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Document 62013CC0400

Conclusions de l'avocat général Jääskinen présentées le 4 septembre 2014.
Sophia Marie Nicole Sanders contre David Verhaegen (C-400/13) et Barbara Huber contre Manfred Huber (C-408/13).
Demandes de décision préjudicielle: Amtsgericht Düsseldorf, Amtsgericht Karlsruhe - Allemagne.
Renvoi préjudiciel - Espace de liberté, de sécurité et de justice - Coopération en matière civile - Règlement nº 4/2009 - Article 3 - Compétence pour statuer sur un recours relatif à une obligation alimentaire à l’égard d’une personne domiciliée dans un autre État membre - Réglementation nationale instaurant une concentration des compétences.
Affaires jointes C-400/13 et C-408/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2171

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 4 septembre 2014 ( 1 )

Affaires jointes C‑400/13 et C‑408/13

Sophia Marie Nicole Sanders,

représentée par Marianne Sanders,

contre

David Verhaegen

[demande de décision préjudicielle

formée par l’Amtsgericht Düsseldorf (Allemagne)]

et

Barbara Huber

contre

Manfred Huber

[demande de décision préjudicielle

formée par l’Amtsgericht Karlsruhe (Allemagne)]

«Coopération judiciaire en matière civile — Compétence en matière d’obligations alimentaires — Article 3, sous b), du règlement (CE) no 4/2009 — Action contre une personne ayant sa résidence habituelle dans un autre État — Législation d’un État membre attribuant dans un tel cas une compétence exclusive à la juridiction de première instance établie au siège de la juridiction d’appel régionale dans le ressort de laquelle est située la résidence habituelle de la partie demeurant dans cet État membre — Exclusion d’une telle concentration des compétences»

I – Introduction

1.

Dans les présentes affaires jointes, les demandes de décision préjudicielle présentées par l’Amtsgericht Düsseldorf (tribunal cantonal de Düsseldorf, Allemagne) et par l’Amtsgericht Karlsruhe (tribunal cantonal de Karlsruhe, Allemagne) portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 3, sous a) et b), du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ( 2 ).

2.

Les points a) et b) dudit article 3, parmi d’autres dispositions de ce règlement, régissent la compétence ratione loci des juridictions des États membres ( 3 ) en la matière, en désignant, de façon alternative, «la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle» ou «la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle», étant précisé que le demandeur peut librement choisir entre ces chefs de compétence.

3.

Ces affaires s’inscrivent dans le cadre de deux litiges relatifs à des demandes de pension alimentaire opposant, d’une part, une enfant mineure à son père et, d’autre part, une femme mariée à son époux. Lesdites demandes ont été introduites respectivement devant l’Amtsgericht (juridiction de première instance cantonale) de chacune des villes allemandes où résident habituellement les créancières d’aliments concernées. Toutefois, faisant application d’une disposition ayant mis en œuvre les cas visés par l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009 dans le droit allemand, chacune de ces juridictions s’est dessaisie au profit de l’Amtsgericht établi dans la ville où siège l’Oberlandesgericht (juridiction d’appel régionale) dans le ressort duquel lesdites demanderesses résident.

4.

La Cour est ainsi invitée à déterminer si l’article 3 dudit règlement, lequel est d’applicabilité directe dans les ordres juridiques des États membres, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre telle que celle en cause au principal qui, en matière d’obligations alimentaires, a pour effet de concentrer la compétence judiciaire transfrontalière au profit d’une juridiction qui n’est pas celle dont le ressort ordinaire comprend la localité où réside habituellement la partie demeurant sur le territoire national.

5.

Bien que le règlement no 4/2009 soit d’application depuis le 18 juin 2011 ( 4 ), la Cour n’a encore jamais eu l’opportunité de se prononcer sur l’interprétation des dispositions qu’il contient ( 5 ). Partant, il conviendra, notamment, de s’interroger sur la possibilité, voire la nécessité, de tenir compte des enseignements résultant de la jurisprudence de la Cour relative à d’autres instruments applicables entre les États membres dans le domaine de la compétence judiciaire en matière civile et, si tel est le cas, de déterminer dans quelle mesure un raisonnement par analogie serait pertinent pour interpréter l’article 3 du règlement no 4/2009.

6.

Ce questionnement surgit, en particulier, au vu des similitudes existant entre le libellé dudit article et celui des dispositions relatives à la compétence en matière d’obligations alimentaires qui figurent dans la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 6 ) (ci-après la «convention de Bruxelles») ainsi que dans le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 7 ) (ci‑après le «règlement Bruxelles I»), lequel s’inscrit dans le prolongement de cette convention ( 8 ).

II – Le cadre juridique

A – Le règlement no 4/2009

7.

Le considérant 3 du règlement no 4/2009 fait expressément référence, entre autres instruments, au règlement Bruxelles I. Son considérant 44 précise que ce règlement modifie le règlement Bruxelles I «en remplaçant les dispositions de celui‑ci applicables en matière d’obligations alimentaires». Son considérant 15 ajoute qu’«[a]fin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement [Bruxelles I] devraient être adaptées […] [notamment en ce que] plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé […]».

8.

L’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009 prévoit que «[s]ont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres:

a)

la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

b)

la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, […]».

B – Le droit allemand

9.

Le règlement no 4/2009 a été mis en œuvre en droit allemand par la loi du 23 mai 2011 sur le recouvrement des créances alimentaires dans les relations avec les États étrangers (Auslandsunterhaltsgesetz, ci‑après l’«AUG») ( 9 ).

10.

Dans sa version applicable au moment des faits, l’article 28, paragraphe 1, première phrase, de cette loi, intitulé «Concentration de compétences; […]», prévoit que «[l]orsqu’une partie n’a pas sa résidence habituelle sur le territoire national, l’Amtsgericht du siège de l’Oberlandesgericht dans le ressort duquel la partie défenderesse ou le créancier a sa résidence habituelle est exclusivement compétent pour connaître des demandes en matière d’obligations alimentaires dans les cas visés par l’article 3, sous a) et b), du règlement [no 4/2009]».

III – Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

A – L’affaire Sanders (C‑400/13)

11.

Le 29 mai 2013, l’enfant mineure Sophia Marie Nicole Sanders, représentée par sa mère, a saisi l’Amtsgericht siégeant à Mettmann (Allemagne), ville où est située sa résidence habituelle, afin d’obtenir que son père, M. Verhaegen, qui réside en Belgique, lui verse une pension alimentaire.

12.

Après avoir entendu les parties, l’Amtsgericht Mettmann, faisant application de l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG, a renvoyé l’affaire devant l’Amtsgericht Düsseldorf, comme étant la juridiction de première instance cantonale établie au siège de la juridiction d’appel régionale dans le ressort de laquelle la créancière d’aliments avait sa résidence habituelle, à savoir l’Oberlandesgericht Düsseldorf.

13.

Toutefois, l’Amtsgericht Düsseldorf a mis en doute sa propre compétence territoriale, en considérant que, en vertu de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009, la juridiction compétente devrait être celle du lieu, dans un État membre, où la demanderesse réside habituellement, en l’occurrence l’Amtsgericht Mettmann. Par décision déposée le 16 juillet 2013, l’Amtsgericht Düsseldorf a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 28, paragraphe 1, de [l’AUG] viole‑t‑il l’article 3, sous a) et b), du règlement [no 4/2009]?»

B – L’affaire Huber (C‑408/13)

14.

Mme Huber a engagé une procédure devant l’Amtsgericht siégeant à Kehl (Allemagne), ville où elle réside habituellement, afin que son époux, M. Huber, qui réside à la Barbade, soit condamné à lui verser une pension alimentaire consécutivement à leur séparation.

15.

Dans le cadre d’une procédure préalable concernant l’attribution d’une aide juridictionnelle, l’Amtsgericht Kehl a renvoyé l’affaire devant l’Amtsgericht Karlsruhe, au motif que celui‑ci était seul compétent, sur le fondement de l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG, dès lors que la résidence habituelle de la demanderesse était située dans le ressort de l’Oberlandesgericht Karlsruhe.

16.

Les deux parties au litige au principal ayant émis des doutes quant à la compatibilité dudit article 28 avec l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009, par décision déposée le 18 juillet 2013, l’Amtsgericht Karlsruhe a accepté de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 28, paragraphe 1, première phrase, de [l’AUG], qui prévoit que lorsqu’une partie n’a pas sa résidence habituelle sur le territoire national, l’Amtsgericht du siège de l’Oberlandesgericht dans le ressort duquel la partie défenderesse ou le créancier a sa résidence habituelle est alors exclusivement compétent pour connaître des demandes en matière d’obligations alimentaires dans les cas visés par l’article 3, sous a) et b), du règlement [no 4/2009], est‑il compatible avec cette dernière disposition?»

C – La procédure devant la Cour

17.

Par ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2013, les affaires C‑400/13 et C‑408/13 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

18.

Des observations écrites ont été déposées par le gouvernement allemand et par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience de plaidoiries.

IV – Analyse

A – Sur la teneur des présentes demandes de décision préjudicielle

19.

En raison des difficultés pouvant résulter du libellé des demandes de décision préjudicielle dont la Cour est saisie dans les présentes affaires, il convient tout d’abord de cerner les limites de sa compétence dans ce cadre, puis de préciser quelles sont les dispositions qui doivent être interprétées, au regard tant de l’article 3 que d’autres articles du règlement no 4/2009.

20.

En premier lieu, à l’instar du gouvernement allemand, je préconise que les questions posées par les juridictions de renvoi soient reformulées par la Cour, conformément à sa jurisprudence, en ce sens que leur objet devrait être non pas d’interpréter les dispositions de droit allemand visées par ces questions et d’apprécier si elles portent atteinte au droit de l’Union, puisque cela ne relève pas de sa compétence dans le cadre des recours fondés sur l’article 267 TFUE ( 10 ), mais d’analyser l’article 3 du règlement no 4/2009 de façon à fournir aux juges nationaux tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union utiles pour qu’ils tranchent les litiges dont ils sont saisis ( 11 ).

21.

En deuxième lieu, il y a lieu de relever que les deux juridictions de renvoi invitent la Cour à se prononcer sur l’interprétation tant du point a) que du point b) de l’article 3 du règlement no 4/2009, étant rappelé que l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG s’applique «dans les cas visés par l’article 3, sous a) et b), [dudit règlement]» (souligné par mes soins).

22.

Toutefois, la Commission fait valoir que ces demandes de décision préjudicielle sont manifestement irrecevables pour autant qu’elles portent sur l’article 3, sous a), de ce règlement, dès lors que, au vu des circonstances des litiges au principal, seul le point b) dudit article a un rapport avec la réalité ou l’objet de ces litiges et est donc pertinent en l’espèce.

23.

Il est vrai que dans les deux procédures qui sont pendantes au principal, les parties demanderesses sont des créancières d’aliments ayant choisi de saisir un tribunal situé sur le territoire allemand, où elles résident habituellement, et qu’une telle situation relève du champ d’application de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009. C’est dans ce contexte que les juridictions de renvoi s’interrogent sur le point de savoir quelle est celle parmi les juridictions allemandes qui, sur le fondement de cette disposition, doit être considérée comme compétente ratione loci au titre du «lieu où le créancier a sa résidence habituelle», en raison des doutes semés par une disposition de droit allemand.

24.

En revanche, l’application de l’article 3, sous a), de ce règlement, qui vise la compétence de la juridiction du «lieu de résidence habituelle du défendeur», ne pose pas de problème concret dans le cadre des présents litiges au principal. Par conséquent, suivant la jurisprudence selon laquelle la Cour ne saurait statuer sur une question ou une partie de question préjudicielle qui ne répond manifestement pas à un besoin objectif inhérent à la solution du contentieux qui est pendant devant la juridiction de renvoi ( 12 ), je considère que la réponse qui sera donnée dans les présentes affaires devrait se limiter à l’interprétation du point b) de l’article 3 du règlement no 4/2009.

25.

Néanmoins, afin de procéder à cette interprétation, il conviendra de tenir compte du système plus général dans lequel la disposition pertinente s’inscrit ( 13 ), et notamment de relever le fait que les points a) et b) dudit article 3 sont libellés de façon identique en ce qui concerne l’expression donnant lieu à interrogations ( 14 ) et que lesdits points sont applicables alternativement dans le même cas de figure, à savoir lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est faite à titre principal ( 15 ).

26.

En troisième lieu, il peut être observé que, dans sa décision de renvoi relative à l’affaire Huber (C‑408/13), l’Amtsgericht Karlsruhe évoque la possibilité que le caractère exclusif de la compétence prévue par l’article 28, paragraphe 1, première phrase, de l’AUG soit contraire non seulement à l’article 3 du règlement no 4/2009 mais aussi à ses articles 4 et 5 ( 16 ), sans toutefois viser ces derniers dans la question préjudicielle qu’il soumet. La Commission propose que la Cour procède à l’interprétation desdits articles 4 et 5, pour le cas où cette juridiction de renvoi, au‑delà de la question qu’elle a formulée, souhaiterait savoir si la concentration des compétences en question est également incompatible avec ces dispositions.

27.

Je considère que, conformément à la jurisprudence de la Cour ( 17 ), il n’y a pas lieu que celle‑ci se prononce à cet égard, dès lors que l’Amtsgericht Karlsruhe a circonscrit la question dont il a saisi la Cour à la définition de la portée de l’article 3 du règlement no 4/2009, tandis que les articles 4 et 5 de ce règlement sont certes évoqués mais ne font pas l’objet de cette question, faute de caractère décisif pour statuer sur sa propre compétence selon l’appréciation effectuée par cette juridiction ( 18 ).

B – Sur les enseignements à tirer d’un rapprochement avec d’autres instruments

28.

La Cour étant amenée à interpréter le règlement no 4/2009 pour la première fois dans les présentes affaires, il y a lieu de se demander si des pistes de réflexion voire des éléments de réponse peuvent être trouvés au vu d’instruments voisins. À cet égard, il convient, tout d’abord, d’examiner s’il est pertinent d’opérer un rapprochement avec des conventions internationales ou d’autres règlements relatifs à la compétence judiciaire en matière civile, dont certains contiennent des dispositions présentant de réelles similitudes avec celles de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 (1). Dans l’affirmative, il faudra ensuite déterminer, eu égard aux spécificités de ce dernier texte, dans quelle mesure un tel rapprochement permet d’effectuer une interprétation par analogie, et en particulier de tenir compte de la jurisprudence de la Cour relative à ces autres instruments (2).

1. Sur la possibilité d’un rapprochement avec d’autres instruments

29.

L’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 est libellé en des termes semblables à ceux des règles de «compétences spéciales» en matière d’obligations alimentaires figurant à l’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles ( 19 ) et à l’article 5, point 2, du règlement Bruxelles I, lesquels énoncent que la juridiction compétente en la matière est «le tribunal du lieu où le créancier d’aliments a son domicile ou sa résidence habituelle» ( 20 ).

30.

Nonobstant le fait que les obligations alimentaires se trouvent désormais exclues du champ d’application du règlement Bruxelles I ( 21 ), la jurisprudence de la Cour portant sur les dispositions de la convention de Bruxelles et sur celles dudit règlement demeure, à mon avis, pertinente pour analyser les dispositions correspondantes du règlement no 4/2009. Ainsi, même si une telle approche analogique devra être quelque peu nuancée, il me semble opportun que les notions qui font l’objet des présentes demandes de décision préjudicielle soient interprétées à la lumière de cette jurisprudence, pour les raisons exposées ci-après.

31.

Premièrement, les liens substantiels qui existent entre le règlement Bruxelles I et le règlement no 4/2009 sont patents à la lecture de ce dernier, puisque son préambule en fait plusieurs fois mention ( 22 ) et son article 68, paragraphe 1, énonce expressément qu’il remplace les dispositions du règlement Bruxelles I qui étaient applicables en matière d’obligations alimentaires.

32.

Deuxièmement, s’agissant plus spécifiquement des règles de compétence qui figurent à l’article 3 du règlement no 4/2009, la genèse de cette disposition conforte l’existence de tels liens. En effet, la proposition initiale de la Commission met en exergue la nécessité d’améliorer les possibilités déjà offertes au créancier d’aliments par les règles de compétence énoncées par le règlement Bruxelles I ( 23 ). La communication portant commentaire de cette proposition ( 24 ) confirme que ledit article 3 reproduit pour l’essentiel les dispositions correspondantes du règlement Bruxelles I ( 25 ), auxquelles certaines modifications ont toutefois été apportées afin de lever des ambiguïtés ( 26 ), d’adapter ces dispositions aux particularités du droit de la famille ( 27 ) et d’élargir leur champ d’application ( 28 ).

33.

Au vu de ces éléments, je considère possible d’accepter comme prémisse qu’il convient d’interpréter les dispositions de ce dernier article dans un sens conforme à la jurisprudence relative aux dispositions de la convention de Bruxelles et à celles du règlement Bruxelles I pour autant qu’elles soient équivalentes ( 29 ), avec toutefois quelques réserves tenant aux finalités propres au règlement no 4/2009 qui seront exposées ci‑dessous ( 30 ).

34.

Afin d’être exhaustif, il y a lieu d’examiner s’il serait pertinent d’effectuer un rapprochement avec des instruments autres que ladite convention et ledit règlement qui sont aussi applicables dans le domaine de la compétence judiciaire en matière civile, et plus particulièrement en matière familiale ( 31 ).

35.

S’agissant de la convention de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille ( 32 ), le considérant 8 du règlement no 4/2009 énonce qu’il est nécessaire d’en tenir compte dans l’application de ce dernier ( 33 ). Cette convention ne contient pas de règles de compétence directe ( 34 ), mais les documents préparatoires y afférents fournissent une indication utile pour se prononcer en l’espèce, en ce qu’ils précisent que les dispositions prévoyant une compétence attachée au lieu de la résidence ou du domicile du créancier «procède[nt] de la volonté de protéger la partie (habituellement) la plus faible (c’est‑à‑dire le créancier) en lui offrant un for commode dans lequel introduire son action, c’est‑à‑dire, chez elle» ( 35 ).

36.

S’agissant du règlement usuellement dénommé «Bruxelles II bis» ( 36 ), les obligations alimentaires sont certes exclues de son champ d’application ( 37 ), en raison de l’existence de dispositions spéciales, figurant à l’époque de son adoption dans le règlement Bruxelles I et actuellement dans le règlement no 4/2009. Il peut néanmoins être observé, à titre de comparaison, que les règles de compétence qu’il énonce ont pour point commun de désigner «les juridictions [d’un] État membre» ( 38 ), et non «la juridiction du lieu où», comme le fait l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 ( 39 ).

2. Sur la portée du rapprochement avec d’autres instruments

37.

D’emblée, je précise que si l’interprétation des règles de compétence posées par le règlement no 4/2009 doit selon moi être effectuée à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative aux dispositions correspondantes de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I, la transposition des principes qui résultent de cette jurisprudence ne saurait être effectuée d’une façon mécanique.

38.

En effet, une telle interprétation par analogie trouve ses limites eu égard à l’objet spécifique du règlement no 4/2009, qui a conduit à rendre nécessaires des adaptations par rapport aux règles de compétence figurant dans le règlement Bruxelles I ( 40 ), même si, contrairement à ce qui a pu être relevé au sujet du règlement Bruxelles II bis ( 41 ), le règlement no 4/2009 porte non pas seulement sur la matière extrapatrimoniale mais aussi sur la matière patrimoniale. Je souligne que le champ d’application de cet instrument hybride a été conçu de façon plus extensive que celui, notamment, du règlement Bruxelles I, tant sur le plan matériel ( 42 ) que sur le plan géographique ( 43 ).

39.

À mon avis, il y a peu d’hésitations à avoir concernant la transposition en l’espèce du principe, appliqué de façon constante par la Cour à l’égard de l’interprétation des dispositions de la convention de Bruxelles et de celles du règlement Bruxelles I ( 44 ), selon lequel des notions telles que celles employées dans le règlement no 4/2009 doivent faire l’objet d’une définition autonome, c’est‑à‑dire détachée des acceptions prévalant dans l’un ou l’autre des États membres, en vue d’assurer, dans la mesure du possible, l’égalité et l’uniformité des droits et obligations qui découlent de cet instrument pour les États membres et les personnes intéressées. À cet égard, le considérant 11 du règlement no 4/2009 précise que la notion d’«obligation alimentaire» au sens de ce dernier «devrait être interprétée de manière autonome» ( 45 ), ce qui consacre la méthode ayant été suivie par la Cour dans sa jurisprudence relative à l’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles ( 46 ), laquelle a explicitement admis aussi l’autonomie de la notion de créancier d’aliments ( 47 ). Dès lors, je considère qu’aux fins de répondre aux questions posées dans les présentes affaires, il convient de se référer au système et aux objectifs du règlement concerné ( 48 ).

40.

En outre, bien que le préambule de ce dernier ne l’indique pas expressément, il me paraît indéniable que les objectifs généraux énoncés au considérant 15 du règlement Bruxelles I ( 49 ) constituent également le fondement des règles de compétence que le règlement no 4/2009 prévoit ( 50 ). Toutefois, ce sont principalement les finalités propres à ce dernier, à savoir «préserver les intérêts des créanciers d’aliments» et «favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne» ( 51 ), qui doivent guider l’interprétation de la Cour en l’espèce. Il faut ne pas omettre que le souci de renforcer la protection des intérêts légitimes de tous les créanciers d’aliments ( 52 ) a effectivement été l’une des raisons majeures pour lesquelles le législateur européen a décidé de soustraire les obligations alimentaires du champ d’application du règlement Bruxelles I, relatif aux obligations pécuniaires en général, et d’adopter l’instrument spécifique que constitue le règlement no 4/2009 ( 53 ). Ledit souci ressort d’ailleurs clairement des dispositions de celui‑ci ( 54 ).

41.

Par conséquent, je suis d’avis qu’il convient, dans le cadre des présentes affaires, de prendre en compte autant que possible la jurisprudence antérieure de la Cour relative à l’interprétation des dispositions équivalentes de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I, mais avec les adaptations éventuellement requises par les particularités du règlement no 4/2009.

C – Sur l’interprétation de l’expression «la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle» au sens de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009

42.

Les questions préjudicielles posées respectivement par l’Amtsgericht Düsseldorf et par l’Amtsgericht Karlsruhe sont identiques en substance. Compte tenu des clarifications apportées ci‑dessus ( 55 ), elles doivent être entendues comme tendant à déterminer si l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 doit être interprété, selon moi de façon autonome ( 56 ), en ce sens qu’il serait admissible qu’une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal ( 57 ), prévoie, pour les litiges transfrontaliers, une concentration régionale des compétences auprès d’une juridiction de première instance qui n’est pas nécessairement identique à la juridiction du même ordre dans le ressort de laquelle le créancier a sa résidence habituelle mais dont la compétence territoriale est déterminée en fonction du siège de la juridiction d’appel dans le ressort de laquelle ce dernier a sa résidence habituelle.

43.

Dans leurs observations, le gouvernement allemand et la Commission proposent de façon concordante de répondre que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une règle de compétence telle que celle résultant de la disposition allemande concernée. En revanche, tant dans l’affaire Sanders (C‑400/13) ( 58 ) que dans l’affaire Huber (C‑408/13) ( 59 ), les juridictions de renvoi ont exprimé un point de vue contraire.

44.

Cette dernière approche me paraît être la mieux fondée pour des motifs tenant à la fois à la finalité de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 (1), au libellé de cette disposition et à la nature même de l’instrument où elle figure (2), ainsi qu’au système dans lequel elle s’inscrit (3). L’ensemble de ces considérations conduit à une prise de position qui, selon moi, ne peut être valablement contrecarrée par les arguments ayant été avancés au soutien de la règle allemande en cause au principal (4).

1. Sur l’interprétation téléologique

45.

Le gouvernement allemand et la Commission concèdent que l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 a vocation à régir tant la compétence transfrontalière des juridictions des États membres que la compétence territoriale au sein de chaque État membre ( 60 ).

46.

Comme je l’ai déjà relevé ( 61 ), l’un des principaux objectifs du règlement no 4/2009, qui trouve une application à son article 3, est la protection du créancier d’aliments, lequel est considéré comme la partie la plus vulnérable dans la relation née d’une obligation alimentaire et dans la procédure qui peut en découler ( 62 ). Cette considération a aussi été mise en exergue par la Cour dans sa jurisprudence relative à l’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles ( 63 ).

47.

À cet égard, les considérants 5 et 9 du règlement no 4/2009 rappellent que l’une des finalités de l’adoption de celui‑ci a été de simplifier pour les créanciers, encore davantage que ne le permettaient la convention de Bruxelles et le règlement Bruxelles I, les voies d’obtention et de recouvrement d’une pension alimentaire dont ils disposent, notamment par la suppression de l’exequatur pour les décisions en ce domaine à condition qu’elles aient été rendues dans le respect de certaines garanties minimales de procédure énoncées par ce règlement ( 64 ).

48.

Selon le gouvernement allemand et la Commission, la législation allemande en cause au principal ne serait pas contraire à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 et, notamment, à la fonction protectrice du créancier qu’ils reconnaissent à cette disposition.

49.

Cela m’apparaît discutable, surtout au regard de l’objectif complémentaire qui est visé par cette disposition, à savoir la garantie d’une proximité entre le créancier et la juridiction saisie. Ce double but, de protection et de proximité, sous‑tendait déjà la règle de compétence posée à l’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles ( 65 ), dont l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 est clairement l’équivalent, et il a été renforcé par ce dernier ( 66 ). En effet, selon l’exposé des motifs de la proposition de la Commission tendant à l’adoption dudit règlement, «[l]es règles de compétence internationale du règlement Bruxelles I offrent déjà au créancier d’aliments la possibilité d’agir devant une autorité proche de chez lui, mais la situation peut être encore améliorée» ( 67 ). Une telle considération implique concrètement de veiller à ce que le créancier puisse plaider sans trop de difficultés matérielles liées aux déplacements, mais aussi qu’il puisse faire valoir ses droits devant la juridiction qui est la mieux placée pour connaître les particularités économiques locales, aux fins de définir les ressources et les besoins du créancier et, corrélativement, la capacité du débiteur d’aliments à contribuer à ces derniers ( 68 ).

50.

Je considère que le système harmonisé de règles de compétence instauré par le règlement no 4/2009 et les avantages qui en découlent risqueraient de perdre leur effet utile, notamment sous l’angle de la sécurité juridique, si la Cour retenait en l’espèce une interprétation de l’article 3, sous b), de ce règlement qui permettrait que les États membres réintroduisent au niveau national des règles de compétence propres aux litiges transfrontaliers, comme celle en cause au principal, laquelle réserve la compétence à la juridiction de première instance du siège de la juridiction d’appel régionale dans le ressort de laquelle le créancier a sa résidence habituelle même dans le cas où cette résidence n’est pas située dans le ressort ordinaire de ladite juridiction.

51.

Or, dans des circonstances telles que celles des litiges au principal, le créancier réside certes bel et bien dans le ressort de la juridiction d’appel régionale concernée, mais pas dans le ressort de la juridiction de première instance à laquelle la disposition allemande en cause attribue la compétence territoriale. En effet, il n’existe aucun doute que, en l’espèce, ce sont l’Amtsgericht Mettmann et l’Amtsgericht Kehl qui sont les juridictions des lieux où les créanciers d’aliments concernés ont respectivement leur résidence habituelle. En d’autres termes, l’article 28, paragraphe 1, première phrase, de l’AUG ne se limite pas à donner une définition nationale de la notion de «juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle», au sens de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009, mais constitue plutôt une disposition qui procède à la répartition des compétences des juridictions de première instance en fonction de la localisation de ladite résidence dans le ressort de juridictions d’appel, qui elles-mêmes ne sont pas compétentes pour statuer en première instance sur le litige relatif à une obligation alimentaire.

52.

Un autre objectif, plus général, du système harmonisé prévu par le règlement no 4/2009, à l’instar de celui instauré par la convention de Bruxelles puis par le règlement Bruxelles I, est d’éviter autant que possible le renvoi à des règles de compétence du droit national ( 69 ). Comme cela a été souligné dans les rapports relatifs à la convention de Bruxelles, les règles de compétence spéciales qu’elle contient visaient à permettre que la compétence des juridictions des États concernés puisse être définie sans devoir se référer à la loi du for ( 70 ). Ce rejet des règles nationales ou exorbitantes de compétence facilite ensuite la reconnaissance des décisions dans tous les États membres, ce qui constitue la pierre angulaire du système européen de coopération judiciaire en matière civile. Or, parmi ces règles de compétences spéciales, figure l’article 5, point 2, de cette convention qui est applicable en matière d’obligations alimentaires, dont l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 est dérivé.

53.

Une telle exclusion des règles de compétence issues du droit national est confirmée par le libellé de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009, surtout si celui‑ci est mis en perspective avec la formulation d’autres dispositions voisines.

2. Sur l’interprétation littérale

54.

D’emblée, j’entends souligner qu’il me paraît peu raisonnable de considérer, comme le suggère le gouvernement allemand, que si l’orientation préconisée par les juridictions de renvoi était suivie, cela conduirait à ce que l’expression «lieu où» figurant à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 soit interprétée textuellement, de telle sorte que le créancier devrait pouvoir agir dans la ville même où il réside et qu’il faudrait donc qu’une juridiction soit disponible «en chaque point géographique imaginable ou en chaque commune de l’État membre».

55.

Il est indéniablement d’usage que l’organisation judiciaire des États membres repose sur le principe que toute juridiction dispose d’un ressort géographique correspondant à une portion du territoire national sur l’étendue de laquelle elle exerce ses attributions, qui est susceptible d’englober non pas une seule mais plusieurs localités, villes ou communes ( 71 ).

56.

Ladite expression doit, selon moi, plutôt être entendue comme signifiant simplement que la règle de compétence en question désigne la juridiction dans le ressort ordinaire de laquelle est située la résidence habituelle du créancier, sans qu’une quelconque mesure de mise en œuvre en droit national soit utile ou même envisageable ( 72 ).

57.

À cet égard, je rappelle que, conformément à l’article 288 TFUE, un règlement du droit de l’Union a une portée générale et il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre ( 73 ). Selon une jurisprudence classique, toute mesure nationale visant à incorporer ou à transposer les dispositions d’un règlement en droit interne est exclue, à défaut de compétence législative dans le chef des États membres. Ce n’est que si le règlement lui-même renvoie à des dispositions nationales le mettant en œuvre, ou s’il est nécessaire pour assurer son application d’adopter des dispositions plus détaillées au niveau national, que les États membres sont tenus de le compléter par des mesures nationales ( 74 ). Selon moi, l’article 28, paragraphe 1, première phrase, de l’AUG va au-delà de ce qui est permis au législateur national, puisque la règle de compétence prévue à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009, qui est directement applicable, n’a nul besoin de concrétisation particulière au niveau national.

58.

En effet, la formulation de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 est particulière en ce que, en visant «la juridiction du lieu où», elle pose une règle de compétence spéciale qui permet d’identifier directement un tribunal ou une cour, sans détour par le droit interne des États membres ( 75 ). Ainsi que le reconnaît la Commission, cette disposition diffère de celles qui se réfèrent non pas à une juridiction unique mais, au contraire, à l’ensemble des juridictions d’un État membre, tels l’article 6 de ce règlement ( 76 ) ou l’article 2, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I ( 77 ). De surcroît, les auteurs du règlement no 4/2009 ont opté à l’article 3, sous a) et b), pour une expression, le «lieu où», qui est notablement distincte de celle de «l’État membre» dans lequel l’une des parties a sa résidence habituelle, qui a été retenue par exemple à l’article 4, sous a).

59.

La particularité de cette formulation devrait selon moi conduire à exclure de transposer en l’espèce la position prise par la Cour dans l’arrêt Apostolides ( 78 ), selon laquelle la détermination des juridictions compétentes au sens de l’article 22 du règlement Bruxelles I ne restreint pas la faculté de chaque État membre de déterminer sa propre organisation juridictionnelle et de répartir les compétences judiciaires au sein de son territoire ( 79 ). En effet, le point 1 dudit article 22, qui était interprété dans cet arrêt, fait référence aux «tribunaux de l’État membre où l’immeuble est situé», tandis que l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 vise «la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle» (souligné par mes soins). La différence de terminologies permet à mon avis une interprétation distincte, voire opposée, de ces deux dispositions.

60.

Malgré sa particularité, le libellé de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 n’est cependant pas novateur, puisqu’une formule équivalente figure aussi dans une série de dispositions de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I ( 80 ), pour lesquelles la Cour n’a, à ma connaissance, jamais considéré que les États membres auraient la faculté d’en changer la portée au moyen de règles de compétence issues du droit national ( 81 ). Il n’y a donc pas lieu, à mon avis, de l’admettre dans le cadre des présentes affaires.

3. Sur l’interprétation systémique

61.

Conformément à l’approche retenue par la Cour à l’égard, notamment, d’autres instruments relatifs à la coopération judiciaire en matière civile ( 82 ), l’interprétation de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 doit être conduite en tenant compte des dispositions qui l’entourent dans ce règlement, car la règle de compétence qu’il énonce n’est pas isolée mais fait partie d’un ensemble de normes qui sont complémentaires les unes par rapport aux autres.

62.

Tout d’abord, il peut être observé que l’article 3 de ce règlement énonce quatre chefs de compétence qui sont applicables de façon alternative, sans hiérarchie, contrairement à l’articulation entre la règle de compétence générale et les règles de compétence spéciales figurant à la fois dans la convention de Bruxelles et dans le règlement Bruxelles I ( 83 ). Par ailleurs, l’option qui est offerte au choix du demandeur en particulier par les points a) et b) dudit article 3 apparaît plus neutre que dans ces deux autres instruments, puisqu’il est indifférent que ce soit le créancier ou le débiteur d’aliments qui exerce cette option, même si, en pratique, ce dernier reste moins avantagé par le règlement no 4/2009 que ne l’est le créancier ( 84 ).

63.

La structure particulière de l’article 3 du règlement no 4/2009 est, selon moi, fort instructive pour répondre aux questions posées dans les présentes affaires. À cet égard, il convient de relever que les points a) et b) de cet article régissent tous deux les situations où la demande portant sur une obligation alimentaire est formée à titre principal. En revanche, les points c) et d) du même article s’appliquent dans les cas où une telle demande est non pas isolée mais «accessoire» à une autre action relative, respectivement, soit à l’état des personnes, soit à la responsabilité parentale. Or, ce n’est que dans ces derniers cas qu’il est expressément prévu un renvoi à la loi du for pour déterminer quelle est la juridiction compétente ( 85 ). A contrario, il n’a été laissé, à mon avis sciemment, aucune place à des règles nationales dans le cadre desdits points a) et b).

64.

Cette position est renforcée à la lumière d’une comparaison avec d’autres dispositions issues du règlement no 4/2009. En particulier, l’article 71, paragraphe 1, prévoit que les États membres communiquent des informations concernant, notamment, le nom des juridictions compétentes pour statuer sur les demandes de déclaration constatant la force exécutoire, conformément à l’article 27, paragraphe 1, du même règlement ( 86 ). C’est à ce titre seulement que la République fédérale d’Allemagne, de même que les autres États membres, a pu décider que, s’agissant de son territoire, «[s]tatue sur [de telles] demandes […] la chambre compétente en matière familiale du tribunal cantonal (Amtsgericht) au siège du tribunal régional supérieur (Oberlandesgericht) dans le ressort duquel réside habituellement la personne contre laquelle la demande est dirigée ou dans le ressort duquel l’exécution est demandée (concentration de compétences) […]» ( 87 ). En revanche, l’article 3, sous b), dudit règlement n’ouvre pas de possibilité semblable.

65.

Il ressort de cette analyse menée sous l’angle de l’économie générale du règlement concerné que, par la façon dont il a formulé cette dernière disposition, le législateur de l’Union a volontairement restreint la latitude des États membres quant à la détermination des juridictions nationales qui sont compétentes en matière d’obligations alimentaires.

4. Sur les justifications tirées d’une concentration des compétences

66.

Afin de défendre la règle allemande ici mise en cause, le gouvernement allemand et la Commission développent une argumentation qui n’est pas convaincante à mon avis.

67.

Selon eux et d’après les éléments versés au dossier, il apparaît que le législateur allemand aurait estimé que la concentration des compétences prévue à l’article 28 de l’AUG en matière d’obligations alimentaires internationales aurait un impact positif sur l’organisation de la justice, car elle permettrait d’avoir un tribunal spécialisé, donc doté d’une expertise plus élevée dans ce type de contentieux, qui opère dans chaque région du territoire allemand.

68.

Dans l’affaire Huber (C‑408/13), la juridiction de renvoi indique que, à son avis, l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG comporte en substance une réglementation de la compétence ratione loci, même si le législateur allemand a associé cette disposition à l’organisation et la simplification de la procédure judiciaire. Ainsi, sous couvert de tels avantages procéduraux, dont cette juridiction conteste d’ailleurs la réalité ( 88 ), la législation en cause serait susceptible d’affecter les règles de compétence transfrontalières prévues par le droit de l’Union.

69.

Il est vrai que le fait de favoriser une bonne administration de la justice, notamment par un regroupement des affaires les plus complexes dans le chef d’une même juridiction, correspond à l’une des finalités du règlement no 4/2009 qui sont mentionnées à son considérant 15. Cependant, cet objectif doit être entendu non pas uniquement dans le sens d’une organisation judiciaire la plus rationalisée possible, mais aussi sous l’angle de l’intérêt des plaideurs, qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur, de bénéficier, notamment, d’un accès facilité à la justice et d’une prévisibilité de la compétence, grâce à un lien étroit entre la juridiction et le litige ( 89 ).

70.

À cet égard, certains arrêts de la Cour relatifs à des normes de régulation des compétences internes ayant été adoptées par un État membre pourraient être évoqués, mais un doute sérieux existe selon moi quant à la possibilité de transposer cette jurisprudence dans le présent domaine de la coopération judiciaire civile entre les États membres.

71.

La Cour a déjà jugé que, en l’absence de réglementation du droit de l’Union dans le domaine concerné, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de définir le nombre de degrés de juridiction ou de régler les modalités procédurales et désigner les juridictions compétentes pour l’exercice des voies de recours internes, en précisant que de telles règles qui poursuivent un intérêt général de bonne administration de la justice doivent prévaloir sur les intérêts particuliers, sous réserve toutefois que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés ( 90 ).

72.

En vertu de ces principes, l’adoption par un État membre de telles règles de procédure ou de compétence n’est admissible que dans la mesure où, d’une part, les recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne sont pas exercés dans des conditions moins favorables que celles prévues pour les recours destinés à protéger les droits tirés de la législation interne et, d’autre part, que ces règles ne causent pas aux justiciables des inconvénients procéduraux de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits tirés du droit de l’Union ( 91 ).

73.

Toutefois, je suis d’avis que cette jurisprudence relative à l’autonomie procédurale des États membres n’est pas pertinente en l’espèce compte tenu des différences notables qui existent entre le contexte dans lequel s’inscrivent les arrêts en question et celui des présentes affaires. En effet, la Cour est, en l’occurrence, interrogée non pas au sujet de dispositions procédurales de droit interne d’un seul État membre, mais sur l’interprétation de règles de compétence qui ont été uniformisées entre tous les États membres au titre de la coopération judiciaire en matière civile ( 92 ). De surcroît, il ne s’agit pas ici de la protection judiciaire, au niveau national, de l’exercice de droits matériels ayant été conférés par le droit de l’Union.

74.

En tout état de cause, dans l’hypothèse où cette jurisprudence serait néanmoins transposée dans des circonstances telles que celles des litiges au principal, la justification tirée de l’objectif d’une bonne administration de la justice se trouve limitée par les conditions posées par la Cour, qui encadrent l’intervention des États membres en matière de procédures judiciaires, à savoir notamment de ne pas rendre moins favorable l’exercice par les justiciables des prérogatives qu’ils tirent du droit de l’Union. Or, en l’occurrence, il m’apparaît que la législation allemande a pour effet, s’agissant des obligations alimentaires transfrontalières, de retirer ses attributions à la juridiction qui est normalement compétente en raison du lieu de résidence habituelle des créanciers, c’est-à-dire sur le fondement d’un lien étroit entre le for et le litige, tandis que cette compétence reste intacte pour statuer sur des demandes identiques mais, quant à elles, dénuées d’éléments d’extranéité.

75.

Par conséquent, je considère que l’expression «la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle» doit être interprétée en ce sens que c’est la juridiction dans le ressort ordinaire de laquelle est située la résidence habituelle du créancier d’aliments concerné qui est compétente en application de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009. Il en résulte que n’est pas compatible avec ces dispositions une législation d’un État membre telle que celle en cause au principal, en ce qu’elle est susceptible de conduire, pour les situations transfrontalières, à un transfert de compétence territoriale au profit d’une juridiction de première instance autre que celle dont l’intéressé relève en principe en raison du lieu de sa résidence.

V – Conclusion

76.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées respectivement par l’Amtsgericht Düsseldorf (affaire C‑400/13) et par l’Amtsgericht Karlsruhe (affaire C‑408/13) de la manière suivante:

«L’article 3, sous b), du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, doit être interprété en ce sens que l’expression «la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle» signifie qu’est territorialement compétente la juridiction dans le ressort ordinaire de laquelle l’intéressé réside habituellement, de sorte que n’est pas compatible avec ladite disposition une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, en cas de litiges transfrontaliers, réserve une compétence exclusive à la juridiction de première instance établie auprès du siège de la juridiction d’appel régionale dans le ressort de laquelle est située la résidence habituelle de la partie demeurant dans cet État membre.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO 2009, L 7, p. 1, et rectificatifs JO 2011, L 311, p. 26, et JO 2013, L 8, p. 19.

( 3 ) Compte tenu des considérants 46 à 48 du règlement no 4/2009, il convient de préciser que l’Irlande (voir ledit considérant 46), le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord [voir décision 2009/451/CE de la Commission, du 8 juin 2009, sur l’intention du Royaume-Uni d’accepter le règlement no 4/2009 (JO L 149, p. 73)] ainsi que le Royaume de Danemark [accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale voir (JO 2009, L 149, p. 80)] ont notifié leur décision de l’appliquer.

( 4 ) Voir article 76 dudit règlement, complété par une déclaration de la Communauté européenne à cet égard (déclaration accessible à l’adresse Internet http://www.hcch.net/index_fr.php?act=status.comment&csid=1065&disp=type).

( 5 ) Dans l’affaire Nagy (C‑442/13), la Cour avait été saisie par l’Oberster Gerichtshof (Autriche) d’une demande d’interprétation de l’article 12 du règlement no 4/2009, relatif à la litispendance, mais cette affaire a été radiée le 18 juin 2014 à la suite d’un retrait de ladite demande.

( 6 ) JO 1972, L 299, p. 32.

( 7 ) JO 2001, L 12, p. 1.

( 8 ) Voir, notamment, arrêt Refcomp (C‑543/10, EU:C:2013:62, point 18).

( 9 ) BGBl. 2011 I, p. 898.

( 10 ) Contrairement à ce qu’il lui serait possible de faire dans le cadre de la procédure prévue à l’article 258 TFUE. Voir, notamment, arrêts Stadt Papenburg (C‑226/08, EU:C:2010:10, point 23); Varzim Sol (C‑25/11, EU:C:2012:94, point 27), ainsi que Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 58).

( 11 ) Arrêts Rhône‑Alpes Huiles e.a. (295/82, EU:C:1984:48, point 12); Sodiprem e.a. (C‑37/96 et C‑38/96, EU:C:1998:179, point 22), ainsi que ASM Brescia (C‑347/06, EU:C:2008:416, points 25 et 26).

( 12 ) Voir, notamment, arrêts Banchero (C‑387/93, EU:C:1995:439, points 18 et suiv.) ainsi que Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709, points 36 et suiv.).

( 13 ) À cet égard, voir points 61 et suiv. des présentes conclusions.

( 14 ) En effet, l’expression «la juridiction du lieu où […] a sa résidence habituelle» figure tant au point a) qu’au point b) de l’article en cause.

( 15 ) Et non de façon accessoire à une autre action en justice, ces cas de figure étant régis par les points c) et d) du même article.

( 16 ) Lesdits articles 4 et 5 sont relatifs à la compétence fondée, respectivement, soit sur une convention d’élection de for, soit sur la comparution volontaire du défendeur. Dans l’affaire Sanders (C‑400/13), l’Amtsgericht Düsseldorf n’en fait, en revanche, aucunement mention, étant précisé que le paragraphe 3 de l’article 4 prévoit que ce dernier n’est pas applicable dans un litige portant sur une obligation alimentaire à l’égard d’un enfant âgé de moins de 18 ans, ce qui est le cas dans cette affaire.

( 17 ) Voir, notamment, arrêts Affish (C‑183/95, EU:C:1997:373, point 24) ainsi que Kaba (C‑466/00, EU:C:2003:127, point 41).

( 18 ) Pour justifier de la «[n]écessité du renvoi préjudiciel», elle indique, d’une part, que «[l]a question de la compatibilité de l’article 28, paragraphe 1, première phrase, de l’AUG avec l’article 3, sous a) et b), du règlement [no 4/2009] est déterminante à la solution du litige. La compétence territoriale de l’Amtsgericht Kehl ou de l’Amtsgericht Karlsruhe en dépend», et, d’autre part, que les doutes des parties, qui ont sollicité le renvoi préjudiciel, portent sur cette seule question.

( 19 ) Tel que modifié par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord.

( 20 ) Le libellé de l’article 3, sous b), règlement no 4/2009 diffère seulement en ce que le rattachement alternatif au domicile du créancier n’y figure plus (sur les raisons de ce changement, voir note en bas de page 27 des présentes conclusions) et, dans la version en langue française, en ce que la notion de «tribunal» a été remplacée par celle, plus générique, de «juridiction» (voir aussi, notamment, les versions en langues italienne et roumaine).

( 21 ) Ce règlement s’est substitué à la convention de Bruxelles, avant d’être lui‑même modifié par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 351, p. 1), dont le considérant 10 et l’article 1er, paragraphe 2, sous e), tirent les conséquences de l’adoption du texte spécifique que constitue le règlement no 4/2009.

( 22 ) Voir, notamment, considérants 3, 15 et 44.

( 23 ) Voir considérant 10 et point 1.2.1 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, présentée par la Commission le 15 décembre 2005 [COM(2005) 649 final].

( 24 ) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 12 mai 2006 [COM(2006) 206 final].

( 25 ) Des variations de l’article 3 ont été déclinées au cours des travaux préparatoires du règlement no 4/2009, mais s’agissant de ses points a) et b), leur version initiale a été adoptée sans changement, étant précisé que n’a pas été suivi l’avis du Comité économique et social européen qui tendait à inverser lesdits points a) et b) pour que le lieu de résidence habituelle du créancier devienne le premier critère de compétence (JO 2006, C 185, p. 35, spécialement point 4.1).

( 26 ) Ladite communication souligne l’ajout d’une «précision importante au point d)».

( 27 ) Sachant que le règlement Bruxelles I s’appliquait à l’ensemble de la matière civile et commerciale, la communication indique, au sujet dudit article 3, que «le [futur] règlement [no 4/2009] abandonne la notion de domicile et ne fait plus référence qu’à celle de résidence habituelle; ce concept est en effet mieux adapté aux instruments applicables en droit de la famille».

( 28 ) Cette communication précise que les règles de compétence prévues audit article 3 «s’applique[nt] quel que soit le lieu de résidence habituelle du défendeur».

( 29 ) Voir, en ce sens, Béraudo, J.‑P., «Fascicule 3022», JurisClasseur Europe Traité, LexisNexis, Paris, 2012, point 9; Gascón Inchausti, F., «Le recouvrement des aliments en Europe», dans La justice civile européenne en marche, sous la direction de M. Douchy‑Oudot, Dalloz, Paris, 2012, p. 147 et suiv., ainsi que Devers, A., «Les praticiens et le droit international privé européen de la famille», Europe, 2013, no 11, étude 9, points 9 et 19.

( 30 ) Voir points 37 et suiv. des présentes conclusions.

( 31 ) Sachant que le règlement no 4/2009 relève de cette matière, même s’il comporte en outre un aspect financier [voir considérant 11 et article 1er dudit règlement ainsi que point 3.1 de la proposition de règlement COM(2005) 649 final].

( 32 ) Le texte de cette convention et le rapport explicatif y afférent, élaboré par Borrás, A., et Degeling, J., sont accessibles à l’adresse Internet http://www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.text&cid=131. L’Union a signé et approuvé elle‑même ladite convention, étant précisé que les États membres se trouvent liés par l’effet de cette approbation [voir décision 2011/220/UE du Conseil, du 31 mars 2011 (JO L 93, p. 9), et décision 2011/432/UE du Conseil, du 9 juin 2011 (JO L 192, p. 39), spécialement considérant 4 de cette dernière décision].

( 33 ) Voir également, considérant 17 et article 8 du règlement no 4/2009, sachant que les travaux préparatoires de ce dernier ont été conduits parallèlement à la négociation de ladite convention, avec le souci d’une «recherche des synergies possibles» entre ces deux cadres législatifs [voir point 1.1.2 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement COM(2005) 649 final].

( 34 ) Faute de consensus à l’issue d’un débat dont rend compte le rapport explicatif mentionné à la note en bas de page 32 des présentes conclusions (voir p. 58 à 62).

( 35 ) Voir p. 44 et suiv. du rapport établi par Duncan, W., «Vers un nouvel instrument mondial sur le recouvrement international des aliments envers les enfants et d’autres membres de la famille», document préliminaire no 3 d’avril 2003 (http://www.hcch.net/index_fr.php?act=publications.details&pid=4108&dtid=35), lequel se réfère à cet égard à l’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles.

( 36 ) Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO L 338, p. 1, ci-après le «règlement Bruxelles II bis»).

( 37 ) Voir considérant 11 et article 1er, paragraphe 3, du règlement Bruxelles II bis.

( 38 ) Voir articles 3 et 9 à 13 du règlement Bruxelles II bis.

( 39 ) La spécificité de cette dernière formulation et ses implications appelleront de plus amples développements (voir points 54 et suiv. des présentes conclusions).

( 40 ) Voir considérant 15 du règlement no 4/2009 et point 32 des présentes conclusions.

( 41 ) Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire A (C‑523/07, EU:C:2009:39, points 63 et 64); conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Purrucker (C‑256/09, EU:C:2010:296, point 126), ainsi que ma prise de position dans l’affaire Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:578, point 95).

( 42 ) En particulier, la notion de «juridiction» au sens du règlement no 4/2009 inclut les «autorités administratives des États membres compétentes en matière d’obligations alimentaires», pour autant qu’elles offrent certaines garanties (voir considérant 12 et article 2, paragraphe 2, de ce règlement).

( 43 ) Le règlement no 4/2009 établit des règles de compétence qui s’étendent aux litiges non circonscrits aux territoires des États membres, par exemple lorsque la résidence habituelle du défendeur est située dans un État tiers, comme dans l’affaire Huber (C‑408/13) (voir, notamment, considérant 15). Toutefois, malgré cette vocation universelle, il régit la compétence des seules juridictions des États membres.

( 44 ) Voir, notamment, mes conclusions dans l’affaire Weber (C‑438/12, EU:C:2014:43, note en bas de page 48) et arrêt Weber (C‑438/12, EU:C:2014:212, point 40).

( 45 ) De même, le considérant 11 du règlement Bruxelles I précise que «[s’]agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions» (souligné par mes soins).

( 46 ) Voir arrêts de Cavel (120/79, EU:C:1980:70, points 6 et suiv.) ainsi que van den Boogaard (C‑220/95, EU:C:1997:91, points 22 et suiv.).

( 47 ) Voir arrêts Farrell (C‑295/95, EU:C:1997:168, points 12 et suiv.) ainsi que Blijdenstein (C‑433/01, EU:C:2004:21, points 24 et suiv.).

( 48 ) Au sujet du règlement Bruxelles I, voir, notamment, arrêts Cartier parfums – lunettes et Axa Corporate Solutions assurances (C‑1/13, EU:C:2014:109, point 32) ainsi que Coty Germany (C‑360/12, EU:C:2014:1318, point 43).

( 49 ) Selon le considérant 15 du règlement Bruxelles I, «[l]e fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres». Ce principe est rappelé au considérant 21 du règlement no 1215/2012 portant refonte dudit règlement.

( 50 ) Voir également, sous l’angle de l’exécution et de la reconnaissance des décisions, les articles 21, paragraphe 2, et 24, sous c), du règlement no 4/2009.

( 51 ) Voir considérant 15 du règlement no 4/2009.

( 52 ) Tous les types de créanciers d’aliments sont visés, quelle que soit la position qu’ils occupent dans les relations de famille ou autres qui sont mentionnées à l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement, même si, dans la pratique, les dispositions de celui‑ci sont davantage susceptibles de protéger des enfants du fait que la majorité des demandes d’aliments les concernent (voir, par analogie, proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, par la Communauté européenne, du protocole sur la loi applicable aux obligations alimentaires [COM(2009) 81 final, point 1]).

( 53 ) Voir, notamment, point 1.2 de la proposition de règlement COM(2005) 649 final.

( 54 ) Voir, notamment, considérants 5, 9, 11, 15, 17, 26 et 27 ainsi que article 8.

( 55 ) Points 19 et suiv. des présentes conclusions.

( 56 ) Pour les raisons indiquées au point 39 des présentes conclusions.

( 57 ) Je rappelle que l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG prévoit que, lorsque l’une des parties à la procédure – indifféremment du fait qu’il s’agisse du créancier d’aliments ou du défendeur – réside à l’étranger, l’Amtsgericht du siège de l’Oberlandesgericht dans le ressort duquel la partie demeurant en Allemagne a sa résidence habituelle est seul compétent pour connaître de l’affaire, le cas échéant au détriment de l’Amtsgericht dont l’intéressé devrait en principe relever en raison du lieu de cette résidence.

( 58 ) L’Amtsgericht Düsseldorf fait valoir que la concentration de compétences prévue à l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG aurait pour effet de priver les demandeurs résidant en Allemagne de l’avantage que leur offre l’article 3 du règlement no 4/2009 consistant à pouvoir plaider devant la juridiction compétente du lieu de leur résidence habituelle. En outre, il réfute l’opinion défendue dans une partie de la doctrine et la jurisprudence allemandes selon laquelle cette disposition de l’AUG constituerait une mesure d’organisation judiciaire purement nationale.

( 59 ) Selon l’Amtsgericht Karlsruhe, l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009 régirait la compétence tant internationale que locale d’une juridiction pour statuer sur un litige transfrontalier couvert par ce règlement. En vertu du principe de primauté, il serait interdit aux États membres d’adopter des règles de compétence qui s’en écartent, comme ici, de telle sorte que le créancier perdrait la faculté de saisir son «for ordinaire», à savoir celui de la ville où il réside habituellement.

( 60 ) Le gouvernement allemand soutient que, cependant, cette disposition n’indiquerait pas directement quelle est la juridiction concrètement compétente pour statuer et son libellé laisserait une marge d’appréciation aux États membres pour déterminer le ressort de la juridiction qui est pertinente en fonction du lieu de la résidence habituelle du créancier.

( 61 ) Voir point 40 des présentes conclusions.

( 62 ) Même si ledit règlement tend aussi à assurer un équilibre entre les droits des créanciers et ceux de leurs débiteurs, auxquels notamment un procès équitable est garanti [voir point 1.2.3 de la proposition de règlement COM(2005) 649 final].

( 63 ) L’arrêt Farrell (EU:C:1997:168, point 19) énonce que «la dérogation prévue à l’article 5, point 2, a pour objet d’offrir au demandeur d’aliments, qui est considéré comme la partie la plus faible dans une telle procédure, une base alternative de compétence. En procédant ainsi, les auteurs de la convention ont considéré que cette finalité spécifique devait l’emporter sur celle poursuivie par la règle de l’article 2, premier alinéa, qui est de protéger le défendeur, en tant que partie généralement plus faible du fait que c’est lui qui subit l’action du demandeur» (souligné par mes soins). Ce critère de la «situation d’infériorité» a été repris dans l’arrêt Blijdenstein (EU:C:2004:21, points 29 et suiv.).

( 64 ) Voir articles 22 à 25 du règlement no 4/2009.

( 65 ) Voir rapport de M. P. Jenard sur ladite convention (JO 1979, C 59, p. 1, spécialement p. 22 et 24 et suiv., ci‑après le «rapport Jenard») ainsi que point 104 du document préliminaire concernant la convention de La Haye de 2007 mentionné à la note en bas de page 35 des présentes conclusions..

( 66 ) Gallant, E., «Le nouveau droit international privé alimentaire de l’Union: du sur‑mesure pour les plaideurs», Europe, 2012, no 2, étude 2, points 3 et suiv.

( 67 ) Voir point 1.2.1 de la proposition de règlement COM(2005) 649 final (souligné par mes soins).

( 68 ) Au demeurant, la Commission admet que l’attribution de compétence territoriale effectuée par l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009 «vise essentiellement à protéger les parties particulièrement vulnérables en leur garantissant l’accès à un recours effectif» et présume que «le tribunal local, de par sa proximité avec les faits, est mieux à même d’apprécier de manière appropriée l’objet du litige».

( 69 ) Le considérant 15 du règlement no 4/2009 affirme même que «plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé».

( 70 ) Le rapport de M. le Professeur Schlosser sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention de Bruxelles, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979 C 59, p. 71 et suiv., spécialement point 70) précise que dans lesdites règles, «lorsque la convention [de Bruxelles] détermine non seulement la compétence internationale, mais aussi la compétence territoriale des juridictions, comme par exemple aux articles 5 et 6, seul un tribunal déterminé parmi les nombreux tribunaux de même rang d’un État est déclaré compétent». Voir aussi p. 22 du rapport Jenard susmentionné.

( 71 ) Étant précisé que le ressort géographique d’une juridiction est ordinairement défini par rapport aux divisions ou aux subdivisions des entités administratives territoriales.

( 72 ) Il est possible que le ressort géographique d’une juridiction varie en fonction de la nature des litiges. Ainsi, certains domaines tels que le droit maritime ou la propriété intellectuelle peuvent être exclus de la compétence des petits tribunaux au profit de la compétence d’un tribunal de plus grande envergure. Ce type de répartition des compétences matérielles d’où découle une concentration des compétences territoriales est toutefois totalement distinct de la situation en cause, dans la mesure où la disposition allemande concernée répartit la compétence territoriale pour des litiges ayant un objet similaire, à savoir ceux relatifs aux obligations alimentaires, d’une façon différente selon la présence ou l’absence d’éléments d’extranéité.

( 73 ) Le fait que les règles de compétence transfrontalières applicables dans les États membres en matière d’obligations alimentaires aient été transférées d’un instrument intergouvernemental, tel que la convention de Bruxelles, vers un instrument du droit de l’Union, tel que le règlement Bruxelles I ou le règlement no 4/2009, n’a pas radicalement changé leur contenu, mais la nature juridique des dispositions concernées est devenue fondamentalement différente au niveau national.

( 74 ) Voir, notamment, arrêts Norddeutsches Vieh- und Fleischkontor (39/70, EU:C:1971:16, point 4); Commission/Italie (39/72, EU:C:1973:13, points 3 et suiv.), ainsi que Variola (34/73, EU:C:1973:101, point 3).

( 75 ) Voir, notamment, Nord, N., «Présentation du règlement ‘obligations alimentaires’», AJ Famille, 2011, p. 238; Ferrand, F., «The Council Regulation (EC) No 4/2009 […]», dans Latest Developments in EU Private International Law, sous la direction de B. Campunzano Díaz e.a., Intersentia, Cambridge, 2011, p. 92, ainsi que Fongaro, E., «Obligations alimentaires», Répertoire de droit communautaire, Dalloz, Paris, 2013, point 19.

( 76 ) Ledit article 6 désigne, à titre de «compétence subsidiaire», «les juridictions de l’État membre de la nationalité commune des parties» (souligné par mes soins).

( 77 ) Au sujet de l’article 2 de la convention de Bruxelles, le rapport Jenard susmentionné précise que «[l]e défendeur domicilié dans un État contractant ne doit pas nécessairement être assigné devant le tribunal du lieu où il a son domicile ou son siège. Il peut l’être devant tous les tribunaux de l’État où il a son domicile et qui sont compétents selon la loi de cet État, […] la convention décidant de la compétence générale des tribunaux de l’État de ce juge et la loi de cet État décidant à son tour de la compétence spéciale de tel ou tel tribunal dudit État» (voir p. 18). L’analyse doit être inversée en application d’une règle de compétence à caractère spécial telle que celle énoncée à l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009.

( 78 ) C‑420/07, EU:C:2009:271, points 48 et 50.

( 79 ) À cet égard, la Cour a relevé que ledit article 22, qui «contient une liste impérative et exhaustive de fors de compétence judiciaire internationale exclusive des États membres», «ne fait que désigner l’État membre dont les juridictions sont compétentes ratione materiae» (point 48 du même arrêt).

( 80 ) Dans le règlement Bruxelles I, outre l’article 5, point 2, relatif aux obligations alimentaires, bon nombre d’autres dispositions visent «le tribunal du lieu où». Voir, notamment, l’article 5, point 1, sous a), en matière contractuelle; l’article 5, point 3, en matière délictuelle ou quasi délictuelle; les articles 9, point 1, sous b), et 10, en matière d’assurances, ainsi que l’article 19, points 1 et 2, en matière de contrats individuels de travail. Voir, également, arrêt Color Drack (C‑386/05, EU:C:2007:262, point 30).

( 81 ) Le rapport Jenard précise que l’insertion de règles de compétence spéciales dans la convention de Bruxelles, telles que celle applicable en matière d’obligations alimentaires, permettait de «désign[er] directement le tribunal compétent sans se référer aux règles de compétence en vigueur dans l’État où pourrait être situé un tel tribunal» et de «faciliter la mise en œuvre de la convention» en évitant que les États la ratifiant prennent des mesures pour y adapter leur législation interne (voir p. 22).

( 82 ) Voir, notamment, la jurisprudence citée à la note en bas de page 48 des présentes conclusions.

( 83 ) En effet, les articles 2 respectifs de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I posent le principe de la compétence des juridictions du domicile du défendeur, tandis que les articles 5, point 2, respectifs de ces deux instruments prévoient des règles de compétence dérogatoires en matière d’obligations alimentaires.

( 84 ) Si le débiteur est demandeur, il ne peut, de fait, saisir que la juridiction du lieu où le défendeur‑créancier a sa résidence habituelle, puisque les chefs de compétence prévus par lesdits points se confondent dans ce cas de figure, lequel est statistiquement plus rare. Sur l’inégalité entre créanciers et débiteurs, voir Ancel, B., et Muir Watt, H., «Aliments sans frontières – Le règlement CE no 4/2009 […]», Revue critique de droit international privé, 2010, p. 457 et suiv., spécialement point 9.

( 85 ) Les points c) et d) de l’article 3 du règlement no 4/2009 utilisent le critère de «la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes [ou, respectivement,] à la responsabilité parentale […]» (souligné par mes soins). Un système de renvoi équivalent figurait déjà tant à l’article 5, point 2, in fine, de la convention de Bruxelles (modifiée en ce sens en 1978) qu’à l’article 5, point 2, in fine, du règlement Bruxelles I.

( 86 ) Des informations similaires sont aussi requises pour les recours formés contre les décisions rendues sur ces demandes (voir article 32, paragraphe 2).

( 87 ) Voir version consolidée des «Informations communiquées par les États membres conformément à l’article 71 du règlement [no 4/2009]», spécialement p. 13 (http://ec.europa.eu/justice_home/judicialatlascivil/html/pdf/vers_consolide_fr_4.pdf).

( 88 ) L’Amtsgericht Karlsruhe fait valoir que, contrairement à l’objectif de simplification visé par le règlement no 4/2009, la concentration des compétences prévue à l’article 28 de l’AUG compliquerait le recouvrement international des créances alimentaires en raison du fait que le tribunal rendu compétent par ce texte risque d’être plus éloigné de la résidence habituelle du créancier et de ne pas être celui ayant la meilleure connaissance de la situation économique locale.

( 89 ) Voir, par analogie, considérant 12 du règlement Bruxelles I, ainsi que arrêt Kainz (C‑45/13, EU:C:2014:7, points 27 et suiv.).

( 90 ) Voir, respectivement en matière de concurrence, de politique agricole commune et de protection des consommateurs, arrêt Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 62) et conclusions de l’avocat général Geelhoed dans ces affaires jointes (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:67, points 49 et suiv.), ainsi que arrêts Agrokonsulting‑04 (C‑93/12, EU:C:2013:432, points 35 et suiv.), et Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León (C‑413/12, EU:C:2013:800, points 38 et suiv.).

( 91 ) Voir, notamment, arrêt Agrokonsulting‑04 (EU:C:2013:432, points 39 et suiv.).

( 92 ) Cette distinction ressort, selon moi, clairement d’une lecture a contrario des points 46 et 47 de l’arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León (EU:C:2013:800).

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