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Document 62015CC0699

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 21 décembre 2016.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:991

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 21 décembre 2016 ( 1 )

Affaire C‑699/15

Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs

contre

Brockenhurst College

[demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Cour d’appel, Angleterre et pays de Galles, division civile, Royaume-Uni)]

«Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) — Exonération au titre de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112/CE — Prestations étroitement liées à l’enseignement — Prestations de restauration et de théâtre fournies à des tiers, à titre payant, par un organisme de formation dans le cadre de la formation»

I – Introduction

1.

Dans l’affaire qui nous occupe, la Cour est appelée à analyser l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 2 ) (ci-après la « directive TVA »). Il y a lieu de préciser la portée de cette exonération, car cette dernière vise non pas seulement des services précisément énumérés, mais également les prestations de services et les livraisons de biens (ci‑après les « prestations ») qui leur sont « étroitement liées ».

2.

La technique consistant à élargir l’exonération à des prestations étroitement liées à d’autres est utilisée par le législateur de l’Union également dans le contexte d’autres exonérations [notamment article 132, paragraphe 1, sous b) et n), de la directive TVA]. Néanmoins, là aussi, distinguer les prestations qui sont encore étroitement liées à d’autres de celles qui ne le sont plus présente toujours des difficultés. Il existe déjà de la jurisprudence de la Cour sur cette distinction. Néanmoins, jusqu’à présent, la Cour n’a pas encore été amenée à analyser de manière approfondie la question de savoir si l’exonération peut également viser des prestations fournies à des tierces personnes extérieures (c’est-à-dire des prestations qui ne sont fournies ni aux élèves auxquels l’enseignement doit être dispensé, ni aux patients qui doivent être soignés, ni non plus à d’autres organismes de formation exonérés ( 3 )). Cela concerne des cas de figure dans lesquels l’assujetti (par exemple l’école ou l’hôpital) fournit à ces tierces personnes des prestations qui présentent un certain lien avec sa prestation exonérée (l’enseignement ou le traitement hospitalier) ( 4 ).

3.

La question de la portée de l’exonération de ces prestations « étroitement liées » à d’autres se pose en l’espèce pour un restaurant et un théâtre « de formation » du Brockenhurst College (ci-après le « College »). Le College fournit à des tiers, contre rémunération, par l’intermédiaire d’apprentis dans le cadre de leur formation pratique, des prestations de restauration et de théâtre, et il souhaite que les recettes réalisées soient qualifiées de rémunération d’une prestation exonérée au titre de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA. La question peut se poser sous toutes les formes possibles dans le cadre d’une formation pratique. En Allemagne, par exemple, le titulaire d’une école de coiffure avait essayé de traiter à titre d’exonération des coupes de cheveux effectuées par ses apprentis à des clients, lesquels ne payaient qu’un prix réduit ( 5 ). Les cas de figure envisageables sont donc presque illimités. En effet, ainsi que la Commission européenne l’a fait valoir lors de l’audience, cette même question se poserait également si un organisme de formation en boulangerie faisait vendre du pain à ses apprentis dans le cadre de leur formation ou si une école de ravalement d’immeubles faisait intervenir auprès de clients, à titre payant, des apprentis dans le cadre de leur formation.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

La procédure relève du champ d’application temporel de deux directives, à savoir

a)

la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977 L 145, p. 1) (ci-après la « sixième directive ») et

b)

la directive TVA,

mais les dispositions pertinentes des deux directives sont matériellement identiques.

5.

L’article 131 de la directive TVA (anciennement article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive) dispose :

« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels ».

6.

Le titre IX, chapitre 2, de la directive TVA contient l’article 132, paragraphe 1 (anciennement article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive), qui oblige les États membres à exonérer certaines opérations spécifiques, notamment, sous i) :

« l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné ».

7.

Conformément à l’article 134 de la directive TVA (anciennement article 13, A, paragraphe 2, de la sixième directive) :

« Les livraisons de biens et les prestations de services sont exclues du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, points b), g), h), i), l), m) et n), dans les cas suivants :

a)

lorsqu’elles ne sont pas indispensables à l’accomplissement des opérations exonérées ;

b)

lorsqu’elles sont essentiellement destinées à procurer à l’organisme des recettes supplémentaires par la réalisation d’opérations effectuées en concurrence directe avec celles d’entreprises commerciales soumises à la TVA ».

B – Le droit du Royaume-Uni

8.

La juridiction de renvoi indique que les exonérations qui figurent à l’article 132 de la directive TVA ont été transposées dans le droit du Royaume‑Uni par l’article 31 de la Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 relative à la taxe sur la valeur ajoutée). Cette dernière disposition prévoit qu’une prestation de services est exonérée si elle figure en annexe 9 de ladite loi.

9.

Dans la mesure où ceci est pertinent en l’espèce, les points 1 et 4 de la partie II, groupe 6, de l’annexe 9 à la loi de 1994 relative à la taxe sur la valeur ajoutée mentionnent ce qui suit :

« 1.

La prestation par un organisme éligible :

a)

d’enseignement ;

c)

de formation professionnelle.

4.

Les livraisons de biens et les prestations de services (autres que les services d’examen) qui sont étroitement liés à la prestation d’un des services décrits au point 1 (la prestation principale) par l’organisme éligible réalisant la prestation principale, ou à celui-ci, à condition que :

a)

les biens ou services soient utilisés directement par l’élève, l’étudiant ou le stagiaire (selon le cas) qui reçoit la prestation principale, et

b)

lorsque la prestation est réalisée au bénéfice de l’organisme éligible réalisant la prestation principale, elle est réalisée par un autre organisme éligible ».

10.

La notion d’« organisme éligible » est définie à la note 1, groupe 6, partie II, de l’annexe 9. Selon la juridiction de renvoi, il est constant que le College est un « organisme éligible » au sens de cette définition.

III – Le litige au principal

11.

Le litige au principal concerne les services de gastronomie et de divertissement fournis par le College (c’est-à-dire les prestations que le College fournit aux personnes extérieures qui prennent un repas au restaurant ou assistent à une représentation).

12.

Selon l’exposé de la juridiction de renvoi, le College fournit, à titre professionnel, des services d’enseignement à des étudiants et offre des cursus de restauration, d’hôtellerie et d’arts du spectacle.

13.

Afin de permettre aux étudiants suivant le cursus de restauration et d’hôtellerie d’acquérir des compétences dans un cadre pratique, le College gère un restaurant d’application. Les fonctions de restauration sont toutes prises en charge par les étudiants du College, sous la supervision de leurs tuteurs. Des tierces personnes extérieures (le public) viennent au restaurant et paient un prix équivalent à environ 80 % du prix du repas.

14.

De même, dans le cadre du cursus d’arts du spectacle, le College (à nouveau par l’intermédiaire des étudiants concernés) organise des concerts et des spectacles payants pour le public, afin que les étudiants ayant suivi ce cursus acquièrent une expérience pratique.

15.

Le restaurant d’application répond aux besoins en formation des étudiants suivant les cursus de restauration et d’hôtellerie. Pour ces étudiants, le restaurant sert de salle de cours.

16.

Le restaurant d’application n’est pas en tant que tel ouvert au public. Le College gère une base de données, dans laquelle sont enregistrés des groupes et des particuliers locaux qui peuvent souhaiter se rendre notamment au restaurant. Ceux-ci sont informés des événements organisés par le College par l’intermédiaire d’une lettre d’information établie par le département hôtellerie.

17.

Le College exige que le restaurant d’application soit plein (30 à 40 couverts), à raison de deux services par jour et de deux groupes différents d’étudiants, afin que les étudiants en tirent le plus de bénéfice possible. Si tel n’est pas le cas, le repas est annulé.

18.

Les représentations de concerts et de pièces de théâtre dans le cadre du cursus d’arts du spectacle ont, pour les étudiants suivant ce cursus, une fonction similaire à celle du restaurant d’application.

19.

De même, pour ces représentations, le public est restreint, en ce sens qu’il s’agit généralement des amis et de la famille des étudiants ou de personnes qui se sont inscrites dans une base de données du College.

20.

Les personnes qui viennent au restaurant d’application ou qui viennent assister à une représentation savent qu’elles payent un prix réduit pour un repas ou une représentation qui sont préparés et présentés dans le cadre de la formation des étudiants.

21.

L’enseignement pratique est conçu comme faisant partie des cursus. Les étudiants en ont tenu compte lorsqu’ils se sont inscrits pour la formation en cause. Si l’enseignement pratique, qui comprend la restauration et les représentations de théâtre et de concert, n’était pas proposé, les étudiants ne pourraient pas bénéficier pleinement de leur cursus. Les étudiants participent à la réalisation de ces prestations dans le cadre de leur cursus. La juridiction de renvoi constate que cela fait partie intégrante de leur enseignement.

22.

Les parties s’accordent sur le fait que l’objectif principal de la fourniture des services de restauration et de divertissement n’était pas d’obtenir des revenus supplémentaires pour le College en réalisant des opérations se trouvant en concurrence directe avec des entreprises commerciales.

23.

Par décision du 5 novembre 2012, le First-tier Tribunal (tribunal de première instance) (Royaume-Uni) a jugé que les prestations de services de restauration et de divertissement fournies par le College à des personnes extérieures étaient exonérées de TVA conformément à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, au motif qu’il s’agit de services étroitement liés à la prestation d’enseignement.

24.

Sur recours des Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs, le Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery) (Royaume-Uni)] a confirmé la décision du First-tier Tribunal (tribunal de première instance) par une décision du 30 janvier 2014. Sur recours des Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile) (Royaume-Uni)] a décidé de suspendre l’examen de l’affaire et d’engager une procédure préjudicielle.

IV – Procédure devant la Cour

25.

La Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)], saisie du litige, a posé à la Cour, le 24 décembre 2015, les questions suivantes, au titre de l’article 267 TFUE :

1.

Au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, la prestation, à titre onéreux, de services de restauration et de divertissement par un établissement d’enseignement à des membres du public (qui ne sont pas les destinataires du service principal d’enseignement) est-elle « étroitement liée » à l’enseignement lorsque la réalisation de ces services est facilitée par les étudiants (qui sont les destinataires du service principal d’enseignement) dans le cadre de leur formation et en tant que partie intégrante de cette formation ?

2.

Pour déterminer si les prestations de services de restauration et de divertissement relèvent de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA en tant que services « étroitement liés » à l’enseignement,

a)

le fait que les étudiants tirent avantage de l’implication dans la préparation des services en question et non de l’objet de ces services est-il pertinent ?

b)

le fait que ces services ne sont ni reçus ni consommés directement ou indirectement par les étudiants mais sont reçus et consommés par les membres du public qui paient pour ces services et qui ne sont pas destinataires du service principal d’enseignement est-il pertinent ?

c)

le fait que du point de vue du consommateur moyen des services en question (c’est-à-dire les membres du public qui en payent le prix) ces services ne représentent pas un moyen de bénéficier dans de meilleures conditions d’un autre service mais constituent une fin en soi est-il pertinent ?

d)

le fait que du point de vue des étudiants, les services en question ne constituent pas une fin en soi, mais que la participation à la préparation de ces services constitue un moyen de bénéficier dans de meilleures conditions du service principal d’enseignement est-il pertinent ?

e)

dans quelle mesure doit-on tenir compte du principe de neutralité fiscale ?

26.

Le College, le Royaume-Uni et la Commission ont présenté des observations écrites sur ces questions. Ils ont participé à l’audience du 10 novembre 2016.

V – Analyse juridique

A – Sur la première question

27.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, comment il y a lieu d’interpréter la notion de prestations « étroitement liées » à d’autres qui figure à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA. Elle souhaite en particulier savoir si des prestations proposées à des tiers par un organisme mentionné à ladite disposition sont, elles aussi, susceptibles de relever de cette notion. Cette question se pose à la juridiction de renvoi notamment en raison du fait que ces mêmes tiers reçoivent des prestations que les apprentis fournissent pendant et dans le cadre de leurs cours.

28.

Ainsi que la Cour l’a déjà constaté à propos de l’article 13, A, paragraphe 1, sous i), de la sixième directive, la directive TVA [désormais l’article 132, paragraphe 1, sous i)] ne définit pas la notion de prestations « étroitement liées » à l’enseignement ( 6 ). Néanmoins, il ressort des termes mêmes de cette disposition qu’elle ne vise pas des prestations de services et des livraisons de biens qui ne présentent aucun lien avec « l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel ».

1. Prestation principale, prestation accessoire et prestation étroitement liée à une autre

29.

En outre, la Cour a indiqué que des prestations de services et des livraisons de biens ne peuvent être considérées comme « étroitement liées » à d’autres que lorsqu’elles doivent être considérées aussi comme des prestations accessoires à la prestation principale ( 7 ). Néanmoins, une prestation ne peut être considérée comme étant une prestation accessoire à une prestation principale que lorsqu’elle ne constitue non pas une fin en soi, mais le moyen d’obtenir la prestation principale aux meilleures conditions ( 8 ). Cela suggère encore que le destinataire de la prestation principale et celui de la prestation accessoire doivent être identiques, car si tel n’était pas le cas, il existerait en réalité deux prestations (principales) autonomes.

30.

Cette interprétation ne s’impose toutefois pas. Les termes de l’article 132, paragraphe 1, sous i) et de l’article 134 de la directive TVA sont déjà un élément qui plaide contre le fait que des prestations étroitement liées à d’autres doivent obligatoirement être des prestations accessoires en ce sens. Une prestation accessoire qui n’est pas autonome partage, par définition, le destin de la prestation principale (en l’espèce, le traitement, au regard de la TVA, des « prestations de formation ») et est donc exonérée en tant que telle. Le fait que quelques rares dispositions exonèrent distinctement des prestations étroitement liées à la prestation exonérée n’a de sens que si le législateur est parti du postulat que ces prestations sont en réalité assujetties en application des principes généraux, mais qu’elles doivent elles aussi être exonérées.

31.

Au demeurant, la Cour, dans l’arrêt Horizon College ( 9 ), a étendu l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA à des prestations fournies par un organisme de formation à un autre (et donc à des prestations qui ne sont pas directement fournies aux élèves). De même, la Cour, dans l’arrêt Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club ( 10 ) a étendu, en substance, l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive TVA, dont les termes sont toutefois légèrement différents, à des prestations fournies à des tiers (c’est-à-dire à des personnes ne faisant pas de sport).

32.

L’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA part cependant du postulat que la prestation « étroitement liée » à une autre constitue non pas simplement une prestation accessoire qui n’est pas autonome, mais une prestation (principale) autonome. Néanmoins, celle-ci se trouvant encore si étroitement liée à la prestation (principale) exonérée, elle est (exceptionnellement), elle aussi, couverte par l’exonération qui s’applique pour ladite prestation. Cela explique alors également pourquoi ce n’est que pour les cas en cause que l’article 134 de la directive exige, expressément et à titre de condition supplémentaire, que cette prestation principale autonome en tant que telle soit indispensable pour la prestation (principale) exonérée.

33.

Avec une telle acception de la prestation « étroitement liée » à une autre, des prestations fournies à des tiers extérieurs peuvent, elles aussi, relever plus facilement du champ d’application de l’exonération qu’en retenant l’acception selon laquelle elles sont des prestations accessoires qui ne sont pas autonomes. Néanmoins, il y a lieu de continuer à faire une distinction entre de telles prestations, qui sont encore « étroitement liées » à d’autres, et des prestations qui ne le sont plus. Il convient à cette fin de se fonder sur le sens et la finalité de l’exonération.

2. La finalité de l’exonération des opérations étroitement liées à des « prestations de formation »

34.

La finalité qui sous-tend l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA est que la TVA ne renchérisse pas l’accès aux prestations de formation qui bénéficient aux élèves, aux étudiants et aux apprentis ( 11 ). Ainsi que l’ont souligné, lors de l’audience, la Commission et le Royaume-Uni, il est probable que cela s’explique par fait que la formation des personnes bénéficie non pas seulement à celles-ci, mais également à la collectivité (voir l’intitulé du titre IX, chapitre 2, de la directive TVA).

35.

Les exonérations prévues à l’article 132 de la directive TVA excluent la déduction. Dès lors, elles ne produisent qu’une exonération partielle du destinataire de la prestation. Leur montant dépend du niveau de TVA (non déductible) du prestataire. Si, en l’espèce, les prestations du College étaient assujetties, celui-ci bénéficierait d’une déduction pour les produits achetés, de sorte que, pour obtenir le même résultat économique pour le College, les prix pour les tiers n’auraient à être augmentés « que » à raison de la différence entre la dette fiscale et la déduction ( 12 ).

36.

Cela montre que l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous i) de la directive TVA ne vise pas à avantager les assujettis en cause (en l’espèce, les « organismes de formation »). En effet, au niveau économique, l’exonération a pour seul effet d’avantager le destinaire de la prestation, sur lequel pèse désormais une charge de TVA plus faible.

37.

Cela est conforme à la nature de la TVA, qui est une taxe sur le consommateur, qui doit peser sur le consommateur final et dont lui seul doit supporter la charge ( 13 ). Dans ce contexte, il est difficile de justifier une exonération de prestations qui sont consommées directement par des tiers et qui ne sont que « produites » à l’occasion de la formation.

38.

En outre, lorsque l’on procède à l’interprétation des exonérations prévues par la directive TVA, il y a aussi lieu de tenir compte du principe de neutralité fiscale. Celui-ci s’oppose notamment à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA ( 14 ). Vu de la perspective du consommateur final (en l’espèce, du tiers), une distinction opérée en fonction du point de savoir si le repas est pris dans un restaurant normal ou dans un restaurant d’application n’est pas pertinente pour la charge de TVA qui lui revient. Dans les deux cas, le consommateur est servi et se voit fournir un repas et, dans les deux cas, il paye pour ce qu’il consomme. Ainsi que le Royaume-Uni l’a également souligné lors de l’audience, le fait que, dans un restaurant d’application, il subsiste éventuellement un taux d’erreurs supérieur n’est pris en compte que dans le montant de la contrepartie (en l’espèce, seulement 80 % des coûts du repas). La qualité de la prestation de restauration ne met pas en cause l’existence de cette dernière.

39.

Au regard du principe de neutralité, il ne peut pas être correct de ne pas faire supporter la charge de la TVA au consommateur au seul motif qu’une formation est, en même temps, dispensée à d’autres personnes. Il en va également ainsi lorsque le restaurant et le théâtre de formation ne sont effectivement à la disposition que d’un cercle restreint du public. Conformément à ce que soutiennent la Commission et le Royaume-Uni, lorsqu’il existe une activité économique au sens du régime de la TVA, pour taxer correctement les clients, il n’est pas pertinent de savoir si la clientèle est restreinte. La restauration dans ce qu’il est convenu d’appeler des « clubs pour membres » constitue elle aussi une activité économique qui relève du principe de neutralité. Il en va de même d’un restaurant qui n’admet que des clients dont le nom commence par la lettre « A ». Il est cependant en situation de concurrence avec tout autre restaurant qui n’accorde pas d’importance à la première lettre du nom. Il en va de même dans la présente affaire, où, pour être pris en considération en tant que client, il y a lieu d’être préalablement enregistré.

B – Sur la seconde question, sous a) à d)

40.

La question de la juridiction de renvoi, qui se subdivise sous a) à d), vise pour l’essentiel à clarifier les critères permettant de distinguer une prestation étroitement liée à une autre d’une prestation qui ne l’est plus.

41.

Aux fins de cette distinction, il y a lieu de tenir compte du fait que, selon la Cour, les exonérations doivent être interprétées de manière stricte, l’interprétation devant, en vertu de la jurisprudence récente, être faite avant tout à la lumière du sens et de la finalité de la disposition ( 15 ). Ainsi, la Cour énonce de manière explicite ce qui suit : « l’interprétation de ces termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par ces exonérations et respecter les exigences du principe de neutralité fiscale. Ainsi, cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations visées audit article 132 doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets » ( 16 ).

42.

À cet égard, il ne suffit pas que les prestations fournies aux tiers se limitent à optimiser l’objectif de formation. Conformément à l’article 134 de la directive TVA, les prestations doivent être indispensables aux opérations pour lesquelles l’exonération est accordée. Dès lors, dans l’arrêt Commission/Allemagne, la Cour a jugé que la réalisation, à titre onéreux, de projets à l’égard de tierces personnes extérieures n’est pas exonérée, bien qu’ils puissent être considérés comme fort utiles à l’enseignement universitaire, s’ils ne sont pas indispensables pour atteindre l’objectif visé par celui-ci ( 17 ).

43.

Le point de savoir si une taxation de ces prestations renchérit l’accès à la prestation exonérée est décisif. On pourra citer à titre d’exemple la collaboration de deux entrepreneurs directement en faveur du consommateur final qui doit être exonéré de TVA, ainsi que cela était le cas dans l’affaire Horizon College ( 18 ). Cet arrêt concernait la collaboration de deux organismes de formation pour l’acquisition de la prestation en amont. La Cour a considéré que les prestations fournies entre deux organismes de formation exonérés étaient exonérées, afin d’éviter que pèse sur les étudiants bénéficiaires une charge de TVA au seul motif que la prestation de formation qui leur avait été fournie l’avait été non pas directement, mais seulement indirectement, au moyen d’un autre organisme de formation. Un tel cas de figure n’existe pas dans l’affaire qui nous occupe. En l’espèce, sont concomitamment fournies, en aval : aux étudiants, des prestations de formation payantes et, à des tiers, des prestations de restauration et de théâtre payantes.

44.

Or, pour admettre l’existence d’une prestation « étroitement liée » à une autre, il ne suffit justement pas que des prestations apparaissent « seulement » à l’occasion, comme une sorte de produit, dans le cadre de la prestation exonérée et qu’elles soient fournies à des tiers. En effet, en l’espèce, la taxation des produits n’augmente pas les coûts du destinataire de la prestation bénéficiaire (en l’espèce, les étudiants, pour l’accès aux prestations de formation) ( 19 ). En l’occurence, la taxation des prestations ne fait « que » renchérir l’accès aux prestations de restauration et de théâtre pour les clients du restaurant et du théâtre ( 20 ). Dès lors, il n’existe pas de prestation étroitement liée à la prestation de formation exonérée.

45.

En fin de compte, ce résultat est conforme à la nature de la TVA, qui est une taxe qui frappe la consommation. Lorsque le consommateur doit supporter une charge de TVA en fonction de la somme dépensée pour ce qui est consommé, il y a lieu en premier lieu de demander pourquoi il a dépensé cette somme. En l’espèce, cependant, le tiers paye cette somme en premier lieu et directement (c’est-à-dire en lien direct) pour le repas au restaurant (ou la représentation théâtrale), et non pas pour que les élèves ou étudiants soient formés.

VI – Proposition de décision

46.

Nous proposons donc de donner les réponses suivantes aux questions préjudicielles posées par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile) (Royaume-Uni)] :

1)

Des opérations étroitement liées à d’autres au sens de l’article 132, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée sont des prestations autonomes dont la taxation renchérirait aussi l’accès aux prestations exonérées en tant que telles. Des prestations de restauration et de divertissement qu’un organisme de formation fournit à titre payant à des personnes extérieures qui ne sont pas destinataires de la prestation de formation exonérée n’en relèvent pas.

2)

Aux fins de la distinction, il est déterminant (et cela porte atteinte à l’existence de l’exonération) que les personnes bénéficiaires participent à la fourniture de prestations à d’autres consommateurs. Il est également déterminant que les tiers payent la contrepartie pour leur propre consommation, c'est-à-dire non pour l’enseignement dispensé aux étudiants. Enfin, il est également déterminant que les prestations fournies aux tiers, du point de vue de ceux-ci comme du point de vue des étudiants, poursuivent un but autonome (la fourniture de prestations à des tiers), qui se situe en retrait de l’objectif de l’enseignement, lequel demeure exonéré.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) JO 2006 L 347, p. 1.

( 3 ) Il existe sur cette question un arrêt de la Cour : arrêt du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343).

( 4 ) Cette même question a déjà été abordée dans l’arrêt du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388), car l’Allemagne traitait à titre d’exonération les activités de recherche des universités à l’égard des tiers.

( 5 ) Voir arrêt du Bundesfinanzhof du 26 octobre 1989 (V R 25/84, BStBl. II 1990, 98), qui a écarté l’exonération au motif que les prestations de coiffure fournies aux clients se distinguaient des prestations d’enseignement fournies par le coiffeur aux apprentis.

( 6 ) Arrêts du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 46) et du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343, point 27).

( 7 ) Arrêts du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343, point 28), du 6 novembre 2003, Dornier (C‑45/01, EU:C:2003:595, points 34 et suivant), du 1er décembre 2005, Ygeia (C‑394/04 et C‑395/04, EU:C:2005:734, points 17 et suivant) ainsi que du 11 janvier 2001, Commission/France (C‑76/99, EU:C:2001:12, points 27 et suivants).

( 8 ) Arrêts du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin (C‑308/96 et C‑94/97, EU:C:1998:496, points 24 et suivant), du 6 novembre 2003, Dornier (C‑45/01, EU:C:2003:595, point 34) ainsi que du 1er décembre 2005, Ygeia (C‑394/04 et C‑395/04, EU:C:2005:734, point 19).

( 9 ) Arrêt du 14 juin 2007, C‑434/05, EU:C:2007:343.

( 10 ) Arrêt du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, EU:C:2008:571).

( 11 ) Voir arrêts du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 47) et du 28 novembre 2013, MDDP (C‑319/12, EU:C:2013:778, point 26) ; voir, dans le même sens, s’agissant de l’article 13, A, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive, arrêt du 11 janvier 2001, Commission/France (C‑76/99, EU:C:2001:12, point 23).

( 12 ) Contrairement à ce que soutient la Commission, s’agissant de la fourniture de prestations de restauration à des prix qui ne couvrent pas les coûts, il n’existe pas d’excédent de taxe en amont en tant que tel, étant donné que l’achat de produits alimentaires devrait en grande partie être soumis au taux réduit, ce qui explique l’intérêt du College à bénéficier de l’exonération.

( 13 ) Arrêts du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 19) et du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin (C‑249/12 et C‑250/12, EU:C:2013:722, point 34) ; ordonnance du 9 décembre 2011, Connoisseur Belgium (C‑69/11, non publiée, EU:C:2011:825, point 21).

( 14 ) Arrêts du 7 septembre 1999, Gregg (C‑216/97, EU:C:1999:390, point 20), du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, EU:C:2008:571, point 30), ainsi que du 11 juin 1998, Fischer (C‑283/95, EU:C:1998:276, point 22).

( 15 ) Arrêts du 21 mars 2013, PFC Clinic (C‑91/12, EU:C:2013:198, point 23), du 10 juin 2010, Future Health Technologies (C‑86/09, EU:C:2010:334, point 30), du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343, point 16), du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 47), ainsi que du 28 novembre 2013, MDDP (C‑319/12, EU:C:2013:778, point 25).

( 16 ) Arrêts du 21 mars 2013, PFC Clinic (C‑91/12, EU:C:2013:198, point 23), du 10 juin 2010, Future Health Technologies (C‑86/09, EU:C:2010:334, point 30), du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343, point 16), du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 47), ainsi que du 28 novembre 2013, MDDP (C‑319/12, EU:C:2013:778, point 25).

( 17 ) Arrêt du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 48).

( 18 ) Arrêt du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343).

( 19 ) Tel serait par exemple le cas si l’organisme de formation vendait à ses propres élèves de la documentation de formation qu’il aurait lui-même élaborée.

( 20 ) Il existe à cet égard des points communs clairs avec l’arrêt du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388).

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