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Document 62011CJ0239

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 19 décembre 2013.
Siemens AG e.a. contre Commission européenne.
Pourvoi – Concurrence – Entente – Marché des projets relatifs à des appareillages de commutation à isolation gazeuse – Répartition du marché – Règlement (CE) no 1/2003 – Preuve de l’infraction – Infraction unique et continue – Dénaturation des éléments de preuve – Force probante de déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant – Amendes – Montant de départ – Année de référence – Coefficient multiplicateur de dissuasion – Compétence de pleine juridiction – Égalité de traitement – Droits de la défense – Obligation de motivation.
Affaires jointes C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P.

Recueil de jurisprudence 2013 -00000

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2013:866

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 décembre 2013 *(1)

Table des matières

I –  Le cadre juridique

II –  Les antécédents des litiges et la décision litigieuse

III –  Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

IV –  Les développements postérieurs au prononcé des arrêts attaqués

V –  Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

VI –  Sur les pourvois

VII –  Sur les moyens relatifs à la preuve de l’infraction

A –  Sur les moyens soulevés par Siemens, tirés du défaut de preuve de sa participation à l’infraction entre le 22 avril 1999 et le 1er septembre 1999

1.  Sur le moyen tiré d’une dénaturation des éléments de preuve et d’une violation des principes tirés de l’expérience

a)  Argumentation des parties

b)  Appréciation de la Cour

2.  Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003, en ce que le Tribunal a refusé l’application de la prescription des poursuites relatives à la période antérieure au 22 avril 1999

a)  Argumentation des parties

b)  Appréciation de la Cour

B –  Sur les moyens soulevés par Mitsubishi et Toshiba, tirés du défaut de preuve de l’existence de l’arrangement commun

1.  Sur les moyens tirés d’une dénaturation des éléments de preuve ainsi que d’une motivation contradictoire ou insuffisante

a)  Argumentation des parties

i)  Le pourvoi de Mitsubishi

ii)  Le pourvoi de Toshiba

b)  Appréciation de la Cour

2.  Sur les moyens, tirés d’erreurs de droit lors de l’appréciation de la force probante de déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant

a)  Argumentation des parties

i)  Le pourvoi de Mitsubishi

ii)  Le pourvoi de Toshiba

b)  Appréciation de la Cour

3.  Sur les moyens, tirés d’erreurs de droit lors de l’application des critères relatifs à l’appréciation et à la pondération d’éléments de preuve

a)  Argumentation des parties

i)  Le pourvoi de Mitsubishi

ii)  Le pourvoi de Toshiba

b)  Appréciation de la Cour

4.  Sur les moyens, tirés d’erreurs de droit lors de l’application des principes relatifs à la «corroboration d’éléments de preuve»

a)  Argumentation des parties

i)  Le pourvoi de Mitsubishi

ii)  Le pourvoi de Toshiba

b)  Appréciation de la Cour

5.  Sur les moyens, tirés d’une erreur de droit, en ce que le Tribunal n’a pas permis à Mitsubishi et à Toshiba de présenter une explication alternative des faits que la Commission leur a reprochés

a)  Argumentation des parties

i)  Le pourvoi de Mitsubishi

ii)  Le pourvoi de Toshiba

b)  Appréciation de la Cour

6.  Sur les moyens, tirés d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que la Commission pouvait conclure à l’existence d’une infraction unique et continue

a)  Argumentation des parties

i)  Le pourvoi de Mitsubishi

ii)  Le pourvoi de Toshiba

b)  Appréciation de la Cour

VIII –  Sur les moyens relatifs à la détermination du montant des amendes

A –  Argumentation des parties

B –  Appréciation de la Cour

IX –  Sur les moyens relatifs au respect des droits fondamentaux de procédure et à l’obligation de motivation

A –  Sur le moyen tiré d’une violation des droits fondamentaux à un procès équitable et au respect des droits de la défense, en ce qu’un témoin à charge n’a pas pu être interrogé

1.  Argumentation des parties

2.  Appréciation de la Cour

B –  Sur le moyen tiré d’une violation du droit à un recours juridictionnel effectif, en ce que le Tribunal n’a pas exercé sa compétence de pleine juridiction

1.  Argumentation des parties

2.  Appréciation de la Cour

C –  Sur les moyens tirés d’une violation des droits de la défense, en ce que la Commission n’a pas donné accès aux éléments à charge et à décharge et a renversé la charge de la preuve

1.  Argumentation des parties

a)  Le pourvoi de Mitsubishi

b)  Le pourvoi de Toshiba

2.  Appréciation de la Cour

D –  Sur le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation

1.  Argumentation des parties

2.  Appréciation de la Cour

X –  Sur les dépens

«Pourvoi – Concurrence ‒ Entente – Marché des projets relatifs à des appareillages de commutation à isolation gazeuse – Répartition du marché ‒ Règlement (CE) n° 1/2003 – Preuve de l’infraction ‒ Infraction unique et continue ‒ Dénaturation des éléments de preuve – Force probante de déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant – Amendes – Montant de départ – Année de référence ‒ Coefficient multiplicateur de dissuasion ‒ Compétence de pleine juridiction ‒ Égalité de traitement – Droits de la défense ‒ Obligation de motivation»

Dans les affaires jointes C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P,

ayant pour objet trois pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 19 mai 2011, 22 septembre 2011 et 23 septembre 2011,

Siemens AG, établie à Munich (Allemagne), représentée par Mes I. Brinker, C. Steinle et M. Hörster, Rechtsanwälte (C‑239/11 P),

Mitsubishi Electric Corp., établie à Tokyo (Japon), représentée par M. R. Denton, solicitor, et Me K. Haegeman, advocaat (C-489/11 P),

Toshiba Corp., établie à Tokyo, représentée par Mme J. MacLennan, solicitor, M. A. Dawes, solicitor, Me A. Schulz, Rechtsanwalt, et Mme S. Sakellariou, dikigoros (C-498/11 P),

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par Mme A. Antoniadis ainsi que par MM. R. Sauer, N. Khan et P. Van Nuffel, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par:

Autorité de surveillance AELE, représentée par M. M. Schneider et Mme M. Moustakali, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi (C-239/11 P),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, MM. M. Safjan, J. Malenovský et Mme A. Prechal (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mai 2013,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger les affaires sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs pourvois, Siemens AG (ci-après «Siemens»), Mitsubishi Electric Corp. (ci-après «Mitsubishi») et Toshiba Corp. (ci-après «Toshiba») demandent l’annulation de, respectivement:

–        l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 mars 2011, Siemens/Commission (T‑110/07, Rec. p. II‑477, ci-après l’«arrêt attaqué Siemens/Commission»);

–        l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2011, Mitsubishi Electric/Commission (T‑133/07, Rec. p. II‑4219, ci-après l’«arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission»), et

–        l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission (T‑113/07, Rec. p. II‑3989, ci-après l’«arrêt attaqué Toshiba/Commission») (ci-après, ensemble, les «arrêts attaqués»),

par lesquels le Tribunal a, d’une part, aux termes de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, rejeté le recours de Siemens tendant à l’annulation, en tant qu’elle la concerne, de la décision C(2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38.899 – Appareillages de commutation à isolation gazeuse), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2008, C 5, p. 7, ci-après la «décision litigieuse»), et, d’autre part, aux termes des arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission, annulé les amendes imposées respectivement à Mitsubishi ainsi qu’à Toshiba par la décision litigieuse et rejeté leur recours pour le surplus.

I –  Le cadre juridique

2        L’article 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé «Amendes», prévoit:

«[...]

2.      La Commission [européenne] peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 [CE] ou 82 [CE] [...]

[...]

3.      Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

[...]

5.      Les décisions prises en application des paragraphes 1 et 2 n’ont pas un caractère pénal.»

3        L’article 25 du règlement n° 1/2003, intitulé «Prescription en matière d’imposition de sanctions», dispose:

«1.      Le pouvoir conféré à la Commission en vertu des articles 23 et 24 est soumis aux délais de prescription suivants:

[...]

b)      cinq ans en ce qui concerne les autres infractions.

2.      La prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin.

[...]»

4        Aux termes de l’article 31 de ce règlement, intitulé «Contrôle de la Cour de justice»:

«La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée.»

II –  Les antécédents des litiges et la décision litigieuse

5        Les litiges portent sur une entente relative à la vente d’appareillages de commutation à isolation gazeuse (ci-après les «AIG») servant à contrôler le flux d’énergie dans un réseau électrique. Il s’agit d’un matériel électrique lourd, utilisé comme composant principal de sous-stations électriques clés en main.

6        Le 3 mars 2004, ABB Ltd (ci-après «ABB») a signalé à la Commission l’existence d’une entente dans le secteur des AIG et a présenté une demande orale d’immunité des amendes conformément à la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la «communication sur la coopération»). Cette demande a ensuite été complétée par des observations orales et des preuves documentaires. Le 25 avril 2004, la Commission a accordé une immunité conditionnelle à ABB.

7        Sur la base des déclarations d’ABB, la Commission a entamé une enquête et mené, les 11 et 12 mai 2004, des inspections surprises dans les locaux de Siemens, d’Areva T & D SA, du groupe VA Tech, d’Hitachi Ltd et de Japan AE Power Systems Corp. (ci-après «JAEPS»). Le 20 avril 2006, la Commission a adopté une communication des griefs, qui a été notifiée à 20 sociétés dont Siemens, Mitsubishi et Toshiba. Une audition des sociétés concernées a eu lieu les 18 et 19 juillet 2006.

8        Le 24 janvier 2007, la Commission a adopté la décision litigieuse qui a été notifiée aux 20 mêmes sociétés auxquelles la communication des griefs avait été communiquée, à savoir, outre aux trois requérantes, à ABB, à Alstom SA, à Areva SA, à Areva T & D AG, à Areva T & D Holding SA ainsi qu’à Areva T & D SA (ces quatre dernières, prises ensemble, ci-après «Areva»), à Fuji Electric Holdings Co. Ltd et à Fuji Electric Systems Co. Ltd (ces deux dernières, prises ensemble, ci-après «Fuji»), à Hitachi Ltd et à Hitachi Europe Ltd (ci-après, prises ensemble, «Hitachi», à JAEPS, à Nuova Magrini Galileo SpA, à Schneider Electric SA, à Siemens AG Österreich, à Siemens Transmission & Distribution Ltd, à Siemens Transmission & Distribution SA et à VA Tech Transmission & Distribution GmbH & Co. KEG (ci-après « VA Tech »).

9        Les caractéristiques de l’entente telle que constatée dans la décision litigieuse sont résumées dans les arrêts attaqués dans des termes similaires. Ainsi, aux points 12 à 14 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, ces caractéristiques sont décrites comme suit:

«12      Aux considérants 113 à 123 de la décision [litigieuse], la Commission a indiqué que les différentes entreprises ayant participé à l’entente avaient coordonné l’attribution des projets d’AIG à l’échelle mondiale, à l’exception de certains marchés, selon des règles convenues, afin notamment de maintenir des quotas reflétant dans une large mesure leurs parts de marché historiques estimées. Elle a précisé que l’attribution des projets d’AIG était effectuée sur la base d’un quota conjoint ‘japonais’ et d’un quota conjoint ‘européen’ qui devaient ensuite être répartis entre eux respectivement par les producteurs japonais et par les producteurs européens. Un accord signé à Vienne le 15 avril 1988 (ci-après l’’accord GQ’) établissait des règles permettant d’attribuer les projets d’AIG soit aux producteurs japonais, soit aux producteurs européens, et d’imputer leur valeur sur le quota correspondant.

13      Par ailleurs, aux considérants 124 à 132 de la décision [litigieuse], la Commission a précisé que les différentes entreprises ayant participé à l’entente avaient conclu un arrangement non écrit (ci-après l’’arrangement commun’), en vertu duquel les projets d’AIG au Japon, d’une part, et dans les pays des membres européens de l’entente, d’autre part, désignés ensemble comme les ‘pays constructeurs’ des projets d’AIG, étaient réservés respectivement aux membres japonais et aux membres européens du cartel. Les projets d’AIG dans les ‘pays constructeurs’ ne faisaient pas l’objet d’échanges d’informations entre les deux groupes et n’étaient pas imputés sur les quotas respectifs. L’accord GQ contenait également des règles relatives à l’échange des informations nécessaires au fonctionnement du cartel entre les deux groupes de producteurs, lequel était notamment assuré par les secrétaires [desdits] groupes, à la manipulation des appels d’offres concernés et à la fixation de prix pour les projets d’AIG qui ne pouvaient pas être attribués. Selon les termes de son annexe 2, l’accord GQ s’appliquait au monde entier, à l’exception des États-Unis, du Canada, du Japon et de 17 pays d’Europe occidentale. En outre, en vertu de l’arrangement commun, les projets d’AIG dans les pays européens autres que les ‘pays constructeurs’ étaient également réservés au groupe européen, les producteurs japonais s’étant engagés à ne pas présenter d’offres pour les projets d’AIG en Europe.

14      Selon la Commission, la répartition des projets d’AIG entre les producteurs européens était régie par un accord également signé à Vienne, le 15 avril 1988, et intitulé ‘E-Group Operation Agreement for GQ-Agreement’ (Accord du groupe E pour la mise en œuvre de l’accord GQ) (ci-après l’’accord EQ’). Elle a indiqué que l’attribution des projets d’AIG en Europe suivait les mêmes règles et procédures que celles régissant l’attribution des projets d’AIG dans d’autres pays. En particulier, les projets d’AIG en Europe devaient également être notifiés, répertoriés, attribués, arrangés ou avaient reçu un niveau de prix minimal.»

10      Au terme des constatations factuelles et des appréciations juridiques figurant dans la décision litigieuse, la Commission a conclu que les entreprises impliquées avaient enfreint les articles 81 CE et 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), et leur a imposé des amendes dont le montant a été calculé en application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices pour le calcul des amendes») et de la communication sur la coopération.

11      La Commission a décidé que, en application de la communication sur la coopération, la demande d’immunité d’ABB devait être accordée, mais que les demandes de clémence introduites par Siemens, Mitsubishi, Areva, le groupe VA Tech, Hitachi/JAEPS et Fuji devaient chacune être rejetées.

12      Les articles 1er et 2 de la décision litigieuse disposent:

«Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint les [articles 81 CE et 53 de l’accord EEE] en participant, durant les périodes mentionnées, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur des [AIG] dans l’[Espace économique européen (EEE)]:

[...]

l)      [Mitsubishi], du 15 avril 1988 au 11 mai 2004;

[...]

o)      Siemens [...], du 15 avril 1988 au 1er septembre 1999, et du 26 mars 2002 au 11 mai 2004;

[...]

s)      Toshiba [...], du 15 avril 1988 au 11 mai 2004;

[...]

Article 2

Pour les infractions visées à l’article 1er, les amendes suivantes sont infligées:

a)      ABB [...]: 0 euro;

[...]

g)      [Mitsubishi]: 113 925 000 euros;

h)      [Mitsubishi], conjointement et solidairement avec Toshiba [...]: 4 650 000 euros;

i)      Toshiba [...]: 86 250 000 euros;

[...]

m)      Siemens [...]: 396 562 500 euros.»

III –  Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

13      Tout d’abord, par l’arrêt attaqué Siemens/Commission, le Tribunal a écarté les trois moyens avancés par Siemens au soutien de sa demande d’annulation de la décision litigieuse et, en conséquence, rejeté le recours dans son ensemble.

14      Il ressort du point 24 de cet arrêt que ces moyens étaient tirés, le premier, d’une violation des articles 81, paragraphe 1, CE et 53 de l’accord EEE, le deuxième, d’une violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003 et, le troisième, d’erreurs de droit dans le calcul du montant de l’amende.

15      Il ressort, ensuite, de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission que, à l’appui de ses conclusions, Mitsubishi avait invoqué quinze moyens que le Tribunal a résumés comme suit au point 27 de cet arrêt:

«[...]. Le premier [moyen] est tiré de ce que la Commission n’a pas établi qu’elle avait violé l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à une entente ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence dans l’[EEE]. Le deuxième est tiré de ce que la Commission n’a pas établi l’existence d’un accord enfreignant l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE auquel elle aurait été partie. Le troisième est tiré de ce que la Commission a commis une erreur en écartant les éléments expliquant son absence du marché européen et l’impossibilité pour elle de le pénétrer. Le quatrième est tiré de ce que la Commission a enfreint les règles régissant la preuve, en renversant la charge de la preuve et a violé ainsi la présomption d’innocence. Le cinquième est tiré de ce que la Commission a violé les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en calculant le montant de départ de son amende sur le fondement du chiffre d’affaires pour l’année 2001. Le sixième est tiré de ce que la Commission a violé l’obligation de motivation en ce qui concerne la décision de calculer l’amende sur la base du chiffre d’affaires pour l’année 2001. Le septième est tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans la définition du marché mondial des AIG et de sa part dudit marché et a, par conséquent, violé les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. Le huitième est tiré de ce que la Commission a violé l’obligation de motivation en ce qui concerne le constat selon lequel elle contrôlait entre 15 [%] et 20 % du marché mondial. Le neuvième est tiré de ce que la Commission a violé le principe de bonne administration en évaluant la valeur du marché mondial. Le dixième est tiré de ce que la Commission a violé les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en calculant le facteur de dissuasion qui lui était applicable. Le onzième est tiré de ce que la Commission a violé le principe de proportionnalité en calculant de la même manière le montant de son amende et le montant de l’amende des producteurs européens. Le douzième est tiré de ce que la Commission n’a pas pris en considération les éléments économiques et techniques pertinents lors du calcul de l’amende. Le treizième est tiré de ce que la Commission a commis une erreur dans le calcul de la durée de l’entente. Le quatorzième est tiré de ce que la Commission a violé ses droits de la défense et son droit à un procès équitable en ne lui donnant pas accès aux éléments à charge et à décharge. Le quinzième est tiré de ce que la Commission a violé ses droits de la défense en ne lui communiquant pas les conclusions relatives à la théorie de compensation inhérente à l’arrangement commun.»

16      Le Tribunal a rejeté tous les moyens de Mitsubishi à l’appui de sa demande principale visant à l’annulation de la décision litigieuse, pour autant qu’elle la concerne ainsi que TM T & D Corp. (ci-après «TM T & D»), société détenue à parts égales par Mitsubishi et Toshiba, et a ainsi confirmé l’existence de l’infraction commise par ces sociétés, telle que constatée dans la décision litigieuse.

17      Toutefois, aux points 264 à 280 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, dans le cadre de l’examen du cinquième moyen de Mitsubishi à l’appui de son recours, le Tribunal a jugé que la Commission avait violé le principe d’égalité de traitement en calculant les montants de départ de l’amende des producteurs japonais sur la base de leurs ventes mondiales des AIG pour l’année 2001, alors qu’elle s’était fondée sur l’année 2003 en ce qui concerne les producteurs européens. Le Tribunal en a conclu que l’article 2, sous g) et h), de la décision litigieuse devait être annulé pour autant qu’il concerne Mitsubishi et que le recours devait être rejeté pour le surplus.

18      Enfin, pour ce qui concerne l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, il ressort du point 26 de celui-ci que, à l’appui de ses conclusions, Toshiba a invoqué quatre moyens tirés, le premier, de ce que, dans la décision litigieuse, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit l’existence de l’arrangement commun, le deuxième, de ce que la Commission n’a pas établi l’existence d’une infraction unique et continue, le troisième, de ce que ses droits de la défense ont été violés et, le quatrième, de ce que la Commission lui a imposé une amende à tort.

19      Par cet arrêt, le Tribunal a rejeté les trois premiers moyens de Toshiba à l’appui de sa demande principale visant à l’annulation de la décision litigieuse pour autant qu’elle la concerne et a ainsi confirmé l’existence de l’infraction commise par cette société, telle que constatée dans cette décision.

20      Toutefois, aux points 280 à 293 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, dans le cadre de l’examen du quatrième moyen, le Tribunal a jugé que la Commission avait violé le principe d’égalité de traitement en calculant les montants de départ de l’amende des producteurs japonais sur la base de leurs ventes mondiales des AIG pour l’année 2001, alors qu’elle s’était fondée sur l’année 2003 en tant qu’année de référence pour ce qui concerne les producteurs européens. Le Tribunal en a conclu, à l’instar de sa décision dans l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que l’article 2, sous h) et i), de la décision litigieuse devait être annulé pour autant qu’il concerne Toshiba et que le recours devait être rejeté pour le surplus.

IV –  Les développements postérieurs au prononcé des arrêts attaqués

21      Prenant acte des arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission, la Commission a adopté, le 27 juin 2012, la décision C(2012) 4381, modifiant la décision C(2006) 6762 final du 24 janvier 2007 relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (devenu l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) et de l’article 53 de l’accord EEE dans la mesure où Mitsubishi Electric Corporation et Toshiba Corporation en étaient destinataires, dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2013, C 70, p. 12, ci-après la «décision litigieuse modifiée»). Aux termes de la décision litigieuse modifiée, la Commission a infligé des amendes à Mitsubishi et à Toshiba, fixées respectivement à 74 817 000 euros et à 56 793 000 euros pour ce qui concerne les infractions dont ces sociétés sont chacune seules responsables, ainsi qu’à 4 650 000 euros, à charge de ces deux mêmes sociétés, pour ce qui concerne les infractions dont elles ont été déclarées solidairement responsables.

22      Par deux recours introduits le 12 septembre 2012 devant le Tribunal (affaires T‑404/12 et T‑409/12), actuellement pendants devant cette juridiction, Mitsubishi et Toshiba ont demandé l’annulation de la décision litigieuse modifiée.

V –  Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

23      Par son pourvoi, Siemens demande à la Cour:

–        à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué Siemens/Commission, dans la mesure où il affecte Siemens et d’annuler partiellement la décision litigieuse dans la mesure où elle affecte Siemens;

–        à titre subsidiaire, d’annuler ou de réduire l’amende infligée à Siemens par cette décision;

–        à titre plus subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour être jugée en conformité avec l’appréciation juridique contenue dans l’arrêt de la Cour, et

–        en tout état de cause, de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

24      Par son pourvoi, Mitsubishi demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission en ce qu’il rejette le recours introduit par Mitsubishi devant le Tribunal;

–        d’annuler les articles de la décision litigieuse qui n’ont pas encore été annulés par le Tribunal, dans la mesure où ils s’appliquent à Mitsubishi et à TM T & D pour la période pendant laquelle Mitsubishi était conjointement et solidairement responsable avec Toshiba des activités de TM T & D, et

–        en tout état de cause, de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par Mitsubishi dans le cadre des deux instances.

25      Par son pourvoi, Toshiba demande à la Cour:

–        à titre principal, d’une part, d’annuler l’arrêt attaqué Toshiba/Commission pour autant qu’il a rejeté la demande de Toshiba d’annuler l’article 1er de la décision litigieuse et, d’autre part, d’annuler cette décision;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue conformément aux points de droit tranchés par l’arrêt de la Cour, et

–        en toute hypothèse, d’accorder à Toshiba le remboursement de ses dépens, y compris les dépens exposés dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.

26      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter les trois pourvois dans leur intégralité et

–        de condamner les sociétés requérantes aux dépens de la procédure.

27      L’Autorité de surveillance AELE (ci-après l’«Autorité»), ayant été admise par ordonnance du président de la Cour du 16 avril 2012 à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire C-239/11 P, demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans cette affaire.

28      Les parties, le juge rapporteur et l’avocat général ayant été entendus sur cette question, les affaires C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P ont été jointes aux fins de l’arrêt par décision du président de la quatrième chambre, prise conformément à l’article 54 du règlement de procédure de la Cour.

VI –  Sur les pourvois

29      Siemens soulève sept moyens d’annulation à l’appui de son pourvoi, tirés respectivement:

–        d’une violation du droit fondamental à un procès équitable, tel que garanti par les dispositions combinées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), de l’article 6, paragraphe 3, TUE et de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et d’une violation des droits de la défense, tels que garantis par l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, en ce que le Tribunal n’a pas sanctionné le fait que la Commission a fondé la constatation de la participation de Siemens à l’entente au cours de la période allant du 22 avril 1999 au 1er septembre 1999 principalement sur la déclaration de l’ancien collaborateur d’ABB, M. M., sans avoir donné à Siemens la possibilité d’interroger ce dernier;

–        d’une dénaturation des éléments de preuve et d’une violation des principes tirés de l’expérience, en ce que le Tribunal a retenu une participation de Siemens à l’entente au cours de la période allant du 22 avril 1999 au 1er septembre 1999 et a ainsi déterminé de manière erronée la durée de l’infraction pouvant lui être reprochée;

–        d’une violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003, en ce que le Tribunal a refusé l’application de la prescription des poursuites à la période allant jusqu’au 22 avril 1999 en retenant l’existence d’une infraction unique et continue;

–        d’une violation du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne l’année de référence et la catégorisation de Siemens aux fins du calcul du montant de l’amende;

–        d’une violation du principe d’égalité de traitement lors de la fixation du montant de l’amende pour ce qui concerne la détermination du coefficient multiplicateur de dissuasion;

–        d’une violation des articles 6 de la CEDH et 47 de la Charte, en ce que le Tribunal, en jugeant qu’il ne pouvait remplacer la méthode choisie par la Commission pour calculer la majoration au titre de la dissuasion par sa propre méthode de calcul, a renoncé à exercer sa compétence de pleine juridiction pour supprimer, réduire ou majorer les amendes, et

–        d’une violation de l’obligation de motivation, en ce que le Tribunal a fait preuve d’une sévérité insuffisante en ce qui concerne les exigences de motivation dans le cadre du calcul du coefficient multiplicateur de dissuasion.

30      À l’appui de son pourvoi devant la Cour, Mitsubishi soulève deux moyens d’annulation, le premier, tiré d’erreurs de droit substantielles commises par le Tribunal lors de l’appréciation des preuves relatives à l’existence de l’arrangement commun, comportant sept branches, faisant respectivement grief au Tribunal:

–        d’avoir dénaturé les éléments d’information relatifs à l’existence de l’arrangement commun;

–        de ne pas avoir appliqué les critères corrects pour l’appréciation des éléments de preuve et d’avoir fait une application erronée du principe jurisprudentiel selon lequel les déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme particulièrement fiables;

–        d’avoir fait une application erronée de la jurisprudence relative aux critères d’appréciation et à la pondération des éléments de preuve lorsqu’il a conclu que la déclaration de M. M. était crédible et avait une valeur probante;

–        d’avoir fait une application erronée du droit relatif à la corroboration en ce qui concerne la réponse de Fuji à la communication des griefs;

–        de ne pas avoir pris en considération l’effet global des différentes violations par la Commission des droits de la défense et du droit d’être entendu de Mitsubishi;

–        d’avoir violé les droits de la défense de Mitsubishi, et en particulier la présomption d’innocence, en exigeant de cette société qu’elle prouve un fait négatif pour démontrer qu’elle n’avait pas commis d’infraction, et

–        d’avoir enfreint la présomption d’innocence et fait une application erronée des principes juridiques en refusant de prendre en considération une explication alternative plausible,

le second moyen soulevé par Mitsubishi étant tiré d’erreurs de droit commises par le Tribunal en ce qu’il n’a pas établi à suffisance de droit la durée prétendue de l’infraction alléguée.

31      À l’appui de son pourvoi, Toshiba soulève quatre moyens d’annulation, faisant respectivement grief au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit en décidant:

–        que les témoignages apportés par ABB étaient de nature à établir l’existence d’un arrangement commun;

–        qu’il existait des preuves concordantes et des preuves indirectes de l’existence d’un arrangement commun;

–        que Toshiba a participé à une infraction unique et continue, et

–        que la non-divulgation de plusieurs témoignages à décharge n’a pas enfreint les droits de la défense de Toshiba.

VII –  Sur les moyens relatifs à la preuve de l’infraction

A –  Sur les moyens soulevés par Siemens, tirés du défaut de preuve de sa participation à l’infraction entre le 22 avril 1999 et le 1er septembre 1999

1.     Sur le moyen tiré d’une dénaturation des éléments de preuve et d’une violation des principes tirés de l’expérience

a)     Argumentation des parties

32      Par la première branche du deuxième moyen à l’appui de son pourvoi, Siemens fait grief au Tribunal d’avoir dénaturé des éléments de preuve en jugeant, au point 183 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, que les déclarations du principal témoin à charge, M. M., concernant la question de la participation de Siemens à l’entente entre le 22 avril 1999 et le 1er septembre 1999 n’étaient pas pour autant contradictoires. Il découlerait en effet des points 181 et 182 de cet arrêt que, en réalité, les déclarations en cause étaient équivoques, ambivalentes et contradictoires.

33      Aux termes de la deuxième branche de ce moyen, Siemens soutient que, en indiquant au point 183 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission que l’évolution dans le temps qu’ont connue les déclarations de M. M. s’expliquait par le fait que celles-ci étaient simplement devenues de plus en plus précises au fur et à mesure que M. M. se souvenait de détails de plus en plus précis, le Tribunal a violé de manière flagrante des «principes tirés de l’expérience». Conformément à des connaissances établies sur le fonctionnement de la mémoire et la psychologie des témoins, il serait en effet incontestable que, avec le passage du temps, les souvenirs ne se renforcent pas, mais, au contraire, faiblissent.

34      Par la troisième branche du deuxième moyen à l’appui de son pourvoi, Siemens fait valoir que le Tribunal, en décidant, au point 70 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, que M. M. ne pouvait avoir, contrairement à ABB, un intérêt personnel à maximiser le comportement infractionnel des concurrents d’ABB, a violé le «principe tiré de l’expérience» selon lequel les collaborateurs d’une entreprise ayant participé à l’entente peuvent eux aussi avoir un intérêt à maximiser un tel comportement et à minimiser leur propre responsabilité, et a ainsi dénaturé l’élément de preuve en cause.

35      Ainsi que le Tribunal l’aurait relevé à bon droit au point 64 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, il ne saurait en effet être exclu qu’ABB, en tant que candidat à la clémence, ait pu se sentir incitée à maximiser l’importance du comportement infractionnel dénoncé, afin de nuire à ses concurrents sur le marché. Un tel risque existerait non seulement s’agissant des déclarations d’ABB, mais également de celles de M. M., dès lors que le Tribunal a confirmé, au point 69 cet arrêt, que ces déclarations ne constituent pas des éléments de preuve différents et indépendants.

36      Il en découlerait que le Tribunal a en définitive admis le caractère intéressé des déclarations de M. M. Or, de telles déclarations, si elles étaient admises en tant que preuve d’une infraction, devraient être traitées de manière critique et avec circonspection dès lors qu’elles seraient susceptibles de menacer le caractère équitable de la procédure, tel que garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

37      La Commission soutient que ce moyen est irrecevable dans son ensemble, dans la mesure où, par celui-ci, Siemens vise en réalité à obtenir un réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour. Quant au fond, la Commission considère qu’il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir dénaturé les termes du témoignage de M. M. à propos de la date du retrait temporaire de Siemens de l’entente.

b)     Appréciation de la Cour

38      Tout d’abord, il convient de rappeler que, en cas de pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise au contrôle de la Cour (arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, point 38 et jurisprudence citée).

39      Le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend par conséquent, notamment, à l’inexactitude matérielle de ces constatations résultant des pièces du dossier, à la dénaturation des éléments de preuve, à la qualification juridique de ceux-ci et à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 39 et jurisprudence citée).

40      En revanche, contrairement à ce que soutient Siemens, ce pouvoir de contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi ne peut porter sur la violation alléguée de prétendus principes tirés de l’expérience, tels que ceux dont l’existence est invoquée par Siemens, qui porteraient notamment sur les connaissances établies concernant le fonctionnement de la mémoire et la psychologie des témoins, ou encore sur le fait que les collaborateurs d’une entreprise ayant participé à l’entente peuvent eux aussi avoir un intérêt à maximiser le comportement infractionnel des concurrents et à minimiser leur propre responsabilité.

41      Le contrôle portant sur une telle violation nécessite une appréciation factuelle qui revêt un caractère foncièrement différent du contrôle marginal que la Cour effectue lorsque le requérant reproche au Tribunal, de manière suffisamment circonstanciée, la dénaturation d’un élément de preuve.

42      Il ressort en effet d’une jurisprudence constante qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir, notamment, arrêt du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission, C‑260/09 P, Rec. p. I‑419, point 53 et jurisprudence citée).

43      Partant, les deuxième et troisième branches du deuxième moyen de Siemens doivent être rejetées comme irrecevables dès lors qu’elles sont fondées sur une prétendue violation de principes tirés de l’expérience.

44      Il y a lieu de rappeler, ensuite, que le contrôle effectué par la Cour pour apprécier un moyen tiré d’une dénaturation d’un élément de preuve se limite à la vérification de ce que le Tribunal, en se fondant sur cet élément pour constater la participation à une entente, n’a pas manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de celui-ci. Il appartient donc à la Cour non pas d’apprécier de manière autonome si la Commission a établi à suffisance de droit une telle participation et s’est acquittée ainsi de la charge de la preuve qui lui incombait pour démontrer l’existence d’une violation des règles du droit de la concurrence, mais de déterminer si le Tribunal, en concluant que tel était effectivement le cas, a fait une lecture de l’élément de preuve qui est manifestement contraire à son libellé (voir, en ce sens, arrêt Activision Blizzard Germany/Commission, précité, point 57).

45      En l’espèce, s’agissant des déclarations d’ABB et de M. M., il ne saurait être soutenu que le point 183 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission soit entaché d’une dénaturation d’un élément de preuve. En effet, le Tribunal, en motivant sa décision sur la base de ces déclarations pour constater la participation de Siemens à l’entente entre le 22 avril 1999 et le 1er septembre 1999, n’a pas manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de celles-ci, l’interprétation retenue par le Tribunal de ces éléments de preuve n’étant pas manifestement contraire à leur libellé.

46      Enfin, même si une interprétation différente de ces éléments de preuve que celle retenue par le Tribunal était possible, il n’en demeure pas moins que l’interprétation avancée par Siemens n’étant pas la seule qui soit compatible avec le libellé desdits éléments de preuve, l’interprétation différente retenue par le Tribunal ne fait apparaître aucune dénaturation du contenu de ces mêmes éléments et ne révèle en particulier aucune inexactitude matérielle (voir, par analogie, arrêt Activision Blizzard Germany/Commission, précité, point 54).

47      Eu égard à ce qui précède, le deuxième moyen invoqué par Siemens doit être rejeté comme étant pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

2.     Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003, en ce que le Tribunal a refusé l’application de la prescription des poursuites relatives à la période antérieure au 22 avril 1999

a)     Argumentation des parties

48      Par son troisième moyen, Siemens fait grief au Tribunal d’avoir rejeté ses arguments relatifs à la prescription de l’infraction pour ce qui concerne la période antérieure au 22 avril 1999.

49      Elle reproche au Tribunal d’avoir admis l’existence d’une infraction unique et continue en appliquant, aux points 242 à 254 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, les seuls critères énumérés au point 241 de cet arrêt. En procédant ainsi, le Tribunal aurait violé les dispositions en matière de prescription de l’article 25 du règlement n° 1/2003.

b)     Appréciation de la Cour

50      Dès lors que le deuxième moyen de Siemens a été rejeté, il en résulte, ainsi que l’a fait valoir à bon droit la Commission, que le troisième moyen que soulève cette requérante doit également être rejeté.

51      En effet, il ressort des points 236 à 239 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission que le Tribunal a rejeté l’exception de prescription au seul motif que la Commission avait constaté, à juste titre, dans la décision litigieuse, que la première phase de la participation de Siemens à l’infraction n’avait pris fin qu’au mois de septembre 1999, donc après la date du 10 mai 1999, c’est-à-dire cinq ans avant le jour précédant les inspections sur place auxquelles la Commission a procédé les 11 et 12 mai 2004.

52      Or, le deuxième moyen de Siemens visant à contester sa participation à l’entente pour ce qui concerne la période allant du 22 avril 1999 au 1er septembre 1999 ayant déjà été rejeté, le moyen tiré de l’exception de prescription doit par voie de conséquence également être rejeté.

53      En outre, si, dans le cadre de son troisième moyen, Siemens critique en particulier les points 242 à 254 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission portant sur l’existence d’une infraction unique et continue, force est de constater que, ainsi qu’il ressort notamment et clairement du point 239 de cet arrêt, les points 240 à 254 dudit arrêt concernent des motifs surabondants de celui-ci.

54      Or, selon une jurisprudence constante, les griefs dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (voir, notamment, arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, Rec. p. I‑2131, point 211 et jurisprudence citée).

55      Il en découle que le troisième moyen invoqué par Siemens doit être rejeté comme étant inopérant.

B –  Sur les moyens soulevés par Mitsubishi et Toshiba, tirés du défaut de preuve de l’existence de l’arrangement commun

1.     Sur les moyens tirés d’une dénaturation des éléments de preuve ainsi que d’une motivation contradictoire ou insuffisante

a)     Argumentation des parties

i)     Le pourvoi de Mitsubishi

56      Par la première branche de son premier moyen, qui vise les points 107 à 195 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, Mitsubishi fait valoir que le Tribunal a dénaturé certains éléments de preuve relatifs à l’existence de l’arrangement commun.

57      Elle soutient à cet égard, en premier lieu, que les points 116 et 118 de cet arrêt comportent une dénaturation des déclarations fournies par M. M. et d’autres témoins d’ABB.

58      En deuxième lieu, aux points 164 et 172 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal aurait dénaturé les preuves fournies par Hitachi s’agissant du mécanisme de notification et de comptabilisation en tant que preuve indirecte de l’existence de l’arrangement commun.

59      En troisième lieu, Mitsubishi fait valoir que le Tribunal a dénaturé les preuves fournies par Hitachi à propos de la prétendue proposition d’Alstom, intervenue lors de la réunion du 10 juillet 2002 et résumée au point 140 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, à savoir que «les fournisseurs européens devaient rester en Europe et que les producteurs japonais devaient rester au Japon et ne pas tenter de pénétrer sur le marché européen» (ci-après la «proposition d’Alstom»), en jugeant que la déclaration d’Hitachi rejetant cette proposition devait être interprétée en ce sens que cette entreprise rejetait non pas l’arrangement commun en tant que tel, mais uniquement son extension à l’Europe centrale et orientale.

60      En quatrième lieu, Mitsubishi allègue que d’autres preuves figurant dans le dossier ont été dénaturées par le Tribunal, dès lors que celui-ci a constaté, aux points 187 à 191 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que les producteurs japonais n’avaient pas participé à l’accord EQ et qu’ils ne connaissaient pas son existence, mais en a tout de même tiré deux conclusions contradictoires et inadéquatement motivées aux points 187 et 189 du même arrêt.

61      La Commission soutient que la première branche du premier moyen de Mitsubishi doit être rejetée comme irrecevable. Pour autant qu’elle serait recevable, l’argumentation de la requérante serait soit inopérante, soit non fondée.

ii)  Le pourvoi de Toshiba

62      Par la deuxième branche de son premier moyen, Toshiba reproche au Tribunal d’avoir dénaturé les éléments de preuve qui étaient soumis à son appréciation en concluant que les témoignages présentés par ABB et fournis par MM. Wi. et P. constituaient une preuve de l’existence d’un arrangement commun.

63      En outre, dans le cadre de la première branche de son deuxième moyen, Toshiba fait valoir que le Tribunal a dénaturé le rejet par Hitachi de la proposition d’Alstom en décidant, aux points 153 et 154 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que cet élément de preuve devait être interprété en ce sens qu’Hitachi avait rejeté non pas l’idée même d’une répartition des marchés, mais seulement la proposition d’étendre l’arrangement commun aux pays de l’Europe centrale et orientale.

64      La Commission soutient que l’interprétation retenue par le Tribunal de ces éléments de preuve ne dénature nullement leur contenu, dès lors qu’il s’agit manifestement d’une lecture raisonnable de ceux-ci.

65      Par la deuxième branche de son deuxième moyen, Toshiba fait valoir que, dans son appréciation de plusieurs éléments de preuve avancés par la Commission pour démontrer l’existence de l’arrangement commun, le Tribunal s’est fondé sur des motifs contradictoires. Tel serait en particulier le cas pour ce qui concerne l’appréciation, opérée aux points 159, 160 et 206 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, selon laquelle l’accord EQ constitue une preuve indirecte de l’arrangement commun et celle, effectuée aux points 184 et 206 de cet arrêt, selon laquelle les déclarations d’ABB et d’Hitachi relatives au mécanisme de notification et de comptabilisation constituent également une telle preuve indirecte.

66      La Commission conteste le caractère contradictoire des motifs concernés.

b)     Appréciation de la Cour

67      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, dans les limites décrites aux points 42 et 44 du présent arrêt, la Cour est compétente, dans le cadre d’un pourvoi, pour examiner le bien-fondé de griefs tirés d’une prétendue dénaturation par le Tribunal d’éléments de preuve, pour autant que ceux-ci soient développés de manière suffisamment circonstanciée. D’autre part, il est de jurisprudence constante que la question de savoir si la motivation d’un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant être, en tant que telle, invoquée dans le cadre d’un pourvoi (arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 77 et jurisprudence citée).

68      S’agissant, en premier lieu, de la prétendue dénaturation, par le Tribunal, des déclarations fournies par M. M. et d’autres témoins d’ABB qui découlerait des considérations figurant aux points 116 et 118 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, il y a lieu de constater que Mitsubishi se borne à critiquer deux appréciations ponctuelles opérées par le Tribunal et relatives à la valeur probante du seul témoignage de M. M.

69      Or, ces points font partie d’une évaluation circonstanciée, effectuée par le Tribunal aux points 107 à 128 de cet arrêt, de la valeur probante d’un ensemble d’éléments fournis par ABB, en particulier des déclarations faites par cette entreprise, dont sa déclaration du 11 mars 2004, et par quatre témoins, employés ou anciens employés de celle-ci, à savoir MM. M., Wi., P. et V.-A.

70      Au terme de cette évaluation, le Tribunal a conclu, d’une part, que les quatre témoignages fournis par ABB étaient de nature à prouver l’existence de l’arrangement commun et étaient cohérents en ce qui concerne l’existence et le contenu fondamental de l’arrangement commun et, d’autre part, que lesdits témoignages étaient crédibles et revêtaient, partant, une force probante élevée.

71      De surcroît, les deux appréciations ponctuelles de la valeur probante du témoignage de M. M. que critique Mitsubishi, quand bien même seraient-elles retirées et analysées hors de leur contexte, tel que rappelé au point 69 du présent arrêt, ne font pas apparaître une quelconque dénaturation de ce témoignage par le Tribunal.

72      S’agissant, d’abord, du point 116 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal y a essentiellement jugé, sans méconnaître de manière manifeste les termes du témoignage de M. M. tels que consignés dans le dossier administratif, que la valeur probante de cet élément de preuve ne pouvait être remise en cause en raison du fait que M. M. n’était pas présent lors de la conclusion de l’arrangement commun ou en raison de la circonstance que le sujet de cet arrangement n’avait pas été discuté à l’une des réunions auxquelles celui-ci avait participé.

73      Le Tribunal a motivé son point de vue en se fondant, d’une part, sur la considération qu’un témoin peut parfaitement apporter la preuve d’un phénomène durable même s’il n’a pas assisté à son commencement et d’autre part, sur le témoignage de M. M. selon lequel, de l’avis de ce dernier, la question de l’arrangement commun n’avait pas été explicitement discutée lors des réunions auxquelles il avait participé, dès lors que le contenu dudit arrangement était compris, accepté et mis en œuvre par les participants à l’entente sans qu’une discussion explicite soit nécessaire à cet égard.

74      Or, en jugeant en ce sens, le Tribunal n’a pas manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable du témoignage de M. M. et n’a, par conséquent, pas dénaturé cet élément de preuve.

75      Cette conclusion s’impose d’autant plus eu égard à la motivation du Tribunal, développée au point 115 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, au regard de laquelle les considérations ponctuelles critiquées du point 116 de cet arrêt revêtent un caractère secondaire. En effet, au point 115 dudit arrêt, le Tribunal a motivé la valeur probante du témoignage fourni par M. M. par le fait que celui-ci avait été l’un des représentants d’ABB au sein de l’entente entre les années 1988 et 2002, soit pendant presque toute la durée de son fonctionnement, alors que ABB était elle-même l’un des principaux acteurs de cette entente, de sorte qu’il fallait considérer que M. M. avait été un témoin direct et privilégié des circonstances qu’il a exposées dans son témoignage.

76      Par ailleurs, en faisant valoir que le Tribunal aurait dû en conclure que le témoignage de M. M. n’avait aucune valeur probante en ce qui concerne la création, l’existence ou la mise en œuvre de l’arrangement commun, Mitsubishi conteste en réalité l’appréciation par le Tribunal de la force probante de cet élément de preuve.

77      Or, une telle argumentation, dès lors qu’elle ne peut être analysée comme constituant un grief de dénaturation ou de méconnaissance des règles en matière de charge et d’administration de la preuve, doit être écartée comme irrecevable (voir, en ce sens, arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, points 56 et 57 et jurisprudence citée).

78      Ensuite, quant au point 118 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, c’est également à tort que Mitsubishi soutient que le Tribunal y aurait dénaturé les termes du témoignage de M. M. en ayant considéré que ce témoignage comportait des précisions sur la durée de l’arrangement commun, son contenu et ses participants.

79      En décidant en ce sens, le Tribunal n’a, en effet, aucunement dénaturé ce témoignage, dès lors qu’il s’agit d’une appréciation qui n’est pas manifestement contraire au contenu de celui-ci, tel que résumé en ces termes au point 117 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et à l’encontre duquel Mitsubishi n’articule aucun grief:

«[...] [Q]uant au contenu du témoignage de M. M., celui-ci a déclaré qu’un arrangement relatif à la protection mutuelle des marchés domestiques, antérieur à l’accord GQ, existait entre les producteurs japonais et européens, que cet arrangement était une condition nécessaire pour la conclusion des accords relatifs à d’autres régions et que le respect de ses règles impliquait que les producteurs japonais ne pénètrent pas le marché domestique des producteurs européens, alors même qu’ils étaient capables de le faire sur le plan technique. M. M. a également expliqué, dans ce contexte, le mécanisme de notification et de comptabilisation, ainsi que le fait que les projets d’AIG dans les pays constructeurs ne faisaient pas l’objet de discussions entre les deux groupes de producteurs et n’étaient pas imputés sur les quotas prévus par l’accord GQ.»

80      À ce stade, il y a également lieu de rejeter le grief soulevé par Toshiba dans le cadre de son premier moyen et tiré d’une dénaturation dont serait entachée l’appréciation par le Tribunal d’autres témoignages fournis par ABB, à savoir ceux présentés par MM. Wi. et P.

81      En effet, à supposer même, comme l’indique Toshiba, que ces deux témoins n’aient participé à des réunions relatives à l’entente dans le secteur des AIG que pendant une période de 18 mois, voire un an seulement, et que, au cours de ces réunions, l’arrangement commun n’ait pas été évoqué, il n’apparaît pas, contrairement à ce que soutient Toshiba, que le Tribunal ait dénaturé le contenu de ces témoignages en concluant, aux points 130 et 131 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que les éléments fournis par ABB dont ces deux témoignages font partie étaient cohérents en ce que l’existence de l’arrangement commun y est évoquée.

82      En tirant cette conclusion, le Tribunal s’est fondé, au point 128 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, sur l’appréciation suivante du contenu des témoignages de MM. Wi. et P.:

«[...] M. Wi. a déclaré que l’absence des entreprises japonaises du marché européen était le résultat d’un système de protection des marchés japonais et européen, motivé par le fait que chacun des deux groupes de producteurs ne désirait pas que l’autre groupe intervienne sur son marché domestique. De même, M. P. s’est référé spontanément à un accord commun avec les entreprises japonaises en vertu duquel ces dernières n’allaient pas participer au marché européen et les entreprises européennes n’allaient pas participer au marché japonais. [...]»

83      Force est de constater que cette appréciation du Tribunal ne révèle aucune dénaturation des termes de ces deux témoignages.

84      Pour ce qui concerne, en deuxième lieu, le grief tiré d’une dénaturation des éléments de preuve provenant d’Hitachi concernant le mécanisme de notification et de comptabilisation, il y a lieu de relever que, au terme d’un examen, effectué aux points 156 à 174 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, d’un ensemble de preuves portant sur ce mécanisme, le Tribunal a conclu, au point 175 de cet arrêt, que l’existence de la notification régulière, au groupe de producteurs japonais, de certains projets d’AIG dans l’EEE, après leur attribution, et de la comptabilisation de ces mêmes projets dans le quota conjoint «européen» prévu par l’accord GQ, a été établie, en ce qui concerne la période se situant entre l’année 1988 et l’interruption, au cours de l’année 1999, de la participation d’Hitachi à l’entente, par les déclarations d’ABB, par celles d’Hitachi et par le témoignage de M. M. et que, en outre, ce mécanisme constituait une preuve indirecte de l’existence de l’arrangement commun.

85      Dans le cadre de son analyse, le Tribunal a également rejeté, au point 161 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, certains éléments de dossier invoqués par la Commission comme étant non pertinents en ce qui concerne la preuve dudit mécanisme. Il en va ainsi de certaines listes fournies par ABB. Mitsubishi ne saurait dès lors se fonder sur cet élément, dans le cadre du présent pourvoi, pour contester l’appréciation effectuée par le Tribunal quant à la force probante d’autres éléments du dossier.

86      Le Tribunal a de même rejeté, au point 162 de cet arrêt, comme non pertinentes certaines déclarations d’Hitachi ainsi que l’argumentation de la Commission tirée d’un mécanisme de communication de renseignement prévu à l’annexe 2 de l’accord EQ.

87      Mitsubishi critique spécifiquement, d’abord, le point 172 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, au motif que, aux termes de celui-ci, le Tribunal a admis que les déclarations d’ABB et d’Hitachi ne mentionnaient pas le sujet de la notification régulière ou obligatoire, mais a néanmoins considéré qu’il ressortait clairement des formulations utilisées dans les documents concernés que la notification était un procédé utilisé de manière régulière et applicable à l’ensemble des participants et des projets concernés.

88      Mitsubishi fait valoir que, en tirant une telle conclusion desdits éléments de preuve, le Tribunal a dénaturé ceux-ci.

89      Dans le cadre de son deuxième moyen, Toshiba critique le point 184 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, dont les termes sont identiques à ceux du point 172 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, en faisant valoir que ce point de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission est fondé sur des motifs contradictoires, de sorte que le Tribunal ne pouvait retenir les éléments de preuve en cause en tant que preuve indirecte de l’existence de l’arrangement commun.

90      À cet égard, il y a lieu de constater que, auxdits points des arrêts attaqués concernés, le Tribunal relève que le sujet de la régularité de la notification de projets d’AIG n’est pas abordé explicitement dans les déclarations d’ABB et d’Hitachi ou dans le témoignage de M. M., mais qu’il ressort clairement des formulations figurant dans les documents concernés qu’il s’agissait d’un procédé utilisé régulièrement et applicable à l’ensemble des participants ainsi que des projets concernés.

91      Or, il n’existe pas de contradiction entre ces deux propos, dès lors que rien n’empêche que le sujet concerné, même s’il n’est pas expressément abordé dans les documents en cause, ressorte néanmoins de ceux-ci de manière implicite et, en conséquence, par la voie de leur interprétation. En outre, ni Mitsubishi ni Toshiba ne démontrent d’une quelconque manière en quoi cette dernière appréciation du Tribunal serait fondée sur une dénaturation des termes mêmes des documents en cause.

92      Partant, les griefs respectifs de Mitsubishi et de Toshiba concernant l’appréciation de cet élément de preuve doivent être écartés.

93      Par ailleurs, quant au grief tiré d’une dénaturation que dirige Mitsubishi à l’encontre du point 164 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, en ce que le Tribunal y aurait jugé à tort que, dans sa réponse à la communication des griefs, Hitachi avait explicitement confirmé l’existence du mécanisme de notification et de comptabilisation invoqué par la Commission jusqu’au cours de l’année 1999, il y a lieu de constater que le Tribunal a tiré cette conclusion en se fondant sur un rappel, au point 163 du même arrêt, du contenu de cette déclaration. Or, il est constant que ce rappel est fidèle au texte figurant au considérant 130 de la décision litigieuse.

94      Audit point 163, le Tribunal a résumé cette déclaration comme suit:

«[...] [D]ans sa réponse à la communication des griefs, Hitachi a déclaré que, avant qu’elle n’interrompe sa participation à l’entente en 1999, les producteurs européens communiquaient aux producteurs japonais les détails des projets d’AIG qu’ils allaient fournir en Europe, afin de permettre la prise en compte de ces projets lors de la détermination du quota des projets d’AIG en dehors de l’EEE attribués aux deux groupes de producteurs en vertu de l’accord GQ.»

95      Or, en considérant, au point 164 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que, par cette déclaration, Hitachi avait explicitement confirmé l’existence du mécanisme de notification et de comptabilisation invoqué par la Commission jusqu’en 1999, le Tribunal n’a pas fait une lecture de cette déclaration qui est manifestement contraire à son libellé, tel que résumé au point 163 dudit arrêt. Partant, le Tribunal n’a pas dénaturé la portée de ladite déclaration.

96      S’agissant, en troisième lieu, du grief tiré de la dénaturation de la déclaration d’Hitachi relative à la proposition d’Alstom, ces éléments du dossier sont résumés au point 140 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission dans les termes suivants:

«Il ressort du considérant 127 de la décision [litigieuse] que, lors de la réunion du 10 juillet 2002 pendant laquelle a été discutée l’évolution des méthodes de fonctionnement de l’entente après que Siemens et Hitachi ont repris leur participation à cette entente, Alstom a présenté une proposition selon laquelle les producteurs européens devaient rester en Europe et les producteurs japonais devaient rester au Japon et ne pas tenter de pénétrer le marché européen. En outre, il est précisé dans ce considérant que, lors de la réunion subséquente du 15 juillet 2002, le représentant d’Hitachi avait indiqué que cette dernière rejetait cette proposition, que les producteurs européens avaient réagi en déclarant que l’Europe, en ce compris l’Europe centrale et orientale, était leur marché et qu’ils entendaient maintenir les prix pratiqués en Europe occidentale et avaient également annoncé que la question allait être rediscutée même si tel n’avait pas été le cas.»

97      Si, ainsi que l’observe d’ailleurs le Tribunal au point 141 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, ce résumé, qui n’est d’ailleurs pas critiqué, en tant que tel, par Mitsubishi, peut, à première vue, être compris en ce sens que, par sa déclaration, Hitachi a rejeté la proposition de conclusion d’un nouvel arrangement, de sorte qu’aucun accord de répartition des marchés n’aurait existé dès le mois de juillet 2002, le Tribunal a en définitive retenu une interprétation alternative de ce document, à savoir celle selon laquelle la proposition d’Alstom concernait uniquement l’extension de l’arrangement commun aux pays de l’Europe centrale et orientale, de sorte que le rejet d’Hitachi ne portait que sur cette extension et non sur l’arrangement commun en tant que tel.

98      Il découle des points 142 et 143 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission que le Tribunal a motivé cette interprétation en considérant, en substance, qu’il ressortait de ce résumé, d’une part, qu’Hitachi s’était bornée à rejeter la proposition d’Alstom et non l’idée même d’une répartition des marchés et, d’autre part, qu’Hitachi avait elle-même indiqué que les revendications des producteurs européens incluaient l’Europe centrale et orientale. Il résulte également de ces points de l’arrêt attaqué que le Tribunal a aussi pris en compte la considération que, si, comme le prétendait Mitsubishi, les producteurs japonais n’étaient pas perçus par les producteurs européens comme des concurrents crédibles sur le marché de l’EEE, ces derniers n’auraient en aucun cas été enclins à proposer une répartition des marchés couvrant tant le marché de l’EEE que celui de l’Europe centrale et orientale.

99      En jugeant en ce sens, le Tribunal n’a pas fait une lecture dudit résumé qui est manifestement contraire à son libellé.

100    En outre, ainsi que l’a relevé la Commission, le caractère à tout le moins raisonnable de cette interprétation est confirmé par le fait que ce résumé, qui figure au point 127 de la décision litigieuse, s’inscrit dans un cadre plus général exposé à cet endroit de ladite décision, à savoir celui de la perspective, à partir de l’année 2002, de l’intégration des marchés de l’Europe centrale et orientale dans les marchés de l’Europe de l’Ouest alors que, traditionnellement, ces derniers étaient considérés par les producteurs européens comme leur appartenant, ce qui était, à terme, de nature à soulever une polémique, d’autant plus que, par le passé, certains producteurs japonais avaient déployé des activités économiques dans des pays d’Europe centrale et orientale.

101    Partant, le grief tiré d’une dénaturation de la déclaration d’Hitachi relative à la proposition d’Alstom doit être rejeté. Toshiba ayant soulevé en substance le même grief dans le cadre de la première branche de son deuxième moyen, celui-ci doit, pour ces mêmes motifs, être écarté.

102    Pour ce qui concerne, en quatrième lieu, l’allégation de dénaturation dirigée à l’encontre des points 187 et 189 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, il y a lieu, d’une part, d’observer, quant au premier de ces points, que celui-ci vise spécifiquement à répondre à un argument soulevé par Mitsubishi et repris au point 178 de cet arrêt.

103    Par cet argument, Mitsubishi faisait valoir que la circonstance que l’accord EQ prévoyait que seuls les producteurs européens soumettaient des offres de soutien pour les projets européens d’AIG démontrait que les clients européens ne considéraient pas comme crédibles les offres soumises par les producteurs japonais.

104    Au point 187 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal a répondu à cet argument en décidant qu’une telle conclusion quant à la crédibilité d’offres soumises par les producteurs japonais ne pouvait être tirée de l’article 6, paragraphe 4, de l’accord EQ dès lors que celui-ci ne visait pas les producteurs japonais.

105    Cette appréciation ne saurait être remise en cause dans le cadre du présent pourvoi par l’argument de Mitsubishi selon lequel le Tribunal aurait retenu à tort que de telles offres étaient crédibles, puisque, pendant une période de seize mois, les clients européens n’ont pas demandé d’offres aux producteurs japonais et ne se sont pas interrogés sur l’absence de telles offres. Un tel argument est irrecevable au stade du pourvoi, dès lors qu’il met directement en cause une appréciation des faits par le Tribunal, en invoquant certains éléments factuels dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude et qui sont étrangers à toute démonstration d’une dénaturation d’une pièce du dossier.

106    D’autre part, quant au grief tiré de la dénaturation d’un élément de preuve par le Tribunal, déduit des considérations figurant au point 189 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, celui-ci doit d’abord être remis dans son contexte.

107    Ce point fait en effet partie d’un raisonnement, tenu aux points 188 à 191 de cet arrêt, au terme duquel le Tribunal a conclu que le mécanisme de notification de certains projets d’AIG européens aux producteurs japonais, tel que prévu par le point 4 de la partie «E (E-Members)» de l’annexe 2 de l’accord EQ, dès lors qu’il n’était pas prouvé que celui-ci avait été mis en œuvre ou était connu des producteurs japonais, ne constituait qu’un indice laissant à penser que ces derniers étaient considérés comme des concurrents crédibles pour la fourniture de certains projets d’AIG dans l’EEE.

108    En revanche, au point 170 dudit arrêt, le Tribunal a jugé que, s’il pouvait être conclu que ledit mécanisme constituait un tel indice de crédibilité, celui-ci était, de par sa nature, différent du mécanisme de notification et de comptabilisation invoqué par la Commission en tant que preuve indirecte de l’existence de l’arrangement commun et était, par conséquent, dénué de pertinence en ce qui concerne la preuve de ce même mécanisme.

109    Le Tribunal a fondé cette conclusion quant à la crédibilité des producteurs japonais en tant que concurrents des producteurs européens pour la fourniture de certains projets d’AIG dans l’EEE en considérant, aux points 188 et 189 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que la possibilité pour les producteurs européens de notifier aux producteurs japonais l’existence de certains projets d’AIG avant leur attribution, telle que prévue par cette clause de l’accord EQ, permettait d’écarter, dans une certaine mesure, l’argumentation de Mitsubishi selon laquelle les producteurs japonais n’étaient pas perçus comme des concurrents crédibles sur les marchés européens.

110    Contrairement à ce que soutient Mitsubishi, aux termes de ces considérations, le Tribunal a apprécié un moyen de preuve d’une manière qui ne révèle par ailleurs aucune dénaturation de ses termes.

111    Toujours en ce qui concerne ce mécanisme de notification prévu par l’accord EQ, Toshiba soutient, pour sa part, dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen à l’appui de son recours, que le Tribunal a adopté une position contradictoire dès lors qu’il a jugé, d’une part, aux points 159 et 160 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que cet accord ne constituait qu’un indice quant à la perception des entreprises japonaises par leurs homologues européennes laissant à penser que les producteurs japonais étaient considérés comme des concurrents crédibles pour la fourniture de certains projets d’AIG dans l’EEE et, d’autre part, au point 206 de cet arrêt, que ce même accord constituait une preuve indirecte de l’existence de l’arrangement commun.

112    Cet argument doit être rejeté.

113    Le Tribunal a certes jugé que, d’une part, le mécanisme de notification prévu par l’accord EQ pouvait être considéré comme un indice laissant à penser que les producteurs japonais étaient perçus par leurs homologues européens comme des concurrents crédibles pour la fourniture de certains projets d’AIG dans l’EEE et, d’autre part, que, pour cette raison, cet indice pouvait être retenu, au même titre que le mécanisme de notification et de comptabilisation faisant l’objet des déclarations d’ABB et d’Hitachi, en tant que preuve indirecte de l’existence de l’arrangement commun.

114    Aucune contradiction n’existe toutefois entre ces motifs dès lors que, comme le Tribunal l’a considéré au point 206 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le mécanisme de notification prévu par l’accord EQ, en ce qu’il confirme que les producteurs japonais étaient perçus comme des concurrents crédibles pour certains marchés d’AIG dans l’EEE, laisse à penser que ceux-ci se sont engagés à ne pas pénétrer le marché européen en échange d’une partie plus importante des projets d’AIG dans d’autres régions du monde.

115    Dès lors, la première branche du premier moyen de Mitsubishi à l’appui de son recours ainsi que les parties concernées des deux premiers moyens de Toshiba doivent être écartées.

2.     Sur les moyens, tirés d’erreurs de droit lors de l’appréciation de la force probante de déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant

a)     Argumentation des parties

i)     Le pourvoi de Mitsubishi

116    Par la deuxième branche du premier moyen au soutien de son pourvoi, Mitsubishi fait grief au Tribunal de ne pas avoir appliqué les critères corrects pour l’appréciation des éléments de preuve et d’avoir fait une application erronée du principe jurisprudentiel selon lequel les déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme particulièrement fiables.

117    En premier lieu, Mitsubishi reproche au Tribunal d’avoir dénaturé, au point 78 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, l’argumentation aux termes de laquelle elle soutenait que, dans des affaires dans lesquelles seules des preuves orales ou des déclarations d’entreprises étayent l’existence de l’infraction alléguée alors qu’elle est démentie par de nombreuses autres sources, et que même les témoignages oraux soutenant cette existence présentent des incohérences et des contradictions, celle-ci ne devrait pas être considérée comme établie à suffisance de droit.

118    En deuxième lieu, Mitsubishi soutient que, en décidant, au point 108 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que les déclarations effectuées dans le cadre d’une demande de clémence ont tendance à être plus fiables dès lors qu’elles vont à l’encontre des intérêts de celui qui les fait, le Tribunal a fait une application erronée des principes jurisprudentiels en cause, dès lors que les déclarations effectuées au cours d’une procédure d’immunité ou de clémence ne vont pas nécessairement à l’encontre des intérêts propres du déclarant.

119    En particulier, les déclarations de M. M. quant à l’existence de l’arrangement commun, plutôt que d’aller à l’encontre de ses intérêts, auraient été favorables à ABB, puisqu’elles consolidaient la thèse de la Commission et par conséquent la demande d’immunité de cette société.

120    En troisième lieu, Mitsubishi reproche au Tribunal d’avoir conclu, au point 192 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que les déclarations et les témoignages d’ABB, les déclarations de Fuji relatives à l’arrangement commun ainsi que les déclarations d’Hitachi relatives au mécanisme de notification et de comptabilisation revêtaient une force probante plus importante que les déclarations niant l’existence de l’arrangement commun faites par Siemens, Mitsubishi, Toshiba, Hitachi et VA Tech.

121    À cet égard, le Tribunal n’aurait d’abord pas expliqué pourquoi il y avait lieu de refuser toute valeur probante aux déclarations niant l’existence de l’arrangement commun faites dans le cadre d’une demande de clémence, alors que les entreprises en cause avaient le même intérêt qu’ABB à ne pas compromettre leur statut de demandeur de clémence en fournissant des informations inexactes.

122    Ensuite, quant aux déclarations de Fuji relatives à l’arrangement commun, le Tribunal aurait erronément jugé, au point 135 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que ces déclarations allaient à l’encontre des intérêts de cette société. Dans ses déclarations, Fuji n’aurait pas admis qu’elle avait participé à l’arrangement commun. Elle aurait simplement indiqué que l’arrangement commun existait, mais qu’il concernait uniquement les autres producteurs japonais, éventuellement dans le but d’obtenir la clémence qu’elle avait demandée.

123    Enfin, ce serait à tort que le Tribunal a jugé, au point 164 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que les déclarations d’Hitachi relatives au mécanisme de notification et de comptabilisation présentaient une valeur probante élevée dès lors que, d’une part, elles allaient à l’encontre de ses intérêts et constituaient un élément à charge et, d’autre part, Hitachi n’était pas consciente des déductions qui pouvaient être effectuées à partir de cette déclaration. La reconnaissance délibérée et consciente de sa responsabilité par l’entreprise faisant une déclaration relative au comportement infractionnel ferait en effet partie intégrante du principe des déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant.

124    La Commission soutient que la première branche du premier moyen de Mitsubishi doit être rejetée comme irrecevable. Pour autant qu’elle serait recevable, l’argumentation de cette requérante serait soit inopérante, soit non fondée.

ii)  Le pourvoi de Toshiba

125    Par la troisième branche du premier moyen qu’elle présente à l’appui de son recours, Toshiba soutient que, en jugeant, aux points 197 et 198 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que les déclarations de Siemens, de Mitsubishi et d’Hitachi niant l’existence d’un arrangement commun étaient moins crédibles que les éléments contraires présentés par ABB, le Tribunal s’est fondé sur une motivation contradictoire et insuffisante, entachant ainsi son arrêt d’une erreur de droit.

126    En effet, après avoir défini, au point 93 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, six critères pour apprécier la fiabilité des témoignages, le Tribunal n’aurait ensuite pas appliqué ces critères aux déclarations des employés de Siemens, de Mitsubishi et d’Hitachi, mais se serait contenté d’affirmer, pour écarter leur valeur probante, que ces témoignages n’allaient pas à l’encontre des intérêts des entreprises qui les avançaient.

127    La Commission soutient que le Tribunal a correctement appliqué les principes relatifs à la force probante d’éléments de preuve en tenant dûment compte du fait que, contrairement aux déclarations d’ABB, celles qui ont été faites au nom de Siemens, de Mitsubishi et d’Hitachi niant l’existence de l’infraction n’allaient pas à l’encontre des intérêts de ces entreprises.

b)     Appréciation de la Cour

128    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves dont il découle, d’une part, que, dès lors qu’un élément de preuve a été obtenu régulièrement, sa recevabilité ne peut être contestée devant le Tribunal et, d’autre part, que le seul critère pertinent pour apprécier la force probante des preuves régulièrement produites réside dans leur crédibilité (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407/04 P, Rec. p. I-829, points 49 et 63).

129    En outre, l’appréciation par le Tribunal de la force probante des pièces du dossier qui lui sont soumises ne peut, sous réserve des cas de méconnaissance des règles en matière de charge et d’administration de la preuve et de dénaturation desdites pièces, être remise en cause devant la Cour (voir, notamment, arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 56 et jurisprudence citée).

130    En revanche, la question de savoir si le Tribunal a respecté les règles en matière de charge et d’administration de la preuve dans le cadre de l’examen de celles qui ont été invoquées par la Commission pour étayer l’existence d’une infraction aux règles du droit de l’Union de la concurrence constitue une question de droit pouvant être invoquée dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 40).

131    S’agissant, en premier lieu, du grief tiré d’une dénaturation de l’argumentation de Mitsubishi dont serait entachée le point 78 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, il y a lieu de constater que ce point fait partie d’un raisonnement aux termes duquel le Tribunal a répondu à un ensemble d’arguments de Mitsubishi tendant à démontrer que la Commission, lors de l’établissement de sa participation à l’infraction, aurait violé les règles régissant l’administration et la charge de la preuve au motif que seules des preuves orales de cette participation existeraient, provenant d’ailleurs d’entreprises ayant présenté une demande de clémence, et que ces preuves seraient en outre démenties par d’autres preuves ou présenteraient des incohérences ou des contradictions.

132    Force est de constater, tenant compte également des principes rappelés aux points 128 à 130 du présent arrêt, que le Tribunal a répondu de manière adéquate à cette argumentation sans commettre une quelconque erreur de droit.

133    Tout d’abord, en effet, d’une part, c’est à bon droit que, aux points 75 et 76 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal a rappelé les principes régissant la charge et l’administration de la preuve qu’il a appliqués:

«75      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction. Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence [...]

76      En outre, compte tenu du caractère notoire de l’interdiction des accords anticoncurrentiels, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle produise des pièces attestant de manière explicite une prise de contact entre les opérateurs concernés. Les éléments fragmentaires et épars dont pourrait disposer la Commission devraient, en toute hypothèse, pouvoir être complétés par des déductions permettant la reconstitution des circonstances pertinentes. L’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel peut donc être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence [...]»

134    D’autre part, au point 78 de cet arrêt, le Tribunal a répondu, également sans commettre d’erreur de droit, au grief plus spécifique soulevé par Mitsubishi selon lequel il n’y avait plus lieu de reconnaître à la Commission de marge quant à l’appréciation des preuves compte tenu des déclarations obtenues dans le cadre de la communication sur la coopération, en décidant que:

«[...] [P]our pouvoir être invoqués valablement par la Commission en tant que preuves d’une infraction les éléments reçus des entreprises intéressées dans le cadre du programme de clémence doivent, en tout état de cause, remplir les critères jurisprudentiels applicables. Ainsi, l’existence du programme de clémence en elle-même ne simplifie pas nécessairement le rôle de la Commission. [...]»

135    Parmi les critères jurisprudentiels auxquels se réfère ainsi le Tribunal, il y a lieu de mentionner celui, mis en exergue à bon droit aux points 84 et 89 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, selon lequel la déclaration d’une entreprise à laquelle il est reproché d’avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par d’autres entreprises auxquelles une telle participation est également reprochée, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être corroborée par d’autres éléments de preuve, étant entendu que le «degré de corroboration» requis peut être moindre, du fait de la fiabilité des déclarations en cause.

136    Pour ce qui concerne, en deuxième lieu, la critique dirigée à l’encontre des considérations figurant au point 108 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il ne pouvait être considéré que les éléments fournis par ABB, et en particulier les déclarations de M. M. quant à l’existence de l’arrangement commun, n’étaient pas susceptibles de produire des effets préjudiciables pour cette entreprise.

137    À cet égard, Mitsubishi ne conteste pas le principe selon lequel une valeur probante élevée doit être accordée aux déclarations contraires aux intérêts des entreprises au nom desquelles celles-ci ont été faites, mais soutient uniquement que, en l’occurrence, le Tribunal a mal appliqué ce principe.

138    Or, le Tribunal a indiqué à bon droit, au point 107 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que, si, certes, le représentant d’une entreprise ayant demandé à bénéficier d’une immunité d’amendes peut être amené à présenter le plus d’éléments à charge possible, il n’en demeure pas moins, ainsi qu’il est correctement exposé aux points 88 et 89 de cet arrêt, qu’un tel représentant sera également conscient des conséquences négatives potentielles de la présentation d’éléments inexacts pouvant notamment entraîner la perte de l’immunité une fois celle-ci accordée. En outre, le Tribunal a souligné, également à bon droit, que le risque que des déclarations inexactes soient identifiées et donnent lieu auxdites conséquences est augmenté du fait que de telles déclarations doivent être corroborées au moyen d’autres éléments de preuve.

139    S’agissant spécifiquement de la reconnaissance par ABB de sa participation à l’arrangement commun, celle-ci était manifestement susceptible d’aller à l’encontre des intérêts de cette société dès lors qu’il s’agit d’un élément pouvant être retenu contre celle-ci par la Commission en tant que partie ayant participé à l’infraction, ainsi qu’il ressort du point 108 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission.

140    De manière plus générale, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner qu’une déclaration faite en tant que représentant d’une société et reconnaissant l’existence d’une infraction commise par celle-ci induit des risques juridiques et économiques considérables (arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 103).

141    Parmi ces risques, il y a lieu de relever celui d’actions en dommages et intérêts devant des juridictions nationales dans le cadre desquelles l’établissement, par la Commission, de l’infraction dans le chef d’une société est susceptible d’être invoqué.

142    Le caractère potentiellement préjudiciable pour ABB des déclarations de M. M. ne peut par ailleurs être remis en cause par une argumentation telle que celle avancée par Mitsubishi tendant à démontrer que, en pratique, ABB ne devait pas craindre de perdre son immunité s’il venait à être constaté que les prétendues preuves qu’elle avait fournies étaient en réalité déformées ou trompeuses.

143    En effet, par une telle argumentation, Mitsubishi invite la Cour à opérer une appréciation d’éléments de fait, ce qui échappe à la compétence de celle-ci dans le cadre d’un pourvoi.

144    En troisième lieu, quant au grief dirigé par Mitsubishi contre le point 192 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, force est, d’abord, de constater que, contrairement à ce que soutient Mitsubishi, le Tribunal a, aux points 193 et 194 de cet arrêt, motivé la raison pour laquelle une valeur probante moins importante devait être accordée aux déclarations présentées par Siemens, par Mitsubishi, par Toshiba, par Hitachi et par VA Tech qu’aux déclarations et aux témoignages d’ABB, aux déclarations de Fuji relatives à l’arrangement commun ainsi qu’aux déclarations d’Hitachi portant sur le mécanisme de notification et de comptabilisation.

145    En effet, auxdits points, le Tribunal a considéré, sans commettre une quelconque erreur de droit, que, à la différence des déclarations et des témoignages d’ABB, de Fuji et d’Hitachi, les déclarations respectives de Siemens, de Mitsubishi, de Toshiba, d’Hitachi et de VA Tech n’étaient pas contraires aux intérêts de ces entreprises, dès lors qu’elles visaient à contester l’existence de toute infraction alors qu’il ne pouvait être considéré que lesdites entreprises n’avaient pas intérêt à contester l’existence de l’arrangement commun.

146    Il s’ensuit également que, contrairement à ce que soutient Toshiba par la troisième branche du premier moyen à l’appui de son recours, le Tribunal, en ayant procédé de cette manière, a appliqué, dans le cadre de l’appréciation de la valeur probante desdites déclarations, un critère qu’il a jugé particulièrement pertinent à l’égard de celles-ci, une telle démarche étant au demeurant entièrement appropriée dans le cadre de l’application du principe, prévalant en droit de l’Union, de la libre appréciation des preuves, rappelé au point 128 du présent arrêt. Partant, la motivation retenue par le Tribunal n’est aucunement contradictoire sur ce point.

147    Ensuite, quant au grief dirigé à l’encontre du point 135 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, tiré de ce que le Tribunal y aurait considéré à tort que la déclaration de Fuji relative à l’arrangement commun allait à l’encontre de ses intérêts, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’une appréciation en principe souveraine d’un élément de preuve par le Tribunal.

148    En fondant cette appréciation sur la considération nuancée selon laquelle, par cette déclaration, Fuji a admis, à tout le moins indirectement, que son absence du marché européen était en partie due à l’arrangement commun et a ainsi reconnu un fait qui pouvait être retenu à sa charge par la Commission, le Tribunal n’a en outre aucunement dénaturé cet élément de preuve.

149    Enfin, s’agissant de la critique dirigée contre le point 164 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, il y a lieu de constater que le Tribunal y a jugé sans commettre d’erreur de droit que la valeur probante de la déclaration d’Hitachi était élevée notamment parce que cette déclaration allait à l’encontre des intérêts de cette société, dès lors qu’elle impliquait l’existence d’un lien entre les activités collusoires à l’intérieur de l’EEE et les producteurs japonais, et constituait, de ce fait, un élément à charge.

150    Contrairement à ce que soutient Mitsubishi, ce constat ne saurait être remis en cause par la circonstance, d’ailleurs relevée par le Tribunal, que, à la lecture de cet élément de preuve, Hitachi n’était pas consciente des déductions qui pouvaient être effectuées à partir de cette déclaration. En effet, cette circonstance, si elle est susceptible d’expliquer la raison pour laquelle Hitachi a fait cette déclaration, renforce la valeur probante de cette dernière, ainsi que le Tribunal l’a observé à juste titre au point 164 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, dès lors que, indépendamment du fait qu’elle allait à l’encontre des intérêts d’Hitachi, elle confirme que cette entreprise y exposait les faits tels qu’ils s’étaient produits, sans chercher à les manipuler en fonction des conséquences qui pouvaient en résulter pour elle.

151    Dès lors, la deuxième branche du premier moyen de Mitsubishi et la troisième branche du premier moyen de Toshiba présentés à l’appui de leurs recours respectifs doivent être écartées.

3.     Sur les moyens, tirés d’erreurs de droit lors de l’application des critères relatifs à l’appréciation et à la pondération d’éléments de preuve

a)     Argumentation des parties

i)     Le pourvoi de Mitsubishi

152    Par la troisième branche de son premier moyen, qui vise les points 118 et 128 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, Mitsubishi reproche au Tribunal d’avoir méconnu les principes relatifs à l’appréciation et à la pondération des éléments de preuve en ayant attribué une force probante élevée au témoignage de M. M. en tant qu’élément de preuve démontrant l’existence de l’arrangement commun.

153    Par ces considérations, le Tribunal aurait fait une application erronée des six critères découlant de sa propre jurisprudence et en particulier de son arrêt du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission (T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 205 à 210), rappelés au point 87 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission (ci-après les «six critères JFE Engineering») en ces termes:

«[...] [U]ne valeur probante particulièrement élevée peut par ailleurs être reconnue [aux déclarations] qui, premièrement, sont fiables, deuxièmement, sont faites au nom d’une entreprise, troisièmement, proviennent d’une personne tenue de l’obligation professionnelle d’agir dans l’intérêt de cette entreprise, quatrièmement, vont à l’encontre des intérêts du déclarant, cinquièmement, proviennent d’un témoin direct des circonstances qu’elles rapportent, et, sixièmement, ont été fournies par écrit, de manière délibérée et après mûre réflexion [...]»

154    Mitsubishi estime que, au regard des six critères JFE Engineering, les déclarations de M. M. ne pouvaient se voir accorder qu’une faible valeur probante.

155    La Commission conteste le bien-fondé de cette argumentation en faisant valoir, notamment, que les six critères JFE Engineering retenus dans l’arrêt JFE Engineering e.a./Commission, précité, s’expliquent par les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt. En outre, l’appréciation de la valeur probante des éléments de preuve en cause telle qu’effectuée par le Tribunal ne saurait être critiquée, compte tenu également du principe de la libre appréciation des preuves.

ii)  Le pourvoi de Toshiba

156    Par la première branche du premier moyen qu’elle avance au soutien de son pourvoi, Toshiba soutient que le Tribunal s’est fondé sur des motifs contradictoires et insuffisants pour conclure que le témoignage de M. M. était crédible et revêtait une force probante élevée et, partant, était de nature à prouver l’existence de l’arrangement commun.

157    En effet, le Tribunal aurait retenu, au point 93 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le fondement juridique pertinent pour apprécier la crédibilité du témoignage de M. M., à savoir les six critères JFE Engineering, mais il n’aurait par la suite pas correctement appliqué ces critères audit témoignage dès lors que quatre des six critères concernés n’étaient pas vérifiés.

158    La Commission rétorque que cette argumentation est irrecevable dans le cadre d’un pourvoi dès lors qu’elle vise à faire réexaminer par la Cour un élément factuel, à savoir la crédibilité du témoignage de M. M., sans démontrer que le Tribunal aurait dénaturé un élément de preuve lors de son appréciation. En tout état de cause, cette argumentation ne serait pas fondée.

b)     Appréciation de la Cour

159    Mitsubishi et Toshiba remettent en cause la valeur probante accordée par le Tribunal à l’un des éléments de preuve fourni par ABB, tel qu’avancé dans la décision litigieuse pour démontrer l’existence de l’arrangement commun, à savoir le témoignage de M. M., ancien employé d’ABB.

160    Elles estiment en substance que le Tribunal a commis une erreur de droit en accordant une valeur probante élevée à ce témoignage, alors qu’il a admis ou, à tout le moins, aurait dû admettre que ce témoignage ne remplissait pas certains, voire la majorité, des six critères JFE Engineering que le Tribunal aurait entendu appliquer.

161    À cet égard, il y a lieu, d’abord, de constater que le Tribunal a conclu, au terme d’une appréciation circonstanciée du témoignage de M. M., d’une part, que celui-ci, tout comme les déclarations cohérentes ayant été présentées par des employés d’ABB, à savoir MM. Wi., P. et V.-A., était de nature à prouver tant l’existence que le contenu fondamental de l’arrangement commun, même s’il devait être corroboré par d’autres éléments de preuve, et, d’autre part, qu’une valeur probante élevée devait être reconnue à ces quatre témoignages.

162    Or, s’agissant, en premier lieu, des termes du témoignage de M. M., force est de constater que Mitsubishi et Toshiba n’avancent aucun élément susceptible de démontrer que le Tribunal a dénaturé ce témoignage en jugeant qu’il confirme l’existence et le contenu fondamental de l’arrangement commun.

163    Pour ce qui concerne, en second lieu, la «force probante élevée» accordée par le Tribunal à ce témoignage, comme cela a déjà été rappelé au point 128 du présent arrêt, le principe prévalant en droit de l’Union étant celui de la libre administration des preuves, le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité, ainsi que l’a d’ailleurs souligné à bon droit le Tribunal au point 85 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et au point 91 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission.

164    Or, s’il est vrai que, dans la même partie introductive des arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission, le Tribunal a également rappelé qu’une «valeur probante particulièrement élevée» peut être reconnue à un témoignage remplissant les six critères JFE Engineering, il n’en demeure pas moins que, par la suite, il ne s’est plus référé à ces critères lors de l’appréciation spécifique du témoignage de M. M. et ne s’est en outre aucunement borné à les appliquer de manière mécanique.

165    Au contraire, le Tribunal, au terme d’une appréciation globale et concrète de la crédibilité du témoignage de M. M., a considéré que, dès lors que les déclarations des quatre témoins en cause provenaient de témoins directs et qu’il ne ressortait pas des circonstances rapportées par lesdits témoins que ceux-ci aient été motivés à présenter des éléments déformés, une force probante élevée devait leur être reconnue.

166    En ayant statué en ce sens, le Tribunal n’a pas méconnu les règles régissant la charge et l’administration de la preuve ni dénaturé de manière manifeste les termes du témoignage de M. M.

167    En outre, à supposer même que, en l’espèce, certains des six critères JFE Engineering ne soient pas satisfaits, le Tribunal pouvait accorder une force probante élevée au témoignage de M. M., dès lors que, au terme d’une appréciation globale et concrète de la fiabilité de ce témoignage, il avait conclu à la crédibilité de celui-ci, tout en indiquant que cet élément de preuve devait encore être corroboré par d’autres éléments.

168    Ainsi que l’a souligné à bon droit la Commission, le cas d’espèce en cause dans la présente affaire diffère de celui de l’arrêt JFE Engineering e.a./Commission, précité, dans lequel le Tribunal a reconnu une force probante particulièrement élevée à un témoignage réunissant les six critères JFE Engineering, ce qui pouvait justifier le fait que ce témoignage suffise à établir certains éléments de l’infraction et qu’il se justifiait moins que ledit témoignage soit corroboré par d’autres éléments de preuve.

169    S’agissant plus spécifiquement, d’abord, de la considération, jugée cruciale par le Tribunal, selon laquelle M. M. devait être qualifié de «témoin direct et privilégié des circonstances qu’il a exposées», il y a lieu de constater que le Tribunal a pu fonder pareille appréciation sans commettre une quelconque dénaturation d’un élément de preuve sur la base de la constatation factuelle, relevée au point 115 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et au point 121 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que «M. M. a été l’un des représentants d’ABB au sein de l’entente entre 1988 et 2002, soit pendant presque toute la durée de son fonctionnement, alors qu’ABB était elle-même l’un des principaux acteurs».

170    Il a déjà été décidé aux points 72 et 73 du présent arrêt que c’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 116 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et au point 122 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que la valeur probante de ce témoignage ne pouvait être remise en cause par le fait que M. M. n’était pas présent lors de la conclusion de l’arrangement commun ni par celui que le thème de cet arrangement commun n’a pas été explicitement soulevé à l’une des réunions auxquelles celui-ci a assisté.

171    Il s’ensuit que le Tribunal pouvait attacher une importance particulière à la circonstance que M. M. était un témoin non seulement direct, mais également privilégié des faits qu’il a exposé, à savoir ceux relatifs à l’existence et au contenu fondamental de l’arrangement commun.

172    Il convient, ensuite, de constater que, contrairement à ce que soutiennent Mitsubishi et Toshiba, le Tribunal a dûment pris en compte, dans l’appréciation de la crédibilité du témoignage de M. M., le fait que, lors de l’entretien avec celui-ci, le conseil extérieur d’ABB est intervenu en lui suggérant qu’il pouvait être rentable pour les producteurs japonais de pénétrer le marché européen, ce dont M. M. semblait ne pas être convaincu.

173    En effet, au point 110 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et au point 118 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal a certes déduit de cette intervention que M. M. émettait des doutes quant à l’intérêt commercial d’une telle démarche et qu’il convenait de tenir compte de cette circonstance lors de l’appréciation du contenu de son témoignage.

174    Toutefois, le Tribunal a immédiatement relativisé l’incidence de cette circonstance sur la crédibilité du témoignage de M. M. en tant que telle en indiquant que ni Mitsubishi ni Toshiba n’avaient expliqué dans quelle mesure cette intervention du conseil externe d’ABB affectait la crédibilité du témoignage de M. M. à d’autres égards.

175    D’ailleurs, la réaction de M. M. à l’intervention du conseil externe d’ABB semble indiquer que celui-ci ne s’est précisément pas laissé influencer par cette démarche, dès lors qu’il s’est exprimé dans un sens contraire à celui suggéré par ce conseil. La réaction de M. M. à l’intervention dudit conseil est donc plutôt de nature à renforcer la crédibilité de son témoignage.

176    En outre, au point 125 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et au même point de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal a indiqué que la position de M. M., partagée par M. P., de l’absence d’intérêt commercial pour les producteurs japonais de pénétrer le marché européen était sans préjudice du fait que, tant selon les quatre témoins de ABB que selon ABB elle‑même, les entreprises japonaises s’étaient engagées à ne pas pénétrer le marché de l’EEE bien qu’elles fussent capables de le faire sur le plan technique.

177    Il en découle également que, contrairement à ce qu’a fait valoir Toshiba, il ne saurait être soutenu que, en l’espèce, le Tribunal aurait commis une quelconque erreur de droit relative à la fiabilité du témoignage de M. M.

178    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les moyens tirés d’erreurs de droit lors de l’application des critères relatifs à l’appréciation et à la pondération d’éléments de preuve.

4.     Sur les moyens, tirés d’erreurs de droit lors de l’application des principes relatifs à la «corroboration d’éléments de preuve»

a)     Argumentation des parties

i)     Le pourvoi de Mitsubishi

179    Par la quatrième branche du premier moyen à l’appui de son recours, Mitsubishi reproche au Tribunal d’avoir fait une application erronée des principes relatifs à la corroboration des preuves dans l’appréciation de la réponse de Fuji à la communication des griefs (ci-après la «déclaration de Fuji»), en ayant jugé, aux points 134 à 139 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que, nonobstant son caractère «relativement vague» et sa valeur probante «limitée», cette déclaration pouvait être qualifiée d’élément de preuve «tend[ant] à corroborer» les preuves fournies par ABB.

180    Il découlerait en effet du point 84 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission que les déclarations présentées par ABB devaient en tout état de cause être étayées par d’autres éléments de preuve.

181    Or, la jurisprudence ne connaîtrait pas une catégorie distincte de preuves qui «tendent à corroborer» d’autres éléments de preuve. La déclaration de Fuji ne corroborerait pas à suffisance de droit l’existence de l’arrangement commun dès lors qu’elle ne constitue rien d’autre qu’une supposition non fiable et intéressée.

182    La Commission rétorque que cette argumentation est erronée essentiellement au motif qu’elle se fonde sur une acception qui est contraire au principe de la libre appréciation des moyens de preuve.

ii)  Le pourvoi de Toshiba

183    Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen à l’appui de son pourvoi, Toshiba soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la déclaration de Fuji et les éléments présentés par Hitachi relatifs à la proposition d’Alstom corroboraient, ou étaient susceptibles de corroborer, les éléments de preuve fournis par ABB au sujet de l’existence d’un arrangement commun.

184    En premier lieu, il découlerait de la jurisprudence que de tels éléments de preuve ne sauraient corroborer les éléments fournis par ABB dès lors que, s’il est vrai que des déclarations de clémence peuvent s’étayer l’une l’autre, elles ne peuvent être corroborées que par d’autres éléments de preuve contemporains des faits litigieux, c’est-à-dire par des pièces datant de l’époque de l’infraction (arrêt du Tribunal du 26 avril 2007, Bolloré e.a./Commission, T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02, Rec. p. II‑947, point 168).

185    En second lieu, s’agissant spécifiquement de la déclaration de Fuji, le Tribunal se serait d’abord fondé sur une motivation contradictoire, dès lors qu’il a considéré, aux points 144 et 160 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que cette déclaration était relativement vague et revêtait une force probante limitée, mais a tout de même conclu que celle-ci tendait à corroborer les déclarations d’ABB quant à l’existence de l’arrangement commun.

186    Ensuite, ce serait à tort que le Tribunal a jugé, au point 145 de cet arrêt, que le contenu des témoignages de cinq employés supérieurs de Fuji, dès lors qu’ils avaient simplement gardé le silence sur la question de savoir s’il existait un arrangement commun, ne mettait pas en cause la valeur probante de la déclaration de Fuji. Ces cinq témoignages seraient d’une importance toute particulière en raison du fait qu’ils ont été fournis après l’envoi de la communication des griefs dans lequel l’existence de l’arrangement commun était alléguée.

187    Enfin, le Tribunal aurait adopté une position contradictoire en ayant jugé, au point 144 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que le rôle secondaire de Fuji au sein du cartel expliquait l’imprécision de sa déclaration quant à l’existence d’un arrangement commun sans toutefois empêcher cette déclaration de venir renforcer les éléments de preuve d’ABB alors que, au point 181 de cet arrêt, en raison de ce même rôle secondaire joué par Fuji, le Tribunal a rejeté les éléments de preuve fournis par cette société réfutant l’existence du mécanisme de notification et de comptabilisation.

188    La Commission soutient que cette argumentation est soit irrecevable, soit non fondée.

b)     Appréciation de la Cour

189    S’agissant des critères entourant l’appréciation de l’aptitude d’un élément de preuve à corroborer un autre, il ressort des points 84 et 85 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et des points 90 et 91 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, d’une part, que la déclaration d’une entreprise à laquelle il est reproché d’avoir participé à une entente, déclaration dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises concernées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être étayée par d’autres éléments de preuve, étant entendu que le «degré de corroboration requis» peut être moindre, du fait de la fiabilité des déclarations en cause, et, d’autre part, quant à la valeur probante des différents éléments de preuve, que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité.

190    Il découle de manière plus spécifique du principe de la libre appréciation des preuves, tel que rappelé au point 128 du présent arrêt, que la question de savoir si, voire dans quelle mesure, un élément de preuve est susceptible d’en corroborer un autre n’est pas régie par des règles précises, notamment quant à la forme ou à la source des éléments de nature à assurer une corroboration, mais uniquement par le critère de la crédibilité de la preuve.

191    Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’a fait valoir Toshiba, il ne peut être soutenu que, par principe, des déclarations effectuées dans le cadre de la communication sur la coopération ne peuvent être corroborées par d’autres déclarations de cette nature, mais uniquement par des éléments de preuve contemporains des faits litigieux, c’est-à-dire par des pièces datant de l’époque de l’infraction.

192    Par ailleurs, si au point 168 de l’arrêt Bolloré e.a./Commission, précité, le Tribunal a constaté que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, une telle preuve contemporaine des faits litigieux avait effectivement été de nature à confirmer un autre élément de preuve, le Tribunal n’a manifestement pas, et ce à bon droit, érigé ce constat en une norme s’imposant en toutes circonstances.

193    Le Tribunal n’a pas non plus commis une erreur de droit en jugeant, aux points 134 à 139 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et aux points 114 et 160 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que, malgré le caractère relativement vague de la déclaration de Fuji, cette déclaration tendait à corroborer les preuves fournies par ABB, sa valeur probante étant toutefois limitée.

194    Cette appréciation nuancée de la pertinence et de la valeur probante de l’élément de preuve en cause ne révèle aucune dénaturation des termes de celui-ci et n’est pas non plus entachée d’une quelconque contradiction.

195    En effet, s’agissant, d’abord, de la pertinence de la déclaration de Fuji, le Tribunal a jugé, ainsi qu’il ressort du point 136 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et du point 144 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que, si cette déclaration était vague, en ce sens qu’elle se limitait à évoquer l’engagement des producteurs japonais à ne pas pénétrer le marché européen, elle corroborait néanmoins l’élément essentiel découlant des éléments présentés par ABB et reproché par la Commission aux producteurs japonais, de sorte qu’elle n’était pas dénuée de pertinence en l’espèce.

196    Il s’ensuit, par ailleurs, que la locution «tend à corroborer», utilisée dans la conclusion figurant au point 139 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, se réfère au caractère pertinent de la déclaration de Fuji par son aptitude à confirmer l’existence et le contenu essentiel de l’arrangement commun.

197    Le Tribunal a considéré de manière souveraine et sans dénaturer les termes de la déclaration de Fuji que la crédibilité et, partant, la force probante de cette déclaration étaient limitées en raison essentiellement du fait que Fuji ne jouait qu’un rôle secondaire au sein de l’entente et n’avait donc que des connaissances limitées de celle-ci.

198    Ensuite, quant au point 145 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission que critique Toshiba, il y a lieu de constater que, en ayant jugé audit point que le contenu des témoignages de cinq employés de Fuji, dès lors que ceux-ci n’avaient pas contesté l’existence de l’arrangement commun, mais avaient simplement gardé le silence sur cette question, ne mettait pas en cause la valeur probante de la déclaration de Fuji, le Tribunal s’est livré à une appréciation de la valeur probante de ces témoignages qui, dès lors qu’elle ne révèle aucune dénaturation de leurs termes ni aucune inexactitude matérielle manifeste, ne peut être discutée au stade du pourvoi.

199    Par ailleurs, l’argument selon lequel cette appréciation est erronée, dès lors que les témoignages en cause sont d’une importance toute particulière en raison du fait qu’ils ont été présentés après l’envoi de la communication des griefs dans lequel l’existence de l’arrangement commun était alléguée, est irrecevable dès lors qu’il vise en réalité à obtenir un réexamen des faits par la Cour.

200    Enfin, quant à la contradiction dont seraient entachées les considérations figurant aux points 144 et 181 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, il suffit de constater que le Tribunal a expliqué pourquoi le rôle secondaire que jouait Fuji au sein du cartel n’empêchait pas que cette déclaration soit de nature à corroborer les éléments de preuve présentés par ABB relatifs au contenu essentiel de l’arrangement commun, mais que ce rôle secondaire mettait en cause la fiabilité de cet élément de preuve quant à son aptitude à corroborer l’existence du mécanisme de notification et de comptabilisation.

201    En effet, le Tribunal, pour arriver à cette dernière conclusion, s’est fondé sur le fait que Fuji n’était pas partie à tous les échanges de renseignements provenant du groupe de producteurs européens et, contrairement à ABB et à Hitachi, ne figurait pas non plus au nombre des membres du comité Europe/Japon qui étaient plus étroitement associés au fonctionnement détaillé de ce mécanisme.

202    Cette explication apparaît d’ailleurs tout à fait appropriée eu égard au fait que le Tribunal, dans le cadre de l’appréciation de la valeur probante du mécanisme de notification et de comptabilisation, a attaché une importance particulière au fait que ce mécanisme n’avait pas été mis en œuvre occasionnellement et de manière discrétionnaire, mais que, au contraire, la notification était un procédé effectué de manière régulière.

203    Il résulte de ce qui précède que les moyens, tirés d’erreurs de droit lors de l’application des principes relatifs à la corroboration d’éléments de preuve, doivent être écartés.

5.     Sur les moyens, tirés d’une erreur de droit, en ce que le Tribunal n’a pas permis à Mitsubishi et à Toshiba de présenter une explication alternative des faits que la Commission leur a reprochés

a)     Argumentation des parties

i)     Le pourvoi de Mitsubishi

204    Par la septième branche du premier moyen présenté à l’appui de son pourvoi, visant les points 79 à 82 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, Mitsubishi reproche au Tribunal d’avoir enfreint la présomption d’innocence et d’avoir opéré une application erronée des principes juridiques en refusant de prendre en considération une explication alternative plausible.

205    Elle soutient que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 80 de cet arrêt, il ressort de la jurisprudence de cette juridiction que la possibilité d’avancer une explication alternative n’est exclue que lorsque les conclusions de la Commission se fondent sur des preuves documentaires (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Coats Holdings et Coats/Commission, T‑36/05, point 72).

206    Or, il découlerait des points 212 à 215 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission que, en l’espèce, aucune preuve documentaire n’établit l’existence de l’arrangement commun.

207    La possibilité d’avancer une explication alternative fondée sur des preuves relatives aux barrières techniques et économiques à l’entrée du marché européen pour les producteurs japonais constituerait le seul moyen permettant à Mitsubishi de prouver le fait négatif de l’inexistence de l’arrangement commun et donc d’exercer ses droits de la défense.

208    Les preuves avancées à l’appui de l’arrangement commun, dès lors qu’elles s’appuient sur des déductions, des suppositions et des interprétations, auraient dû être confrontées à l’explication alternative proposée par Mitsubishi et confirmée tant par les producteurs japonais qu’européens, à savoir l’existence de barrières techniques et économiques à l’entrée du marché européen. Ces preuves, contrairement à celles avancées à propos de l’arrangement commun, seraient solides, incontestables et vérifiables de manière indépendante.

209    La Commission rétorque que, en l’espèce, elle n’a pas fondé la décision litigieuse sur la thèse selon laquelle les faits établis ne peuvent être expliqués qu’en fonction d’une concertation entre les entreprises. Au contraire, la décision litigieuse serait basée non pas sur une déduction en fonction de certaines circonstances, mais sur des éléments de preuve de sources diverses confirmant l’existence de l’arrangement commun.

ii)  Le pourvoi de Toshiba

210    Par la troisième branche du deuxième moyen au soutien de son pourvoi, Toshiba soutient que le Tribunal a commis une double erreur de droit en refusant d’examiner l’explication alternative plausible qu’elle avait avancée.

211    Aux points 82, 85 et 86 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal aurait rappelé les trois circonstances dans lesquelles une entreprise peut avancer une explication alternative des faits, à savoir, d’abord, lorsque la Commission se fonde exclusivement sur le comportement des entreprises sur le marché pour conclure à l’existence d’une infraction, ensuite, lorsqu’il n’existe pas de preuves documentaires ou lorsque de telles preuves sont ambiguës ou sujettes à interprétation et, enfin, lorsque l’existence d’une infraction est déduite d’un certain nombre de coïncidences et d’indices.

212    Or, en refusant, aux points 87 et 88 de cet arrêt, d’autoriser Toshiba à présenter une explication alternative des faits, le Tribunal aurait commis une première erreur de droit, dès lors qu’il découlerait de ces mêmes points que, en l’espèce, l’existence d’une infraction a été établie sur le fondement d’une appréciation globale d’un faisceau d’indices, voire par déduction à partir d’autres faits, et par des preuves indirectes ou non documentaires. Partant, il se serait agi en l’occurrence de la troisième circonstance dans laquelle une entreprise peut, selon la jurisprudence du Tribunal, avancer une explication alternative des faits (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, points 64 et 65).

213    Le Tribunal aurait commis une seconde erreur de droit en jugeant, au point 209 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que l’explication alternative avancée par Toshiba était sans pertinence en ce qui concerne l’existence de l’infraction au motif que, pour établir celle-ci, la Commission ne s’était pas exclusivement basée sur le comportement des entreprises en cause sur le marché. Le Tribunal ne se serait ainsi référé qu’à l’une des trois circonstances dans lesquelles une explication alternative peut être fournie. Toutefois, en l’espèce, le Tribunal aurait dû permettre une telle explication dès lors qu’il s’agissait d’une autre desdites trois circonstances.

214    La Commission réfute cette argumentation en faisant notamment valoir que les trois circonstances en question ne sont que des exemples de situations qui illustrent un seul et même principe essentiel, soit celui selon lequel une infraction doit être prouvée par la Commission.

b)     Appréciation de la Cour

215    Les points critiqués des arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission par lesquels le Tribunal a refusé d’examiner l’explication alternative plausible des comportements incriminés avancée par Mitsubishi et par Toshiba, à savoir l’existence pour les producteurs japonais de barrières techniques et économiques à l’entrée du marché européen des produits concernés, doivent d’abord être replacés dans leur contexte au sein de ces arrêts.

216    En effet, lesdits points font partie d’un exposé par le Tribunal des principes régissant la charge et l’administration de la preuve qu’il a appliqués.

217    Dans ce contexte, le Tribunal a notamment rappelé la jurisprudence selon laquelle la Commission est tenue de réunir des éléments de preuve suffisamment précis et concordants pour fonder la conviction que l’infraction a été commise. Il a également indiqué, à bon droit, qu’il suffit que le faisceau d’indices invoqué par la Commission réponde, dans son ensemble, à cette exigence (voir, par analogie, arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 42).

218    Il peut d’ailleurs être ajouté que les accords qui visent la répartition des marchés ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Un tel objet ne peut être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (voir, par analogie, arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 43).

219    Partant, il est indifférent, en ce qui concerne l’existence d’une telle infraction, que, en l’occurrence, l’accord en cause ait été conclu malgré l’existence pour les producteurs japonais de prétendues barrières techniques et économiques à l’entrée du marché européen pour les produits concernés (voir, par analogie, arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 43).

220    Il s’ensuit que, lorsque le Tribunal considère que la Commission a réussi à réunir des preuves à l’appui de l’infraction alléguée et que ces preuves apparaissent suffisantes pour démontrer l’existence d’un accord de nature anticoncurrentielle, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir s’il existe une explication alternative plausible des comportements incriminés (voir, par analogie, arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, précité, point 46).

221    Dans de telles circonstances, ainsi que le Tribunal l’a jugé à bon droit aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et aux points 87 et 88 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, il serait en effet contraire au principe prévalant en droit de l’Union de la libre appréciation des preuves d’exiger que le Tribunal examine une éventuelle explication alternative des faits avancée par une entreprise afin de mettre en cause les allégations de la Commission.

222    Dans ce contexte, c’est également à bon droit que le Tribunal a rejeté les arguments plus spécifiques avancés par Mitsubishi et par Toshiba par lesquels ceux-ci faisaient valoir que le Tribunal serait tenu d’examiner une explication alternative chaque fois qu’une infraction tend à être établie par déduction à partir d’autres faits, par des preuves indirectes ou par des preuves non documentaires.

223    Enfin, aux points 212 à 224 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et aux points 204 à 211 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal a considéré, dans le cadre d’une appréciation globale de l’ensemble des éléments de preuve avancés par la Commission, que celle-ci avait démontré à suffisance de droit l’existence de l’arrangement commun.

224    Dans ces circonstances, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal en a conclu, au point 222 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et au point 209 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que, dès lors que la Commission ne s’était ainsi pas uniquement appuyée sur la conduite des entreprises en cause pour démontrer l’infraction reprochée, l’explication alternative avancée par Mitsubishi et par Toshiba ne suffisait pas à établir l’inexistence de l’arrangement commun et était, partant, dépourvue de pertinence.

225    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les moyens tirés par Mitsubishi et par Toshiba d’une erreur de droit en ce que le Tribunal ne leur a pas permis de présenter une explication alternative des faits que la Commission leur a reprochés.

6.     Sur les moyens, tirés d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que la Commission pouvait conclure à l’existence d’une infraction unique et continue

a)     Argumentation des parties

i)     Le pourvoi de Mitsubishi

226    Par le second moyen à l’appui de son pourvoi, Mitsubishi soutient en premier lieu que, au vu des arguments déjà avancés dans le cadre de son premier moyen, les preuves relatives à l’existence d’une infraction continue, incluant la période située entre le mois de septembre 1999 et celui de mai 2004, soumises par M. M. et par les autres témoins d’ABB, mentionnées au point 244 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, ne sont pas corroborées par les preuves sur lesquelles la Commission s’est appuyée, à savoir les éléments soumis par Fuji et par Alstom, respectivement évoqués aux points 245 et 246 de cet arrêt.

227    En tout état de cause, la déclaration de Fuji n’établirait la durée de l’infraction que jusqu’au mois de septembre 2000. L’absence durable des producteurs japonais du marché européen pendant la période de l’infraction concernée, mentionnée au point 247 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, s’expliquerait pleinement par les barrières techniques et économiques à l’entrée du marché européen, démontrées par Mitsubishi ainsi que par d’autres producteurs japonais et européens.

228    En second lieu, s’agissant des points 248 à 250 de cet arrêt, le Tribunal aurait déformé l’argumentation avancée par Mitsubishi en affirmant que celle-ci n’a pas explicitement critiqué le fait que la Commission avait conclu à l’existence d’une infraction unique englobant notamment l’arrangement commun et l’accord GQ, pour en conclure que cet arrangement commun avait été mis en œuvre pendant toute la durée de l’application continue de l’accord GQ. Mitsubishi aurait en effet toujours nié l’existence de l’arrangement commun et aurait donc également contesté la thèse selon laquelle cet arrangement et l’accord GQ seraient constitutifs d’une infraction unique.

229    La Commission soutient que la conclusion relative à l’existence d’une infraction continue incluant la période allant du mois de septembre 1999 au mois de mai 2004, figurant au point 252 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, n’est en tout état de cause pas entachée d’une erreur de droit, dès lors qu’elle se fonde sur une série d’éléments énumérés aux points 244 à 251 de cet arrêt.

ii)  Le pourvoi de Toshiba

230    Par le troisième moyen qu’elle présente à l’appui de son recours, Toshiba soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis trois erreurs de droit en concluant, au point 229 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que l’arrangement commun, l’entente mondiale régie par l’accord GQ et les activités collusoires des producteurs européens au sein de l’EEE constituaient une infraction unique.

231    D’abord, il découlerait notamment de l’arrêt du Tribunal du 24 mars 2011, Aalberts Industries e.a./Commission (T-385/06, Rec. p. II‑1223, point 88), que, pour arriver à une telle conclusion, le Tribunal aurait dû examiner non seulement si l’arrangement commun et l’accord EQ avaient un objectif unique, mais également s’ils étaient complémentaires. Or, au point 228 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal se serait borné à constater que les différentes mesures participaient du même objectif commun.

232    Ensuite, le Tribunal se serait fondé en grande partie sur des conclusions inexactes pour juger, au point 226 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que Toshiba aurait raisonnablement dû prévoir que les fabricants européens adopteraient un comportement collusoire pour ce qui concerne l’attribution des projets d’AIG dans l’EEE du fait de la notification régulière aux entreprises japonaises des résultats d’appels d’offres pour certains de ces projets.

233    Enfin, dès lors que le Tribunal aurait admis que cette notification régulière qui constituait l’élément fondant la prétendue connaissance qu’avait Toshiba des comportements collusifs des fabricants européens n’était pas démontrée pour la période postérieure au mois de septembre 1999, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en confirmant que Toshiba était responsable d’une infraction continue commise entre le mois de septembre 1999 et celui de mai 2004.

234    Toshiba fait valoir, en second lieu, que si, aux points 235 et 236 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal s’est fondé sur les critères adéquats devant être pris en compte pour établir l’existence d’une infraction continue, il a par la suite, en particulier aux points 238 à 241 et 243 de cet arrêt, fait une application erronée de ceux-ci en concluant, sur le fondement d’une analyse des éléments de preuve concernés entachée soit de motifs contradictoires, soit d’erreurs de droit, que Toshiba avait continué à participer à l’infraction entre le mois de septembre 1999 et le mois de mars 2002.

235    La Commission réfute l’argumentation de Toshiba en faisant valoir, notamment, que, s’agissant de l’existence d’une infraction unique, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir examiné la complémentarité de l’arrangement commun et de l’accord EQ, dès lors que cette requérante ne l’avait pas interrogée sur ce point, et que, s’agissant du caractère continu de l’infraction, Toshiba critique des appréciations d’éléments de fait opérées par le Tribunal ou se fonde sur des arguments déjà avancés dans le cadre d’autres moyens.

b)     Appréciation de la Cour

236    Il y a lieu de traiter en premier lieu des arguments soulevés par Mitsubishi et par Toshiba au soutien de leurs moyens tirés d’une erreur de droit, en ce que le Tribunal a jugé que la Commission était fondée à leur faire grief d’être responsables d’une infraction unique, constituée par l’arrangement commun, par l’entente mondiale régie par l’accord GQ et par les activités collusoires des producteurs européens au sein de l’EEE.

237    À cet égard, il y a lieu de constater, d’emblée, que, devant le Tribunal, Mitsubishi, contrairement à Toshiba, ainsi qu’il ressort du point 214 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, n’a pas soutenu que, à supposer même que la Commission ait adéquatement démontré l’existence de l’arrangement commun, cette institution n’avait pas établi que ladite infraction unique pouvait lui être imputée.

238    Il ressort au contraire de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, en particulier de ses points 237 à 253 relatifs au treizième moyen avancé par Mitsubishi devant le Tribunal, que cette requérante s’est bornée à critiquer le caractère continu de l’infraction qui lui est reprochée.

239    S’il est vrai que Mitsubishi a avancé un ensemble d’arguments visant à contester la preuve de l’existence de l’arrangement commun et, partant, de l’un des éléments de l’infraction unique en cause, il n’en demeure pas moins que cette requérante n’a formulé aucun argument visant explicitement à mettre en cause le caractère unique de l’infraction telle qu’elle lui avait été reprochée par la Commission. En particulier, Mitsubishi n’a pas avancé une argumentation subsidiaire visant à contester le caractère unique de l’infraction s’il devait être conclu que la Commission a démontré l’existence d’un arrangement commun. C’est la raison pour laquelle l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, à l’inverse de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, ne comporte aucun examen de la question de savoir si, en l’espèce, la Commission pouvait conclure à l’existence d’une infraction unique au regard des critères découlant de la jurisprudence pertinente à cet effet.

240    Il s’ensuit que Mitsubishi n’a nullement démontré que le Tribunal aurait dénaturé son argumentation relevant, au point 248 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, qu’elle n’avait pas explicitement critiqué le fait que la Commission avait conclu à l’existence d’une infraction unique englobant notamment l’arrangement commun et l’accord GQ.

241    Quant aux arguments soulevés par Toshiba visant à contester sa responsabilité dans le cadre de l’infraction unique en cause, il y a lieu de constater, d’abord, qu’il ne découle pas de la jurisprudence, rappelée aux points 218 et 219 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que, pour conclure à l’existence de cette infraction unique, le Tribunal aurait dû examiner non seulement si l’arrangement commun et l’accord EQ avaient un objectif unique, mais également si ces comportements anticoncurrentiels étaient complémentaires.

242    Il ressort en effet d’une jurisprudence constante qu’une entreprise ayant participé à une infraction unique et complexe par des comportements anticoncurrentiels qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble peut également être responsable des comportements qui sont matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes, mais qui partagent le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et s’inscrivent ainsi dans un «plan d’ensemble» en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer, par son propre comportement, aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir en ce sens, notamment, arrêts du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, non encore publié au Recueil, points 41 et 42, ainsi que du 4 juillet 2013, Commission/Aalberts Industries e.a., C‑287/11 P, non encore publié au Recueil, point 63).

243    Au point 228 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal a correctement appliqué la première des deux conditions devant ainsi être remplies, tenant essentiellement au fait que les différents comportements faisant partie de l’infraction doivent avoir le même objet et poursuivre des objectifs communs auxquels l’entreprise a entendu contribuer par son propre comportement, en décidant que:

«[...] [L]’arrangement commun, l’entente mondiale régie par l’accord GQ et les activités collusoires des producteurs européens au sein de l’EEE ont été mis en œuvre concomitamment, concernaient les mêmes produits et impliquaient les mêmes producteurs européens et, en ce qui concerne l’arrangement commun et l’accord GQ les mêmes producteurs japonais. De même, les différentes mesures participaient d’un même objectif commun, à savoir l’instauration d’un système de partage du marché mondial des projets d’AIG et d’attribution de ces projets entre les différents participants.»

244    Contrairement à ce que soutient Toshiba, cette appréciation ne saurait être remise en cause au regard de la jurisprudence récente du Tribunal (voir, notamment, arrêt Aalberts Industries e.a./Commission, précité, point 88).

245    En effet, selon cette jurisprudence, la notion d’objectif unique ne saurait être déterminée par une référence générale à la distorsion de la concurrence sur le marché concerné par l’infraction, dès lors que l’affectation de la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément inhérent à tout comportement relevant du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Une telle définition de la notion d’objectif unique risquerait de priver la notion d’infraction unique et continue d’une partie de son sens, dans la mesure où elle aurait pour conséquence que des comportements disparates concernant un même secteur économique, interdits par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, devraient systématiquement être qualifiés d’infraction unique.

246    Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 228 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, la notion d’objectif unique n’a pas été déterminée par une référence générale à la distorsion de la concurrence sur le marché concerné par l’infraction.

247    En outre, Toshiba ne saurait s’appuyer sur certains motifs de l’arrêt Aalberts Industries e.a./Commission, précité, pour justifier l’argument selon lequel aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu, y compris les méthodes employées, et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question.

248    En effet, le Tribunal n’est pas tenu d’examiner une telle condition supplémentaire de complémentarité. En revanche, la condition tenant à la notion d’objectif unique implique qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un «plan d’ensemble» en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur.

249    Or, en l’espèce, il n’apparaît pas que, dans son analyse, le Tribunal ait méconnu cette exigence. En tout état de cause, force est de constater que, en l’espèce, Toshiba n’a pas soutenu devant le Tribunal que la condition tenant à la notion d’objectif unique ne serait pas remplie, de sorte qu’un examen plus approfondi de celle-ci ne s’imposait pas.

250    Par ailleurs, Toshiba considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la seconde condition, rappelée au point 228 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, était remplie. En effet, quant aux activités collusoires des producteurs européens au sein de l’EEE, le Tribunal se serait fondé sur des constatations factuelles inexactes pour conclure que Toshiba avait connaissance de ces comportements ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque.

251    À cet égard, il convient de constater que l’argumentation de Toshiba se limite à remettre en cause des appréciations factuelles opérées par le Tribunal sans démontrer que celles-ci seraient entachées d’une dénaturation ou d’une inexactitude matérielle.

252    Il en va ainsi tout particulièrement de l’appréciation, manifestement fondamentale, figurant au point 226 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, selon laquelle, du fait de la notification régulière des résultats des appels d’offres concernant certains projets d’AIG dans l’EEE, effectuée à tout le moins entre les années 1988 et 1999, les entreprises japonaises pouvaient raisonnablement prévoir que l’attribution des projets d’AIG dans l’EEE entre les producteurs européens était le résultat d’un comportement collusoire.

253    Par ces considérations, le Tribunal n’a pas outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de l’élément de preuve concerné, compte tenu également de ce que, au même point 226, il a ajouté que le fait pour un groupe de producteurs de se voir communiquer régulièrement, pendant plusieurs années, les résultats des appels d’offres auxquels ont participé les membres d’un autre groupe de producteurs du même secteur industriel, sans raison légitime apparente, dépasse les limites d’un comportement concurrentiel normal et que cette notification aurait donc dû faire naître des doutes quant aux conditions dans lesquelles les projets d’AIG concernés avaient été attribués.

254    Dans la mesure où Toshiba remet en cause cette appréciation du Tribunal au motif qu’il s’agirait là d’une «simple spéculation sans fondement juridique», son argumentation doit être écartée comme irrecevable.

255    Contrairement à ce que soutient Toshiba, cette appréciation ne peut pas non plus être remise en cause au motif que, dès lors que la notification régulière des résultats des appels d’offres concernant certains projets d’AIG dans l’EEE n’a été démontrée que pour la période de l’infraction se situant entre les années 1988 et 1999, cet élément fondant la connaissance qu’avait Toshiba des comportements collusifs des fabricants européens ne pouvait être retenu pour reprocher à Toshiba d’être responsable d’une infraction continue entre les mois de septembre 1999 et de mai 2004.

256    En effet, ainsi que l’a jugé le Tribunal au point 227 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, point qui, au demeurant, n’est pas critiqué par Toshiba, la Commission avait indiqué à juste titre, au considérant 277 de la décision litigieuse, que la connaissance du caractère collusoire de l’attribution des projets d’AIG dans l’EEE, acquise par les entreprises japonaises grâce au mécanisme de notification entre les années 1988 et 1999, n’était pas susceptible d’être affectée par une éventuelle interruption ultérieure de la notification.

257    En second lieu, il y a lieu d’aborder les arguments soulevés par Mitsubishi et par Toshiba au soutien de leurs moyens, tirés d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que la Commission pouvait leur reprocher d’être responsables de l’infraction unique constituée par l’arrangement commun, l’entente mondiale régie par l’accord GQ et les activités collusoires des producteurs européens au sein de l’EEE pour toute la durée de cette infraction, de sorte que celle-ci devait être qualifiée d’infraction continue.

258    S’agissant, d’une part, de l’argumentation de Mitsubishi sur ce point, force est de constater que celle-ci se réfère aux arguments développés dans le cadre du premier moyen au soutien de son pourvoi, tiré de ce que les preuves relatives à la durée de l’infraction soumises par M. M. et par les autres témoins d’ABB, mentionnées au point 244 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, ne sont pas corroborées par les preuves sur lesquelles la Commission s’est appuyée, à savoir les éléments soumis par Fuji et par Alstom, respectivement évoqués aux points 245 et 246 de cet arrêt.

259    Or, cette argumentation ne saurait en aucun cas prospérer dès lors que lesdits arguments ont déjà été rejetés dans le cadre de l’examen des différentes branches du premier moyen.

260    Il en va de même de l’argument portant sur l’absence durable des producteurs japonais du marché européen pendant la période de l’infraction que mentionne le Tribunal au point 247 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission en tant qu’élément démontrant la durée de l’infraction. En effet, Mitsubishi soutient que cette absence s’explique pleinement par des barrières techniques et économiques à l’entrée du marché intérieur. Or, cet argument relatif à l’existence d’une explication alternative des faits a déjà été rejeté.

261    Par ailleurs, quant à l’argument plus spécifique selon lequel, en tout état de cause, les preuves fournies par Fuji n’établiraient la durée de l’infraction que jusqu’au mois de septembre 1999, force est de constater que, au point 245 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal a indiqué que cet élément de preuve confirmait la durée de l’infraction jusqu’à cette date, à laquelle Fuji prétend avoir quitté l’entente.

262    Toutefois, le Tribunal a conclu, au point 252 de cet arrêt, dans le cadre d’une appréciation globale, que les éléments de preuve invoqués par la Commission quant à la mise en œuvre de l’arrangement commun et de l’accord GQ entre les mois de septembre 1999 et de mai 2004 se rapportaient à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, ce qui impliquait que, contrairement à ce qu’avait soutenu Mitsubishi devant le Tribunal, la preuve d’une infraction continue avait été rapportée en ce qui concerne la période concernée.

263    Par ces considérations, le Tribunal a fait une application adéquate des principes qu’il a rappelés au point 242 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission et qui ressortent d’une jurisprudence constante de la Cour.

264    En effet, le fait que la preuve de l’existence d’une infraction continue n’a pas été apportée pour certaines périodes déterminées ne fait pas obstacle à ce que l’infraction soit regardée comme ayant été constituée comme telle durant une période globale plus étendue que celles-ci, dès lors qu’une telle constatation repose sur des indices objectifs et concordants. Dans le cadre d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, le fait que les manifestations de l’entente interviennent à des périodes différentes, pouvant être séparées par des laps de temps plus ou moins longs, demeure sans incidence sur l’existence de cette entente, pour autant que les différentes actions qui font partie de cette infraction poursuivent une seule finalité et s’inscrivent dans le cadre d’une infraction à caractère unique et continu (voir, notamment, arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, précité, point 72).

265    En ce qui concerne l’argumentation développée par Toshiba, contrairement à ce que soutient cette dernière, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir opéré, aux points 238 à 241, 243 et 244 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, une application inadéquate des critères devant être pris en compte pour établir l’existence d’une infraction continue, tels que rappelés aux points 235 et 236 de cet arrêt.

266    À cet égard, force est d’abord de constater que la critique dirigée contre les points 238 à 241 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission ne saurait en aucun cas prospérer pour autant qu’elle est fondée sur des arguments, tirés essentiellement d’une dénaturation, voire d’une motivation contradictoire, affectant l’appréciation des éléments de preuve concernés, qui ont déjà été écartés dans le cadre de l’examen d’autres moyens soulevés par Toshiba.

267    Ensuite, s’agissant des points 239, 243 et 244 de cet arrêt, pour autant que les griefs de Toshiba portent sur le fait que les éléments de preuve concernés se rapportent à une partie de la durée totale de l’infraction, il suffit de constater que, au point 247 dudit arrêt, le Tribunal a conclu, dans le cadre d’une appréciation globale, que les éléments de preuve invoqués par la Commission quant à la mise en œuvre de l’arrangement commun et de l’accord GQ entre les mois de septembre 1999 et de mars 2002 se rapportaient à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, ce qui impliquait que, contrairement à ce qu’avait soutenu Toshiba devant le Tribunal, la preuve d’une infraction continue avait été apportée en ce qui concerne la période concernée.

268    En statuant en ce sens, le Tribunal a fait une application adéquate des principes qu’il a énoncés au point 236 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission et qui ressortent d’une jurisprudence constante de la Cour, rappelée au point 264 du présent arrêt.

269    Enfin, quant aux échanges de télécopie mentionnés au point 243 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, s’il est constant que ceux-ci avaient trait à l’attribution de projets en vertu de l’accord GQ, il n’en demeure pas moins que le Tribunal pouvait les prendre en compte en tant qu’élément pertinent établissant la mise en œuvre de l’accord GQ entre les mois de septembre 1999 et de mars 2002, ainsi qu’il l’a fait au point 247 de cet arrêt.

270    Par conséquent, il y a lieu de rejeter les moyens tirés par Mitsubishi et par Toshiba d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que la Commission pouvait conclure à l’existence d’une infraction unique et continue.

VIII –  Sur les moyens relatifs à la détermination du montant des amendes

A –  Argumentation des parties

271    Par son quatrième moyen, Siemens reproche au Tribunal d’avoir violé le principe d’égalité de traitement en ayant approuvé, aux points 296 à 301 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, le fait que, pour catégoriser les entreprises en vue de la détermination de leur poids économique, la Commission a utilisé différentes années de référence, ce qui a eu pour conséquence que Siemens a été inscrite dans la première catégorie avec ABB, alors qu’elle aurait dû être inscrite dans une autre catégorie.

272    Siemens soutient que les arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission confirment le bien-fondé de son argumentation selon laquelle, aux fins de cette catégorisation, la Commission était tenue d’utiliser une année de référence unique pour le calcul du chiffre d’affaires mondial afférent aux projets d’AIG, de sorte que cette institution a enfreint le principe d’égalité de traitement en se fondant, dans la décision litigieuse, sur l’année 2003 pour les producteurs européens et, pour les producteurs japonais, sur l’année 2001.

273    Toutefois, il ne découlerait pas de ces arrêts que seule l’année 2003 pouvait être retenue par la Commission en tant qu’année de référence unique. Au contraire, un recours à l’année 2001 aurait en l’espèce été tout à fait possible et même approprié.

274    En effet, d’une part, le chiffre d’affaires relatif aux AIG réalisé par Siemens au cours de l’année 2003 ne serait pas concerné par l’entente étant donné qu’il porterait sur des projets d’AIG conclus pendant la période de son retrait de l’entente entre les années 1999 à 2002. D’autre part, en l’absence de chiffres d’affaires pour les entreprises japonaises pour l’année 2003, l’année 2001 serait la plus récente pour laquelle les chiffres d’affaires de toutes les entreprises étaient disponibles.

275    Siemens soutient, en outre, que, à supposer même qu’il doive être considéré que, en l’espèce, la Commission aurait dû recourir, de manière uniforme, à l’année 2003 en tant qu’année de référence, y compris pour les producteurs japonais, le Tribunal aurait néanmoins commis une erreur de droit.

276    En effet, l’utilisation uniforme de l’année 2003 aurait pour effet que le résultat de la détermination du poids relatif des entreprises les unes par rapport aux autres serait, lui aussi, différent, ce qui aboutirait par conséquent à une catégorisation différente. Siemens n’aurait toutefois pas encore pu développer une argumentation détaillée sur ce point en raison du fait que la Commission aurait, en violation de ses droits de la défense, rejeté plusieurs de ses demandes visant à obtenir accès aux données relatives aux chiffres d’affaires pour les années 2001 et 2003 des autres entreprises concernées.

277    La Commission estime que le grief de Siemens tiré d’une utilisation erronée de l’année 2003 en tant qu’année de référence est irrecevable et en tout état de cause non fondé. S’agissant, ensuite, de l’argumentation selon laquelle l’année 2001 aurait dû être retenue en tant qu’année de référence unique, aucune erreur de droit ne pourrait être reprochée au Tribunal.

278    Par le cinquième moyen au soutien de son pourvoi, Siemens fait grief au Tribunal d’avoir rejeté son argumentation selon laquelle la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en ce que, dans le calcul du coefficient multiplicateur de dissuasion, utilisé pour majorer le montant de départ de son amende, cette institution n’a pas suffisamment pris en compte la différence de taille entre Siemens et ABB, ce qui aurait eu pour résultat de fixer ce coefficient à un niveau trop élevé pour cette requérante par rapport à celui appliqué à ABB.

279    Elle indique que, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 314 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, la Commission a calculé le coefficient multiplicateur de dissuasion en se fondant sur le chiffre d’affaires mondial de l’année 2005 des différentes entreprises et que, au point 309 de cet arrêt, la méthode de calcul de ce coefficient est décrite, sur la base des explications fournies pour la première fois par la Commission au cours de l’audience devant le Tribunal.

280    Eu égard à ces éléments, il serait toutefois impossible de comprendre comment, au point 320 de cet arrêt, le Tribunal ait pu aboutir à la constatation selon laquelle, en établissant un graphique des différents coefficients multiplicateurs appliqués par rapport aux chiffres d’affaires respectifs des entreprises concernées, le résultat obtenu est une ligne droite qui fait apparaître le caractère proportionnel des coefficients multiplicateurs.

281    En effet, le chiffre d’affaires pertinent de Siemens n’aurait été qu’environ quatre fois plus important que celui d’ABB. Toutefois, le coefficient multiplicateur de dissuasion approuvé par le Tribunal en ce qui concerne Siemens serait six fois plus élevé que celui appliqué à ABB.

282    Or, la majoration du montant de départ au titre de l’objectif de dissuasion aurait dû refléter, à tout le moins approximativement, la différence apparaissant entre les chiffres d’affaires mentionnés.

283    L’unique point de rattachement permettant d’examiner le bien-fondé du facteur de dissuasion de 2,5 appliqué à Siemens serait celui d’une comparaison avec celui le plus bas, soit 1,25, appliqué en l’espèce à ABB. Partant, le facteur 1 étant neutre, la Commission aurait dû retenir, s’agissant de Siemens, un facteur égal à 2, et non à 2,5.

284    La Commission rétorque que la méthode suivie en l’espèce pour déterminer les coefficients de dissuasion établit un rapport particulier, basé sur une formule, entre le chiffre d’affaires et le coefficient de dissuasion et ne saurait donc être critiquée.

B –  Appréciation de la Cour

285    S’agissant, en premier lieu, du grief relatif au choix de l’année de référence, il y a lieu de constater que, aux points 297 à 305 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, le Tribunal a répondu à deux arguments soulevés par Siemens et résumés au point 296 de cet arrêt, à savoir, premièrement, l’argument selon lequel, aux fins de sa catégorisation au titre de son poids économique telle que retenue pour la détermination du montant de départ de son amende, la Commission aurait dû utiliser en tant qu’année de référence non pas le chiffre d’affaires de Siemens de l’année 2003, comme pour les producteurs européens, mais celui de l’année 2001, comme pour les producteurs japonais, et, deuxièmement, celui selon lequel la Commission ne pouvait inscrire Siemens dans le même groupe qu’ABB dès lors que son chiffre d’affaires relatif aux années 2001 et 2003 était bien inférieur à celui de cette dernière entreprise.

286    Force est de constater d’emblée que, devant le Tribunal, Siemens n’a pas soutenu que, si la catégorisation de tous les producteurs y compris les producteurs japonais avait été effectuée de manière uniforme sur la base du chiffre d’affaires de l’année 2003, les catégories auraient dû être définies de manière différente et que cela était susceptible de lui être favorable.

287    Cet argument, qui ne saurait être considéré comme étant une ampliation de l’un desdits deux arguments effectivement avancés devant le Tribunal, a, dès lors, été soulevé pour la première fois au stade du pourvoi. Or, la compétence de la Cour est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges (voir notamment, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, non encore publié au Recueil, point 111). Partant, il s’agit d’un moyen nouveau qui doit être rejeté comme étant irrecevable.

288    S’agissant du choix par la Commission de l’année 2003 comme année de référence pour la catégorisation des entreprises ayant participé à l’entente afin d’établir leur poids économique relatif, le Tribunal a considéré, aux points 297 à 299 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, d’abord, que les lignes directrices pour le calcul des amendes ne prévoient pas de règles déterminant ce choix, ensuite, que, en l’espèce, le choix de l’année 2003, dernière année complète de l’activité de l’entente, apparaissait approprié et, enfin, que, à supposer que la décision litigieuse soit entachée d’une illégalité en ce que la Commission ne pouvait choisir l’année 2001 comme année de référence pour les producteurs japonais au motif qu’elle ne disposait pas de données distinctes pour ces entreprises pour l’année 2003, il conviendrait, dans une telle hypothèse, de corriger la décision litigieuse non à l’égard de Siemens, mais à celui des producteurs japonais.

289    Dans les arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission, le Tribunal a par la suite jugé que, en choisissant l’année 2001 en tant qu’année de référence pour les producteurs japonais, la Commission avait violé le principe d’égalité de traitement, dès lors que, par ce choix, ces producteurs avaient subi un traitement inégal et non justifié par rapport aux producteurs européens pour lesquels l’année 2003 avait été retenue en tant qu’année de référence et, par voie de conséquence, a annulé les amendes infligées aux deux producteurs japonais en cause.

290    Il en découle que le Tribunal a ainsi jugé que, dans la décision litigieuse, la Commission pouvait choisir de se fonder sur l’année 2003 en tant qu’année de référence et que la raison invoquée pour appliquer aux seuls producteurs japonais l’année 2001 en tant qu’année de référence ne pouvait pas être retenue en définitive.

291    Il s’ensuit également que le Tribunal a laissé entendre que l’illégalité ainsi constatée devait donner lieu à une correction de la décision litigieuse non pas à l’égard de Siemens, mais à celui des producteurs japonais concernés, ce que la Commission semble avoir entrepris dans la décision litigieuse modifiée.

292    Siemens ne saurait dès lors soutenir, dans le cadre du présent pourvoi, que les arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission permettent de remettre en cause le choix de l’année 2003 en tant qu’année de référence.

293    Siemens ne démontre d’ailleurs pas que le Tribunal aurait commis une quelconque erreur de droit en jugeant que ce choix de l’année 2003, qui était la dernière année complète de l’entente, était approprié.

294    Quant à l’allégation de Siemens selon laquelle son chiffre d’affaires de l’année 2003 ne pouvait pas être retenu dès lors qu’il porterait sur des projets réalisés pendant la période de son retrait de l’entente entre les années 1999 à 2002 et ne serait dès lors pas représentatif de son poids relatif dans l’entente, force est de constater que cet argument, dont l’appréciation nécessite un examen de nature essentiellement factuelle, n’a pas été soulevé devant le Tribunal, de sorte qu’il constitue un moyen nouveau et, partant, irrecevable au stade du pourvoi.

295    Il en va de même de l’argument soulevé pour la première fois dans le cadre de la présente procédure selon lequel, en l’absence de chiffres d’affaires pour les entreprises japonaises pour l’année 2003, l’année 2001 serait l’année la plus récente pour laquelle les chiffres d’affaires de toutes les entreprises étaient disponibles.

296    Cet argument manque par ailleurs manifestement en fait, puisque, dans les arrêts attaqués Mitsubishi Electric/Commission et Toshiba/Commission, le Tribunal a jugé que, malgré l’absence pour les producteurs japonais de données distinctes pour l’année 2003, la Commission aurait pu déterminer le chiffre d’affaires de l’année 2003 de ces producteurs, notamment en appliquant une méthode de calcul au chiffre d’affaires de leur société commune.

297    Pour ce qui concerne, en second lieu, l’argumentation de Siemens relative au calcul du coefficient multiplicateur de dissuasion, celle-ci fait valoir, en substance, que la Commission a fixé son coefficient à un niveau trop élevé par rapport à celui retenu pour ABB. La Commission aurait choisi, en l’espèce, une méthode de calcul exclusivement proportionnelle au chiffre d’affaires global des entreprises en cause pour déterminer le multiplicateur de dissuasion. Or, dès lors que le chiffre d’affaires total de Siemens ne serait que quatre fois supérieur à celui d’ABB, un coefficient de 2, et non de 2, 5, aurait dû lui être appliqué.

298    À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’objectif du facteur multiplicateur au titre de l’effet dissuasif et de la prise en considération, dans ce contexte, de la taille et des ressources globales de l’entreprise en cause réside dans l’impact recherché sur ladite entreprise, la sanction ne devant pas être négligeable au regard, notamment, de la capacité financière de celle-ci (voir, notamment, arrêt du 13 juin 2013, Versalis/Commission, C‑511/11 P, non encore publié au Recueil, point 102 et jurisprudence citée).

299    En outre, s’il est loisible, aux fins de la détermination de l’amende, de tenir compte du chiffre d’affaires global de l’entreprise en ce que celui-ci constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, il n’y a pas lieu d’attribuer à cet élément une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation. Par conséquent, la fixation d’une amende appropriée ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 243).

300    En l’espèce, il ressort des points 320 et 321 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission que, afin de déterminer les coefficients de dissuasion, la Commission a utilisé une méthode de calcul qui est objectivement justifiée, logique et cohérente en ce qu’elle établit un rapport de proportionnalité suffisant entre les coefficients de différentes entreprises et leur chiffre d’affaires global.

301    En statuant en ce sens, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.

302    En effet, au regard de la jurisprudence mentionnée au point 298 du présent arrêt, la Commission était surtout tenue de veiller à ce que, en l’espèce, la sanction ne devienne pas «négligeable» au regard, notamment, de la capacité financière des entreprises concernées. Toutefois, contrairement à ce que fait valoir Siemens, la Commission ne pouvait calculer les coefficients de dissuasion selon un simple calcul arithmétique fondé sur le chiffre d’affaires des différentes entreprises concernées, ce qu’elle n’a d’ailleurs pas fait, ainsi qu’il ressort du point 309 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission.

303    Partant, Siemens ne saurait critiquer la détermination desdits coefficients en raison de l’absence d’une proportionnalité exacte entre ceux-ci et le chiffre d’affaires des différentes entreprises concernées.

304    Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 320 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, la méthode spécifique telle qu’appliquée en l’espèce par la Commission, en ce qu’elle n’est pas fondée sur une telle proportionnalité exacte, a également été favorable à Siemens en ce que celle-ci s’est vu appliquer le même coefficient qu’Hitachi, alors que son chiffre d’affaires global était supérieur de plus de 6 milliards d’euros à celui d’Hitachi.

305    Enfin, c’est à juste titre que le Tribunal a relevé, au point 323 de cet arrêt, que si, contrairement aux coefficients de dissuasion, la majoration du montant de départ qui résulte de leur application n’est pas proportionnelle au chiffre d’affaires des entreprises concernées, mais progressive, cette circonstance résulte nécessairement de l’application de la méthode choisie par la Commission.

306    À cet égard, la Commission a indiqué, sans être contredite par Siemens sur ce point, que, alors que le chiffre d’affaires total de Siemens dépasse celui d’ABB d’environ 57 400 millions d’euros, le montant de l’amende supplémentaire infligée à Siemens au titre de la dissuasion ne dépasse celui d’ABB que de 56 millions d’euros.

307    Par conséquent, il y a lieu de rejeter les quatrième et cinquième moyens soulevés par Siemens au soutien de son pourvoi.

IX –  Sur les moyens relatifs au respect des droits fondamentaux de procédure et à l’obligation de motivation

A –  Sur le moyen tiré d’une violation des droits fondamentaux à un procès équitable et au respect des droits de la défense, en ce qu’un témoin à charge n’a pas pu être interrogé

1.     Argumentation des parties

308    Par le premier moyen à l’appui de son recours, Siemens fait grief au Tribunal d’avoir fondé sa participation à l’infraction pour ce qui concerne la période se situant entre le 22 avril 1999 et le 1er septembre 1999 principalement sur les déclarations de M. M., ancien collaborateur d’ABB, sans lui avoir donné la possibilité d’interroger ce dernier.

309    Siemens soutient que, en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 3, sous d), de la CEDH, tout accusé doit, au cours de la procédure, se voir accorder la possibilité d’interroger ou de faire interroger un témoin à charge et que, si la condamnation repose de manière déterminante sur la déclaration d’un témoin qui n’a pas pu être interrogé, elle viole le principe d’équité et du respect des droits de la défense.

310    Dès lors que, en l’espèce, Siemens n’aurait pas eu la possibilité d’interroger M. M., ni au cours de la procédure administrative ni devant le Tribunal, lesdits droits fondamentaux auraient été violés.

311    S’agissant de la procédure administrative, Siemens soutient que la Commission pourrait demander, comme le conseiller auditeur l’aurait fait récemment à plusieurs reprises, que le candidat à la clémence se fasse accompagner par le témoin à charge principal à l’audience, sous peine de violer son obligation de coopération.

312    Enfin, Siemens fait valoir que, afin d’assurer l’équité de la procédure, le Tribunal aurait pu convoquer d’office M. M. en tant que témoin afin de lui permettre de l’interroger. La High Court of New Zeeland (Cour suprême de Nouvelle-Zélande) aurait procédé de cette manière en soumettant M. M. à un contre-interrogatoire dans le cadre d’une procédure concernant une entente dans le secteur des AIG.

313    La Commission réfute cette argumentation en faisant valoir, notamment, que les déclarations de M. M. ne constituent pas le seul ni même l’élément de preuve principal de ce que Siemens s’est retirée de l’entente non pas au mois d’avril de l’année 1999, mais au mois de septembre de cette même année. Cette argumentation devrait en tout état de cause être rejetée au regard de la jurisprudence dont il découle notamment qu’il appartient au Tribunal de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin au regard de l’ensemble des éléments de preuve sur lesquels se fonde l’incrimination en cause.

314    L’Autorité soutient notamment que la possibilité d’interroger des témoins à charge vise à préserver l’égalité des armes entre l’accusation et la défense dans les procédures pénales. Toutefois, il n’existerait aucun droit inaliénable de procéder au contre-interrogatoire de témoins en raison des qualités inhérentes de cet instrument procédural pour la manifestation de la vérité.

2.     Appréciation de la Cour

315    À titre liminaire, il y a lieu d’indiquer qu’il n’apparaît certes pas exclu que, comme le soutient la Commission, le premier moyen avancé par Siemens au soutien de son pourvoi ne saurait en aucun cas prospérer dès lors que la prémisse du raisonnement sur lequel il s’appuie n’est pas vérifiée. En effet, il semble contestable que, comme le soutient Siemens, le Tribunal a principalement fondé sa participation à l’infraction pour ce qui concerne la période se situant entre le 22 avril 1999 et le 1er septembre 1999 sur les seules déclarations de M. M.

316    Toutefois, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question, dès lors que le moyen doit en tout état de cause être rejeté au regard de principes bien établis dans la jurisprudence.

317    En effet, s’agissant, d’abord, de l’argument selon lequel il découlerait des principes fondamentaux du droit de l’Union du droit à un procès équitable et du respect des droits de la défense dont relève le droit spécifique, consacré à l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la CEDH, selon lequel tout accusé a notamment le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge, que, au cours de la procédure administrative, la Commission aurait dû offrir à Siemens la possibilité d’interroger directement le témoin M. M., c’est à bon droit que le Tribunal a rejeté celui-ci aux points 186 à 189 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission.

318    Ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 189 de cet arrêt, le respect desdits principes fondamentaux exige que les entreprises et les associations d’entreprises concernées par une enquête de la Commission en matière de concurrence soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, des griefs et des circonstances allégués par la Commission.

319    En revanche, la Commission n’est pas tenue de donner aux entreprises l’occasion d’interroger elles-mêmes, dans le cadre de la procédure administrative, les témoins entendus par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 200).

320    Il est par ailleurs constant que, en l’espèce, Siemens n’a à aucun moment demandé à la Commission de pouvoir interroger M. M.

321    Pour ce qui concerne, ensuite, le grief de Siemens selon lequel le Tribunal aurait dû convoquer M. M., le cas échéant d’office, afin de permettre qu’il soit interrogé par Siemens, il y a lieu de rappeler que, la procédure devant les juridictions de l’Union étant de nature contradictoire, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre d’une décision de la Commission lui infligeant une amende en raison de l’infraction aux règles du droit de la concurrence, sauf pour ce qui concerne les moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation (arrêts du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, Rec. p. I‑12789, point 104, ainsi que Chalkor/Commission, C‑386/10 P, Rec. p. I‑13085, point 64).

322    À cet égard, il doit être souligné que rien n’empêchait Siemens de demander la convocation et l’interrogatoire des témoins à charge devant le Tribunal, en l’occurrence ceux de M. M., dont elle estimait qu’il était le témoin principal attestant sa participation à l’infraction au cours de la période concernée, en introduisant une demande de mesures d’instruction en ce sens. Or, force est de constater que cette requérante n’a pas introduit une telle demande.

323    En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé dans le cadre d’une affaire concernant le droit de la concurrence, même si une demande d’audition de témoins, formulée dans la requête, indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu d’entendre le ou les témoins et les motifs de nature à justifier leur audition, il appartient au Tribunal d’apprécier la pertinence de la demande par rapport à l’objet du litige et à la nécessité de procéder à l’audition des témoins cités (arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 70).

324    La Cour a par ailleurs indiqué que ce pouvoir d’appréciation du Tribunal se concilie avec le droit fondamental à un procès équitable et en particulier l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la CEDH.

325    Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour que cette dernière disposition ne reconnaît pas à l’accusé un droit absolu d’obtenir la comparution de témoins devant un tribunal et qu’il incombe en principe au juge de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin. L’article 6, paragraphe 3, de la CEDH n’impose pas la convocation de tout témoin, mais vise une complète égalité des armes assurant que la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a offert à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de contester les soupçons qui pesaient sur lui (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, points 70 et 71 ainsi que jurisprudence citée).

326    En l’espèce, il y a lieu de constater que, au terme d’un examen circonstancié d’un ensemble d’éléments de preuve que Siemens a amplement pu contester, le Tribunal a conclu, au point 207 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, que la Commission pouvait se fonder sur divers éléments pour constater la participation de Siemens à l’entente jusqu’au mois de septembre 1999, dont les déclarations d’ABB et de M. M., qui ont été jugées crédibles et qui ont été confirmées, sur ce point, par les déclarations de Mitsubishi, d’Areva et de Fuji, dont certaines, à savoir celles de Mitsubishi et de Fuji, bénéficient d’une crédibilité élevée.

327    Il s’ensuit que le premier moyen de Siemens au soutien de son pourvoi doit être rejeté comme non fondé.

B –  Sur le moyen tiré d’une violation du droit à un recours juridictionnel effectif, en ce que le Tribunal n’a pas exercé sa compétence de pleine juridiction

1.     Argumentation des parties

328    Par le sixième moyen à l’appui de son recours, Siemens soutient que le Tribunal a violé son droit à un recours juridictionnel effectif, tel que prévu aux articles 6 de la CEDH et 47 de la Charte, en ce qu’il a jugé, au point 323 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, qu’il ne saurait remplacer la méthode choisie par la Commission pour calculer la majoration de dissuasion par sa propre méthode de calcul et aurait ainsi renoncé à exercer sa compétence de pleine juridiction pour supprimer, réduire ou majorer les amendes qui lui est conférée par les dispositions combinées des articles 261 TFUE et 31 du règlement n° 1/2003.

329    Siemens estime que, en vertu de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal n’avait pas seulement le pouvoir de vérifier la légalité de cette méthode de calcul, mais, en l’occurrence, compte tenu du montant considérable de l’amende qui lui a été infligée et de l’atteinte importante à ses droits qui en découle, qu’il était tenu de contrôler la décision litigieuse dans les moindres détails.

330    La Commission rétorque que le contrôle qu’exerce le Tribunal sur la légalité de l’exercice du pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission en matière de la détermination du coefficient multiplicateur de dissuasion doit se limiter à la vérification de ce que la détermination effectuée par la Commission est cohérente et objectivement justifiée.

331    L’Autorité estime que le Tribunal a exercé son contrôle juridictionnel sur la décision litigieuse à un degré suffisant pour répondre aux griefs articulés par Siemens en première instance, en particulier en ce qui concerne le multiplicateur de dissuasion.

2.     Appréciation de la Cour

332    Siemens soutient essentiellement que le Tribunal a violé le principe de protection juridictionnelle effective en ce qu’il a jugé, au point 323 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, qu’il ne saurait substituer, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sa propre appréciation du caractère suffisant du coefficient de dissuasion appliqué à celle de la Commission.

333    À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence de la Cour relative aux exigences découlant dans ce contexte du respect du principe de protection juridictionnelle effective, tel que consacré à l’article 47 de la Charte.

334    Il ressort de cette jurisprudence que, dans le cadre du système de contrôle juridictionnel des décisions des institutions tel qu’organisé par les traités fondateurs, le contrôle de légalité portant sur la détermination des amendes pour infraction au droit de l’Union de la concurrence, incombant au juge de l’Union en vertu de l’article 263 TFUE, est complété par la compétence de pleine juridiction prévue à l’article 31 du règlement n° 1/2003 qui habilite ce juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir, en ce sens, arrêts précités KME Germany e.a./Commission, point 103, ainsi que Chalkor/Commission, point 63).

335    Toutefois, la Cour a également souligné que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (arrêts précités KME Germany e.a./Commission, point 104, ainsi que Chalkor/Commission, point 64).

336    La Cour a en outre indiqué que cette exigence de nature procédurale ne va pas à l’encontre de la règle selon laquelle, s’agissant d’infractions aux règles de la concurrence, c’est à la Commission qu’il appartient d’apporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une telle infraction. Ce qui est en effet demandé à un requérant dans le cadre d’un recours juridictionnel, c’est d’identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d’apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés (arrêts précités KME Germany e.a./Commission, point 105, ainsi que Chalkor/Commission, point 65).

337    Or, il n’apparaît pas que le Tribunal ait méconnu ces principes au point 323 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission.

338    En effet, audit point, le Tribunal s’est borné à constater, dans le cadre des griefs formulés par Siemens à l’égard des éléments contestés de la décision litigieuse relatifs à la fixation du coefficient de dissuasion, visant essentiellement à démontrer une inégalité de traitement par rapport à ABB, que la Commission avait de toute évidence considéré que la majoration progressive du montant de départ par rapport au chiffre d’affaires qui résulte de l’application des coefficients de dissuasion était nécessaire afin d’assurer un effet suffisamment dissuasif des amendes à l’égard des entreprises concernées ayant un chiffre d’affaires particulièrement important.

339    C’est dans ce contexte précis que le Tribunal a indiqué qu’il n’était pas compétent pour substituer sa propre appréciation à celle de la Commission quant au caractère suffisant du coefficient de dissuasion appliqué, et ce à plus forte raison en l’absence de tout élément factuel indiquant que le système appliqué par la Commission conduit à des résultats excédant ce qui est indispensable pour assurer le caractère suffisamment dissuasif des amendes.

340    Or, contrairement à ce que soutient Siemens, dans un tel contexte, le Tribunal ne devait pas, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, substituer son appréciation à celle de la Commission sur ce point en examinant d’office d’autres griefs pouvant éventuellement être soulevés contre les éléments contestés de la décision litigieuse relatifs au coefficient de dissuasion. Par ailleurs, le seul caractère élevé du montant de l’amende imposée ne saurait fonder une telle obligation.

341    Il en découle que le moyen tiré par Siemens d’une violation du principe de protection juridictionnelle doit être écarté.

C –  Sur les moyens tirés d’une violation des droits de la défense, en ce que la Commission n’a pas donné accès aux éléments à charge et à décharge et a renversé la charge de la preuve

1.     Argumentation des parties

a)     Le pourvoi de Mitsubishi

342    Par la cinquième branche du premier moyen au soutien de son pourvoi, Mitsubishi fait grief au Tribunal de ne pas avoir pris en considération l’effet global des différentes violations de ses droits de la défense et de son droit d’être entendue en ce que la Commission ne lui a pas donné accès aux éléments à charge et à décharge

343    En premier lieu, quant aux éléments à décharge provenant de Siemens, de Toshiba, de VA Tech et d’Hitachi, le Tribunal n’aurait pas appliqué le critère juridique approprié en exigeant, au point 55 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que Mitsubishi démontre la mesure dans laquelle sa défense avait été rendue plus difficile en raison du fait qu’elle n’avait pas obtenu accès à ces preuves.

344    En effet, selon la jurisprudence de la Cour, Mitsubishi aurait uniquement été tenue de démontrer qu’elle aurait pu s’appuyer sur un document à décharge pour réfuter les déductions de la Commission et pour influencer la décision de cette institution d’une manière ou d’une autre (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, points 74 et 75).

345    En second lieu, quant aux éléments à charge présentés par Fuji, par Alstom et par Areva, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, au point 51 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que la seule manière dont Mitsubishi pouvait démontrer qu’elle avait le droit d’avoir accès à un document à charge consistait à établir au préalable sa propre absence de responsabilité.

346    En effet, conformément à la jurisprudence rappelée par le Tribunal au point 45 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, Mitsubishi aurait dû démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue aurait été différent si le document non communiqué en cause avait été écarté.

347    La Commission estime que, pour ce qui concerne, d’une part, la prétendue violation des droits de la défense découlant de la non-divulgation de documents à décharge, le Tribunal a appliqué un critère juridique qui correspond à celui retenu au point 52 de l’arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑110/10 P, Rec. p. I‑10439), à savoir que «lesdits documents auraient pu être utiles pour sa défense».

348    D’autre part, quant au grief relatif à l’absence d’accès à des éléments à charge, la Commission soutient que la critique de Mitsubishi n’est pas fondée, dès lors qu’elle repose sur une lecture erronée du point 51 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission.

349    Par la sixième branche de son premier moyen, Mitsubishi soutient que le Tribunal a violé ses droits de la défense, et en particulier le principe de la présomption d’innocence, en exigeant qu’elle prouve un fait négatif démontrant qu’elle n’avait pas commis d’infraction. En effet, aux points 116, 158, 186 et 231 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal lui aurait imposé une telle charge de la preuve insurmontable.

350    La Commission fait notamment valoir que cette critique repose sur une lecture inexacte desdits points de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission.

b)     Le pourvoi de Toshiba

351    Par le quatrième moyen à l’appui de son recours, Toshiba soutient que ses droits de la défense ont été violés, dès lors que la Commission ne lui a pas donné accès aux éléments à décharge.

352    Elle soutient, en premier lieu, que le Tribunal a appliqué un critère juridique inexact pour évaluer le caractère à décharge des déclarations en cause.

353    En effet, le critère adéquat ne porterait ni sur la question de savoir si l’entreprise en cause avait déjà connaissance de l’information figurant dans les déclarations dont la non-divulgation est contestée ni sur celle de savoir si ces déclarations pouvaient avoir une influence sur la décision de la Commission.

354    La Cour aurait précisé, aux termes du point 52 de l’arrêt Solvay/Commission, précité, que l’entreprise concernée doit démontrer non pas que la décision de la Commission aurait été différente si elle avait eu accès aux documents non communiqués, mais seulement que lesdits documents auraient pu être utiles pour sa défense.

355    En deuxième lieu, s’agissant de la non-divulgation des déclarations écrites de deux employés de Mitsubishi, présentées au mois de novembre 2006, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en concluant, au point 61 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que la communication de cet élément à décharge n’était pas susceptible d’avoir une influence sur le déroulement de la procédure et sur le contenu de la décision litigieuse.

356    Selon Toshiba, ces déclarations auraient pu être utilisées en tant que preuve supplémentaire du fait que Fuji n’avait pas connaissance de l’arrangement commun, de sorte qu’elle ne pouvait en affirmer l’existence.

357    En troisième lieu, quant à la non-divulgation des déclarations écrites de deux employés d’Hitachi, également présentées au mois de novembre 2006, Toshiba fait grief au Tribunal d’avoir jugé qu’ils ne constituaient pas des éléments à décharge.

358    Ces déclarations comporteraient des informations supplémentaires que Toshiba aurait pu utiliser pour démontrer que le rejet par Hitachi de la proposition d’Alstom devait être compris en ce sens qu’il confirmait que l’existence de l’arrangement commun alléguée par la Commission n’était pas avérée et que l’interprétation de ce rejet, telle que retenue par la Commission dans la communication des griefs, était dès lors incorrecte.

359    En quatrième lieu, Toshiba soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant, aux points 62 et 63 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que la communication des déclarations de M. S., présentées par Areva, n’était pas susceptible d’avoir une influence sur le déroulement de la procédure et sur le contenu de la décision litigieuse.

360    Toshiba estime que l’accès à ces déclarations lors de la procédure administrative lui aurait permis non seulement de renforcer son argumentation selon laquelle elle avait cessé de participer à l’accord GQ entre les mois de septembre 1999 et de mars 2002, mais également d’affaiblir davantage l’argumentation de la Commission relative à l’existence d’une infraction unique et continue entre les mois d’avril 1988 et de mai 2004, ce qui aurait pu avoir pour effet de modifier la teneur de la décision litigieuse.

361    La Commission soutient, d’une part, que le grief portant sur le critère inadéquat qu’aurait appliqué le Tribunal au point 45 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission pour déterminer si des éléments pouvaient être considérés comme étant à décharge n’est pas recevable dès lors qu’il a été soulevé non pas dans le pourvoi de Toshiba, mais seulement dans son mémoire en réplique.

362    D’autre part, quant à l’argumentation portant spécifiquement sur les déclarations écrites des employés de Mitsubishi et d’Hitachi ainsi que sur les déclarations de M. S., présentées par Areva, celle-ci devrait en tout état de cause être rejetée, dès lors que Toshiba ne contesterait pas la constatation faite par le Tribunal que ces déclarations ne constituent pas des éléments à décharge.

2.     Appréciation de la Cour

363    Il y a lieu d’examiner, en premier lieu, les griefs de Mitsubishi et de Toshiba relatifs à la prétendue violation de leurs droits de la défense, en ce que certains éléments à décharge ne leur auraient pas été divulgués.

364    Aux points 43 et 44 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, dont les termes sont identiques à ceux des points 44 et 45 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, le Tribunal a d’abord résumé en ces termes ce que recouvre, à son sens, la notion d’«élément à décharge»:

«43      [...] [Si] un passage d’une réponse à une communication des griefs ou un document annexé à une telle réponse est susceptible d’être pertinent pour la défense d’une entreprise en ce qu’il permet à celle-ci d’invoquer des éléments qui ne concordent pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission, il constitue un élément à décharge. Dans ce cas, l’entreprise concernée doit être mise en mesure de procéder à un examen du passage ou du document en question et de se prononcer à leur égard.

44      Toutefois, le simple fait que d’autres entreprises ont invoqué les mêmes arguments que l’entreprise concernée et qu’elles ont, le cas échéant, employé plus de ressources pour leur défense ne suffit pas pour considérer ces arguments comme des éléments à décharge [...]»

365    Quant aux conséquences d’un accès au dossier ne respectant pas la règle de la divulgation d’éléments à décharge, le Tribunal, en se référant aux points 74 et 75 de l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, a décidé, au point 46 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, dont les termes sont identiques à ceux du point 47 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, que:

«S’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit seulement établir que sa non-divulgation a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser ledit document à décharge pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influencer, de quelque manière que ce soit, les appréciations portées par cette dernière dans la décision, au moins en ce qui concerne la gravité et la durée du comportement qui lui était reproché, et, partant, le niveau de l’amende [...]»

366    Le critère ainsi retenu par le Tribunal pour évaluer les conséquences d’une absence de divulgation d’éléments à décharge est en substance le même que celui retenu par la Cour au point 52 de l’arrêt Solvay/Commission, précité, lu en combinaison, notamment, avec le point 131 de l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité. Ce critère consiste à considérer que l’entreprise concernée doit démontrer non pas que, si elle avait eu accès aux documents non communiqués, la décision de la Commission aurait eu un contenu différent, mais seulement que lesdits documents auraient pu être utiles pour sa défense.

367    Il en découle que, si une pièce du dossier pouvant être qualifiée d’élément à décharge, dès lors qu’elle est susceptible de disculper une entreprise à laquelle il est reproché d’avoir participé à une entente, n’est pas communiquée à cette entreprise, les droits de la défense de cette entreprise sont violés si ladite entreprise démontre que l’élément en cause aurait pu être utile pour sa défense.

368    Une telle preuve peut être fournie en démontrant que la non-divulgation a pu influencer, au détriment de l’entreprise en cause, le déroulement de la procédure et la teneur de la décision de la Commission, ou encore qu’elle a pu nuire ou rendre plus difficile la défense des intérêts de cette entreprise au cours de la procédure administrative.

369    Contrairement à ce que fait valoir Toshiba, le Tribunal n’a donc pas appliqué un critère juridique inexact pour évaluer l’incidence de la non-divulgation d’un élément à décharge sur ses droits de la défense.

370    Quant à l’argument de Toshiba visant à critiquer le critère retenu par le Tribunal, au point 45 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, pour déterminer si des arguments invoqués par d’autres entreprises constituent des éléments à décharge, il y a lieu de constater que celui-ci a été soulevé pour la première fois au stade de sa réplique.

371    Cet argument constitue dès lors, en vertu des articles 127 et 190 du règlement de procédure, un moyen nouveau développé en cours d’instance qui doit être rejeté comme étant irrecevable, dès lors qu’il ne se fonde pas sur des éléments de droit ou de fait s’étant révélés pendant la procédure devant la Cour (voir en ce sens, notamment, arrêts du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, Rec. p. I‑6983, point 22, et du 20 septembre 2007, Nestlé/OHMI, C‑193/06 P, point 54).

372    En effet, dans son pourvoi, Toshiba s’est bornée à critiquer le critère retenu par le Tribunal au point 47 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission pour déterminer si la non-divulgation d’éléments qui peuvent être considérés comme étant à décharge a entraîné une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée.

373    Mitsubishi soutient, en outre, que le Tribunal a méconnu le critère relatif aux conséquences de la non-divulgation d’éléments à décharge en exigeant, au point 55 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, que cette requérante démontre la mesure dans laquelle sa défense avait été rendue plus difficile dès lors qu’elle n’avait pas obtenu accès aux éléments de preuve concernés, en l’occurrence les déclarations présentées par VA Tech.

374    À cet égard, il y a lieu de constater, d’une part, que, au point 55 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal opère un simple renvoi au critère énoncé au point 46 de cet arrêt, en rappelant succinctement la portée de celui-ci. Or, ainsi qu’il a été précisé aux points 366 à 368 du présent arrêt, audit point de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, le Tribunal a appliqué un critère juridique exact.

375    D’autre part, cette argumentation est en tout état de cause inopérante dès lors qu’il découle des points 56 et 57 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, lesquels ne sont pas critiqués par Mitsubishi, que ces déclarations ne sauraient être considérées comme des éléments à décharge.

376    Il en va de même de l’argumentation soulevée par Toshiba selon laquelle le Tribunal aurait dû admettre qu’elle devait avoir accès aux déclarations écrites des employés de Mitsubishi et d’Hitachi ainsi qu’aux déclarations de M. S., présentées par Areva, dès lors que celles-ci auraient pu être utiles à sa défense.

377    En effet, force est de constater que Toshiba n’a pas contesté les points 59, 60 et 62 de l’arrêt attaqué Toshiba/Commission, dont il découle que les déclarations en cause, à tout le moins pour ce qui concerne les sujets y abordés et à propos desquels Toshiba soutient qu’ils pouvaient être utiles à sa défense, ne constituent pas des éléments à décharge, essentiellement en raison du fait que leur contenu était déjà connu de cette requérante par l’intermédiaire d’autres éléments de preuve auxquels elle a eu accès ou du fait que l’argumentation en cause était en substance identique à celle de Toshiba elle-même, notamment en ce que, par leurs déclarations, d’autres entreprises impliquées dans l’entente ou leurs employés se bornaient à contester l’existence de l’arrangement commun.

378    Il convient d’examiner, en second lieu, l’argument soulevé par Mitsubishi quant aux conséquences tirées par le Tribunal, au point 51 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, du fait de la non-divulgation de certains éléments à charge.

379    Cet argument doit être écarté dès lors qu’il repose sur une lecture erronée de ce point.

380    Force est en effet de constater que, contrairement à ce que soutient Mitsubishi, ledit point ne saurait être interprété en ce sens que la seule manière dont cette requérante pouvait démontrer qu’elle avait le droit d’accéder à un document à charge consistait à établir au préalable sa propre absence de responsabilité.

381    Au contraire, aux termes de ce même point, le Tribunal s’est borné à conclure que, s’il devait être constaté, au terme de l’examen du moyen relatif à la preuve de l’arrangement commun, que les éléments à charge non divulgués concernés constituaient un appui nécessaire pour fonder la décision litigieuse sur ce point, il y aurait lieu d’accueillir l’argument de Mitsubishi et, partant, d’annuler la décision litigieuse pour autant qu’elle la concerne.

382    Par ailleurs, le Tribunal a conclu, au point 224 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, dans le cadre de l’appréciation globale de l’ensemble des éléments de preuve invoqués par la Commission pour établir l’existence de l’arrangement commun, que cette institution était fondée à conclure à l’existence de cet arrangement sans prendre en considération les éléments à charge concernés, de sorte que, conformément à ce qui avait été exposé au point 51 de cet arrêt, il y avait lieu d’écarter, en définitive, le moyen tiré d’une prétendue violation du droit d’accès au dossier.

383    Par conséquent, il convient de rejeter les griefs de Mitsubishi et de Toshiba relatifs à la prétendue violation de leurs droits de la défense en ce que certains éléments à charge et à décharge ne leur ont pas été divulgués.

384    S’agissant, enfin, de l’argument soulevé par Mitsubishi selon lequel le Tribunal aurait enfreint ses droits de la défense, et en particulier le principe de la présomption d’innocence, en lui ayant imposé, aux points 116, 158, 186 et 231 de l’arrêt attaqué Mitsubishi Electric/Commission, une charge de la preuve insurmontable consistant à devoir prouver le fait négatif de ne pas avoir commis d’infraction, il y a lieu de constater que, par cet argument, Mitsubishi tend, une fois encore, à remettre en cause l’appréciation, par le Tribunal, d’éléments de preuve démontrant l’existence de l’arrangement commun, alors que les arguments déjà avancés en ce sens par cette requérante ont été écartés aux termes du présent arrêt.

385    En tout état de cause, cet argument n’est manifestement pas fondé, dès lors que les points critiqués ne peuvent être compris en ce sens que le Tribunal y aurait renversé la charge de la preuve en exigeant que Mitsubishi prouve le fait négatif de ne pas avoir commis d’infraction. Lesdits points n’ont en effet aucun rapport avec la charge de la preuve de l’infraction, mais font partie de l’appréciation et de la pondération des différents éléments de preuve par le Tribunal au terme desquelles celui-ci a jugé que cette infraction avait été démontrée par la Commission à suffisance de droit.

386    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les moyens tirés par Mitsubishi et Toshiba d’une violation de leurs droits de la défense doivent être écartés.

D –  Sur le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation

1.     Argumentation des parties

387    Par le septième moyen à l’appui de son pourvoi, Siemens soutient que le Tribunal a violé l’obligation de motivation prescrite à l’article 296 TFUE en faisant preuve, aux points 310 à 318 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, d’une clémence injustifiée en s’étant abstenu de censurer la Commission pour ne pas avoir expliqué la méthode de calcul des coefficients multiplicateurs de dissuasion.

388    Une obligation de motivation accrue s’imposerait en l’espèce en raison du montant exceptionnel de l’amende imposée à Siemens, du niveau de plus en plus élevé des amendes infligées par la Commission, de considérations générales tenant à l’État de droit et au principe d’une protection juridique effective ainsi que du fait que la Cour a justifié la large marge d’appréciation dont dispose la Commission pour calculer le montant de l’amende par l’existence d’un pouvoir de contrôle de pleine juridiction dont disposent les juridictions de l’Union à l’égard de cette appréciation.

389    Partant, compte tenu de cette obligation de motivation accrue incombant en l’espèce à la Commission, le Tribunal aurait dû décider que la méthode de calcul des coefficients multiplicateurs de dissuasion devait, à tout le moins, être exposée dans la décision litigieuse. Toutefois, en l’espèce, il aurait fallu que le Tribunal interroge la Commission au cours de l’audience pour que celle-ci dévoile sa méthode.

390    La Commission considère que, compte tenu des explications fournies dans la décision litigieuse, Siemens aurait été en mesure de développer, dans sa requête en première instance, son argumentation relative à une violation du principe d’égalité de traitement, en ce que la Commission n’avait pas retenu une méthode directement proportionnelle au chiffre d’affaires. Il en découlerait que, s’agissant du coefficient multiplicateur de dissuasion, la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit.

391    L’Autorité considère que, aux points 311 et 312 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, le Tribunal a correctement rappelé les principes applicables quant à l’obligation de motivation devant être respectée par la Commission.

2.     Appréciation de la Cour

392    Il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 72).

393    Ainsi, dans le cadre des décisions individuelles, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’obligation de motiver une décision individuelle a pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir, notamment, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 73).

394    L’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui est satisfaite dès lors que la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 463).

395    Toutefois, cette obligation n’impose pas à la Commission d’indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul des amendes, étant souligné, en tout état de cause, que la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 464).

396    Force est de constater en l’espèce, d’une part, que, aux points 310 et 311 de l’arrêt attaqué Siemens/Commission, le Tribunal a notamment rappelé ces principes. Contrairement à ce que soutient Siemens, ceux-ci ne doivent pas être modulés en fonction de l’importance absolue ou relative du montant de l’amende infligée. Leur respect s’impose de la même manière pour toute décision infligeant une amende pour infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union.

397    Il y a lieu, d’autre part, de constater que le Tribunal a correctement appliqué lesdits principes.

398    En effet, le Tribunal a jugé, au point 315 de cet arrêt, qu’il ressortait en substance du considérant 491 de la décision litigieuse que la Commission avait estimé qu’une augmentation du montant de départ fixé pour Siemens s’imposait afin d’assurer l’effet suffisamment dissuasif de l’amende, au vu de la taille et des ressources globales de cette entreprise, et que la Commission s’était appuyée, à cet égard, sur le chiffre d’affaires global de celle-ci relatif à l’année 2005.

399    Au point 317 du même arrêt, le Tribunal en a conclu qu’il apparaissait ainsi que, dans la décision litigieuse, la Commission avait exposé à suffisance de droit les éléments pris en considération pour l’augmentation des montants de départ des amendes aux fins de dissuasion, permettant ainsi à Siemens de connaître la justification de cette augmentation en ce qui concerne le montant de départ de l’amende qui lui était infligée et de faire valoir ses droits, tout en mettant également le juge en mesure d’exercer son contrôle.

400    Dans ces circonstances, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en précisant que, au regard des principes consacrés par la jurisprudence et rappelés aux points 394 et 395 du présent arrêt, la Commission n’était pas tenue de fournir, dans la décision litigieuse, les explications chiffrées qu’elle a fournies lors de l’audience.

401    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le septième moyen de Siemens au soutien de son pourvoi, tiré d’un défaut de motivation.

402    Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que, aucun des moyens soulevés par Siemens, Mitsubishi et Toshiba ne pouvant être accueilli, leurs pourvois respectifs doivent être rejetés.

X –  Sur les dépens

403    Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Siemens, Mitsubishi et Toshiba ayant succombé en leurs moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de ces sociétés, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      Les pourvois sont rejetés.

2)      Siemens AG, Mitsubishi Electric Corp. et Toshiba Corp. sont condamnées aux dépens.

Signatures


1* Langues de procédure: l’allemand et l’anglais.

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