convient de souligner qu’une réglementation d’un État membre permettant d’ordonner le placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins d’éloignement dans un établissement pénitentiaire, alors que les conditions auxquelles l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, et l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2008/115 soumettent une telle possibilité ne sont pas réunies, méconnaît le droit que les ressortissants de pays tiers qui font l’objet d’une mesure de rétention à des fins d’éloignement tirent de l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de cette directive de n’être retenus que dans des centres de rétention spécialisés.

    100

    Or, d’une part, cette dernière disposition est inconditionnelle et suffisamment précise pour disposer d’un effet direct (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2011, El Dridi, C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 47).

    101

    D’autre part, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dans l’hypothèse où il lui est impossible de procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de ce droit qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi (arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 139).

    102

    Il s’ensuit que, sauf à pouvoir interpréter une réglementation nationale telle que celle visée au point 99 du présent arrêt conformément au droit de l’Union, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, doit refuser d’appliquer une telle réglementation dans le litige qui lui est soumis.

    103

    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, lu en combinaison avec le principe de primauté du droit de l’Union, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale doit écarter l’application d’une réglementation d’un État membre qui permet, à titre temporaire, que les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier soient retenus, aux fins de leur éloignement, dans des établissements pénitentiaires, séparés des prisonniers de droit commun, lorsque les conditions auxquelles l’article 18, paragraphe 1, et l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de cette directive soumettent la conformité d’une telle réglementation au droit de l’Union ne sont pas ou plus réunies.

    Sur les dépens

    104

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

     

    1)

    L’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens qu’une section spécifique d’un établissement pénitentiaire qui, d’une part, tout en disposant de son propre directeur, est subordonnée à la direction de cet établissement et soumise à l’autorité du ministre ayant autorité sur les établissements pénitentiaires et dans laquelle, d’autre part, des ressortissants de pays tiers sont retenus, à des fins d’éloignement, au sein de bâtiments spécifiques, disposant de leurs installations propres et isolés des autres bâtiments de cette section dans lesquels sont incarcérées des personnes condamnées pénalement, peut être considérée comme un « centre de rétention spécialisé », au sens de cette disposition, pour autant que les conditions de rétention applicables à ces ressortissants évitent, autant que possible, que cette rétention s’apparente à un enfermement dans un environnement carcéral et qu’elles sont conçues d’une manière telle que les droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que les droits consacrés à l’article 16, paragraphes 2 à 5, et à l’article 17 de cette directive sont respectés.

     

    2)

    L’article 18 de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale qui est appelée, dans le cadre de sa compétence, à ordonner le placement en rétention ou la prolongation de la rétention, dans un établissement pénitentiaire, d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins d’éloignement doit pouvoir vérifier le respect des conditions auxquelles cet article 18 subordonne la possibilité pour un État membre de prévoir que ce ressortissant fasse l’objet d’une rétention dans un établissement pénitentiaire.

     

    3)

    L’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, lu en combinaison avec le principe de primauté du droit de l’Union, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale doit écarter l’application d’une réglementation d’un État membre qui permet, à titre temporaire, que les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier soient retenus, aux fins de leur éloignement, dans des établissements pénitentiaires, séparés des prisonniers de droit commun, lorsque les conditions auxquelles l’article 18, paragraphe 1, et l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de cette directive soumettent la conformité d’une telle réglementation au droit de l’Union ne sont pas ou plus réunies.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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