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Document 62013CC0310

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 11 juin 2014.
Novo Nordisk Pharma GmbH contre S.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof.
Renvoi préjudiciel – Directive 85/374/CEE – Protection des consommateurs – Responsabilité du fait des produits défectueux – Champ d’application matériel de la directive – Régimes spéciaux de responsabilité existant à la date de notification de la directive – Admissibilité d’un régime national de responsabilité permettant l’obtention de renseignements sur les effets indésirables des produits pharmaceutiques.
Affaire C-310/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:1825

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 11 juin 2014 ( 1 )

Affaire C‑310/13

Novo Nordisk Pharma GmbH

contre

S

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Protection des consommateurs — Responsabilité du fait des produits défectueux — Champ d’application de la directive 85/374/CEE — Exclusion des régimes spéciaux de responsabilité existant au moment de la notification de la directive — Admissibilité d’un régime national de responsabilité permettant inter alia l’obtention de renseignements sur les effets secondaires des produits pharmaceutiques»

Introduction

1.

La présente affaire est l’occasion pour la Cour de compléter l’interprétation de l’article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ( 2 ). Pour la première fois, cette interprétation portera sur un régime de responsabilité dont il n’est pas contesté qu’il s’agit d’«un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la directive», au sens de la disposition précitée. Le Bundesgerichtshof, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en République fédérale d’Allemagne, pose une question sur la réparation d’un dommage causé par le caractère défectueux d’un médicament.

2.

Pour répondre utilement au juge de renvoi, aux fins de la résolution du litige dont il est saisi, il sera toutefois nécessaire de pousser l’analyse au-delà de l’interprétation de l’article 13 de la directive 85/374 et de s’intéresser à la nature de l’harmonisation résultant des dispositions de cette directive ainsi qu’à son champ d’application.

Cadre juridique

Droit de l’Union

3.

Conformément aux premier et deuxième considérants de la directive 85/374:

«considérant qu’un rapprochement des législations des États membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par le caractère défectueux de ses produits est nécessaire du fait que leur disparité est susceptible de fausser la concurrence, d’affecter la libre circulation des marchandises au sein du marché commun et d’entraîner des différences dans le niveau de protection du consommateur contre les dommages causés à sa santé et à ses biens par un produit défectueux;

considérant que seule la responsabilité sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème, propre à notre époque de technicité croissante, d’une attribution juste des risques inhérents à la production technique moderne».

4.

Le treizième considérant de cette directive énonce in fine ce qui suit:

«[…] dans la mesure où une protection efficace des consommateurs dans le secteur des produits pharmaceutiques est déjà également assurée dans un État membre par un régime spécial de responsabilité, des actions basées sur ce régime doivent rester également possibles».

5.

Le dix-huitième considérant de ladite directive précise ce qui suit:

«considérant que l’harmonisation résultant de la présente directive ne peut, au stade actuel, être totale, mais ouvre la voie vers une harmonisation plus poussée […]».

6.

Les articles 1er, 4 et 13 de la directive 85/374 disposent ce qui suit:

«Article premier

Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit.

[…]

Article 4

La victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

[…]

Article 13

La présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive».

Droit allemand

7.

La directive 85/374 a été transposée en droit allemand par les dispositions de la loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux (Produkhaftungsgesetz) du 15 décembre 1989 ( 3 ) (ci-après la «ProdHaftG»). Cependant, l’article 15, paragraphe 1, de la ProdHaftG exclut du champ d’application de ladite loi la responsabilité au titre des produits pharmaceutiques, en disposant ce qui suit:

«Si, suite à l’administration d’un produit pharmaceutique à usage humain, une personne décède ou subit un dommage corporel ou une atteinte à la santé, les dispositions de la [ProdHaftG] ne s’appliquent pas, dès lors que le produit en cause a été délivré au consommateur sous l’empire de la loi sur les produits pharmaceutiques [Arzneimittelgesetz] et est soumis à agrément ou bien a été exempté d’agrément par voie réglementaire».

8.

La responsabilité au titre des médicaments à usage humain défectueux est en effet régie par un autre texte, à savoir la loi sur les produits pharmaceutiques (Arzneimittelgesetz) du 24 août 1976 ( 4 ) (ci-après l’«AMG»). Conformément à l’article 84 de l’AMG, dans la version pertinente pour la procédure au principal:

«1.   Si, suite à l’administration d’un produit pharmaceutique à usage humain, une personne décède ou subit un dommage corporel ou une atteinte à la santé non négligeables, l’entrepreneur pharmaceutique qui a mis le produit sur le marché en vertu de la présente loi est tenu de réparer le préjudice subi par la personne lésée, dès lors que le produit en cause a été délivré au consommateur sous l’empire de la présente loi et est soumis à agrément ou bien a été exempté d’agrément par voie réglementaire. L’obligation de réparation s’applique uniquement si

1)

le produit pharmaceutique entraîne, en cas d’utilisation conforme, des effets néfastes qui excèdent le niveau jugé acceptable au regard des connaissances scientifiques médicales ou

2)

le dommage est survenu en raison d’un étiquetage, d’un résumé des caractéristiques ou d’une notice qui ne correspondent pas aux connaissances scientifiques médicales.

2.   Si, compte tenu des circonstances de l’espèce, le produit pharmaceutique administré est de nature à causer le dommage, il convient de présumer que le dommage a été causé par le produit. Dans chaque cas, l’aptitude du produit à causer le dommage se détermine en fonction de la composition et du dosage du produit administré, de la nature et de la durée d’utilisation conforme du produit, de la connexité temporelle entre le produit et le dommage, du caractère du dommage et de l’état de santé de la personne lésée au moment de l’administration du produit et de toutes les autres circonstances qui, dans le cas concret, plaident en faveur ou à l’encontre de la réalisation du dommage. Cette présomption ne s’applique pas lorsqu’il ressort des circonstances de l’espèce qu’un autre élément est de nature à provoquer le dommage. L’utilisation d’autres produits pharmaceutiques qui, compte tenu des circonstances de l’espèce, sont de nature à causer le dommage ne constitue pas un tel élément, à moins que, par l’effet de l’utilisation de ces produits, aucun droit ne puisse être invoqué au titre de cette disposition pour des raisons autres que le défaut de lien de causalité avec le préjudice subi.

3.   L’entrepreneur pharmaceutique n’est pas tenu à réparation au sens du point 1 de la deuxième phrase du paragraphe 1 ci-dessus lorsqu’il ressort des circonstances que les effets néfastes du produit pharmaceutique ne trouvent pas leur origine dans le développement et la fabrication du produit.»

9.

L’article 84a de l’AMG dispose ce qui suit:

«1.   Si des éléments laissent à penser qu’un produit pharmaceutique a causé le dommage, la personne lésée peut réclamer des renseignements à l’entrepreneur pharmaceutique, à moins que de tels renseignements ne soient pas nécessaires pour déterminer si des dommages-intérêts peuvent être réclamés au titre de l’article 84. La demande de renseignements porte sur les effets, effets indésirables et interactions dont l’entrepreneur pharmaceutique a connaissance, sur les cas suspects d’effets indésirables et d’interactions portés à la connaissance de l’entrepreneur ainsi que sur tout autre élément qui peut revêtir de l’importance pour apprécier l’acceptabilité des effets néfastes. Les articles 259 à 261 du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch) s’appliquent par analogie. La personne lésée ne peut pas faire valoir son droit à renseignement lorsque les informations doivent être maintenues confidentielles en vertu de dispositions légales ou lorsque leur confidentialité répond à un intérêt prépondérant de l’entrepreneur pharmaceutique ou d’un tiers.

2.   Dans les conditions prévues au paragraphe 1 ci-dessus, la personne lésée peut également réclamer des renseignements aux autorités chargées de l’agrément et de la surveillance des produits pharmaceutiques. Les autorités ne sont pas tenues de délivrer les renseignements lorsque les informations doivent être maintenues confidentielles en vertu de dispositions légales ou lorsque leur confidentialité répond à un intérêt prépondérant de l’entrepreneur pharmaceutique ou d’un tiers».

10.

La présomption de lien de causalité instaurée à l’article 84, paragraphe 2, de l’AMG ainsi que le droit à renseignement visé à l’article 84a de l’AMG ont été introduits en application de la loi portant modification de la législation en matière de réparation des dommages (zweites Schadensersatzrechtsänderungsgesetz) du 19 juillet 2002 ( 5 ), entrée en vigueur le 1er août 2002.

Faits, procédure et question préjudicielle

11.

S, demeurant en Allemagne, a subi un dommage corporel après avoir utilisé, entre les années 2004 et 2006, un médicament commercialisé sous la dénomination «Levemir» par Novo Nordisk Pharma GmbH (ci-après la «société Novo Nordisk»).

12.

S a par conséquent saisi le Landgericht Berlin (tribunal de première instance de Berlin) d’un recours à l’encontre de la société Novo Nordisk en vue d’obtenir un dédommagement ainsi que des renseignements en application de l’article 84a, paragraphe 1, de l’AMG. Par un jugement partiel du 25 août 2010, cette juridiction a fait droit à sa demande de renseignements. Par un arrêt du 30 août 2011, le Kammergericht Berlin (cour d’appel de Berlin) a rejeté l’appel de ce jugement interjeté par la société Novo Nordisk. Cette dernière a saisi le Bundesgerichtshof (la juridiction de renvoi) d’un recours en «Revision» portant, de même que le jugement de première instance et l’arrêt d’appel, sur le droit à renseignement.

13.

Cette juridiction a émis des doutes sur la conformité des articles 84, paragraphe 2, et 84a de l’AMG avec la directive 85/374. Estimant que la résolution du litige dont elle est saisie dépend de l’interprétation de l’article 13 de cette directive dans le contexte du droit à renseignement énoncé à l’article 84a de l’AMG, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Convient-il d’interpréter l’article 13 de la directive 85/374 en ce sens que, de manière générale, ladite directive n’affecte pas le régime allemand de la responsabilité du fait des produits pharmaceutiques en tant que ‘régime spécial de responsabilité’, si bien que ce régime national de responsabilité peut continuer d’être développé,

ou bien

l’article 13 de la directive 85/374 doit-il être entendu en ce sens que les éléments constitutifs de la responsabilité du fait des produits pharmaceutiques, tels qu’en vigueur au moment de la notification de la directive (30 juillet 1985), ne peuvent plus être élargis?»

14.

La décision de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 6 juin 2013. Des observations écrites ont été présentées par S, les gouvernements tchèque et allemand ainsi que la Commission européenne. Les représentants de S, le gouvernement allemand et la Commission ont assisté à l’audience du 26 mars 2014.

Analyse

15.

La question préjudicielle, bien qu’énoncée sous la forme d’une alternative, doit être examinée comme un tout. Elle concerne l’interprétation de l’article 13 de la directive 85/374. Cette interprétation devra cependant être précédée d’une analyse plus générale de l’étendue de l’harmonisation réalisée par la directive s’agissant du droit des États membres en matière de responsabilité pour défaut d’un produit. Pour apporter à la juridiction de renvoi une réponse utile à la résolution du litige dont elle est saisie, il est également nécessaire, me semble-t-il, d’examiner – au regard de ladite directive – le type de dispositions nationales telles que les dispositions allemandes en cause au principal, à savoir les dispositions portant sur le droit des victimes d’obtenir certains renseignements du fabricant du produit défectueux.

Objectif et nature de l’harmonisation réalisée par la directive 85/374

Objectif de la directive 85/374

16.

Sur le plan du droit de l’Union et conformément à son premier considérant, la directive 85/374 a été adoptée afin d’éviter que la concurrence soit faussée, que la libre circulation des marchandises au sein du marché commun soit affectée et qu’il y ait des différences dans le niveau de protection du consommateur contre les dommages causés par des produits défectueux. Ces phénomènes néfastes ont pour origine, selon ce même considérant de la directive, la disparité des législations des États membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par le caractère défectueux de ses produits.

17.

Le choix de l’article 100 du traité CEE (devenu article 115 TFUE) – qui autorisait l’adoption de directives «pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun» (devenu marché intérieur) – comme base juridique de la directive 85/374 confirme que tel était bien l’objectif de son adoption.

18.

Par ailleurs, eu égard aux considérations axiologiques et économiques ayant prévalu lors de l’adoption de la directive 85/374, celle-ci devait permettre une juste répartition du risque lié, dans le monde actuel, à la production industrielle de masse. Il s’agit non pas seulement de faire supporter ce risque aux fabricants de biens ainsi produits plutôt qu’aux utilisateurs qui pourraient en être victimes, mais encore d’y parvenir sans entraver le progrès technique ni priver les consommateurs d’une offre plus large de produits relativement bon marché. C’est pourquoi le régime de responsabilité instauré dans la directive, dans un premier temps, permet de transférer le risque des différents consommateurs lésés aux fabricants des produits et, dans un second temps, laisse aux fabricants la possibilité de répartir ce risque sur l’ensemble des consommateurs en intégrant dans le prix de ses produits les coûts de cette responsabilité ou, le cas échéant, les coûts de l’assurance ( 6 ).

19.

Il est selon moi évident que la réalisation d’objectifs ainsi définis implique de prendre en compte les différents intérêts susceptibles d’entrer à cet égard en jeu. Comme l’a jugé la Cour, «les délimitations du champ d’application de la directive [85/374] fixées par le législateur [de l’Union] sont la résultante d’un processus de pondération complexe entre différents intérêts. Ainsi qu’il ressort des premier et neuvième considérants de la directive, ceux-ci incluent la garantie d’une concurrence non faussée, la facilitation des échanges commerciaux au sein du marché commun, la protection des consommateurs et le souci d’une bonne administration de la justice» ( 7 ). Il me semble que cette affirmation est applicable s’agissant non seulement du champ d’application de la directive, mais également des droits et obligations qui en découlent ( 8 ).

20.

Il s’ensuit que la protection des consommateurs en général, et surtout une protection atteignant le plus haut niveau possible, n’est pas le seul ni même le principal objectif de la directive 85/374. Il s’agit uniquement d’un élément parmi d’autres éléments de même valeur qui interviennent dans l’équilibre recherché par le législateur au moyen de cet acte juridique ( 9 ).

Nature de l’harmonisation réalisée par la directive 85/374

21.

Selon le dix-huitième considérant de la directive 85/374, l’harmonisation réalisée n’est pas totale mais ouvre la voie vers une harmonisation plus poussée. Conformément à la jurisprudence de la Cour, il y a lieu cependant de rapporter cette affirmation aux aspects ayant été harmonisés. En revanche, cela ne signifie pas qu’il est loisible aux États membres d’adopter des dispositions dérogeant à celles de la directive. La Cour a en effet jugé que la directive 85/374 «poursuit, sur les points qu’elle réglemente, une harmonisation totale des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres» ( 10 ). Les arguments en ce sens sont principalement les suivants: la base juridique de la directive (article 100 du traité CEE) qui ne permet pas aux États membres de déroger aux textes d’harmonisation adoptés sur son fondement, le fait que la directive ne contient pas les dispositions types autorisant les États membres à adopter, en droit interne, des dispositions allant plus loin que celles de la directive ou, enfin, le fait qu’elle prévoit, dans certains cas, des solutions alternatives, qui seraient superflues si les États membres étaient habilités, de façon générale, à déroger au contenu de la directive ( 11 ).

22.

La Cour a ensuite jugé que «si la directive 85/374 […] poursuit, sur les points qu’elle réglemente, une harmonisation totale des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres, elle n’a, en revanche, ainsi qu’il ressort de son dix-huitième considérant, pas vocation à harmoniser de manière exhaustive le domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux au-delà desdits points» ( 12 ).

23.

Quelles conclusions doit-on tirer de cette jurisprudence quant à la nature de l’harmonisation réalisée par la directive 85/374? Je ne vois pas la nécessité de procéder dans la présente affaire à une analyse des rapports entre harmonisation totale, complète, exhaustive et maximale – sans conteste d’un grand intérêt théorique –, d’autant que, dans la doctrine, ces notions ne sont pas non plus conçues de façon univoque ( 13 ). Il suffit de préciser que cette directive établit une série de principes, devant être repris par les États membres dans leurs régimes dits de «responsabilité du fait des produits», c’est-à-dire de responsabilité sans faute des producteurs (et accessoirement de certaines autres personnes), au titre des dommages causés par les défauts de leurs produits. Les États membres ne peuvent introduire dans leur législation nationale, sauf dans des cas clairement prévus par la directive, de dérogations auxdits principes, ni appliquer de règles moins strictes ou plus strictes pour l’une ou l’autre des catégories de personnes concernées par la directive. Il n’en reste pas moins que ce régime de responsabilité ne peut fonctionner sans l’application d’autres dispositions de droit interne.

24.

Il ne fait en effet aucun doute qu’une victime faisant valoir ses droits dans un État membre invoque non seulement les dispositions de transposition de la directive mais également d’autres normes en vigueur dans cet État. Les normes en question sont selon moi de deux catégories. Premièrement, dans certains cas, la directive 85/374 elle-même prévoit la possibilité d’appliquer des dispositions nationales qui n’appartiennent pas aux domaines harmonisés. Il s’agit, par exemple, des dispositions concernant la responsabilité solidaire (article 5), le droit de recours (articles 5 et 8, paragraphe 1), la contribution de la victime à la survenance du dommage (article 8, paragraphe 2) ou concernant la suspension ou l’interruption de la prescription (article 10, paragraphe 2). Deuxièmement, cependant, il est selon moi certain que, même dans les situations dans lesquelles la directive 85/374 ne prévoit pas explicitement de renvoi au droit national, l’application de dispositions nationales peut s’avérer nécessaire. Cela pourrait concerner, par exemple, les règles (matérielles et procédurales) relatives à la détermination du montant du préjudice, aux présomptions de fait, aux questions de transmissibilité du droit à réparation, y compris par succession, ainsi qu’aux mesures que le juge national peut adopter pour prévenir un dommage. Dans ces conditions, l’harmonisation prévue par la directive 85/374 n’est pas «complète», en ce sens que les dispositions qui la transposent ne régissent pas tous les aspects de la responsabilité au titre des dommages causés par des produits défectueux ( 14 ).

25.

Il convient dès lors d’étudier quel est, dans la logique et l’économie de la directive 85/374, le rôle de son article 13 et, par conséquent, quelle doit être l’interprétation de cet article dans le contexte de la question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi.

Interprétation de l’article 13 de la directive 85/374

26.

L’article 13 de la directive 85/374 régit les relations entre les dispositions de la directive et les autres régimes de responsabilité au titre des produits défectueux qui peuvent être applicables dans les États membres. Il s’agit de trois types de responsabilité: la responsabilité contractuelle, la responsabilité extracontractuelle, qui diffère de la responsabilité sans faute instaurée par la directive (en pratique, il peut s’agir essentiellement d’une responsabilité fondée sur le principe de la faute) ( 15 ), ou bien un «régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la […] directive». Il est constant, ce que la Commission a du reste confirmé lors de l’audience, que cette dernière partie de la disposition précitée se rapporte en fait uniquement au régime allemand de la responsabilité du fait des produits pharmaceutiques défectueux, instauré par l’AMG, qui était déjà en vigueur au moment de la notification de la directive 85/374 ( 16 ). C’est cette dernière partie de la disposition de l’article 13 de la directive qu’il y a lieu d’interpréter dans la présente affaire.

27.

La juridiction de renvoi demande en substance si l’article 13 de la directive 85/374 a pour effet de soustraire complètement le régime allemand de responsabilité du fait des produits pharmaceutiques défectueux à l’harmonisation réalisée sur le fondement de la directive. Une telle conclusion serait, me semble‑t‑il, excessive, comme le confirment tant le libellé que la logique de l’article 13 de la directive.

Ce que prévoit l’article 13 de la directive 85/374

28.

L’article 13 de la directive 85/374 commence par les termes «[l]a présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre», qui indiquent, selon moi, la nature complémentaire des régimes de responsabilité mentionnés dans cette disposition par rapport au régime instauré par la directive. L’article 13 ne prévoit pas de dérogation en faveur d’autres régimes de responsabilité mais permet uniquement aux victimes de se prévaloir de droits qu’elles tiennent d’autres régimes de responsabilité, indépendamment de ceux qui leur sont conférés en vertu de la directive. Cela semble évident pour la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle fondée sur un autre principe de responsabilité que celle instaurée par la directive.

29.

La même formule s’applique également au régime allemand de la responsabilité du fait des produits pharmaceutiques et je ne vois pas de raison de l’interpréter différemment à cet égard. Le treizième considérant de la directive 85/374, selon lequel «des actions basées sur ce régime [c’est-à-dire le régime spécial de responsabilité prévu par l’AMG] doivent rester également [de même que les actions basées sur les régimes de responsabilité contractuelle et extracontractuelle] possibles», confirme également que tous les régimes de responsabilité mentionnés à l’article 13 de la directive doivent être traités de la même manière. Ni l’article 13 de la directive 85/374 ni son treizième considérant ne suggèrent que le régime instauré par la directive serait remplacé par un autre régime, préexistant, mais évoquent uniquement le maintien en vigueur des droits conférés aux victimes par cet autre régime. Ainsi, lorsque l’article 13 de la directive 85/374 dispose que cette directive «ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre» ( 17 ), entre autres, du régime allemand de responsabilité issu de l’AMG, cette formule doit s’entendre au sens littéral et strict, et non comme une dérogation générale à la directive.

30.

L’article 13 de la directive 85/374 comporte un deuxième élément essentiel s’agissant du régime spécial de responsabilité: il précise qu’il s’agit d’un régime «existant au moment de la notification de la […] directive». Cette réserve s’applique uniquement à ce régime spécial et non aux régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle dont il est également question à l’article 13. Cela signifie qu’il n’est pas porté atteinte aux droits issus de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, indépendamment de la question de savoir si un tel régime a été instauré avant ou après la notification de la directive. Ces régimes – fondés sur un principe de responsabilité autre que celui de la responsabilité sans faute – échappent en effet au champ d’application de la directive, qui instaure un régime de responsabilité sans faute ( 18 ). En revanche, il n’est pas porté atteinte aux droits issus d’un régime spécial de responsabilité – fondé sur un principe de responsabilité sans faute, à l’instar du régime instauré par la directive –, à la seule condition que ce régime soit antérieur à la directive. Cette solution relève selon moi de l’évidence: admettre qu’il puisse exister parallèlement en droit national un autre régime de responsabilité sans faute viderait de leur contenu les dispositions de la directive.

31.

Cependant, comme je l’ai précisé aux points 28 et 29 des présentes conclusions, la dérogation prévue à l’article 13 de la directive 85/374 porte non pas sur les régimes de responsabilité qui y sont mentionnés mais sur les droits conférés aux victimes par ces régimes. Par conséquent, la disposition visant le régime spécial de responsabilité doit être interprétée en ce sens qu’elle concerne non seulement le régime existant au moment de la notification de la directive mais également les droits conférés au même moment par ce régime.

32.

Je ne suis pas convaincu par ailleurs par l’argument du gouvernement allemand et de la Commission, dans leurs observations écrites, qui estiment que l’expression «régime de responsabilité» utilisée par le législateur, à l’article 13 de la directive 85/374, montrerait que toutes les règles faisant partie d’un tel régime sont visées, indépendamment de la question de savoir si elles étaient déjà en vigueur au moment de la notification de la directive ou si elles ont été introduites plus tard. Il convient en effet d’interpréter cette disposition en tenant compte de l’intégralité de son contenu; or, celui-ci évoque de façon claire les droits qui découlent d’un régime existant au moment de la notification de la directive.

Nature de la faculté découlant de l’article 13 de la directive 85/374

33.

Quelle est donc la faculté laissée par l’article 13 de la directive 85/374 à la République fédérale d’Allemagne? L’arrêt González Sánchez nous éclaire sur cette question ( 19 ). Dans cette affaire, il était question du régime de responsabilité du fait des dommages causés par des produits ou services qui existait en Espagne avant la notification de la directive 85/374. Ce régime, de même que le régime instauré par la directive, reposait sur le principe de la responsabilité sans faute. Après l’adhésion du Royaume d’Espagne aux Communautés européennes et l’adoption par cet État membre des mesures de transposition de la directive, le régime antérieur, considéré comme plus favorables aux victimes ( 20 ), a été maintenu en vigueur, à l’exclusion toutefois des produits relevant de la directive. La requérante au principal contestait cette solution au motif qu’elle avait restreint les droits des consommateurs par rapport à la situation antérieure à la transposition de la directive et demandait à bénéficier de la réglementation antérieure. En vertu de la directive, cette option était selon elle justifiée par la disposition de l’article 13 de cette directive. La Cour a exclu cette possibilité. Elle a en effet affirmé que le régime espagnol de responsabilité n’était ni un régime de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ni un régime spécial de responsabilité, car un tel régime doit être limité à un secteur déterminé de production, alors que le régime espagnol avait un caractère général. Or, l’existence d’un tel régime parallèlement au régime issu de la directive ne pouvait être admise ( 21 ). En conclusion, la Cour a jugé que «les droits conférés par la législation d’un État membre aux victimes d’un dommage causé par un produit défectueux, au titre d’un régime général de responsabilité ayant le même fondement que celui mis en place par [la] directive [85/374], peuvent se trouver limités ou restreints à la suite de la transposition de celle-ci dans l’ordre juridique interne dudit État» ( 22 ). Le Royaume d’Espagne, bien que disposant d’un régime de responsabilité du fait des produits antérieur à la directive 85/374, a donc dû en exclure l’application au titre des produits relevant du champ d’application de ladite directive.

34.

En revanche, le régime issu de l’AMG s’inscrit dans le champ d’application de l’article 13 de la directive 85/374, car il s’agit d’un régime limité à un secteur déterminé de production, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de le supprimer ou de l’adapter après la transposition de cette directive en droit allemand. L’article 13 de la directive 85/374 a ainsi autorisé la République fédérale d’Allemagne à ne pas restreindre les droits des victimes fondés sur le régime de l’AMG mais allant plus loin que les droits prévus par la directive. Tel était précisément l’objectif de l’introduction de cette partie de l’article 13 de la directive 85/374, qui autorise le maintien d’un régime spécial de responsabilité. En effet, au moment de la notification de la directive, le régime de la responsabilité des produits pharmaceutiques, mis en place à la suite d’évènements dramatiques ( 23 ), était déjà en vigueur en Allemagne et le législateur communautaire n’avait aucune intention de restreindre les droits conférés aux victimes par ce régime.

35.

À la lumière de cette interprétation de l’article 13 de la directive 85/374, la conformité à cette disposition de l’article 15, paragraphe 1, de la ProdHaftG, qui écarte l’application des dispositions de cette loi en cas de dommages causés par l’utilisation d’un produit pharmaceutique, peut susciter des doutes ( 24 ). Je ne pense pas cependant qu’il y ait lieu d’être aussi catégorique et de considérer cette solution comme contraire à la directive. Appliquer aux mêmes produits deux régimes de responsabilité sans faute qui fonctionnent en parallèle serait source de difficultés non seulement pour les producteurs mais également pour les victimes. En revanche, il semble difficile de trouver des avantages manifestes résultant d’une telle situation, dès lors que les victimes choisiront en règle générale celui des deux régimes qui leur confère le plus de droits.

36.

La solution retenue en droit allemand semble donc rationnelle. Elle n’implique cependant pas, selon moi, que les règles de la responsabilité des produits pharmaceutiques défectueux échappent en Allemagne à l’harmonisation réalisée par la directive 85/374. Les dispositions de l’AMG concernant cette responsabilité, dans la mesure où elles relèvent du champ d’application de la directive, constituent un moyen d’atteindre les objectifs fixés par cette directive, de même que les dispositions de la ProdHaftG assurent la mise en œuvre des objectifs de la directive pour les autres catégories de produits. La seule différence réside dans le fait que, conformément à l’article 13 de la directive 85/374, la République fédérale d’Allemagne a le droit de maintenir les droits des victimes, dont celles-ci bénéficiaient sur la base des dispositions de l’AMG en vigueur au moment de la notification de la directive, mais qui vont plus loin que les droits issus de la directive.

37.

Si l’on devait retenir l’interprétation préconisée par le gouvernement allemand et la Commission dans leurs observations écrites – selon laquelle la République fédérale d’Allemagne a toute liberté de continuer à développer le régime de responsabilité qui découle de l’AMG –, cela aurait pour conséquence qu’un seul secteur de production, et ce dans un seul État membre, serait exclu de l’harmonisation réalisée par la directive 85/374. Comme l’observent à juste titre ces parties à la procédure, l’article 13 de la directive ne permet pas d’élargir un régime spécial de responsabilité à de nouveaux secteurs de production ni de créer de tels régimes spéciaux dans d’autres États membres. Quelle serait donc la ratio legis d’une disposition qui autoriserait la création de nouveaux droits pour les victimes dans le cadre d’un régime déjà existant mais ne permettrait pas d’offrir les mêmes droits dans d’autres secteurs de production ou dans d’autres États membres? Il me semble qu’une telle interprétation serait contraire à toute logique. La justification de la dérogation prévue à l’article 13 de la directive 85/374 était uniquement d’ordre historique et son étendue doit rester dans cette dimension historique, c’est-à-dire être limitée aux droits qui existaient déjà au moment de la notification de cette directive.

38.

Un traitement particulier du secteur des produits pharmaceutiques peut éventuellement se justifier par la nature spécifique de ces produits, dont les défauts peuvent avoir des répercussions plus préjudiciables à la santé et à la vie des victimes que dans le cas des produits défectueux d’une autre catégorie. Dans ce cas, cependant, un tel traitement particulier ne saurait être réservé aux États membres dans lesquels existait déjà, en 1985 très précisément, un régime de responsabilité pour de tels produits défectueux, c’est-à-dire, de facto, à un seul État membre. En outre, il y a lieu de rappeler que le législateur de l’Union a eu l’occasion de s’écarter des principes généraux des régimes de responsabilité pour les produits pharmaceutiques défectueux dans la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ( 25 ). Cette directive prévoit cependant clairement, aux articles 5, paragraphe 4, et 47, paragraphe 2, l’application aux médicaments des dispositions de la directive 85/374.

39.

Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument soulevé par le gouvernement allemand et la Commission, qui voudrait que l’article 13 de la directive 85/374 implique nécessairement l’autorisation de modifier librement le régime spécial de responsabilité visé par cette disposition car, s’il en était autrement, ce régime ne pourrait évoluer en même temps que le contexte socio-économique change, ce qui ne permettrait donc pas une protection adéquate des consommateurs.

40.

Premièrement, il y a lieu de relever que le régime instauré par la directive 85/374 n’a pas non plus évolué, en pratique, depuis l’adoption de cette directive. En dépit de la formulation de son dix-huitième considérant et de la clause de révision prévue à son article 21, la directive 85/374 n’a été modifiée qu’une seule fois. La directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, modifiant la directive 85/374 ( 26 ) a inséré dans la directive 85/374 une définition de la notion de «produit» et supprimé la possibilité pour les États membres d’exclure de son champ d’application les produits agricoles. Le législateur de l’Union n’a donc pas vu la nécessité de faire évoluer le régime de responsabilité instauré par la directive, si ce n’est en précisant l’une de ses notions et en supprimant une possibilité d’en limiter le champ d’application ( 27 ).

41.

Deuxièmement, comme je l’ai indiqué au point 20 des présentes conclusions, la protection des consommateurs n’est ni le seul ni le principal objectif de la directive 85/374. Le législateur a procédé à une pondération entre les différents intérêts en jeu et établi les principes de la responsabilité du fait des produits qu’il n’a pas jugé utile de modifier jusqu’ici. Si le législateur a donc admis, à l’article 13 de la directive 85/374, le maintien en vigueur de certains droits des victimes fondés sur un régime spécial de responsabilité et allant plus loin que les droits conférés par cette directive, le simple fait d’élever le niveau de protection des consommateurs ne saurait justifier de renforcer encore ces droits en multipliant les dérogations aux principes définis dans ladite directive.

42.

Je rappelle toutefois que l’harmonisation réalisée par la directive 85/374 n’est pas «complète» (voir les points 21 à 24 des présentes conclusions). Les principes définis dans la directive sont complétés et précisés conformément aux règles de droit en vigueur dans les États membres, qui découlent tant de la législation que de la pratique juridictionnelle. Ces règles peuvent être modifiées, notamment pour être adaptées à l’évolution du contexte socio-économique, à la condition que le régime de responsabilité du fait des produits reste conforme aux principes de cette responsabilité, tels que définis dans la directive 85/374. Il en va de même, selon moi, du régime spécial de responsabilité visé à l’article 13 de cette directive. Les droits conférés aux victimes par ce régime spécial peuvent aller au-delà de ce que prévoient les droits issus de la directive uniquement dans la mesure de ce qui existait déjà au moment de sa notification. En revanche, les principes du fonctionnement de ce régime spécial, qui concernent des questions non régies par la directive, peuvent évoluer.

43.

Il y a donc lieu à mon avis d’interpréter l’article 13 de la directive 85/374 en ce sens qu’il permet uniquement, sur les questions régies par la directive, de conserver – dans le cadre du régime spécial de responsabilité visé par cette disposition – les droits des victimes allant au-delà du niveau de protection découlant des dispositions de la directive, à la condition que ces droits aient déjà existé au moment de la notification de la directive.

Problème du droit à l’information

44.

Ainsi que cela ressort de la décision de renvoi et comme je l’ai rappelé au point 12 des présentes conclusions, le litige au principal concerne le droit de la victime d’obtenir certains renseignements du fabricant du médicament. Ce droit est prévu à l’article 84a de l’AMG. Il me semble à cet égard que, pour répondre utilement à la juridiction de renvoi, outre l’interprétation générale de l’article 13 de la directive 85/374, une analyse de la possibilité d’introduire dans la législation nationale un dispositif tel que le droit à renseignement prévu à l’article 84a de l’AMG s’impose.

45.

La directive 85/374 ne régit pas directement cette question du droit à l’obtention de renseignements. Il s’agit cependant d’un outil censé aider la victime à démontrer le défaut du médicament, à l’origine du dommage invoqué par la victime. Or, la question de la preuve est régie par l’article 4 de la directive.

46.

En vertu de l’article 4 de la directive 85/374, la victime est tenue de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. Cette disposition ne régit pas en revanche les modalités d’administration de la preuve. Or, il est évident qu’en matière de responsabilité du fait des produits, de même que dans d’autres types de relations juridiques entre consommateurs et opérateurs économiques, il existe une inégalité significative dans l’accès à l’information, au détriment des consommateurs. Il s’ensuit que les mécanismes classiques de la responsabilité civile fondés sur l’égalité formelle des parties et le principe actori incumbit probatio peuvent s’avérer insuffisants pour permettre aux consommateurs de faire valoir efficacement leurs droits à l’encontre des opérateurs économiques. Le droit à renseignement de l’article 84a de l’AMG a été conçu pour combler cette inégalité. Il n’implique pas de renversement de la charge de la preuve mais permet uniquement à la victime d’obtenir des renseignements sur des éléments objectifs concernant le produit suspecté d’être à l’origine du dommage. Ces renseignements peuvent ensuite servir à la démonstration par la victime des conditions justifiant la responsabilité du fabricant.

47.

Le droit à renseignement ne relève donc pas de l’article 4 de la directive 85/374. Il y a lieu de considérer à cet égard que cette question fait partie des aspects non régis par cette directive au sens de la jurisprudence de la Cour mentionnée au point 22 des présentes conclusions. C’est donc au droit national des États membres qu’il revient de régler cette question, laquelle ne relève pas des aspects harmonisés par la directive.

48.

Il y a lieu de conclure dans ces conditions que la directive 85/374 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre introduise, dans son droit interne, un dispositif destiné à faciliter l’administration de la preuve, tel que le droit à renseignement prévu à l’article 84a de l’AMG. Cela vaut également pour le régime spécial de responsabilité visé à l’article 13 de cette directive. Le droit à l’information ne relevant pas des aspects harmonisés par la directive 85/374, celle‑ci ne fait pas obstacle à l’introduction d’un tel droit, même s’il n’existait pas, dans le cadre de ce régime spécial, au moment de la notification de la directive.

Conclusion

49.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose d’apporter la réponse suivante à la question posée par le Bundesgerichtshof:

L’article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux doit être interprété en ce sens qu’il permet uniquement, sur les questions régies par la directive, de conserver – dans le cadre du régime spécial de responsabilité visé par cette disposition – les droits des victimes allant au-delà du niveau de protection découlant des dispositions de la directive, à la condition que ces droits aient déjà existé au moment de la notification de la directive.

La directive 85/374 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre introduise, dans son droit interne, un dispositif destiné à faciliter l’administration de la preuve, tel que le droit à renseignement prévu à l’article 84a de l’AMG. La possibilité d’introduire un tel dispositif vaut également pour le régime spécial de responsabilité visé à l’article 13 de cette directive.


( 1 ) Langue originale: le polonais.

( 2 ) JO L 210, p. 29.

( 3 ) BGBl. I, p. 2198.

( 4 ) Une version consolidée a été publiée le 12 décembre 2005 (BGBl. I, p. 3394).

( 5 ) BGBl. I, p. 2674.

( 6 ) Voir deuxième considérant de la directive 85/374. Voir également Taschner, H. C., «Product liability: basic problems in a comparative law perspective», dans D. Fairgrieve (ed.), Product liability in comparative perspective, Cambridge, 2005, p. 155.

( 7 ) Arrêts Commission/France (C‑52/00, EU:C:2002:252, point 29) et Commission/Grèce (C‑154/00, EU:C:2002:254, point 29).

( 8 ) Voir, dans le même sens, arrêt Dutrueux et caisse primaire d’assurance maladie du Jura (C‑495/10, EU:C:2011:869, points 22, 23, 31).

( 9 ) Voir dans le même sens, notamment, Łętowska, E., Europejskie prawo umów konsumenckich, Warszawa 2004, p. 111, 112.

( 10 ) Arrêts Commission/France (EU:C:2002:252, point 24), Commission/Grèce (EU:C:2002:254, point 20) ainsi que Dutrueux et caisse primaire d’assurance maladie du Jura (EU:C:2011:869, point 20).

( 11 ) Arrêts Commission/France (EU:C:2002:252, points 14 à 20), Commission/Grèce (EU:C:2002:254, points 10 à 16). Voir plus en détail sur ce thème points 22 à 56 des conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/France (EU:C:2001:453).

( 12 ) Arrêt Moteurs Leroy Somer (C‑285/08, EU:C:2009:351, point 25).

( 13 ) Voir notamment: Dubouis, L., Blumann, C., Droit matériel de l’Union européenne, 5e édition, Montchrestien, 2009, p. 320; Kowalik-Bańczyk, K., commentaire sur l’article 114 TFUE dans Wróbel, A. (réd.), Traktat o funkcjonowaniu Unii Europejskiej. Komentarz Lex, tome II, Warszawa, 2012, p. 521 et suiv.

( 14 ) Voir, dans le même sens, notamment, Łętowska, E., op. cit., p. 103.

( 15 ) Voir en particulier arrêt González Sánchez (C‑183/00, EU:C:2002:255, point 31).

( 16 ) Le treizième considérant de la directive 85/374 le confirme également. Malgré certaines divergences sur ce point dans les différentes versions linguistiques, il y est clairement question d’un régime de responsabilité concernant les produits pharmaceutiques existant déjà (c’est‑à‑dire au moment de la notification de la directive) dans un État membre (à savoir la République fédérale d’Allemagne).

( 17 ) Mise en italique par mes soins.

( 18 ) Voir, dans le même sens, arrêts Commission/France (EU:C:2002:252, point 22); Commission/Grèce (EU:C:2002:254, point 18), González Sánchez (EU:C:2002:255, point 31).

( 19 ) EU:C:2002:255.

( 20 ) Ibidem (point 12).

( 21 ) Ibidem (points 31 à 33).

( 22 ) Ibidem (point 34).

( 23 ) Le médicament Contergan prescrit à des femmes enceintes avait provoqué environ 2500 cas de malformations de nouveau-nés en Allemagne. La procédure d’indemnisation s’était réglée par la conclusion d’un accord mais avait en même temps donné l’impulsion des travaux sur le régime de responsabilité du fait des produits pharmaceutiques défectueux et, plus largement, sur le système de contrôle de ces produits. Voir notamment Borghetti, J. S, La responsabilité du fait des produits. Étude de droit comparé, LGDJ, 2004, p. 134.

( 24 ) Ces doutes sont du reste soulevés par la doctrine: Jagielska, M., Odpowiedzialność za produkt, Zakamycze, 1999, p. 190.

( 25 ) JO L 311, p. 67.

( 26 ) JO L 141, p. 20.

( 27 ) Ce second point constituait du reste un simple retour au texte de la première proposition de la Commission, qui ne prévoyait pas la possibilité d’exclure les produits agricoles du champ d’application de la directive [voir la proposition de directive du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, du 9 septembre 1976 (JO C 241, p. 9)].

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