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Document 62016CJ0093

    Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 20 juillet 2017.
    Ornua Co-operative Ltd contre Tindale & Stanton Ltd España SL.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Audiencia Provincial de Alicante.
    Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Marque de l’Union européenne – Caractère unitaire – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 9, paragraphe 1, sous b) et c) – Protection uniforme du droit conféré par la marque de l’Union européenne contre des risques de confusion et contre des atteintes à la renommée – Coexistence paisible de cette marque avec une marque nationale utilisée par un tiers dans une partie de l’Union européenne – Absence de coexistence paisible ailleurs dans l’Union – Perception du consommateur moyen – Différences de perception pouvant exister dans différentes parties de l’Union.
    Affaire C-93/16.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:571

    ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

    20 juillet 2017 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Marque de l’Union européenne – Caractère unitaire – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 9, paragraphe 1, sous b) et c) – Protection uniforme du droit conféré par la marque de l’Union européenne contre des risques de confusion et contre des atteintes à la renommée – Coexistence paisible de cette marque avec une marque nationale utilisée par un tiers dans une partie de l’Union européenne – Absence de coexistence paisible ailleurs dans l’Union – Perception du consommateur moyen – Différences de perception pouvant exister dans différentes parties de l’Union »

    Dans l’affaire C‑93/16,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Provincial de Alicante (cour provinciale d’Alicante, Espagne), par décision du 8 février 2016, parvenue à la Cour le 15 février 2016, dans la procédure

    Ornua Co-operative Ltd, anciennement The Irish Dairy Board Co-operative Ltd,

    contre

    Tindale & Stanton Ltd España SL

    LA COUR (deuxième chambre),

    composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, Mme A. Prechal, M. A. Rosas, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

    avocat général : M. M. Szpunar,

    greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 janvier 2017,

    considérant les observations présentées :

    pour Ornua Co-operative Ltd, anciennement The Irish Dairy Board Co‑operative Ltd, par Me E. Armijo Chávarri, abogado,

    pour Tindale & Stanton Ltd España SL, par Mes A. von Mühlendahl et J. Güell Serra, abogados,

    pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et M. Hellmann, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et D. Segoin, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par MM. É. Gippini Fournier et T. Scharf ainsi que par Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mars 2017,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9 du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne] (JO 2009, L 78, p. 1).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Ornua Co‑operative Ltd, anciennement The Irish Dairy Board Co-operative Ltd (ci-après « Ornua »), à Tindale & Stanton Ltd España SL (ci-après « T & S ») au sujet de l’usage par cette dernière d’un signe qui, selon Ornua, crée un risque de confusion avec des marques de l’Union européenne dont elle est titulaire et porte atteinte à la renommée de ces marques.

    Le cadre juridique

    3

    Le règlement no 207/2009, qui a abrogé et remplacé le règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), a été modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21), qui est entré en vigueur le 23 mars 2016. Toutefois, compte tenu de la date des faits au principal, le présent renvoi préjudiciel est examiné au regard du règlement no 207/2009 tel qu’en vigueur avant cette modification.

    4

    Aux termes du considérant 3 de ce règlement :

    « Pour poursuivre les objectifs [...] de [l’Union européenne], il apparaît nécessaire de prévoir un régime [...] des marques conférant aux entreprises le droit d’acquérir, selon une procédure unique, des marques [de l’Union européenne] qui jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets sur tout le territoire de [l’Union]. Le principe du caractère unitaire de la marque [de l’Union européenne] ainsi exprimé devrait s’appliquer sauf disposition contraire du présent règlement. »

    5

    L’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement, qui fait partie du titre I de ce dernier, intitulé « Dispositions générales », dispose :

    « La marque [de l’Union européenne] a un caractère unitaire. Elle produit les mêmes effets dans l’ensemble [de l’Union] : elle ne peut être enregistrée, transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité, et son usage ne peut être interdit, que pour l’ensemble de [l’Union]. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du présent règlement. »

    6

    Le titre II du même règlement porte l’intitulé « Droit des marques ». Sa section 2, qui est intitulée « Effets de la marque [de l’Union] », comporte notamment les articles 9 et 12, qui portent respectivement l’intitulé « Droit conféré par la marque [de l’Union européenne] » et « Limitation des effets de la marque [de l’Union européenne] ».

    7

    Aux termes du paragraphe 1 dudit article 9 :

    « La marque [de l’Union européenne] confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

    a)

    d’un signe identique à la marque [de l’Union européenne] pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

    b)

    d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque [de l’Union européenne] et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque [de l’Union européenne] et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

    c)

    d’un signe identique ou similaire à la marque [de l’Union européenne] pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque [de l’Union européenne] est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans [l’Union] et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque [de l’Union européenne] ou leur porte préjudice. »

    8

    Ledit article 12 prévoit :

    « Le droit conféré par la marque [de l’Union européenne] ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires :

    a)

    de son nom ou de son adresse ;

    b)

    d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux‑ci ;

    c)

    de la marque lorsqu’il est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée,

    pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    9

    Ornua est une société de droit irlandais dont les activités économiques se situent dans le secteur alimentaire. Elle commercialise notamment du beurre et d’autres produits laitiers.

    10

    Elle est titulaire de plusieurs marques de l’Union européenne, dont la marque verbale KERRYGOLD, enregistrée au cours de l’année 1998 pour des produits relevant de la classe 29 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, à savoir, en particulier, du beurre et d’autres produits laitiers, ainsi que les deux marques figuratives suivantes, enregistrées respectivement dans le courant des années 1998 et 2011 pour la même classe de produits (ci-après, ensemble, « les marques de l’Union européenne KERRYGOLD ») :

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    11

    Les produits sur lesquels ces marques sont apposées sont exportés vers plusieurs pays. Dans l’Union, lesdits produits sont principalement vendus en Espagne, en Belgique, au Danemark, en Allemagne, en Irlande, en Grèce, en France, à Chypre, au Luxembourg, à Malte, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

    12

    T & S est une société de droit espagnol qui importe et distribue, en Espagne, des margarines sous le signe KERRYMAID. Ces produits sont fabriqués en Irlande par Kerry Group plc.

    13

    Kerry Group a fait enregistrer, en Irlande ainsi qu’au Royaume-Uni, la marque nationale KERRYMAID.

    14

    Le 29 janvier 2014, The Irish Dairy Board Co-operative, devenue Ornua le 31 mars 2015, a introduit une action en contrefaçon contre T & S devant le Juzgado de lo Mercantil de Alicante (tribunal de commerce d’Alicante, Espagne) en sa qualité de tribunal des marques de l’Union européenne, tendant à faire constater que T & S, en ce qu’elle importe et distribue en Espagne des margarines sous le signe KERRYMAID, viole les droits conférés par les marques de l’Union européenne KERRYGOLD. L’usage du signe KERRYMAID par T & S créerait un risque de confusion et tirerait sans juste motif profit du caractère distinctif et de la renommée desdites marques.

    15

    Cette juridiction a d’abord constaté que la seule similitude entre le signe KERRYMAID et les marques de l’Union européenne KERRYGOLD a trait à l’élément « kerry », qui se réfère à un comté irlandais connu pour son élevage bovin.

    16

    Elle a, ensuite, relevé qu’il était constant entre les parties qu’en Irlande et au Royaume-Uni, les marques de l’Union européenne KERRYGOLD et la marque nationale KERRYMAID coexistent pacifiquement.

    17

    Ladite juridiction en a déduit qu’il ne pouvait exister, en Espagne, de risque de confusion entre les marques de l’Union européenne KERRYGOLD et le signe KERRYMAID. En effet, l’Irlande et le Royaume-Uni ayant, ensemble, un poids démographique significatif dans l’Union, la coexistence paisible entre ces marques et ce signe dans ces deux États membres devrait, au regard du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne, conduire à la conclusion qu’il y a absence de risque de confusion entre lesdites marques et ledit signe sur l’ensemble du territoire de l’Union.

    18

    La même juridiction a, enfin, considéré que, en raison de ladite coexistence paisible en Irlande et au Royaume-Uni, il ne saurait y avoir, en Espagne, un profit indûment tiré par T & S du caractère distinctif ou de la renommée des marques de l’Union européenne KERRYGOLD.

    19

    En se fondant sur ces considérations, le Juzgado de lo Mercantil de Alicante (tribunal de commerce d’Alicante) a, par jugement du 18 mars 2015, rejeté l’action en contrefaçon.

    20

    Ce jugement a fait l’objet d’un appel devant la juridiction de renvoi.

    21

    Partant du constat que la coexistence paisible entre les marques de l’Union européenne KERRYGOLD et le signe KERRYMAID n’est avérée qu’en Irlande et au Royaume-Uni, la juridiction de renvoi nourrit des doutes sur la compatibilité avec le règlement no 207/2009 de l’extrapolation à laquelle la juridiction de première instance s’est livrée. À supposer que la coexistence paisible entre ces marques et ce signe en Irlande et au Royaume-Uni conduise au résultat qu’il y a absence de risque de confusion dans ces deux États membres, il n’en ressort pas pour autant, selon la juridiction de renvoi, qu’il y a également absence de risque de confusion entre lesdites marques et ledit signe dans les autres États membres. En effet, une telle extrapolation risquerait de priver de leur effet utile les droits conférés au titulaire de la marque de l’Union européenne en vertu de l’article 9 du règlement no 207/2009.

    22

    Dans ces conditions, l’Audiencia Provincial de Alicante (cour provinciale d’Alicante, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    L’article 9, paragraphe 1, sous b), du [règlement no 207/2009], dans la mesure où il exige l’existence d’un risque de confusion pour que le titulaire d’une marque [de l’Union européenne] puisse interdire à un tiers d’utiliser un signe dans la vie des affaires et sans son consentement, dans les cas qui y sont prévus, peut-il être interprété en ce sens qu’il permet d’exclure le risque de confusion lorsque la marque [de l’Union européenne] antérieure a coexisté pacifiquement, du fait de la tolérance du titulaire, dans deux États membres de l’Union avec des marques nationales similaires, pendant des années, l’absence du risque de confusion dans ces deux États étant étendue, par voie d’extrapolation, à d’autres États membres, ou à l’ensemble de l’Union, compte tenu du traitement unitaire imposé pour la marque [de l’Union européenne] ?

    2)

    Dans la situation visée au point précédent, est-il possible de prendre en compte les caractéristiques géographiques, démographiques, économiques ou autres, des États dans lesquels la coexistence a eu lieu, pour se livrer à l’appréciation du risque de confusion, de sorte que l’absence de ce dernier dans ces États puisse être étendue, par voie d’extrapolation, à un autre État membre ou à l’ensemble de l’Union ?

    3)

    S’agissant de la situation prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous c), du [règlement no 207/2009], cette disposition doit-elle être interprétée en ce sens que, lorsque la marque antérieure a coexisté avec le signe contesté durant un certain nombre d’années dans deux États membres de l’Union sans opposition du titulaire de celle-ci, cette tolérance du titulaire par rapport à l’usage du signe postérieur dans ces deux États en particulier est susceptible d’être étendue, par voie d’extrapolation, au reste du territoire de l’Union aux fins de déterminer si le tiers fonde l’usage d’un signe postérieur sur un juste motif, en raison du traitement unitaire imposé pour la marque [de l’Union européenne] ? »

    23

    La Cour a adressé à la juridiction de renvoi une demande d’éclaircissements, visant à savoir si cette juridiction est appelée à inclure, dans son application du règlement no 207/2009, un examen de l’appréciation de la juridiction de première instance selon laquelle, en raison de la présence de l’indication de provenance géographique « kerry » dans les signes en conflit et de l’absence de similitude entre les éléments « gold » et « maid », il ne saurait en tout état de cause y avoir un risque de confusion.

    24

    La juridiction de renvoi a répondu par l’affirmative à cette demande d’éclaircissements.

    Sur les questions préjudicielles

    Sur la première question

    25

    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que le fait que, dans une partie de l’Union, une marque de l’Union européenne et une marque nationale coexistent pacifiquement permet, eu égard au caractère unitaire de la marque de l’Union européenne, de conclure que dans une autre partie de l’Union, où la coexistence paisible entre cette marque de l’Union européenne et le signe identique à cette marque nationale fait défaut, il y a absence de risque de confusion entre ladite marque de l’Union européenne et ce signe.

    26

    Cette question étant posée sous l’angle du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne, il y a lieu de relever d’emblée que, en vertu de ce principe, exprimé au considérant 3 du règlement no 207/2009 et précisé à l’article 1er, paragraphe 2, de celui-ci, les marques de l’Union européenne jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets sur tout le territoire de l’Union. Aux termes de cette disposition, la marque de l’Union européenne ne peut, sauf disposition contraire de ce règlement, être enregistrée, transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité, et son usage ne peut être interdit, que pour l’ensemble de l’Union.

    27

    Si l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 ne mentionne que l’enregistrement de la marque, le transfert de celle-ci, la perte des droits conférés par la marque et l’interdiction de faire usage de cette dernière, il ressort néanmoins d’une lecture combinée de cette disposition et du considérant 3 de ce règlement que les effets de la marque de l’Union européenne énumérés sous le titre II, section 2, dudit règlement s’appliquent, eux aussi, de manière uniforme sur l’ensemble du territoire de l’Union.

    28

    Ainsi, la Cour a déjà jugé que le droit exclusif conféré par la marque de l’Union européenne à son titulaire en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2011, DHL Express France, C‑235/09, EU:C:2011:238, point 39).

    29

    S’agissant de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que cette disposition protège le titulaire d’une marque de l’Union européenne contre tout usage qui porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction d’indication d’origine de cette marque (arrêt du 22 septembre 2016, combit Software, C‑223/15, EU:C:2016:719, point 27 et jurisprudence citée).

    30

    La protection uniforme ainsi conférée au titulaire de la marque de l’Union européenne par cette disposition consiste à habiliter ce titulaire, partout dans l’Union, à interdire à tout tiers de faire, dans la vie des affaires et sans le consentement dudit titulaire, un usage d’un signe identique ou similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires qui porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque et crée ainsi un risque de confusion.

    31

    Pour que le titulaire de la marque de l’Union européenne puisse se prévaloir de ce droit, il n’est nullement nécessaire que l’usage du signe identique ou similaire créant un risque de confusion ait lieu sur l’ensemble du territoire de l’Union.

    32

    En effet, si le titulaire de la marque de l’Union européenne était seulement protégé contre des atteintes commises sur l’ensemble du territoire de l’Union, il ne lui serait pas possible de s’opposer à l’usage de signes identiques ou similaires qui créent un risque de confusion dans une partie de ce territoire seulement, alors même que l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 a pour objet de protéger ce titulaire, partout dans l’Union, contre tout usage portant atteinte à la fonction d’indication d’origine de sa marque.

    33

    Par conséquent, lorsque l’usage d’un signe crée, dans une partie de l’Union, un risque de confusion avec une marque de l’Union européenne, tandis que, dans une autre partie de l’Union, le même usage ne crée pas un tel risque, il y a violation du droit exclusif conféré par cette marque. Dans ce cas, le tribunal des marques de l’Union européenne saisi doit interdire la commercialisation des produits concernés sous le signe en cause pour l’ensemble du territoire de l’Union, à l’exception de la partie de celui-ci pour laquelle l’absence d’un risque de confusion a été constatée (arrêt du 22 septembre 2016, combit Software, C‑223/15, EU:C:2016:719, points 25 et 36).

    34

    En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour qu’il est constant entre les parties au principal qu’il y a coexistence paisible entre les marques de l’Union européenne KERRYGOLD et la marque nationale KERRYMAID en Irlande et au Royaume-Uni, Ornua ne s’opposant dès lors pas à l’usage de cette marque nationale dans ces États membres.

    35

    Il est également constant qu’une telle coexistence paisible fait défaut dans la partie du territoire de l’Union visée par l’action en contrefaçon, à savoir le territoire espagnol, et que l’usage par T & S du signe KERRYMAID y a lieu sans le consentement d’Ornua.

    36

    Il ressort, au demeurant, de la jurisprudence de la Cour que l’examen de l’existence d’un risque de confusion dans une partie de l’Union doit se fonder sur une appréciation globale de tous les facteurs pertinents du cas concerné et que cette appréciation doit comprendre une comparaison visuelle, phonétique ou conceptuelle de la marque et du signe utilisé par le tiers, ce qui peut aboutir, notamment pour des motifs linguistiques, à des conclusions différentes pour une partie de l’Union et pour une autre (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2016, combit Software, C‑223/15, EU:C:2016:719, points 31 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

    37

    Il s’ensuit, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 39 de ses conclusions, que dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, dans le cadre de laquelle une coexistence paisible entre des marques de l’Union européenne et un signe a été constatée en Irlande et au Royaume-Uni, le tribunal des marques de l’Union européenne saisi d’une action en contrefaçon visant l’usage de ce signe dans un autre État membre, en l’occurrence le Royaume d’Espagne, ne saurait se contenter de fonder son appréciation sur ladite coexistence paisible prévalant en Irlande et au Royaume-Uni. Ce tribunal doit, au contraire, se livrer à une appréciation globale de tous les facteurs pertinents.

    38

    Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la première question que l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que le fait que, dans une partie de l’Union européenne, une marque de l’Union européenne et une marque nationale coexistent pacifiquement ne permet pas de conclure que dans une autre partie de l’Union, où la coexistence paisible entre cette marque de l’Union européenne et le signe identique à cette marque nationale fait défaut, il y a absence de risque de confusion entre ladite marque de l’Union européenne et ce signe.

    Sur la deuxième question

    39

    Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que les éléments qui seraient, selon le tribunal des marques de l’Union européenne saisi d’une action en contrefaçon, pertinents pour apprécier si le titulaire d’une marque de l’Union européenne est habilité à interdire, dans une partie de l’Union non visée par cette action, l’usage d’un signe, peuvent être pris en compte par ce tribunal pour apprécier si ce titulaire est habilité à interdire l’usage de ce signe dans la partie de l’Union visée par ladite action.

    40

    Ainsi qu’il a été rappelé au point 36 du présent arrêt, l’examen auquel doit procéder le tribunal des marques de l’Union européenne compétent doit se fonder sur une appréciation globale de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce dont il est saisi.

    41

    Cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la comparaison visuelle, auditive ou conceptuelle entre la marque de l’Union européenne en cause et le signe utilisé par le tiers, être fondée sur l’impression d’ensemble que produisent cette marque et ce signe sur le public pertinent, lequel est constitué par le consommateur moyen des produits ou des services concernés, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2015, Loutfi Management Propriété intellectuelle, C‑147/14, EU:C:2015:420, points 21 et 25 ainsi que jurisprudence citée).

    42

    Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 41 et 42 de ses conclusions, lorsque les conditions du marché et les circonstances socioculturelles ou autres contribuant à l’impression d’ensemble produite par la marque de l’Union européenne et le signe en cause sur le consommateur moyen ne varient pas significativement d’une partie de l’Union à une autre, rien ne s’oppose à ce que les facteurs pertinents, dont la présence dans une partie de l’Union a été établie, soient pris en compte pour apprécier si le titulaire de cette marque est habilité à interdire l’usage de ce signe dans une autre partie de l’Union ou sur l’ensemble du territoire de celle-ci.

    43

    En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la réponse à la demande d’éclaircissements et des observations présentées à la Cour, T & S fait notamment valoir que le signe KERRYMAID, utilisé par elle en Espagne, n’est pas similaire aux marques de l’Union européenne KERRYGOLD d’Ornua et ne saurait en conséquence créer un risque de confusion au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, dès lors que l’élément « kerry » est une indication de provenance géographique qui échappe, en vertu de l’article 12 de ce règlement, au droit exclusif conféré à Ornua par ledit article 9.

    44

    Or, la limitation du droit exclusif conféré par l’article 9 du règlement no 207/2009 à laquelle se réfère T & S est soumise à la condition que l’usage du signe comportant l’indication de provenance géographique soit conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Afin d’examiner si cette condition, qui est l’expression d’une obligation de loyauté à l’égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque, est remplie, la juridiction saisie doit procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances pertinentes (voir, notamment, arrêts du 7 janvier 2004, Gerolsteiner Brunnen, C‑100/02, EU:C:2004:11, points 24 et 26 ; du 16 novembre 2004, Anheuser-Busch, C‑245/02, EU:C:2004:717, point 82 et 84, ainsi que du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland, C‑228/03, EU:C:2005:177, point 41).

    45

    À cet égard, il importe de prendre en considération, notamment, la présentation globale du produit commercialisé par le tiers, les conditions dans lesquelles est faite la différence entre la marque en cause et le signe utilisé par ce tiers ainsi que l’effort fait par ledit tiers pour s’assurer que les consommateurs distinguent ses produits de ceux du titulaire de la marque (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland, C‑228/03, EU:C:2005:177, point 46).

    46

    Si la juridiction de renvoi devait envisager, aux fins d’apprécier si Ornua est habilitée à interdire l’usage du signe KERRYMAID en Espagne, de tenir compte d’éléments présents en Irlande et au Royaume-Uni, il lui incomberait de s’assurer au préalable qu’il n’existe pas une différence significative entre les conditions du marché ou les circonstances socioculturelles pouvant être observées, respectivement, dans la partie de l’Union visée par l’action en contrefaçon et dans celle où se situe la zone géographique correspondant au terme géographique contenu dans le signe en cause. Il ne saurait, en effet, être exclu que le comportement pouvant être attendu du tiers afin que son usage du signe soit conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale doive être analysé différemment dans une partie de l’Union où les consommateurs ont une affinité particulière avec le terme géographique contenu dans la marque et le signe en cause que dans une partie de l’Union où cette affinité est plus faible.

    47

    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que les éléments qui seraient, selon le tribunal des marques de l’Union européenne saisi d’une action en contrefaçon, pertinents pour apprécier si le titulaire d’une marque de l’Union européenne est habilité à interdire, dans une partie de l’Union européenne non visée par cette action, l’usage d’un signe peuvent être pris en compte par ce tribunal pour apprécier si ce titulaire est habilité à interdire l’usage de ce signe dans la partie de l’Union visée par ladite action, pourvu que les conditions du marché et les circonstances socioculturelles ne soient pas significativement différentes dans l’une desdites parties de l’Union et dans l’autre.

    Sur la troisième question

    48

    Par sa troisième question, la juridiction de renvoi vise à savoir, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que le fait que, dans une partie de l’Union, une marque renommée de l’Union européenne et un signe coexistent pacifiquement permet, eu égard au caractère unitaire de la marque de l’Union européenne, de conclure que dans une autre partie de l’Union, où cette coexistence paisible fait défaut, il y a un juste motif légitimant l’usage de ce signe.

    49

    Ainsi qu’il a été rappelé au point 28 du présent arrêt, le droit exclusif conféré par la marque de l’Union européenne à son titulaire en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union.

    50

    La protection élargie conférée par l’article 9, paragraphe 1, sous c), de ce règlement aux titulaires de marques renommées de l’Union européenne consiste à habiliter ces titulaires à interdire à tout tiers de faire, dans la vie des affaires et sans le consentement dudit titulaire, un usage sans juste motif d’un signe identique ou similaire – que ce soit pour des produits ou des services similaires ou pour des produits ou des services non similaires à ceux pour lesquels ces marques sont enregistrées – qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée desdites marques ou porte préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit, C‑323/09, EU:C:2011:604, points 68 et 70).

    51

    Pour que le titulaire d’une marque de l’Union européenne jouisse de cette protection élargie, il doit être établi, aux termes dudit article 9, paragraphe 1, sous c), que cette marque est « renommée dans [l’Union] ». À cette fin, il suffit qu’il soit établi que ladite marque bénéficie d’une telle renommée sur une partie substantielle du territoire de l’Union, cette dernière pouvant, le cas échéant, correspondre, notamment, au territoire d’un seul État membre. Dès lors que cette condition est remplie, la marque de l’Union européenne en cause doit être considérée comme jouissant d’une renommée dans l’ensemble de l’Union (arrêts du 6 octobre 2009, PAGO International, C‑301/07, EU:C:2009:611, points 27, 29 et 30, ainsi que du 3 septembre 2015, Iron & Smith, C‑125/14, EU:C:2015:539, points 19 et 20).

    52

    Cette jurisprudence assure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne soit bénéficie de la protection élargie conférée par l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 partout dans l’Union, soit n’en bénéficie pas du tout. Ainsi, la portée de la protection conférée par toute marque de l’Union européenne revêt un caractère uniforme sur l’ensemble du territoire de l’Union.

    53

    En revanche, pour que le titulaire d’une marque de l’Union européenne jouissant de ladite protection élargie puisse se prévaloir de son droit conféré par ledit article 9, paragraphe 1, sous c), il n’est nullement nécessaire que l’usage du signe portant atteinte audit droit ait lieu sur l’ensemble du territoire de l’Union.

    54

    En effet, si ce titulaire était seulement protégé contre des atteintes commises sur l’ensemble du territoire de l’Union, il serait dans l’impossibilité de s’opposer à des atteintes commises dans une partie seulement de ce territoire, alors même que l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 a pour objet de protéger ce titulaire, partout dans l’Union, contre tout usage sans juste motif d’un signe identique ou similaire qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ces marques ou porte préjudice à ce caractère distinctif ou à cette renommée.

    55

    En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il ne semble pas être contesté que les marques de l’Union européenne KERRYGOLD jouissent d’une renommée, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009.

    56

    Il ressort, par ailleurs, du dossier soumis à la Cour qu’il est constant entre les parties au principal qu’il y a, en raison de la coexistence paisible en Irlande et au Royaume-Uni entre ces marques et la marque nationale KERRYMAID, un juste motif pour l’usage de ce signe dans cette partie de l’Union.

    57

    Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 35 du présent arrêt, il est également constant qu’une telle coexistence paisible fait défaut dans la partie du territoire de l’Union visée par l’action en contrefaçon, à savoir le territoire espagnol, et que l’usage par T & S du signe KERRYMAID y a lieu sans le consentement d’Ornua.

    58

    Au demeurant, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que l’examen de l’existence d’une atteinte visée à l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 doit se fonder sur une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (arrêts du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, EU:C:2009:378, point 44, ainsi que du 18 juillet 2013, Specsavers International Healthcare e.a., C‑252/12, EU:C:2013:497, point 39).

    59

    Il s’ensuit que, en l’occurrence, où il existe un juste motif légitimant l’usage du signe KERRYMAID en Irlande et au Royaume-Uni en raison de la coexistence paisible entre les marques de l’Union européenne KERRYGOLD et la marque nationale en cause dans ces deux États membres, le tribunal des marques de l’Union européenne saisi d’une action en contrefaçon visant l’usage de ce signe dans un autre État membre ne saurait se contenter de fonder son appréciation sur ladite coexistence paisible présente en Irlande et au Royaume-Uni, mais doit, au contraire, se livrer à une appréciation globale de tous les facteurs pertinents.

    60

    Dès lors, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que le fait que, dans une partie de l’Union européenne, une marque renommée de l’Union européenne et un signe coexistent pacifiquement ne permet pas de conclure que dans une autre partie de l’Union, où cette coexistence paisible fait défaut, il y a un juste motif légitimant l’usage de ce signe.

    Sur les dépens

    61

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

     

    1)

    L’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne], doit être interprété en ce sens que le fait que, dans une partie de l’Union européenne, une marque de l’Union européenne et une marque nationale coexistent pacifiquement ne permet pas de conclure que dans une autre partie de l’Union, où la coexistence paisible entre cette marque de l’Union européenne et le signe identique à cette marque nationale fait défaut, il y a absence de risque de confusion entre ladite marque de l’Union européenne et ce signe.

     

    2)

    L’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que les éléments qui seraient, selon le tribunal des marques de l’Union européenne saisi d’une action en contrefaçon, pertinents pour apprécier si le titulaire d’une marque de l’Union européenne est habilité à interdire, dans une partie de l’Union européenne non visée par cette action, l’usage d’un signe peuvent être pris en compte par ce tribunal pour apprécier si ce titulaire est habilité à interdire l’usage de ce signe dans la partie de l’Union visée par ladite action, pourvu que les conditions du marché et les circonstances socioculturelles ne soient pas significativement différentes dans l’une desdites parties de l’Union et dans l’autre.

     

    3)

    L’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que le fait que, dans une partie de l’Union européenne, une marque renommée de l’Union européenne et un signe coexistent pacifiquement ne permet pas de conclure que dans une autre partie de l’Union, où cette coexistence paisible fait défaut, il y a un juste motif légitimant l’usage de ce signe.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.

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