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Document 62011CJ0329

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 6 décembre 2011.
Alexandre Achughbabian contre Préfet du Val-de-Marne.
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Paris - France.
Espace de liberté, de sécurité et de justice - Directive 2008/115/CE - Normes et procédures communes en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier - Réglementation nationale prévoyant, en cas de séjour irrégulier, une peine d’emprisonnement et une amende.
Affaire C-329/11.

Recueil de jurisprudence 2011 -00000

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:807

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 décembre 2011 (*)

«Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Réglementation nationale prévoyant, en cas de séjour irrégulier, une peine d’emprisonnement et une amende»

Dans l’affaire C‑329/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Paris (France), par décision du 29 juin 2011, parvenue à la Cour le 5 juillet 2011, dans la procédure

Alexandre Achughbabian

contre

Préfet du Val-de-Marne,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, J. Malenovský, U. Lõhmus et M. Safjan, présidents de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič (rapporteur), A. Arabadjiev, Mme C. Toader et M. J.-J. Kasel, juges

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu l’ordonnance du président de la Cour du 30 septembre 2011 décidant de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure accélérée conformément aux articles 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 octobre 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Achughbabian, par Mes C. Papazian et P. Spinosi, avocats,

–        pour le gouvernement français, par Mme E. Belliard, M. G. de Bergues et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement danois, par M. C. Vang, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement estonien, par Mme M. Linntam, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande, en qualité d’agent,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Achughbabian au préfet du Val-de-Marne au sujet du séjour irrégulier de M. Achughbabian sur le territoire français.

 Le cadre juridique

 La directive 2008/115

3        Les quatrième, cinquième et dix-septième considérants de la directive 2008/115 énoncent:

«(4)      Il est nécessaire de fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée.

(5)      La présente directive devrait arrêter un ensemble horizontal de règles, applicables à tous les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans un État membre.

[...]

(17)      [...] Sans préjudice de l’arrestation initiale opérée par les autorités chargées de l’application de la loi, régie par la législation nationale, la rétention devrait s’effectuer en règle générale dans des centres de rétention spécialisés.»

4        L’article 1er de la directive 2008/115, intitulé «Objet», prévoit:

«La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme.»

5        L’article 2 de cette directive, intitulé «Champ d’application», dispose:

«1.      La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

2.      Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers:

a)      faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée [...], ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre [...];

b)      faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition.

[...]»

6        L’article 3 de ladite directive, intitulé «Définitions», énonce:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

2)      ‘séjour irrégulier’: la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions [...] d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre;

3)      ‘retour’: le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans:

–      son pays d’origine, ou

–      un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

–      un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis;

4)      ‘décision de retour’: une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour;

5)      ‘éloignement’: l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre;

[...]»

7        Les articles 6 à 9 de la directive 2008/115 énoncent:

«Article 6

Décision de retour

1.      Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

2.      Les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre et titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. [...]

3.      Les États membres peuvent s’abstenir de prendre une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire si le ressortissant concerné d’un pays tiers est repris par un autre État membre [...]

4.      À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. [...]

5.      Si un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre fait l’objet d’une procédure en cours portant sur le renouvellement de son titre de séjour ou d’une autre autorisation lui conférant un droit de séjour, cet État membre examine s’il y a lieu de s’abstenir de prendre une décision de retour jusqu’à l’achèvement de la procédure en cours [...]

[...]

Article 7

Départ volontaire

1.      La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. [...]

[...]

2.      Si nécessaire, les États membres prolongent le délai de départ volontaire d’une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l’existence d’enfants scolarisés et d’autres liens familiaux et sociaux.

3.      Certaines obligations visant à éviter le risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé, peuvent être imposées pendant le délai de départ volontaire.

4.      S’il existe un risque de fuite, ou si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse, ou si la personne concernée constitue un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, les États membres peuvent s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours.

Article 8

Éloignement

1.      Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7.

[...]

4.      Lorsque les États membres utilisent – en dernier ressort – des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui s’oppose à son éloignement, ces mesures sont proportionnées et ne comportent pas d’usage de la force allant au-delà du raisonnable. Ces mesures sont mises en œuvre comme il est prévu par la législation nationale, conformément aux droits fondamentaux et dans le respect de la dignité et de l’intégrité physique du ressortissant concerné d’un pays tiers.

[...]

Article 9

Report de l’éloignement

1.      Les États membres reportent l’éloignement:

a)      dans le cas où il se ferait en violation du principe de non-refoulement, ou

b)      tant que dure l’effet suspensif accordé [à l’issue d’un recours introduit contre une décision liée au retour].

2.      Les États membres peuvent reporter l’éloignement pour une période appropriée en tenant compte des circonstances propres à chaque cas. Ils prennent en compte notamment:

a)      l’état physique ou mental du ressortissant d’un pays tiers;

b)      des motifs d’ordre technique, comme l’absence de moyens de transport ou l’échec de l’éloignement en raison de l’absence d’identification.

3.      Si l’éloignement est reporté conformément aux paragraphes 1 et 2, les obligations prévues à l’article 7, paragraphe 3, peuvent être imposées au ressortissant concerné d’un pays tiers.»

8        Les articles 15 et 16 de la directive 2008/115 sont libellés comme suit:

«Article 15

Rétention

1.      À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a)      il existe un risque de fuite, ou

b)      le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

[...]

4.      Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5.      La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.

6.      Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison:

a)      du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou

b)      des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.

Article 16

Conditions de rétention

1.      La rétention s’effectue en règle générale dans des centres de rétention spécialisés. Lorsqu’un État membre ne peut les placer dans un centre de rétention spécialisé et doit les placer dans un établissement pénitentiaire, les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont séparés des prisonniers de droit commun.

[...]»

9        Selon l’article 20 de la directive 2008/115, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 24 décembre 2010.

 La réglementation nationale

 Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

10      Aux termes de l’article L. 211-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile français (ci-après le «Ceseda»), «[p]our entrer en France, tout étranger doit être muni [...] des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur [...]».

11      Selon l’article L. 311-1 de ce code, «[...] tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée en France, être muni d’une carte de séjour».

12      L’article L. 551-1 du Ceseda, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, était rédigé comme suit:

«Le placement en rétention d’un étranger dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire peut être ordonné lorsque cet étranger:

[...]

3°      Soit, faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière [...] édicté moins d’un an auparavant, ou devant être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction du territoire prévue au [...] code pénal ne peut quitter immédiatement le territoire français;

[...]

6°       Soit, faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise [...] moins d’un an auparavant et pour laquelle le délai d’un mois pour quitter volontairement le territoire est expiré, ne peut quitter immédiatement ce territoire.»

13      L’article L. 552-1, première phrase, du Ceseda, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, prévoyait que, «[q]uand un délai de quarante-huit heures s’est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention.»

14      L’article L. 621-1 du Ceseda dispose:

«L’étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s’est maintenu en France au‑delà de la durée autorisée par son visa sera puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros.

La juridiction pourra, en outre, interdire à l’étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L’interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l’expiration de la peine d’emprisonnement.»

15      Certaines de ces dispositions du Ceseda ont été modifiées par la loi n° 2011-672, du 16 juin 2011, relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (JORF du 17 juillet 2011, p. 10290), entrée en vigueur le 18 juillet 2011. L’article L. 621‑1 du Ceseda ne fait pas partie des dispositions modifiées.

 Le code de procédure pénale

16      Aux termes de l’article 62-2 du code de procédure pénale, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal:

«La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

17      Le 24 juin 2011, à Maisons-Alfort (France), des contrôles d’identité ont été effectués sur la voie publique par la police. L’un des individus interrogés lors de ces contrôles a déclaré s’appeler Alexandre Achughbabian et être né en Arménie le 9 juillet 1990.

18      Selon le procès-verbal dressé par la police, M. Achughbabian a également déclaré être de nationalité arménienne. Ce dernier dément toutefois avoir fait cette déclaration.

19      Soupçonné d’avoir commis et de continuer à commettre le délit énoncé à l’article L. 621-1 du Ceseda, M. Achughbabian a été placé en garde à vue.

20      Un examen plus approfondi de la situation de M. Achughbabian a alors fait apparaître que l’intéressé était entré en France le 9 avril 2008 et y avait sollicité l’octroi d’un titre de séjour et que cette demande avait été rejetée le 28 novembre 2008, ce rejet ayant été confirmé le 27 janvier 2009 par le préfet du Val-d’Oise et assorti par ce dernier d’un arrêté, notifié à M. Achughbabian le 14 février 2009, portant obligation de quitter le territoire français dans le délai d’un mois.

21      Le 25 juin 2011, un arrêté de reconduite à la frontière et un arrêté de placement en rétention administrative ont été adoptés par le préfet du Val-de-Marne et notifiés à M. Achughbabian.

22      Le 27 juin 2011, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil, saisi en vertu de l’article L. 552-1 du Ceseda aux fins de la prolongation de la rétention au-delà de 48 heures, a ordonné cette prolongation et a rejeté les exceptions de nullité soulevées par M. Achughbabian à l’encontre, notamment, de la garde à vue dont il venait de faire l’objet.

23      L’une desdites exceptions était tirée de l’arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, non encore publié au Recueil), par lequel la Cour a jugé que la directive 2008/115 s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit une peine d’emprisonnement pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire de cet État dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié. Selon M. Achughbabian, il découle de cet arrêt que la peine d’emprisonnement prévue à l’article L. 621-1 du Ceseda est incompatible avec le droit de l’Union. Eu égard à cette incompatibilité ainsi qu’à la règle selon laquelle une garde à vue ne peut avoir lieu qu’en cas de soupçon d’un délit passible d’une peine d’emprisonnement, la procédure suivie en l’espèce serait irrégulière.

24      Le 28 juin 2011, M. Achughbabian a interjeté appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil devant la cour d’appel de Paris. Celle-ci a constaté que M. Achughbabian est de nationalité arménienne, qu’il a fait l’objet d’un placement en garde à vue puis en rétention pour séjour irrégulier et qu’il a fait valoir que l’article L. 621-1 du Ceseda est incompatible avec la directive 2008/115, telle qu’interprétée dans l’arrêt El Dridi, précité.

25      Dans ces circonstances, la cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Compte tenu de son champ d’application, la directive [2008/115] s’oppose-t-elle à une réglementation nationale, telle [que] l’article L. 621-1 du [Ceseda], prévoyant l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers au seul motif de l’irrégularité de son entrée ou de son séjour sur le territoire national?»

26      La juridiction de renvoi a, par ailleurs, mis fin à la rétention de M. Achughbabian.

27      À la demande de la juridiction de renvoi, la chambre désignée a examiné la nécessité de soumettre la présente affaire à la procédure d’urgence prévue à l’article 104 ter du règlement de procédure. Ladite chambre a décidé, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande.

 Sur la question préjudicielle

28      Il convient de relever d’emblée que la directive 2008/115 ne porte que sur le retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans un État membre et n’a donc pas pour objet d’harmoniser dans leur intégralité les règles nationales relatives au séjour des étrangers. Par conséquent, cette directive ne s’oppose pas à ce que le droit d’un État membre qualifie le séjour irrégulier de délit et prévoie des sanctions pénales pour dissuader et réprimer la commission d’une telle infraction aux règles nationales en matière de séjour.

29      Les normes et les procédures communes instaurées par la directive 2008/115 ne portant que sur l’adoption de décisions de retour et l’exécution de ces décisions, il y a lieu de relever, également, que cette directive ne s’oppose pas à un placement en détention en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers.

30      Cette constatation est corroborée par le dix-septième considérant de ladite directive, duquel il ressort que les conditions de l’arrestation initiale de ressortissants de pays tiers soupçonnés de séjourner irrégulièrement dans un État membre demeurent régies par le droit national. Par ailleurs, ainsi que le gouvernement français l’a observé, il serait porté atteinte à l’objectif de la directive 2008/115, à savoir le retour efficace des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, s’il était impossible pour les États membres d’éviter, par une privation de liberté telle qu’une garde à vue, qu’une personne soupçonnée de séjour irrégulier s’enfuie avant même que sa situation n’ait pu être clarifiée.

31      Il importe de considérer, à cet égard, que les autorités compétentes doivent disposer d’un délai certes bref mais raisonnable pour identifier la personne contrôlée et pour rechercher les données permettant de déterminer si cette personne est un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier. La détermination du nom et de la nationalité peut, en cas d’absence de coopération de l’intéressé, s’avérer difficile. La vérification de l’existence d’un séjour irrégulier peut, elle aussi, se révéler complexe, notamment lorsque l’intéressé invoque un statut de demandeur d’asile ou de réfugié. Cela étant, les autorités compétentes sont tenues, aux fins d’éviter de porter atteinte à l’objectif de la directive 2008/115, tel que rappelé au point précédent, d’agir avec diligence et de prendre position sans tarder sur le caractère régulier ou non du séjour de la personne concernée. Une fois constatée l’irrégularité du séjour, lesdites autorités doivent, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive et sans préjudice des exceptions prévues par cette dernière, adopter une décision de retour.

32      S’il résulte de ce qui précède que la directive 2008/115 ne s’oppose ni à une réglementation nationale, telle que l’article L. 621-1 du Ceseda, dans la mesure où celle-ci qualifie le séjour irrégulier d’un ressortissant d’un pays tiers de délit et prévoit des sanctions pénales, y compris une peine d’emprisonnement, pour réprimer ce séjour, ni à la détention d’un ressortissant d’un pays tiers en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour de celui-ci, il convient, par la suite, de vérifier si cette directive s’oppose à une réglementation telle que l’article L. 621-1 du Ceseda dans la mesure où celle-ci est susceptible de conduire à un emprisonnement au cours de la procédure de retour régie par ladite directive.

33      À cet égard, la Cour a déjà relevé que si, en principe, la législation pénale et les règles de procédure pénale relèvent de la compétence des États membres, ce domaine du droit peut néanmoins être affecté par le droit de l’Union. Dès lors, nonobstant la circonstance que ni l’article 63, premier alinéa, point 3, sous b), CE, disposition qui a été reprise à l’article 79, paragraphe 2, sous c), TFUE, ni la directive 2008/115, adoptée notamment sur le fondement de ladite disposition du traité CE, n’excluent la compétence pénale des États membres dans le domaine de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier, ces derniers doivent aménager leur législation dans ce domaine de manière à assurer le respect du droit de l’Union. Lesdits États ne sauraient appliquer une réglementation pénale susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par ladite directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile (arrêt El Dridi, précité, points 53 à 55 et jurisprudence citée).

34      Afin de répondre à la question de savoir si la directive 2008/115 s’oppose, pour des raisons analogues à celles exposées par la Cour dans l’arrêt El Dridi, précité, à une réglementation telle que l’article L. 621-1 du Ceseda, il y a lieu de constater, tout d’abord, que la situation du requérant au principal relève de celle évoquée à l’article 8, paragraphe 1, de cette directive.

35      Il ressort, en effet, du dossier et de la réponse de la juridiction de renvoi à une demande d’éclaircissement qui lui a été adressée par la Cour qu’un ordre de quitter le territoire français, fixant un délai d’un mois pour un départ volontaire, a été notifié le 14 février 2009 à M. Achughbabian et que cet ordre n’a pas été respecté par celui-ci. Cette décision de retour n’étant plus en vigueur le 24 juin 2011, date des contrôle et placement en garde à vue de M. Achughbabian, une nouvelle décision de retour a été adoptée le 25 juin 2011, prenant cette fois la forme d’un arrêté de reconduite à la frontière, non assorti d’un délai de départ volontaire. Il s’ensuit que, indépendamment de la question de savoir si la situation du requérant au principal doit être regardée comme celle d’une personne n’ayant pas respecté une obligation de retour dans le délai accordé pour un départ volontaire ou comme celle d’une personne soumise à une décision de retour sans fixation de délai pour un départ volontaire, ladite situation est en tout état de cause visée par l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et fait donc naître l’obligation imposée par cet article à l’État membre concerné de prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder à l’éloignement, à savoir, en vertu de l’article 3, point 5, de ladite directive, le transfert physique de l’intéressé hors dudit État membre.

36      Il convient de relever, ensuite, qu’il ressort clairement de l’article 8, paragraphes 1 et 4, de la directive 2008/115 que les termes «mesures» et «mesures coercitives» y figurant se réfèrent à toute intervention qui conduit, de manière efficace et proportionnée, au retour de l’intéressé. L’article 15 de ladite directive prévoit que la rétention de l’intéressé n’est permise qu’aux fins de préparer et de permettre l’éloignement et que cette privation de liberté ne peut être maintenue que pendant une durée maximale de six mois, une période de rétention supplémentaire de douze mois ne pouvant s’y ajouter que dans le cas où la non‑exécution de la décision de retour pendant lesdits six mois est due à un manque de coopération de l’intéressé ou à des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.

37      Or, à l’évidence, l’infliction et l’exécution d’une peine d’emprisonnement au cours de la procédure de retour prévue par la directive 2008/115 ne contribuent pas à la réalisation de l’éloignement que cette procédure poursuit, à savoir le transfert physique de l’intéressé hors de l’État membre concerné. Une telle peine ne constitue donc pas une «mesure» ou une «mesure coercitive» au sens de l’article 8 de la directive 2008/115.

38      Enfin, il est constant que la réglementation nationale en cause au principal, en ce qu’elle prévoit une peine d’emprisonnement pour tout ressortissant d’un pays tiers qui est âgé de plus de 18 ans et qui séjourne irrégulièrement en France après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, est susceptible de conduire à un emprisonnement alors que, suivant les normes et les procédures communes énoncées aux articles 6, 8, 15 et 16 de la directive 2008/115, un tel ressortissant d’un pays tiers doit prioritairement faire l’objet d’une procédure de retour et peut, s’agissant d’une privation de liberté, tout au plus faire l’objet d’un placement en rétention.

39      Une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est, par conséquent, susceptible de faire échec à l’application des normes et des procédures communes établies par la directive 2008/115 et de retarder le retour, portant ainsi, à l’instar de la réglementation en cause dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt El Dridi, précité, atteinte à l’effet utile de ladite directive.

40      La conclusion énoncée ci-dessus n’est infirmée ni par la circonstance, mise en exergue par le gouvernement français, selon laquelle, en application de circulaires adressées aux instances judiciaires, les peines prévues par la réglementation nationale en cause au principal sont rarement infligées en dehors des cas où la personne séjournant irrégulièrement a, outre le délit de séjour irrégulier, commis un autre délit, ni par le fait, également invoqué par ce gouvernement, que M. Achughbabian n’a pas été condamné auxdites peines.

41      À cet égard, il importe de relever que les ressortissants de pays tiers ayant, outre le délit de séjour irrégulier, commis un ou plusieurs autres délits peuvent le cas échéant, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/115, être soustraits au champ d’application de celle-ci. Toutefois, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne suggère que M. Achughbabian aurait commis un délit autre que celui consistant à séjourner irrégulièrement sur le territoire français. La situation du requérant au principal ne saurait donc être soustraite du champ d’application de la directive 2008/115, l’article 2, paragraphe 2, sous b), de celle-ci ne pouvant manifestement pas, sous peine de priver cette directive de son objet et de son effet contraignant, être interprété en ce sens qu’il serait loisible aux États membres de ne pas appliquer les normes et les procédures communes énoncées par ladite directive aux ressortissants de pays tiers n’ayant commis que l’infraction de séjour irrégulier.

42      En ce qui concerne la circonstance que M. Achughbabian n’a, jusqu’à présent, pas été condamné aux peines d’emprisonnement et d’amende prévues à l’article L. 621-1 du Ceseda, il y a lieu de relever qu’il n’est pas contesté que l’adoption à son encontre d’un arrêté de reconduite à la frontière a été fondée sur la constatation du délit de séjour irrégulier prévu audit article et que ce dernier est, indépendamment du contenu des circulaires mentionnées par le gouvernement français, susceptible de conduire à une condamnation auxdites peines. Par conséquent, l’article L. 621-1 du Ceseda ainsi que la question de sa compatibilité avec le droit de l’Union sont pertinents dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi et le gouvernement français n’ayant par ailleurs fait mention ni d’un classement sans suite ni, de manière plus générale, d’une décision excluant définitivement toute possibilité de poursuites à l’encontre de M. Achughbabian pour ledit délit.

43      Au demeurant, et à l’instar de ce qui a été rappelé au point 33 du présent arrêt, il convient de souligner le devoir des États membres, découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE et rappelé au point 56 de l’arrêt El Dridi, précité, de prendre toute mesure propre à assurer l’exécution des obligations résultant de la directive 2008/115 et de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de celle-ci. Il importe que les dispositions nationales applicables ne soient pas susceptibles de compromettre la bonne application des normes et des procédures communes introduites par ladite directive.

44      Ne saurait, enfin, être accueillie, l’argumentation des gouvernements allemand et estonien, selon laquelle les articles 8, 15 et 16 de la directive 2008/115 font, certes, obstacle à ce qu’une peine d’emprisonnement intervienne au cours de la procédure d’éloignement prévue par ces articles, mais ne s’opposent pas à ce qu’un État membre inflige, à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, une peine d’emprisonnement avant de procéder à l’éloignement de cette personne selon les modalités prévues par la directive.

45      Il suffit de constater, à cet égard, qu’il découle tant du devoir de loyauté des États membres que des exigences d’efficacité rappelées notamment au quatrième considérant de la directive 2008/115 que l’obligation imposée par l’article 8 de cette directive aux États membres de procéder, dans les hypothèses énoncées au paragraphe 1 de cet article, à l’éloignement doit être remplie dans les meilleurs délais. À l’évidence, tel ne serait pas le cas si, après avoir constaté le séjour irrégulier du ressortissant d’un pays tiers, l’État membre concerné faisait précéder l’exécution de la décision de retour, voire l’adoption même de cette décision, de poursuites pénales suivies, le cas échéant, d’une peine d’emprisonnement. Une telle démarche retarderait l’éloignement (arrêt El Dridi, précité, point 59) et ne figure pas, au demeurant, parmi les justifications d’un report de l’éloignement mentionnées à l’article 9 de la directive 2008/115.

46      S’il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les États membres liés par la directive 2008/115 ne sauraient prévoir une peine d’emprisonnement pour les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans des situations dans lesquelles ceux-ci doivent, en vertu des normes et des procédures communes établies par cette directive, être éloignés et peuvent, en vue de la préparation et de la réalisation de cet éloignement, tout au plus être soumis à une rétention, cela n’exclut pas la faculté pour les États membres d’adopter ou de maintenir des dispositions, le cas échéant de caractère pénal, réglant, dans le respect des principes de ladite directive et de son objectif, la situation dans laquelle les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier (arrêt El Dridi, précité, points 52 et 60).

47      Eu égard à cette faculté, force est de constater que la thèse avancée par les gouvernements ayant présenté des observations devant la Cour, selon laquelle une interprétation telle que celle donnée ci-dessus mettrait fin à la possibilité pour les États membres de dissuader le séjour irrégulier, n’est pas fondée.

48      En particulier, la directive 2008/115 ne s’oppose pas à ce que des sanctions pénales soient infligées, suivant les règles nationales de procédure pénale, à des ressortissants de pays tiers auxquels la procédure de retour établie par cette directive a été appliquée et qui séjournent irrégulièrement sur le territoire d’un État membre sans qu’existe un motif justifié de non‑retour.

49      À cet égard, il y a lieu de souligner que, dans le cadre de l’application desdites règles de procédure pénale, l’infliction des sanctions mentionnées au point précédent est soumise au plein respect des droits fondamentaux, et notamment de ceux garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

50      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu’elle

–      s’oppose à une réglementation d’un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l’article 8 de cette directive et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention; et

–      ne s’oppose pas à une telle réglementation pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers auquel la procédure de retour établie par ladite directive a été appliquée et qui séjourne irrégulièrement sur ledit territoire sans motif justifié de non‑retour.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprétée en ce sens qu’elle

–        s’oppose à une réglementation d’un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l’article 8 de cette directive et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention; et

–        ne s’oppose pas à une telle réglementation pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers auquel la procédure de retour établie par ladite directive a été appliquée et qui séjourne irrégulièrement sur ledit territoire sans motif justifié de non‑retour.

Signatures


* Langue de procédure: le français.

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