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Document 62017CJ0247

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 13 novembre 2018.
Denis Raugevicius.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Korkein oikeus.
Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union européenne – Articles 18 et 21 TFUE – Demande adressée à un État membre par un pays tiers, tendant à l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre ayant exercé son droit de libre circulation dans le premier de ces États membres – Demande présentée à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté et non à des fins de poursuites pénales – Interdiction d’extrader appliquée aux seuls ressortissants nationaux – Restriction à la libre circulation – Justification fondée sur la prévention de l’impunité – Proportionnalité.
Affaire C-247/17.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:898

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

13 novembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union européenne – Articles 18 et 21 TFUE – Demande adressée à un État membre par un pays tiers, tendant à l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre ayant exercé son droit de libre circulation dans le premier de ces États membres – Demande présentée à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté et non à des fins de poursuites pénales – Interdiction d’extrader appliquée aux seuls ressortissants nationaux – Restriction à la libre circulation – Justification fondée sur la prévention de l’impunité – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑247/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), par décision du 12 mai 2017, parvenue à la Cour le 16 mai 2017, dans la procédure relative à l’extradition de

Denis Raugevicius,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, M. Vilaras, E. Regan, F. Biltgen et C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, E. Levits, L. Bay Larsen, C. G. Fernlund (rapporteur) et S. Rodin, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mai 2018,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et J. Pavliš, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et M. Hellmann ainsi que par Mme S. Weinkauff, en qualité d’agents,

pour l’Irlande, par Mmes M. Browne et J. Quaney ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme M. Gray, BL,

pour le gouvernement chypriote, par Mmes E. Zachariadou, E. Neofytou et M. Spiliotopoulou, en qualité d’agents,

pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas et Mme V. Čepaitė, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós ainsi que par Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,

pour le gouvernement roumain, par M. C.-R. Canţăr ainsi que par Mmes R. Mangu, E. Gane et C.-M. Florescu, en qualité d’agents,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, H. Shev, C. Meyer-Seitz, L. Zettergren et A. Alriksson, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid ainsi que par MM. R. Troosters et M. Huttunen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juillet 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18, premier alinéa, et de l’article 21 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une demande d’extradition adressée par les autorités russes aux autorités finlandaises, concernant M. Denis Raugevicius, ressortissant lituanien et russe, à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté.

Le cadre juridique

La convention européenne d’extradition

3

L’article 1er de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 (ci-après la « convention européenne d’extradition ») stipule :

« Les [p]arties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la [p]artie requérante ».

4

L’article 6 de cette convention, intitulé « Extradition des nationaux », prévoit :

a)

Toute [p]artie contractante aura la faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants.

b)

Chaque [p]artie contractante pourra, par une déclaration faite au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou d’adhésion, définir, en ce qui la concerne, le terme « ressortissants » au sens de la présente [c]onvention.

c)

La qualité de ressortissant sera appréciée au moment de la décision sur l’extradition. [...]

2.   Si la [p]artie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la [p]artie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. À cet effet, les dossiers, informations et objets relatifs à l’infraction seront adressés gratuitement par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12. La [p]artie requérante sera informée de la suite qui aura été donnée à sa demande. »

5

L’article 10 de ladite convention, intitulé « Prescription », dispose :

« L’extradition ne sera pas accordée si la prescription de l’action ou de la peine est acquise d’après la législation soit de la partie requérante, soit de la [p]artie requise. »

6

Aux termes de l’article 17 de la même convention :

« Si l’extradition est demandée concurremment par plusieurs États, soit pour le même fait, soit pour des faits différents, la [p]artie requise statuera compte tenu de toutes circonstances et notamment de la gravité relative et du lieu des infractions, des dates respectives des demandes, de la nationalité de l’individu réclamé et de la possibilité d’une extradition ultérieure à un autre État ».

7

La République de Finlande a effectué une déclaration, au sens de l’article 6 de la convention européenne d’extradition, dans les termes suivants :

« Au sens de la présente [c]onvention, le terme “ressortissants” désigne les nationaux de la Finlande, du Danemark, de l’Islande, de la Norvège et de la Suède ainsi que les étrangers domiciliés dans ces États. »

Le droit finlandais

8

Aux termes de l’article 9, troisième alinéa, de la Constitution finlandaise, dans sa version applicable aux faits au principal, « [a]ucun citoyen finlandais ne peut contre sa volonté être extradé ou transféré vers un autre pays. La loi peut néanmoins prévoir qu’un citoyen finlandais peut, en raison d’une infraction ou aux fins d’une procédure [...], être extradé ou transféré vers un pays dans lequel ses droits de l’homme et sa protection juridictionnelle sont garantis ».

9

En vertu de l’article 2 du rikoksen johdosta tapahtuvasta luovuttamisesta annettu laki (456/1970) [loi (456/1970) relative à l’extradition pour infraction, ci-après la « loi relative à l’extradition »], un citoyen finlandais ne peut être extradé.

10

L’article 14, premier alinéa, de la loi relative à l’extradition prévoit :

« Le ministère de la Justice décide s’il y a lieu d’accueillir la demande d’extradition. »

11

L’article 16, premier alinéa, de cette loi dispose :

« Si, lors de l’enquête ou dans un acte transmis au ministère de la Justice avant qu’il ne soit statué sur l’affaire, la personne faisant l’objet d’une demande d’extradition a déclaré qu’elle considère que les conditions légales de l’extradition ne sont pas réunies, le ministère, si la demande d’extradition n’est pas immédiatement rejetée, saisit pour avis le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) avant de statuer sur l’affaire. Le ministère peut solliciter un avis également dans d’autres cas lorsqu’il l’estime nécessaire. »

12

L’article 17 de la loi relative à l’extradition est libellé comme suit :

« Le Korkein oikeus (Cour suprême) examine si la demande d’extradition peut être accueillie, en tenant compte des dispositions des articles 1er à 10 de la présente loi et des dispositions équivalentes d’un accord international auquel la Finlande est partie.

Si le Korkein oikeus (Cour suprême) considère qu’il existe un obstacle à l’extradition, la demande d’extradition ne peut être accueillie. »

13

Une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d’un État ne faisant pas partie de l’Union européenne peut être purgée en Finlande en application du kansainvälisestä yhteistoiminnasta eräiden rikosoikeudellisten seuraamusten täytäntöönpanosta annettu laki (21/1987) [loi (21/1987) relative à la coopération internationale sur l’exécution de certaines sanctions pénales]. L’article 3 de cette loi prévoit :

« Une peine prononcée par une juridiction d’un État étranger peut être purgée en Finlande si :

1)

la condamnation a acquis force de chose jugée et est exécutoire dans l’État dans lequel elle a été prononcée ;

[...]

3)

l’État dans lequel la peine a été prononcée l’a demandé ou y a consenti.

Une peine privative de liberté peut être purgée en Finlande conformément au premier alinéa si la personne condamnée est un citoyen finlandais ou un ressortissant étranger résidant de manière permanente en Finlande et si la personne condamnée y a consenti. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Le 1er février 2011, M. Raugevicius a été déclaré coupable, par une juridiction russe, d’une infraction en matière de stupéfiants, consistant en la détention, sans intention de vente, d’un mélange contenant 3,040 grammes d’héroïne, pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis.

15

Le 16 novembre 2011, une juridiction ayant son siège dans la région de Leningrad (Russie) a révoqué ce sursis en raison du non-respect d’obligations de surveillance et a condamné M. Raugevicius à une peine d’emprisonnement de quatre ans.

16

Le 12 juillet 2016, un mandat d’arrêt international a été émis à l’encontre de M. Raugevicius.

17

Le 12 décembre 2016, M. Raugevicius a été condamné, en Finlande, par un tribunal de première instance à une interdiction de voyager en dehors de cet État membre.

18

Le 27 décembre 2016, la Fédération de Russie a adressé aux autorités finlandaises une demande tendant à ce que M. Raugevicius soit arrêté et extradé vers la Russie à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté.

19

M. Raugevicius s’est opposé à son extradition en invoquant, notamment, le fait qu’il vivait en Finlande depuis longtemps et qu’il était le père de deux enfants résidant dans cet État membre et possédant la nationalité finlandaise.

20

Le 7 février 2017, le ministère de la Justice a saisi le Korkein oikeus (Cour suprême) d’une demande d’avis portant sur la question de savoir s’il existe un obstacle juridique à l’extradition de M. Raugevicius vers la Russie.

21

Le Korkein oikeus (Cour suprême) considère qu’il est une « juridiction », au sens de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 267 TFUE, même lorsqu’il intervient pour rendre un avis dans le cadre d’une demande d’extradition. Il expose qu’il remplit les critères relatifs à cette notion, lesquels ont été rappelés par la Cour, notamment dans son arrêt du 19 décembre 2012, Epitropos tou Elegktikou Synedriou (C‑363/11, EU:C:2012:825, point 18), compte tenu de son origine légale, de sa permanence, du caractère obligatoire de sa juridiction, de la nature contradictoire de la procédure, de l’application qu’il fait des règles de droit ainsi que de son indépendance. Par ailleurs, il serait bien saisi au sujet d’un litige, M. Raugevicius ayant contesté son extradition, et le ministère de la Justice n’ayant pas estimé qu’il y avait lieu de rejeter immédiatement la demande de la Fédération de Russie. Enfin, le Korkein oikeus (Cour suprême) ajoute que l’avis qu’il doit rendre est contraignant, en ce sens que la demande d’extradition en cause ne pourrait être accueillie s’il devait considérer qu’il existe un obstacle à l’extradition sollicitée.

22

La juridiction de renvoi estime que, dans l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), la Cour a considéré, sur le fondement des articles 18 et 21 TFUE, que les règles applicables en matière d’extradition sont susceptibles d’affecter la liberté des ressortissants des autres États membres de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres. Il y aurait lieu, par conséquent, de les examiner également sous l’angle de la non-discrimination.

23

Le Korkein oikeus (Cour suprême) mentionne, toutefois, l’existence de différences entre la présente affaire, relative à une demande d’extradition aux fins de purger une peine, et l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, relative à une demande d’extradition aux fins de poursuites.

24

Cette juridiction relève en particulier que, s’il existe, en principe, une obligation, pour l’État membre requis, de poursuivre ses propres ressortissants dans le cas où il n’extrade pas ces derniers, il n’existerait pas d’obligation équivalente de faire purger, sur son territoire, la peine à laquelle ceux-ci ont été condamnés par un pays tiers.

25

Dans ces conditions, le Korkein oikeus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1)

Les règles nationales en matière d’extradition pour infraction doivent-elles être examinées au regard de la liberté de circulation des ressortissants d’un autre État membre de la même façon, indépendamment de la question de savoir si une demande d’extradition adressée par un pays tiers au titre d’un accord d’extradition concerne l’exécution d’une peine d’emprisonnement ou, ainsi que cela était le cas dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), des mesures de poursuite ? Est-il pertinent que la personne requise soit un ressortissant non seulement de l’Union, mais également de l’État requérant ?

2)

Une législation nationale en vertu de laquelle seuls les ressortissants nationaux ne sont pas extradés hors de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine défavorise-t-elle de manière injustifiée les ressortissants d’un autre État membre ? Des mécanismes du droit de l’Union permettant d’atteindre de manière moins contraignante un objectif légitime en tant que tel doivent-ils être appliqués aussi en cas d’exécution ? Quelle suite une demande d’extradition appelle-t-elle dans un cas de figure dans lequel l’autre État membre a été informé, en application de tels mécanismes, de la demande d’extradition, mais dans lequel celui-ci, par exemple en raison d’obstacles juridiques, ne prend pas de mesures à l’égard de son ressortissant ? »

Sur les questions préjudicielles

26

Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, en présence d’une demande d’extradition, formée par un pays tiers, d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation, aux fins non pas de poursuites, mais de l’exécution d’une peine privative de liberté, l’État membre requis, dont le droit national interdit l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine et prévoit la possibilité qu’une telle peine prononcée à l’étranger soit purgée sur son territoire, est tenu de rechercher s’il existe une mesure alternative à l’extradition, moins attentatoire à l’exercice de ce droit de libre circulation.

27

À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’un citoyen de l’Union, tel que M. Raugevicius, ressortissant d’un État membre, en l’occurrence la République de Lituanie, qui s’est déplacé dans un autre État membre, en l’occurrence la République de Finlande, a fait usage de sa liberté de circulation, de sorte que sa situation relève du champ d’application de l’article 18 TFUE, qui consacre le principe de non-discrimination en fonction de la nationalité (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 31).

28

Par ailleurs, une règle nationale qui interdit l’extradition des seuls ressortissants finlandais introduit une différence de traitement entre ceux-ci et les ressortissants des autres États membres. Ce faisant, une telle règle crée une inégalité de traitement susceptible d’affecter la liberté de ces derniers de circuler dans l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 32).

29

La circonstance qu’un ressortissant d’un État membre autre que l’État membre saisi de la demande d’extradition, tel que M. Raugevicius, possède également la nationalité du pays tiers auteur de cette demande n’infirme pas cette constatation. En effet, la double nationalité d’un État membre et d’un pays tiers ne saurait priver l’intéressé des libertés qu’il tire du droit de l’Union en tant que ressortissant d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a., C‑369/90, EU:C:1992:295, point 15).

30

Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle au principal, l’inégalité de traitement consistant à permettre l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, tel que M. Raugevicius, se traduit par une restriction de la liberté de circulation, au sens de l’article 21 TFUE (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 33).

31

Une telle restriction ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives et est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 34 et jurisprudence citée).

32

À cet égard, la Cour a admis que l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction doit être considéré comme légitime et permet de justifier une mesure restrictive, sous réserve que celle-ci soit nécessaire pour la protection des intérêts qu’elle vise à garantir et dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 37 et 38).

33

Ainsi, la Cour a jugé, au point 39 de l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), que l’extradition est une procédure qui vise à lutter contre l’impunité d’une personne se trouvant sur un territoire autre que celui sur lequel elle a prétendument commis une infraction. Dans cet arrêt, qui portait sur une demande d’extradition aux fins de poursuites, la Cour a relevé, à ce même point, que la non-extradition des nationaux est généralement compensée par la possibilité pour l’État membre requis de poursuivre ses propres ressortissants pour des infractions graves commises hors de son territoire, alors que cet État membre est, en règle générale, incompétent pour juger de tels faits lorsque ni l’auteur ni la victime de l’infraction supposée n’ont la nationalité dudit État membre. La Cour en a conclu que l’extradition permet, ainsi, d’éviter que des infractions commises sur le territoire d’un État par des personnes qui ont fui ce territoire demeurent impunies.

34

La juridiction de renvoi demande néanmoins si ces considérations s’appliquent également dans le cas d’une demande d’extradition aux fins de l’exécution d’une peine.

35

Cette juridiction exprime un doute à ce sujet en faisant valoir que, si la convention européenne d’extradition prévoit, à son article 6, paragraphe 2, la possibilité, pour l’État requis, d’engager des poursuites à l’égard de ses ressortissants qu’il n’extrade pas, elle n’impose pas à un État qui refuse l’extradition de ses ressortissants d’adopter des mesures visant à l’exécution d’une peine prononcée par une juridiction d’un autre État partie à cette convention. Ladite juridiction et plusieurs des gouvernements ayant présenté des observations devant la Cour considèrent, également, que l’engagement de nouvelles poursuites à l’égard d’une personne qui a déjà été poursuivie et condamnée dans l’État requérant est susceptible d’être contraire au principe ne bis in idem, selon lequel une personne ne peut être poursuivie deux fois pour une même infraction.

36

Toutefois, si le principe ne bis in idem, tel qu’il est garanti par le droit national, peut constituer un obstacle à la poursuite, par un État membre, de personnes visées par une demande d’extradition aux fins de l’exécution d’une peine, il n’en demeure pas moins que, afin d’éviter le risque de voir de telles personnes demeurer impunies, des mécanismes existent dans le droit national et/ou dans le droit international, permettant que ces personnes purgent leurs peines, notamment, dans l’État dont elles sont les ressortissantes et, ce faisant, augmentent leurs chances de réintégration sociale après l’accomplissement de leurs peines.

37

Il en va ainsi, notamment, de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 mars 1983, à laquelle l’ensemble des États membres, de même que la Fédération de Russie, sont parties. En effet, cette convention permet à une personne qui a été condamnée sur le territoire d’un État signataire de ladite convention, conformément à l’article 2 de cette dernière, de demander à être transférée vers le territoire de son pays d’origine pour y subir la condamnation qui lui a été infligée, les considérants de la même convention indiquant que l’objectif d’un tel transfèrement est notamment de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées, en permettant aux étrangers qui sont privés de leur liberté à la suite d’une infraction pénale d’effectuer leur condamnation dans leur milieu social d’origine (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Laurin Effing, C‑302/02, EU:C:2005:36, points 12 et 13).

38

En outre, certains États, tels que la République de Finlande, prévoient également la possibilité, pour leurs propres ressortissants, de purger sur leur territoire une peine prononcée dans un autre État.

39

Par conséquent, s’agissant d’une demande d’extradition en vue de l’exécution d’une peine, il y a lieu de relever, d’une part, que, si des poursuites ne peuvent pas nécessairement être engagées par l’État membre requis à l’égard de ses propres ressortissants, des mécanismes existent néanmoins, pour que ceux-ci puissent purger leur peine sur le territoire de cet État membre. D’autre part et en revanche, l’extradition permet d’éviter que les citoyens de l’Union non-ressortissants dudit État membre se soustraient à l’exécution de leur peine.

40

Dans la mesure où, ainsi qu’il a été rappelé au point 33 du présent arrêt, l’extradition est de nature à éviter le risque d’impunité des ressortissants d’États membres autres que l’État membre requis et où la réglementation nationale en cause au principal permet d’extrader des ressortissants d’États membres autres que la République de Finlande, il convient d’examiner le caractère proportionné de cette réglementation en vérifiant s’il existe des mesures permettant d’atteindre aussi efficacement cet objectif, mais qui seraient moins attentatoires à la liberté de circulation de ces derniers ressortissants (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 41), en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, en fait et en droit.

41

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que M. Raugevicius s’est opposé à son extradition, au motif qu’il vivait en Finlande depuis longtemps et qu’il était le père de deux enfants de nationalité finlandaise résidant dans cet État membre. Ces circonstances n’ont pas été remises en cause dans le cadre de la procédure devant la Cour. Ainsi, il ne saurait être exclu que M. Raugevicius puisse être considéré comme étant un ressortissant étranger résidant de manière permanente en Finlande, au sens de l’article 3, deuxième alinéa, de la loi relative à la coopération internationale sur l’exécution de certaines sanctions pénales.

42

Or, si tel est le cas, il résulte de cette disposition que M. Raugevicius pourrait purger sur le territoire finlandais la peine à laquelle il a été condamné en Russie, pour autant que ce dernier État ainsi que M. Raugevicius lui-même y consentent.

43

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31 ; du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C‑34/09, EU:C:2011:124, point 41, ainsi que du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, point 30).

44

Tout citoyen de l’Union peut donc se prévaloir de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité figurant à l’article 18 TFUE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit de l’Union, ces situations comprenant, comme dans le litige au principal, l’exercice de la liberté fondamentale de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par l’article 21 TFUE (voir arrêts du 4 octobre 2012, Commission/Autriche, C‑75/11, EU:C:2012:605, point 39, et du 11 novembre 2014, Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 59).

45

En outre, si, en l’absence de règles du droit de l’Union régissant l’extradition de ressortissants des États membres vers la Russie, les États membres demeurent compétents pour adopter de telles règles, ces mêmes États membres sont tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union, notamment, de l’interdiction de discrimination prévue à l’article 18 TFUE ainsi que de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres garantie à l’article 21, paragraphe 1, TFUE.

46

Or, au regard de l’objectif consistant à éviter le risque d’impunité, les ressortissants finlandais, d’une part, et les ressortissants d’autres États membres qui résident de manière permanente en Finlande et démontrent ainsi un degré d’intégration certain dans la société de cet État, d’autre part, se trouvent dans une situation comparable (voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 67). Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que M. Raugevicius relève de cette catégorie de ressortissants d’autres États membres.

47

Partant, les articles 18 et 21 TFUE requièrent que des ressortissants d’autres États membres qui résident de manière permanente en Finlande et font l’objet d’une demande d’extradition par un pays tiers, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté, bénéficient de la règle interdisant l’extradition appliquée aux ressortissants finlandais, et puissent, dans les mêmes conditions que ces derniers, purger leur peine sur le territoire finlandais.

48

Si, en revanche, un citoyen tel que M. Raugevicius ne peut être considéré comme résidant de manière permanente dans l’État membre requis, la question de son extradition est réglée sur la base du droit national ou du droit international applicable.

49

Il y a lieu de préciser également que, dans l’hypothèse où l’État membre requis envisage d’extrader un ressortissant d’un autre État membre à la demande d’un pays tiers, ce premier État membre doit vérifier que l’extradition ne portera pas atteinte aux droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment à son article 19 (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630 , point 60).

50

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, en présence d’une demande d’extradition, formée par un pays tiers, d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation, aux fins non pas de poursuites, mais de l’exécution d’une peine privative de liberté, l’État membre requis, dont le droit national interdit l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine et prévoit la possibilité qu’une telle peine prononcée à l’étranger soit purgée sur son territoire, est tenu d’assurer à ce citoyen de l’Union, dès lors qu’il réside de manière permanente sur son territoire, un traitement identique à celui qu’il réserve à ses propres ressortissants en matière d’extradition.

Sur les dépens

51

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

Les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, en présence d’une demande d’extradition, formée par un pays tiers, d’un citoyen de l’Union européenne ayant exercé son droit de libre circulation, aux fins non pas de poursuites, mais de l’exécution d’une peine privative de liberté, l’État membre requis, dont le droit national interdit l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine et prévoit la possibilité qu’une telle peine prononcée à l’étranger soit purgée sur son territoire, est tenu d’assurer à ce citoyen de l’Union, dès lors qu’il réside de manière permanente sur son territoire, un traitement identique à celui qu’il réserve à ses propres ressortissants en matière d’extradition.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le finnois.

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