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Document 62018CJ0203

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 21 novembre 2019.
Deutsche Post AG et Klaus Leymann contre Land Nordrhein-Westfalen et UPS Deutschland Inc. & Co. OHG e.a. contre Deutsche Post AG.
Demandes de décision préjudicielle, introduites par l'Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen ainsi que par le Landgericht Köln.
Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) no 561/2006 – Transports par route – Dispositions sociales – Véhicules utilisés pour la livraison des envois dans le cadre du service postal universel – Dérogations – Véhicules partiellement utilisés pour une telle livraison – Directive 97/67/CE – Article 3, paragraphe 1 – “Service universel” – Notion.
Affaires jointes C-203/18 et C-374/18.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:999

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

21 novembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) no 561/2006 – Transports par route – Dispositions sociales – Véhicules utilisés pour la livraison des envois dans le cadre du service postal universel – Dérogations – Véhicules partiellement utilisés pour une telle livraison – Directive 97/67/CE – Article 3, paragraphe 1 – “Service universel” – Notion »

Dans les affaires jointes C‑203/18 et C‑374/18,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne) (C‑203/18), par décision du 21 février 2018, parvenue à la Cour le 20 mars 2018, ainsi que par le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne, Allemagne) (C‑374/18), par décision du 22 mai 2018, parvenue à la Cour le 7 juin 2018, dans les procédures

Deutsche Post AG,

Klaus Leymann

contre

Land Nordrhein-Westfalen (C‑203/18),

et

UPS Deutschland Inc. & Co. OHG,

DPD Dynamic Parcel Distribution GmbH & Co. KG,

Bundesverband Paket & Expresslogistik e.V.

contre

Deutsche Post AG (C‑374/18),

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme L. S. Rossi (rapporteure) et M. J. Malenovský, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 mars 2019,

considérant les observations présentées :

pour Deutsche Post AG ainsi que M. Leymann, par Mes T. Mayen et B. Stamm, Rechtsanwälte,

pour le Land Nordrhein-Westfalen, par M. A. Baron-Barth et Mme B. Spieles, en qualité d’agents,

pour UPS Deutschland Inc. & Co. OHG, DPD Dynamic Parcel Distribution GmbH & Co. KG ainsi que Bundesverband Paket & Expresslogistik e.V., par Mes S. Maaßen et P. Pommerening, Rechtsanwälte,

pour Deutsche Post AG, par Me K. Hamacher, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par M. W. Mölls et Mme J. Hottiaux, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juin 2019,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil (JO 2006, L 102 p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014 (JO 2014, L 60 p. 1) (ci-après le « règlement no 561/2006 »).

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, l’opérateur postal Deutsche Post AG et le responsable des transports de son établissement à Bonn (Allemagne), M. Leymann (ci-après, ensemble, « Deutsche Post e.a. »), au Land Nordrhein-Westfalen (affaire C‑203/18) et, d’autre part, UPS Deutschland Inc. & Co. OHG, DPD Dynamic Parcel Distribution GmbH & Co. KG ainsi que Bundesverband Paket & Expresslogistik e.V. (ci-après, ensemble, « UPS Deutschland e.a. »), à l’opérateur postal Deutsche Post (affaire C‑374/18), au sujet de l’application, aux transports effectués par les véhicules de Deutsche Post, des règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 561/2006

3

Aux termes des considérants 4, 17, 22 et 23 du règlement no 561/2006 :

« (4)

Il est souhaitable que [les dispositions du règlement (CEE) no 3820/85 relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos à observer par les conducteurs effectuant des transports routiers nationaux et internationaux à l'intérieur de la Communauté] soient appliquées d’une façon efficace et uniforme si l’on veut que leurs objectifs soient atteints et que l’application des règles ne soit pas discréditée. Il convient, par conséquent, d’établir un ensemble de règles plus claires et plus simples, qui seront plus facilement comprises, interprétées et appliquées par le secteur des transports routiers et par les autorités chargées de leur application.

[...]

(17)

Le présent règlement vise à améliorer les conditions sociales pour les travailleurs auxquels il s’applique, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière en général. Il vise à atteindre cet objectif principalement au moyen des dispositions relatives au temps de conduite maximum par jour, par semaine et par période de deux semaines consécutives, de la disposition obligeant un conducteur à prendre un temps de repos hebdomadaire normal au moins une fois sur une période de deux semaines consécutives, et des dispositions qui prévoient qu’en aucun cas un temps de repos journalier ne peut être inférieur à une période ininterrompue de neuf heures. Cet ensemble de dispositions garantissant un repos adéquat, et compte tenu également de l’expérience acquise ces dernières années en matière d’application des règles, un système de compensation pour les temps de repos journaliers réduits n’est plus nécessaire.

[...]

(22)

Pour favoriser le progrès social et améliorer la sécurité routière, chaque État membre devrait conserver le droit d’adopter certaines mesures appropriées.

(23)

Les dérogations nationales devraient refléter les changements survenus dans le secteur du transport routier et être limitées aux éléments qui ne sont actuellement pas soumis à la concurrence. »

4

L’article 1er de ce règlement dispose :

« Le présent règlement fixe les règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route afin d’harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestre, en particulier en ce qui concerne le secteur routier, et d’améliorer des conditions de travail et la sécurité routière. Le présent règlement vise également à promouvoir de meilleures pratiques de contrôle et d’application des règles par les États membres et de meilleures méthodes de travail dans le secteur du transport routier. »

5

L’article 2, paragraphe 1, sous a), dudit règlement énonce :

« Le présent règlement s’applique au transport routier :

a)

de marchandises par des véhicules, y compris des véhicules à remorque ou à semi-remorque, dont la masse maximale autorisée dépasse 3,5 tonnes ; [...] »

6

Les articles 5 à 9 dudit règlement exposent les règles applicables à l’équipage d’un véhicule de transport, à la durée de conduite, aux pauses ainsi qu’aux temps de repos.

7

Le chapitre IV du même règlement, intitulé « Dérogations », contient un article 13 qui dispose :

« 1.   Pour autant que cela ne soit pas préjudiciable aux objectifs visés à l’article 1er, chaque État membre peut accorder des dérogations aux articles 5 à 9 et subordonner ces dérogations à des conditions particulières sur son territoire ou, avec l’accord de l’État intéressé, sur le territoire d’un autre État membre, applicables aux transports effectués par les véhicules suivants :

[...]

d)

véhicules ou combinaison de véhicules d’une masse maximale admissible n’excédant pas 7,5 tonnes utilisés par des prestataires du service universel tels que définis à l’article 2, point 13), de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service [JO 1998, L 15, p. 14] pour livrer des envois dans le cadre du service universel.

Ces véhicules ne doivent être utilisés que dans un rayon de 100 kilomètres autour du lieu d’établissement de l’entreprise et à condition que la conduite du véhicule ne constitue pas l’activité principale du conducteur ;

e)

véhicules circulant exclusivement sur des îles dont la superficie ne dépasse pas 2300 kilomètres carrés et qui ne sont pas reliées au reste du territoire national par un pont, un gué ou un tunnel ouverts aux véhicules automobiles ;

[...]

i)

véhicules comportant de 10 à 17 sièges destinés exclusivement au transport de voyageurs à des fins non commerciales ;

[...]

o)

véhicules utilisés exclusivement sur route dans des installations de plates-formes telles que les ports, ports de transbordement intermodaux et terminaux ferroviaires ;

[...] »

La directive 97/67

8

Aux termes du considérant 18 de la directive 97/67, telle que modifiée, par la directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008 (JO 2008, L 52, p. 3) (ci-après la « directive 97/67 ») :

« considérant que, eu égard au fait que la différence essentielle entre le courrier exprès et le service postal universel réside dans la valeur ajoutée (quelle qu’en soit la forme) apportée par les services exprès aux clients et perçue par eux, la meilleure façon de déterminer la valeur ajoutée perçue étant d’examiner le surcoût que les clients sont disposés à payer, sans préjudice, toutefois, de la limite de prix du secteur réservé qui doit être respectée ».

9

L’article 2, point 13, de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

(13)

“prestataire du service universel” : le prestataire de services postaux public ou privé qui assure la totalité ou une partie du service postal universel dans un État membre et dont l’identité a été communiquée à la Commission conformément à l’article 4 ».

10

L’article 3, paragraphes 1, 4 et 5, de ladite directive prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les utilisateurs jouissent du droit à un service universel qui correspond à une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs.

[...]

4.   Chaque État membre adopte les mesures nécessaires pour que le service universel comprenne au minimum les prestations suivantes :

[...]

la levée, le tri, le transport et la distribution des colis postaux jusqu’à 10 kilogrammes,

[...]

5.   Les autorités réglementaires nationales peuvent relever la limite de poids de la couverture du service universel pour les colis postaux jusqu’à un poids ne dépassant pas 20 kilogrammes et peuvent fixer des régimes spéciaux pour la distribution à domicile de ces colis.

[...] »

Le droit allemand

11

La Verordnung zur Durchführung des Fahrpersonalgesetzes (règlement de mise en œuvre de la loi relative aux équipages de transports routiers), du 27 juin 2005 (BGBl. 2005 I, p. 1882), tel que modifié, en dernier lieu par le règlement du 8 août 2017 (BGBl. 2017 I, p. 3158) (ci-après le « FPersV »), a été adopté par le Bundesministerium für Verkehr, Bau- und Stadtentwicklung (ministère fédéral des Transports, de la Construction et du Développement urbain, Allemagne) afin d’assurer la mise en œuvre, dans l’ordre juridique allemand, du règlement no 561/2006.

12

Aux termes de l’article 1er du FPersV, intitulé « Durée de conduite et temps de repos dans le domaine des transports par route » :

« (1)   Les conducteurs

1.

de véhicules, y compris des véhicules à remorque ou à semi-remorque, assurant le transport de marchandises, dont la masse maximale autorisée est supérieure à 2,8 tonnes et ne dépasse pas 3,5 tonnes, [...]

[...]

doivent respecter les règles relatives aux durées de conduite, pauses et temps de repos prévues par les articles 4, 6 à 9 et 12 du [règlement no 561/2006].

(2)   Les dispositions du paragraphe 1 ne sont pas applicables

1.

aux véhicules visés à l’article 18,

[...]

(6)   [...]

L’entrepreneur doit

1.

remettre au conducteur, en nombre suffisant, des formulaires appropriés, conformément au modèle de l’annexe 1, pour la production des enregistrements,

2.

examiner les enregistrements immédiatement après leur remise par le conducteur et prendre sans délai les mesures nécessaires pour assurer le respect des phrases 1 à 5,

3.

conserver les enregistrements, par ordre chronologique et sous une forme lisible, à l’extérieur du véhicule et pendant une durée d’un an après leur remise et les présenter aux personnes compétentes sur demande ;

4.

détruire les enregistrements après l’expiration de la période de conservation jusqu’au 31 mars de l’année civile suivante […]

[...] »

13

L’article 18 du FPersV, intitulé « Exceptions conformément aux règlements (CE) no 561/2006 et (UE) no 165/2014 », dispose :

« (1)   En vertu de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 561/2006 et de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) no 165/2014, les catégories suivantes de véhicules sont exclues, dans le champ d’application du [Fahrpersonalgesetz (loi relative aux équipages de transports routiers)], de l’application des articles 5 à 9 du règlement (CE) no 561/2006 et de l’application du règlement (UE) no 165/2014 :

[...]

4.

les véhicules ou ensembles de véhicules dont la masse maximale autorisée ne dépasse pas 7,5 tonnes, utilisés, dans un rayon de 100 kilomètres autour du lieu d’établissement de l’entreprise pour livrer des envois dans le cadre du service universel, par les prestataires de services postaux fournissant le service universel tel que défini à l’article 1er, paragraphe 1, de la Post-Universaldienstleistungsverordnung (règlement fédéral sur le service postal universel) du 15 décembre 1999 (BGBl. 1999 I, p. 2418), tel que modifié en dernier lieu par l’article 3, paragraphe 26, de la loi du 7 juillet 2005 (BGBl. I, p. 1970), à condition que la conduite du véhicule ne constitue pas l’activité principale du conducteur ;

[...] »

14

L’article 4, point 1, sous b), du Postgesetz (loi sur le service des postes) du 22 décembre 1997 (BGBl. 1997 I, p. 3294), tel que modifié en dernier lieu par l’article 169 de la loi du 29 mars 2017 (BGBl. 2017 I, p. 626) (ci-après le « PostG »), prévoit :

« 1.   Les services postaux au sens de la présente loi sont les services commerciaux suivants :

[...]

b)

le transport de colis adressés, dont le poids individuel n’excède pas 20 kilogrammes, ou

[...] »

15

Aux termes de l’article 11 du PostG :

« (1)   Le service universel constitue une offre minimale de services postaux visés à l’article 4, point 1, qui sont fournis en tout point du territoire en une qualité déterminée et à un prix abordable. Le service universel est limité aux services postaux soumis à licence et aux services postaux qui, du point de vue de la technique de transport, peuvent être fournis à tout le moins, pour partie, avec des services postaux soumis à licence. Il comprend uniquement les services considérés, de manière générale, comme indispensables.

(2)   Le gouvernement fédéral est habilité à fixer par règlement, avec l’accord du Bundestag (Diète fédérale, Allemagne) et du Bundesrat (Conseil fédéral, Allemagne), conformément au paragraphe 1, le contenu et l’étendue du service universel. […] »

16

Sur le fondement de l’article 11, paragraphe 2, du PostG, le gouvernement fédéral a précisé l’étendue du service universel, en ce qui concerne les envois de colis, prévus à l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de la Post-Universaldienstleistungsverordnung (règlement relatif au service postal universel) du 15 décembre 1999 (BGBl. I, p. 2418), tel que modifié en dernier lieu par l’article 3, paragraphe 26, de la loi du 7 juillet 2005 (BGBl. 2005 I, p. 1970), qui est ainsi libellé :

« (1)   On entend par “service universel”, les services postaux suivants :

[...]

2.

L’acheminement de colis adressés, dont le poids individuel n’excède pas 20 kilogrammes et dont les dimensions ne sont pas supérieures à celles fixées dans la convention postale universelle et dans les règlements d’exécution y afférents

[...] »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

L’affaire C‑203/18

17

Il ressort de la décision de renvoi que Deutsche Post est désignée comme prestataire du service postal universel, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du PostG, et effectue ainsi le transport de colis d’un poids maximal de 20 kilogrammes, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, point 2, du règlement relatif au service postal universel, tel que modifié par la loi du 7 juillet 2005. Elle fournit ce service en utilisant des véhicules ou des combinaisons de véhicules d’une masse maximale admissible allant de 2,8 tonnes à 3,5 tonnes ainsi que des véhicules ou des combinaisons de véhicules d’une masse maximale admissible n’excédant pas les 7,5 tonnes. Simultanément et avec ces mêmes véhicules, Deutsche Post assure également la livraison de colis dont le poids excède les 20 kilogrammes – à savoir des colis non imputables au service postal universel – mais qui, selon les indications de celle-ci, ne représentent pas plus de 5 % du chargement total des véhicules, même en période de distribution intensive.

18

Deutsche Post considère que, en tant que prestataire du service universel, elle relève de la disposition dérogatoire de l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPerSV, reprenant l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006. De ce fait, elle ne serait, notamment, pas soumise aux obligations d’application des règles liées aux entreprises concernant la durée de conduite, les pauses et les temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route en vertu dudit règlement.

19

En revanche, selon les autorités compétentes allemandes et des Länder, cette disposition dérogatoire ne serait pas applicable à Deutsche Post dès lors que celle-ci transporte également des colis dont le poids dépasse la limite de 20 kilogrammes, applicable aux envois relevant du service postal universel. Dans ce contexte, les établissements de Deutsche Post ont déjà fait l’objet d’inspections et des procédures pouvant mener à des pénalités administratives ont été engagées contre cet opérateur.

20

Le 21 janvier 2015, Deutsche Post e.a. ont saisi le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne) d’une demande en constatation de droit tendant à faire préciser la portée de la dérogation prévue à l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV et à faire reconnaître que cette dérogation s’applique également aux prestations de service en cause. Par un jugement du 2 février 2016, la demande a été rejetée comme étant dépourvue de fondement, ladite juridiction ayant notamment retenu l’interprétation du Land Nordrhein-Westfalen (Land de Rhénanie‑du‑Nord‑Westphalie, Allemagne) selon laquelle la dérogation en question trouve à s’appliquer seulement si les véhicules sont utilisés « exclusivement » aux fins de la livraison d’envois relevant du service postal universel.

21

Le 7 mars 2016, Deutsche Post e.a. ont interjeté appel de ce jugement devant l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne). Cette juridiction relève que, en adoptant l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV, le législateur allemand a pleinement repris le contenu de la dérogation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, de sorte que l’interprétation de la disposition nationale en cause dépend essentiellement de l’interprétation à donner de la disposition dérogatoire de droit de l’Union.

22

En particulier, la juridiction de renvoi observe que, la Cour n’ayant pas encore clarifié la portée et le contenu de cette dérogation, il ne serait pas possible, à ce stade, d’exclure ni l’interprétation avancée par Deutsche Post e.a. ni celle défendue par le Land Nordrhein-Westfalen (Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie). À cet égard, elle relève que l’interprétation soutenue par ce dernier permettrait d’éviter qu’en Allemagne une entreprise fournissant aussi le service postal universel puisse profiter d’un avantage concurrentiel par rapport à une entreprise ne fournissant pas ce service et qui est, de ce fait, soumise aux règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos. Cependant, selon cette juridiction, il peut être également envisageable que cet avantage concurrentiel soit prévu pour compenser le désavantage concurrentiel provenant, pour les entreprises fournissant le service postal universel, de la régulation étatique des prix et de la qualité des prestations d’un tel service.

23

En outre, dans l’hypothèse où la disposition dérogatoire de l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 n’exigerait pas que les véhicules ou les ensembles de véhicules qui y sont visés soient utilisés « exclusivement » pour livrer des envois dans le cadre du service universel, il y aurait lieu de clarifier si cette disposition exige à tout le moins une certaine proportion d’envois relevant du service universel pour que des véhicules et des ensembles de véhicules puissent être exonérés des obligations imposées par ce règlement.

24

Dans ces conditions, l’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (tribunal administratif supérieur du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La disposition dérogatoire prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du [règlement no 561/2006] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle ne vise que les véhicules ou les ensembles de véhicules utilisés exclusivement aux fins de la livraison d’envois dans le cadre du service universel ou bien est-elle aussi applicable si les véhicules ou les ensembles de véhicules sont utilisés, également ou principalement ou dans une proportion définie d’une autre manière, aux fins de la livraison d’envois dans le cadre du service universel ?

2)

Convient-il, dans le cadre de la disposition dérogatoire citée à la première question et afin de déterminer si des véhicules ou des ensembles de véhicules sont utilisés exclusivement ou bien, le cas échéant, également ou principalement ou dans une proportion définie d’une autre manière, aux fins de la livraison d’envois dans le cadre du service universel, de se baser sur l’utilisation générale d’un véhicule ou d’un ensemble de véhicules ou bien sur l’utilisation concrète d’un véhicule ou d’un ensemble de véhicules au cours d’un seul trajet ? »

L’affaire C‑374/18

25

À l’instar de l’affaire C‑203/18, le litige au principal porte sur le respect, par Deutsche Post, des obligations prévues par le FPersV, qui reprend certaines dispositions du règlement no 561/2006. Néanmoins, dans l’affaire C‑374/18, les faits diffèrent en ce sens qu’il s’agit seulement de véhicules ou de combinaisons de véhicules d’une masse maximale admissible allant de 2,8 tonnes à 3,5 tonnes.

26

Considérant que le non-respect par Deutsche Post de ces obligations constitue une violation des articles 3 et 3a du Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi contre la concurrence déloyale, BGBl. 2010 I, p. 254), UPS Deutschland e.a. ont introduit une action devant le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne, Allemagne) visant à faire cesser ces pratiques et à faire constater l’obligation de réparer le préjudice subi de ce fait.

27

Cette juridiction est encline à considérer que Deutsche Post ne peut pas se prévaloir de l’exception prévue à l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV dans la mesure où, ainsi qu’il résulterait du sens et de la finalité de cette disposition, la dérogation en question ne peut s’appliquer que lorsque seuls des envois relevant du service postal universel sont livrés. En effet, l’objectif d’améliorer les conditions de travail des chauffeurs et la sécurité routière, poursuivi par le FPersV, qui reprend fidèlement dans l’ordre juridique allemand le règlement no 561/2006, ne saurait être atteint que si, dans un secteur tel que celui postal, caractérisé par une forte concurrence, les exceptions sont interprétées strictement.

28

De plus, étant donné que le FPersV a également repris les dispositions du règlement no 561/2006 en ce qui concerne les véhicules ayant une masse maximale autorisée supérieure à 2,8 tonnes et n’excédant pas 3,5 tonnes, se pose la question de savoir si, et dans quelle mesure, il convient d’avoir recours aux dispositions de droit de l’Union dans le cadre de l’interprétation d’une disposition nationale, telle que l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPerSV.

29

En outre, la juridiction de renvoi nourrit des doutes sur la question de savoir si le fait que certaines prestations supplémentaires sont fournies en lien avec un envoi postal constitue un obstacle à la qualification de celui-ci d’envoi effectué « dans le cadre du service universel ». De l’avis de cette juridiction, cette question doit recevoir une réponse affirmative. Néanmoins, elle estime que la solution du litige dépend, notamment, de l’interprétation à donner aux dispositions du règlement no 561/2006.

30

Dans ces conditions, le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 doit-il être interprété en ce sens que cette disposition n’autorise des dérogations aux articles 5 à 9 [de ce règlement] que dans le cas où le véhicule d’un prestataire du service universel, au sens de l’article 2, paragraphe 13, de la directive 97/67, transporte, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous d), [dudit règlement], uniquement et exclusivement des envois dans le cadre du service universel ou des dérogations aux articles 5 à 9 [de ce même règlement] sont-elles également autorisées lorsque les véhicules concernés transportent aussi, en sus des envois qui sont transportés dans le cadre du service universel, d’autres envois qui ne relèvent pas du service universel ?

2)

Dans le cas où il y a lieu de répondre à la première question en ce sens que des dérogations aux articles 5 à 9 du règlement no 561/2006 sont également autorisées lorsque les véhicules concernés transportent aussi, en sus des envois qui sont transportés dans le cadre du service universel, des envois qui ne relèvent pas du service universel :

a)

Dans ce cas, quel doit être au minimum le volume que représente la proportion des envois qu’un véhicule transporte dans le cadre du service universel ?

b)

Dans ce cas, quel est au maximum le volume que peut représenter la proportion des envois qui ne relèvent pas du service universel et que le véhicule transporte en même temps que les prestations du service universel ?

c)

Comment un volume tel qu’il est décrit sous a) et b) doit-il être déterminé à chaque fois ?

d)

Un volume tel qu’il est décrit sous a) et b) doit-il exister pour chaque trajet individuel du véhicule concerné ou une valeur moyenne correspondante rapportée à tous les trajets du véhicule suffit-elle ?

3)

a)

Une disposition nationale d’un État de l’Union, relative aux temps de conduite et de repos pour des véhicules ou des combinaisons de véhicules destinés au transport de marchandises ayant une masse maximale autorisée de plus de 2,8 tonnes et n’excédant pas 3,5 tonnes qui reprend littéralement les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, doit-elle être interprétée exclusivement sur le fondement du droit de l’Union ?

b)

En dépit de la reprise littérale du droit de l’Union, une juridiction nationale peut-elle appliquer des critères différents de ceux du droit de l’Union pour interpréter les dispositions qui ont été reprises du droit de l’Union ?

4.

Est-ce un obstacle à la qualification d’un envoi en tant qu’envoi dans le cadre du service universel en vertu de la directive 97/67 si, en lien avec cet envoi, des prestations supplémentaires telles que :

enlèvement (sans créneau horaire),

enlèvement (avec créneau horaire),

contrôle visuel de l’âge,

contre-remboursement,

port non payé jusqu’à 31,5 kilogrammes,

service de réexpéditions,

instructions en cas d’échec de livraison

choix du jour,

choix de l’heure,

sont proposées ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

31

Les questions dans l’affaire C‑203/18 ainsi que les première, deuxième et quatrième questions dans l’affaire C‑374/18 portent, en substance, sur l’interprétation des dispositions du règlement no 561/2006 ainsi que de la directive 97/67.

32

En revanche, s’agissant de la troisième question, dans l’affaire C‑374/18, les doutes émis par le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne) trouvent leur origine dans la circonstance que le litige au principal porte sur des véhicules ou des combinaisons de véhicules d’une masse maximale admissible allant de 2,8 tonnes à 3,5 tonnes, à savoir sur des véhicules qui ne relèvent pas du champ d’application du règlement no 561/2006. En effet, conformément à son article 2, paragraphe 1, sous a), le règlement no561/2006 s’applique seulement au transport de marchandises par des véhicules dont la masse maximale autorisée dépasse 3,5 tonnes.

33

Toutefois, le législateur allemand, qui a fait usage de la faculté prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 en s’attachant étroitement à la lettre de cette disposition, au moyen de l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV, applique également aux véhicules n’atteignant pas la masse de 3,5 tonnes les dispositions dérogatoires prévues audit article 13 du règlement no 561/2006.

34

Dans ces conditions, ainsi que le relève M. l’avocat général, aux points 39 et 40 de ses conclusions, la réponse à la troisième question préjudicielle dans l’affaire C‑374/18 est susceptible d’avoir des conséquences sur la compétence de la Cour pour répondre aux première, deuxième et quatrième questions dans cette affaire, portant sur l’interprétation des dispositions du règlement no 561/2006. Partant, il y a lieu de traiter cette troisième question en premier lieu.

Sur la troisième question dans l’affaire C‑374/18

35

Par sa troisième question dans l’affaire C‑374/18, le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne) demande, en substance, si une disposition du droit national, telle que celle en cause au principal, qui reprend littéralement les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, dans la mesure où elle s’applique à des véhicules ayant une masse maximale de plus de 2,8 tonnes, mais n’excédant pas 3,5 tonnes, et qui, de ce fait, ne relèvent pas du champ d’application du règlement no 561/2006, doit être interprétée exclusivement sur le fondement du droit de l’Union ou si une juridiction nationale peut appliquer des critères différents de ceux du droit de l’Union pour interpréter une telle disposition interne.

36

Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que la Cour s’est déclarée à maintes reprises compétente pour statuer sur une demande de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union, dans des situations dans lesquelles, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du champ d’application de ce droit, les dispositions dudit droit ont été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci. En effet, dans de telles situations, il existe un intérêt certain de l’Union européenne à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 37, et du 13 mars 2019, E., C‑635/17, EU:C:2019:192, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).

37

Ainsi, une interprétation par la Cour de dispositions du droit de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celles-ci se justifie lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent du champ d’application desdites dispositions (arrêt du 13 mars 2019, E., C‑635/17, EU:C:2019:192, point 37 et jurisprudence citée).

38

En l’occurrence, il y a lieu de vérifier si le renvoi à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, opéré par l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV, doit être qualifié de « direct et inconditionnel », au sens de la jurisprudence citée au point précédent, et, par conséquent, si ladite disposition du droit de l’Union est rendue applicable aux véhicules qui, en raison d’une masse maximale admissible inférieure à la limite minimale de 3,5 tonnes fixée par ledit règlement, ne relèvent pas du champ d’application de celui-ci.

39

Ainsi que le relève M. l’avocat général, au point 53 de ses conclusions, le libellé de l’article 18 du FPersV, après avoir fait explicitement référence, tant dans son intitulé que dans sa première phrase, aux règlements no 561/2006 et no 165/2014, reproduit mot pour mot, sans aucune variation, à son paragraphe 1, point 4, la teneur de la dérogation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, tel que modifié par l’article 45 du règlement no 165/2014.

40

En outre, la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national dans le cadre du système de coopération judiciaire établi à l’article 267 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2018, K et B, C‑380/17, EU:C:2018:877, point 37 ainsi que jurisprudence citée), a précisé, dans sa décision de renvoi, que la FPersV reprend les dispositions dudit règlement, pour les étendre aux véhicules d’une masse maximale autorisée allant de 2,8 à 3,5 tonnes, en se référant expressément aux exigences du droit de l’Union. En outre, ainsi qu’il résulte de la décision de renvoi dans l’affaire C‑203/18, il ressort clairement des documents relatifs à la genèse de l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV que le législateur allemand « a voulu faire pleinement usage de l’exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 », et a ainsi harmonisé le traitement des situations internes avec celui des situations couvertes par le règlement no 561/2006.

41

Il en découle, ainsi que le souligne M. l’avocat général, au point 57 de ses conclusions, que l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV s’inscrit dans le contexte d’un système complet de règles nationales étendant l’application du régime juridique de l’Union concernant les durées de conduite, les pauses et les temps de repos, mis en place par le règlement no 561/2006, aux transports effectués par des véhicules dont la masse maximale admissible est inférieure à celle des véhicules relevant du champ d’application du règlement no 561/2006.

42

Dans ces conditions, le renvoi à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 opéré à l’article 18, paragraphe 1, point 4, du FPersV doit être qualifié de « direct et inconditionnel », au sens de la jurisprudence citée au point 37 du présent arrêt, de sorte que la Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi et pour interpréter ainsi les dispositions du règlement no 561/2006, dans une situation telle que celle en cause au principal.

43

Par ailleurs, eu égard à l’existence d’un intérêt certain à ce qu’une telle disposition du droit de l’Union rendue applicable en droit interne reçoive, ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt, une interprétation uniforme, la juridiction de renvoi est liée par l’interprétation des dispositions du droit de l’Union en cause au principal donnée par la Cour et ne saurait se fonder sur d’autres critères.

44

Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question qu’une disposition du droit national, telle que celle en cause au principal, qui reprend littéralement les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, dans la mesure où elle s’applique à des véhicules d’une masse maximale admissible supérieure à 2,8 tonnes, mais n’excédant pas 3,5 tonnes et qui, de ce fait, ne relèvent pas, du champ d’application du règlement no 561/2006, doit être interprétée exclusivement sur le fondement du droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour, lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de tels véhicules par le droit national de manière directe et inconditionnelle.

Sur les questions dans l’affaire C‑203/18 ainsi que sur les première et deuxième questions dans l’affaire C‑374/18

45

Par les questions dans l’affaire C‑203/18 ainsi que par les première et deuxième questions dans l’affaire C‑374/18, qu’il convient d’examiner ensemble, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens que la dérogation qu’il prévoit vise seulement les véhicules ou les ensembles de véhicules utilisés exclusivement, pendant une opération de transport déterminée, aux fins de la livraison d’envois dans le cadre du service postal universel ou que cette dérogation est aussi applicable lorsque les véhicules ou les ensembles de véhicules concernés sont utilisés principalement ou dans une proportion définie aux fins de la livraison d’envois relevant du service postal universel.

46

Afin de répondre à ces questions, il y a lieu de rappeler que, conformément à son considérant 17 et à son article 1er, le règlement no 561/2006 a pour objectifs d’harmoniser les conditions de concurrence en ce qui concerne le secteur routier et d’améliorer les conditions de travail ainsi que la sécurité routière (arrêt du 7 février 2019, NK, C‑231/18, EU:C:2019:103, point 18 et jurisprudence citée).

47

À ces fins, les articles 5 à 9 de ce règlement prévoient une série de règles régissant les durées de conduite, les pauses, ainsi que les temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs des véhicules relevant de son champ d’application.

48

En vertu, en particulier, de l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, les États membres sont cependant autorisés à accorder des dérogations auxdites règles prévues aux articles 5 à 9 de ce règlement, applicables notamment aux transports effectués par des véhicules ou une combinaison de véhicules d’une masse maximale admissible n’excédant pas 7,5 tonnes, utilisés par des prestataires du service universel, tels que définis à l’article 2, point 13), de la directive 97/67, pour livrer des envois dans le cadre du service universel.

49

La République fédérale d’Allemagne ayant exercé la faculté accordée par l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, il importe de déterminer la portée de la dérogation prévue par cette disposition.

50

À cet égard, il y a lieu de souligner que, en tant que dérogation aux articles 5 à 9 du règlement no 561/2006, les conditions d’application de l’article 13, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, de ce règlement sont d’interprétation stricte [voir, par analogie, s’agissant de l’article 13, paragraphe 1, sous d), second alinéa, dudit règlement, arrêt du 28 juillet 2011, Seeger, C‑554/09, EU:C:2011:523, point 33 et, s’agissant de l’article 13, paragraphe 1, sous p), du règlement no 561/2006, arrêt du 7 février 2019, NK, C‑231/18, EU:C:2019:103, point 21]. Par ailleurs, la portée de cette dérogation doit être déterminée en tenant compte du libellé, du contexte et des finalités de la réglementation en cause au principal.

51

S’agissant du libellé de l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, il y a lieu d’observer que cette disposition vise expressément les véhicules utilisés pour livrer « des envois dans le cadre du service universel ». Ainsi, la dérogation énoncée à ladite disposition est circonscrite en fonction du type d’envois effectués avec les véhicules concernés, ce qui suggère que le législateur de l’Union souhaitait non pas inclure dans le champ d’application de cette dérogation tous les véhicules des prestataires du service postal universel, mais seulement ceux qui transportent des envois imputables au service postal universel.

52

Par conséquent, la dérogation en cause au principal ne saurait être interprétée comme couvrant les véhicules utilisés pour livrer, en sus des envois imputables au service postal universel, d’autres envois ne relevant pas d’un tel service.

53

Cette interprétation ne saurait être infirmée par les arguments relatifs au contexte de ladite dérogation, exposés par Deutsche Post et par le gouvernement polonais, selon lesquels le choix du législateur de l’Union d’employer le terme « exclusivement » pour ce qui concerne les dérogations figurant à l’article 13, paragraphe 1, sous e), i) et o), du règlement no 561/2006 prouverait que l’intention du législateur de l’Union, s’agissant de la dérogation figurant à l’article 13, paragraphe 1, sous d), de ce règlement, n’était pas de restreindre le champ d’application de cette exception aux transports effectués au moyen de véhicules utilisés exclusivement pour la livraison d’envois dans le cadre du service universel, mais d’y intégrer également les cas dans lesquels les véhicules sont utilisés seulement en partie pour la livraison de tels envois.

54

En effet, ainsi que le fait valoir en substance la Commission, dans ses observations écrites, l’absence du terme « exclusivement » dans le libellé d’une des dérogations énumérées à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 ne doit pas nécessairement conduire à conclure a contrario que celle-ci requiert une interprétation large. Il suffit, à cet égard, de rappeler que la Cour a déjà jugé que, dans le cas d’une utilisation, ne serait-ce que partielle, des véhicules pour des fins autres que celles expressément visées à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, les dérogations prévues par cette disposition ne trouvent pas à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2014, A. Karuse, C‑222/12, EU:C:2014:142, points 31 et 35).

55

En outre, l’interprétation de la dérogation énoncée à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, retenue par la Cour au point 52 du présent arrêt, est corroborée par les finalités dudit règlement, dont il convient de tenir compte aux fins de déterminer la portée d’une telle dérogation (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2014, A. Karuse, C‑222/12, EU:C:2014:142, point 28 et jurisprudence citée).

56

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 46 du présent arrêt, conformément à son considérant 17 et à son article 1er, le règlement no 561/2006 a pour objectifs d’harmoniser les conditions de concurrence en ce qui concerne le secteur routier et d’améliorer les conditions sociales des travailleurs ainsi que la sécurité routière, en imposant, notamment, des règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route.

57

Or, une interprétation large de la dérogation énoncée à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 pourrait avoir pour conséquence que, d’une part, les conducteurs de Deutsche Post, à savoir un grand nombre de conducteurs, ne bénéficieraient plus de la protection de leurs conditions de travail, telle qu’elle est prévue par le règlement no 561/2006, ce qui irait à l’encontre de l’objectif d’améliorer les conditions sociales de ces travailleurs. D’autre part, une telle extension de la dérogation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 est susceptible d’avoir pour effet que tous les véhicules de Deutsche Post, à savoir un grand nombre de véhicules, pourraient légalement être conduits par de tels conducteurs pendant de longues heures sans repos, ce qui serait de nature à porter sérieusement atteinte à l’objectif de l’amélioration de la sécurité routière (voir, par analogie, arrêt du 28 juillet 2011, Seeger, C‑554/09, EU:C:2011:523, points 35 et 36).

58

En outre, une telle interprétation extensive de la dérogation en cause au principal risquerait de porter atteinte également à l’objectif consistant à éliminer les disparités susceptibles de fausser la concurrence dans le domaine du transport par route. En effet, une entreprise telle que Deutsche Post exerçant ses activités dans le domaine du service postal universel, mais qui fournit également d’autres services postaux ordinaires, tout en étant exemptée des obligations prévues aux articles 5 à 9 du règlement no 561/2006, bénéficierait ainsi d’un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises concurrentes, telles que UPS Deutschland e.a., ne fournissant que des services postaux ordinaires (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 13 mars 2014, A. Karuse, C‑222/12, EU:C:2014:142, point 32).

59

En particulier, s’agissant des véhicules relevant du champ d’application du règlement no 561/2006, une entreprise telle que Deutsche Post pourrait faire l’économie des coûts liés à l’installation et à l’entretien de tachygraphes sur les véhicules qu’elle utilise, par rapport aux autres entreprises concurrentes.

60

Il s’ensuit qu’il y a lieu de répondre à la première question, respectivement, dans les affaires C‑203/18 et C‑374/18, que l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens que la dérogation qu’il prévoit vise seulement les véhicules ou les ensembles de véhicules utilisés exclusivement, pendant une opération de transport déterminée, aux fins de la livraison d’envois dans le cadre du service postal universel.

61

Compte tenu de la réponse apportée à ces questions, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle, respectivement, dans les affaires C‑203/18 et C‑374/18.

Sur la quatrième question dans l’affaire C‑374/18

62

Par sa quatrième question, dans l’affaire C‑374/18, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 97/67 doit être interprété en ce sens que le fait que des prestations supplémentaires, telles que l’enlèvement avec ou sans créneau horaire, le contrôle visuel de l’âge, le contre-remboursement, le port non payé jusqu’à 31,5 kilogrammes, le service de réexpédition, les instructions en cas d’échec de livraison ainsi que le choix du jour et de l’heure, sont fournies en lien avec un envoi constitue un obstacle à considérer celui-ci comme étant un envoi effectué dans le cadre du « service universel » en vertu de cette disposition et, dès lors, comme étant un envoi livré « dans le cadre du service universel » aux fins de l’application de la dérogation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006.

63

À cet égard, il résulte d’emblée de l’article 3, paragraphes 4 et 5, de la directive 97/67, que le service postal universel, que les États membres sont obligés de garantir aux utilisateurs, comprend au minimum la levée, le tri, le transport et la distribution de colis jusqu’à 10 kilogrammes, laquelle limite peut être relevée jusqu’à 20 kilogrammes.

64

En outre, il importe de rappeler, s’agissant spécifiquement des services de courrier exprès, que, conformément au considérant 18 de la directive 97/67, la différence essentielle entre ces services et le service postal universel réside dans la valeur ajoutée, quelle qu’en soit la forme, apportée par le service exprès aux clients et perçue par eux. Dès lors, la meilleure façon de déterminer la valeur ajoutée perçue par les clients est d’examiner le surcoût que ceux-ci sont disposés à payer.

65

À cet égard, la Cour a récemment jugé qu’un envoi avec valeur ajoutée, à savoir un envoi s’accompagnant d’une prestation supplémentaire, doit être distingué du service universel en tant que service de base. En effet, les services de courrier exprès se distinguent du service postal universel par leur valeur ajoutée apportée aux clients, pour laquelle les clients acceptent de payer une somme plus élevée. De telles prestations correspondent à des services spécifiques, dissociables du service d’intérêt général, qui répondent à des besoins particuliers d’opérateurs économiques et qui exigent certaines prestations supplémentaires que le service postal traditionnel n’offre pas (arrêt du 31 mai 2018, Confetra e.a., C‑259/16 et C‑260/16, EU:C:2018:370, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

66

En l’occurrence, ainsi que le relève M. l’avocat général, au point 125 de ses conclusions, il est constant que des services de bases assortis de prestations supplémentaires, telles que celles énumérées par la juridiction de renvoi, sont de nature à apporter une valeur ajoutée aux clients, qui sont ainsi disposés à payer un prix supérieur pour bénéficier desdites prestations supplémentaires.

67

Il s’ensuit que de tels services, qui s’apparentent plutôt à des services de courrier exprès, ne peuvent pas être considérés comme relevant du « service universel », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 97/67.

68

Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 97/67 doit être interprété en ce sens que le fait que des prestations supplémentaires, telles que l’enlèvement avec ou sans créneau horaire, le contrôle visuel de l’âge, le contre-remboursement, le port non payé jusqu’à 31,5 kilogrammes, le service de réexpédition, les instructions en cas d’échec de livraison ainsi que le choix du jour et de l’heure, sont fournies en lien avec un envoi constitue un obstacle à considérer celui-ci comme étant un envoi effectué dans le cadre du « service universel » en vertu de cette disposition et, dès lors, comme étant un envoi livré « dans le cadre du service universel » aux fins de l’application de la dérogation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006.

Sur les dépens

69

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

Une disposition du droit national, telle que celle en cause au principal, qui reprend littéralement les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil, tel que modifié par le règlement (UE) no 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, dans la mesure où elle s’applique à des véhicules d’une masse maximale admissible supérieure à 2,8 tonnes mais n’excédant pas 3,5 tonnes et qui, de ce fait, ne relèvent pas du champ d’application du règlement no 561/2006, tel que modifié par le règlement no 165/2014, doit être interprétée exclusivement sur le fondement du droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour, lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de tels véhicules par le droit national de manière directe et inconditionnelle.

 

2)

L’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, tel que modifié par le règlement no 165/2014, doit être interprété en ce sens que la dérogation qu’il prévoit vise seulement les véhicules ou les ensembles de véhicules utilisés exclusivement, pendant une opération de transport déterminée, aux fins de la livraison d’envois dans le cadre du service postal universel.

 

3)

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service, telle que modifiée par la directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008, doit être interprété en ce sens que le fait que des prestations supplémentaires, telles que l’enlèvement avec ou sans créneau horaire, le contrôle visuel de l’âge, le contre-remboursement, le port non payé jusqu’à 31,5 kilogrammes, le service de réexpédition, les instructions en cas d’échec de livraison ainsi que le choix du jour et de l’heure, sont fournies en lien avec un envoi constitue un obstacle à considérer celui-ci comme étant un envoi effectué dans le cadre du « service universel » en vertu de cette disposition et, dès lors, comme étant un envoi livré « dans le cadre du service universel » aux fins de l’application de la dérogation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), du règlement no 561/2006, tel que modifié par le règlement no 165/2014.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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