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Document 62012CC0176

Conclusions de l'avocat général .
Association de médiation sociale contre Union locale des syndicats CGT et autres.
Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.
Politique sociale - Directive 2002/14/CE - Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - Article 27 - Subordination de la mise en place d’institutions représentatives du personnel à certains seuils de travailleurs employés - Calcul des seuils - Réglementation nationale contraire au droit de l’Union - Rôle du juge national.
Affaire C-176/12.

Recueil de jurisprudence 2014 -00000

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2013:491

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 18 juillet 2013 ( 1 )

Affaire C‑176/12

Association de médiation sociale

contre

Union locale des syndicats CGT,

Hichem Laboubi,

Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône,

Confédération générale du travail (CGT)

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 27 — Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise — Directive 2002/14/CE — Disposition nationale excluant certaines catégories de travailleurs du droit de représentation dans l’entreprise — Effet des droits fondamentaux dans les relations entre particuliers — Droit fondamental de la Charte en tant que ‘principe’ — Article 51, paragraphe 1, de la Charte — Article 52, paragraphe 5, de la Charte — Possibilité d’invoquer un ‘principe’ dans un litige entre particuliers — Actes de l’Union qui concrétisent de manière essentielle et immédiate un ‘principe’ — Concrétisation par une directive — Effet utile — Devoir du juge national de ne pas appliquer les dispositions nationales contraires aux actes qui concrétisent de manière essentielle et immédiate le contenu d’un ‘principe’ — Interprétation conforme du droit national — Limites»

1. 

Si elle est présentée le plus simplement possible, la question de principe que pose la Cour de cassation (France) est celle de savoir si la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») peut être invoquée dans les relations entre particuliers lorsque son contenu a été concrétisé par une directive. En cas de réponse positive, la juridiction de renvoi pose une question beaucoup plus spécifique, au sujet de laquelle la Cour dispose d’une jurisprudence qui facilitera considérablement sa tâche. Cependant, revenons, d’abord, à la question de principe.

2. 

À l’origine de l’affaire au principal se trouvent les doutes de la Cour de cassation quant à la compatibilité d’une disposition législative nationale avec le droit à l’information et à la consultation des travailleurs, tel qu’il est concrétisé par la directive 2002/14/CE ( 2 ). Cette directive a en effet mis en application de manière détaillée le droit aujourd’hui consacré à l’article 27 de la Charte, au sujet duquel il conviendra de déterminer s’il présente le caractère de «droit» ou plutôt celui de «principe», au sens des dispositions générales de la Charte (articles 51, paragraphe 1, et 52, paragraphe 5). Il convient en outre de noter que les doutes que nourrit la Cour de cassation s’inscrivent dans le contexte d’un litige entre un syndicat et un employeur, ce qui la conduit à interroger la Cour sur l’effet du droit en question et de sa concrétisation par la directive 2002/14 dans le domaine des relations entre particuliers.

3. 

Il ressort de manière manifeste de cet exposé succinct des termes de la présente affaire que la Cour est appelée à se prononcer sur plusieurs questions dont l’importance constitutionnelle est indéniable.

4. 

Dans un ordre logique, la première d’entre elles est la question extrêmement générale, que la Charte n’aborde pas expressément, de l’effet des droits fondamentaux dans le domaine des relations entre particuliers (effet «horizontal») et de leur éventuelle portée dans le cas du droit spécifiquement en cause.

5. 

Il pourrait également s’agir de la première occasion d’aborder de manière générale et particulière la question, à peine évoquée dans la Charte et dans ses explications, de la distinction entre les «droits» et les «principes», avec la différence de traitement qui en résulte, qui est annoncée à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et formulée à son article 52, paragraphe 5.

6. 

Il s’agirait également de l’occasion d’examiner pour la première fois le très complexe paragraphe 5 de l’article 52 de la Charte. Ainsi, c’est tout particulièrement la question de l’«application» des «principes», en tant que prémisse à leur caractère opérationnel, qui se pose. Toutefois, la question de la portée de la garantie juridictionnelle de ces «principes», telle qu’elle est définie par la deuxième phrase de ce paragraphe, se pose également.

7. 

Finalement, si la Cour suit le raisonnement que je proposerai ci-dessous, elle devra aborder ce qui constitue peut-être le point le plus sensible de la question posée par la Cour de cassation: au cas où l’acte de l’Union qui met en œuvre et concrétise de manière immédiate le «principe» est une directive, quelles sont les conséquences qui découlent du fait que le litige oppose deux particuliers? Cette dernière question met de nouveau en relief les limites de l’effet direct horizontal des directives et, en fin de compte, place inévitablement la présente affaire dans le sillage des affaires Mangold et Kücükdeveci, entre autres.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

8.

Comme l’indique son titre, l’article 27 de la Charte proclame le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise. Il dispose ce qui suit:

«Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.»

9.

À ses articles 51, paragraphe 1, et 52, paragraphe 5, la Charte développe la distinction entre les «droits» et les «principes» dans les termes suivants:

«Article 51

Champ d’application

1.   Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

[…]

Article 52

Portée et interprétation des droits et des principes

[…]

5.   Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes.»

10.

La directive 2002/14 prévoit, à son article 2, une série de définitions parmi lesquelles figure celle de la notion de «travailleur». Ledit article 2, sous d), dispose:

«[…] on entend par:

[…]

d)

‘travailleur’, toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi et conformément aux pratiques nationales».

11.

Le champ d’application de la directive 2002/14 est défini comme suit, à son article 3:

«Champ d’application

1.   La présente directive s’applique, selon le choix fait par les États membres:

a)

aux entreprises employant dans un État membre au moins 50 travailleurs, ou

b)

aux établissements employant dans un État membre au moins 20 travailleurs.

Les États membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés.

2.   Dans le respect des principes et objectifs visés dans la présente directive, les États membres peuvent prévoir des dispositions spécifiques applicables aux entreprises ou aux établissements qui poursuivent directement et essentiellement des fins politiques, d’organisation professionnelle, confessionnelles, charitables, éducatives, scientifiques ou artistiques, ainsi que des fins d’information ou d’expression d’opinions, à condition que, à la date d’entrée en vigueur de la présente directive, des dispositions de ce type existent déjà en droit national.

3.   Les États membres peuvent déroger à la présente directive en prévoyant des dispositions particulières applicables aux équipages des navires de haute mer.»

12.

La directive 2002/14 est entrée en vigueur le 23 mars 2002. Son délai de transposition a expiré le 23 mars 2005.

B – Le droit français

13.

L’article L. 1111‑3 du code du travail prévoit l’exception suivante au régime général de calcul des effectifs de l’entreprise:

«Ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs de l’entreprise:

1o

Les apprentis;

2o

Les titulaires d’un contrat initiative-emploi, pendant la durée de la convention prévue à l’article L. 5134‑66;

3o

(Abrogé);

4o

Les titulaires d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi pendant la durée de la convention mentionnée à l’article L. 5134‑19‑1;

5o

(Abrogé);

6o

Les titulaires d’un contrat de professionnalisation jusqu’au terme prévu par le contrat lorsque celui-ci est à durée déterminée ou jusqu’à la fin de l’action de professionnalisation lorsque le contrat est à durée indéterminée.

Toutefois, ces salariés sont pris en compte pour l’application des dispositions légales relatives à la tarification des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles.»

II – Les faits et la procédure nationale

14.

L’Association de médiation sociale (ci-après l’«AMS») est une association privée sans but lucratif régie par la loi française sur les associations de 1901, dont l’objectif fondamental est la prévention de la délinquance dans l’agglomération urbaine de Marseille. À cette fin, l’AMS réalise des activités de médiation socioprofessionnelle dans le cadre desquelles elle emploie des jeunes à l’aide de «contrats d’accompagnement dans l’emploi», pour ensuite les orienter vers des activités professionnelles ou sociales plus stables. Grâce à ces contrats, l’AMS vise donc la réinsertion professionnelle et sociale de personnes en situation particulièrement précaire. Au moment du litige au principal, l’AMS avait conclu entre 120 et 170 «contrats d’accompagnement dans l’emploi».

15.

S’agissant, comme je l’ai dit, d’une association privée sans but lucratif, l’AMS bénéficie toutefois du soutien de différents acteurs institutionnels aux niveaux régional et municipal ainsi que de l’appui d’autres représentants sociaux locaux à caractère privé.

16.

Pour réaliser ses activités, l’AMS dispose de son propre personnel bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée, qui s’élève à un total de huit travailleurs. M. Laboubi est l’un d’entre eux. Il a été engagé à durée indéterminée le 28 novembre 2005 et est responsable des activités de médiation de proximité dans les collèges de Marseille.

17.

En conséquence de l’exclusion de la catégorie des «contrats d’accompagnement dans l’emploi» prévue à l’article L. 1111‑3 du code du travail, l’AMS prend uniquement en compte ses huit travailleurs à durée indéterminée dans le calcul de ses effectifs. Ce calcul a des conséquences, pour ce qui nous intéresse dans la présente affaire, au niveau du régime de représentation des travailleurs dans l’entreprise. Contrairement à ce qui se produit avec les contrats à durée déterminée, qui sont pris en compte à concurrence de leur durée, les «contrats d’accompagnement dans l’emploi» sont totalement exclus de ce calcul. Bien que l’AMS compte une centaine de travailleurs bénéficiant d’un «contrat d’accompagnement dans l’emploi», auxquels s’ajoutent les huit travailleurs permanents de l’association, la législation nationale a pour conséquence que cette entreprise n’atteint pas l’effectif minimum de cinquante travailleurs à partir duquel les dispositions pertinentes de la directive 2002/14 lui seraient applicables.

18.

En dépit de ce qui précède, le 4 juin 2010, l’Union locale des syndicats CGT Quartiers Nord a notifié au directeur de l’AMS la création d’une section syndicale de la Confédération générale du travail (CGT) au sein de cette association, en nommant M. Laboubi comme son représentant. L’AMS a répondu au courrier du syndicat en soutenant que, comme ladite association n’atteint pas l’effectif minimal de cinquante travailleurs, elle n’est pas obligée de prendre des mesures de représentation des travailleurs.

19.

Le 18 juin 2010, l’AMS a convoqué M. Laboubi à une réunion à l’occasion de laquelle la suspension provisoire de la relation de travail lui a été notifiée. À cette même date, l’AMS a saisi le tribunal d’instance de Marseille d’une demande d’annulation de la désignation de M. Laboubi en qualité de représentant de la section syndicale de la CGT.

20.

Au cours de la procédure devant le tribunal d’instance de Marseille, ce dernier a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, au motif que l’exclusion des «contrats d’accompagnement dans l’emploi» du calcul des effectifs de l’entreprise pourrait porter atteinte au principe constitutionnel d’égalité. Par décision du 29 avril 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que l’exclusion en cause n’était pas inconstitutionnelle.

21.

À l’issue de ce contrôle incident de constitutionnalité, le tribunal d’instance de Marseille a jugé que les dispositions de l’article L. 1111‑3 du code du travail étaient contraires au droit de l’Union et, concrètement, à la directive 2002/14. Il n’a donc pas appliqué cette disposition législative nationale et, en conséquence, a rejeté le recours de l’AMS.

22.

Ce jugement ayant fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation, cette juridiction a décidé de saisir la Cour du présent renvoi préjudiciel, conformément aux dispositions de l’article 267 TFUE.

III – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

23.

La demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation, parvenue au greffe de la Cour le 16 avril 2012, porte sur les questions suivantes:

«1)

Le droit fondamental relatif à l’information et à la consultation des travailleurs, reconnu par l’article 27 de la Charte […], tel que précisé par les dispositions de la directive 2002/14/CE […], peut-il être invoqué dans un litige entre particuliers aux fins de vérifier la conformité d’une mesure nationale de transposition de [ladite] directive?

2)

Dans l’affirmative, ces mêmes dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une disposition législative nationale excluant du calcul des effectifs de l’entreprise, notamment pour déterminer les seuils légaux de mise en place des institutions représentatives du personnel, les travailleurs titulaires des contrats suivants: apprentissage, contrat initiative-emploi, contrat d’accompagnement dans l’emploi, contrat de professionnalisation?»

24.

La CGT, partie défenderesse au principal, les gouvernements français, allemand, néerlandais et polonais ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

25.

L’audience, à laquelle ont participé les représentants de la CGT ainsi que les agents de la République française, de la République de Pologne et de la Commission, s’est tenue le 23 avril 2013.

IV – Analyse

26.

La Cour de cassation nous saisit de deux questions de nature très différente, la réponse à la seconde étant subordonnée à une réponse affirmative à la première. La première question concerne essentiellement des interrogations de principe, comme je l’ai indiqué au début des présentes conclusions. En définitive, il s’agit de savoir si un droit proclamé par la Charte et concrétisé par le droit dérivé constitue un paramètre d’appréciation légitime dans le cadre concret d’un litige entre particuliers. Au cas où nous répondrions que ce paramètre est viable, et seulement dans ce cas, la juridiction de renvoi nous pose alors une question concrète et spécifique, sur laquelle elle nourrit également des doutes, concernant la compatibilité avec le droit de l’Union d’une disposition législative nationale déterminée, à savoir l’article L. 1111‑3, point 4, du code du travail.

27.

Comme il est essentiel d’éviter toute équivoque, il convient de préciser que cela signifie que la Cour de cassation ne nous pose pas l’habituelle question de savoir si une directive peut avoir un effet horizontal dans les relations entre particuliers, puisque la décision de renvoi montre que la Cour de cassation a une connaissance suffisante de la jurisprudence de la Cour à ce sujet. Ce qu’elle nous demande, en premier lieu, est quelque chose de tout à fait différent. Elle souhaite savoir si, dans un cas où, d’une part, le contenu de la Charte requiert la médiation d’un acte de concrétisation et où, d’autre part, cette concrétisation s’est produite par l’intermédiaire d’une directive, la Charte constitue un paramètre de contrôle admissible pour que le juge statue sur la légalité d’une règle nationale. Comme je l’ai indiqué, nous aborderons ensuite la question que se pose la Cour de cassation au sujet de la compatibilité entre le droit de l’Union et le droit national.

A – Sur la première question préjudicielle

1. La Charte et son effet dans les relations entre particuliers

28.

Avant de proposer une réponse à la question de l’effet horizontal des droits fondamentaux, je pense qu’il est opportun de s’intéresser à ce qui me paraît être une confusion. Il s’agit de la thèse selon laquelle la Charte contient une disposition relative à l’effet ou, plutôt, à l’absence d’effet des droits fondamentaux dans les relations entre particuliers. Selon cette thèse, cette disposition serait l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, en vertu duquel «[l]es dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions […] de l’Union […] ainsi qu’aux États membres».

29.

À partir de ce libellé, la thèse dont je m’écarte extrait une conséquence a contrario ou, si l’on préfère, d’inclusio unius, selon laquelle, comme les dispositions de la Charte s’adressent aux institutions de l’Union et aux États membres, elles ne s’adressent pas aux particuliers ( 3 ).

30.

Je considère que cette déduction est tout à fait précipitée. Il suffit de dire que, traditionnellement, les textes, dans leur majorité constitutionnels, qui contiennent des déclarations de droits ne font pas de référence expresse aux destinataires ou aux sujets passifs desdits droits, que l’on identifiait spontanément comme étant les pouvoirs publics. D’autre part, la mention expresse des particuliers en tant qu’éventuels destinataires reste clairement minoritaire. Cela revient à dire que, dans la majorité des cas, la question de l’importance des droits fondamentaux dans les relations de droit privé a dû être réglée par voie d’interprétation, sans l’aide d’une règle constitutionnelle expresse, et généralement au cas par cas ( 4 ).

31.

À mon sens, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une interprétation exhaustive de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, il est assez clair que la question que cette disposition aborde en substance est celle de la portée avec laquelle les droits fondamentaux proclamés par la Charte lient, d’une part, les institutions de l’Union et, d’autre part, les États membres. De mon point de vue, rien, dans la rédaction de cette disposition ou, sauf erreur de ma part, dans les travaux préparatoires ou dans les explications de la Charte, ne conduit à penser que, à travers son libellé, ce soit la question très complexe de l’effet des droits fondamentaux dans les relations entre particuliers qui ait voulu être abordée ( 5 ).

32.

Finalement, je considère que la deuxième phrase de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ne s’oppose pas non plus à ce raisonnement lorsqu’elle indique qu’«ils», c’est-à-dire l’Union et les États membres, «respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités». Il est clair que l’objectif de cette phrase n’est pas non plus, même marginalement, d’exclure la pertinence des droits fondamentaux prévus par la Charte pour les relations de droit privé. Le sens de cette phrase est d’introduire, en premier lieu, la summa divisio entre les «droits» et les «principes» et, en deuxième lieu, un caveat en ce qui concerne une éventuelle atteinte à l’attribution de compétences à l’Union, telle que prévue par les traités, en conséquence de l’entrée en vigueur de la Charte.

33.

Si tel est le cas, comme je le crois, cela signifierait alors que, sur ce point, l’interprète de la Charte se trouve devant le même horizon, fréquemment nébuleux, que celui auquel sont généralement confrontés les interprètes des constitutions des États membres.

34.

Si l’on entre dans le vif du sujet, et compte tenu de certaines opinions exposées à cet égard, il pourrait sembler que l’idée de l’effet horizontal soit une notion inconnue en droit de l’Union, à laquelle l’on serait confronté pour la première fois avec l’introduction de la Charte dans le droit primaire de l’Union. Cependant, l’idée selon laquelle les libertés fondamentales de circulation ( 6 ) ou certains principes, tels que le principe de non-discrimination fondée sur le sexe ( 7 ), sont pertinents dans les relations juridiques privées est ancienne et consolidée. Dans ces circonstances, l’idée selon laquelle les droits fondamentaux de la Charte différents des libertés fondamentales ou du principe d’égalité pourraient faire l’objet d’un régime différent et, pour ainsi dire, moins favorable, dans le contexte de la Charte, semble extrêmement problématique.

35.

En somme, comme le relève à juste titre la juridiction de renvoi, étant donné que l’effet horizontal des droits fondamentaux n’est pas inconnu en droit de l’Union, il serait paradoxal que, justement, l’introduction de la Charte dans le droit primaire puisse changer, négativement, cet état des choses.

36.

Le problème de ce que l’on appelle fréquemment la «Drittwirkung», suivant une expression allemande consacrée, n’est pas tant l’idée en elle-même, sa notion, ou sa représentation dans notre culture constitutionnelle, qui est difficilement contestable ( 8 ). Le problème réside dans la compréhension correcte de son effet en termes concrets et il s’aggrave lorsque cet effet est, presque par nécessité, protéiforme, en ce sens que ses manifestations sont très variées. Par conséquent, la difficulté porte sur la compréhension du fait que l’obligation des particuliers de respecter les droits et les libertés des tiers est normalement imposée, de manière immédiate et directe, par l’autorité publique elle-même. Dans cette perspective, l’idée de la soumission des particuliers aux droits fondamentaux se traduit fréquemment par le «devoir de protection» des droits par l’autorité publique ( 9 ). Il s’agit, par ailleurs, de l’approche qu’a suivie la Cour européenne des droits de l’homme, qui jouit, à ce niveau, d’une incontestable autorité ( 10 ).

37.

En pratique, l’effet des droits fondamentaux entre particuliers devient pertinent lorsque l’ordre juridique prévoit une garantie spécifique des droits fondamentaux, souvent juridictionnelle. Dans un tel cas, la qualité propre aux droits fondamentaux s’impose ou se superpose au domaine du droit privé, et ce du fait de l’organe étatique qui se prononce, avec la plus haute autorité, sur les droits fondamentaux. De ce point de vue, la notion d’effet horizontal se traduit par une augmentation frappante de la présence de l’interprète judiciaire des droits fondamentaux dans le cadre des relations de droit privé. L’instrument le plus concret grâce auquel ce mécanisme devient effectif est celui des procédures ad hoc de protection individuelle des droits fondamentaux, là où elles existent ( 11 ).

38.

Finalement, l’effet horizontal des droits fondamentaux opère de manières très diverses en ce qui concerne chacun d’entre eux ou, plus simplement, en ce qui concerne les différentes catégories de droits fondamentaux. Il y a des droits qui, du fait de leur propre structure, ne s’adressent pas aux particuliers, de même qu’il y a des droits dont il serait inconcevable de nier l’importance dans les relations de droit privé. Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur ce point, et la présente occasion ne le permet d’ailleurs pas. Il suffit de focaliser notre attention sur le droit qui nous occupe, à savoir le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, prévu à l’article 27 de la Charte.

39.

Le droit reconnu dans cet article constitue un excellent exemple de la seconde catégorie de droits que je viens de citer, c’est-à-dire les droits dont il serait plus que risqué de nier la pertinence dans les relations de droit privé. Comme nous le savons déjà, cet article déclare, dans des termes que nous aurons encore tout le loisir d’étudier, que «[l]es travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales».

40.

L’article en question est intitulé «Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise», cette dernière précision rendant inévitable la reconnaissance du fait que «l’entreprise» est, d’une manière ou d’une autre, impliquée dans l’efficacité de ce droit. Il est vrai que les pouvoirs publics (l’Union et les États) seront les premiers appelés à «garantir» aux travailleurs la jouissance de ce droit, et ce par l’intermédiaire de l’adoption et de la mise en œuvre des dispositions pertinentes. Toutefois, ce sont également les entreprises elles-mêmes, peu importe qu’elles soient publiques ou privées, qui, en se conformant aux dispositions des pouvoirs publics, doivent garantir, au jour le jour, l’information et la consultation des travailleurs aux niveaux adéquats.

41.

Ce qui précède me conduit à une conclusion intermédiaire et conditionnée par ce qui sera exposé ci-dessous, en vertu de laquelle ledit article 27 peut être invoqué dans un litige entre particuliers. Autrement dit, cette possibilité ne saurait être rejetée sur le fondement de la thèse selon laquelle la Charte, en conséquence des dispositions de son article 51, paragraphe 1, serait dépourvue de pertinence dans les relations de droit privé.

42.

Le problème qu’il conviendra d’aborder ici est que la Charte contient tant des «droits» que des «principes», au sens de ses dispositions générales. Au cas où le droit à l’information et à la consultation constituerait un «principe», l’article 52, paragraphe 5, de la Charte contient des dispositions très spécifiques, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, concernant les possibilités limitées d’invoquer un «principe» devant un organe juridictionnel. Cela nous amène à nous pencher sur le statut de «principe», qu’il convient de reconnaître à l’article 27 de la Charte.

2. Le droit à l’information et à la consultation en tant que «principe» au sens des dispositions générales de la Charte

43.

Parmi les nouveautés introduites par la Charte dans la version de 2007, la distinction entre «droits» et «principes» qui est introduite à l’article 51, paragraphe 1, énoncée dans le titre de l’article 52 et précisée dans ses effets, en ce qui concerne les principes, dans le paragraphe 5 de cet article, est particulièrement notable. Cependant, il est remarquable que la Charte ne classe pas les droits fondamentaux dans chacun des deux groupes, comme cela est habituel en droit comparé ( 12 ). Les explications de la Charte se limitent à proposer quelques exemples de l’un et de l’autre, le droit qui nous intéresse ne figurant malheureusement pas parmi ceux-ci ( 13 ). Aux fins de la présente affaire, comme je l’ai déjà annoncé, cela pose un problème, même si ce dernier n’est évidemment pas insurmontable.

44.

Il semble presque superflu de commencer par observer que, dans l’architecture de la Charte, la catégorie générale choisie pour sa propre dénomination, celle des «droits fondamentaux», concerne tous ses contenus. Autrement dit, aucun contenu de la Charte, dans ses dispositions substantielles, ne doit rester en dehors de la catégorie des «droits fondamentaux». Cela dit, il convient de remarquer une chose qui pourrait paraître moins évidente: le fait qu’un certain contenu substantiel de la Charte soit, dans un autre endroit de ce texte, qualifié de «droit» ne suffit pas, à lui seul, à l’écarter du statut de candidat à la catégorie des «principes», au sens de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte.

45.

En effet, il est fréquent, tant dans la Charte elle-même que dans les traditions constitutionnelles des États membres, que soient qualifiés de «droits» ou de «droits sociaux» les contenus substantiels d’ordre social qui opèrent seulement du fait de la médiation des pouvoirs publics ou de la concrétisation par ces derniers, car il n’en découle aucune situation juridique subjective immédiatement exigible. Il s’agit de «droits» (sociaux) en raison de leur domaine, ou même de leur nature, et il s’agit de «principes» en raison de leur caractère opérationnel.

46.

Les auteurs de la Charte ont, à plus ou moins juste titre, considéré que le fait d’employer le verbe «respecter» pour les droits et le verbe «observer» pour les principes permettait de gagner en clarté. Cela ne me semble pas évident. En revanche, la formulation de la mission de «prom[ouvoir] l’application» des «principes» dans la deuxième phrase de l’article 51, paragraphe 1, me paraît plus expressive. Cette mission est en effet importante et elle exprime, en même temps, le potentiel essentiel des «principes». J’essaierai d’exposer succinctement le sens de la présence de ce type de dispositions dans les déclarations de droits des États membres et, maintenant, dans la Charte, par des références à leur genèse, à titre d’étape préalable à la proposition d’une approche du droit qui nous intéresse en tant que «principe».

a) La genèse de la distinction entre «droits» et «principes» et ses sources d’inspiration comparées

47.

La Convention chargée de rédiger la première version de la Charte avait déjà à l’esprit l’utilité de l’introduction d’une distinction entre les «droits» et les «principes». Ces catégories devaient servir non seulement à faciliter un large consensus au sein de la première Convention, mais également à faciliter l’application pratique des dispositions de la Charte ( 14 ). Les auteurs de la Charte se sont fiés à l’expérience de certains États membres, dans lesquels une différenciation semblable permettait une «justiciabilité» pleine et entière des «droits» et une «justiciabilité» réduite, ou inexistante dans certains cas, des «principes».

48.

Depuis 1937 déjà, la Constitution irlandaise, à son article 45, fait référence à une liste exhaustive de ce que je qualifierais de «principes directeurs de la politique sociale» («directive principles of social policy»), dont le contenu ne peut pas être apprécié par les tribunaux, car le seul pouvoir chargé de veiller à leur respect est le législateur ( 15 ). Plusieurs décennies plus tard, la Constitution espagnole de 1978 a développé cette approche et reconnu, à son article 53, paragraphe 3, que les «principes» peuvent, en tout cas, «inspirer» la pratique judiciaire ( 16 ). D’autres États membres vont dans le même sens et reconnaissent l’existence de catégories analogues aux «droits», mais différentes de ceux-ci, qui s’adressent principalement au législateur, tout en étant susceptibles de jouer un rôle interprétatif sur le plan juridictionnel, voire de permettre un certain contrôle de validité des actes du législateur dans les États qui admettent le contrôle juridictionnel des lois ( 17 ). Telle a été, par exemple, la fonction des «objectifs de valeur constitutionnelle» développés dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français ( 18 ), des «objectifs constitutionnels» de la Constitution autrichienne ( 19 ) ainsi que de la catégorie équivalente prévue par la Loi fondamentale de Bonn ( 20 ). La Constitution polonaise est aussi représentative. Son article 81 limite également la portée de certains droits économiques et sociaux, bien que la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Tribunal constitutionnel) (Pologne) ait ouvert la possibilité d’un contrôle limité de la constitutionnalité de lois à la lumière desdits droits ( 21 ).

49.

En résumé, les États membres qui connaissent une distinction analogue à celle prévue à l’article 52, paragraphe 5, de la Charte ont créé une catégorie complémentaire à celle des «droits», caractérisée par son défaut de capacité à reconnaître des droits subjectifs directement invocables devant les tribunaux, mais dotée d’une force normative de rang constitutionnel qui permet un contrôle d’actes, principalement de caractère législatif ( 22 ). Cette idée reflète également les inquiétudes au sein de la Convention chargée de rédiger la Charte et de la Convention sur l’avenir de l’Europe. Plusieurs États membres redoutaient que la reconnaissance de certains droits économiques et sociaux provoque une judiciarisation des politiques publiques, en particulier dans des domaines de grande importance du point de vue budgétaire. En effet, dans un premier temps, ce qui finira par être qualifié de «principes» était désigné par «principes sociaux» dans les projets initiaux ( 23 ). Bien que l’adjectif «sociaux» ait ensuite disparu, il est évident que la principale préoccupation des auteurs de la Charte résidait dans les droits à prestation et les droits d’ordre socioprofessionnel ( 24 ).

b) Sur la notion de «principe» au sens de la Charte

50.

Il ressort de la teneur de la Charte que les «principes» contiennent des missions confiées aux pouvoirs publics, et ils sont ainsi différents des «droits», dont l’objet est la protection d’une situation juridique individuelle directement définie, même si leur concrétisation à des niveaux inférieurs de l’ordre juridique est également possible. Les pouvoirs publics doivent respecter la situation juridique individuelle garantie par les «droits», mais, dans le cas des «principes», leur mission est significativement plus ouverte. Ces «principes» définissent non pas une situation juridique individuelle, mais des matières générales et des résultats qui conditionnent l’action de tous les pouvoirs publics. En d’autres termes, les pouvoirs publics, et en particulier le législateur, sont appelés à promouvoir et à transformer le «principe» en réalité juridique perceptible, mais toujours dans le respect du cadre objectif (la matière) et de son caractère finaliste (les résultats) tracés par le libellé de la Charte qui contient ce «principe» ( 25 ).

51.

Le fait que les principes se caractérisent par la notion de mission ressort également des explications relatives à l’article 52 de la Charte, dont la valeur interprétative est confirmée par le traité sur l’Union européenne lui-même, à son article 6, paragraphe 1, troisième alinéa. En effet, les explications offrent plusieurs exemples de «principes», qui sont construits comme des mandats confiés à «l’Union», celle-ci étant entendue dans un sens large, qui comprend toutes les institutions, mais également les États membres lorsqu’ils appliquent le droit de l’Union ( 26 ). Ainsi, l’article 25 de la Charte, qui est expressément mentionné dans ces explications, dispose que l’Union «reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle». En vertu de l’article 26 de la Charte, le droit des personnes handicapées «à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté» doit faire l’objet de la même reconnaissance et du même respect. Une fois de plus, la mission confiée à l’Union réapparaît à l’article 37 de la Charte, qui exige qu’elle intègre et assure «[u]n niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité […] conformément au principe du développement durable».

52.

Qu’en est-il de l’article 27 de la Charte? La première chose à signaler est que l’introduction dans la Charte du droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, en tant que premier article du titre consacré à la solidarité, n’a rien de fortuit. Ce droit social est, comme l’indiquent les explications, le reflet de l’article 21 de la Charte sociale européenne ( 27 ) et des points 17 et 18 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. De plus, il s’agit d’un droit qui était présent dans le droit dérivé avant l’entrée en vigueur de la Charte, non seulement dans la directive 2002/14, que j’ai déjà mentionnée, mais également dans d’autres règles de droit du travail de l’Union, telles que la directive 98/59/CE ( 28 ) ou la directive 94/45/CE ( 29 ).

53.

Dans ces conditions et avec toutes les difficultés que comporte le fait de compléter le sens de la Charte là où elle a, pour ainsi dire, elle‑même renoncé à poursuivre son travail, je considère que les arguments conduisant à classer le contenu substantiel de l’article 27 de la Charte dans la catégorie des «principes» pèsent davantage que les arguments en faveur de la catégorie des «droits». Il existe avant tout une raison structurelle qui confirme qu’il s’agit d’une mission des pouvoirs publics au sens exposé au point 50 des présentes conclusions.

54.

En effet, au-delà de la proclamation du droit en elle-même et du devoir de le garantir qui en découle, la portée du droit directement assuré par l’article 27 de la Charte est extrêmement faible («les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales»). Cela confirme le fait que cette disposition renonce à définir une situation juridique individuelle et laisse au législateur de l’Union et au législateur national le soin de concrétiser le contenu et les objectifs énoncés par le «principe». Il est vrai qu’«une information et une consultation» sont «garanti[es]» à un titulaire, à savoir les travailleurs. Toutefois, il n’y a aucune précision sur le type d’information, les modalités de consultation, les niveaux visés ou les représentants concernés. Le contenu de ladite disposition est si peu déterminé qu’il ne peut être interprété que comme un devoir d’action confié aux pouvoirs publics afin qu’ils prennent les mesures nécessaires pour garantir un droit ( 30 ). Cette disposition ne définit donc pas une situation juridique individuelle, mais ordonne aux pouvoirs publics d’établir un contenu objectif (information et consultation des travailleurs) et certains objectifs (effectivité de l’information, représentativité en fonction des niveaux, et ce en temps utile).

55.

Il existe également un argument systématique. Le groupe de droits inclus dans le titre relatif à la solidarité comprend majoritairement des droits considérés comme sociaux en ce qui concerne leur substance, pour le contenu desquels des formules telles que celle de l’article 27 de la Charte sont privilégiées. Cela signifie qu’il existerait une forte présomption d’appartenance des droits fondamentaux visés dans ce titre à la catégorie des «principes». Il est vrai que cette position dans le système de la Charte ne saurait constituer davantage qu’une présomption, mais, dans le cas dudit article 27, il s’agit d’une caractéristique qui s’ajoute à celles déjà énumérées ci-dessus.

56.

Ce que j’ai exposé jusqu’à maintenant suffit pour fonder ma proposition, à titre de conclusion intermédiaire, selon laquelle le droit à l’information et à la consultation des travailleurs dans l’entreprise, tel qu’il est garanti par l’article 27 de la Charte, doit être compris comme constituant un «principe» au sens des articles 51, paragraphe 1, et 52, paragraphe 5, de la Charte.

3. Les «principes» au sens de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte: la possibilité d’invoquer devant les tribunaux les «actes de mise en œuvre»

57.

La conséquence logique de ce qui précède serait qu’un «principe» tel que celui figurant à l’article 27 de la Charte, qui garantit l’information et la consultation des travailleurs dans l’entreprise, serait soumis, quant à son régime, aux dispositions de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte, avec les conséquences que cela entraîne au niveau de la possibilité de l’invoquer devant les tribunaux. Toutefois, ledit article 52, paragraphe 5, présente une complexité remarquable et une analyse séparée de chacune de ses phrases s’impose. Par conséquent, il convient tout d’abord de rappeler que ce paragraphe 5 comprend une première phrase qui aborde ce qui peut être qualifié de «conditions du caractère opérationnel des ‘principes’» et une deuxième phrase qui délimite la portée de la «justiciabilité» de ces principes.

58.

La première phrase vise à donner un contenu au «principe», ce qu’elle effectue en déclarant que les «dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs» pris par l’Union ou par les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Je désignerais cet aspect de cette disposition comme étant la dimension de «concrétisation» du principe, qui se produit au moment de la configuration normative du «principe».

59.

La deuxième phrase contient les éléments destinés à veiller à ce que les «principes» soient effectifs devant les organes juridictionnels, bien que, comme le précise cette disposition, les effets soient limités à «l’interprétation et [au] contrôle de la légalité de tels actes». Je désignerais ce deuxième aspect comme étant la dimension de l’«invocation» du «principe», qui se déroule dans la phase juridictionnelle de la vie du «principe».

a) Les «actes d’application» qui concrétisent le «principe» (article 52, paragraphe 5, première phrase, de la Charte)

60.

L’Union et les États membres sont tenus de «promouvoir» les «principes» énumérés dans la Charte (article 51, paragraphe 1) et, à cette fin, ils adoptent les mesures d’«application» nécessaires pour garantir que cette promotion soit effective. Malgré l’emploi du verbe «pouvoir», il est évident qu’il s’agit non pas d’un pouvoir discrétionnaire absolu, mais d’une possibilité conditionnée, comme je viens de le signaler, par la présence d’une mission claire à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, qui exige que l’Union et les États membres «promeuvent» les «principes». Il est clair qu’une telle promotion n’est possible que par l’intermédiaire des actes de «mise en œuvre» auxquels fait ensuite référence l’article 52 de la Charte.

61.

Une analyse détaillée de la première phrase de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte confirme également que cette disposition fait référence à des mesures de mise en œuvre normative des «principes», avec les conséquences que j’exposerai ci-dessous.

62.

En effet, la première phrase dudit paragraphe 5 déclare que les «principes» de la Charte peuvent «être mis en œuvre» par des actes de l’Union et des États membres. Ces actes de mise en œuvre doivent être compris comme étant les actes nécessaires de concrétisation normative, dont l’objectif n’est autre que de donner un contenu suffisant au «principe», de sorte qu’il puisse acquérir un contenu autonome et, en définitive, qu’il se traduise par un droit que le juge puisse connaître. Le libellé de cette disposition ne peut pas être compris d’une autre manière, puisque cette mission s’adresse non seulement à l’exécutif, mais également au législateur. Par conséquent, lorsque ladite disposition fait référence à la «mise en œuvre», elle vise, avant tout, une exécution spécifiquement normative.

63.

Ensuite, je considère que, dans les actes d’application normative auxquels fait référence la première phrase de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte, il convient d’identifier la présence de certaines dispositions dont on peut dire qu’elles concrétisent de manière essentielle et immédiate le contenu du «principe». Cette différenciation est inéluctable car, sinon, dans des domaines aussi étendus que la politique sociale, l’environnement ou la protection des consommateurs, la «mise en œuvre» d’un «principe» ne représenterait rien de moins qu’une branche entière de l’ordre juridique, telle que la totalité du droit social, du droit de l’environnement ou du droit de la consommation. Cette conséquence rendrait redondante et perturbante, car impossible, la fonction que la Charte confère aux «principes» en tant que paramètres d’interprétation et de contrôle de la validité d’actes.

64.

En faisant ainsi la distinction entre les actes de concrétisation essentielle et immédiate du contenu d’un «principe» et les autres actes, aussi bien normatifs que d’application individuelle de ceux-ci, il s’agit donc de sauvegarder l’effet utile tant des «principes» contenus dans la Charte que de l’objectif que poursuit l’article 52, paragraphe 5, de celle-ci, qui n’est autre que de garantir la protection, même conditionnée, des dispositions de la Charte qui requièrent une médiation normative.

65.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 constitue justement un bon exemple de ce que je qualifie d’acte de concrétisation essentielle et immédiate d’un «principe». Cet article, comme l’indique son titre, concerne, le «champ d’application» des droits définis dans la directive 2002/14. Pour ce qui nous intéresse, l’intitulé de la directive 2002/14 est également pertinent, puisqu’il indique qu’elle a pour objet d’«établi[r] un cadre général relatif à l’information et [à] la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne», ce qui correspond exactement au titre de l’article 27 de la Charte.

66.

Dans ce contexte, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 contient la précision essentielle et immédiate du point de vue du contenu du «principe», à savoir le champ d’application personnel du droit d’information et de consultation. Il va sans dire que cette détermination de la condition de sujet de ce droit constitue une prémisse essentielle pour l’exercice dudit droit, à partir de laquelle il est possible d’identifier la protection spéciale visée par la Charte. C’est en ce sens qu’il convient de se référer à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, en tant qu’exemple de concrétisation essentielle et immédiate de l’article 27 de la Charte qui est donc susceptible de s’intégrer au contenu justiciable de cet article, comme je vais maintenant l’expliquer.

b) La dimension de l’«invocation» du «principe» (article 52, paragraphe 5, deuxième phrase, de la Charte)

67.

La deuxième phrase de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte, que j’ai cité à tant de reprises, dispose que l’«invocation [des principes] devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes». Cette disposition contient deux aspects qu’il convient maintenant de mettre en relief, l’un implicite et l’autre explicite, le premier ne posant pas de problèmes particuliers d’interprétation, à la différence du second.

68.

En ce qui concerne le premier aspect, il saute aux yeux, à la lecture de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte, que sa formulation exclut implicitement, mais sans équivoque, la possibilité d’invoquer de manière immédiate un «principe» en vue d’exercer un droit subjectif fondé sur celui-ci ( 31 ). Par conséquent, la Charte limite la justiciabilité des «principes» à leur dimension, pour ainsi dire, affinée de normes et d’actes et elle le fait sur la base d’un critère constitué par le libellé littéral du «principe» dans la Charte et par les actes de concrétisation essentielle et directe.

69.

L’aspect explicite, qui est également le plus délicat en ce qui concerne son interprétation, a pour objet les «actes» auxquels ladite disposition fait référence. En effet, si la référence à «de tels actes» vise exclusivement les actes d’application normative qui donnent un contenu au principe, nous nous retrouvons dans une situation de «cercle vicieux». Ces actes normatifs d’application devraient être contrôlés à l’aune d’un principe dont le contenu, comme le déclare l’article 27 de la Charte, est justement celui qu’il reçoit de ces actes normatifs d’application.

70.

Force est dès lors de constater que le domaine des actes dont l’interprétation et le contrôle sont permis par la deuxième phrase de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte est différent et plus étendu que celui des actes de concrétisation normative. Concrètement, ce sont tous les actes de mise en œuvre qui vont au-delà de la concrétisation essentielle et immédiate du «principe» qui pourront être invoqués devant les tribunaux, avec les autres actes d’application. Dans le cas contraire, l’effet utile de l’article 27 de la Charte, tout comme celui de sa garantie juridictionnelle prévue par la deuxième phrase de l’article 52, paragraphe 5, de celle-ci, disparaîtrait.

71.

Par conséquent, compte tenu de la lecture intégrée de la première et de la deuxième phrase de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte, je considère que la fonction caractéristique des actes que j’ai qualifiés d’actes de concrétisation essentielle et immédiate du «principe» est de s’intégrer au critère de validité des autres actes qui appliquent ledit «principe» au sens de cette disposition. C’est à la lumière de ce critère, composé de l’énoncé du «principe» et de ses actes de concrétisation essentielle et immédiate, qu’il convient de statuer sur la validité des autres actes d’application.

72.

Ainsi, un exemple d’acte susceptible de faire l’objet d’un contrôle de légalité conformément à l’article 52, paragraphe 5, deuxième phrase, de la Charte est l’acte qui fait l’objet de la seconde question de la Cour de cassation, à savoir l’article L. 1111‑3, point 4, du code du travail, qui s’inscrit dans le régime de calcul des effectifs d’une entreprise aux fins de la représentation des travailleurs. Cette représentation opère comme un canal de transmission du droit à l’information et à la consultation des travailleurs et il s’agit donc d’un élément important dans la conception et l’exécution pratique du «principe» de l’article 27 de la Charte. La règle qui exclut une certaine catégorie de travailleurs du système de calcul des effectifs est une règle qui présente clairement un potentiel de violation du contenu du «principe», y compris, comme cela est clair, le contenu défini dans les actes de concrétisation essentielle et immédiate.

c) Le fait que l’acte de concrétisation essentielle et immédiate du «principe» présente le caractère d’une directive

73.

Dans le cas de figure que la Cour de cassation soumet à notre attention, la concrétisation du droit à l’information et à la consultation des travailleurs réside, en outre, dans une directive. Étant donné que l’affaire au principal présente le caractère d’un litige entre particuliers, cette circonstance soulève la question de savoir si le caractère de la règle de concrétisation, à savoir ses possibilités limitées d’effet horizontal, peut constituer un obstacle complètement insurmontable à tout ce que j’ai proposé jusqu’à maintenant. J’essaierai de montrer que tel n’est pas le cas.

74.

Bien que l’article 27 de la Charte requière la collaboration du législateur de l’Union, cela n’implique pas que cette collaboration s’accompagne d’une délégation illimitée en faveur du pouvoir législatif, d’autant plus qu’une telle délégation pourrait finir par vider de son sens la deuxième phrase de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte. Telle serait la conséquence si, en choisissant de légiférer par une directive, le législateur privait les particuliers, dans les litiges de droit privé, du contrôle juridictionnel de validité que leur garantit la Charte.

75.

Toutefois, on ne saurait ignorer que cette conclusion doit être conciliée avec une jurisprudence constante de la Cour, en vertu de laquelle les directives ne peuvent pas être invoquées, sauf à des fins d’interprétation, dans les litiges entre particuliers ( 32 ). Je ne crois pas que cela soit impossible et, contrairement à la position prise par la République fédérale d’Allemagne à ce sujet dans ses observations écrites, je ne pense pas non plus que les conséquences de ma proposition engendrent une insécurité juridique.

76.

La ou les dispositions d’une directive qui, théoriquement, peuvent concrétiser de manière essentielle et immédiate le contenu d’un «principe» ne sont pas nombreuses, bien au contraire. En ce sens, je pense qu’il est possible de parvenir à une compréhension très stricte de ce type de normes, de sorte que le résultat soit parfaitement supportable pour le régime de la catégorie normative dont elles relèvent, à savoir celui des directives. Autrement dit, la concrétisation essentielle et immédiate d’une disposition de la Charte est une fonction qui doit être considérée comme ponctuelle et, en tout cas, «singularisable». D’un point de vue quantitatif, les dispositions d’une directive qui remplissent cette mission seront en tout cas très limitées, de sorte que la jurisprudence constante et consolidée dans cette matière délicate doit pouvoir rester indemne en ce qui concerne la presque totalité des dispositions figurant dans les directives actuelles et futures.

77.

Enfin, je considère que ma proposition sur cette question délicate est cohérente avec l’évolution de la jurisprudence de la Cour, qui a admis, également de manière très précise, un contrôle objectif de la légalité d’actes nationaux à la lumière de directives dans des litiges entre personnes privées. Sans qu’il soit nécessaire de m’étendre davantage sur ce sujet, la solution que je propose, loin d’impliquer une inflexion de jurisprudence de la Cour, s’inscrit au contraire dans une voie déjà ouverte par les arrêts CIA Security International, Mangold, ou Kücükdeveci ( 33 ), pour ne citer que les arrêts les plus significatifs ( 34 ).

78.

Il convient d’ajouter une dernière précision importante. La solution proposée ne doit pas se traduire par une situation d’insécurité juridique. Bien au contraire, c’est la possibilité que le législateur dénature unilatéralement l’effet des dispositions générales de la Charte qui pourrait provoquer une telle situation. Le processus de concrétisation du contenu des «principes» fait partie d’un premier cycle de consolidation de la Charte et un tel processus se produit tout à fait naturellement durant les premières années de la vie d’une déclaration de droits dans un ordre constitutionnel. Avec le temps, ce contenu se consolidera et délimitera la justiciabilité des «principes» de la Charte, en indiquant tant aux pouvoirs publics qu’aux citoyens le type de contrôle que peuvent exercer les tribunaux, et dans quelles limites. Ce résultat ne peut que contribuer à renforcer la sécurité juridique quant à l’application d’un instrument central pour l’ordre juridique de l’Union tel que la Charte, en particulier en ce qui concerne les «principes» énoncés à son article 52, paragraphe 5.

79.

Cela dit, il est indéniable que, dans le cas d’un litige entre particuliers, même si le juge se contente d’invalider ou de ne pas appliquer un acte illégal, il y aura toujours une partie qui se verra imposer une obligation qu’elle ne comptait pas assumer à l’origine. Toutefois, comme l’a soutenu le représentant de la CGT lors de l’audience, un particulier qui subit un préjudice en conséquence d’une obligation imprévue, laquelle apparaît soudainement en conséquence d’une conduite illégale d’un État membre, pourra toujours faire valoir auprès de ce dernier, le cas échéant, le préjudice subi du fait de cette illégalité. Il est vrai que l’action en responsabilité des États membres pour violation du droit de l’Union a été conçue à l’origine pour protéger ceux qui invoquent un droit devant les tribunaux nationaux ( 35 ). Néanmoins, dans un cas comme celui qui nous occupe, dans lequel la règle de l’Union est un «principe» de la Charte dont le contenu a été violé par un acte dont la légalité est en cause dans un litige entre particuliers, il est raisonnable que la charge de l’action en indemnité retombe sur celui qui a bénéficié de la conduite illégale et non sur le titulaire du droit qui a surgi de la concrétisation du contenu du «principe».

80.

Par conséquent, à titre de conclusion, je considère, sur le fondement de l’article 52, paragraphe 5, deuxième phrase, de la Charte, que l’article 27 de la Charte, qui a été concrétisé de manière essentielle et immédiate dans l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, peut être invoqué dans un litige entre particuliers avec, pour éventuelle conséquence, l’inapplication de la réglementation nationale.

B – Sur la seconde question préjudicielle

81.

Par sa seconde question, située dans le contexte de l’application du régime de justiciabilité décrit ci-dessus, la Cour de cassation nous interroge directement sur la conformité au droit de l’Union, à savoir l’article 27 de la Charte tel qu’il a été concrétisé par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, d’un régime tel que celui prévu par l’article L. 1111‑3 du code du travail. En vertu de cette disposition, les travailleurs titulaires d’un «contrat initiative-emploi», d’un «contrat d’accompagnement dans l’emploi» et d’un «contrat de professionnalisation» ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs de l’entreprise, qui sert notamment à déterminer le nombre de travailleurs légalement requis pour constituer des organes de représentation du personnel.

82.

Bien que la question porte, en général, sur trois catégories de contrats exclus, il ressort du dossier que la requérante au principal, l’AMS, a conclu entre 120 et 170 «contrats d’accompagnement dans l’emploi» et il n’apparaît pas que des «contrats initiative-emploi» ou des «contrats de professionnalisation» aient été conclus. Par conséquent, à moins que la juridiction de renvoi ne constate le contraire, la réponse à fournir doit concerner exclusivement la conformité à la directive 2002/14 de l’exclusion des «contrats d’accompagnement dans l’emploi», prévue à l’article L. 1111‑3, point 4, du code du travail.

83.

Seules la République française, la CGT et la Commission se sont prononcées sur cette question. Selon la République française, la nature particulière des contrats exclus, parmi lesquels figurent les «contrats d’accompagnement dans l’emploi», justifie une restriction de la portée de l’article 27 de la Charte, qui a été concrétisé par la directive 2002/14. S’agissant de contrats destinés à l’insertion professionnelle, et non de contrats qui lient le travailleur dans le cadre d’une relation de travail ordinaire, les objectifs dudit article 27 et de la directive 2002/14 ne seraient pas compromis du fait de cette exclusion. La République française invoque l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, en vertu duquel l’exercice des droits et des libertés peut faire l’objet de limitations, dès lors qu’elles sont conformes au principe de proportionnalité.

84.

Pour sa part, la CGT centre ses arguments sur l’arrêt, rendu par la Cour, Confédération générale du travail e.a. ( 36 ). Cet arrêt a permis à la Cour de se prononcer pour la première fois sur la directive 2002/14, justement dans une affaire originaire de la République française, dans laquelle l’exclusion d’une catégorie de travailleurs jusqu’à ce qu’ils aient atteint un certain âge était mise en cause. Selon la CGT, le fait que la Cour ait jugé que cette exclusion était contraire à la directive 2002/14 confirmerait que, dans la présente affaire, dans laquelle se produit de nouveau une exclusion d’une catégorie de travailleurs, nous nous trouvons également devant une violation de cette directive. La Commission partage les arguments de la CGT et propose aussi à la Cour d’interpréter la directive 2002/14 en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause dans l’affaire au principal.

85.

En effet, comme le soulignent à juste titre la CGT et la Commission, l’arrêt CGT est éclairant pour la réponse à apporter à la seconde question. Dans cette affaire, la CGT contestait devant le Conseil d’État une réglementation nationale qui retardait la prise en compte d’une certaine catégorie de travailleurs dans le calcul des effectifs d’une entreprise jusqu’à ce qu’ils aient atteint un âge déterminé. La Cour a suivi la recommandation de l’avocat général Mengozzi et a jugé que le fait de retarder la prise en compte dans le calcul sur le fondement de l’âge ne constituait rien d’autre qu’une exclusion dudit calcul ( 37 ). La réglementation française n’excluait pas, à la base, un groupe de travailleurs, mais elle les excluait jusqu’à ce qu’ils aient atteint un certain âge. Toutefois, la Cour, qui se prononçait avant l’entrée en vigueur de la Charte, a jugé que cette condition d’âge équivalait à une exclusion puisqu’elle avait pour effet de «vider […] de leur substance» les droits garantis par la directive 2002/14 et ôtait ainsi à «ladite directive son effet utile» ( 38 ).

86.

Il est vrai que l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2002/14 prévoit que les États membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés. Cependant, la Cour a estimé qu’une exclusion d’une catégorie de travailleurs constitue non pas un simple calcul, mais une réinterprétation unilatérale de la notion de «travailleur». Ainsi, la Cour a jugé que, «si ladite directive ne prescrit pas aux États membres la manière dont ceux-ci doivent tenir compte des travailleurs relevant de son champ d’application lors du calcul des seuils de travailleurs employés, elle prescrit néanmoins qu’ils doivent en tenir compte» ( 39 ).

87.

Par conséquent, l’article 27 de la Charte, qui est concrétisé de manière essentielle et immédiate par l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2002/14, doit être interprété, compte tenu de l’arrêt CGT, de manière à permettre aux États de déterminer les méthodes de calcul du nombre de travailleurs constituant l’effectif d’une entreprise, mais il n’implique en aucun cas la possibilité d’exclure un travailleur de ce calcul. Il en va ainsi, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CGT, même dans un cas où l’exclusion n’est que temporaire.

88.

En vertu d’une jurisprudence consolidée de la Cour, en appliquant le droit national, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat fixé par celle-ci ( 40 ). Comme on le sait également, ce principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ( 41 ).

89.

Or, c’est la juridiction de renvoi qui apprécie, de manière exclusive, la possibilité de réaliser une interprétation conforme, car cette appréciation requiert une interprétation du droit national dans sa plénitude, laquelle n’est évidemment pas de la compétence de la Cour.

90.

Cependant, la Cour de cassation, lorsqu’elle saisit la Cour pour qu’elle se prononce sur la possibilité d’invoquer l’article 27 de la Charte, tel que concrétisé par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, le fait précisément en considération du fait que, au cas où la Cour confirmerait une interprétation telle que celle proposée au point 87 des présentes conclusions, il ne serait pas possible d’effectuer une interprétation conforme. La Cour de cassation en est tout à fait consciente, car ce n’est pas la première fois que cette juridiction est confrontée à cette question et interpelle la Cour à ce sujet. Par ailleurs, cela n’aurait pas de sens de s’interroger sur la possibilité d’invoquer ces règles de droit de l’Union dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal si la Cour de cassation était convaincue qu’il était possible de réaliser une interprétation conforme.

91.

Le gouvernement français est parvenu à la même conclusion, dans ses observations écrites tout comme dans ses observations orales. L’agent du gouvernement français, qui a expressément été interrogé sur ce point à l’occasion de l’audience, a reconnu l’impossibilité d’effectuer une interprétation du droit français qui permette de garantir le respect du droit de l’Union, tel que je propose de l’interpréter au point 87 des présentes conclusions, et ce même si l’on prend en compte les règles de droit du travail qui permettent, dans des cas exceptionnels, de déroger à la loi dans une convention collective.

92.

Selon le gouvernement français, pour qu’une interprétation cohérente de l’article L. 1111‑3, point 4, du code du travail, lu en combinaison avec l’article 27 de la Charte, tel que concrétisé par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, puisse être réalisée, il serait nécessaire de disposer d’une «exception à l’exception», qui n’existe pas en l’espèce. Lorsqu’il a été interrogé sur la possibilité qu’une telle «exception à l’exception» figure à l’article L. 2251‑1 du code du travail, ledit agent a observé que cette disposition ne concerne que les mesures décidées dans une convention collective, ce qui n’est pas le cas dans l’affaire au principal.

93.

D’autre part, il convient également de rappeler que, lorsqu’une juridiction d’un État membre (qui est, de plus, l’interprète suprême du droit national) et le gouvernement de ce même État membre affirment tous deux que leur ordre juridique national ne permet pas une interprétation conforme au droit de l’Union, la Cour a, en vertu du principe de coopération loyale ( 42 ), l’obligation d’accepter cette appréciation et d’apporter une réponse à la question spécifique qui lui a été posée. Dans le cas contraire, ce serait non seulement l’esprit de coopération entre juridictions qui inspire le mécanisme préjudiciel de l’article 267 TFUE qui serait remis en cause, mais également l’effet utile de cette procédure.

94.

Eu égard à ce qui précède et compte tenu de l’impossibilité de réaliser une interprétation qui concilierait l’ordre juridique national avec les dispositions de l’article 27 de la Charte, tel que concrétisé par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, il ne reste plus qu’à rechercher si les exclusions prévues à l’article L. 1111‑3 du code du travail et, en particulier, celle relative aux «contrats d’accompagnement dans l’emploi», sont contraires aux dispositions de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2002/14.

95.

En ce sens, pour récapituler la conclusion à laquelle est parvenue la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CGT, si une exclusion temporaire telle que celle qui existait dans cette affaire violait ladite directive, nous devons alors, a fortiori, arriver à la même conclusion en ce qui concerne une exclusion totale et illimitée. Par ailleurs, le fait que le «contrat d’accompagnement dans l’emploi» poursuive un objectif d’insertion professionnelle ne remet pas en cause cette conclusion, car il n’est à aucun moment contesté que le travailleur titulaire d’un tel contrat ait la qualité de «travailleur» au sens de l’article 27 de la Charte, tel que concrétisé par la directive 2002/14.

96.

En outre, en ce qui concerne l’argument de la République française relatif à la nature particulière des «contrats d’accompagnement dans l’emploi» et à sa justification par l’intérêt général, la Cour a répondu à un argument similaire dans l’arrêt CGT, dans lequel elle a considéré qu’une justification d’une exclusion est incompatible avec l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2002/14, qui prévoit que les États membres doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour être toujours en mesure de garantir les résultats imposés par ladite directive ( 43 ). Il serait difficile de répondre autrement dans la présente affaire qui concerne, en outre, une exclusion totale et illimitée dans le temps d’une catégorie de travailleurs.

97.

Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la seconde question préjudicielle que, compte tenu de l’impossibilité d’effectuer une interprétation conforme de l’ordre juridique national, il convient d’interpréter l’article 27 de la Charte, tel que concrétisé de manière essentielle et immédiate par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui exclut une catégorie déterminée de travailleurs, à savoir les titulaires de «contrats d’accompagnement dans l’emploi», du calcul des effectifs de l’entreprise aux fins de la disposition en cause.

V – Conclusion

98.

Eu égard aux arguments exposés, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles de la Cour de cassation comme suit:

1)

L’article 27 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tel que concrétisé de manière essentielle et immédiate par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, peut être invoqué dans un litige entre particuliers, avec pour éventuelle conséquence la non-application de la législation nationale.

2)

Compte tenu de l’impossibilité d’effectuer une interprétation conforme du droit national, l’article 27 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tel que concrétisé de manière essentielle et immédiate par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui exclut une catégorie déterminée de travailleurs, à savoir les titulaires de «contrats d’accompagnement dans l’emploi», du calcul des effectifs de l’entreprise aux fins de la disposition en cause, le juge national pouvant, en vertu de l’article 52, paragraphe 5, de ladite charte, s’abstenir d’appliquer les règles nationales contraires auxdites règles de droit de l’Union.


( 1 ) Langue originale: l’espagnol.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (JO L 80, p. 29).

( 3 ) Dans la doctrine académique, voir, notamment, De Mol, M., «Kücükdeveci: Mangold Revisited – Horizontal Direct Effect of a General Principle of EU Law», European Constitutional Law Review, 2010, no 6, p. 302; Hatje, A., dans EU Kommentar (coord. Jürgen Schwarze), 2e éd., Baden Baden, 2009, article 51, p. 2324, marg. 20; Kingreen, T., EUV/EGV – Komentar, 3e éd., Munich, 2007, article 51 GRCh, p. 2713, marg. 18, ou Riesenhuber, K., Europäisches Arbeitsrecht, Hambourg, 2009, § 2, p. 45, marg. 25. Concernant les différentes positions au sujet de cette question, voir exposé général réalisé par l’avocat général Trstenjak dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10).

( 4 ) Voir analyse comparée de Bilbao Ubillos, J. M., La eficacia de los derechos fundamentales frente a particulares, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, 1997, p. 277 et suiv., ainsi que synthèse effectuée par Seifert, A., «L’effet horizontal des droits fondamentaux. Quelques réflexions de droit européen et de droit comparé», Revue trimestrielle de droit européen, Dalloz, 2013.

( 5 ) Voir, en ce sens, Craig, P., EU Administrative Law, 2e éd., Oxford University Press, Oxford, 2012, p. 465.

( 6 ) Voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch (36/74, Rec. p. 1405, point 17); du 14 juillet 1976, Donà (13/76, Rec. p. 1333, point 17); du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 82); du 11 avril 2000, Deliège (C-51/96 et C-191/97, Rec. p. I-2549, point 47); du 6 juin 2000, Angonese (C-281/98, Rec. p. I-4139, point 31); du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99, Rec. p. I-1577, point 120); ainsi que du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, dit «Viking Line» (C-438/05, Rec. p. I-10779, point 33).

( 7 ) Voir, en particulier, arrêt du 15 juin 1978, Defrenne (149/77, Rec. p. 1365).

( 8 ) Voir, notamment, Böckenförde, E.‑W., Staat, Gesellschaft, Freiheit, Suhrkamp, Francfort, 1976, p. 65 et suiv.; Díez-Picazo Giménez, L.‑M., Sistema de Derechos fundamentales, 3e éd., Thomson Civitas, Madrid, 2008, p. 252 et suiv.; Pace, A., Problematica delle liberà costituzionali, Parte Generale, 2e éd., Cedam, Padoue, 1990; Clapham, A., Human Rights Obligations of Non-State Actors, Oxford University Press, 2006, ainsi que Kennedy, D., «The Stages of Decline of the Public/Private Distinction», 130, University of Pennsylvania Law Review, 1982.

( 9 ) Sur l’obligation de protection des pouvoirs publics, voir Papier, H.‑J., «Drittwirkung der Grundrechte», dans Merten, D., et Papier, H.‑J. (éd.), Handbuch der Grundrechte in Deutschland und Europa, vol. II, éd. C. F. Müller, Heidelberg, 2006, p. 1335 et 1336 et, plus particulièrement, contribution de Calliess, C., dans ce même ouvrage, p. 963 et suiv., ainsi que Jaeckel, L., Schutzpflichten im deutschen und europäischen Recht, Beck, Munich, 2001.

( 10 ) La théorie des «obligations positives de l’État» trouve son origine dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, qui a ensuite été confirmé par de nombreux arrêts de la même Cour, parmi lesquels on peut citer les arrêts López Ostra c. Espagne du 9 décembre 1994, ainsi que Ilascu et autres c. Moldova et Russie du 8 juillet 2004. Sur ce point, voir analyse de Sudre, F. e.a., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, 6e éd., PUF, Paris, p. 18 et suiv.

( 11 ) Tel est le cas, par exemple, de la République fédérale d’Allemagne ou du Royaume d’Espagne, dont les tribunaux constitutionnels, par l’intermédiaire des recours directs en protection de droits fondamentaux, ont développé une jurisprudence qui place le juge des droits fondamentaux au centre du devoir de protection. Ainsi, en ce qui concerne la République fédérale d’Allemagne, l’intervention du juge en tant qu’autorité publique est à l’origine de la jurisprudence du Bundesverfassungsgericht, dont l’arrêt de référence est celui rendu dans l’affaire Lüth (BVerfG 7, 198), le 15 janvier 1958. En ce qui concerne le Royaume d’Espagne, le Tribunal Constitucional, dans son arrêt 18/1984, du 7 février 1984, juge (sixième fondement de droit) que «le fait est que, d’une part, il y a des droits qui n’existent que vis-à-vis des pouvoirs publics (tels que ceux de l’article 24 [protection juridictionnelle effective]) et que, d’autre part, la soumission des pouvoirs publics à la Constitution (article 9, paragraphe 1) se traduit par un devoir positif d’assurer l’effectivité de ces droits dans la vie sociale, ce devoir incombant au législateur, à l’exécutif et aux juges et tribunaux, dans le domaine de leurs fonctions respectives».

( 12 ) Voir, à cet égard, Seifert, A., op. cit., p. 804 et suiv.

( 13 ) Les explications de la Charte indiquent que, «[à] titre d’illustration, [on peut citer], parmi les exemples de principes reconnus dans la Charte, les articles 25, 26 et 37. Dans certains cas, un article de la Charte peut contenir des éléments relevant d’un droit et d’un principe: par exemple, les articles 23, 33 et 34».

( 14 ) Guy Braibant, un membre de premier plan de la première Convention, explique l’importance de la distinction entre les «droits» et les «principes» pour parvenir à un large consensus qui aboutirait à l’insertion du chapitre social dans la Charte, dans son ouvrage La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Seuil, Paris, 2001, p. 44 à 46.

( 15 ) Sur l’article 45 de la Constitution irlandaise et la jurisprudence de la Supreme Court (Irlande), voir Kelly, J. M., The Irish Constitution, 4e éd., LexisNexis/Butterworths, Dublin, p. 2077 et suiv.

( 16 ) Concernant l’effet des «principes directeurs de la politique économique et sociale» de la Constitution espagnole, voir Jiménez Campo, J., Derechos fundamentales. Conceptos y garantías, Trotta, Madrid, 1999, p. 122 et suiv.; Rodríguez de Santiago, J. M., «La forma de vincular de los preceptos del capítulo tercero del título primero de la Constitución española», dans Casas Baamonde, M. E., et Rodríguez-Piñero y Bravo-Ferrer, M., Comentarios a la Constitución española, Wolters Kluwer, Madrid, 2008, p. 1187 et suiv.

( 17 ) Voir, notamment, analyse comparée de Ladenburger, C., «Artikel 52 Abs. 5», dans Tettinger, P. J., et Stern, K., Europäische Grundrechte – Charta, Beck, Munich, 2004, p. 803 et suiv.

( 18 ) Voir décision du Conseil constitutionnel 94‑359 CC, du 19 janvier 1995 (point 7). À ce sujet, voir Burgorgue-Larsen, L., «Article II‑112», dans Burgorgue-Larsen, L., Levade, A., et Picod, F., Traité établissant une Constitution pour l’Europe, t. 2, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 684.

( 19 ) Voir, par exemple, articles 8, paragraphe 2, 7, paragraphes 1 et 2, ainsi que 9 bis de la loi constitutionnelle fédérale autrichienne. À cet égard, voir Schäffer, H., «Zur Problematik sozialer Grundrechte», dans Merten, D., et Papier, H.‑J. (éd.), op. cit., vol. VII/1, p. 473 et suiv.

( 20 ) Voir, notamment, Sommemann, K.-P., Staatsziele und Staatszielbestimmungen, Mohr Siebeck, Tübingen, 1997.

( 21 ) Voir, notamment, Sadurski, W., Rights Before Courts. A Study of Constitutional Courts in Postcommunist States of Central and Eastern Europe, Springer, Dordrecht, 2005, p. 178 et suiv.

( 22 ) En ce sens, une vision d’ensemble est donnée par Iliopoulos-Strangas, J. (éd.), Soziale Grundrechte in Europa nach Lissabon, éd. Nomos/Sakkoulas/Bruylant/Facultas, Baden-Baden, Athènes, Bruxelles, Vienne, 2010.

( 23 ) Braibant, G., op. cit., p. 252.

( 24 ) Voir, à ce sujet, déjà à l’époque, Grimm, D., «Soziale Grundrechte für Europa», et aujourd’hui dans Die Verfassung und die Politik. Einsprüche in Störfällen, Beck, Munich, 2001, p. 275 et suiv.

( 25 ) Voir en ce sens, pour une analyse des «principes» en tant qu’obligation focalisée sur les objectifs, Borowsky, M., «Artikel 52», dans Mayer, J., Charta der Grundrechte der Europäischen Union, 3e éd., Nomos, Baden-Baden, 2010, p. 697 à 699; Burgorgue-Larsen, op. cit., p. 686 et suiv., ainsi que Mayer, F., «Artikel 6 EUV», dans Grabitz/Hilf/Nettesheim, Das Recht der Europäischen Union – Kommentar, Beck, Munich, 2010, points 65 et suiv.

( 26 ) Pour ce qui nous intéresse pour le moment, l’explication relative à l’article 52, paragraphe 5, de la Charte indique que «[l]es principes peuvent être mis en œuvre par le biais d’actes législatifs ou exécutifs (adoptés par l’Union dans le cadre de ses compétences et par les États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union); ils acquièrent donc une importance particulière pour les tribunaux seulement lorsque ces actes sont interprétés ou contrôlés. Ils ne donnent toutefois pas lieu à des droits immédiats à une action positive de la part des institutions de l’Union ou des autorités des États membres, ce qui correspond tant à la jurisprudence de la Cour de justice […] qu’à l’approche suivie par les systèmes constitutionnels des États membres à l’égard des ‘principes’, en particulier dans le domaine du droit social.»

( 27 ) La Charte sociale européenne est un traité qui a été ouvert à la signature des États membres du Conseil de l’Europe le 18 octobre 1961 à Turin et qui est entré en vigueur le 26 février 1965.

( 28 ) Directive du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 225, p. 16).

( 29 ) Directive du Conseil du 22 septembre 1994 concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen ou d’une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d’entreprises de dimension communautaire en vue d’informer et de consulter les travailleurs (JO L 254, p. 64).

( 30 ) Il s’agit, par ailleurs, d’une mission dont la configuration au niveau supranational pose des difficultés considérables. Voir, à cet égard, Cruz Villalón, J., «La información y la consulta a los trabajadores en las empresas de dimensión comunitaria», La Ley, 1994, t. 2, et Insa Ponce de León, F. L., Los derechos de implicación de los trabajadores en las sociedades anónimas europeas, éd. Tirant lo Blanch, Valence, 2010.

( 31 ) En ce sens, les travaux préparatoires de la Charte confirment que les participants à la Convention n’ont jamais écarté la justiciabilité d’actes à la lumière des principes, mais ont toujours considéré que le contrôle judiciaire portait sur le contrôle abstrait d’actes et non sur la garantie des droits, comme l’expliquent Braibant, G. (op. cit., p. 46), ainsi qu’un autre membre de la Convention, Lord Goldsmith, dans «A Charter of Rights, Freedoms and Principles», Common Market Law Review, 38 2001, p. 1212 et 1213. Sur la base des travaux préparatoires et du libellé de l’article 52, paragraphe 5, de la Charte, la fonction de contrôle objectif de cette disposition est également défendue par Ladenburger, C., dans «Protection of Fundamental Rights post-Lisbon – The interaction between the Charter of Fundamental Rights, the European Convention of Human Rights and National Constitutions» – Institutional Report, FIDE, 2012, p. 33 [«only one point is clear: Article 52 (5) 2nd sentence does not exclude any justiciability of principles»].

( 32 ) Voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723); du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C-188/89, Rec. p. I-3313); du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I-3325); du 7 mars 1996, El Corte Inglés (C-192/94, Rec. p. I-1281); du 14 septembre 2000, Collino et Chiappero (C-343/98, Rec. p. I-6659); du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C-397/01 à C-403/01, Rec. p. I-8835), ainsi que Dominguez, précité. Concernant l’évolution de cette jurisprudence, voir, notamment, travaux de De Witte, B., «Direct effect, primacy and the nature of the legal order», dans Craig, P., et De Búrca, G., The Evolution of EU Law, 2e éd., Oxford University Press, Oxford, 2011, p. 329 à 340; Simon, D., «L’invocabilité des directives dans les litiges horizontaux: confirmation ou infléchissement?», Europe, no 3, mars 2010, et Dougan, M., «When Worlds Collide: Competing Visions of the Relationship Between Direct Effect and Supremacy», 44, Common Market Law Review, 2007.

( 33 ) Arrêts du 30 avril 1996, CIA Security International (C-194/94, Rec. p. I-2201); du 22 novembre 2005, Mangold (C-144/04, Rec. p. I-9981), et du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C-555/07, Rec. p. I-365).

( 34 ) Sur ce point, je renvoie aux conclusions de l’avocat général Bot, notamment les points 68 et suiv., dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kücükdeveci, précité.

( 35 ) Voir, notamment, arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357, point 35); du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, point 31); du 26 mars 1996, British Telecommunications (C-392/93, Rec. p. I-1631, point 38); du 23 mai 1996, Hedley Lomas (C-5/94, Rec. p. I-2553, point 24); du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a. (C-178/94, C-179/94 et C-188/94 à C-190/94, Rec. p. I-4845, point 20), ainsi que du 2 avril 1998, Norbrook Laboratories (C-127/95, Rec. p. I-1531, point 106).

( 36 ) Arrêt du 18 janvier 2007 (C-385/05, Rec. p. I-611, ci-après l’«arrêt CGT»).

( 37 ) Point 38 de l’arrêt CGT, qui renvoie au point 28 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

( 38 ) Arrêt CGT (point 38).

( 39 ) Arrêt CGT (point 34). Souligné par mes soins.

( 40 ) Voir, notamment, arrêts Pfeiffer e.a., précité (point 114); du 23 avril 2009, Angelidaki e.a. (C-378/07 à C-380/07, Rec. p. I-3071, points 197 et 198); Kücükdeveci, précité (point 48), ainsi que Dominguez, précité (point 24).

( 41 ) Voir arrêts du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, Rec. p. I-2483, point 100), ainsi que Angelidaki e.a., précité (point 199).

( 42 ) Principe visé à l’article 4 TUE, qui s’applique tant aux États membres qu’à l’Union (voir, en ce qui concerne la coopération loyale de l’Union à l’égard des États, arrêt du 10 février 1983, Luxembourg/Parlement, 230/81, Rec. p. 255, point 38; ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C‑2/88 Imm., Rec. p. I‑3365, point 17, ainsi que arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C-94/00, Rec. p. I-9011, point 31).

( 43 ) Arrêt CGT (point 40).

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