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Document 62020CJ0463

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 24 février 2022.
Namur-Est Environnement ASBL contre Région wallonne.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (Belgique).
Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2011/92/UE – Évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels – Articulation entre la procédure d’évaluation et d’autorisation visée à l’article 2 de la directive 2011/92/UE et une procédure nationale de dérogation aux mesures de protection des espèces prévues par la directive 92/43/CEE – Notion d’“autorisation” – Processus décisionnel complexe – Obligation d’évaluation – Portée matérielle – Stade procédural auquel doit être garantie la participation du public au processus décisionnel.
Affaire C-463/20.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:121

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

24 février 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2011/92/UE – Évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels – Articulation entre la procédure d’évaluation et d’autorisation visée à l’article 2 de la directive 2011/92/UE et une procédure nationale de dérogation aux mesures de protection des espèces prévues par la directive 92/43/CEE – Notion d’“autorisation” – Processus décisionnel complexe – Obligation d’évaluation – Portée matérielle – Stade procédural auquel doit être garantie la participation du public au processus décisionnel »

Dans l’affaire C‑463/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 4 juin 2020, parvenue à la Cour le 24 septembre 2020, dans la procédure

Namur-Est Environnement ASBL

contre

Région wallonne,

en présence de :

Cimenteries CBR SA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer (rapporteur), F. Biltgen, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 septembre 2021,

considérant les observations présentées :

pour Namur-Est Environnement ASBL, par Me J. Sambon, avocat,

pour Cimenteries CBR SA, par Mes L. de Meeûs et C.–H. Born, avocats,

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet et M. Van Regemorter ainsi que par M. S. Baeyens, en qualité d’agents, assistés de Me P. Moërynck, avocat,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme L. Dvořáková, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. C. Hermes, M. Noll–Ehlers et F. Thiran, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 21 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 1er, 2 et 5 à 8 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1, et rectificatif JO 2015, L 174, p. 44).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Namur-Est Environnement ASBL à la Région wallonne (Belgique) au sujet d’une décision par laquelle celle-ci a accordé à Sagrex SA une dérogation aux mesures de protection des espèces animales et végétales prévues par la réglementation applicable, en vue de l’exploitation d’une carrière de granulats calcaires (ci-après la « décision de dérogation »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 92/43/CEE

3

La directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), prévoit, à ses articles 12 et 13, que les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales et végétales figurant à l’annexe IV, sous a) et b), de cette directive.

4

L’article 16 de ladite directive énonce, à son paragraphe 1, que, à condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent, pour différents motifs énoncés aux points a) à e) de la même disposition, déroger, notamment, aux articles 12 et 13 de la même directive.

La directive 2011/92

5

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2011/92 contient notamment les définitions suivantes :

« a)

“projet” :

la réalisation de travaux de construction ou d’autres installations ou ouvrages,

d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol ;

[...]

c)

“autorisation” : la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet ;

[...] »

6

L’article 2 de cette directive prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences. Ces projets sont définis à l’article 4.

2.   L’évaluation des incidences sur l’environnement peut être intégrée dans les procédures existantes d’autorisation des projets dans les États membres [...] »

7

L’article 3 de ladite directive énonce :

« L’évaluation des incidences sur l’environnement identifie, décrit et évalue de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier [...], les incidences directes et indirectes d’un projet sur les facteurs suivants :

a)

l’homme, la faune et la flore ;

b)

le sol, l’eau, l’air, le climat et le paysage ;

c)

les biens matériels et le patrimoine culturel ;

d)

l’interaction entre les facteurs visés aux points a), b) et c). »

8

L’article 5 de la même directive prévoit, à son paragraphe 1, que, « [d]ans le cas des projets qui, en application de l’article 4, doivent être soumis à une évaluation des incidences sur l’environnement, conformément au présent article et aux articles 6 à 10, les États membres adoptent les mesures nécessaires pour s’assurer que le maître d’ouvrage fournit, sous une forme appropriée, les informations spécifiées à l’annexe IV », dans la mesure où ces informations sont considérées comme étant appropriées dans un cas donné et où il peut raisonnablement être exigé du maître d’ouvrage qu’il les rassemble. En vertu de cette annexe, les informations à fournir doivent inclure, notamment, « [u]ne description des éléments de l’environnement susceptibles d’être affectés de manière notable par le projet proposé, y compris notamment [...] la faune, la flore, [...] ainsi que l’interrelation entre les facteurs précités ».

9

L’article 6 de la directive 2011/92 est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d’être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d’environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d’ouvrage et sur la demande d’autorisation [...]

2.   À un stade précoce des procédures décisionnelles en matière d’environnement visées à l’article 2, paragraphe 2, et au plus tard dès que ces informations peuvent raisonnablement être fournies, les informations suivantes sont communiquées au public [...] :

a)

la demande d’autorisation ;

b)

le fait que le projet fait l’objet d’une procédure d’évaluation des incidences sur l’environnement et que, le cas échéant, l’article 7 est applicable ;

[...]

d)

la nature des décisions possibles ou, lorsqu’il existe, le projet de décision ;

e)

une indication concernant la disponibilité des informations recueillies en vertu de l’article 5 ;

f)

une indication de la date à laquelle et du lieu où les renseignements pertinents seront mis à la disposition du public et des moyens par lesquels ils le seront ;

g)

les modalités précises de la participation du public prévues au titre du paragraphe 5 du présent article.

3.   Les États membres veillent à ce que soient mis, dans des délais raisonnables, à la disposition du public concerné :

a)

toute information recueillie en vertu de l’article 5 ;

b)

conformément à la législation nationale, les principaux rapports et avis adressés à l’autorité ou aux autorités compétentes au moment où le public concerné est informé conformément au paragraphe 2 du présent article ;

c)

conformément à la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement [...], les informations autres que celles visées au paragraphe 2 du présent article qui sont pertinentes pour la décision en vertu de l’article 8 de la présente directive et qui ne deviennent disponibles qu’après que le public concerné a été informé conformément au paragraphe 2 du présent article.

4.   À un stade précoce de la procédure, le public concerné se voit donner des possibilités effectives de participer au processus décisionnel en matière d’environnement visé à l’article 2, paragraphe 2, et, à cet effet, il est habilité à adresser des observations et des avis, lorsque toutes les options sont envisageables, à l’autorité ou aux autorités compétentes avant que la décision concernant la demande d’autorisation ne soit prise.

[...] »

10

L’article 7 de la directive 2011/92 prévoit des modalités spécifiques d’évaluation des incidences environnementales dans le cas où un projet est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement dans plusieurs États membres.

11

L’article 8 de ladite directive énonce que « [l]e résultat des consultations et les informations recueillies conformément aux articles 5, 6 et 7 sont pris en compte dans le cadre de la procédure d’autorisation ».

12

L’annexe I de la directive 2011/92 énumère les projets devant être soumis, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, à une évaluation conformément aux articles 5 à 10 de celle-ci. Le point 19 de cette annexe mentionne les « [c]arrières et exploitations minières à ciel ouvert lorsque la surface du site dépasse 25 hectares ».

Le droit belge

13

La directive 92/43 a été transposée en droit belge par la loi du 12 juillet 1973 sur la conservation de la nature (Moniteur belge du 11 septembre 1973, p. 10306), telle que modifiée par le décret de la Région wallonne du 6 décembre 2001 relatif à la conservation des sites Natura 2000 ainsi que de la faune et de la flore sauvages (Moniteur belge du 22 janvier 2002, p. 2017) (ci-après la « loi du 12 juillet 1973 »).

14

Les articles 2 bis, 3 et 3 bis de cette loi instaurent un régime de protection d’un ensemble d’espèces d’oiseaux, d’espèces mammifères et d’espèces végétales qui sont soit protégées en vertu de la directive 92/43 soit menacées en Wallonie. Ce régime repose sur des mesures telles que l’interdiction, selon les cas, du piégeage, de la capture et de la mise à mort ou de la cueillette, du coupage et du déracinement des espèces concernées, l’interdiction de les perturber intentionnellement, l’interdiction de les détenir, de les transporter, de les échanger, de les vendre, de les acheter et de les offrir ou encore l’interdiction de détruire ou de détériorer leurs habitats naturels.

15

L’article 5 de ladite loi énonce que le gouvernement de la Région wallonne peut octroyer des dérogations à ces mesures, sous certaines conditions et pour certains motifs.

16

L’article 5 bis de la même loi prévoit la possibilité d’introduire une demande tendant à obtenir une dérogation auxdites mesures, tout en renvoyant au gouvernement de la Région wallonne le soin d’arrêter la forme et le contenu de cette demande ainsi que les conditions et les modalités d’octroi de la dérogation sollicitée.

17

Il est constant que ni la loi du 12 juillet 1973 ni l’arrêté pris par le gouvernement de la Région wallonne pour son application ne prévoient, d’une part, qu’il doit être procédé à une évaluation des incidences environnementales de la dérogation sollicitée et, d’autre part, que le public concerné doit être consulté préalablement à son octroi.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18

Le 4 novembre 2008, Sagrex a présenté à l’autorité compétente de la Région wallonne une demande de permis unique relative à un projet prévoyant la remise en exploitation d’une carrière d’une surface de plus de 50 hectares située sur le site de Bossimé (Belgique) et la réalisation d’installations ainsi que d’aménagements liés à celle-ci, notamment en bord de Meuse.

19

Le 12 mai 2010, la direction extérieure de Namur du département de la nature et des forêts de la Région wallonne a émis un avis défavorable sur cette demande, dans lequel elle a, en premier lieu, relevé que le projet en cause au principal jouxtait un site Natura 2000 et couvrait deux sites de grand intérêt biologique, et qu’il entraînerait la destruction totale ou partielle de ces deux derniers sites ainsi que la disparition totale ou partielle de l’habitat naturel des différentes espèces protégées d’oiseaux, d’insectes, de reptiles et de plantes qui s’y trouvent. En deuxième lieu, elle a constaté que, en dépit de cette situation, le dossier accompagnant ce projet ne mentionnait l’existence d’aucune autorisation de déroger aux mesures de conservation des espèces protégées prescrites par la réglementation applicable. En troisième et dernier lieu, elle a estimé que les réaménagements prévus par le maître d’ouvrage tant avant que pendant et après le chantier lié à la réalisation dudit projet n’étaient pas susceptibles, compte tenu de la nature et de l’échelle de ce dernier, d’en atténuer et d’en compenser les incidences sur les habitats naturels concernés.

20

Le 1er septembre 2010, l’autorité compétente de la Région wallonne a invité Sagrex à lui soumettre des plans modificatifs et un complément d’évaluation des incidences environnementales du projet en cause au principal.

21

Le 15 avril 2016, Sagrex a présenté à l’inspecteur général du département de la nature et des forêts de la Région wallonne une demande de dérogation aux mesures de protection des espèces animales et végétales prévues par la loi du 12 juillet 1973, en lien avec ce projet.

22

Le 27 juin 2016, cet inspecteur a adopté la décision de dérogation visée au point 2 du présent arrêt. Cette décision autorise Sagrex à perturber un certain nombre d’espèces animales et végétales protégées ainsi qu’à détériorer ou à détruire certaines zones de leur habitat naturel respectif, en lien avec le projet en cause au principal, à condition de mettre en œuvre une série de mesures d’atténuation.

23

Le 30 septembre 2016, Sagrex a soumis à l’autorité compétente de la Région wallonne les plans modificatifs et le complément d’évaluation de ce projet qui lui avaient été demandés le 1er septembre 2010.

24

Une enquête publique sur ledit projet, tel qu’ainsi modifié et complété, s’est tenue du 21 novembre au 21 décembre 2016 et a suscité de nombreuses réclamations relatives à l’impact du projet en cause sur des espèces protégées ainsi que sur leur habitat.

25

Le 21 décembre 2016, la direction extérieure de Namur du département de la nature et des forêts de la Région wallonne a émis un avis favorable, sous conditions, sur la demande de permis unique présentée par Sagrex, dans lequel elle a relevé, en premier lieu, que le projet en cause au principal jouxtait partiellement un site Natura 2000, mais que l’existence d’un risque d’impact significatif sur celui-ci était exclue. S’agissant, en second lieu, des deux sites de grand intérêt biologique également jouxtés par ce projet, cette direction a, tout d’abord, considéré que, en l’absence de mesures de précaution particulières, ce dernier aurait vraisemblablement un impact significatif sur les espèces animales et végétales protégées qui s’y trouvent ainsi que sur leur habitat naturel respectif. Ensuite, elle a estimé que, moyennant la mise en œuvre des mesures d’atténuation et de compensation prévues par Sagrex et précisées par la décision de dérogation, ledit projet, d’une part, ne porterait pas atteinte à ces espèces et, d’autre part, n’entraînerait qu’une destruction progressive de leur habitat naturel respectif, qui serait en outre compensée par l’aménagement de nouveaux habitats naturels. Enfin, elle a conclu que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il pouvait raisonnablement être supposé que, au terme de la période d’exploitation de 30 ans prévue par Sagrex, les sites concernés par la carrière exploitée par celle-ci présenteraient toujours un intérêt biologique important, de telle sorte que l’impact environnemental du projet en cause au principal sur la conservation de la nature pouvait être regardé comme étant ramené à un niveau acceptable.

26

Par un arrêté en date du 25 septembre 2017, le ministre de la Région wallonne en charge de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire a cependant refusé d’accorder le permis unique demandé par Sagrex. Le recours en annulation introduit contre cet arrêté par Cimenteries CBR SA, qui détient le contrôle de Sagrex, a ultérieurement été rejeté par un arrêt du Conseil d’État (Belgique) du 14 mai 2020.

27

Dans l’intervalle, Namur-Est Environnement a introduit, devant le Conseil d’État, une requête en annulation de la décision de dérogation, dans laquelle elle fait valoir, notamment, que cette décision relève de l’autorisation d’un projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2011/92, et qu’elle n’a pas été précédée par une procédure répondant aux exigences visées aux articles 2 et suivants de cette directive. En particulier, cette association soutient, en substance, que, pour être conformes à ces exigences et pour permettre tant au public concerné de participer utilement à la procédure qu’à l’autorité compétente de tenir compte de cette participation, l’évaluation des incidences environnementales d’un projet tel que le projet en cause au principal et la consultation du public qui l’accompagne doivent intervenir avant l’adoption d’un acte tel que la décision de dérogation et non pas après celle-ci, comme en l’occurrence.

28

La Région wallonne objecte, en substance, que la décision de dérogation ne peut pas être regardée comme relevant de l’autorisation d’un projet, au sens de la directive 2011/92, dans la mesure où l’inspecteur général du département de la nature et des forêts de la Région wallonne s’y est limité, de façon non seulement ciblée et préalable à l’évaluation du projet en cause au principal par une autre autorité, mais également sans préjuger cette évaluation d’une quelconque manière, à autoriser Sagrex à déroger aux mesures de protection des espèces animales et végétales prévues par la réglementation applicable, en réponse à la demande en ce sens de l’intéressée. De façon plus générale, cette demande de dérogation et la demande de permis unique présentée par ailleurs par Sagrex relèveraient de deux régimes juridiques et de deux processus décisionnels distincts, quoique liés, et non pas d’un seul et même régime juridique ou processus décisionnel.

29

Cimenteries CBR soutient également que la décision de dérogation ne constitue qu’un acte accessoire ne pouvant pas être considéré comme valant, à lui seul, autorisation du projet en cause au principal. En outre, cette société estime que l’évaluation prescrite par la directive 2011/92 et la consultation du public qui doit l’accompagner peuvent, voire doivent, n’intervenir qu’après la décision de dérogation, afin de permettre à ce public de participer utilement à la procédure en s’exprimant de façon aussi complète que possible sur ce projet, puis à l’autorité compétente de tenir pleinement compte de cette participation.

30

Compte tenu de ces différents arguments, la juridiction de renvoi observe tout d’abord, dans sa demande de décision préjudicielle, qu’un projet tel que celui en cause au principal ne peut pas faire l’objet d’une autorisation prenant la forme d’un permis unique sans que le maître d’ouvrage ait obtenu une dérogation telle que celle figurant dans la décision de dérogation, de telle sorte que celle-ci peut être considérée comme constituant un prérequis nécessaire mais non suffisant pour se voir accorder une autorisation de cette nature. Elle précise, par ailleurs, que la décision principale ouvrant le droit du maître d’ouvrage à réaliser son projet est le permis unique qui pourra, après enquête publique, être refusé ou soumis à des conditions plus sévères que celles que comporte la décision de dérogation, l’autorité en charge de la délivrance dudit permis devant examiner l’ensemble des aspects environnementaux du projet et pouvant à ce titre apprécier plus strictement l’incidence de celui-ci par rapport aux paramètres déterminés par l’auteur de la décision de dérogation.

31

Ensuite, la juridiction de renvoi se demande si, dans ce contexte juridique et factuel, des actes tels que la décision de dérogation et la décision ultérieure par laquelle un permis unique est accordé au maître d’ouvrage sont à considérer, pris ensemble, comme faisant partie d’un processus décisionnel complexe ayant pour point d’aboutissement l’autorisation ou le refus d’autorisation d’un projet, au sens de la directive 2011/92. Enfin, elle s’interroge sur le point de savoir si, dans l’affirmative, la participation du public concerné à ce processus décisionnel complexe doit être assurée avant l’adoption d’un acte tel que la décision de dérogation ou si elle peut n’avoir lieu qu’entre cette adoption et le moment où l’autorité compétente se prononce sur le permis unique sollicité par le maître d’ouvrage.

32

Sur ces deux derniers aspects, la juridiction de renvoi indique que le contexte juridique et factuel qui caractérise le litige au principal lui paraît différent des situations de procédure d’autorisation se déroulant en plusieurs étapes dont la Cour a eu à connaître jusqu’à présent, à compter de l’arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12).

33

C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Une décision “autorisant la perturbation d’animaux et la détérioration des zones d’habitat de ces espèces en vue de l’exploitation d’une carrière” et la décision autorisant ou refusant cette exploitation (permis unique) relèvent-elles d’une même autorisation (au sens de l’article 1er, [paragraphe 2, sous c)], de la directive [2011/92]) relative à un même projet (au sens de l’article 1er, [paragraphe 2, sous a)], de la même directive) dans l’hypothèse où, d’une part, cette exploitation ne peut avoir lieu sans la première d’entre elles et où, d’autre part, l’autorité en charge de la délivrance des permis uniques conserve la possibilité d’apprécier plus strictement les incidences environnementales de cette exploitation par rapport aux paramètres déterminés par l’auteur de la première décision ?

2)

En cas de réponse affirmative à cette première question, les exigences prescrites par cette directive, en particulier à ses articles 2, 5, 6, 7 et 8, sont-elles suffisamment respectées lorsque la phase de participation du public se déroule après l’adoption de la décision “autorisant la perturbation d’animaux et la détérioration des zones d’habitat de ces espèces en vue de l’exploitation d’une carrière” mais avant celle de la décision principale ouvrant le droit du maître d’ouvrage d’exploiter la carrière ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

34

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2011/92 doit être interprétée en ce sens qu’une décision adoptée au titre de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43, qui autorise un maître d’ouvrage à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, en vue de réaliser un projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/92, relève du processus d’autorisation de ce projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de cette directive, dans l’hypothèse où, d’une part, la réalisation dudit projet ne peut pas intervenir sans que le maître d’ouvrage ait obtenu cette décision et où, d’autre part, l’autorité compétente pour autoriser un tel projet conserve la possibilité d’en apprécier les incidences environnementales de façon plus stricte que cela n’a été fait dans ladite décision.

Sur la recevabilité

35

Dans ses observations écrites et orales, le gouvernement belge a fait valoir, en substance, que la première question devait être rejetée comme étant irrecevable au motif qu’elle se fondait sur deux postulats juridiques erronés et que la juste interprétation des dispositions du droit de l’Union et du droit national auxquelles se réfère la juridiction de renvoi conduisait à considérer cette question comme étant manifestement dépourvue de rapport avec la réalité et l’objet du litige au principal. En effet, l’octroi d’une dérogation aux mesures de protection des espèces prévues par les dispositions de droit national ayant transposé la directive 92/43 pourrait être demandé, en vertu de ces dispositions, aussi bien avant qu’après l’obtention du permis unique qui matérialise cette autorisation, de telle sorte que la décision de dérogation constituerait non pas un prérequis pour cette obtention, mais un acte juridiquement indépendant. Cette interprétation serait conforme au droit de l’Union dès lors qu’aucune disposition de ce droit n’imposerait qu’une décision telle que la décision de dérogation, qui octroie une dérogation à ces mesures, doive nécessairement précéder l’autorisation d’un projet tel que celui en cause au principal, au sens de la directive 2011/92.

36

À cet égard, il découle de la jurisprudence de la Cour, en premier lieu, que des arguments concernant le fond d’une question posée par une juridiction nationale ne sauraient, par essence même, conduire à l’irrecevabilité de cette question [arrêts du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 80, ainsi que du 13 janvier 2022, Minister Sprawiedliwości, C‑55/20, EU:C:2022:6, point 83].

37

Or, en l’occurrence, force est de constater qu’une partie de l’argumentation du gouvernement belge synthétisée au point 35 du présent arrêt repose sur une interprétation des dispositions du droit de l’Union auxquelles se réfère la juridiction de renvoi dans le cadre de sa première question et qu’elle concerne donc le fond de cette question.

38

En second lieu, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de ce litige, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 26, ainsi que du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 55). En conséquence, dès lors que ces questions portent sur le droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêts du 24 novembre 2020,Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19, EU:C:2020:953, point 25, ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 115].

39

Il s’ensuit que les questions relatives au droit de l’Union posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence et que le refus de la Cour de statuer sur celles-ci n’est possible que s’il apparaît, de manière manifeste, que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème soulevé est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à ces questions (arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 27, ainsi que du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 56).

40

Par ailleurs, la procédure établie à l’article 267 TFUE se fonde sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, cette dernière étant habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité des actes de l’Union visés à cet article, en prenant en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qui lui sont posées, tel que défini par la juridiction de renvoi, et non pas à apprécier si l’interprétation des dispositions du droit national retenue par cette juridiction est correcte. Ainsi, l’examen d’un renvoi préjudiciel ne saurait être effectué au regard de l’interprétation du droit national invoquée par le gouvernement d’un État membre [voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 2013, Texdata Software, C‑418/11, EU:C:2013:588, points 28 et 29, ainsi que du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 26].

41

Or, en l’occurrence, d’une part, la première question porte, à l’évidence, sur l’interprétation du droit de l’Union, comme indiqué au point 37 du présent arrêt. D’autre part, les considérations qui sous-tendent cette question, telles que résumées aux points 30 à 32 du présent arrêt, attestent tant de la pertinence de celle-ci, dans le contexte factuel spécifique qui caractérise le litige au principal, que du caractère nécessaire, selon la juridiction de renvoi, d’une réponse de la Cour.

42

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la première question n’est pas manifestement dépourvue de rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Par conséquent, cette question doit être considérée comme étant recevable.

Sur le fond

43

En premier lieu, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/92 et l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de celle-ci définissent respectivement les termes « projet » et « autorisation », aux fins de cette directive, en précisant qu’ils renvoient, le premier, à la réalisation de travaux de construction ou d’autres installations ou ouvrages ainsi qu’à d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, et, le second, à la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser un tel projet.

44

Or, ces éléments textuels ne permettent pas, en eux-mêmes, de répondre à la première question, par laquelle la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si une décision telle que la décision de dérogation doit être considérée, bien qu’elle ne constitue pas une « décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet » qu’elle concerne, comme relevant de l’autorisation de ce projet compte tenu des liens qu’elle entretient avec cette décision. Certes, lesdits éléments définissent la notion d’« autorisation » en renvoyant à une décision d’une autre nature que celle de la décision de dérogation et ils excluent, par conséquent, que cette dernière puisse être considérée, isolément et en tant que telle, comme valant « autorisation » du projet qu’elle concerne, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive 2011/92. Cependant, ils n’excluent pas pour autant qu’une telle décision puisse être regardée, prise ensemble avec la décision ultérieure par laquelle il est statué sur le droit du maître d’ouvrage de réaliser ce projet, comme relevant de l’autorisation ou, le cas échéant, du refus d’autorisation de celui-ci.

45

Dans ces conditions, il convient, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, d’interpréter cette directive en tenant compte, en complément des termes des dispositions visées aux deux points précédents du présent arrêt, du contexte dans lequel celles-ci s’inscrivent ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie (arrêts du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 41, ainsi que du 21 janvier 2021, Allemagne/Esso Raffinage, C‑471/18 P, EU:C:2021:48, point 81).

46

S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrivent les définitions figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et c), de ladite directive, il convient d’observer, tout d’abord, que, ainsi qu’il ressort de l’ensemble des dispositions de celle-ci, la décision sur l’autorisation est appelée à intervenir au terme de l’intégralité d’un processus d’évaluation des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement qui sont visés à l’article 2, paragraphe 1, de la même directive.

47

Ces dispositions font donc apparaître que l’autorisation d’un projet constitue le point d’aboutissement d’un processus décisionnel qui débute par la présentation d’une demande en ce sens par le maître d’ouvrage et qui, d’un point de vue procédural, comprend l’ensemble des opérations nécessaires au traitement de cette demande.

48

Ensuite, lesdites dispositions font ressortir que, d’un point de vue matériel et non plus procédural, ce processus décisionnel doit conduire l’autorité compétente à tenir compte, de façon complète, des incidences que les projets soumis à la double obligation d’évaluation et d’autorisation prévue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2011/92 sont susceptibles d’avoir sur l’environnement, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 44 de ses conclusions.

49

Ainsi, l’article 2, paragraphe 1, de cette directive vise, de façon générale, les « incidences notables sur l’environnement » que ces projets sont susceptibles d’avoir, sans se référer spécifiquement à tel ou tel type d’incidence notable ni exclure explicitement tel ou tel autre type d’incidence notable de son champ d’application. De même, l’article 3 de ladite directive se réfère, de façon générale, aux incidences « directes et indirectes » desdits projets sur l’environnement.

50

Il s’ensuit que le processus décisionnel institué par la directive 2011/92 doit porter, notamment, sur les incidences notables qu’un projet soumis à celui-ci est susceptible d’avoir sur la faune et la flore présentes dans les différentes zones qui peuvent être concernées par ce projet, telles que sa zone d’implantation ou celles qui sont adjacentes à cette dernière, comme cela ressort d’ailleurs déjà de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, points 84 à 87).

51

C’est, du reste, pour cette raison que l’article 5 de la directive 2011/92 impose au maître d’ouvrage de fournir des informations spécifiques à ce sujet à l’autorité compétente.

52

Il en découle que, dans le cas spécifique où la réalisation d’un projet soumis à la double obligation d’évaluation et d’autorisation prévue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2011/92 implique que le maître d’ouvrage demande et obtienne une dérogation aux mesures de protection des espèces animales et végétales prévues par les dispositions du droit interne assurant la transposition des articles 12 et 13 de la directive 92/43 et où, par conséquent, ce projet est susceptible d’avoir des incidences sur ces espèces, l’évaluation dudit projet doit porter, notamment, sur ces incidences.

53

Il est, dès lors, indifférent que la directive 92/43 ne prévoie pas elle-même d’obligation d’évaluation des incidences que cette dérogation est susceptible d’avoir sur les espèces concernées, cette directive ayant une portée autonome par rapport à celle de la directive 2011/92 et s’appliquant sans préjudice de l’obligation d’évaluation des incidences environnementales instituée par cette dernière, dont le champ d’application est général, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 1999, Commission/Irlande, C‑392/96, EU:C:1999:431, point 71 ; du 31 mai 2018, Commission/Pologne, C‑526/16, non publié, EU:C:2018:356, point 72, et du 12 juin 2019, CFE, C‑43/18, EU:C:2019:483, point 52).

54

Enfin, l’examen du contexte dans lequel s’inscrivent les dispositions auxquelles se réfère la juridiction de renvoi dans sa première question fait ressortir que l’évaluation des incidences environnementales d’un projet donné peut intervenir non seulement dans le cadre de la procédure menant à la décision d’autorisation visée à l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive 2011/92, mais également dans celui d’une procédure menant à une décision préalable à cette décision d’autorisation, auquel cas ces différentes décisions peuvent être considérées comme faisant partie d’un processus décisionnel complexe en ce sens que celui-ci se déroule en plusieurs étapes (voir, par analogie, arrêts du 7 janvier 2004, Wells, C‑201/02, EU:C:2004:12, points 47, 52 et 53, ainsi que du 17 mars 2011, Brussels Hoofdstedelijk Gewest e.a., C‑275/09, EU:C:2011:154, point 32).

55

En effet, l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2011/92 prévoit explicitement que cette évaluation des incidences environnementales peut être intégrée dans les procédures nationales existantes d’autorisation, ce dont il résulte, d’une part, que ladite évaluation ne doit pas nécessairement être menée dans le cadre d’une procédure spécialement créée à cette fin et, d’autre part, qu’elle ne doit pas non plus nécessairement être menée dans le cadre d’une procédure unique.

56

Les États membres disposent donc d’une marge d’appréciation leur permettant de déterminer les conditions procédurales dans lesquelles est menée une telle évaluation et de répartir les différentes compétences afférentes à celle-ci entre plusieurs autorités, notamment en leur attribuant à chacune un pouvoir décisionnel en la matière, ainsi que la Cour l’a déjà relevé (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2011, Commission/Irlande, C‑50/09, EU:C:2011:109, points 72 à 74).

57

Cependant, l’exercice de cette marge d’appréciation doit répondre aux exigences posées par la directive 2011/92 et garantir le plein respect des objectifs poursuivis par celle-ci (arrêt du 3 mars 2011, Commission/Irlande, C‑50/09, EU:C:2011:109, point 75).

58

À cet égard, il importe d’observer, premièrement, que l’évaluation des incidences environnementales d’un projet doit, en tout état de cause, d’une part, être complète et, d’autre part, intervenir avant que ne soit prise une décision d’autorisation de ce projet (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2011, Commission/Irlande, C‑50/09, EU:C:2011:109, points 76 et 77).

59

Il en découle que, dans le cas où un État membre confie le pouvoir d’évaluer une partie des incidences environnementales d’un projet et de prendre une décision au terme de cette évaluation partielle à une autorité autre que celle à laquelle il confie le pouvoir d’autoriser ce projet, cette décision doit nécessairement être adoptée préalablement à l’autorisation dudit projet. En effet, à défaut, cette autorisation interviendrait sur une base incomplète et ne répondrait donc pas aux exigences applicables (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2011, Commission/Irlande, C‑50/09, EU:C:2011:109, points 81 et 84).

60

Deuxièmement, il résulte expressément de l’article 3 de la directive 2011/92 que l’obligation d’effectuer une évaluation complète des incidences environnementales d’un projet, visée aux points 48 et 58 du présent arrêt, implique de tenir compte non seulement de chacune de ces incidences, prises individuellement, mais également de leur interaction entre elles et donc de l’incidence d’ensemble de ce projet sur l’environnement. De même, l’annexe IV de la directive 2011/92 impose au maître d’ouvrage de fournir des informations, notamment, sur l’interrelation des incidences qu’un projet peut simultanément avoir sur différentes composantes de l’environnement, comme la faune et la flore.

61

Or, cette évaluation d’ensemble peut conduire l’autorité compétente à considérer que, compte tenu de l’interaction ou de l’interrelation qui existe entre les différentes incidences environnementales d’un projet, celles-ci doivent être appréciées de façon plus stricte ou, selon le cas, moins stricte que telle ou telle incidence, appréhendée isolément, ne l’a été au préalable.

62

Il s’ensuit que, dans le cas où un État membre confie le pouvoir d’évaluer une partie des incidences environnementales d’un projet et de prendre une décision au terme de cette évaluation partielle à une autorité autre que celle à laquelle il confie le pouvoir d’autoriser ce projet, cette évaluation partielle et cette décision préalable ne sauraient préjuger, la première, l’évaluation d’ensemble que l’autorité compétente pour autoriser le projet doit en tout état de cause mener et, la seconde, la décision adoptée à l’issue de cette évaluation d’ensemble, comme Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, aux points 73 et 74 de ses conclusions.

63

En l’occurrence, les énonciations figurant dans la décision de renvoi, notamment celles résumées au point 30 du présent arrêt, et les termes dans lesquels est libellée la première question font ressortir que ces exigences paraissent être respectées, sous réserve des vérifications à opérer par la juridiction de renvoi. En effet, il en résulte, d’une part, que l’autorisation d’un projet tel que celui en cause au principal ne peut pas intervenir sans que le maître d’ouvrage de celui-ci ait obtenu une décision l’autorisant à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, ce dont il se déduit que cette décision doit nécessairement être adoptée préalablement à cette autorisation. D’autre part, l’autorité compétente pour autoriser ce projet conserve la possibilité d’en apprécier les incidences environnementales de façon plus stricte que cela n’a été fait dans ladite décision.

64

En ce qui concerne, en troisième et dernier lieu, les objectifs poursuivis par la directive 2011/92, et en particulier l’objectif essentiel de celle-ci consistant à assurer un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine par la mise en place d’exigences minimales pour l’évaluation des incidences environnementales des projets, l’interprétation qui se dégage des éléments de contexte examinés aux points 46 à 63 du présent arrêt contribue à la réalisation d’un tel objectif, en permettant aux États membres de confier à une autorité donnée la responsabilité de prendre, de façon préalable et ciblée, une décision sur certaines incidences environnementales des projets devant faire l’objet d’une évaluation, tout en réservant à l’autorité compétente pour autoriser ces projets le soin d’en faire une évaluation complète et finale.

65

En effet, en cas d’issue négative d’une telle évaluation partielle, il est loisible au maître d’ouvrage, soit de renoncer à son projet, sans qu’il soit alors besoin de poursuivre le processus complexe d’évaluation et d’autorisation mis en place par la directive 2011/92, soit de modifier ce projet d’une manière propre à remédier aux incidences négatives mises en lumière par cette évaluation partielle, à charge pour l’autorité compétente en définitive de se prononcer sur ce projet modifié. À l’inverse, en cas d’issue positive, il est loisible à cette autorité de prendre en compte la décision prise au préalable, bien qu’elle ne la lie ni dans son évaluation finale ni dans les conséquences de droit à tirer de cette dernière. L’existence d’une évaluation partielle donnant lieu à une décision préalable est ainsi susceptible de constituer, dans tous les cas, un facteur de qualité, d’efficacité et de cohérence renforcée de la procédure d’évaluation et d’autorisation.

66

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la directive 2011/92 doit être interprétée en ce sens qu’une décision adoptée au titre de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43, qui autorise un maître d’ouvrage à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, en vue de réaliser un projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/92, relève du processus d’autorisation de ce projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de cette directive, dans l’hypothèse où, d’une part, la réalisation dudit projet ne peut pas intervenir sans que le maître d’ouvrage ait obtenu cette décision et où, d’autre part, l’autorité compétente pour autoriser un tel projet conserve la possibilité d’en apprécier les incidences environnementales de façon plus stricte que cela n’a été fait dans ladite décision.

Sur la seconde question

67

Par sa seconde question, posée en cas de réponse affirmative à sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2011/92 doit être interprétée, compte tenu en particulier de ses articles 6 et 8, en ce sens que l’adoption d’une décision préalable autorisant un maître d’ouvrage à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, en vue de réaliser un projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive, ne doit pas nécessairement être précédée d’une participation du public, pour autant que cette participation soit assurée avant l’adoption de la décision à prendre par l’autorité compétente pour l’autorisation éventuelle de ce projet.

68

À cet égard, l’article 6 de la directive 2011/92 prévoit notamment, à ses paragraphes 2 et 3, qu’un ensemble d’informations relatives aux projets soumis à la double obligation d’évaluation et d’autorisation instituée par cette directive doit être, selon le cas, communiqué au public ou mis à la disposition de celui-ci « à un stade précoce des procédures décisionnelles [...] et au plus tard dès que ces informations peuvent raisonnablement être fournies ». Cet article énonce en outre, à son paragraphe 4, que, « à un stade précoce de la procédure, le public concerné se voit donner des possibilités effectives de participer au processus décisionnel [...] et, à cet effet, il est habilité à adresser des observations et des avis, lorsque toutes les options sont envisageables, à l’autorité ou aux autorités compétentes avant que la décision concernant la demande d’autorisation ne soit prise ».

69

Pour sa part, l’article 8 de cette directive énonce que le résultat des consultations et les informations recueillies, notamment, grâce à la participation du public sont pris en compte par l’autorité compétente lors de sa décision d’autoriser ou non le projet concerné.

70

Ainsi qu’il découle de ces dispositions, celles-ci obligent les États membres à prendre les mesures nécessaires pour assurer, dans le cadre du processus d’évaluation et d’autorisation des projets soumis à la directive 2011/92, une participation du public répondant à un ensemble d’exigences.

71

Premièrement, tant la communication au public ou la mise à la disposition du public des informations servant de base à cette participation que la possibilité donnée au public d’adresser des observations et des avis sur ces informations ainsi que, plus globalement, sur le projet concerné et sur ses incidences environnementales, doivent intervenir à un stade précoce et, en tout état de cause, avant la prise d’une décision relative à l’autorisation de ce projet.

72

Deuxièmement, ladite participation doit être effective, ce qui implique que le public puisse s’exprimer non seulement de façon utile et complète sur le projet concerné ainsi que sur ses incidences environnementales, mais également à un moment où toutes les options sont envisageables.

73

Troisièmement, le résultat de cette même participation doit être pris en compte par l’autorité compétente lors de sa décision d’autoriser ou non le projet concerné.

74

Or, ces différentes exigences peuvent s’avérer plus délicates à concilier dans le cadre d’un processus décisionnel complexe, en fonction des différentes étapes de celui-ci et de la répartition des compétences entre les différentes autorités qui sont appelées à y prendre part.

75

Tel est le cas, en particulier, dans l’hypothèse où une autorité donnée est appelée à évaluer, lors d’une étape préalable ou intermédiaire d’un tel processus décisionnel, une partie seulement des incidences environnementales du projet concerné. En effet, en pareille hypothèse, la participation du public ne peut porter que sur la partie des incidences environnementales de ce projet qui relève de la compétence de cette autorité, à l’exclusion non seulement de celle qui n’en relève pas, mais également de l’interaction ou de l’interrelation entre l’une et l’autre.

76

Dans une telle hypothèse, il convient de considérer que l’exigence de participation précoce du public au processus décisionnel doit être interprétée et appliquée d’une manière qui se concilie avec l’exigence tout aussi importante de participation effective de ce public à ce processus.

77

À cet égard, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que, dans le cas où un projet fait l’objet d’un processus décisionnel en plusieurs étapes caractérisé par l’adoption successive d’une décision principale puis d’une décision d’exécution de celle-ci, l’obligation d’évaluer les incidences environnementales de ce projet qu’impose la directive 2011/92 doit, en principe, intervenir avant l’adoption de la décision principale, sauf s’il n’est pas possible d’identifier et d’évaluer toutes ces incidences lors de cette étape, auquel cas une évaluation d’ensemble desdites incidences doit alors avoir lieu avant l’adoption de la décision d’exécution (arrêts du 7 janvier 2004, Wells, C‑201/02, EU:C:2004:12, points 52 et 53 ; du 28 février 2008, Abraham e.a., C‑2/07, EU:C:2008:133, point 26, ainsi que du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen, C‑411/17, EU:C:2019:622, points 85 et 86).

78

Or, l’obligation de participation du public prévue par cette directive est intimement liée à cette obligation d’évaluation, ainsi qu’il découle des points 47 et 68 du présent arrêt.

79

Compte tenu de ce lien, il convient de considérer, par analogie, que, dans l’hypothèse visée au point 75 du présent arrêt, l’exigence de participation précoce du public au processus décisionnel prévue à l’article 6 de la directive 2011/92 n’impose pas de faire précéder l’adoption de la décision préalable relative à une partie des incidences environnementales du projet concerné par une telle participation, à la condition que cette participation soit effective, exigence qui implique, premièrement, qu’elle intervienne avant l’adoption de la décision à prendre par l’autorité compétente pour autoriser ce projet, deuxièmement, qu’elle permette au public de s’exprimer de façon utile et complète sur l’ensemble des incidences environnementales dudit projet et, troisièmement, que l’autorité compétente pour autoriser un tel projet puisse tenir pleinement compte de ladite participation.

80

Il appartient à la seule juridiction de renvoi de vérifier que ces conditions ont été respectées en l’occurrence et donc que le public a pu s’exprimer, de manière utile et complète, sur l’ensemble des incidences environnementales du projet en cause au principal entre la date d’adoption de la décision préalable ayant autorisé le maître d’ouvrage à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, en vue de réaliser ce projet, et la date à laquelle l’autorité compétente pour autoriser ledit projet s’est prononcée à ce propos.

81

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que la directive 2011/92 doit être interprétée, compte tenu en particulier de ses articles 6 et 8, en ce sens que l’adoption d’une décision préalable autorisant un maître d’ouvrage à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, en vue de réaliser un projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive, ne doit pas nécessairement être précédée d’une participation du public, pour autant que cette participation soit assurée de façon effective avant l’adoption de la décision à prendre par l’autorité compétente pour l’autorisation éventuelle de ce projet.

Sur les dépens

82

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

La directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, doit être interprétée en ce sens qu’une décision adoptée au titre de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, qui autorise un maître d’ouvrage à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, en vue de réaliser un projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/92, relève du processus d’autorisation de ce projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de cette directive, dans l’hypothèse où, d’une part, la réalisation dudit projet ne peut pas intervenir sans que le maître d’ouvrage ait obtenu cette décision et où, d’autre part, l’autorité compétente pour autoriser un tel projet conserve la possibilité d’en apprécier les incidences environnementales de façon plus stricte que cela n’a été fait dans ladite décision.

 

2)

La directive 2011/92 doit être interprétée, compte tenu en particulier de ses articles 6 et 8, en ce sens que l’adoption d’une décision préalable autorisant un maître d’ouvrage à déroger aux mesures applicables en matière de protection des espèces, en vue de réaliser un projet, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive, ne doit pas nécessairement être précédée d’une participation du public, pour autant que cette participation soit assurée de façon effective avant l’adoption de la décision à prendre par l’autorité compétente pour l’autorisation éventuelle de ce projet.

 

Prechal

Passer

Biltgen

Rossi

Wahl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 février 2022.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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