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Document 62018CC0753

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 15 janvier 2020.
Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå u.p.a. (Stim) et Svenska artisters och musikers intresseorganisation ek. för. (SAMI) contre Fleetmanager Sweden AB et Nordisk Biluthyrning AB.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Högsta domstolen.
Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 3, paragraphe 1 – Directive 2006/115/CE – Article 8, paragraphe 2 – Notion de “communication au public” – Entreprise de location de voitures ayant chacune une radio comme équipement standard.
Affaire C-753/18.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:4

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 15 janvier 2020 ( 1 )

Affaire C‑753/18

Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå u.p.a. (Stim),

Svenska artisters och musikers intresseorganisation ek. för. (SAMI)

contre

Fleetmanager Sweden AB,

Nordisk Biluthyrning AB

[demande de décision préjudicielle formée par le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 3, paragraphe 1 – Directive 2006/115/CE – Article 8, paragraphe 2 – Notion de “communication au public” – Société de location de voitures ayant chacune une radio comme équipement standard »

Introduction

1.

Peu de questions en droit de l’Union ont donné lieu à autant de décisions de la Cour en si peu de temps que celle de l’interprétation de la notion de « droit de communication au public en droit d’auteur » ( 2 ). Cette jurisprudence abondante, mais nécessairement fragmentée, s’est même vue qualifiée de « labyrinthe » et la Cour elle‑même de « Thésée » ( 3 ).

2.

Si la présente affaire ne se prête pas à une systématisation complète de cette jurisprudence ( 4 ), elle donne à la Cour l’opportunité de poser quelques principes généraux permettant de délimiter avec plus de précision ce qui relève du droit de la communication au public et ce qui n’en relève pas. Plus précisément, la présente affaire concerne en particulier l’élément crucial d’une communication au public, à savoir l’acte de communication.

Le cadre juridique

3.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 5 ) dispose :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

4.

En vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle ( 6 ) :

« Les États membres prévoient un droit pour assurer qu’une rémunération équitable et unique est versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes concernés. Ils peuvent, faute d’accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, déterminer les conditions de la répartition entre eux de cette rémunération. »

5.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ont été transposés en droit suédois, respectivement, à l’article 2, troisième alinéa, point 1, et à l’article 47, de la upphovrättslagen (1960 :279) (loi no 279 de 1960 sur le droit d’auteur).

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

6.

Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå (Stim) u.p.a. (organisation suédoise de gestion des droits des compositeurs d’œuvres musicales et de leurs éditeurs, ci‑après « Stim ») et Svenska artisters och musikers intresseorganisation ek. för. (organisation suédoise de gestion des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants, ci‑après « SAMI ») sont des organisations suédoises de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins.

7.

Fleetmanager Sweden AB (ci‑après « Fleetmanager ») et Nordisk Biluthyrning AB (ci‑après « NB ») sont des sociétés de location de véhicules établies en Suède. Elles proposent, directement ou par le biais d’intermédiaires, des véhicules équipés de postes de radio en location pour des périodes n’excédant pas 29 jours, ce qui est considéré comme location de courte durée.

8.

Dans le premier des deux litiges dans le cadre desquels les questions préjudicielles de la présente affaire ont été posées, Stim a assigné Fleetmanager à lui verser la somme de 369450 couronnes suédoises (SEK) (environ 34500 euros), majorée d’intérêts, du fait de sa contribution à ce que, sans l’autorisation de Stim, des tiers avaient mis des œuvres musicales à la disposition du public, au sens du droit d’auteur, en mettant à la disposition du public des véhicules équipés de postes de radio pour des locations de courte durée.

9.

Le tingsrätt (tribunal de première instance, Suède) a constaté que la location de véhicules équipés de poste de radio constituait une communication au public au sens de la loi no 279 de 1960 sur le droit d’auteur et qu’une indemnisation était en principe fondée. Il a cependant également constaté que Fleetmanager n’avait pas participé à ces atteintes au droit d’auteur, de sorte que le recours de Stim a été rejeté. Ce jugement a été confirmé en appel. Stim s’est pourvu contre cette décision devant le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède).

10.

Dans le second litige, NB a saisi le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété intellectuelle et des affaires économiques, Suède) d’un recours demandant à ce qu’il soit jugé qu’elle n’était pas tenue de verser des redevances à SAMI pour l’utilisation d’enregistrements sonores entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2016 du fait que les véhicules loués à des particuliers et à des entrepreneurs étaient équipés de poste de radio et de lecteur de CD.

11.

Le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété intellectuelle et des affaires économiques) a constaté que la loi no 279 de 1960 sur le droit d’auteur devait être interprétée dans un sens conforme à la directive 2001/29 et que, suivant la jurisprudence de la Cour, l’utilisation pertinente visée à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 correspondait à une « communication au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Il a également constaté qu’en mettant à disposition des postes de radio dans les véhicules de location, NB rendait les enregistrements sonores audibles pour les locataires desdits véhicules et qu’il était donc question d’une « communication ». En outre, ce tribunal a estimé que les autres critères de la « communication au public » étaient également réunis. Sur la base des éléments de preuve soumis par SAMI, il a été constaté que les onze véhicules appartenant à la requérante avaient été loués en moyenne 528 fois par an. Le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété intellectuelle et des affaires économiques) en a conclu que NB devait indemniser SAMI et a rejeté son recours. Cette décision a en revanche été infirmée en appel par le Patent- och marknadsöverdomstolen (Cour d’appel de la propriété intellectuelle et des affaires économiques, Suède). SAMI s’est pourvu contre l’arrêt de ce dernier devant le Högsta domstolen (Cour suprême).

12.

C’est dans ces conditions que le Högsta domstolen (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La location de véhicules équipés de série de postes de radio a‑t‑elle pour effet que le loueur desdits véhicules est un utilisateur procédant à une “communication au public”, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, respectivement à une “communication au public” au sens de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ?

2)

L’importance de l’activité de location de véhicules ainsi que la durée des locations peuvent-ils avoir une incidence ? »

13.

La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 30 novembre 2018. Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties ont été représentées à l’audience du 6 novembre 2019.

Analyse

Sur la première question préjudicielle

14.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance si la location de véhicules équipés de postes de radio constitue une communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115.

15.

À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, le terme « communication au public » utilisé dans les deux dispositions susvisées doit être interprété comme ayant la même signification ( 7 ). Ainsi, la réponse que donnera la Cour dans la présente affaire aura la même portée dans le cadre des deux directives susmentionnées, nonobstant les éventuelles divergences terminologiques dans leurs différentes versions linguistiques, notamment la version en langue suédoise.

16.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 confère aux auteurs le droit de nature préventive d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres. Les auteurs sont ainsi en mesure, notamment, de tirer des revenus de l’exploitation de leurs œuvres sous forme de la communication au public.

17.

L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ne confère pas un droit exclusif analogue. En revanche, cette disposition assure aux artistes interprètes et aux producteurs de phonogrammes une rémunération équitable dans le cas où un phonogramme est communiqué au public.

18.

Ni la directive 2001/29 ni la directive 2006/115 ne donnent une définition légale de la notion de « communication au public ». Certaines précisions en ce qui concerne le sens à donner à cette notion découlent du considérant 23 de la directive 2001/29. Selon ce considérant, ladite notion vise toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Le droit de communication au public couvre toute transmission ou retransmission d’une œuvre, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Le considérant 27 de cette directive ajoute qu’une simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au public.

19.

Il convient encore de rappeler que, du point de vue technique, la communication au public peut revêtir deux formes principales : la communication proprement dite et la mise à disposition du public. Dans le premier cas, c’est l’utilisateur à l’origine de la communication qui décide du mode technique et du moment auquel la communication est effectuée, les destinataires potentiels pouvant réceptionner, ou pas, cette communication. Dans le second cas, l’œuvre est mise à la disposition des destinataires de manière permanente, ceux‑ci pouvant y avoir accès à l’endroit et au moment choisi par eux. Ce second cas de figure concerne notamment les services à la demande et Internet. Dans la présente affaire, qui concerne les œuvres radiodiffusées, il s’agit du premier cas de figure, c’est‑à‑dire d’une communication au sens strict.

20.

Plusieurs affaires ont donné à la Cour l’occasion de définir les contours de la notion de « communication au public ».

21.

Notamment, elle a constaté qu’une communication au public devait comporter cumulativement deux éléments, à savoir un acte de communication d’un objet protégé et un public auquel cette communication est adressée ( 8 ).

22.

La réponse à la première question préjudicielle dans la présente affaire nécessite d’analyser si ces deux éléments sont réunis dans le cas d’une location de véhicules équipés de postes de radio.

23.

Il va sans dire, et ce point n’est d’ailleurs pas contesté par les parties, que les sociétés de location de véhicules n’effectuent pas d’actes de transmission des émissions de radio, cette transmission étant effectuée par les organismes de radiodiffusion. Cela n’exclut toutefois pas, a priori, que l’activité desdites sociétés puisse être qualifiée, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, comme relevant du droit exclusif de la communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115.

24.

En effet, en ce qui concerne l’acte de communication, la Cour en a constaté l’existence dans de nombreuses circonstances dépassant le cadre d’une simple transmission directe d’une œuvre, par exemple par le biais de la radiodiffusion.

25.

Ainsi, la Cour a considéré que constitue une communication au public le fait pour un établissement hôtelier de donner accès à ses clients à des objets protégés en plaçant des postes de télévision dans les chambres et en distribuant au moyen de ces postes le signal de télévision capté par l’antenne centrale ( 9 ). À cet égard, la Cour a opéré une distinction entre une simple fourniture d’installations physiques qui ne constitue pas une communication au public et le fait de distribuer le signal au moyen de ces installations qui, elle, relève de cette notion ( 10 ).

26.

Il en est de même lorsqu’un établissement hôtelier fournit dans les chambres non pas des postes de télévision, mais des équipements permettant d’écouter des disques CD ainsi que les disques eux‑mêmes ( 11 ). En effet, un tel établissement, en mettant à la disposition de ses clients tant les équipements techniques permettant d’avoir accès à des objets protégés que ces objets eux‑mêmes sous forme des phonogrammes sur disques CD, réalise une communication au public desdits objets protégés ( 12 ).

27.

Constitue également une communication au public le fait que l’exploitant d’un établissement accessible au public permet délibérément audit public d’accéder à des objets protégés radiodiffusés à l’aide des postes de télévision installés dans ledit établissement ( 13 ).

28.

La communication au public peut également consister à enregistrer des émissions radiodiffusées et à en mettre des copies à la disposition du public à l’aide d’un service Internet d’enregistrement à distance dans le nuage (cloud computing) ( 14 ).

29.

Toujours dans le domaine d’Internet, doit être qualifié d’acte de communication non seulement la publication d’une œuvre sur un site Internet ( 15 ), mais également le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées contenues sur un autre site Internet ( 16 ). Qui plus est, il n’est pas impératif, aux fins de cette qualification, que ces liens figurent sur un site Internet : ils peuvent être aussi préenregistrés dans le logiciel d’un lecteur multimédia, c’est‑à‑dire d’un équipement technique. L’acte de communication consiste alors en la fourniture de ces lecteurs multimédia ( 17 ). Cependant, de manière analogue à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SGAE ( 18 ), c’est non pas la simple fourniture des équipements techniques qui est à l’origine de la communication, mais le fait d’y avoir préinstallé des liens vers des œuvres mises à disposition (sans autorisation des titulaires des droits d’auteur) sur Internet ( 19 ).

30.

Enfin, constitue un acte de communication la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer) ( 20 ).

31.

Dans le cadre de son appréciation de l’existence d’un acte de communication au public, la Cour a souligné le rôle incontournable joué par l’utilisateur qui intervient en pleine connaissance de cause afin de donner accès au public à des objets protégés ( 21 ).

32.

Or, cette intervention de l’utilisateur ne saurait être limitée aux équipements techniques permettant de jouir des objets protégés, tels que les postes de radio ou de télévision, les lecteurs CD ou encore les lecteurs multimédia. Une telle intervention limitée doit en effet être assimilée à la simple fourniture d’équipements techniques, laquelle ne constitue pas une communication au public, conformément à la règle d’interprétation contenue au considérant 27 de la directive 2001/29.

33.

Pour constituer une communication au public, l’intervention de l’utilisateur doit nécessairement porter sur les objets protégés eux‑mêmes, c’est‑à‑dire sur le contenu de la communication.

34.

Cette intervention sur le contenu de la communication peut revêtir différentes formes. Il peut s’agir de la transmission du signal vers des postes de télévision installés dans les chambre d’hôtel, de la fourniture de disques CD accompagnant les lecteurs CD, de la représentation d’émissions de télévision dans des espaces publics, de l’utilisation de liens Internet conduisant vers des objets protégés ou de la pré-installation de tels liens sur un lecteur multimédia, de l’enregistrement d’émissions radiodiffusées ou bien, encore, de l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres dans le cadre d’un réseau peer-to-peer.

35.

Aucune de ces différentes formes d’intervention n’est exigée (en soi) pour que puisse être constatée l’existence d’un acte de communication. Elles ont pourtant toutes un point commun, à savoir le lien direct entre l’intervention de l’utilisateur et les objets protégés ainsi communiqués. Ce point commun est l’élément central sans lequel on ne saurait parler d’un acte de communication.

36.

Je ne partage donc pas l’argumentation des requérantes au principal, selon laquelle la Cour n’aurait pas établi une exigence générale en ce sens pour constater l’existence d’un acte de communication au public. En effet, si la Cour n’a pas érigé expressément cette exigence en principe général, c’est parce que celle‑ci est inhérente à la notion même de « communication au public », cette communication devant nécessairement avoir un contenu constitué d’objets protégés. Néanmoins, cette exigence de l’intervention sur le contenu de la communication, même si elle n’est pas évoquée explicitement, est implicitement présente dans toutes les décisions de la Cour dans lesquelles celle‑ci a constaté l’existence d’un acte de communication.

37.

Cela est particulièrement visible dans les décisions dans lesquelles la Cour devait opérer une distinction entre un acte de communication au public et une simple fourniture d’équipements techniques. La Cour y a souligné l’élément déterminant de l’existence d’un acte de communication, à savoir l’intervention directe sur le contenu de la communication, cet élément étant distinct de la fourniture d’équipements. Ainsi, c’est non pas le fait d’avoir installé des postes de télévision dans les chambres d’hôtel, mais la distribution du signal qui constitue l’acte de communication ( 22 ). De manière analogue, la fourniture de lecteurs CD n’aurait pas été constitutive d’un tel acte sans la fourniture parallèle de disques CD, la réunion de ces deux éléments étant nécessaire afin de jouir des objets protégés ( 23 ). Pareillement, en l’absence de liens préinstallés permettant d’accéder sur Internet à des objets protégés, la seule fourniture de lecteurs multimédia n’aurait pas conduit la Cour à constater l’existence d’un acte de communication ( 24 ).

38.

Or, il est à mon avis assez évident que les entreprises de location de véhicules ne réalisent aucune intervention concernant directement les œuvres ou les phonogrammes qui sont radiodiffusés et qui peuvent être éventuellement écoutés par leurs clients à l’aide des postes de radio dont sont équipés les véhicules loués. Ces sociétés se limitent à fournir à leurs clients des véhicules équipés par leurs producteurs de postes de radio. Ce sont les clients desdites sociétés qui prennent la décision d’écouter ou non les émissions radiodiffusées.

39.

Les postes de radio installés dans les véhicules sont conçus de telle manière qu’ils sont capables de capter, sans aucune intervention additionnelle, la radiodiffusion terrestre accessible dans la zone dans laquelle ils se trouvent. La seule communication au public qui a lieu est donc celle effectuée par les organismes de radiodiffusion. En revanche, il n’y a ici aucune communication au public subséquente, notamment de la part des sociétés de location de véhicules. Or, les clients de Stim et de SAMI, en autorisant la radiodiffusion des objets protégés pour lesquels ils sont titulaires des droits d’auteur ou droits voisins, ont dû nécessairement prendre en compte tous les utilisateurs équipés de postes de radio et se trouvant dans la zone de couverture de la transmission, y compris les postes de radio installés dans des véhicules et nonobstant la façon dont ces véhicules sont utilisés.

40.

Le rôle des sociétés de location de véhicules se limite donc à la simple fourniture d’installations destinées à permettre une communication au public, ce qui, en vertu du considérant 27 de la directive 2001/29, ne constitue pas une telle communication ( 25 ). La thèse avancée par Stim et SAMI dans leurs observations écrites, selon laquelle ce considérant ne viserait que les acteurs spécialisés dans la fabrication ou la vente d’équipements destiné à réaliser une communication à distance, repose sur une lecture erronée de la jurisprudence de la Cour, notamment de l’arrêt SGAE ( 26 ). En effet, si la Cour a à plusieurs reprises constaté l’existence d’un acte de communication, c’est non pas du fait de la qualité de l’utilisateur concerné, mais en raison de l’intervention additionnelle dudit utilisateur, allant au-delà de la simple fourniture d’équipement, comme la transmission du signal. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Stichting Brein ( 27 ), l’utilisateur concerné était bien un « acteur spécialisé dans la fourniture des lecteurs multimédia ». La Cour a néanmoins constaté l’existence d’un acte de communication en raison du contenu du logiciel de ces lecteurs.

41.

Ne saurait non plus prospérer l’argument de Stim et de SAMI selon lequel la responsabilité des sociétés de location de véhicules devrait découler du fait que celles‑ci mettent à la disposition de leurs clients des espaces, que Stim et SAMI qualifient de « publics », à savoir les habitacles des véhicules de location, dans lesquels il est possible de jouir d’objets protégés grâce aux postes de radio dont ces véhicules sont équipés. Pas plus que la fourniture des postes de radio eux‑mêmes, la « fourniture » de l’espace dans lequel il est possible d’utiliser ces postes de radio ne constitue un acte de communication en l’absence d’une intervention de l’utilisateur concernant le contenu de cette communication, c’est‑à‑dire les objets protégés.

42.

Je partage en revanche la position de Stim et de SAMI selon laquelle il est sans pertinence que les postes de radio aient été installés dans les véhicules par les fabricants desdits véhicules. Cependant, en vertu de la même logique, il n’est pas non plus pertinent de savoir si les sociétés de location des véhicules ne veulent pas, comme l’allèguent Stim et SAMI, ou ne peuvent pas, comme le prétendent lesdites sociétés, démonter ou rendre inutilisables ces postes de radio. Ces circonstances concernent en effet non pas des actes de communication au public des objets protégés, mais la simple fourniture d’équipement techniques et restent, comme telles, en dehors du champ d’application du droit d’auteur.

43.

Enfin, le fait que la possibilité d’écouter dans les véhicules de location des objets protégés grâce aux postes de radio qui y sont installés contribue à l’attractivité et donc à la rentabilité de l’activité des sociétés de location desdits véhicules est également sans incidence sur le point de savoir s’il existe un acte de communication au public et sur la responsabilité éventuelle desdites sociétés sur le fondement du droit d’auteur.

44.

La fourniture de tout équipement technique destiné à réaliser ou à recevoir une communication à distance a normalement lieu dans le cadre d’une activité lucrative. La rentabilité de cette activité repose en grande partie sur le fait que lesdits équipements sont utilisés afin de réaliser ou de recevoir la communication d’objets protégés par le droit d’auteur et les droits voisins – c’est le principal objectif de l’achat de tels équipements. Cependant, aucune rémunération n’est due aux titulaires desdits droits de la part des fournisseurs de tels équipements ( 28 ). C’est justement afin de parer à la logique qui exigerait une telle rémunération que les signataires du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur ( 29 ), dans la déclaration commune concernant l’article 8 de ce traité, et à leur instar le législateur de l’Union dans le considérant 27 de la directive 2001/29, ont indiqué que la simple fourniture d’équipements techniques ne devait pas être qualifiée de communication au public. Il est sans incidence que cette fourniture soit effectuée sous forme de vente, de location de longue durée, de location de courte durée ou d’une quelconque autre manière.

45.

Ainsi, dans le cas de la location de véhicules équipés de postes de radio, il n’y a pas, à mon avis, d’acte de communication au sens de la jurisprudence de la Cour citée dans les présentes conclusions. Il serait donc sans objet d’examiner la présence du second élément d’une communication au public, à savoir le public.

46.

Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, doivent être interprétés en ce sens que la location de véhicules équipés de postes de radio ne constitue pas une communication au public au sens de ces dispositions.

Sur la seconde question préjudicielle

47.

Par la seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’importance de l’activité de location de véhicules ainsi que la durée des locations peuvent avoir une incidence sur la réponse à donner à la première question.

48.

Eu égard à la réponse que je propose de donner à la première question préjudicielle, la réponse à la seconde question ne peut être que négative. L’activité en question ne constitue pas une communication au public au sens des dispositions susmentionnées, indépendamment de l’importance de cette activité et de la durée de location.

49.

C’est uniquement par souci d’exhaustivité que j’aborderai brièvement l’analyse de la seconde question préjudicielle, pour le cas où la Cour répondrait par l’affirmative à la première question.

50.

Selon une jurisprudence bien établie, le public auquel doit s’adresser une communication doit être constitué d’un nombre potentiellement indéterminé, mais assez important de personnes, de sorte qu’il existe un seuil de minimis excluant de cette notion une communauté de personnes concernées trop petite, voire insignifiante. Il convient par ailleurs de tenir compte des effets cumulatifs qui résultent de la mise à disposition des œuvres protégées auprès des destinataires non seulement parallèles, mais également consécutifs ( 30 ).

51.

Ces notions sont bien évidemment vagues et leur interprétation dépend fortement des circonstances de chaque cas concret. Je considère cependant que lorsque l’activité de location de véhicules ne se limite pas à des cas isolés de location, mais revêt un caractère d’activité permanente, le nombre de clients successifs est suffisamment important pour dépasser le seuil d’un nombre insignifiant. Notamment, ces clients ne forment pas un cercle de personnes déterminées pouvant être assimilé à un cercle privé ( 31 ). Ainsi, l’importance d’une telle activité, à condition qu’elle revête un caractère permanent, n’a pas d’incidence sur l’appréciation de l’existence d’une communication au public.

52.

En ce qui concerne la durée de la location des véhicules, les requérantes au principal font une différence entre la location de courte durée, définie comme ne dépassant pas 29 jours, et la location de longue durée. Elles soutiennent qu’à partir de 30 jours de location le véhicule constitue non plus un espace public, mais un espace privé, de sorte que la présence d’un poste de radio dans ledit véhicule ne serait plus constitutive d’une communication au public.

53.

Cependant, la Cour a eu déjà l’occasion de juger que le caractère public ou privé de l’espace dans lequel une communication au public est réceptionnée n’a aucune incidence sur l’appréciation de l’existence de cette communication, sous peine de vider de sa substance le droit de communication au public ( 32 ).

54.

Ainsi, la durée de location du véhicule et le prétendu caractère public ou privé de celui‑ci qui en découlerait n’ont aucune incidence sur l’appréciation de l’existence d’une communication au public.

55.

Par conséquent, si la Cour devait répondre par l’affirmative à la première question préjudicielle, cette réponse, tout comme une réponse négative, ne serait nullement conditionnée par l’importance de l’activité de location de véhicules ni par la durée de cette location.

Conclusion

56.

À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles posées par le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède) :

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle doivent être interprétés en ce sens que la location de véhicules équipés de postes de radio ne constitue pas une communication au public au sens de ces dispositions.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Plus de vingt arrêts et ordonnances concernent ce problème depuis l’arrêt du 2 juin 2005, Mediakabel (C‑89/04, EU:C:2005:348).

( 3 ) Clark, B., Dickenson, J., « Theseus and the labyrinth ? An overview of “communication to the public” under EU copyright law : after Reha Training and GS Media where are we now and where do we go from there ? », European Intellectual Property Review, no 5/2017, p. 265. Les auteures n’expliquent malheureusement pas qui est ici le Minotaure.

( 4 ) Celle-ci peut d’ailleurs s’avérer impossible, selon la doctrine (voir : Treppoz, E., « De l’art jurisprudentiel au rang de feuilleton ou l’impossible systématisation du droit de communication au public », Revue trimestrielle de droit européen, no 4/2017, p. 864).

( 5 ) JO 2001, L 167, p. 10.

( 6 ) JO 2006, L 376, p. 28.

( 7 ) Arrêt du 31 mai 2016, Reha Training (C‑117/15, EU:C:2016:379, point 33).

( 8 ) Voir, dernièrement, arrêt du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634, point 19 et jurisprudence citée).

( 9 ) Arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 1 du dispositif).

( 10 ) Arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 46).

( 11 ) Arrêt du 15 mars 2012, Phonographic Performance (Ireland) (C‑162/10, EU:C:2012:141, point 3 du dispositif).

( 12 ) Arrêt du 15 mars 2012, Phonographic Performance (Ireland) (C‑162/10, EU:C:2012:141, point 62).

( 13 ) Voir, notamment, arrêts du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 7 du dispositif), ainsi que du 31 mai 2016, Reha Training (C‑117/15, EU:C:2016:379, dernière phrase du dispositif).

( 14 ) Arrêt du 29 novembre 2017, VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:913, points 46 à 49).

( 15 ) Arrêt du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634, point 21).

( 16 ) Arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76, point 20). Si, dans cet arrêt, la Cour n’a pas qualifié la fourniture des liens vers des contenus librement accessibles sur Internet de communication au public, c’est faute d’un public nouveau auquel une telle communication serait adressée (voir point 27 de l’arrêt).

( 17 ) Arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein (C‑527/15, EU:C:2017:300, point 42).

( 18 ) Arrêt du 7 décembre 2006 (C‑306/05, EU:C:2006:764).

( 19 ) Voir arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein (C‑527/15, EU:C:2017:300, points 39 à 41).

( 20 ) Arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:456, point 39).

( 21 ) Voir, dernièrement, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein (C‑527/15, EU:C:2017:300, point 31).

( 22 ) Arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 46).

( 23 ) Arrêt du 15 mars 2012, Phonographic Performance (Ireland) (C‑162/10, EU:C:2012:141, points 62 et 67).

( 24 ) Arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein (C‑527/15, EU:C:2017:300, points 39 à 41).

( 25 ) La Commission conteste ce constat, en observant que l’objectif de l’activité des sociétés de location de véhicules est de fournir les véhicules, non pas les postes de radio qui y sont installés. Il me semble cependant possible d’admettre qu’il y a une fourniture de postes de radio accessoire à la fourniture de véhicules. En tout état de cause, et je rejoins ici la position de la Commission, il ne s’agit en aucun cas, en l’espèce, d’un acte de communication.

( 26 ) Arrêt du 7 décembre 2006, (C‑306/05, EU:C:2006:764).

( 27 ) Arrêt du 26 avril 2017 (C‑527/15, EU:C:2017:300).

( 28 ) À l’exception, le cas échéant, de la compensation au titre de la copie privée prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

( 29 ) Traité signé le 20 décembre 1996 à Genève et approuvé au nom de l’Union européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO 2000, L 89, p. 6).

( 30 ) Voir, dernièrement, arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:456, point 41 et jurisprudence citée).

( 31 ) Voir, a contrario, arrêt du 15 mars 2012, SCF (C‑135/10, EU:C:2012:140, point 95).

( 32 ) Arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, points 50, 51 et 54).

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