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Document 62015CJ0196

    Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 14 juillet 2016.
    Granarolo SpA contre Ambrosi Emmi France SA.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la cour d'appel de Paris.
    Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (CE) no 44/2001 – Article 5, points 1 et 3 – Juridiction compétente – Notions de “matière contractuelle” et de “matière délictuelle” – Rupture brutale de relations commerciales établies de longue date – Action indemnitaire – Notions de “vente de marchandises” et de “fourniture de services”.
    Affaire C-196/15.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:559

    ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

    14 juillet 2016 ( *1 )

    «Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière civile et commerciale — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 5, points 1 et 3 — Juridiction compétente — Notions de “matière contractuelle” et de “matière délictuelle” — Rupture brutale de relations commerciales établies de longue date — Action indemnitaire — Notions de “vente de marchandises” et de “fourniture de services”»

    Dans l’affaire C‑196/15,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Paris (France), par décision du 7 avril 2015, parvenue à la Cour le 29 avril 2015, dans la procédure

    Granarolo SpA

    contre

    Ambrosi Emmi France SA,

    LA COUR (deuxième chambre),

    composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteur), M. A. Rosas, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

    avocat général : Mme J. Kokott,

    greffier : M. V. Tourrès, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 décembre 2015,

    considérant les observations présentées :

    pour Granarolo SpA, par Mes S. Dechelette-Roy et M. Agbo, avocats,

    pour Ambrosi Emmi France SA, par Me L. Pettiti, avocat,

    pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et F.‑X. Bréchot ainsi que par Mme C. David, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par MM. A. Lewis et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 décembre 2015,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, points 1 et 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I »).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Granarolo SpA, société de droit italien, à Ambrosi Emmi France SA (ci-après « Ambrosi »), société de droit français, au sujet d’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    L’article 2, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I prévoit :

    « Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

    4

    L’article 5, points 1 et 3, de ce règlement se lit comme suit :

    « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

    1)

    a)

    en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

    b)

    aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

    pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

    pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

    c)

    le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;

    […]

    3)

    en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

    […] »

    Le droit français

    5

    Aux termes de l’article L. 442-6 du code de commerce :

    « I.

    Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

    […]

    [d]e rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par les accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. À défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d’une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l’application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d’au moins un an dans les autres cas. »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    6

    Il ressort de la décision de renvoi que Ambrosi, établie à Nice (France), distribuait en France les produits alimentaires élaborés par Granarolo, établie à Bologne (Italie), depuis environ 25 ans, sans contrat-cadre ni stipulation d’exclusivité.

    7

    Par lettre recommandée du 10 décembre 2012, Granarolo a informé Ambrosi que, à compter du 1er janvier 2013, ses produits seraient distribués en France et en Belgique par une autre société française.

    8

    Considérant que cette lettre était constitutive d’une rupture brutale des relations commerciales établies, au sens de l’article L. 442‑6 du code de commerce, qui ne respectait pas un délai minimal de préavis tenant compte de la durée de leur relation commerciale, Ambrosi a saisi le tribunal de commerce de Marseille (France) d’une action indemnitaire contre Granarolo, sur le fondement de ladite disposition.

    9

    Par jugement du 29 juillet 2014, cette juridiction s’est déclarée compétente, au motif que l’action avait un caractère délictuel et le lieu de survenance du dommage, au sens de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, était situé au siège d’Ambrosi, à Nice.

    10

    Par acte déposé le 12 août 2014, Granarolo a formé contredit devant la cour d’appel de Paris (France), en vue de contester la compétence territoriale du tribunal de commerce de Marseille, au motif que l’action en cause relevait de la matière contractuelle, au sens du règlement Bruxelles I, dont l’article 5, point 1, prévoit, en tant que critère de rattachement, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu des contrats successifs conclus pour chaque livraison. Or, ce lieu serait l’usine de Bologne, conformément à l’indication « Ex works » (« Départ Usine »), figurant sur les factures établies par Granarolo et correspondant à l’un des termes normalisés (Incoterms) établis par la Chambre de commerce internationale en vue de préciser les droits et les obligations des parties en matière d’échanges commerciaux internationaux.

    11

    Ambrosi soutient, à titre principal, que les juridictions françaises sont compétentes, étant donné que le litige relève de la matière délictuelle et que le lieu du fait dommageable se situe en France où sont commercialisés les produits alimentaires de Granarolo. À titre subsidiaire, cette société fait valoir qu’il n’est pas démontré que tous les contrats successifs aient été conclus selon l’Incoterm « Ex works ».

    12

    La juridiction de renvoi observe que, dans l’ordre juridique français, une action telle que celle en cause dans l’affaire au principal, fondée sur l’article L. 442‑6 du code de commerce, est une action délictuelle et cite à cet égard plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation (France).

    13

    Considérant, toutefois, que les notions de matières « délictuelle » et « contractuelle », au sens du règlement Bruxelles I, sont des notions autonomes du droit de l’Union, cette juridiction estime nécessaire d’interroger la Cour à cet égard.

    14

    Dans ces conditions, la cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    L’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I doit-il s’entendre en ce sens que relève de la matière délictuelle l’action indemnitaire pour rupture de relations commerciales établies consistant dans la fourniture de marchandises pendant plusieurs années à un distributeur sans contrat-cadre ni exclusivité ?

    2)

    En cas de réponse négative à la première question, le [point] b) de l’article 5, point 1, de ce règlement est-il applicable à la détermination du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande dans le cas énoncé [à la première question] ? »

    Sur les questions préjudicielles

    Sur la première question

    15

    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens qu’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de ladite disposition.

    16

    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le règlement Bruxelles I vise à unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale au moyen de règles de compétence qui présentent un haut degré de prévisibilité et poursuit ainsi un objectif de sécurité juridique qui consiste à renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union européenne, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C‑533/07, EU:C:2009:257, points 21 et 22).

    17

    Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le système des attributions de compétences communes prévues au chapitre II du règlement Bruxelles I est fondé sur la règle générale, énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de celui-ci, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties. Ce n’est que par dérogation à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que le chapitre II, section 2, du règlement Bruxelles I prévoit un certain nombre de règles de compétence spéciales, parmi lesquelles figure celle de l’article 5, point 3, de ce règlement (voir, en ce sens, notamment arrêts du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C‑189/08, EU:C:2009:475, points 20 et 21, ainsi que du 18 juillet 2013, ÖFAB, C‑147/12, EU:C:2013:490, point 30).

    18

    La Cour a déjà jugé que ces règles de compétence spéciales sont d’interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au‑delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (arrêt du 18 juillet 2013, ÖFAB, C‑147/12, EU:C:2013:490, point 31).

    19

    Il importe également de rappeler que les termes de « matière contractuelle » et de « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens, respectivement, du point 1, sous a), et du point 3 de l’article 5 du règlement Bruxelles I, doivent être interprétés de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ce règlement, en vue d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres. Ils ne sauraient, dès lors, être compris comme renvoyant à la qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction nationale (arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter, C‑548/12, EU:C:2014:148, point 18).

    20

    S’agissant de la notion de « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, celle-ci comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement (voir arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 44 et jurisprudence citée).

    21

    La Cour a déjà jugé que la seule circonstance que l’une des parties contractantes intente une action en responsabilité civile contre l’autre ne suffit pas pour considérer que cette action relève de la « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, du règlement Bruxelles I. Il n’en va ainsi que si le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu’elles peuvent être déterminées compte tenu de l’objet du contrat (arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter, C‑548/12, EU:C:2014:148, points 23 et 24).

    22

    Il s’ensuit que, dans une affaire telle que celle au principal, afin de déterminer la nature de l’action en responsabilité civile portée devant la juridiction nationale, il importe pour cette dernière de vérifier d’emblée si cette action revêt, indépendamment de sa qualification en droit national, une nature contractuelle.

    23

    Il y a lieu de relever que, dans une partie importante des États membres, les relations commerciales de longue date qui se sont nouées en l’absence d’un contrat écrit peuvent, en principe, être considérées comme relevant d’une relation contractuelle tacite, dont la violation est susceptible de donner lieu à une responsabilité contractuelle.

    24

    À cet égard, il convient d’observer que, si l’article 5, point 1, du règlement Bruxelles I n’exige pas la conclusion d’un contrat écrit, l’identification d’une obligation contractuelle est néanmoins indispensable à l’application de cette disposition. Il convient de préciser qu’une telle obligation peut être considérée comme étant née tacitement, notamment lorsque cela résulte des actes non équivoques exprimant la volonté des parties.

    25

    En l’occurrence, il appartient, partant, à la juridiction nationale d’examiner, tout d’abord, si, dans les circonstances particulières de l’affaire dont elle est saisie, la relation commerciale de longue date ayant existé entre les parties se caractérise par l’existence d’obligations convenues tacitement entre celles-ci, de telle sorte qu’il existait entre elles une relation pouvant être qualifiée de contractuelle.

    26

    L’existence d’une telle relation tacite ne se présume toutefois pas et doit, par conséquent, être démontrée. Par ailleurs, cette démonstration doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée.

    27

    C’est au regard d’une telle appréciation globale qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier l’existence d’un tel faisceau d’éléments concordants pour décider si, même en l’absence d’un contrat écrit, il existe, entre ces parties, une relation contractuelle tacite.

    28

    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens qu’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier. La démonstration visant à établir l’existence d’une telle relation contractuelle tacite doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée.

    Sur la seconde question

    29

    Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 1, sous b), du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens que des relations commerciales établies de longue date, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, doivent être qualifiées de « contrat de vente de marchandises » ou plutôt de « contrat de fourniture de services », au sens de cette disposition.

    30

    À titre liminaire, il convient de préciser que les critères de rattachement à la juridiction compétente prévus à l’article 5, point 1, sous b), du règlement Bruxelles I sont applicables uniquement dans la mesure où la juridiction nationale, saisie du litige survenu entre les parties ayant établi entre elles des relations commerciales de longue date, viendrait à conclure que ces relations sont fondées sur un « contrat de vente de marchandises » ou un « contrat de fourniture de services », au sens de cette disposition.

    31

    Une telle qualification exclurait l’application de la règle de compétence prévue au point a) dudit article 5, point 1, dans l’affaire au principal. En effet, compte tenu de la hiérarchie que le point c) de cette disposition établit entre les points a) et b) de celle-ci, la règle de compétence prévue à ce point a) n’a vocation à intervenir que de façon alternative et par défaut par rapport aux règles de compétence figurant audit point b) (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 42).

    32

    La Cour a relevé, en ce qui concerne le lieu d’exécution des obligations découlant tant de contrats de vente de marchandises que de contrats de fourniture de services, que le règlement Bruxelles I définit, à son article 5, point 1, sous b), de manière autonome ce critère de rattachement, afin de renforcer les objectifs d’unification des règles de compétence judiciaire et de prévisibilité (arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 32).

    33

    La Cour a également jugé que l’article 5, point 1, sous b), du règlement Bruxelles I retient pour les contrats de vente de marchandises et ceux de fourniture de services l’obligation caractéristique de ces contrats en tant que critère de rattachement à la juridiction compétente (arrêt du 25 février 2010, Car Trim, C‑381/08, EU:C:2010:90, point 31 et jurisprudence citée).

    34

    Il s’ensuit qu’un contrat dont l’obligation caractéristique est la livraison d’un bien doit être qualifié de « vente de marchandises », au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement Bruxelles I (arrêt du 25 février 2010, Car Trim, C‑381/08, EU:C:2010:90, point 32).

    35

    Une telle qualification peut trouver à s’appliquer à une relation commerciale établie de longue date entre deux opérateurs économiques lorsque cette relation se limite à des accords successifs ayant chacun pour objet la livraison et l’enlèvement de marchandises. En revanche, elle ne correspond pas à l’économie d’un contrat de distribution typique, caractérisé par un accord-cadre ayant pour objet un engagement de fourniture et d’approvisionnement conclu pour l’avenir par deux opérateurs économiques (voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 36).

    36

    En l’occurrence, si un éventuel contrat conclu oralement ou tacitement était qualifié de « vente de marchandises », il reviendrait ensuite à la juridiction de renvoi de vérifier si la mention « Ex Works », dont il est question au point 10 du présent arrêt, figure bien de manière systématique dans les contrats successifs entre les parties. Si tel est le cas, il faudra considérer que les marchandises étaient livrées à l’usine de Granarolo en Italie et non pas en France, au siège d’Ambrosi.

    37

    Quant au point de savoir si un contrat peut être qualifié de « contrat de fourniture de services », au sens de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement Bruxelles I, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que la notion de « services », au sens de cette disposition, implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 37 et jurisprudence citée).

    38

    En ce qui concerne le premier critère figurant dans cette définition, à savoir l’existence d’une activité, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il requiert l’accomplissement d’actes positifs, à l’exclusion de simples abstentions. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé à propos d’une situation factuelle en apparence assez proche de celle en cause dans l’affaire au principal, ce critère correspond dans le cas d’un contrat ayant pour objet la distribution des produits de l’une des parties par l’autre partie, à la prestation caractéristique fournie par la partie qui, en assurant une telle distribution, participe au développement de la diffusion des produits concernés.

    39

    Grâce à la garantie d’approvisionnement dont il peut en bénéficier en vertu d’un tel contrat et, le cas échéant, à sa participation à la stratégie commerciale du fournisseur, notamment aux opérations promotionnelles, éléments dont la constatation relève de la compétence du juge national, le distributeur peut être en mesure d’offrir aux clients des services et des avantages que ne peut offrir un simple revendeur et, ainsi, de conquérir, au profit des produits du fournisseur, une plus grande part du marché local (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 38 et jurisprudence citée).

    40

    Quant au second critère, à savoir la rémunération accordée en contrepartie d’une activité, il convient de souligner qu’il ne saurait être entendu au sens strict du versement d’une somme d’argent. Une telle restriction n’est en effet ni commandée par le libellé très général de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement Bruxelles I ni en harmonie avec les objectifs de proximité et d’uniformisation que poursuit cette disposition (arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 39).

    41

    À cet égard, il convient de prendre en considération le fait qu’un contrat de distribution repose, en règle generale, sur une sélection des distributeurs par le fournisseur. Cette sélection peut conférer aux distributeurs un avantage concurrentiel en ce que ceux‑ci auront seuls le droit de vendre les produits du fournisseur sur un territoire déterminé ou, à tout le moins, en ce qu’un nombre limité de distributeurs bénéficieront de ce droit. En outre, un contrat de distribution prévoit souvent une aide aux distributeurs en matière d’accès aux supports de publicité, de transmission d’un savoir-faire au moyen d’actions de formation, ou encore de facilités de paiements. L’ensemble de ces avantages, dont il incombe au juge du fond de vérifier l’existence, représente, pour les distributeurs, une valeur économique qui peut être considérée comme étant constitutive d’une rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 40).

    42

    Il s’ensuit qu’un éventuel contrat de distribution comportant de tels éléments typiques peut être qualifié de « contrat de fourniture de services » aux fins de l’application de la règle de compétence figurant à l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement Bruxelles I (arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 41).

    43

    Il revient, en l’occurrence, à la juridiction de renvoi d’apprécier l’ensemble des circonstances et des éléments caractérisant l’activité déployée en France par Ambrosi aux fins de vendre, sur le marché de cet État membre, les produits de Granarolo.

    44

    Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 5, point 1, sous b), du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens que des relations commerciales établies de longue date, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, doivent être qualifiées de « contrat de vente de marchandises » si l’obligation caractéristique du contrat en cause est la livraison d’un bien ou de « contrat de fourniture de services » si cette obligation est une prestation de services, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.

    Sur les dépens

    45

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

     

    1)

    L’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier. La démonstration visant à établir l’existence d’une telle relation contractuelle tacite doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée.

     

    2)

    L’article 5, point 1, sous b), du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que des relations commerciales établies de longue date, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, doivent être qualifiées de « contrat de vente de marchandises » si l’obligation caractéristique du contrat en cause est la livraison d’un bien ou de « contrat de fourniture de services » si cette obligation est une prestation de services, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le français.

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