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Document 62018CJ0730

Arrêt de la Cour (première chambre) du 25 juin 2020.
SC contre Eulex Kosovo.
Pourvoi – Clause compromissoire – Personnel des missions internationales de l’Union européenne – Concours interne – Non-renouvellement d’un contrat de travail – Acte détachable du contrat.
Affaire C-730/18 P.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:505

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

25 juin 2020 ( *1 )

« Pourvoi – Clause compromissoire – Personnel des missions internationales de l’Union européenne – Concours interne – Non-renouvellement d’un contrat de travail – Acte détachable du contrat »

Dans l’affaire C‑730/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 novembre 2018,

SC, représentée par Me A. Kunst, Rechtsanwältin, et Me L. Moro, avvocatessa,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Eulex Kosovo, représentée par Me E. Raoult, avocate,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, MM. M. Safjan, L. Bay Larsen (rapporteur), Mme C. Toader et M. N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 novembre 2019,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, SC demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 septembre 2018, SC/Eulex Kosovo (T‑242/17, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2018:586), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant, sur le fondement des articles 272 et 340 TFUE, premièrement, à faire constater qu’Eulex Kosovo avait manqué à ses obligations contractuelles et non contractuelles à son égard, deuxièmement, à faire constater que le concours interne organisé par Eulex Kosovo en 2016 afin de pourvoir au poste de procureur (concours EK30077) (ci-après le « concours interne de 2016 ») et le non-renouvellement de son contrat de travail étaient illégaux ainsi que, troisièmement, à obtenir réparation des préjudices matériel et moral qui résulteraient de la violation, par Eulex Kosovo, de ses obligations contractuelles et non contractuelles.

Le cadre juridique

2

L’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124/PESC du Conseil, du 4 février 2008, relative à la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (JO 2008, L 42, p. 92), dispose :

« Les conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel international et local figurent dans les contrats conclus entre Eulex Kosovo et les membres du personnel. »

Les antécédents du litige

3

La mission Eulex Kosovo a été créée par l’action commune 2008/124 et a, par la suite, été prolongée à plusieurs reprises.

4

SC a été employée par Eulex Kosovo, en tant que procureure, sur la base de cinq contrats à durée déterminée successifs pendant la période allant du 4 janvier 2014 au 14 novembre 2016. Les deux premiers contrats contenaient une clause compromissoire désignant les « tribunaux de Bruxelles » (Belgique) comme étant compétents en cas de litige découlant du contrat. Les trois derniers contrats prévoyaient, à leurs articles 21 respectifs, la compétence de « la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 272 [TFUE] », pour tout litige découlant du contrat ou s’y rapportant.

5

L’article 1.2 du dernier contrat liant Eulex Kosovo à la requérante stipule que « [l]es documents suivants font partie intégrante du contrat (après validation) : le CONOPS/OPLAN, y compris le code de conduite (CdC) et les procédures opérationnelles normalisées (PON) ».

6

Le 1er juillet 2014, SC a reçu, de son supérieur hiérarchique, notification de l’organisation d’un concours interne pour le poste de procureur, dès lors que, en vertu du plan d’opération (ci-après l’« OPLAN »), le nombre de procureurs devait être réduit et que l’article 4.3 des procédures opérationnelles normalisées relatives à la réorganisation (ci-après les « PON relatives à la réorganisation ») prévoyait un concours dans de telles circonstances. Le concours interne a eu lieu durant l’été 2014 et a été par la suite annulé.

7

Le 24 juin 2016, SC a été informée, par lettre du bureau des ressources humaines d’Eulex Kosovo, qu’un nouveau concours interne pour le poste de procureur était prévu pour le mois de juillet 2016, en raison de la réduction du nombre de postes disponibles.

8

Par la lettre de la cheffe du bureau des ressources humaines du 30 septembre 2016, SC a été informée de son échec au concours interne de 2016 (ci-après la « décision relative au concours interne de 2016 »). Par la même lettre, SC a été informée que son contrat de travail, venant à échéance le 14 novembre 2016, ne serait pas renouvelé et que les modalités relatives à cette fin de contrat lui seraient communiquées ultérieurement (ci-après la « décision de ne pas renouveler le contrat de travail »).

9

Par la lettre du 10 octobre 2016, SC a introduit une réclamation auprès de la cheffe de mission contre la décision relative au concours interne de 2016 et la décision de ne pas renouveler le contrat de travail.

10

Par la lettre du 31 octobre 2016, cette cheffe de mission a rejeté la réclamation de SC.

Le recours devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

11

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 avril 2017, SC a introduit un recours comportant, en substance, quatre chefs de conclusions. Les premier et deuxième chefs de conclusions tendaient à ce que le Tribunal constate qu’Eulex Kosovo avait manqué à ses obligations contractuelles et non contractuelles. Par le troisième chef de conclusions, SC demandait au Tribunal de juger que la décision relative au concours interne de 2016 et la décision de ne pas renouveler le contrat de travail étaient illégales. Le quatrième chef de conclusions visait à obtenir la condamnation d’Eulex Kosovo à réparer les préjudices matériel et moral qui résulteraient de la violation de ses obligations contractuelles et non contractuelles.

12

À l’appui de ce recours, SC a soulevé cinq moyens. Le premier moyen était tiré d’une violation des PON relatives à la réorganisation ainsi que des procédures opérationnelles normalisées relatives à la sélection du personnel. Le deuxième moyen était tiré de la violation de ces procédures opérationnelles normalisées, du code de conduite et de discipline d’Eulex Kosovo, des principes contractuels d’équité et de bonne foi ainsi que du droit à une bonne administration. Les troisième à cinquième moyens étaient tirés, en substance, d’une violation de divers principes de droit de l’Union et de décisions adoptées par Eulex Kosovo. Par ailleurs, SC s’était prévalue de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité non contractuelle d’Eulex Kosovo.

13

Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 24 août 2017, Eulex Kosovo a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a présenté ses observations à cet égard le 20 octobre 2017.

14

Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a, sans examiner cette exception d’irrecevabilité, rejeté, en application de l’article 126 de son règlement de procédure, le recours introduit par SC comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

15

Pour établir le caractère manifestement irrecevable du troisième chef de conclusions de ce recours, en premier lieu, le Tribunal a jugé que la décision relative au concours interne de 2016 était détachable du contrat de travail liant SC à Eulex Kosovo (ci-après le « contrat de travail »). En deuxième lieu, le Tribunal a jugé que la décision de ne pas renouveler le contrat de travail était également détachable de ce contrat. Sur la base de ces éléments, en troisième lieu, le Tribunal a estimé que ce chef de conclusions devait être regardé comme constituant une demande en annulation au titre de l’article 263 TFUE et qu’une telle demande devait être rejetée comme étant manifestement irrecevable en tant qu’elle avait été introduite tardivement par SC.

Les conclusions des parties

16

Par son pourvoi, SC demande à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée ;

à titre principal, d’accueillir le recours de première instance, sauf en ce qui concerne le cinquième moyen ;

à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de condamner Eulex Kosovo aux dépens des deux instances.

17

Eulex Kosovo demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi, et

de condamner SC aux dépens.

Sur le pourvoi

18

SC invoque cinq moyens au soutien de son pourvoi. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 272 TFUE. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de cet article, du droit à un recours effectif et du principe d’égalité de traitement. Le troisième moyen est tiré d’une violation des PON relatives à la réorganisation, du droit à une bonne administration, du principe d’impartialité et de l’obligation de motivation. Le quatrième moyen est tiré d’une violation des articles 268 et 270 TFUE. Le cinquième moyen est tiré d’une violation de ces derniers articles et de l’article 272 TFUE ainsi que des articles 31 et 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Argumentation des parties

19

Par la troisième branche de son deuxième moyen, qu’il convient d’examiner d’abord, SC soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la décision relative au concours interne de 2016 ainsi que la décision de ne pas renouveler le contrat de travail devaient être considérées comme des décisions administratives détachables de ce contrat et en considérant, en conséquence, qu’elles ne pouvaient être contestées sur le fondement de l’article 272 TFUE.

20

S’agissant, en premier lieu, de la décision relative au concours interne de 2016, SC fait valoir que cette décision a été prise sur la base des PON relatives à la réorganisation. Dans ce contexte, le Tribunal n’aurait pas pu valablement considérer que cette décision n’avait pas été prise sur le fondement du contrat de travail, alors que l’article 1.2 de ce contrat stipulait explicitement que les procédures opérationnelles normalisées « font partie intégrante du contrat » au même titre que l’OPLAN.

21

Dans ces conditions, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que SC ne soulevait aucun moyen tiré des clauses du contrat la liant à Eulex Kosovo, alors qu’elle avait soulevé plusieurs moyens tirés de la violation des PON relatives à la réorganisation.

22

En ce qui concerne, en second lieu, la décision de ne pas renouveler le contrat de travail, SC soutient que le Tribunal a jugé dans plusieurs affaires qu’une telle décision était liée au contrat. La simple absence, dans ce contrat, d’une clause stipulant le renouvellement de celui-ci n’aurait aucune incidence sur le bien-fondé d’une telle conclusion.

23

SC ajoute que l’approche retenue par le Tribunal dans l’ordonnance attaquée conduirait à empêcher systématiquement les agents d’Eulex Kosovo de contester la majeure partie des griefs qui leur sont adressés en matière d’emploi devant la Cour et, en particulier, de remettre en cause les décisions les plus graves prises à leur égard. Une telle approche constituerait une violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et du principe d’égalité de traitement.

24

Eulex Kosovo avance que l’approche retenue par le Tribunal est conforme à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’article 272 TFUE doit être interprété de manière restrictive.

25

En effet, la clause compromissoire figurant dans le contrat de travail ne viserait que les litiges découlant de ce contrat ou s’y rapportant. Seules les questions qui en sont indissociables relèveraient donc de la compétence du Tribunal au titre de l’article 272 TFUE. Or, si les mesures adoptées pour mettre en œuvre les décisions du Conseil de l’Union européenne ont effectivement des conséquences sur les agents d’Eulex Kosovo, elles devraient néanmoins être considérées comme des actes administratifs détachables de ce contrat.

26

Ainsi, la décision relative au concours interne de 2016 trouverait sa source dans une décision externe à Eulex Kosovo, et non dans ledit contrat. Cette décision externe aurait été transcrite dans l’OPLAN, puis mise en œuvre dans le cadre défini par les procédures opérationnelles normalisées.

27

À cet égard, il ne saurait être considéré que l’OPLAN et les procédures opérationnelles normalisées constituent des documents contractuels. Certes, il ressortirait de l’article 1.2 du contrat de travail que ces documents font partie intégrante de ce contrat. Il s’agirait toutefois d’actes dotés d’une portée générale qui ne se limiteraient pas nécessairement à des questions de nature contractuelle.

28

En ce qui concerne la décision de ne pas renouveler le contrat de travail, le Tribunal aurait, à bon droit, fondé ses conclusions sur l’absence, dans le contrat liant Eulex Kosovo à SC, de clause relative à son renouvellement.

29

Par ailleurs, SC ne serait pas fondée à reprocher au Tribunal d’avoir décliné de manière générale sa compétence tirée de la clause compromissoire, car celui-ci aurait seulement rejeté le recours en tant qu’il était, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement dépourvu de tout fondement en droit, sans exclure la possibilité d’introduire un recours fondé sur l’article 263 TFUE.

Appréciation de la Cour

30

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 272 TFUE constitue une disposition spécifique permettant de saisir le juge de l’Union, en vertu d’une clause compromissoire stipulée par les parties pour des contrats de droit public ou de droit privé, et ce sans limitation tenant à la nature de l’action introduite devant le juge de l’Union (arrêts du 26 février 2015, Planet/Commission, C‑564/13 P, EU:C:2015:124, point 23, et du 7 novembre 2019, Rose Vision/Commission, C‑346/18 P, non publié, EU:C:2019:939, point 99).

31

Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que le recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE est ouvert à l’encontre de tous les actes pris par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 16 ; voir également, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 8).

32

Néanmoins, ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 36 de l’ordonnance attaquée, en présence d’un contrat liant le requérant à l’une des institutions, le juge de l’Union ne peut être saisi d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative (arrêts du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 20, et du 28 février 2019, Alfamicro/Commission, C‑14/18 P, EU:C:2019:159, point 50).

33

En l’espèce, le Tribunal a jugé, respectivement aux points 39 et 45 de l’ordonnance attaquée, que la décision relative au concours interne de 2016 et la décision de ne pas renouveler le contrat de travail ne trouvaient pas de fondement dans le contrat de travail. Il en a déduit, au point 46 de l’ordonnance attaquée, que, bien que SC ait expressément fondé le troisième chef de conclusions de son recours de première instance sur l’article 272 TFUE, ce chef de conclusions devait être regardé comme constituant une demande en annulation formée sur le fondement des dispositions de l’article 263 TFUE.

34

En premier lieu, afin de constater que la décision relative au concours interne de 2016 était détachable du contrat de travail, le Tribunal a d’abord relevé, au point 40 de l’ordonnance attaquée, que ce concours avait été organisé par Eulex Kosovo à la suite de la décision de réduire les effectifs de cette mission qui résultait de l’approbation de l’OPLAN par le Conseil et de celle du plan de déploiement d’Eulex Kosovo par le commandant des opérations civiles. Le Tribunal en a déduit que la décision d’organiser ledit concours constituait un acte administratif qui n’avait pas été pris sur le fondement du contrat de travail.

35

Le Tribunal s’est ensuite fondé, au point 41 de l’ordonnance attaquée, sur la circonstance que la décision relative au concours interne de 2016 avait été adoptée par le jury de sélection dans le cadre du régime décrit au point 40 de cette ordonnance pour conclure, au point 42 de ladite ordonnance, que la décision relative au concours interne de 2016 se situait en dehors de la relation contractuelle liant SC à Eulex Kosovo et résultait de l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à Eulex Kosovo en sa qualité d’autorité administrative.

36

Toutefois, il convient de relever, d’une part, que, en jugeant que la décision relative au concours interne de 2016 s’inscrivait dans le contexte d’un régime défini par l’OPLAN et par le plan de déploiement d’Eulex Kosovo, le Tribunal a décrit de manière incomplète le cadre juridique régissant l’adoption de cette décision. En effet, ainsi que SC le fait valoir et qu’Eulex Kosovo en convient d’ailleurs, les modalités d’organisation de ce concours étaient également définies, pour partie, par les PON relatives à la réorganisation.

37

D’autre part, en ce qui concerne la nature contractuelle ou statutaire des règles prévues par l’OPLAN et les PON relatives à la réorganisation, il ressort de l’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124 que les conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel international et local figurent dans les contrats conclus entre Eulex Kosovo et les membres du personnel.

38

Or, il est constant que l’article 1.2 du contrat de travail stipule explicitement que l’OPLAN et les procédures opérationnelles normalisées font partie intégrante de ce contrat.

39

En conséquence, il incombait au Tribunal d’interpréter l’article 1.2 du contrat de travail, afin d’apprécier la portée de cette disposition et, en particulier, les effets éventuels de celle-ci sur la nature contractuelle ou statutaire que présentaient, à l’égard de SC, les règles énoncées dans l’OPLAN et dans les PON relatives à la réorganisation. Le Tribunal n’ayant pas procédé préalablement à cette interprétation, il ne pouvait valablement considérer qu’une décision individuelle relative à la situation de SC au sein d’Eulex Kosovo, adoptée dans le cadre d’un régime défini notamment par l’OPLAN et les PON relatives à la réorganisation, produisait des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant SC à Eulex Kosovo.

40

À cet égard, la constatation du fait que la décision relative au concours interne de 2016 a été adoptée en vue de donner suite à la décision de réduire les effectifs d’Eulex Kosovo, dont le caractère détachable du contrat de travail n’a pas été contesté, ne saurait permettre au Tribunal de statuer en omettant de déterminer également la portée de l’article 1.2 de ce contrat.

41

En effet, dès lors que l’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124 prévoit que les droits et les obligations du personnel international d’Eulex Kosovo sont définis par contrat, il ne peut être exclu d’emblée que les décisions générales relatives à l’organisation d’Eulex Kosovo soient mises en œuvre par des décisions individuelles relatives au statut des membres de ce personnel s’inscrivant dans le cadre des relations contractuelles liant Eulex Kosovo à ces membres.

42

Il découle de ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit en statuant, au point 42 de l’ordonnance attaquée, sur le caractère détachable du contrat de travail de la décision relative au concours interne de 2016, sans avoir d’abord interprété l’article 1.2 de ce contrat.

43

En deuxième lieu, afin de constater que la décision de ne pas renouveler le contrat de travail était détachable de celui-ci, le Tribunal s’est fondé, au point 45 de l’ordonnance attaquée, sur l’affirmation selon laquelle ledit contrat ne contenait pas de clause prévoyant son renouvellement. Le Tribunal en a déduit que la décision d’offrir ou de ne pas offrir un nouveau contrat à SC ne découlait pas des clauses la liant à Eulex Kosovo, mais qu’elle ne faisait que tirer les conséquences de la décision relative au concours interne de 2016.

44

À cet égard, d’une part, il convient de relever qu’il résulte de la conclusion figurant au point 42 du présent arrêt que le Tribunal ne pouvait valablement se fonder sur le lien existant entre la décision relative au concours interne de 2016 et la décision de ne pas renouveler le contrat de travail pour établir que cette dernière décision produisait des effets juridiques contraignants qui se situaient en dehors de la relation contractuelle liant SC à Eulex Kosovo.

45

D’autre part, si la circonstance que le contrat de travail ne contient pas de clause prévoyant expressément son renouvellement dans des circonstances prédéterminées est susceptible d’être pertinente pour apprécier le bien-fondé du recours de première instance introduit par SC, elle n’implique pas nécessairement que la légalité de la décision de ne pas renouveler ce contrat peut être appréciée sans tenir compte des clauses dudit contrat.

46

Ainsi, étant donné qu’il ressort du texte de l’article 4.3 des PON relatives à la réorganisation, dont le Tribunal aurait dû apprécier le caractère contractuel, que cet article établit un lien entre les résultats du concours interne et le non-renouvellement du contrat de travail, la légalité de cette décision devra être appréciée en tenant compte de cet article.

47

Il s’ensuit que les motifs retenus par le Tribunal au point 45 de l’ordonnance attaquée n’étaient pas suffisants pour justifier la conclusion selon laquelle la décision de ne pas renouveler le contrat de travail était détachable de ce contrat.

48

En troisième lieu, le motif figurant au point 43 de l’ordonnance attaquée, selon lequel SC ne soulevait aucun moyen, grief ou argument tiré des clauses du contrat de travail, ne saurait suffire à justifier la conclusion à laquelle est parvenue le Tribunal.

49

Certes, il est constant que SC se prévalait très largement, à l’appui du troisième chef de ses conclusions, de diverses violations des dispositions des PON relatives à la réorganisation. Cependant, le Tribunal ne pouvait établir que ces dispositions ne présentaient pas, à l’égard de SC, une nature contractuelle, sans avoir préalablement procédé à l’interprétation de l’article 1.2 du contrat de travail.

50

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que le Tribunal ne pouvait valablement se fonder sur les constats effectués aux points 42 et 45 de l’ordonnance attaquée pour procéder, au point 46 de cette ordonnance, à la requalification de la demande formulée au troisième chef de conclusions du recours de première instance, puis établir sur cette base, au point 51 de ladite ordonnance, le caractère tardif de cette demande, dont procéderait l’irrecevabilité de ce chef de conclusions.

51

Il y a donc lieu d’accueillir la troisième branche du deuxième moyen soulevé par SC.

52

Le Tribunal s’étant fondé, aux points 54, 55, 71 et 72 de l’ordonnance attaquée, sur le caractère irrecevable du troisième chef de conclusions du recours de première instance pour rejeter les autres chefs de conclusions de ce recours, il y a lieu d’annuler, dans son ensemble, cette ordonnance, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres branches du deuxième moyen ni les autres moyens du pourvoi.

Sur le recours devant le Tribunal

53

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

54

Tel n’est pas le cas en l’espèce.

55

En effet, tout d’abord, il appartient encore au Tribunal, au regard du motif d’annulation retenu, d’interpréter l’article 1.2 du contrat de travail, ce qui constitue une appréciation de fait (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2015, Commission/ANKO, C‑78/14 P, EU:C:2015:732, point 23, ainsi que ordonnance du 21 avril 2016, Borde et Carbonium/Commission, C‑279/15 P, non publiée, EU:C:2016:297, points 30 à 32), en vue de statuer sur le caractère détachable de ce contrat de la décision relative au concours interne de 2016 et de la décision de ne pas renouveler ledit contrat.

56

Il importe ensuite de souligner que le Tribunal n’a examiné ni l’exception d’irrecevabilité soulevée par Eulex Kosovo ni le bien-fondé du troisième chef de conclusions du recours de première instance, alors qu’un tel examen serait nécessaire si les décisions mentionnées au point précédent du présent arrêt devaient être considérées comme étant liées à la relation contractuelle entre SC et Eulex Kosovo.

57

Enfin, dans l’hypothèse où le Tribunal devait finalement considérer que ce chef de conclusions est recevable, celui-ci serait conduit, au vu des considérations énoncées au point 52 du présent arrêt, à réexaminer les autres chefs de conclusions de ce recours.

58

Il y a lieu, par conséquent, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

Sur les dépens

59

L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

 

1)

L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 septembre 2018, SC/Eulex Kosovo (T‑242/17, EU:T:2018:586), est annulée.

 

2)

L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

 

3)

Les dépens sont réservés.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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