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Document 62014CJ0078

Arrêt de la Cour (première chambre) du 29 octobre 2015.
Commission européenne contre ANKO AE Antiprosopeion, Emporiou kai Viomichanias.
Pourvoi – Clause compromissoire – Septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) – Contrats relatifs au soutien financier de l’Union européenne accordé aux projets Perform et Oasis – Irrégularités constatées lors des audits relatifs à d’autres projets – Décision de la Commission de suspendre le remboursement des montants avancés par la bénéficiaire – Coûts éligibles – Dénaturations des éléments du dossier.
Affaire C-78/14 P.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:732

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

29 octobre 2015 ( * )

«Pourvoi — Clause compromissoire — Septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) — Contrats relatifs au soutien financier de l’Union européenne accordé aux projets Perform et Oasis — Irrégularités constatées lors des audits relatifs à d’autres projets — Décision de la Commission de suspendre le remboursement des montants avancés par la bénéficiaire — Coûts éligibles — Dénaturations des éléments du dossier»

Dans l’affaire C‑78/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 13 février 2014,

Commission européenne, représentée par M. D. Triantafyllou, Mme B. Conte et M. R. Lyal, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

ANKO AE Antiprosopeion, Emporiou kai Viomichanias, établie à Athènes (Grèce), représentée par Mes V. Christianos et S. Paliou, dikigoroi,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. F. Biltgen, A. Borg Barthet, Mme M. Berger (rapporteur) et M. S. Rodin, juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 décembre 2014,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Commission européenne demande à la Cour l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2013, ANKO/Commission (T‑117/12, EU:T:2013:643, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci l’a condamnée à verser à ANKO AE Antiprosopeion, Emporiou kai Viomichanias (ci-après «ANKO») les sommes, majorées d’intérêts, dont le paiement avait été suspendu sur le fondement du point II.5, paragraphe 3, sous d), des conditions générales figurant à l’annexe II des conventions de subvention relatives aux projets Perform et Oasis (ci-après les «conditions générales»).

Le cadre juridique

2

Conformément au règlement (CE) no 1906/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, définissant les règles de participation des entreprises, des centres de recherche et des universités pour la mise en œuvre du septième programme-cadre de la Communauté européenne et fixant les règles de diffusion des résultats de la recherche (2007-2013) (JO L 391, p. 1), dans le cadre défini par la décision no 1982/2006/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, relative au septième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) (JO L 412, p. 1), et, en particulier, du programme spécifique «Coopération», la Commission des Communautés européennes, agissant pour le compte de la Communauté, a conclu, le 19 décembre 2007 et le 21 janvier 2008, avec Siemens SA et FIMI Srl, respectivement, en leur qualité de coordinateurs des deux consortiums distincts dont faisait partie ANKO, les conventions de subvention nos 215754 et 215952.

3

Ces conventions avaient pour objet le financement, respectivement, du projet intitulé «Une architecture ouverte pour les services accessibles, l’intégration et la normalisation» (projet Oasis) et du projet intitulé «Un système multiparamétrique complexe pour l’évaluation et le suivi effectifs et continus de la capacité motrice dans les cas de la maladie de Parkinson et d’autres maladies neurodégénératives» (projet Perform).

4

En vertu du point II.5, paragraphe 3, sous d), des conditions générales, après réception des rapports visés au point II.4 de celles-ci, la Commission peut suspendre les paiements, à tout moment, pour tout ou partie du montant destiné au bénéficiaire concerné:

si les travaux effectués ne sont pas conformes aux dispositions de la convention de subvention;

si le bénéficiaire doit rembourser à l’État dont il est ressortissant une somme indûment perçue au titre de l’aide d’État;

en cas de violation des dispositions de la convention de subvention, ou de suspicion ou de présomption de violation de ses dispositions, à la suite notamment des contrôles et des audits prévus aux points II.22 et II.23 des conditions générales;

en cas de suspicion d’irrégularité commise par un ou plusieurs bénéficiaires dans l’exécution de la convention de subvention en cause, et

en cas de soupçon ou de constatation d’irrégularité commise par un ou plusieurs bénéficiaires dans l’exécution d’une autre convention de subvention financée par le budget général de l’Union européenne ou par des budgets gérés par elle. En pareil cas, les paiements sont suspendus lorsque l’irrégularité présente un caractère grave et systématique, susceptible d’affecter l’exécution de la convention de subvention en cause.

5

Conformément au point II.14, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) et d), des conditions générales, portant sur les coûts éligibles du projet, ces derniers doivent être, d’une part, réels et, d’autre part, déterminés conformément aux principes et aux pratiques comptables usuels de comptabilité et de gestion du bénéficiaire. Les méthodes comptables utilisées pour enregistrer les coûts et les recettes doivent être conformes aux règles comptables utilisées dans l’État où le contractant est établi et doivent permettre le rapprochement des coûts encourus et des recettes déclarés au titre du projet et des fiches financières et des pièces justificatives correspondantes.

6

En vertu du point II.14, paragraphe 1, deuxième alinéa, des conditions générales, nonobstant les dispositions du premier alinéa, sous a), de ce paragraphe, les bénéficiaires peuvent choisir de déclarer des coûts moyens de personnel si les critères cumulatifs suivants sont remplis:

la méthode de calcul des coûts moyens de personnel est celle qui est déclarée par le bénéficiaire comme sa méthode habituelle de comptabilisation des coûts; en conséquence, elle s’applique uniformément à toutes les participations du bénéficiaire relevant des programmes-cadres;

la méthode de calcul se fonde sur les coûts réels de personnel du bénéficiaire tels qu’ils figurent dans sa comptabilité légale, sans éléments estimés ou budgétés;

la méthode de calcul exclut des taux moyens de personnel tout poste de dépense inéligible tel que défini au paragraphe 3 dudit point ainsi que tout coût imputé dans les autres catégories de coûts, afin d’éviter le double financement des mêmes coûts, et

le nombre d’heures de production utilisé pour calculer les taux horaires moyens correspond aux pratiques habituelles de gestion du bénéficiaire pour autant que celles-ci reflètent les normes de travail réelles du bénéficiaire, conformément à la législation nationale applicable, aux conventions collectives de travail et aux contrats et qu’elles se fondent sur des données vérifiables.

7

Le point II.15, paragraphe 1, des conditions générales définit les coûts directs comme correspondant à tous les coûts qui peuvent être attribués directement au projet et qui sont définis en tant que tels par le bénéficiaire, conformément à ses principes comptables et à ses règles internes habituelles. Pour ce qui est des frais de personnel, seuls peuvent être imputés les coûts des heures effectivement ouvrées au titre du projet par les personnes effectuant directement les travaux, qui doivent être directement engagées par le bénéficiaire, travailler sous sa seule supervision technique et sa responsabilité et être rémunérées conformément à ses pratiques habituelles.

Les antécédents du litige

8

ANKO est une société de droit grec, ayant pour objet la commercialisation et la production de produits métalliques ainsi que de produits, de dispositifs et d’appareils électroniques et de télécommunications. Depuis l’année 2006, elle a participé à l’exécution de plusieurs projets subventionnés par l’Union.

9

Par lettre du 1er août 2011, la Commission a informé ANKO qu’elle comptait procéder à un audit financier portant, notamment, sur les projets Perform et Oasis.

10

Estimant, en substance, qu’il existait des raisons valables de soupçonner une éventuelle violation des conventions de subvention relatives auxdits projets et, en particulier, du point II.5, paragraphe 3, sous d), des conditions générales, en raison de l’existence d’irrégularités commises par ANKO, la Commission a, par deux lettres du 9 août 2011, suspendu le versement à cette société des paiements prévus par ces conventions, à titre de mesure préventive.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11

Par requête introduite sur le fondement de l’article 272 TFUE et des clauses compromissoires contenues dans les conventions de subvention en cause, ANKO a demandé au Tribunal:

de constater que la suspension des paiements imposée par la Commission au titre des projets Perform et Oasis constituait une violation de ses obligations contractuelles;

d’«ordonner» à la Commission de lui verser la somme de 637117,17 euros au titre du projet Perform, majorée des intérêts prévus au point II.5, paragraphe 5, des conditions générales, à compter de la signification de son recours;

d’«ordonner» à la Commission de constater qu’ANKO n’était pas tenue de rembourser à cette institution la somme de 56390 euros qui lui avait été versée au titre du projet Oasis, et

de condamner la Commission aux dépens.

12

À l’appui de son recours, ANKO faisait notamment valoir que ladite suspension s’était effectuée en violation des conventions de subvention relatives aux projets Perform et Oasis ainsi que du principe de bonne foi et en l’absence de base légale.

13

Au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le moyen avancé par ANKO à l’appui de son premier chef de conclusions, aux termes duquel la Commission aurait suspendu les paiements correspondant aux projets Perform et Oasis en l’absence de base juridique et en violation des conventions de subvention relatives à ces projets.

14

Au point 93 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également accueilli le deuxième chef de conclusions en ce qu’il visait à condamner la Commission à procéder au versement des sommes qui avaient été suspendues au titre du projet Perform, sans que ce versement préjuge du caractère éligible des dépenses déclarées par ANKO.

15

En revanche, au point 98 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le troisième chef de conclusions.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

16

Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner ANKO aux dépens. ANKO conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la Commission aux dépens.

17

Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 février 2014, la Commission a demandé à la Cour de surseoir à l’exécution de l’arrêt attaqué jusqu’au prononcé de l’arrêt sur pourvoi. Par lettre déposée au greffe de la Cour le 18 février suivant, la Commission a également demandé qu’il soit fait provisoirement droit à cette demande avant même que l’autre partie à la procédure n’ait présenté ses observations, jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à la procédure en référé.

18

Par ses ordonnances Commission/ANKO (C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:93) et Commission/ANKO (C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:239), le vice-président de la Cour a décidé, respectivement, de surseoir à l’exécution de l’arrêt attaqué jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé avant même que l’autre partie à la procédure n’ait présenté ses observations et de surseoir à l’exécution dudit arrêt jusqu’au prononcé de l’arrêt mettant fin à la procédure sur pourvoi dans la présente affaire.

Sur le pourvoi

19

La Commission soulève un moyen unique, tiré d’une interprétation erronée des conditions générales par le Tribunal. Ce moyen s’articule en cinq branches.

20

Premièrement, la Commission reproche au Tribunal l’appréciation erronée de la nature grave et systématique des irrégularités comme motif de suspension. Deuxièmement, elle invoque une appréciation erronée de l’éventualité ou du risque de répétition des irrégularités. Troisièmement, la Commission fait valoir que le Tribunal a procédé à une induction erronée à partir de corrections ad hoc apportées par ANKO. Quatrièmement, la Commission reproche au Tribunal l’interprétation erronée de la possibilité d’utiliser les coûts moyens et l’application erronée de cette possibilité aux coûts fictifs, ce qui a eu pour conséquence une dénaturation d’éléments de preuve. Enfin, cinquièmement, elle invoque la confusion entre les conditions de suspension, qui supposent une suspicion, et les conditions d’éligibilité, qui relèvent de la certitude.

Observations liminaires

21

Il convient de rappeler que, conformément aux articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l’incompétence du Tribunal, d’irrégularités de la procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la violation du droit de l’Union par le Tribunal (arrêt Commune de Millau et SEMEA/Commission, C‑531/12 P, EU:C:2014:2008, point 55).

22

Dès lors, le Tribunal est seul compétent pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, ainsi que pour apprécier les éléments de preuve retenus. La constatation de ces faits et l’appréciation de ces éléments ne constituent donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt Commune de Millau et SEMEA/Commission, C‑531/12 P, EU:C:2014:2008, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

23

Dans ce contexte, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 24 et 26 de ses conclusions, il convient de constater que l’examen effectué par le Tribunal d’une disposition contractuelle ne saurait être considéré comme une interprétation du droit et ne saurait être ainsi vérifié dans le cadre d’un pourvoi sans empiéter sur la compétence du Tribunal pour établir les faits. En revanche, la prétendue violation du droit de l’Union applicable à un contrat est soumise à un contrôle devant la Cour tel que celui exercé dans le cadre d’un pourvoi.

24

Dans la présente affaire, les deux conventions de subvention en cause sont, en vertu de leur article 9, régies, selon leurs propres termes, par des dispositions du droit de l’Union relatives au septième programme‑cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration, par le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), ainsi que, subsidiairement, par le droit belge.

25

Cependant, la Commission n’invoque pas la violation de ces dispositions du droit de l’Union.

26

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les cinq branches du moyen unique.

Sur les première à troisième et cinquième branches

Argumentation des parties

– Sur la première branche

27

La Commission reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur dans le cadre de l’interprétation du point II.5, paragraphe 3, sous d), des conditions générales et de l’application de celui-ci aux fins d’apprécier la nature «grave et systématique» des irrégularités en cause en tant que motif de suspension des paiements prévus par les conventions de subvention relatives aux projets Perform et Oasis.

28

Elle fait valoir, à cet égard, que la suspension des paiements était fondée non pas sur les conclusions du rapport d’audit financier des projets litigieux, mais sur des irrégularités de nature grave et systématique constatées lors de contrôles financiers antérieurs, effectués au cours des années 2006 et 2008, concernant d’autres projets auxquels ANKO avait participé, ainsi que sur le refus de celle-ci de se conformer aux recommandations exprimées lors du dernier de ces contrôles.

29

Ces irrégularités auraient concerné, principalement, l’imputation de coûts élevés en tant que coûts de personnel directs pour des prestations effectuées par des personnes ne disposant pas des qualifications scientifiques requises ainsi que la méthodologie de calcul des dépenses conduisant à une surestimation des coûts éligibles et à l’absence de fiabilité du système d’enregistrement des heures de travail.

30

En réponse, ANKO fait valoir, à titre liminaire, qu’un pourvoi qui se limite à répéter les moyens et les arguments déjà présentés devant le Tribunal est irrecevable, un tel pourvoi constituant en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant ledit Tribunal. En outre, par ses arguments, la Commission invoquerait des faits alors que le pourvoi doit être limité à des questions de droit.

31

Quant au fond, ANKO fait valoir, en substance, que le Tribunal n’a pas refusé de qualifier les prétendues «irrégularités» de «graves» et de «systématiques», comme la Commission le soutient à tort. Au contraire, le Tribunal aurait jugé que la Commission n’avait pas apporté la preuve que les «irrégularités» commises par ANKO étaient graves et systématiques, alors que cette institution avait la charge d’apporter cette preuve.

– Sur la deuxième branche

32

La Commission soutient que la «méthodologie» employée par ANKO pour calculer les frais de personnel est la source des irrégularités en ce sens qu’elle augmente à la fois le nombre des heures et la rémunération des membres du personnel. Cette pratique déloyale aurait déjà été constatée dans d’autres projets et serait donc susceptible d’avoir également une incidence sur l’exécution des projets en cause. Le refus du Tribunal de reconnaître une telle éventualité, ou suspicion, constituerait également une interprétation erronée de la clause contractuelle concernée.

33

ANKO rétorque que la Commission, dans le cadre de la deuxième branche, se limite à répéter les arguments déjà présentés en première instance et considère celle-ci comme irrecevable. Quant au fond, ANKO fait valoir que le Tribunal a examiné et considéré les faits et les éléments de preuve apportés par les parties en jugeant que, alors qu’elle en avait la charge, la Commission n’avait pas apporté la preuve que les irrégularités commises par ANKO dans le cadre des projets précédents étaient susceptibles d’affecter l’exécution des projets Perform et Oasis. Dès lors, ce serait à tort que la Commission prétend que le Tribunal a «refusé» de reconnaître que les irrégularités reprochées à ANKO dans le cadre des projets du sixième programme-cadre étaient susceptibles d’affecter l’exécution des projets en cause.

– Sur la troisième branche

34

La Commission admet qu’ANKO a effectué des corrections et des restitutions. Toutefois, cela ne signifierait pas qu’elle a définitivement modifié sa «méthodologie» générale. Elle aurait simplement apporté des corrections ad hoc là où des irrégularités avaient été relevées et se serait contentée de rembourser certains des montants qu’il lui était reproché d’avoir indûment perçus sans toutefois prendre des mesures à caractère général concernant le contrôle des personnes employées et de leurs qualifications par rapport au programme concerné ou concernant l’enregistrement précis des heures de travail du personnel, lesquelles seraient de nature à empêcher que soit à nouveau mise en œuvre l’ancienne «pratique».

35

ANKO considère la troisième branche irrecevable, étant donné que l’argumentation invoquée à l’appui de celle-ci avait déjà été avancée en première instance et, en tout état de cause, non fondée. Quant au fond, elle fait valoir que le Tribunal ne s’est pas limité à évaluer les corrections auxquelles elle avait procédé. Au contraire, celui-ci n’aurait pas fondé son raisonnement uniquement sur ces corrections, mais aurait également évalué d’autres éléments de preuve et, notamment, une lettre du 3 mars 2009 produite par la Commission elle-même. Cette lettre permettrait de constater, d’une part, qu’ANKO n’a pas refusé d’employer une méthode de calcul conforme aux recommandations de la Commission et, d’autre part, qu’elle n’a pas insisté pour employer une méthode de calcul erronée.

– Sur la cinquième branche

36

La Commission fait valoir une confusion opérée par le Tribunal entre les conditions de suspension des paiements, reposant sur une simple suspicion, et les conditions d’éligibilité des dépenses déclarées.

37

La Commission soutient à cet égard que la suspension des paiements constitue une mesure provisoire lui permettant ainsi de s’appuyer sur un effet éventuel et donc sur la simple probabilité de celui-ci. Il ne serait donc pas nécessaire de disposer d’une certitude quant à l’existence de l’infraction et du préjudice.

38

ANKO rétorque que l’argumentation de la Commission est irrecevable dans la mesure où la Commission cherche, en réalité, à remettre en cause les appréciations de fait effectuées par le Tribunal.

39

Quant au fond, ANKO rappelle que le Tribunal a constaté, à plusieurs points de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas tenue de démontrer avec certitude que les irrégularités avaient eu une incidence sur les conventions de subvention relatives aux projets Perform et Oasis. Le Tribunal aurait constaté, en revanche, que la Commission n’avait pas même démontré la possibilité ou la probabilité d’une telle incidence. ANKO fait également valoir qu’une suspension des paiements ne doit pas résulter d’un pouvoir discrétionnaire absolu de la Commission, qui pourrait ainsi suspendre les paiements en invoquant tout simplement un soupçon d’irrégularité. Le point II.5, paragraphe 3, sous d), des conditions générales prévoirait l’obligation pour la Commission de démontrer, en premier lieu, que les irrégularités étaient graves et systématiques et, en second lieu, qu’elles étaient susceptibles d’affecter l’exécution desdites conventions à l’avenir.

Appréciation de la Cour

40

Il convient de rappeler que, aux points 46 à 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a procédé à une analyse des dispositions du point II.5, paragraphe 3, sous d), des conditions générales, en examinant plus particulièrement si la cinquième condition qui y est énumérée était remplie.

41

C’est dans ce contexte que, au point 65 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que «la Commission n’a[vait] démontré à suffisance de droit ni le caractère grave et systématique des irrégularités identifiées ni la manière dont de telles irrégularités, à les supposer établies, pourraient affecter l’exécution des projets Perform et Oasis».

42

Or, il convient de constater, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, que la Commission ne fait que contester, par les première à troisième et cinquième branches du moyen unique, la conclusion à laquelle a abouti le Tribunal et elle cherche uniquement à ce que la Cour substitue sa propre interprétation du point II.5, paragraphe 3, sous d), des conditions générales à celle du Tribunal.

43

En outre, la Commission ne fait pas valoir, comme mentionné au point 25 du présent arrêt, une violation du droit de l’Union.

44

À la lumière de la jurisprudence citée aux points 21 et 22 du présent arrêt, les première à troisième et cinquième branches du moyen unique doivent, dès lors, être rejetées comme étant irrecevables.

Sur la quatrième branche

Argumentation des parties

45

La Commission rappelle, à titre liminaire, que les critères doivent être remplis de manière cumulative afin que les coûts moyens de personnel puissent être déclarés. Premièrement, la méthode de calcul des coûts moyens de personnel serait celle qui est déclarée par le bénéficiaire comme sa méthode habituelle de comptabilisation des coûts. Deuxièmement, la méthode de calcul se fonderait sur les coûts réels de personnel du bénéficiaire tels qu’ils figurent dans sa comptabilité légale, sans éléments estimés ou budgétés. Troisièmement, la méthode de calcul exclurait des coûts moyens de personnel tout coût inéligible et, quatrièmement, le nombre d’heures productives utilisé pour calculer les taux horaires moyens correspondrait aux pratiques usuelles de gestion du bénéficiaire pour autant que celles-ci reflètent les normes de travail réelles du bénéficiaire. S’agissant de ce dernier critère, la Commission souligne que le Tribunal précise que seuls peuvent être imputés les coûts des heures effectivement ouvrées au titre du projet concerné par les personnes effectuant directement les travaux.

46

La Commission fait valoir que, en admettant la validité de certains coûts de personnel déclarés par ANKO, par référence aux clauses contractuelles et, en particulier, au point II.14, paragraphe 1, deuxième alinéa, des conditions générales, le Tribunal a méconnu, aux points 71 à 75 de l’arrêt attaqué, la portée de ces clauses contractuelles, qui permettent le recours à une méthode de calcul des dépenses fondée sur une moyenne, mais uniquement dans la mesure où le calcul de cette moyenne s’opère sur la base de coûts de personnel réels et non pas fictifs. L’utilisation d’une «moyenne» en application des clauses en question ne saurait valider de tels coûts fictifs, dès lors que cette moyenne doit être établie sur la base de coûts réels.

47

À cet égard, la Commission précise qu’elle conteste non pas la possibilité d’utiliser des taux moyens pour les coûts de personnel, mais la prise en compte de coûts qui n’étaient pas réels soit parce que les rémunérations ne correspondaient pas à la spécialisation du personnel employé, soit parce que les heures de production étaient non pas réelles, mais fictives.

48

Dès lors, l’interprétation de la clause en question par le Tribunal serait erronée et l’argumentation exposée inopérante, dans la mesure où il a déjà été constaté pour les cinq projets en cause que les coûts invoqués par ANKO n’étaient pas, au moins en partie, réels, contrairement à ce qu’exigent les conditions générales.

49

Selon la Commission, dans ce contexte il peut aussi être reproché au Tribunal d’avoir commis une dénaturation des éléments de preuve dans la mesure où ANKO s’est basée non pas sur des coûts moyens, mais sur des nombres exacts d’heures de production et des rémunérations précises qui, s’agissant des plus anciennes conventions, ont été corrigées ad hoc pour chaque employé, comme il apparaît dans des rapports d’audit. Par conséquent, l’arrêt attaqué serait, d’une part, entaché d’une erreur de droit quant à l’interprétation des clauses contractuelles en cause et, d’autre part, d’une dénaturation, par le Tribunal, des éléments de preuve soumis par ANKO.

50

ANKO rétorque que l’argumentation de la Commission est manifestement non fondée en ce qui concerne la dénaturation des éléments de preuve alléguée et irrecevable pour le surplus, dans la mesure où la Commission cherche, en réalité, à remettre en cause les appréciations de fait effectuées par le Tribunal.

51

S’agissant du fond de l’affaire, ANKO fait notamment valoir que le Tribunal a examiné, aux points 72 à 75 de l’arrêt attaqué, si, en l’espèce, la Commission avait démontré que la méthodologie d’enregistrement des coûts employée par ANKO était conforme aux exigences du point II.14, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), et deuxième alinéa, des conditions générales. ANKO fait valoir que, après l’examen des éléments pertinents, le Tribunal a considéré que «la Commission n’a[vait] nullement démontré que la méthode employée par [ANKO] n’était pas conforme au point II.14, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), et deuxième alinéa, [des conditions générales].»

52

En outre, la question de l’éligibilité des coûts, à savoir de déterminer s’ils sont réels ou fictifs et dans quelle mesure, échapperait au cadre du présent litige étant donné que le Tribunal s’est exclusivement prononcé sur la question de savoir si la suspension de paiements que la Commission avait infligée à ANKO était légitime et conforme audit point. Quant à la dénaturation des éléments de preuve, ANKO fait notamment valoir que la Commission ne précise pas les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et ne démontre pas les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit à cette dénaturation. Par ailleurs, ANKO conteste qu’il y ait eu une dénaturation des éléments de preuve produits.

Appréciation de la Cour

53

Pour autant que la Commission remet en cause l’interprétation des conditions générales effectuée par le Tribunal, la quatrième branche, à la lumière de la jurisprudence citée au point 22 du présent arrêt, doit être rejetée comme étant irrecevable.

54

S’agissant de la prétendue dénaturation des éléments de preuve par le Tribunal, s’il est vrai que la Commission a, conformément à une jurisprudence constante, expressément invoqué une telle dénaturation (voir, notamment, ordonnance Walcher Meßtechnik/OHMI, C‑374/14 P, EU:C:2015:101, point 27), il convient toutefois de constater que, selon une jurisprudence également constante, ladite dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir arrêt Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

55

En outre, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, une dénaturation des éléments de preuve suppose que le Tribunal a manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. Il ne suffit dès lors pas, afin de démontrer l’existence d’une telle dénaturation, de proposer une lecture desdits éléments de preuve différente de celle retenue par le Tribunal (voir arrêts Activision Blizzard Germany/Commission, C‑260/09 P, EU:C:2011:62, point 57, ainsi que Commission/Aalberts Industries e.a., C‑287/11 P, EU:C:2013:445, point 52).

56

Or, eu égard à ces principes, il y a lieu de constater que l’interprétation effectuée par le Tribunal aux points 71 à 79 de l’arrêt attaqué ne constitue pas une dénaturation des éléments de preuve.

57

En effet, au point 75 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a simplement jugé que «la Commission n’a nullement démontré que la méthode employée par [ANKO] n’était pas conforme au point II.14, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), et deuxième alinéa, [des conditions générales]».

58

Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 55 de ses conclusions, même si, en principe, une lecture différente du système d’imputation des coûts appliqué par ANKO dans le cadre des projets antérieurs est possible, la Commission n’a toutefois pas démontré le caractère manifestement erroné de l’appréciation effectuée par le Tribunal des faits, c’est-à-dire du contenu des conditions générales, des intentions des parties ainsi que des circonstances dans lesquelles la convention de subvention en cause a été conclue et exécutée, et n’a donc pas suffisamment fait valoir une dénaturation des éléments de preuve.

59

Partant, la quatrième branche n’est pas fondée.

60

Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi doit être rejeté comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie non fondé.

Sur les dépens

61

L’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour prévoit que, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. ANKO ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en son moyen, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

La Commission européenne est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: le grec.

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