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Document 62013CJ0470

Arrêt de la Cour (dixième chambre) du 18 décembre 2014.
Generali-Providencia Biztosító Zrt contre Közbeszerzési Hatóság Közbeszerzési Döntőbizottság.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság.
Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Marchés n’atteignant pas le seuil prévu par la directive 2004/18/CE – Articles 49 TFUE et 56 TFUE – Applicabilité – Intérêt transfrontalier certain – Causes d’exclusion d’une procédure d’appel d’offres – Exclusion d’un opérateur économique ayant commis une infraction aux règles nationales de la concurrence constatée par arrêt datant de moins de cinq ans – Admissibilité – Proportionnalité.
Affaire C-470/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2469

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

18 décembre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Marchés publics — Marchés n’atteignant pas le seuil prévu par la directive 2004/18/CE — Articles 49 TFUE et 56 TFUE — Applicabilité — Intérêt transfrontalier certain — Causes d’exclusion d’une procédure d’appel d’offres — Exclusion d’un opérateur économique ayant commis une infraction aux règles nationales de la concurrence constatée par arrêt datant de moins de cinq ans — Admissibilité — Proportionnalité»

Dans l’affaire C‑470/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (Hongrie), par décision du 23 août 2013, parvenue à la Cour le 2 septembre 2013, dans la procédure

Generali-Providencia Biztosító Zrt

contre

Közbeszerzési Hatóság Közbeszerzési Döntőbizottság,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. C. Vajda (rapporteur), président de chambre, MM. E. Juhász et D. Šváby, juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 septembre 2014,

considérant les observations présentées:

pour Generali-Providencia Biztosító Zrt, par Mes G. Fejes et P. Tasi, ügyvédek,

pour la Közbeszerzési Hatóság Közbeszerzési Döntőbizottság, par Me P. Csanádi, ügyvéd,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. A. Tokár et A. Sipos, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 TFUE, 34 TFUE, 49 TFUE et 56 TFUE ainsi que de l’article 45, paragraphe 2, premier alinéa, sous c) et d), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), telle que modifiée par le règlement (CE) no 1177/2009 de la Commission, du 30 novembre 2009 (JO L 314, p. 64, ci-après la «directive 2004/18»).

2

Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant Generali‑Providencia Biztosító Zrt (ci-après «Generali») à la Közbeszerzési Hatóság Közbeszerzési Döntőbizottság (chambre de recours de l’office des marchés publics) au sujet du rejet du recours de cette société introduit devant cette chambre contre la décision de l’exclure d’une procédure d’appel d’offres au motif qu’elle avait précédemment commis une infraction aux règles nationales de la concurrence.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 2 de la directive 2004/18 énonce:

«La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et d’autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non‑discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. [...]»

4

L’article 7, sous b), de cette directive prévoit, notamment pour les marchés publics de fournitures et de services passés par les pouvoirs adjudicateurs autres que ceux visés à l’annexe IV de ladite directive, un seuil d’application de celle-ci s’élevant à 193 000 euros.

5

L’article 45 de la même directive, intitulé «Situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire», dispose à son paragraphe 2:

«Peut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique:

[...]

c)

qui a fait l’objet d’un jugement ayant autorité de chose jugée selon les dispositions légales du pays et constatant un délit affectant sa moralité professionnelle;

d)

qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier;

[...]

Les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d’application du présent paragraphe.»

6

Le considérant 101 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO L 94, p. 65) se lit comme suit:

«Les pouvoirs adjudicateurs devraient en outre pouvoir exclure des opérateurs économiques qui se seraient avérés non fiables, par exemple pour manquement à des obligations environnementales ou sociales, y compris aux règles d’accessibilité pour les personnes handicapées, ou pour d’autres fautes professionnelles graves telles que la violation de règles de concurrence ou de droits de propriété intellectuelle. Il convient de préciser qu’une faute professionnelle grave peut remettre en question l’intégrité d’un opérateur économique et avoir pour conséquence que celui-ci ne remplit pas les conditions requises pour se voir attribuer un marché public, indépendamment du fait qu’il disposerait par ailleurs des capacités techniques et économiques pour exécuter le marché concerné.

[...]»

7

Aux termes de l’article 57, paragraphe 4, de la directive 2014/24:

«Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l’un des cas suivants:

[...]

d)

le pouvoir adjudicateur dispose d’éléments suffisamment plausibles pour conclure que l’opérateur économique a conclu des accords avec d’autres opérateurs économiques en vue de fausser la concurrence;

[...]»

Le droit hongrois

8

L’article 61, paragraphe 1, de la loi CXXIX de 2003 sur les marchés publics (közbeszerzésekről szóló 2003. évi CXXIX. törvény, Magyar Közlöny 2003/157, ci-après le «Kbt») est rédigé dans les termes suivants:

«Le pouvoir adjudicateur peut prévoir, dans l’avis d’appel d’offres, que ne peut participer à la procédure, en qualité de soumissionnaire, de sous‑traitant ou d’entité prestataire de moyens, pour autant qu’il souhaite prendre à sa charge plus de 10 % de la valeur du marché, ou sous‑traitant, s’agissant des dispositions sous d) et e), quiconque:

a)

a commis une infraction en relation avec son activité commerciale ou professionnelle constatée par décision de justice ayant autorité de chose jugée et rendue au cours des cinq années qui précèdent.

[...]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9

Par décision du 21 décembre 2006, le Gazdasági Versenyhivatal (office de la concurrence) a constaté que certains accords verticaux conclus entre Generali et des concessionnaires automobiles étaient contraires aux règles nationales de la concurrence et a infligé une amende à cette société. Saisie en appel, la Fővárosi ítelőtábla (cour d’appel de Budapest) a confirmé cette décision par un jugement qualifié de «jogerős» («ayant autorité de chose jugée»). Un pourvoi contre ce jugement a été formé devant le Magyar Köztársaság Legfelsőbb Bírósága (Cour suprême), qui a déféré à la Cour une question préjudicielle ayant donné lieu à l’arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160).

10

Le 5 décembre 2011, le Nemzeti Adó- és Vámhivatal (administration nationale des impôts et des douanes) a publié un avis de marché portant sur la fourniture de services d’assurance. Dans cet avis, le pouvoir adjudicateur a mentionné, parmi les motifs d’exclusion de la participation à la procédure d’appel d’offres liés à la situation personnelle du soumissionnaire, ceux visés aux articles 61, paragraphe 1, sous a) à c), et 62, paragraphe 1, du Kbt.

11

En réponse audit avis, Generali a présenté une offre dans le délai imparti.

12

Le pouvoir adjudicateur a notifié à Generali sa décision de l’exclure de la procédure d’adjudication du marché concerné au motif qu’elle relevait de la cause d’exclusion prévue à l’article 61, paragraphe 1, sous a), du Kbt, en raison de son infraction aux règles nationales de la concurrence qui avait été confirmée par une décision judiciaire revêtue de l’autorité de la chose jugée.

13

Déboutée de son recours administratif contre la décision du pouvoir adjudicateur, Generali a saisi la Fővárosi Törvényszék (Cour de Budapest), dont les affaires de contentieux administratif ont par la suite été reprises par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal des affaires administratives et du travail de Budapest).

14

La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union du motif d’exclusion de Generali de ladite procédure d’adjudication. Elle relève que l’article 45, paragraphe 2, premier alinéa, sous c) et d), de la directive 2004/18 permet d’exclure un opérateur économique de la participation à un marché pour des motifs fondés sur des circonstances objectives liées à l’activité professionnelle de cet opérateur. Tout en estimant que l’article 45, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), de cette directive n’est pas applicable dans les circonstances du litige dont elle est saisie, dès lors que l’infraction qu’a commise Generali n’est pas qualifiée de «délit» en droit national, la juridiction de renvoi se demande si l’article 45, paragraphe 2, premier alinéa, sous d), de ladite directive pourrait s’appliquer dans ces mêmes circonstances.

15

La juridiction de renvoi considère que, au vu de l’interprétation que la Cour a donné de la notion de «faute en matière professionnelle» figurant à cette dernière disposition dans son arrêt Forposta et ABC Direct Contact (C‑465/11, EU:C:2012:801), les pratiques auxquelles l’opérateur économique doit se conformer ou dont il doit s’abstenir afin de respecter les exigences de la loyauté des affaires touchent à sa crédibilité professionnelle. Partant, une pratique enfreignant l’interdiction d’accords restrictifs de la concurrence, dont la réalité est établie par une décision de justice ayant autorité de chose jugée, relèverait de cette notion. La gravité de la faute devrait être appréciée en fonction du comportement concret de l’opérateur économique.

16

Si, en revanche, il convient de considérer qu’une telle infraction ne touche pas à la crédibilité professionnelle de l’opérateur économique ou n’implique pas une violation des normes de déontologie de la profession à laquelle il appartient, la juridiction de renvoi est d’avis que cet opérateur ne peut être exclu de la participation au marché, en raison d’une infraction aux règles nationales de la concurrence, sur le fondement de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2004/18 qui énumère, de manière exhaustive, les causes susceptibles de justifier l’exclusion d’un tel opérateur pour des raisons tenant à ses qualités professionnelles.

17

La juridiction de renvoi estime qu’une telle interprétation l’obligerait à ne pas appliquer l’article 61, paragraphe 1, sous a), du Kbt, compte tenu également du fait que, ainsi qu’il ressort du considérant 2 de la directive 2004/18, les règles nationales en matière de passation des marchés publics doivent respecter les règles et les principes généraux du droit de l’Union. À cet égard, elle relève que l’interprétation de l’article 61, paragraphe 1, sous a), du Kbt retenue par la Közbeszerzési Hatóság Közbeszerzési Döntőbizottság est susceptible de faire obstacle à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union, dans la mesure où cette disposition ne précise ni les caractéristiques ni la gravité de l’infraction que l’opérateur économique doit avoir commise en relation avec son activité commerciale ou professionnelle, mais prévoit que l’exclusion de celui‑ci de la participation à un marché est la conséquence du simple déroulement d’une procédure judiciaire relative à cette infraction.

18

Dans ces conditions, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Les États membres peuvent-ils prévoir l’exclusion d’un opérateur économique de la participation à un marché public pour des motifs différents de ceux énumérés à l’article 45 de la directive [2004/18], en particulier pour des motifs susceptibles d’être justifiés par des raisons tenant à la protection des intérêts publics, aux intérêts légitimes du pouvoir adjudicateur, à la loyauté de la concurrence ainsi qu’à la préservation d’une concurrence loyale? Dans l’affirmative, l’exclusion d’un opérateur économique de la participation à un marché public est-elle conforme au [considérant 2] de ladite directive ainsi qu’aux articles 18 TFUE, 34 TFUE, 49 TFUE et 56 TFUE, dans la mesure où ledit opérateur a commis une infraction en relation avec son activité commerciale ou professionnelle constatée par une décision de justice ayant autorité de chose jugée, rendue au cours des cinq années qui précèdent?

2)

Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par la négative à la première question, convient-il d’interpréter les dispositions de l’article 45, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2004/18, en particulier celles sous c) et d), en ce sens qu’elles autorisent d’exclure de la participation à un marché public tout opérateur économique qui aurait commis une infraction constatée par une autorité administrative ou judiciaire dans une procédure d’enquête en matière de concurrence ouverte en raison de son activité économique ou professionnelle et qui se serait vu infliger les sanctions prévues en matière de concurrence à raison de ladite infraction?»

Sur les questions préjudicielles

19

À titre liminaire, il importe de constater que si, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, l’article 61, paragraphe 1, sous a), du Kbt permet d’exclure d’une procédure d’appel d’offres un opérateur économique pour toute infraction commise en relation avec son activité commerciale ou professionnelle, sans précision quant aux caractéristiques ou à la gravité de cette infraction, Generali a été exclue de la procédure d’adjudication du marché concerné dans l’affaire au principal, sur le fondement de cette disposition, en raison de l’infraction qu’elle avait commise au droit national de la concurrence, laquelle avait été confirmée par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée et pour laquelle elle s’était vu infliger une amende.

20

Dès lors, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18 TFUE, 34 TFUE, 49 TFUE et 56 TFUE ainsi que l’article 45, paragraphe 2, premier alinéa, sous c) et d), de la directive 2004/18 s’opposent à l’application d’une réglementation nationale excluant la participation à une procédure d’appel d’offres d’un opérateur économique qui a commis une infraction au droit de la concurrence, constatée par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée, pour laquelle il s’est vu infliger une amende.

21

S’agissant, en premier lieu, des dispositions de la directive 2004/18 qui sont visées par les questions préjudicielles, tant Generali, en réponse à une question de la Cour lors de l’audience, que le gouvernement hongrois, dans ses observations écrites, ont constaté que le marché en cause au principal est d’une valeur inférieure au seuil figurant à l’article 7, sous b), premier tiret, de cette directive lequel, selon ce gouvernement, est le seuil pertinent dans la mesure où l’administration nationale des impôts et des douanes n’est pas visée à l’annexe IV de ladite directive. Par conséquent, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, la directive 2004/18 ne s’applique pas à ce marché.

22

Lors de l’audience, Generali ainsi que la Commission européenne ont toutefois relevé que la réglementation hongroise transposant la directive 2004/18 s’applique aussi bien aux marchés atteignant les seuils fixés à l’article 7 de celle-ci qu’à ceux ne les atteignant pas. Dans ce contexte, elles ont rappelé que la Cour s’est déclarée compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions d’un acte de l’Union européenne dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application de cet acte, mais dans lesquelles lesdites dispositions avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 36, et Nolan, C‑583/10, EU:C:2012:638, point 45).

23

Il est vrai que la Cour a déjà jugé que l’interprétation des dispositions d’un acte de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celui-ci se justifie lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent du champ d’application dudit acte (voir, en ce sens, arrêt Nolan, EU:C:2012:638, point 47 et jurisprudence citée).

24

Tel n’est cependant pas le cas dans le contexte de l’affaire au principal.

25

En effet, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni du dossier soumis à la Cour qu’il existerait une disposition du droit hongrois qui rendrait la directive 2004/18 directement et inconditionnellement applicable aux marchés publics dont la valeur n’atteint pas le seuil pertinent prévu à l’article 7 de cette directive.

26

Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de fournir à la juridiction de renvoi, en vue de lui permettre de trancher le litige dont elle est saisie au principal, une interprétation des dispositions de la directive 2004/18 mentionnées dans les questions préjudicielles.

27

En second lieu, pour ce qui est des dispositions du traité FUE évoquées par la juridiction de renvoi, il convient de rappeler que, lorsqu’un marché public ne relève pas du champ d’application de la directive 2004/18 en raison du fait qu’il n’atteint pas le seuil pertinent fixé à l’article 7 de celle-ci, ce marché est soumis aux règles fondamentales et aux principes généraux de ce traité pour autant qu’il présente un intérêt transfrontalier certain eu égard, notamment, à son importance et au lieu de son exécution (voir, en ce sens, arrêts Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce e.a, C‑159/11, EU:C:2012:817, point 23, et Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici, C‑358/12, EU:C:2014:2063, point 24).

28

Cependant, la juridiction de renvoi n’a pas constaté les éléments nécessaires permettant à la Cour de vérifier si, dans l’affaire au principal, il existe un intérêt transfrontalier certain. Or, ainsi qu’il résulte de l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dans sa version entrée en vigueur le 1er novembre 2012, celle-ci doit pouvoir trouver dans une demande de décision préjudicielle un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ainsi que du lien existant notamment entre ces données et ces questions. Dès lors, la constatation des éléments nécessaires permettant la vérification de l’existence d’un intérêt transfrontalier certain, de même que, de façon générale, l’ensemble des constatations auxquelles il incombe aux juridictions nationales de procéder et dont dépend l’applicabilité d’un acte de droit dérivé ou du droit primaire de l’Union, devrait être réalisée préalablement à la saisine de la Cour (voir arrêt Azienda sanitaria locale n. 5 «Spezzino» e.a., C‑113/13, EU:C:2014:2440, point 47).

29

En raison de l’esprit de coopération qui préside dans les rapports entre les juridictions nationales et la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, l’absence de telles constatations préalables par la juridiction de renvoi relatives à l’existence d’un éventuel intérêt transfrontalier certain ne conduit pas à l’irrecevabilité de la demande si, malgré ces défaillances, la Cour, eu égard aux éléments qui ressortent du dossier, estime qu’elle est en mesure de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi. Tel est notamment le cas lorsque la décision de renvoi contient suffisamment d’éléments pertinents pour l’appréciation de l’existence éventuelle d’un tel intérêt. Néanmoins, la réponse fournie par la Cour n’intervient que sous réserve qu’un intérêt transfrontalier certain dans l’affaire au principal puisse, sur la base d’une appréciation circonstanciée de tous les éléments pertinents concernant l’affaire au principal, être constaté par la juridiction de renvoi (voir arrêt Azienda sanitaria locale n. 5 «Spezzino» e.a., EU:C:2014:2440, point 48 et jurisprudence citée). C’est sous cette réserve que sont énoncées les considérations qui suivent.

30

S’agissant des dispositions du traité FUE mentionnées dans ces questions, il ressort de la décision de renvoi que ledit marché porte sur la fourniture de services d’assurance. Dès lors, l’article 34 TFUE, qui concerne la libre circulation des marchandises, ne saurait être d’application. En revanche, les articles 49 TFUE et 56 TFUE, relatifs respectivement à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, doivent être considérés comme pertinents dans le cadre de l’affaire au principal.

31

Dans la mesure où ces dernières dispositions constituent des applications particulières de l’interdiction générale de discrimination en raison de la nationalité consacrée à l’article 18 TFUE, il n’est pas nécessaire, pour répondre aux questions préjudicielles, de se référer à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt Wall, C‑91/08, EU:C:2010:182, point 32 et jurisprudence citée).

32

Les articles 49 TFUE et 56 TFUE s’appliquant à un marché tel que celui en cause au principal, à condition que ce marché présente un intérêt transfrontalier certain, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de respecter l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui découlent de ces articles (voir, en ce sens, arrêt Wall, EU:C:2010:182, point 33 et jurisprudence citée).

33

Or, rien dans le dossier soumis à la Cour ou dans les observations présentées par les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne permet de considérer que l’application de la cause d’exclusion figurant à l’article 61, paragraphe 1, sous a), du Kbt dans une situation telle que celle en cause au principal pourrait être constitutive d’une discrimination, même indirecte, en raison de la nationalité ou enfreindre l’obligation de transparence. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le pouvoir adjudicateur a mentionné expressément, dans l’avis de marché, que la cause d’exclusion visée à ladite disposition du Kbt s’appliquerait au regard de ce marché.

34

En ce qui concerne l’exclusion d’opérateurs économiques d’un marché public dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services prévues aux articles 49 TFUE et 56 TFUE, il convient de relever que l’article 45, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004/18 permet d’exclure tout opérateur «qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier».

35

À cet égard, la Cour a déjà jugé que la notion de «faute en matière professionnelle», au sens de cette dernière disposition, couvre tout comportement fautif qui a une incidence sur la crédibilité professionnelle de l’opérateur en cause et non pas seulement les violations des normes de déontologie au sens strict de la profession à laquelle appartient cet opérateur (voir, en ce sens, arrêt Forposta et ABC Direct Contact, EU:C:2012:801, point 27). Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la commission d’une infraction aux règles de la concurrence, notamment lorsque cette infraction a été sanctionnée par une amende, constitue une cause d’exclusion relevant de l’article 45, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004/18.

36

Or, si une telle cause d’exclusion est possible en application de la directive 2004/18, elle doit a fortiori être considérée comme justifiée en ce qui concerne les marchés publics n’atteignant pas le seuil pertinent défini à l’article 7 de ladite directive et n’étant, par conséquent, pas soumis aux procédures particulières et rigoureuses prévues par cette même directive (voir, en ce sens, arrêt Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici, EU:C:2014:2063, point 37).

37

Par ailleurs, le considérant 101 de la directive 2014/24, adoptée après l’époque des faits au principal, qui énonce que les pouvoirs adjudicateurs devraient avoir la possibilité d’exclure des opérateurs économiques, notamment pour des fautes professionnelles graves, telles que la violation de règles de concurrence, une telle faute pouvant remettre en question l’intégrité d’un opérateur économique, démontre que la cause d’exclusion mentionnée au point 35 du présent arrêt est considérée comme justifiée au regard du droit de l’Union. Au demeurant, l’article 57, paragraphe 4, sous d), de cette directive prévoit de façon claire et précise cette cause d’exclusion.

38

Il convient d’ajouter que, ainsi qu’elle l’a précisé lors de l’audience, Generali ne conteste pas la possibilité pour les États membres de prévoir, dans leur réglementation nationale, une cause d’exclusion d’un marché public fondée sur la commission, par l’opérateur économique concerné, d’une infraction aux règles de la concurrence. Ce qu’elle conteste est la portée de l’article 61, paragraphe 1, sous a), du Kbt qui, selon elle, constitue une cause d’exclusion d’ordre général dépassant largement le cadre des causes d’exclusion figurant à l’article 45 de la directive 2004/18. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 19 du présent arrêt, l’affaire au principal concerne l’exclusion de Generali de la participation au marché concerné au motif qu’elle a commis une infraction aux règles de la concurrence pour laquelle elle s’est vu infliger une amende. Dès lors, un examen de la conformité au droit de l’Union d’autres causes d’exclusion éventuellement couvertes par ladite disposition de la réglementation hongroise n’est pas pertinent aux fins de la solution à apporter au litige au principal.

39

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions préjudicielles que les articles 49 TFUE et 56 TFUE ne s’opposent pas à l’application d’une réglementation nationale excluant la participation à une procédure d’appel d’offres d’un opérateur économique qui a commis une infraction au droit de la concurrence, constatée par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée, pour laquelle il s’est vu infliger une amende.

Sur les dépens

40

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit:

 

Les articles 49 TFUE et 56 TFUE ne s’opposent pas à l’application d’une réglementation nationale excluant la participation à une procédure d’appel d’offres d’un opérateur économique qui a commis une infraction au droit de la concurrence, constatée par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée, pour laquelle il s’est vu infliger une amende.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le hongrois.

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