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Document 62011CJ0576

Arrêt de la Cour (première chambre) du 28 novembre 2013.
Commission européenne contre Grand-Duché de Luxembourg.
Manquement d’État – Directive 91/271/CEE – Traitement des eaux urbaines résiduaires – Arrêt de la Cour constatant un manquement – Inexécution – Article 260 TFUE – Sanctions pécuniaires – Imposition d’une astreinte et d’une somme forfaitaire.
Affaire C‑576/11.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2013:773

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

28 novembre 2013 ( *1 )

«Manquement d’État — Directive 91/271/CEE — Traitement des eaux urbaines résiduaires — Arrêt de la Cour constatant un manquement — Inexécution — Article 260 TFUE — Sanctions pécuniaires — Imposition d’une astreinte et d’une somme forfaitaire»

Dans l’affaire C‑576/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 260 TFUE, introduit le 18 novembre 2011,

Commission européenne, représentée par Mme O. Beynet ainsi que par MM. B. Simon et E. Manhaeve, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par Mme P. Frantzen et M. C. Schiltz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes S. Behzadi-Spencer, C. Murrell et S. Ford, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet (rapporteur) et E. Levits, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 avril 2013,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour:

de constater que, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt du 23 novembre 2006, Commission/Luxembourg (C‑452/05), le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE;

de condamner le Grand-Duché de Luxembourg à verser à la Commission une astreinte de 11340 euros par jour de retard dans l’exécution de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, à compter du jour où sera rendu l’arrêt dans la présente affaire jusqu’au jour où sera exécuté l’arrêt Commission/Luxembourg, précité;

de condamner le Grand-Duché de Luxembourg à verser à la Commission la somme forfaitaire journalière de 1248 euros, à compter du jour du prononcé de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, jusqu’au jour du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire ou jusqu’au jour où sera exécuté l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, si sa mise en œuvre intervient plus tôt, et

de condamner le Grand-Duché de Luxembourg aux dépens.

Le cadre juridique

2

L’article 1er de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux résiduaires urbaines (JO L 135, p. 40), énonce les objectifs suivants:

«La présente directive concerne la collecte, le traitement et le rejet des eaux urbaines résiduaires ainsi que le traitement et le rejet des eaux usées provenant de certains secteurs industriels.

La présente directive a pour objet de protéger l’environnement contre une détérioration due aux rejets des eaux résiduaires précitées.»

3

L’article 2, point 6, de la directive 91/271 définit «un équivalent habitant (EH)» comme étant «la charge organique biodégradable ayant une demande biochimique d’oxygène en cinq jours (DB05) de 60 grammes d’oxygène par jour».

4

L’article 5 de cette directive dispose:

«1.   Aux fins du paragraphe 2, les États membres identifient, pour le 31 décembre 1993, les zones sensibles sur la base des critères définis à l’annexe II.

2.   Les États membres veillent à ce que les eaux urbaines résiduaires qui entrent dans les systèmes de collecte fassent l’objet, avant d’être rejetées dans des zones sensibles, d’un traitement plus rigoureux que celui qui est décrit à l’article 4, et ce au plus tard le 31 décembre 1998 pour tous les rejets provenant d’agglomérations ayant un EH de plus de 10000.

[...]

4.   Toutefois, les conditions requises d’une station d’épuration au titre des paragraphes 2 et 3 ne s’appliquent pas nécessairement aux zones sensibles, s’il peut être prouvé que le pourcentage minimal de réduction de la charge globale entrant dans toutes les stations d’épuration des eaux résiduaires urbaines de cette zone atteint au moins 75 % pour la quantité totale de phosphore et au moins 75 % pour la quantité totale d’azote.

5.   Pour les rejets des stations d’épuration d’eaux urbaines qui sont situées dans les bassins versants pertinents des zones sensibles et qui contribuent à la pollution de ces zones, les paragraphes 2, 3 et 4 sont applicables.

Lorsque les bassins versants visés au premier alinéa sont situés, en totalité ou en partie, dans un autre État membre, l’article 9 s’applique.

[...]

8.   Un État membre n’est pas tenu d’identifier des zones sensibles aux fins de la présente directive s’il applique sur l’ensemble de son territoire le traitement prévu aux paragraphes 2, 3 et 4.»

L’arrêt Commission/Luxembourg

5

Dans le cadre de ses observations présentées devant la Cour dans l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, le Grand-Duché de Luxembourg avait fait valoir qu’un programme national d’action visant à moderniser les stations d’épuration communales avait été mis en œuvre afin que soient respectées les dispositions nationales transposant la directive 91/271. Ainsi, cet État membre estimait que le pourcentage de réduction de la charge globale d’azote devait atteindre 75 % au plus tard en 2008 après l’achèvement de la modernisation des stations d’épuration concernées.

6

La Commission, quant à elle, avait estimé que huit des onze agglomérations ayant un EH de plus de 10000 n’étaient pas en conformité avec la directive 91/271.

7

Dans l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, la Cour a constaté que, en n’étant pas en mesure de prouver que le pourcentage minimal de réduction de la charge globale entrant dans les stations d’épuration en cause atteignait au moins 75 % pour la quantité totale d’azote, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/271.

La procédure précontentieuse

8

Dans le cadre du contrôle de l’exécution de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, la Commission a, le 6 décembre 2006, demandé au Grand-Duché de Luxembourg de décrire les mesures prises pour exécuter cet arrêt.

9

Par une lettre de mise en demeure, datée du 27 mars 2007, la Commission a informé le Grand-Duché de Luxembourg qu’elle n’avait encore reçu aucune communication des mesures prises par cet État membre afin d’exécuter l’arrêt Commission/Luxembourg, précité. Le Grand-Duché de Luxembourg a répondu à cette lettre de mise en demeure le 7 août 2007.

10

À la suite de cette réponse, jugée insatisfaisante, la Commission a, le 23 octobre 2007, adressé un avis motivé au Grand-Duché de Luxembourg. Celui-ci y a répondu par des courriers datés des 21 janvier 2008 et 23 décembre 2009.

11

Une lettre de mise en demeure complémentaire a été adressée audit État membre, le 28 juin 2010, à laquelle ce dernier a répondu par lettres du 17 septembre 2010 ainsi que des 12 mai et 28 juin 2011.

12

À la lumière des réponses fournies par le Grand-Duché de Luxembourg, la Commission a estimé que celui-ci n’avait toujours pas pleinement exécuté l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, en ce que six stations d’épuration desservant des agglomérations de plus de 10000 EH n’étaient toujours pas conformes aux obligations énoncées à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/271 à la fin de l’année 2010.

13

Considérant que le Grand-Duché de Luxembourg n’avait pas pris, dans le délai, les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Les développements intervenus au cours de la présente procédure

14

Par ordonnance du président de la Cour du 16 avril 2012, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Grand-Duché de Luxembourg.

15

Il ressort de l’audience du 24 avril 2013 que la Commission et le Grand-Duché de Luxembourg utilisaient des méthodes de calcul différentes pour mesurer le taux de conformité des stations d’épuration concernées.

16

Selon la Commission, le Grand-Duché de Luxembourg évalue les stations qui desservent la ville de Luxembourg sur la base d’un critère de 15 mg d’azote total par litre alors que, conformément au tableau 2 de l’annexe I de la directive 91/271, s’agissant d’une agglomération de plus de 100000 EH, il convient de remplir les critères de 10 mg d’azote total par litre. Ainsi, si les critères utilisés par la Commission étaient retenus, quatre stations seraient non conformes, alors que le Grand-Duché de Luxembourg estime que, désormais, deux stations sur six demeurent non conformes.

17

En effet, lors de l’audience, le Grand-Duché de Luxembourg a estimé que seules deux stations ne sont pas conformes aux dispositions de la directive 91/271, à savoir celles de Bonnevoie et de Bleesbruck. S’agissant de la première, les travaux devraient être terminés au plus tard au cours de l’année 2014. S’agissant de la seconde, l’agent de cet État membre n’était pas en mesure de donner une date précise pour la fin des travaux, mais il a indiqué que, en tout état de cause, ces travaux devraient durer plus longtemps que ceux prévus pour la station de Bonnevoie.

Sur le manquement

Argumentation des parties

18

S’agissant du manquement allégué, la Commission rappelle que, conformément à l’article 260, paragraphe 1, TFUE, lorsque la Cour constate qu’un État membre a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du traité FUE, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. Quant au délai dans lequel l’exécution d’un tel arrêt doit intervenir, la Commission précise qu’il est de jurisprudence constante que l’intérêt qui s’attache à une application immédiate et uniforme du droit de l’Union exige que cette exécution soit entamée immédiatement et qu’elle aboutisse dans des délais aussi brefs que possible (arrêt du 9 décembre 2008, Commission/France, C-121/07, Rec. p. I-9159, point 21 et jurisprudence citée).

19

Le Grand-Duché de Luxembourg signale une évolution de la situation dans le cadre de six des stations d’épuration concernées. Il a donné des précisions quant aux six stations d’épuration ainsi que des explications quant aux infractions reprochées.

20

En ce qui concerne la station d’épuration d’Übersyren, le Grand-Duché de Luxembourg explique que cette station reçoit les eaux résiduaires de l’aéroport de Luxembourg. Les chutes de neige exceptionnellement abondantes au mois de décembre 2010 seraient à l’origine d’un dépassement hors du commun des valeurs pour ce mois en raison de la quantité de produits mis en œuvre, d’une part, pour dégager les pistes, les voies de circulation ainsi que les aires de trafic et, d’autre part, pour dégivrer les avions avant leur décollage. La non-conformité du paramètre «demande biochimique en oxygène» proviendrait de l’utilisation en grandes quantités de glycol comme agent dégivrant sur les ailes d’avion pendant cette période. Le dépassement de la valeur limite pour ce paramètre serait sans incidence sur l’élimination des matières azotées, de sorte que, contrairement à ce que paraît suggérer la Commission, il n’y aurait pas d’incohérence dans les conclusions que les autorités nationales ont pu tirer des résultats d’analyse.

21

Selon le Grand-Duché de Luxembourg, la mauvaise performance du seul mois de décembre 2010 a conduit à la non-conformité de la station d’épuration d’Übersyren pour l’année 2010 alors que, au moins depuis 2003, la performance de cette station d’épuration était conforme aux valeurs prescrites par la directive 91/271. En effet, les valeurs relevées jusqu’à présent pour l’année 2011 confirmeraient qu’il s’agissait d’un événement exceptionnel.

22

En ce qui concerne la station d’épuration de Beggen, le Grand-Duché de Luxembourg signale que cette station a été mise en service au cours du premier semestre de l’année 2011 et qu’elle est de loin la plus grande station d’épuration de cet État. Avec une capacité de traitement de 300000 EH, elle a une capacité de traitement trois fois plus élevée que la deuxième plus grande station du pays, et assure aussi le traitement de la moitié de la charge générée par l’agglomération de Luxembourg. Les performances continuent à s’améliorer et permettent de maintenir la conclusion que l’installation est près d’atteindre le niveau de performance requis.

23

Les résultats recueillis pour la station de Hesperange montrent également que les performances sont conformes au niveau prescrit par la directive 91/271.

24

En raison des conditions météorologiques exceptionnelles de l’hiver 2010, le chantier de la station d’épuration de Mersch a accusé un léger retard, de sorte que la mise en service de la première phase capable d’assurer le traitement d’un volume suffisant pour couvrir les besoins actuels devait intervenir au premier trimestre de l’année 2012 au lieu du troisième trimestre de l’année 2011.

25

À la suite de renégociations avec l’adjudicataire des travaux, la commande pour les travaux de fonçage du collecteur devant assurer l’acheminement des eaux usées actuellement traitées par la station d’épuration de Bonnevoie vers la station d’épuration de Beggen a été passée au début du mois d’octobre 2011. Le chantier ayant démarré, le délai d’exécution des travaux est de 900 jours.

26

Enfin, le Grand-Duché de Luxembourg indique que le projet d’extension et de modernisation de la station d’épuration de Bleesbruck est en voie d’élaboration et devra en tout état de cause tenir compte du résultat de l’étude d’évaluation des incidences sur l’environnement qui est en cours.

27

Il conclut en spécifiant que, même si une sanction devait être proportionnée et dissuasive, les travaux pour la mise en conformité de cet État membre avec l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, sont en cours et ne peuvent pas être accélérés. En effet, il s’agit non pas de la simple adoption d’un acte par la Chambre des députés, mais de travaux de construction voire de transformation et de mise en conformité avec ledit arrêt.

Appréciation de la Cour

28

Selon l’article 260, paragraphe 2, TFUE, si la Commission estime que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour, elle peut saisir cette dernière après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations en indiquant le montant de la somme forfaitaire ou de l’astreinte à payer par ledit État qu’elle estime adapté aux circonstances.

29

À cet égard, la date de référence pour apprécier l’existence d’un manquement au titre de l’article 260, paragraphe 1, TFUE est celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure émise en vertu de cette disposition (arrêts du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, point 67, et du 25 juin 2013, Commission/République tchèque, C‑241/11, point 23).

30

En l’occurrence, ainsi que l’a reconnu le Grand-Duché de Luxembourg lors de l’audience, au moins en ce qui concerne deux stations d’épuration, cet État membre ne s’était pas conformé aux exigences prescrites par l’arrêt Commission/Luxembourg, précité. Par conséquent, il est constant que, à l’issue de la période de deux mois suivant la réception par cet État membre de la lettre de mise en demeure complémentaire mentionnée au point 11 du présent arrêt, à savoir le 28 août 2010, ledit État n’avait, en tout état de cause, pas adopté toutes les mesures nécessaires afin de se conformer entièrement aux obligations découlant dudit arrêt.

31

Dans ces conditions, il convient de constater que, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE.

Sur les sanctions pécuniaires

Argumentation des parties

32

La Commission demande à la Cour de condamner le Grand-Duché de Luxembourg à payer, d’une part, une somme forfaitaire de 1248 euros, multipliée par le nombre de jours compris entre le prononcé de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, et la date de l’arrêt de la Cour à intervenir dans la présente procédure ou au moment de la pleine conformité audit arrêt, ainsi que, d’autre part, une astreinte journalière de 11340 euros à compter de la date de ce dernier arrêt et jusqu’à l’entière exécution par cet État membre du premier arrêt.

33

Se référant aux lignes directrices contenues dans sa communication du 13 décembre 2005, intitulée «Mise en œuvre de l’article 228 du traité CE» [SEC(2005) 1658], telle qu’actualisée par la communication du 20 juillet 2010, intitulée «Mise en œuvre de l’article 260 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – Mise à jour des données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes que la Commission proposera à la Cour de justice dans le cadre de procédures d’infraction» [SEC(2010) 923/3], la Commission estime que la fixation de sanctions financières doit être fondée sur la gravité de l’infraction, sur la durée de celle-ci et sur la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction pour éviter les récidives.

34

S’agissant, tout d’abord, de la gravité de l’infraction, la Commission propose d’appliquer des sanctions calculées sur la base d’un coefficient de gravité de 6 sur 20, compte tenu tant de l’importance des règles de l’Union ayant fait l’objet de l’infraction, à savoir celles d’une directive qui vise à protéger la santé humaine et l’environnement, que des effets de la non-exécution de l’arrêt en cause sur des intérêts généraux et particuliers, et de l’ampleur du risque de pollution qui en découle.

35

Ensuite, quant au critère relatif à la durée de l’infraction, la Commission soutient qu’il convient de calculer le montant de la somme forfaitaire au regard de la période comprise entre le prononcé de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, dont l’exécution est réclamée, et la date à laquelle elle a décidé de saisir la Cour dans la présente procédure, soit 59 mois environ, ce qui correspond, en application de sa communication du 13 décembre 2005, à un coefficient de durée de 3.

36

Enfin, pour ce qui est de la nécessité d’une sanction dissuasive de nature à éviter les récidives, la Commission a, en application de la communication du 20 juillet 2010, fixé à 1 le facteur «n», fondé sur la capacité de paiement du Grand-Duché de Luxembourg.

37

Dans ses conclusions tant écrites qu’orales, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que les efforts et les améliorations ainsi que les travaux nécessaires pour se mettre en conformité avec l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, devraient être pris en compte pour l’appréciation de la gravité, voire de la durée, du manquement. En effet, étant donné que la mise en conformité ne peut se faire seulement par un acte législatif, mais qu’elle nécessite un ensemble de planifications, de souscriptions, qui sont à l’origine de certains retards, et de travaux, il en ressort que la durée de la mise en conformité est nécessairement plus longue que pour un simple acte législatif.

38

Le Grand-Duché de Luxembourg ajoute que le degré de gravité devrait être apprécié en conséquence. Une durée plus longue de mise en conformité dans le cas précis ne justifie pas nécessairement, selon cet État membre, une appréciation plus sévère de la gravité de l’infraction et donc l’imposition d’une somme forfaitaire plus élevée.

39

Le Royaume‑Uni estime que la Commission doit prévoir, dans le cadre de projets d’infrastructures de grande ampleur, comme ceux en cause en l’espèce, un délai d’exécution raisonnable en considération d’un ensemble de paramètres, comme la conception du projet, la réalisation technique de celui-ci ou la nature des prescriptions réglementaires dont il convient d’assurer le respect. La Commission devrait aussi, le cas échéant, tenir compte d’événements qui ne sont pas imputables à l’État membre concerné, comme les cas de catastrophes naturelles. Compteraient parmi les éléments qui permettraient d’apprécier le caractère raisonnable ou non d’un délai les procédures administratives et judiciaires prévues par le droit de l’Union et le droit national. Enfin, le Royaume‑Uni fait valoir qu’il incombe à la Commission de prouver que le temps pris pour exécuter un arrêt en constatation de manquement est déraisonnable.

40

Selon le Royaume-Uni, la Commission doit être prête à accorder à l’État membre concerné un délai raisonnable pour la réalisation non seulement des travaux minimaux nécessaires, mais aussi d’un projet plus ambitieux et bénéfique à l’environnement qu’un État membre peut souhaiter entreprendre en vue de se conformer à un arrêt rendu en vertu de l’article 258 TFUE.

Appréciation de la Cour

41

Ayant reconnu que le Grand-Duché de Luxembourg ne s’est pas conformé à l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, dont la Commission poursuit l’exécution, la Cour peut infliger à cet État membre, en application de l’article 260, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte.

42

À cet égard, la date de référence pour apprécier l’existence d’un manquement au titre de l’article 260, paragraphe 1, TFUE est celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure émise en vertu de cette disposition (arrêts précités Commission/Espagne, point 67, et Commission/République tchèque, point 23). Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, la procédure en manquement a été entamée sur le fondement de l’article 228, paragraphe 2, CE, la date de référence pour apprécier l’existence d’un manquement est celle de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé émis avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, à savoir le 1er décembre 2009 (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2011, Commission/Italie, C-496/09, Rec. p. I-11483, point 27).

Sur l’astreinte

– Sur le principe de l’imposition d’une astreinte

43

Selon une jurisprudence constante, l’imposition d’une astreinte ne se justifie en principe que pour autant que perdure le manquement tiré de l’inexécution d’un précédent arrêt jusqu’à l’examen des faits par la Cour (arrêt du 19 décembre 2012, Commission/Irlande, C‑374/11, point 33 et jurisprudence citée).

44

Il y a lieu de constater, en l’espèce, que, au moment de cet examen ainsi qu’à la date de l’audience, les mesures nécessaires à l’exécution de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, n’ont pas encore été intégralement adoptées.

45

Dans ces conditions, la Cour considère que la condamnation du Grand-Duché de Luxembourg au paiement d’une astreinte constitue un moyen financier approprié afin d’assurer l’exécution complète de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité.

– Sur le montant de l’astreinte

46

Il convient de rappeler que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière, il incombe à la Cour de fixer l’astreinte de telle sorte que celle-ci soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée au manquement constaté ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné (voir arrêt Commission/Irlande, précité, point 36 et jurisprudence citée).

47

Dans le cadre de l’appréciation de la Cour, les critères devant être pris en considération afin d’assurer la nature coercitive de l’astreinte en vue de l’application uniforme et effective du droit de l’Union sont, en principe, la durée de l’infraction, son degré de gravité et la capacité de paiement de l’État membre en cause. Pour l’application de ces critères, la Cour est appelée à tenir compte, en particulier, des conséquences du défaut d’exécution sur les intérêts publics et privés en cause ainsi que de l’urgence qu’il y a à ce que l’État membre concerné se conforme à ses obligations (voir arrêt Commission/Espagne, précité, point 119 et jurisprudence citée).

48

En l’espèce, il convient de relever que la Commission suggère de tenir compte, pour le calcul du montant de l’astreinte journalière, de la réduction progressive du nombre d’EH non conformes, c’est-à-dire non collectés ou non traités ou traités de manière non satisfaisante. Cela permettrait de tenir compte des progrès réalisés par le Grand-Duché de Luxembourg en vue d’exécuter l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, et du principe de proportionnalité.

49

Dans sa requête, la Commission propose d’adapter le système de calcul de l’astreinte à l’objectif de ne pas pénaliser le Grand-Duché de Luxembourg en l’astreignant à payer pour une infraction constatée par la Cour qui aurait cessé pendant la période nécessaire pour démontrer la mise en conformité en question, c’est-à-dire lorsque, au terme de cette période, il s’avère que le traitement appliqué a été conforme à la directive 91/271 pendant ladite période.

50

En ce sens, la Commission propose de ne pas comptabiliser dans le calcul du montant de l’astreinte, pendant une période de six mois, le nombre total d’EH concernés par un traitement tertiaire. Au terme de cette période de six mois, premièrement, si les résultats sont conformes à la directive 91/271, en ce qui concerne la fréquence des prélèvements et les valeurs correctes, la station d’épuration sera alors considérée comme appliquant un traitement conforme et les EH correspondants déduits définitivement du calcul de l’astreinte. Deuxièmement, si les résultats sur six mois montrent que le fonctionnement de la station d’épuration n’est pas conforme, les EH correspondants seront alors réintégrés dans le calcul de l’astreinte. Enfin, troisièmement, en cas de résultats médiocres mais pouvant être conformes sur une période de douze mois comme l’indique la directive 91/271, une nouvelle période de suspension de six mois pourra être décidée. Dans l’hypothèse d’une absence de conformité confirmée, les EH correspondants seront alors réintégrés dans le calcul de l’astreinte et seront donc dus pour la totalité de la période de la suspension de douze mois.

51

Or, s’il est vrai que, selon le Grand-Duché de Luxembourg, les rejets d’EH non conformes au Luxembourg ont baissé au cours de l’année 2011, ce qui ramène le taux de non-conformité (en EH) de 64 % à 21 %, il convient, néanmoins, de prendre en compte les circonstances aggravantes constatées par la Commission.

52

En premier lieu, ainsi que la Commission l’a constaté, plus de cinq années se sont écoulées depuis l’arrêt Commission/Luxembourg, précité. Le Grand-Duché de Luxembourg a eu, jusqu’à ce jour, un temps plus que suffisant pour exécuter pleinement cet arrêt, la directive 91/271 prévoyant initialement cinq années pour satisfaire à ses obligations.

53

En second lieu, en désignant l’entièreté du territoire national «zone sensible», les autorités luxembourgeoises ont jugé que les masses d’eau de surface étaient déjà affectées ou susceptibles d’être affectées à brève échéance par un phénomène d’eutrophisation. Cette désignation, confirmée par un courrier de 1999 de ces mêmes autorités à la Commission, conduit à considérer que le Grand-Duché de Luxembourg ne pouvait ignorer la nécessité de procéder aux travaux permettant de mettre en conformité ses stations d’épuration avec le droit de l’Union, au moins dès 1999.

54

En l’espèce, l’astreinte ne doit pas être suspendue ou diminuée avant que le Grand-Duché de Luxembourg n’ait pris toutes les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, et, par conséquent, l’exécution des obligations prévues par la directive 91/271.

55

Cependant, force est de constater que l’imposition de la somme telle que suggérée par la Commission ne tiendrait pas dûment compte du fait que le Grand-Duché de Luxembourg aurait déjà exécuté une partie importante de ses obligations, de sorte qu’une telle imposition ne serait pas proportionnelle.

56

Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, la Cour considère que l’imposition d’une astreinte d’un montant de 2800 euros par jour à partir du jour du prononcé du présent arrêt jusqu’à la date à laquelle le Grand-Duché de Luxembourg se sera mis en conformité avec l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, est appropriée pour obtenir l’exécution de ce dernier.

Sur la somme forfaitaire

57

À titre liminaire, il convient de rappeler que la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose essentiellement sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période postérieurement à l’arrêt qui l’a initialement constaté (arrêt Commission/République tchèque, précité, point 40 et jurisprudence citée).

58

En outre, l’éventualité d’une telle condamnation et la fixation du montant éventuel de la somme forfaitaire doivent, dans chaque cas d’espèce, demeurer fonction de l’ensemble des éléments pertinents ayant trait tant aux caractéristiques du manquement constaté qu’à l’attitude propre à l’État membre concerné par la procédure initiée sur le fondement de l’article 260 TFUE (arrêt Commission/République tchèque, précité, point 41).

59

À cet égard, cette disposition investit la Cour d’un large pouvoir d’appréciation afin de décider ou non de l’infliction d’une telle sanction et de déterminer, le cas échéant, son montant. En particulier, la condamnation d’un État membre à une somme forfaitaire ne saurait revêtir un caractère automatique (arrêt Commission/République tchèque, précité, point 42).

60

À cet effet, les propositions de la Commission ne sauraient lier la Cour et ne constituent que des indications (voir, en ce sens, arrêt Commission/République tchèque, précité, point 43).

61

En ce qui concerne les observations du Grand-Duché de Luxembourg et du Royaume‑Uni selon lesquelles la Commission devrait prendre en compte, dans le cadre de projets d’infrastructures de grande ampleur, comme ceux en cause en l’espèce, un délai d’exécution raisonnable en fonction de l’ampleur et de la difficulté de réalisation de ces projets, la durée de l’infraction ne commençant à être appréciée qu’à l’expiration de ce délai, il convient de constater que la nature, la complexité, le coût et la durée de réalisation desdits projets par l’État membre condamné doivent être pris en compte tant dans l’appréciation de la nécessité d’infliger une somme forfaitaire que dans la fixation du montant de celle-ci.

62

Or, il ressort du dossier soumis à la Cour que le Grand-Duché de Luxembourg réalise actuellement des efforts et des investissements importants afin d’exécuter l’arrêt Commission/Luxembourg, précité. La Commission a, en outre, relevé que, à l’issue de cet arrêt, le nombre d’agglomérations qui ne remplissaient pas les prescriptions de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/271 était réduit à six agglomérations sur les douze existantes.

63

S’il convient de souligner cet effort d’investissement indéniable, il y a également lieu de relever que, en classant l’intégralité de son territoire comme «zone sensible», conformément à l’article 5, paragraphe 1, et à l’annexe II de ladite directive, le Grand-Duché de Luxembourg a reconnu la nécessité d’une protection environnementale accrue de son territoire. Or, l’absence de traitement des eaux urbaines résiduaires constitue une atteinte particulièrement élevée à l’environnement.

64

En outre, force est de remarquer que le manquement constaté par l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, a perduré près de sept ans, ce qui est excessif, même s’il doit être reconnu que les tâches à exécuter nécessitaient une période significative de plusieurs années et que l’exécution de cet arrêt doit être considérée comme avancée.

65

Par conséquent, la Cour considère, compte tenu de la durée excessive de l’infraction, qu’il est justifié, dans la présente affaire, de condamner le Grand-Duché de Luxembourg au paiement d’une somme forfaitaire.

66

Eu égard aux éléments qui précèdent, la Cour estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en fixant à 2 000 000 d’euros le montant de la somme forfaitaire que le Grand-Duché de Luxembourg devra acquitter.

67

Il y a donc lieu de condamner le Grand-Duché de Luxembourg à payer à la Commission, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», la somme forfaitaire de 2000000 d’euros.

Sur les dépens

68

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Grand-Duché de Luxembourg et le manquement ayant été constaté, il y a lieu de condamner ce dernier aux dépens. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, il convient de décider que le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

 

1)

En n’ayant pas pris l’ensemble des mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt du 23 novembre 2006, Commission/Luxembourg (C‑452/05), le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE.

 

2)

Le Grand-Duché de Luxembourg est condamné à payer à la Commission européenne, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», la somme forfaitaire de 2000000 d’euros.

 

3)

Dans le cas où le manquement constaté au point 1 persistait au jour du prononcé du présent arrêt, le Grand-Duché de Luxembourg serait condamné à payer à la Commission européenne, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», une astreinte de 2800 euros par jour de retard dans la mise en œuvre des mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt Commission/Luxembourg, précité, à compter du jour du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire jusqu’à la pleine conformité avec l’arrêt Commission/Luxembourg, précité.

 

4)

Le Grand-Duché de Luxembourg est condamné aux dépens.

 

5)

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.

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