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Document 62019CC0030

Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 14 mai 2020.
Diskrimineringsombudsmannen contre Braathens Regional Aviation AB.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Högsta domstolen.
Renvoi préjudiciel – Égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique – Directive 2000/43/CE – Article 7 – Défense des droits – Article 15 – Sanctions – Recours en indemnité fondé sur une allégation de discrimination – Acquiescement du défendeur à la demande d’indemnité, sans reconnaissance de sa part de l’existence de la discrimination alléguée – Lien entre l’indemnité versée et la discrimination alléguée – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à une protection juridictionnelle effective – Règles procédurales nationales empêchant la juridiction saisie du recours de se prononcer sur l’existence de la discrimination alléguée malgré la demande expresse du requérant.
Affaire C-30/19.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:374

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 14 mai 2020 ( 1 )

Affaire C‑30/19

Diskrimineringsombudsmannen

contre

Braathens Regional Aviation AB

[demande de décision préjudicielle formée par le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2000/43/CE – Égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique – Article 7 – Défense des droits – Article 15 – Sanctions – Recours en indemnité pour discrimination – Mécanisme d’acquiescement – Refus du défendeur de reconnaître l’existence d’une discrimination malgré la demande expresse du requérant – Lien entre la sanction et la discrimination – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à une protection juridictionnelle effective – Impossibilité de faire constater l’existence d’une discrimination »

I. Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle formée par le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède) a trait à l’interprétation de la directive 2000/43/CE ( 2 ), qui interdit les discriminations sur le fondement de la race et de l’origine ethnique, et porte sur le droit d’une personne qui s’estime victime d’une telle discrimination de faire examiner et, le cas échéant, constater par un juge l’existence de cette discrimination. Elle vise plus précisément à déterminer si une telle personne dispose de ce droit dans le cadre d’un recours en indemnité lorsque le défendeur accepte de payer l’indemnité demandée, mais n’admet pas avoir commis une quelconque discrimination.

2.

Cette problématique est soulevée dans le cadre d’un litige opposant un passager aérien, représenté par le Diskrimineringsombudsmannen (autorité suédoise chargée de la lutte contre les discriminations, ci-après le « Médiateur »), à la compagnie aérienne Braathens Regional Aviation AB (ci-après « Braathens »).

3.

La présente affaire soulève plus particulièrement la question de savoir si un mécanisme procédural national, en vertu duquel le défendeur peut, en acquiesçant à une demande d’indemnité pour discrimination, mettre fin au litige, sans toutefois reconnaître l’existence d’une discrimination, et sans que le requérant puisse faire examiner et constater celle-ci par un juge, permet à ce dernier de faire pleinement valoir les droits qu’il tire de la directive 2000/43 lue à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

4.

Pour les raisons que j’exposerai dans la suite des présentes conclusions, j’estime qu’il convient de répondre à cette question par la négative.

5.

Cette affaire doit conduire la Cour à examiner la marge de manœuvre dont disposent les États membres pour établir leurs règles de procédure compte tenu des exigences de la directive 2000/43 lue à la lumière de la Charte.

6.

À l’issue de mon analyse, je proposerai à la Cour de juger qu’une personne qui estime avoir subi une discrimination sur le fondement de l’origine ethnique doit, à défaut de reconnaissance de celle-ci par le défendeur, pouvoir faire examiner et, le cas échéant, constater par un juge l’existence de cette discrimination. Un mécanisme procédural de règlement des litiges ne saurait aboutir à lui dénier ce droit.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

7.

Les considérants 19 et 26 de la directive 2000/43 énoncent :

« (19)

Les personnes qui ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique doivent disposer de moyens de protection juridique adéquats. Pour assurer un niveau de protection plus efficace, les associations ou les personnes morales doivent aussi être habilitées à engager une procédure, selon des modalités fixées par les États membres, pour le compte ou à l’appui d’une victime, sans préjudice des règles de procédure nationales relatives à la représentation et à la défense devant les juridictions.

[...]

(26)

Les États membres doivent mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives applicables en cas de non-respect des obligations découlant de la présente directive. »

8.

Aux termes de l’article 1er de cette directive, intitulé « Objet » :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

9.

L’article 2 de ladite directive, intitulé « Concept de discrimination », dispose, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement”, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique. »

10.

L’article 7 de cette même directive, intitulé « Défense des droits », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées.

2.   Les États membres veillent à ce que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente directive sont respectées puissent, pour le compte ou à l’appui du plaignant, avec son approbation, engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive.

3.   Les paragraphes 1 et 2 sont sans préjudice des règles nationales relatives aux délais impartis pour former un recours en ce qui concerne le principe de l’égalité de traitement. »

11.

L’article 8 de la directive 2000/43, intitulé « Charge de la preuve », énonce :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

[...]

3.   Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux procédures pénales.

[...] »

12.

L’article 15 de cette directive, intitulé « Sanctions », dispose :

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l’application de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues, qui peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives [...] »

B.   Le droit suédois

13.

Conformément à l’article 4, paragraphe 1, du chapitre 1er de la diskrimineringslagen (2008 :567) (loi relative aux discriminations), constitue notamment une discrimination la situation dans laquelle une personne subit un désavantage parce qu’elle est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est ou ne le serait dans une situation comparable, lorsque la différence de traitement est liée au sexe, à l’identité ou à l’expression de genre, à l’appartenance ethnique, à la religion ou aux opinions, au handicap, à l’orientation sexuelle ou à l’âge.

14.

Selon l’article 12 du chapitre 2 de cette même loi, l’exercice d’une discrimination est en particulier interdit à quiconque fournit, en dehors de sa sphère privée ou familiale, des biens, des services ou des logements au public.

15.

Le chapitre 5 de la loi relative aux discriminations prévoit les sanctions encourues par quiconque exerce une discrimination. Il s’agit de l’indemnisation, dite « indemnité pour discrimination », de la révision et de l’annulation de contrats et autres actes juridiques.

16.

Il ressort de l’article 1er, deuxième alinéa, chapitre 6, de cette loi que les litiges portant sur l’application de l’article 12 du chapitre 2, de ladite loi sont examinés par les juridictions ordinaires selon les dispositions du rättegångsbalken (1942 :740) (code de procédure judiciaire), relatives aux procédures civiles dans le cadre desquelles un règlement amiable du litige est autorisé.

17.

En vertu de l’article 1er du chapitre 13 de ce code, le requérant peut, dans les conditions énumérées à cette disposition, exercer une action en exécution aux fins d’obtenir la condamnation du défendeur à exécuter une obligation de faire, et notamment à lui verser une somme d’argent au titre de l’indemnité pour discrimination.

18.

L’article 7 du chapitre 42 de ce même code prévoit que le défendeur doit, lors de l’audience, présenter immédiatement sa défense. À défaut, le défendeur peut, à ce stade, décider d’acquiescer à la demande du requérant. L’acquiescement à la demande tend à l’extinction de l’instance. L’acquiescement peut être fondé sur un moyen de droit ou de fait particulier invoqué par le requérant, mais peut aussi ne pas être lié aux moyens à l’appui de la demande de ce dernier.

19.

Conformément à l’article 18 de ce chapitre 42 du code de procédure judiciaire, à la suite de l’acquiescement du défendeur aux prétentions du requérant, le juge peut rendre un jugement sur la base de cet acquiescement.

20.

Selon l’article 2, premier alinéa, du chapitre 13 de ce code, le requérant peut exercer une action déclaratoire visant à la constatation de l’existence d’un rapport juridique spécifique lorsqu’une incertitude concerne ce rapport de droit et lui porte préjudice.

III. Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

21.

Au mois de juillet 2015, un passager d’origine chilienne résidant à Stockholm (Suède) et voyageant sur un vol intérieur Göteborg‑Stockholm (ci-après le « passager »), opéré par Braathens, a été soumis ainsi qu’un autre voyageur, par décision du commandant de bord, à un contrôle de sécurité supplémentaire.

22.

Le Médiateur a saisi le Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm, Suède) d’un recours tendant à obtenir la condamnation de Braathens à verser au passager une indemnité pour discrimination d’un montant de 10000 couronnes suédoises (SEK) (environ 1000 euros). À l’appui de son recours, cette autorité a fait valoir que le passager avait fait l’objet d’une discrimination directe en violation de l’article 12, du chapitre 2, et de l’article 4, du chapitre 1er, de la loi relative aux discriminations, de la part de Braathens. Cette dernière aurait pris le passager pour une personne arabe et musulmane, l’aurait soumis, pour ce motif, à un contrôle de sécurité supplémentaire et, partant, lui aurait fait subir un désavantage pour des raisons liées à l’apparence physique et l’appartenance ethnique, en le traitant d’une manière moins favorable que d’autres passagers dans une situation comparable.

23.

Devant cette juridiction, Braathens a acquiescé à la demande en exécution de l’indemnité réclamée, tout en contestant l’existence d’une quelconque discrimination.

24.

Le Médiateur s’est opposé à ce que le Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm) statue conformément à cet acquiescement, sans examiner au fond la discrimination alléguée. Dans l’hypothèse où ce tribunal déciderait néanmoins, dans le cadre du recours en exécution ( 3 ), de ne pas examiner l’affaire au fond, le Médiateur a conclu, en premier lieu, à ce que ledit tribunal rende un jugement déclaratoire constatant que Braathens est tenue de verser une indemnité pour discrimination en raison de son comportement discriminatoire ou, en second lieu, à ce que ce même tribunal constate simplement, par un tel jugement, que le passager a fait l’objet d’une discrimination de la part de la compagnie aérienne.

25.

Le Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm) a condamné Braathens, au point 1 du dispositif de sa décision, à verser la somme de 10000 SEK au passager, majorée des intérêts et, au point 2 de ce dispositif, à payer les dépens. Au point 3 du même dispositif, il a déclaré irrecevables les conclusions du Médiateur tendant à obtenir un jugement déclaratoire. Il a estimé que les litiges portant sur les droits et obligations civils dont les parties disposent librement, tels que celui de l’espèce, devaient, en cas d’acquiescement aux prétentions du requérant, être tranchés sans examen du fond, en soulignant qu’il était lié par l’acquiescement de Braathens.

26.

Le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm, Suède) a rejeté l’appel interjeté par le Médiateur, en considérant que cet appel était irrecevable s’agissant des points 1 et 2 du dispositif du jugement de première instance, que ce jugement respectait les règles de la procédure civile suédoise et que, compte tenu de son acquiescement, la position de Braathens concernant l’allégation d’un comportement discriminatoire était dénuée de pertinence. Cette juridiction a également écarté la demande en appel portant sur le point 3 de ce dispositif relatif au prononcé d’un jugement déclaratoire.

27.

Le Médiateur a formé un pourvoi contre l’arrêt de la juridiction d’appel, en demandant au Högsta domstolen (Cour suprême) de saisir la Cour à titre préjudiciel, d’annuler cet arrêt, d’infirmer le jugement du Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm) et de renvoyer l’affaire à ce tribunal pour examen au fond d’au moins une de ses conclusions tendant à obtenir un jugement déclaratoire, en sus de la demande d’exécution tendant au versement de l’indemnité pour discrimination. Braathens a conclu au rejet de ces conclusions.

28.

La juridiction de renvoi expose que la loi relative aux discriminations a pour objectif de lutter contre les discriminations et de promouvoir l’égalité des droits et des chances des personnes indépendamment du sexe, de l’identité ou de l’expression de genre, de l’appartenance ethnique, de la religion ou des opinions, du handicap, de l’orientation sexuelle ou de l’âge. Cette loi, à caractère obligatoire, couvrirait plusieurs domaines d’activité, s’appliquerait aux secteurs tant public que privé, aurait été rédigée en prenant en compte les motifs de discrimination visés par les conventions des Nations unies et du Conseil de l’Europe, ainsi que, notamment, les différents actes de l’Union européenne, tels que la directive 2000/43, et viserait à permettre, selon ses travaux préparatoires, des sanctions fortes et dissuasives en cas de discrimination.

29.

Cette juridiction ajoute que, dans le cadre de la transposition en droit suédois de la directive 2000/43, notamment de son article 15, les sanctions encourues en vertu de ladite loi, par toute personne exerçant une discrimination, sont l’indemnisation, dite « indemnité pour discrimination », ainsi que la révision et l’annulation de contrats et d’autres actes juridiques. En particulier, quiconque enfreindrait l’interdiction consacrée à l’article 12 de son chapitre 2, devrait s’acquitter d’une telle indemnité. Celle-ci devrait, dans chaque cas particulier, être fixée de manière à constituer une indemnisation raisonnable pour la victime et participer à la lutte contre les discriminations dans la société, de sorte à assurer une double fonction de réparation et de prévention ( 4 ). La juridiction de renvoi précise que les litiges visant à l’application de cet article relèvent des juridictions ordinaires, statuant selon les dispositions du code de procédure judiciaire relatives aux procédures civiles dans lesquelles un règlement amiable du litige est autorisé, les parties ayant la libre disposition de leurs droits.

30.

Le Högsta domstolen (Cour suprême) souligne encore certains aspects procéduraux tirés du droit national. Il expose que le défendeur peut décider d’acquiescer à la demande d’indemnisation du requérant sans être tenu d’indiquer ses raisons ni de se fonder sur un moyen invoqué par le requérant. L’acquiescement peut ainsi ne pas être lié aux moyens à l’appui de la demande de ce dernier. Un tel acquiescement vise, en pratique, à emporter extinction de l’instance sans qu’il soit nécessaire de poursuivre l’examen de l’affaire. Le juge doit faire droit à l’acquiescement sans réel examen des faits ou de la question de droit. Aucune conclusion certaine ne peut donc être tirée d’un tel jugement quant au bien-fondé des arguments du requérant relatifs aux circonstances du litige.

31.

Le Högsta domstolen (Cour suprême) ajoute que l’action déclaratoire prévue à l’article 2 du chapitre 13 du code de procédure judiciaire vise à constater l’existence d’un rapport juridique entre les parties. Toutefois, cette action serait facultative. Le juge pourrait l’examiner s’il existait une incertitude sur ce rapport, et si cette dernière portait préjudice au requérant notamment en rendant son activité économique plus difficile à planifier. L’examen d’une telle action doit ainsi apparaître opportun au regard des faits, le juge devant mettre en balance, d’une part, l’intérêt à agir du requérant et, d’autre part, les désagréments que pourrait subir le défendeur, en raison, notamment, de la probabilité de procédures supplémentaires.

32.

La juridiction de renvoi expose que, dans l’affaire au principal, les juridictions de première et deuxième instances ont rendu un jugement condamnant Braathens au paiement de l’indemnité réclamée sur le fondement de son acquiescement, sans que la question de l’existence de la discrimination invoquée puisse, selon ces juridictions, être examinée dans le cadre d’une procédure déclaratoire.

33.

La juridiction de renvoi s’interroge sur ce résultat eu égard aux exigences de l’article 15 de la directive 2000/43, en matière de sanction des discriminations, lu à la lumière de l’obligation des États membres d’assurer à toute personne un droit à un recours effectif devant un tribunal pour être entendue en cas de violation des droits et libertés garantis par le droit de l’Union, conformément à l’article 47 de la Charte. Elle considère qu’il importe de savoir si le juge doit pouvoir examiner la question de l’existence de la discrimination à la demande de la partie qui estime en avoir fait l’objet et si la réponse dépend du fait que l’auteur présumé admet ou non son existence.

34.

Dans ces conditions, le Högsta domstolen (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans une affaire relative à la violation d’une interdiction prévue par la [directive 2000/43], dans laquelle la victime réclame une indemnité pour discrimination, un État membre doit-il, si cela est demandé par la victime, toujours examiner si une discrimination a eu lieu – et, le cas échéant, constater l’existence de la discrimination – indépendamment du fait que la partie accusée de discrimination admet ou non l’existence de la discrimination, afin que l’exigence de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives visée à l’article 15 [de cette directive] puisse être considérée comme remplie ? »

35.

Des observations écrites ont été déposées par le Médiateur, Braathens, les gouvernements suédois et finlandais ainsi que par la Commission européenne. À l’exception du gouvernement finlandais, ces parties et intéressés ont été représentés lors de l’audience de plaidoiries qui s’est déroulée le 11 février 2020.

IV. Analyse

A.   Observations liminaires

36.

Le recours introduit par le Médiateur au nom du passager vise à ce que Braathens soit condamnée à verser à ce dernier une indemnité pour discrimination. Un aspect important de ce recours tient à ce que celui-ci ne tend pas simplement au versement d’une somme d’argent, mais qu’il vise également à obtenir de Braathens qu’elle admette que cette somme est versée en raison d’une discrimination ou, sinon, à faire constater par le juge la violation du droit à l’égalité de traitement du passager.

37.

Or, Braathens refuse de reconnaître une quelconque discrimination. Celle-ci s’est déclarée prête à payer et a, en effet, versé l’indemnité demandée, mais uniquement pour montrer « sa bonne volonté » et éviter une procédure éventuellement longue et coûteuse l’obligeant à se défendre contre l’allégation de discrimination.

38.

Malgré ce refus de reconnaissance de l’existence d’une discrimination, les juges de première et deuxième instances, conformément aux règles de procédure nationales, ont pris acte de ce que, en acquiesçant à la demande du Médiateur, dont le recours est considéré comme étant limité à la demande d’indemnité, il a été mis fin au litige, et ce bien que le Médiateur demandait également que soit constatée l’existence d’une discrimination. Ces juges ont donc ordonné le versement de l’indemnité, mais rejeté les demandes du Médiateur tendant à obtenir une constatation de la violation du droit à l’égalité de traitement du passager.

39.

Je souligne qu’il ressort des observations soumises à la Cour qu’une action déclaratoire visant à obtenir une telle constatation est facultative ( 5 ) et n’est pas « habituelle », dans le cas de litiges en matière de discrimination ( 6 ). Dans ce type de litiges, l’indemnité pour discrimination pouvant, en principe, être déterminée directement, l’action déclaratoire, qui implique souvent un procès en deux temps portant d’abord sur une constatation de discrimination puis sur la fixation d’une indemnité, est généralement considérée comme inopportune ( 7 ) et dès lors irrecevable. Elle n’est jugée opportune que si, par exemple, l’étendue du préjudice matériel ou moral ne peut pas être déterminée au moment où le recours est introduit et que celui-ci ne peut pas être différé pour des raisons de délai de prescription ( 8 ).

40.

En somme, selon le droit suédois, tel qu’interprété par les juges de première et deuxième instances dans l’affaire au principal, une personne qui s’estime victime d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, au sens de l’article 2 de cette directive, ne peut pas, en pratique, obtenir en justice, outre une indemnisation, la constatation de l’existence même de cette discrimination lorsque l’auteur présumé de cette discrimination accepte de payer l’indemnité demandée, tout en contestant une quelconque discrimination. La question centrale qui se pose dans la présente affaire est de savoir si un mécanisme procédural d’extinction de l’instance, tel que l’acquiescement, peut aboutir à un tel résultat sans porter atteinte aux exigences de la directive 2000/43.

41.

Je souligne que le pourvoi du Médiateur devant la juridiction de renvoi porte uniquement sur la situation où la personne qui s’estime victime d’une discrimination obtient une indemnité du défendeur sans que celui-ci reconnaisse avoir eu un comportement discriminatoire. Ce pourvoi ne porte pas sur le cas où le défendeur reconnaît l’existence d’une telle discrimination. Dans cette dernière hypothèse, le Médiateur considère que, le requérant ayant obtenu satisfaction sur l’intégralité de ses demandes, les juridictions nationales ne seraient plus tenues d’examiner si une discrimination a bien eu lieu, et il ne serait pas utile d’interroger la Cour sur ce point.

42.

Compte tenu du cadre du litige au principal, j’estime qu’il convient d’examiner la question préjudicielle uniquement sous l’angle de la non-reconnaissance de l’existence d’une discrimination par l’auteur présumé de celle-ci.

43.

Afin de pouvoir apprécier la marge de manœuvre dont disposent les États membres sur le plan procédural pour mettre en œuvre la directive 2000/43, il convient d’examiner les exigences de cette dernière.

B.   Les exigences de la directive 2000/43

44.

Ainsi qu’il ressort de son préambule, la directive 2000/43 vise à protéger toutes les personnes physiques contre la discrimination sur le fondement de la race ou de l’origine ethnique, et ce faisant à assurer le respect d’un droit fondamental de la personne humaine. La directive 2000/43 concrétise ainsi dans le domaine qu’elle couvre le principe général de non-discrimination désormais consacré à l’article 21 de la Charte ( 9 ). Ainsi qu’il ressort du considérant 12 et de l’article 3 de cette directive, ce droit s’étend aux domaines les plus variés de la société. Dans ce contexte, les articles 7 et 15 de ladite directive, relatifs aux voies de recours et aux sanctions applicables, jouent un rôle central afin d’assurer le respect du droit à l’égalité de traitement en exigeant des États membres qu’ils prévoient des moyens de protection juridique adéquats ( 10 ) en faveur des victimes de telles discriminations.

45.

L’article 7 de la directive 2000/43 impose aux États membres de prévoir des procédures judiciaires ou administratives afin que les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement puissent faire valoir les droits qu’elles tirent de cette directive.

46.

Aux termes de l’article 15 de ladite directive, les États membres doivent prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, lesquelles peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime.

47.

Ces deux dispositions sont liées, ainsi qu’il ressort de l’arrêt de principe von Colson et Kamann ( 11 ), portant sur l’interprétation de la directive 76/207/CEE ( 12 ) consacrée à l’interdiction des discriminations entre hommes et femmes. Cet arrêt interprète, plus particulièrement, l’article 6 de cette directive relatif au droit des personnes victimes de discrimination de faire valoir leurs droits, et dont les termes sont proches de ceux utilisés à l’article 7 de la directive 2000/43.

48.

La Cour a jugé dans cet arrêt que les États membres sont tenus, en vertu de l’article 6 de la directive 76/207, d’introduire dans leur ordre juridique les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s’estime lésée par une discrimination de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle en précisant que ces mesures doivent être suffisamment efficaces pour atteindre l’objet de la directive et pouvoir être invoquées devant les tribunaux nationaux de manière effective par les personnes concernées. À titre d’exemple, la Cour a indiqué que de telles mesures peuvent comprendre des dispositions assurant une indemnisation pécuniaire adéquate, renforcées, le cas échéant, par un système d’amendes ( 13 ).

49.

La Cour a ajouté que la sanction doit en outre avoir à l’égard de l’auteur de la discrimination un effet dissuasif réel ( 14 ).

50.

Cet arrêt et la jurisprudence qui l’a suivi ont été pris en compte par le législateur de l’Union dans les nouvelles directives adoptées en matière d’égalité de traitement ( 15 ), dont la directive 2000/43.

51.

Le législateur de l’Union a ainsi prévu, par souci de clarté, non plus une seule disposition, mais deux dispositions distinctes, en l’occurrence, les articles 7 et 15 de la directive 2000/43. Celles-ci portent respectivement sur la « défense des droits », en ce compris les procédures judiciaires ou administratives, et les « sanctions » ( 16 ).

52.

La Cour a précisé dans sa jurisprudence les caractéristiques de ces notions. Je relève que les mêmes termes d’efficacité et d’effectivité sont utilisés pour qualifier tant la défense des droits ( 17 ) que les sanctions ( 18 ).

53.

S’agissant de la défense des droits, la Cour se réfère en général au droit à une protection juridictionnelle effective ( 19 ).

54.

La Cour a interprété une disposition rédigée en des termes identiques à l’article 7 de la directive 2000/43, à savoir l’article 9 de la directive 2000/78 ( 20 ). Elle a jugé que cet article 9 prévoit un droit à un recours effectif à l’instar de celui inscrit à l’article 47, premier alinéa, de la Charte ( 21 ). En vertu de cette dernière disposition, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours devant un tribunal.

55.

Je souligne que, bien qu’il s’agisse d’un droit fondamental, consacré dans le droit primaire, dont toute personne peut se prévaloir, le législateur de l’Union a estimé nécessaire de le réaffirmer dans la directive 2000/43 comme dans les autres directives en matière d’égalité de traitement et en prévoyant qu’il doit être mis en œuvre par des voies procédurales. Ces dernières font écho aux voies de recours qu’il appartient aux États membres d’établir en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.

56.

La Cour a ainsi jugé dans l’arrêt Leitner ( 22 ) que le respect du principe d’égalité requiert, en ce qui concerne les personnes qui ont fait l’objet d’une discrimination, en l’occurrence fondée sur l’âge, « qu’une protection juridictionnelle effective de leur droit à l’égalité de traitement soit garantie » ( 23 ).

57.

Il s’ensuit qu’une personne qui s’estime victime de discrimination sur le fondement de l’origine ethnique doit pouvoir, en vertu de l’article 7 de la directive 2000/43, faire valoir devant un juge son droit à l’égalité de traitement afin que celui-ci examine si une discrimination a eu lieu et fasse respecter son droit ( 24 ).

58.

Le législateur a encore renforcé la protection juridictionnelle de la personne qui s’estime victime d’une discrimination en lui facilitant l’administration de la preuve. L’article 8 de la directive 2000/43 prévoit ainsi que, lorsque la personne qui s’estime victime d’une discrimination établit des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination, c’est à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

59.

En ce qui concerne les sanctions prévues à l’article 15 de la directive 2000/43, la Cour a souligné, s’agissant de dispositions analogues, que les États membres doivent, en premier lieu, s’assurer que la victime puisse obtenir la réparation intégrale ( 25 ) du préjudice subi. Par conséquent, cette indemnisation ne saurait être plafonnée ( 26 ).

60.

Les sanctions doivent, en second lieu, avoir un effet réellement dissuasif ( 27 ). Elles ne sauraient donc être purement symboliques ( 28 ) et doivent être en adéquation avec la gravité des violations ( 29 ), tout en respectant le principe de proportionnalité ( 30 ). Des mesures de publicité sont considérées comme susceptibles de jouer un rôle dissuasif ( 31 ). Les sanctions peuvent également assumer une fonction punitive ( 32 ).

61.

Je souligne que, si la protection juridictionnelle et les sanctions doivent être efficaces et effectives, les États membres sont, en revanche, libres de choisir les mesures qui leur paraissent appropriées pourvu qu’elles leur permettent d’atteindre les résultats voulus par le droit de l’Union ( 33 ).

62.

Dans la présente affaire, c’est précisément l’étendue de cette liberté de choix qui est en jeu au regard des obligations imposées par le législateur de l’Union dans la directive 2000/43.

63.

Il ressort des explications de la juridiction de renvoi qu’un régime de sanction tel que celui en cause dans l’affaire au principal vise, d’une part, à réparer le préjudice subi par la victime et, d’autre part, à sanctionner l’auteur de la discrimination en le dissuadant de se comporter de manière discriminatoire à l’avenir. De plus, une voie de recours, l’action en exécution, est prévue pour la mise en œuvre de ces sanctions.

64.

Braathens, le gouvernement suédois et la Commission en déduisent qu’un tel système de sanctions et de voies de recours, lequel comprend le mécanisme procédural d’extinction de l’instance, que constitue l’acquiescement, satisfait aux exigences prévues par la directive 2000/43.

65.

À l’instar du Médiateur, j’estime pour ma part, contrairement à Braathens, au gouvernement suédois et à la Commission, que tel n’est pas le cas.

C.   Les conséquences découlant de la directive 2000/43 sur l’autonomie procédurale

66.

Je rappelle que, selon le principe de l’autonomie procédurale et en vertu d’une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation de l’Union pour assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde de ces droits ( 34 ).

67.

Cette liberté des États membres est soumise aux principes d’équivalence et d’effectivité, à savoir, pour le premier, à l’obligation d’assurer que ces modalités procédurales ne sont pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et, pour le second, à l’obligation que ces modalités ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union.

68.

La Cour a progressivement été amenée, dans de nombreuses affaires, à appliquer un autre test, celui de la protection juridictionnelle effective, désormais garantie à l’article 47 de la Charte ( 35 ). Ce test consiste à examiner si le droit interne concerné assure une protection juridictionnelle effective en permettant à l’intéressé de faire valoir devant un juge les droits qu’il tire du droit de l’Union. Ce dernier test est considéré comme plus contraignant. Il n’admet de limitation qu’en vertu de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, à savoir à la condition que cette limitation soit prévue par la loi, qu’elle respecte le contenu essentiel des droits et libertés reconnus par la Charte ainsi que le principe de proportionnalité.

69.

L’un et/ou l’autre test seront normalement appliqués selon que les règles examinées mettent ou non en jeu le droit à une protection juridictionnelle effective au sens de l’article 47 de la Charte ( 36 ).

70.

Dans la mesure où la présente affaire porte sur des règles de droit dérivé en matière de sanctions et de voies de recours qui visent à assurer une protection juridictionnelle effective, c’est le test de la protection juridictionnelle effective qui doit, à mon sens, s’appliquer.

71.

J’estime néanmoins qu’il n’y a pas lieu d’opposer les deux tests dans un tel cas, la notion d’« effectivité » dans le cadre du principe de l’autonomie procédurale rejoignant celle de « protection juridictionnelle effective ».

72.

Les États membres sont ainsi libres d’adopter les règles procédurales qui leur semblent appropriées, sous réserve des exigences découlant de la directive 2000/43.

73.

Je relève, à cet égard, que les articles 7, 8 et 15 de la directive 2000/43, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, contiennent des prescriptions explicites ou implicites en matière réglementaire.

74.

En premier lieu, conformément aux articles 7 et 15 de cette directive, les États membres sont tenus de prévoir des voies de recours et des mesures de réparation et de sanction permettant d’assurer une protection juridictionnelle effective. En second lieu, l’article 8 de ladite directive prévoit expressément une règle de procédure en matière de charge de la preuve.

75.

J’examine ci-après les conséquences pratiques qui en découlent sur les mesures adoptées par les États membres au titre de cette directive en matière de sanctions (section 1), de voies de recours (section 2) ainsi que, de manière plus générale, sur leur faculté de prévoir des mécanismes visant à faciliter le règlement des litiges, fondés sur le principe dispositif (section 3).

1. Sur la « libre » détermination par les États membres des mesures de sanction

76.

Il résulte d’une jurisprudence constante à laquelle il a été fait référence à la note en bas de page 33 des présentes conclusions que les États membres ont une marge de manœuvre pour choisir les sanctions qu’ils estiment appropriées. S’agissant de la directive 2000/43, la Cour a jugé dans l’arrêt Feryn ( 37 ) qu’elle n’impose pas de sanctions déterminées, mais laisse aux États membres la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser l’objectif qu’elle fixe.

77.

Dans cet arrêt, qui concernait une discrimination dans la sélection des candidats à l’embauche, la Cour a précisé, au point 39, que les sanctions peuvent consister dans le constat de la discrimination par la juridiction ou l’autorité administrative compétente, assorti du degré de publicité adéquat, dans l’injonction faite à l’employeur de cesser la pratique discriminatoire constatée, assortie le cas échéant d’une astreinte, ou encore dans l’octroi de dommages et intérêts à l’organisme qui a mené la procédure ( 38 ).

78.

Il s’ensuit qu’un État membre peut notamment prévoir le paiement de dommages et intérêts en guise de sanction et que la constatation d’une discrimination n’est qu’une des autres possibilités de sanction qui s’offrent à lui.

79.

Il ressort toutefois de cet arrêt que la sanction prononcée est étroitement liée à l’existence d’une discrimination ( 39 ). Ledit arrêt ne saurait être interprété en ce sens qu’une indemnité pourrait constituer une sanction effective au titre de l’article 15 de la directive 2000/43 sans qu’une violation du droit à l’égalité de traitement soit reconnue par l’auteur présumé de la discrimination ou constatée par une autorité administrative ou judiciaire.

80.

J’estime que l’absence de lien entre le versement d’une indemnité et une violation du droit à l’égalité de traitement par la reconnaissance ou la constatation de cette dernière porterait atteinte tant à la fonction réparatrice qu’à la fonction dissuasive de la sanction.

a) Sur la fonction réparatrice de la sanction

81.

La Cour a jugé dans l’arrêt Marshall que la réparation pécuniaire peut être la mesure retenue pour rétablir l’égalité de traitement, en l’occurrence, entre hommes et femmes en soulignant que cette réparation doit être adéquate par rapport au préjudice subi ( 40 ).

82.

Mais comment pourrait-il y avoir réparation du préjudice subi si celui-ci n’est pas reconnu ou constaté ?

83.

Cette question se pose tout particulièrement lorsqu’est en jeu un préjudice moral, comme en l’espèce. Il semble que le versement d’un montant pécuniaire ne suffise généralement pas, en lui-même, à réparer le préjudice subi. Ainsi que le Médiateur le fait valoir, l’intérêt premier du passager et de la plupart des victimes de discrimination qu’il représente n’est pas économique.

84.

Or, si le défendeur verse la somme demandée tout en refusant d’admettre l’existence d’un préjudice, la victime reçoit certes une somme d’argent, mais celle-ci n’étant pas liée au préjudice subi, elle est dissociée de la réalité vécue par la victime. Si le juge, contre la volonté du requérant, mentionne dans son jugement que la discrimination n’est pas reconnue ( 41 ) et s’il ne s’exprime pas lui-même sur la réalité ou non de la discrimination alléguée, celle-ci n’a pas d’existence en droit.

85.

La nécessité d’établir un lien entre la mesure de sanction, en l’occurrence une indemnité, et l’existence d’une discrimination est corroborée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »).

86.

Je rappelle que, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dans la mesure où celle-ci contient des droits correspondant à des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention.

87.

Or, le droit à une protection juridictionnelle effective, inscrit à l’article 47 de la Charte reflète les droits énoncés aux articles 6 et 13 de la CEDH portant respectivement sur le droit à un procès équitable et le droit à un recours effectif ( 42 ). Par ailleurs, le droit à l’égalité de traitement sans distinction de race ou d’origine ethnique, que la directive 2000/43 vise à protéger, et inscrit à l’article 21 de la Charte, fait écho à l’article 14 de la CEDH ( 43 ). Par conséquent, la référence à la jurisprudence de la Cour EDH est pertinente dans ce domaine.

88.

La Cour EDH a considéré qu’une personne qui s’estime « victime », au sens de l’article 34 ( 44 ) de la CEDH, d’une discrimination et qui demande la réparation de celle-ci sous la forme d’une indemnité ne perd son statut de victime que si deux conditions sont remplies. Elle doit non seulement recevoir l’indemnité réclamée, mais les autorités nationales doivent aussi avoir reconnu la violation alléguée de la CEDH ( 45 ).

89.

J’estime que cette jurisprudence est pertinente s’agissant des victimes de discrimination au sens de la directive 2000/43. La notion de « personne qui s’estime lésée » dans le cadre de cette directive correspond à celle de « victime présumée » d’une discrimination au sens de la CEDH ( 46 ).

90.

Si l’on transpose cette jurisprudence de la Cour EDH dans le cadre d’une affaire telle que celle au principal, cela implique que pour obtenir la réparation effective du préjudice subi cette personne doit pouvoir demander à un juge de constater qu’elle a été victime d’une discrimination. Cette jurisprudence met ainsi en évidence l’importance de constater l’existence d’un lien entre l’indemnité versée à la personne qui s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et la violation de son droit à l’égalité de traitement.

91.

La position du gouvernement suédois et de Braathens selon laquelle la jurisprudence de la Cour EDH ne serait pas pertinente dans le cadre d’un litige entre deux personnes privées, en l’occurrence une société privée et un particulier, car elle ne concernerait que les rapports entre l’État et un particulier, ne saurait prospérer.

92.

En effet, d’une part, les enseignements résultant de la jurisprudence de la Cour EDH concernant l’interdiction des atteintes aux droits fondamentaux ont vocation à s’appliquer également aux relations entre particuliers par l’intermédiaire de la doctrine des « obligations positives » que cette convention impose aux États parties – en particulier, l’obligation positive d’assurer qu’un particulier ne soit pas discriminé dans l’exercice des droits prévus par ladite convention par un autre particulier ( 47 ). D’autre part, en tout état de cause, les limitations prévues dans la CEDH quant au champ d’application d’un droit prévu par cette convention ( 48 ) ne sauraient s’appliquer aux droits équivalents figurant dans la Charte, pour autant que ceux-ci ne prévoient pas une telle limitation. Au demeurant, la Cour a interprété les articles 21 et 47 de la Charte dans de nombreux litiges entre particuliers ( 49 ).

93.

Il s’ensuit que, dans le cas d’un litige relatif à une discrimination fondée sur l’origine ethnique, un requérant tel que le passager doit pouvoir faire constater que l’indemnité réclamée à l’encontre d’une société privée, telle que la compagnie aérienne en cause au principal, est due à une telle discrimination. Si cette dernière acquiesce à la demande d’indemnité sans reconnaître la discrimination, la personne requérante qui s’estime lésée doit pouvoir demander au juge de vérifier l’existence d’une discrimination.

94.

Le lien entre l’indemnité et l’existence d’une discrimination par la reconnaissance ou la constatation de cette dernière est important non seulement pour que la victime puisse obtenir une réparation adéquate, mais aussi pour que la sanction puisse assumer sa deuxième fonction, à savoir sa fonction dissuasive, conformément à l’article 15 de la directive 2000/43.

b) Sur la fonction dissuasive de la sanction

95.

Des considérations analogues à celles que j’ai développées dans la section a), s’agissant de la nécessité d’un lien entre la sanction et le droit qui a été violé, par la reconnaissance ou la constatation de cette violation, s’appliquent pour assurer que la sanction remplisse sa fonction de dissuasion à l’égard tant du défendeur que d’autres auteurs de discriminations similaires.

96.

En effet, comment le paiement d’une somme pourrait-il avoir un effet suffisamment dissuasif à l’égard du défendeur en l’incitant à ne pas reproduire son comportement discriminatoire et en prévenant ainsi de nouvelles discriminations de sa part ou de celles d’autres personnes, si celui-ci ne reconnaît pas avoir eu un tel comportement et si le juge ne constate pas l’existence d’une discrimination ?

97.

Le gouvernement finlandais soutient que l’auteur de la discrimination prend conscience de son acte en payant une indemnité majorée et se trouve ainsi dissuadé de reproduire le même comportement discriminatoire à l’avenir. Mais, cette prise de conscience fait précisément défaut lorsque, comme en l’espèce, la partie défenderesse refuse d’admettre une quelconque discrimination et que le montant réclamé n’a pas d’impact économique marqué sur elle ( 50 ).

98.

Si la sanction n’est pas clairement liée à un comportement discriminatoire, force est de constater que l’effet dissuasif sera fortement atténué. L’auteur de la discrimination pourra être tenté de l’ignorer à l’avenir et de reproduire les mêmes comportements puisqu’il n’aura pas été sanctionné « pour » discrimination.

99.

Si dans le cadre d’une action en indemnité le défendeur pouvait en payant l’indemnité s’abstenir de reconnaître l’existence d’une quelconque discrimination et si celle-ci ne pouvait être constatée par un juge, les mesures imposées par la directive 2000/43 seraient largement privées de leur effet utile et ne permettraient pas de lutter de manière effective contre les discriminations puisque celles-ci pourraient être ignorées.

100.

Dans un tel cas, le défendeur pourrait en quelque sorte « acheter » son comportement discriminatoire dès lors que celui-ci ne serait ni reconnu ni constaté.

101.

À l’inverse, la reconnaissance ou la constatation d’une violation du droit fondamental à l’égalité de traitement sont susceptibles d’inciter ce dernier à ne pas reproduire les mêmes comportements discriminatoires à l’avenir. L’effet dissuasif pourra être encore renforcé par une communication, voire une publicité, à ce sujet.

102.

Par conséquent, j’invite la Cour à juger qu’un lien doit exister entre la sanction et l’existence d’une discrimination soit par la reconnaissance de la discrimination par son auteur, soit par la constatation de celle-ci par une autorité judiciaire ou administrative, afin que la sanction puisse pleinement assumer ses fonctions réparatrices et dissuasives conformément aux articles 7 et 15 de la directive 2000/43.

2. Sur la « libre » détermination des voies de recours

103.

Les considérations qui précèdent sur la reconnaissance ou la constatation d’une discrimination sont également pertinentes en ce qui concerne la vérification de l’existence de voies de recours efficaces et effectives conformément à l’article 7 de la directive 2000/43. En effet, il s’agit de deux facettes du même problème, une atteinte à l’établissement de sanctions effectives se traduisant par une atteinte à l’effectivité des voies de recours.

104.

Ainsi que je l’ai indiqué au point 71 des présentes conclusions, la notion d’« effectivité » rejoint ici la notion de « protection juridictionnelle effective ».

105.

Si les États membres disposent, en principe, du libre choix des voies de recours et des modalités procédurales auxquelles elles sont soumises, c’est sous réserve qu’elles ne portent pas atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective prévu à l’article 7 de la directive 2000/43 lu à la lumière de l’article 47 de la Charte.

106.

Selon Braathens, il ressort de l’arrêt Unibet que les États membres ne sont pas tenus de prévoir une voie de droit autonome afin de faire vérifier la conformité du droit national au droit de l’Union. Il en déduit qu’une voie de recours, telle que l’action en exécution prévue par le droit procédural suédois, et les modalités procédurales qui s’y rattachent, en l’occurrence le mécanisme de l’acquiescement, sont conformes au droit de l’Union.

107.

À cet égard, je rappelle que le droit de l’Union n’a certes pas entendu créer des voies de droit autres que celles établies par le droit national. Il résulte, toutefois, de cet arrêt que cette considération s’applique à la condition que des voies de recours existent en vertu du droit national, ne serait-ce qu’à titre incident, aux fins d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ( 51 ).

108.

Or, il ressort du dossier soumis à la Cour que, si le défendeur décide d’acquiescer à la demande d’indemnité du requérant, tout en niant avoir eu un comportement discriminatoire, ce dernier se trouve privé, en pratique, de la faculté de faire examiner par un juge, voire constater par celui-ci, une discrimination, même à titre incident.

109.

Il appartient, bien entendu, à la juridiction de renvoi de vérifier que tel est bien l’effet du droit national. Je relève, en tout état de cause, que selon les explications de cette juridiction dans sa demande de décision préjudicielle, l’action déclaratoire visant à faire constater l’existence d’une discrimination est facultative et entre les mains du juge qui décide de son opportunité, si bien que la personne qui s’estime lésée ne dispose pas d’un droit ( 52 ) de faire examiner et, le cas échéant, constater l’existence d’une discrimination.

110.

Force est de constater qu’une telle situation n’offre pas à la personne qui s’estime lésée une garantie d’accès au juge pour faire constater l’existence d’une discrimination, conformément à l’article 7 de la directive 2000/43 et à l’article 47 de la Charte ( 53 ).

111.

Le test applicable est strict. La personne qui s’estime lésée doit avoir un droit d’accès au juge. Cet accès au juge constitue en effet le contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective visé à l’article 7 de la directive 2000/43 et à l’article 47 de la Charte, de sorte qu’un mécanisme procédural d’extinction de l’instance qui aboutirait à ce que la discrimination ne soit ni reconnue ni constatée ne satisferait pas au test prévu à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ( 54 ).

112.

Outre le fait qu’un mécanisme procédural d’extinction de l’instance puisse créer un obstacle à l’accès au juge tel que requis à l’article 7 de la directive 2000/43 et à l’article 47 de la Charte, j’observe que si un tel mécanisme met fin au recours sans que le défendeur ait reconnu l’existence d’une discrimination, ce mécanisme est également susceptible d’empêcher l’application effective de l’article 8 de la directive 2000/43, qui vise à renforcer la protection juridictionnelle.

113.

Je rappelle que selon cet article, dès lors qu’une personne qui s’estime lésée établit devant une juridiction ou une autre instance compétente des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

114.

Or, la personne qui s’estime lésée ne peut même pas établir de tels faits devant une juridiction puisque son recours s’arrête au stade de l’acquiescement.

115.

En effet, bien que le Médiateur ait estimé que, au vu du problème de discrimination soulevé par le passager, ce dernier méritait son soutien, la juridiction compétente n’a pas examiné si le passager avait établi des faits de nature à faire naître une présomption de discrimination. Les juges de première et deuxième instances ont considéré qu’il avait été fait droit à la demande du requérant de sorte qu’il ne restait plus rien à examiner. Le passager n’a donc pas pu faire entendre sa cause au sujet de l’existence d’une discrimination.

116.

Dans un tel cas, il y a lieu de constater que l’article 8 de la directive 2000/43 est privé de son effet utile et que la personne qui s’estime lésée se voit dénier la possibilité de se faire entendre sur une de ses prétentions essentielles.

117.

Braathens, le gouvernement suédois et la Commission font encore valoir que, pour apprécier si des règles procédurales, telles que celles en cause au principal, permettent d’assurer l’effectivité du droit de l’Union, il convient de replacer celles-ci dans l’ensemble du droit interne concerné et de tenir compte en particulier de l’existence d’autres voies de recours ( 55 ), en l’occurrence celles prévues en matière pénale pour lutter contre la discrimination illicite.

118.

À cet égard, je relève que la directive 2000/43 ne concerne pas les procédures pénales ( 56 ) et que la juridiction de renvoi n’a d’ailleurs pas mentionné celles-ci, mais a souligné les voies de recours de droit civil destinées à mettre en œuvre cette directive. La possibilité d’introduire une action pénale a néanmoins été débattue lors de l’audience, à la suite d’une question de la Cour adressée au gouvernement suédois pour réponse écrite. Ce dernier a indiqué que la discrimination illicite est passible de poursuites pénales. Si, après qu’un particulier a déposé plainte auprès de la police, le ministère public n’engage pas de telles poursuites, ce gouvernement a précisé que le particulier a la possibilité d’engager une procédure d’accusation privée. Le Médiateur ne conteste pas la possibilité d’une action pénale, mais souligne que la probabilité qu’elle aboutisse est faible compte tenu de l’engagement de ressources publiques, qui limite le nombre d’affaires susceptibles de faire l’objet de poursuites et de la difficulté pour une personne privée d’apporter les preuves requises.

119.

Toutefois, quelle que soit la facilité ou la difficulté d’accès à une telle procédure, j’observe qu’une telle voie de recours ne permet pas de considérer que la personne qui s’estime lésée dispose d’une protection juridictionnelle effective au sens de l’article 8 de la directive 2000/43.

120.

En effet, l’action pénale présente certaines contraintes en matière d’administration de la preuve, que la directive 2000/43 a précisément voulu éviter à la victime de discrimination dans le cadre d’un recours en droit civil ( 57 ). Elle a ainsi expressément renversé la charge de la preuve en sa faveur afin de l’aider à faire constater l’existence d’une violation de son droit à l’égalité de traitement.

121.

Par conséquent, l’existence d’une action pénale ne permettrait pas en tout état de cause de pallier une absence de voie de recours en matière civile, répondant aux règles de preuve prévues à l’article 8 de la directive 2000/43, pour faire constater l’existence d’une discrimination, en cas d’acquiescement, sans reconnaissance de discrimination par le défendeur.

3. Sur la « libre » détermination d’un mécanisme de règlement rapide des litiges fondé sur le principe dispositif

122.

Braathens considère enfin que le mécanisme d’acquiescement prévu dans le droit de l’État membre concerné tend à une bonne administration de la justice en ce sens qu’il permet un règlement rapide des litiges conformément au principe dispositif. Il serait particulièrement utile dans le cas de différends qualifiés de « petits litiges » au regard des montants concernés et contribuerait, par la possibilité de régler le litige à l’amiable, à éviter l’encombrement des tribunaux.

123.

Le souci de veiller à une bonne administration de la justice est, en effet, un objectif légitime au regard du droit de l’Union ( 58 ), mais je considère que l’analyse qui précède est pleinement conciliable avec cet objectif.

124.

Le droit de l’Union reconnaît chacun des outils procéduraux mentionnés par Braathens. Le principe dispositif, en vertu duquel l’initiative d’un procès appartient aux parties et dont il résulte que le pouvoir du juge de soulever d’office des moyens est limité par l’obligation qui lui est faite de s’en tenir à l’objet du litige et de fonder sa décision sur les faits qui ont été présentés devant lui, a été admis comme un instrument procédural partagé par la plupart des États membres ( 59 ). Le règlement amiable est, quant à lui, envisagé à l’article 7 de la directive 2000/43 à travers la mention de la possibilité pour les États membres de prévoir des procédures de conciliation. Par ailleurs, l’accord amiable est expressément encouragé dans le règlement consacré aux petits litiges ( 60 ).

125.

Toutefois, ces outils ne s’opposent nullement à l’interprétation de la directive 2000/43, telle que proposée dans la présente analyse.

126.

Le principe dispositif sur lequel s’appuie Braathens doit être appliqué en tenant compte des droits conférés par la directive 2000/43.

127.

Il s’ensuit que, lorsqu’une personne qui s’estime lésée, telle que le passager, demande une indemnité pour discrimination ainsi que la reconnaissance de cette discrimination, un accord amiable ne pourra être conclu qu’à la condition, à tout le moins, que son adversaire accepte les deux volets de sa demande.

128.

L’objet de sa demande ne saurait être limité au versement de l’indemnité sans porter atteinte à l’objectif de la directive 2000/43. Ainsi qu’il a été démontré, le droit de faire constater par un juge l’existence d’une discrimination en cas de contestation à ce sujet est au cœur de cette directive, examinée à la lumière de l’article 47 de la Charte, et touche au contenu essentiel du droit qu’elle vise à protéger. Une limitation de ce droit ne respecterait donc pas une des conditions de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ( 61 ).

129.

À défaut d’accord, il résulte de l’analyse de la directive 2000/43, lue à la lumière de l’article 47 de la Charte, que le requérant doit pouvoir faire valoir son droit à l’égalité de traitement devant un juge en faisant examiner et, le cas échéant, constater par celui-ci l’existence d’une discrimination.

V. Conclusion

130.

Je propose, par conséquent, à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède) :

Les dispositions de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, en particulier ses articles 7, 8 et 15, lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétées en ce sens que, dans une affaire relative à la violation d’une interdiction de discrimination sur le fondement de l’origine ethnique dans laquelle la personne qui s’estime lésée réclame une indemnité pour discrimination, cette personne a le droit, si l’auteur présumé de la discrimination accepte de payer l’indemnité, mais refuse de reconnaître la discrimination, de faire examiner et, le cas échéant, constater cette discrimination par un juge. Un mécanisme procédural d’extinction de l’instance, tel que l’acquiescement, ne saurait aboutir à un autre résultat.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO 2000, L 180, p. 22).

( 3 ) Il s’agit d’un recours en droit civil visant à faire exécuter l’obligation de réparer le dommage causé.

( 4 ) Le gouvernement suédois, le Médiateur et Braathens ont précisé que l’indemnité est divisée en deux parties, conformément à la jurisprudence du Högsta domstolen (Cour suprême), à savoir en une indemnité de réparation et en une majoration au titre de la prévention. L’indemnité de réparation doit être fixée à hauteur d’une somme qui sera jugée nécessaire pour réparer la discrimination. Son montant n’est pas limité. La majoration au titre de la prévention est, en principe, équivalente à l’indemnité de réparation de sorte qu’elle aboutit au doublement de cette dernière.

( 5 ) Voir point 31 des présentes conclusions.

( 6 ) Dans ses observations écrites, le Médiateur indique qu’il a présenté ses conclusions en sachant pertinemment qu’elles ne pouvaient normalement pas être autorisées en vertu des règles de procédure nationales. Il ressort également des débats qui se sont tenus lors de l’audience devant la Cour que la possibilité d’obtenir un jugement déclaratoire en matière de recours indemnitaire pour discrimination n’a fait l’objet d’aucune décision devant le Högsta domstolen (Cour suprême), à la connaissance des parties au principal et du gouvernement suédois.

( 7 ) Voir point 31 des présentes conclusions.

( 8 ) Le Médiateur donne deux exemples d’affaires où le requérant estimant qu’il avait subi un préjudice moral a tenté en vain d’obtenir un jugement déclaratoire ou de faire examiner son recours au fond. Dans la première affaire, le requérant avait demandé à ce que la responsabilité extracontractuelle de l’État soit reconnue, au titre d’une violation des droits du justiciable en matière de protection des données personnelles, telle que garantie par le droit de l’Union. Le juge saisi a considéré que, s’agissant d’un préjudice moral, une action déclaratoire n’était pas opportune et a invité le requérant à introduire une demande en exécution tendant à l’indemnisation au titre de ce préjudice [décision du Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm), du 10 janvier 2008, dans l’affaire Ö 9152-07, J.S. c. staten genom Justitiekanslern]. La seconde affaire portait sur un cas de harcèlement sexuel opposant un étudiant à un enseignant d’une université du secteur public. Après avoir dans un premier temps contesté le recours en exécution tendant au versement d’une indemnité, l’État a choisi d’acquiescer, mais uniquement de manière abstraite, à la demande formée par le Médiateur au nom de l’étudiant en demandant que le juge mentionne expressément que l’État ne reconnaissait pas le harcèlement allégué. Bien que le Médiateur ait indiqué que l’intérêt premier de l’étudiant n’était pas économique, il n’a pas pu obtenir que le juge examine au fond si l’étudiant avait été victime de harcèlement. Un renvoi préjudiciel à la Cour a été rejeté et un jugement a été rendu en première instance sans que l’étudiant, considéré comme ayant obtenu gain de cause, puisse former un appel [arrêt du Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm) du 5 octobre 2017, Diskrimineringsombudsmannen mot staten genom Justitiekanslern (T 16908–15)].

( 9 ) Voir, par analogie, s’agissant de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16), arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI (C‑507/18, EU:C:2020:289, point 38).

( 10 ) Voir considérant 19 de la directive 2000/43.

( 11 ) Arrêt du 10 avril 1984 (14/83, EU:C:1984:153).

( 12 ) Directive du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO 1976, L 39, p. 40).

( 13 ) Arrêt du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 18).

( 14 ) Arrêt du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 23).

( 15 ) Voir directive 2000/78 ; directive 2004/113/CE du Conseil, du 13 décembre 2004, mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès des biens et services et la fourniture de biens et services (JO 2004, L 373, p. 37) ; directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23), ainsi que directive 2010/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 7 juillet 2010, concernant l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, et abrogeant la directive 86/613/CEE du Conseil (JO 2010, L 180, p. 1).

( 16 ) Ces dispositions figurent respectivement aux articles 9 et 17 de la directive 2000/78, aux articles 8 et 14 de la directive 2004/113, aux articles 17, 18 et 25 de la directive 2006/54, ainsi qu’aux articles 9 et 10 de la directive 2010/41. Même s’il y a quelques différences d’une directive à l’autre entre les termes utilisés, celles-ci ne sont pas significatives dans le cadre de la présente analyse.

( 17 ) Voir arrêts du 8 novembre 1990, Dekker (C‑177/88, EU:C:1990:383, point 23) ; du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, points 22 et 24) ; du 22 avril 1997, Draehmpaehl (C‑180/95, EU:C:1997:208, point 39) ; du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 37) ; du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 63), ainsi que du 17 décembre 2015, Arjona Camacho (C‑407/14, EU:C:2015:831, point 31).

( 18 ) Voir arrêts du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, point 22) ; du 22 avril 1997, Draehmpaehl (C‑180/95, EU:C:1997:208, point 25) ; du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 38), ainsi que du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 73).

( 19 ) Voir, s’agissant de la directive 2000/43, arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 37).

( 20 ) Arrêt du 8 mai 2019, Leitner (C‑396/17, EU:C:2019:375).

( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Leitner (C‑396/17, EU:C:2019:375, point 61).

( 22 ) Arrêt du 8 mai 2019 (C‑396/17, EU:C:2019:375, point 62).

( 23 ) Souligné par mes soins.

( 24 ) Le droit d’accès à la justice pour faire valoir le droit à l’égalité de traitement est exposé dans la proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique [COM(1999) 566 final]. Il correspond à une jurisprudence constante sur le droit à un recours effectif ; voir, en dernier lieu, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson et HG/Conseil et Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 55).

( 25 ) Voir arrêts du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, points 26, 31 et 34), ainsi que du 17 décembre 2015, Arjona Camacho (C‑407/14, EU:C:2015:831, points 33 et 37).

( 26 ) Voir arrêt du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, points 30 et 32).

( 27 ) Voir arrêts du 8 novembre 1990, Dekker (C‑177/88, EU:C:1990:383, point 23) ; du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, point 24) ; du 22 avril 1997, Draehmpaehl (C‑180/95, EU:C:1997:208, point 40) ; du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 63), ainsi que du 17 décembre 2015, Arjona Camacho (C‑407/14, EU:C:2015:831, point 31). Je note que cette double fonction de la sanction est elle-même reflétée dans deux dispositions distinctes de la directive 2006/54, à savoir les articles 18 et 25 intitulés respectivement « Indemnisation ou réparation » et « Sanctions ». Le terme « sanction » est ainsi réservé désormais aux mesures ayant une fonction dissuasive uniquement.

( 28 ) Voir arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 64).

( 29 ) Voir arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 63).

( 30 ) Voir arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 63).

( 31 ) Voir arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 68).

( 32 ) Voir arrêt du 17 décembre 2015, Arjona Camacho (C‑407/14, EU:C:2015:831, point 40).

( 33 ) Voir arrêts du 8 novembre 1990, Dekker (C‑177/88, EU:C:1990:383, point 26) ; du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, point 23) ; du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 37) ; du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 61), ainsi que du 17 décembre 2015, Arjona Camacho (C‑407/14, EU:C:2015:831, point 30).

( 34 ) Voir, notamment, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, EU:C:1976:188), et du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, ci-après l’« arrêt Unibet , EU:C:2007:163, point 39).

( 35 ) Voir, notamment, arrêts du 15 septembre 2016, Star Storage e.a. (C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688), et du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838).

( 36 ) À titre d’illustration, voir, premièrement, sur la seule application du test de l’autonomie procédurale, arrêts du 27 février 2003, Santex (C‑327/00, EU:C:2003:109), et du 6 octobre 2015, Târşia (C‑69/14, EU:C:2015:662) ; deuxièmement, sur la seule application du test de la protection juridictionnelle effective, arrêts du 15 septembre 2016, Star Storage e.a. (C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688), et du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838), et, troisièmement, sur l’application des deux tests, arrêt du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146).

( 37 ) Arrêt du 10 juillet 2008 (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 37).

( 38 ) Arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397).

( 39 ) Le lien étroit entre le droit et la mesure de réparation est souligné par van Gerven W. dans son article « Of rights, remedies and procedures », CMLRev, 2000, Vol. 37, p. 525 : « The close link between right and remedy lies in the fact that a right must necessarily give rise to a remedy which allows the right to be enforced through the judicial process. »

( 40 ) Voir, en ce sens, arrêt du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, points 30 et 34).

( 41 ) Le jugement de première instance contient, en l’occurrence, une telle mention.

( 42 ) Voir explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), afférentes à l’article 47 de celle-ci.

( 43 ) Voir explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), afférentes à l’article 21 de celle-ci.

( 44 ) Aux termes de l’article 34 de la CEDH, la Cour EDH peut être saisie d’une requête par toute personne physique qui se prétend victime d’une violation par l’une des « Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles ».

( 45 ) Voir, notamment, décision de la Cour EDH du 25 novembre 2004, Nardone c. Italie (CE:ECHR:2004:1125DEC003436802, § 1 de la partie « En droit »), et arrêt de la Cour EDH du 7 juin 2012, Centro Europa 7.S.R.L et Di Stefano c. Italie (CE:ECHR:2012:0607JUD003843309, § 81 et jurisprudence citée, ainsi que § 87 et 88).

( 46 ) Je note que le considérant 24 de la directive 2000/43 de même que ses travaux préparatoires emploient le terme « victime ».

( 47 ) – Voir, en ce sens, arrêt de la Cour EDH du 12 avril 2016, R.B. c. Hongrie (CE:ECHR:2016:0412JUD006460212 , § 81).

( 48 ) Je rappelle, par exemple, que le principe d’interdiction des discriminations prévu à l’article 14 de la CEDH ne s’applique que combiné à l’un des autres droits et libertés reconnus par cette convention. Par ailleurs, conformément à l’article 52, paragraphe3, seconde phrase, de la Charte, rien n’empêche le droit de l’Union de prévoir des droits plus étendus.

( 49 ) Bien que je suggère à la Cour non pas d’appliquer directement les articles 21 et 47 de la Charte, mais d’interpréter la directive 2000/43 à la lumière de ces articles, je souligne que la Cour a jugé que ceux-ci ont un effet direct horizontal de sorte qu’ils peuvent se prêter à une telle application directe dans un litige entre deux personnes privées. Voir arrêts du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 76), et du 22 janvier 2019, Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43, point 76).

( 50 ) Sans me prononcer sur le caractère adéquat du niveau de la sanction, je note que Braathens elle-même a souligné le caractère très faible du montant de l’indemnité réclamé.

( 51 ) Voir, en ce sens, arrêt Unibet, points 42 et 65.

( 52 ) Voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 69), d’où il ressort que la simple existence d’un recours en responsabilité civile, selon le droit interne concerné, ne saurait, en tant que telle, pallier d’éventuelles insuffisances sur le plan de l’effectivité de la sanction, si cette voie de recours, en raison des règles de droit national pertinentes, ne peut en pratique aboutir.

( 53 ) Voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Leitner (C‑396/17, EU:C:2019:375, point 62), et point 56 des présentes conclusions.

( 54 ) Voir point 68 des présentes conclusions.

( 55 ) Ils s’appuient, à cet égard, sur l’arrêt Unibet, point 54.

( 56 ) Les règles de preuve en matière pénale ne sont pas affectées par la directive 2000/43, ainsi qu’il ressort de son article 8, paragraphe 3.

( 57 ) Voir également les affirmations de la juridiction de renvoi au point 29 des présentes conclusions.

( 58 ) Voir arrêts du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 64), et du 6 septembre 2012, Trade Agency (C‑619/10, EU:C:2012:531, points 57 et 58).

( 59 ) Voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen (C‑430/93 et C‑431/93, EU:C:1995:441, point 21), et du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 35).

( 60 ) Règlement (CE) no 861/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (JO 2007, L 199, p. 1). Voir, également, les considérations de la Cour dans l’arrêt du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 64), selon lesquelles des dispositions nationales visant un règlement plus rapide et moins onéreux des litiges ainsi qu’un désencombrement des tribunaux poursuivent des objectifs d’intérêt général légitimes.

( 61 ) À contrario, pour une situation où le contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective n’est pas affecté par une règle de procédure nationale, voir arrêt du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 65).

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