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Document 62011CC0420

    Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 8 novembre 2012.
    Jutta Leth contre Republik Österreich et Land Niederösterreich.
    Demande de décision préjudicielle: Oberster Gerichtshof - Autriche.
    Environnement - Directive 85/337/CEE - Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement - Autorisation d’un tel projet en l’absence d’une évaluation appropriée - Objectifs de cette évaluation - Conditions auxquelles est subordonnée l’existence d’un droit à réparation - Inclusion ou non de la protection des particuliers contre les dommages patrimoniaux.
    Affaire C-420/11.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:701

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M ME JULIANE KOKOTT

    présentées le 8 novembre 2012 ( 1 )

    Affaire C‑420/11

    Jutta Leth

    contre

    Republik Österreich

    et

    Land Niederösterreich

    [demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

    «Environnement — Directive 85/337/CEE — Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement — Autorisation d’un projet en l’absence d’une évaluation — Objectifs de l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement — Inclusion ou non de la protection des particuliers contre les dommages patrimoniaux»

    I – Introduction

    1.

    Lorsque la directive 85/337/CEE ( 2 ) impose l’évaluation des incidences d’un projet sur l’environnement mais que cette évaluation n’a pas été réalisée, le projet concerné ne peut pas être mis en œuvre ( 3 ). De la même façon – ainsi que la Cour a eu l’occasion de le constater – l’État membre est tenu de réparer tout préjudice causé par l’omission d’une évaluation des incidences sur l’environnement ( 4 ). Cette obligation va-t-elle toutefois jusqu’à inclure l’indemnisation de la dépréciation d’une maison en raison de la réalisation du projet n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation? Telle est la question qui est posée dans la présente affaire.

    2.

    Le point de départ du litige est une propriété immobilière dont la valeur est diminuée en raison de nuisances sonores résultant de la proximité d’un aéroport. Depuis l’entrée en vigueur de la directive 85/337, cet aéroport a fait l’objet de plusieurs extensions réalisées sans évaluation environnementale et le trafic aérien a augmenté de façon considérable.

    3.

    Les doutes de la juridiction de renvoi quant à la responsabilité de l’État pour les préjudices ainsi causés concernent principalement l’objectif de protection de la directive 85/337. La question est de savoir si la violation d’une directive visant à prévenir des nuisances environnementales peut aussi entraîner l’indemnisation de préjudices économiques. Le caractère normatif de la directive 85/337 présente un intérêt à cet égard: cette directive contient en effet uniquement des dispositions de procédure et non des exigences de fond concernant les projets soumis à examen.

    II – Le cadre juridique

    4.

    La directive 85/337 ne contient aucune règle relative à l’indemnisation. L’article 3 de cette directive décrit toutefois l’objet de l’évaluation environnementale de la manière suivante:

    «L’évaluation des incidences sur l’environnement identifie, décrit et évalue de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier et conformément aux articles 4 à 11, les effets directs et indirects d’un projet sur les facteurs suivants:

    l’homme, la faune et la flore,

    le sol, l’eau, l’air, le climat et le paysage,

    les biens matériels et le patrimoine culturel,

    l’interaction entre les facteurs visés aux premier, deuxième et troisième tirets.»

    5.

    L’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive 85/337 indique quelles sont les informations qui doivent être fournies par le maître d’ouvrage:

    «1.   Dans le cas des projets qui, en application de l’article 4, doivent être soumis à une évaluation des incidences sur l’environnement, [...] les États membres adoptent les mesures nécessaires pour s’assurer que le maître d’ouvrage fournit, sous une forme appropriée, les informations spécifiées à l’annexe IV, [...]

    [...]

    3.   Les informations à fournir par le maître d’ouvrage, conformément au paragraphe 1, comportent au minimum:

    [...]

    les données nécessaires pour identifier et évaluer les effets principaux que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement;

    [...]»

    6.

    L’article 6 de la directive 85/337 est consacré à la participation du public. Il convient de mettre plus particulièrement en avant son paragraphe 3, qui concerne l’information du public:

    «Les États membres veillent à ce que soient mis, dans des délais raisonnables, à la disposition du public concerné:

    a)

    toute information recueillie en vertu de l’article 5;

    b)

    conformément à la législation nationale, les principaux rapports et avis adressés à l’autorité ou aux autorités compétentes au moment où le public concerné est informé conformément au paragraphe 2 du présent article;

    c)

    conformément à la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement [...], les informations autres que celles visées au paragraphe 2 du présent article qui sont pertinentes pour la décision en vertu de l’article 8 et qui ne deviennent disponibles qu’après que le public concerné a été informé conformément au paragraphe 2 du présent article.»

    7.

    L’annexe IV, points 3 et 4, de la directive 85/337 donne des précisions concernant les informations visées à l’article 5 de cette dernière:

    «3.   Une description des éléments de l’environnement susceptibles d’être affectés de manière notable par le projet proposé, y compris notamment la population, la faune, la flore, le sol, l’eau, l’air, les facteurs climatiques, les biens matériels, y compris le patrimoine architectural et archéologique, le paysage ainsi que l’interrelation entre les facteurs précités.

    4.   Une description [...] des effets importants que le projet proposé est susceptible d’avoir sur l’environnement résultant:

    du fait de l’existence de l’ensemble du projet,

    de l’utilisation des ressources naturelles,

    de l’émission des polluants, de la création de nuisances ou de l’élimination des déchets,

    et la mention par le maître d’ouvrage des méthodes de prévisions utilisées pour évaluer les effets sur l’environnement.»

    8.

    La notion de «description» figurant à l’annexe IV, point 4, de la directive 85/337 est explicitée dans une note en bas de page qui précise que celle-ci «devrait porter sur les effets directs et, le cas échéant, sur les effets indirects secondaires, cumulatifs, à court, moyen et long terme, permanents et temporaires, positifs et négatifs du projet».

    III – Les faits et la demande de décision préjudicielle

    9.

    Mme Leth est propriétaire d’une maison située à proximité de l’aéroport de Vienne-Schwechat (Autriche). Au cours de la durée de validité de la directive 85/337, dans des versions successives, cet aéroport a subi des transformations résultant de différentes mesures d’extension, sans que les incidences de celles-ci sur l’environnement aient été soumises à évaluation en application de cette directive.

    10.

    Mme Leth réclame désormais à l’État autrichien et au Land Niederösterreich une indemnisation au titre de la dépréciation de sa propriété en raison de nuisances sonores et fait valoir, à l’appui de cette demande, que les incidences environnementales des projets d’extension auraient dû être soumises à une évaluation en application de ladite directive.

    11.

    Sans avoir lui-même examiné la nécessité d’une ou de plusieurs évaluations environnementales, l’Oberster Gerichtshof (Autriche) pose à la Cour, dans cette procédure, la question préjudicielle suivante:

    «L’article 3 de la directive 85/337[...] doit-il être interprété en ce sens que

    1)   la notion de ‘biens matériels’ ne vise que la substance de ceux-ci ou [qu’elle vise] également leur valeur?

    2)   l’évaluation des incidences sur l’environnement tend également à protéger un particulier contre la survenance d’un préjudice patrimonial causé par la dépréciation de la valeur de son bien immobilier?»

    12.

    Des observations écrites ont été déposées dans cette affaire par Mme Leth, le Land Niederösterreich, la République tchèque, l’Irlande, la République hellénique, la République italienne, la République de Lettonie, la République d’Autriche, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne. Les mêmes, à l’exception de la République italienne et de la République de Lettonie, ont également participé à l’audience du 17 octobre 2012.

    IV – Appréciation juridique

    A – Sur la première question préjudicielle, relative à la notion de «biens matériels»

    13.

    Par sa première question, l’Oberster Gerichtshof souhaite savoir si la notion de «biens matériels», figurant à l’article 3 de la directive 85/337, ne vise que la substance de ceux-ci ou si elle vise également leur valeur.

    14.

    L’article 3 de la directive 85/337 définit le contenu de l’évaluation des incidences sur l’environnement. Celle-ci identifie, décrit et évalue les effets directs et indirects d’un projet sur différents facteurs, lesquels incluent les biens matériels.

    15.

    La première question se ramène par conséquent à celle de savoir si l’évaluation des incidences sur l’environnement doit également comprendre une évaluation des incidences du projet examiné sur la valeur des biens matériels.

    16.

    La procédure au principal porte toutefois non pas sur la question du contenu de l’évaluation environnementale, mais sur celle de savoir si l’absence pure et simple d’une telle évaluation peut créer des droits à indemnisation. L’Irlande considère par conséquent que cette première question est une question hypothétique et, partant, irrecevable.

    17.

    De façon indirecte, l’interprétation de la notion de «biens matériels» est pourtant indéniablement liée à la question centrale de la procédure préjudicielle, qui est de savoir dans quelle mesure la violation de la directive 85/337 peut engendrer des droits à l’indemnisation du préjudice résultant de la dépréciation de biens matériels. Si, en effet, l’évaluation des incidences sur l’environnement inclut obligatoirement une étude du risque de dépréciation, il sera plus facile de retenir l’existence d’une telle obligation d’indemnisation que dans le cas contraire. Pour cette raison, la Cour devrait répondre à cette question.

    18.

    La Commission fait valoir à juste titre que la notion de «biens matériels» n’est pas nécessairement – comme dans le droit de différents États membres – limitée à la substance des biens respectivement concernés. Il découle des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union que les termes d’une disposition qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause ( 5 ).

    19.

    La Commission a également raison de relever qu’il y a lieu, en application de l’article 3 de la directive 85/337, d’examiner les incidences du bruit des avions sur l’utilisation des bâtiments par l’homme. Il s’agit en effet d’une interaction entre les facteurs «homme» et «biens matériels», qu’il convient de prendre en compte en vertu de cette disposition.

    20.

    Ainsi que plusieurs parties ayant présenté des observations le font toutefois à juste titre observer, une extension de l’évaluation environnementale à la valeur des biens matériels n’est pas conforme à l’objectif de la directive 85/337 et ne saurait davantage être déduite du libellé de cette dernière.

    21.

    Il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, ainsi que des premier et sixième considérants de la directive 85/337, que l’objectif de cette dernière est une évaluation des incidences de projets sur l’environnement. C’est à cela également que se rapportent les informations qui doivent être fournies en application de l’article 5 et de l’annexe IV de cette même directive. Il semble par conséquent plausible qu’il ne faille prendre en compte que les incidences sur les biens matériels qui, par leur nature, sont également susceptibles de présenter de l’importance pour l’environnement naturel. Le bruit est un bon exemple à cet égard. Lorsque des habitats naturels sont perturbés par le bruit, une évaluation environnementale s’impose ( 6 ). Il doit en aller de même lorsque le bruit concerne des biens matériels utilisés par l’homme, par exemple des maisons d’habitation ou des jardins.

    22.

    Les critères permettant d’apprécier si les projets de moindre envergure relevant de l’énumération de l’annexe II de la directive 85/337 nécessitent une évaluation environnementale plaident eux aussi en défaveur d’une extension de l’évaluation à la dépréciation de biens matériels. Ces critères sont définis à l’annexe III de ladite directive et évoquent des facteurs tels que l’utilisation des ressources naturelles, la production de déchets, la pollution et les nuisances, le risque d’accidents ou la capacité de charge de l’environnement naturel, mais non toutefois les conséquences économiques de ces incidences.

    23.

    La Commission fait néanmoins valoir, en faveur d’une extension de l’évaluation environnementale à d’autres intérêts, que la Cour a relevé à de nombreuses reprises que le champ d’application de la directive 85/337 est étendu et son objectif très large ( 7 ). Cette jurisprudence se rapporte toutefois aux incidences environnementales de projets ( 8 ). Rien n’indique qu’elle puisse être étendue aux conséquences économiques.

    24.

    Il convient par conséquent de distinguer les incidences économiques des incidences environnementales. Même si celles-là sont la conséquence de celles-ci, elles sortent de l’objectif de la directive 85/337, qui est de garantir une étude des incidences sur l’environnement.

    25.

    Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question en ce sens que l’évaluation des incidences sur l’environnement, telle que prévue à l’article 3 de la directive 85/337, n’inclut pas l’étude des incidences du projet examiné sur la valeur de biens matériels.

    B – Sur la seconde question préjudicielle, relative aux préjudices patrimoniaux et à la directive 85/337

    26.

    La seconde question nous mène au cœur du problème qui se pose dans le litige au principal. L’Oberster Gerichtshof souhaite savoir si l’article 3 de la directive 85/337 peut être interprété en ce sens que l’évaluation des incidences sur l’environnement tend également à protéger un particulier contre la survenance d’un préjudice patrimonial causé par la dépréciation de la valeur de son bien immobilier.

    27.

    À la différence de ce qui est, par exemple, prévu en matière de marchés publics par l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/665/CEE ( 9 ), la directive 85/337 ne contient aucun élément indiquant que la violation de l’obligation d’évaluer les incidences sur l’environnement serait censée créer de quelconques droits à indemnisation.

    28.

    Toutefois, le principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables est inhérent au système des traités ( 10 ). Conformément à cela, la Cour a déjà constaté dans l’arrêt Wells – sans se livrer à un examen plus approfondi dans le cas d’espèce – que l’État membre est tenu de réparer tout préjudice causé par l’omission d’une évaluation des incidences sur l’environnement ( 11 ). Cette phrase ne saurait cependant être comprise en ce sens que, dans le cas de la directive 85/337, il ne serait pas indispensable que soient par ailleurs réunies les conditions de la responsabilité des États membres pour violation du droit de l’Union.

    29.

    En vertu d’une jurisprudence constante, les particuliers lésés ont un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit de l’Union violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation de cette règle est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers ( 12 ).

    30.

    La demande de décision préjudicielle porte sur la première de ces conditions. Il convient d’éclaircir la question de savoir si l’obligation de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement, prévue dans la directive 85/337, a pour objet de conférer des droits à des particuliers se trouvant dans la situation de Mme Leth.

    31.

    Je souhaite par conséquent, tout d’abord, exposer la mesure dans laquelle les particuliers peuvent se prévaloir de la directive 85/337 (titre 1). Ensuite, je me pencherai sur l’objectif de protection de la directive 85/337 (titre 2) et, enfin, j’analyserai la pertinence que peut présenter, au regard de la finalité de la norme violée, le fait que la directive 85/337 n’envisage l’autorisation de projets que sous l’angle de la procédure, à l’exclusion des conditions de fond (titre 3).

    1. La possibilité de se prévaloir de la directive 85/337

    32.

    Une condition fondamentale pour qu’une norme ait pour objet de conférer des droits aux personnes lésées est que les particuliers puissent se prévaloir de la norme en question.

    33.

    À cet égard, il est établi qu’un particulier peut se prévaloir de l’obligation de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement, prévue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 85/337, lu en combinaison avec ses articles 1er, paragraphe 2, et 4 ( 13 ). La directive 85/337 confère ainsi aux membres du public concerné un droit à ce que les services compétents évaluent les incidences sur l’environnement du projet respectivement concerné et le consultent à ce propos.

    34.

    En cela, la directive 85/337 se distingue des dispositions relatives à la surveillance bancaire qui, selon l’arrêt Paul e.a. ( 14 ), cité par certaines parties intervenantes, ne peuvent pas créer de droits à indemnisation en faveur des clients d’une banque en défaut de paiement. Les particuliers ne peuvent pas se prévaloir des dispositions examinées dans cet arrêt, contrairement à ce qui est le cas dans le cadre de la directive 85/337. En outre, il existait dans cette affaire une réglementation spéciale destinée à protéger les intérêts patrimoniaux des clients des banques, à savoir la garantie des dépôts ( 15 ). La directive 85/337 ne contient aucune disposition comparable.

    2. L’objectif de protection de la directive 85/337

    35.

    Les États membres ayant présenté des observations ainsi que le Land Niederösterreich défendent toutefois la thèse selon laquelle il convient de faire une distinction entre, d’une part, la possibilité de se prévaloir de dispositions du droit de l’Union et, d’autre part, les droits au sens de la jurisprudence relative à la responsabilité pour violation du droit de l’Union. Ainsi que le sous-entend déjà la question de l’Oberster Gerichtshof, ils considèrent que l’important est de savoir si la directive 85/337 a vocation à conférer aux particuliers un droit à une protection face à des préjudices économiques. Et ils doutent que tel soit le cas.

    36.

    La réponse à la première question proposée ci-dessus semble à première vue plutôt exclure que l’objectif de protection de la directive 85/337 inclue une protection face à des préjudices économiques. L’étude des incidences sur l’environnement vise naturellement avant tout à limiter les dommages pour l’environnement. Toutefois, cela n’interdit pas d’inclure certains préjudices économiques dans l’objectif de protection de ladite directive. En effet, ces préjudices ne sont qu’une autre manifestation de certains aspects des incidences sur l’environnement.

    37.

    Ainsi convient-il, lors de l’extension de capacités aéroportuaires, d’étudier les nuisances sonores en application des articles 3 et 5, paragraphe 1, ainsi que de l’annexe IV, points 3 et 4, de la directive 85/337, pour la raison que celles-ci ont des effets sur l’homme, à savoir sur la population concernée. Nul ne doute en effet que des effets analogues sur l’environnement naturel devraient être pris en compte: en cas de nuisances sonores qui auraient pour effet de rendre un habitat moins attirant pour une espèce et de diminuer, par conséquent, l’usage que celle-ci peut en faire, la réalisation d’une étude s’imposerait ( 16 ).

    38.

    Or, dans le cas où le bruit des avions fait baisser la valeur de biens immobiliers, nous sommes en présence d’un effet économique qui a sa source dans le fait que la propriété immobilière en question est devenue moins attrayante pour l’homme. Il convient de distinguer ce type de dommages de ceux qui ne proviennent pas des incidences du projet sur l’environnement, tels que certains désavantages concurrentiels. Ceux-ci n’ont plus de rapport avec l’objectif de protection de la directive 85/337.

    39.

    L’idée qu’une violation de la directive 85/337 puisse ouvrir des droits à réparation est, par ailleurs, dans la ligne de l’interprétation extensive dont cette directive a fait l’objet en ce qui concerne ses effets juridiques. Ainsi, dans le cadre de recours dénonçant l’irrégularité ou l’omission d’évaluations environnementales, les juridictions nationales doivent adopter, dans les limites de l’autonomie procédurale, les mesures, prévues par leur droit national, propres à empêcher qu’un projet puisse être mis en œuvre en l’absence d’une évaluation environnementale requise par la directive ( 17 ). De même convient-il, dans le cadre d’un processus d’autorisation qui ne prévoit en principe pas d’évaluation environnementale, d’effectuer a posteriori toute évaluation qui aurait été omise lors de procédures antérieures concourant à l’autorisation du projet global ( 18 ). L’ouverture d’un droit à réparation en cas de violation de la directive 85/337 renforcerait également encore davantage le caractère opérationnel de cette dernière ( 19 ). La phrase de l’arrêt Wells ( 20 ) selon laquelle l’omission d’une évaluation des incidences sur l’environnement engage la responsabilité de l’État est à ranger dans ce contexte.

    40.

    La prévention de dommages économiques résultant du bruit des avions est donc couverte par l’objectif de protection de la directive 85/337.

    3. Qualité requise quant à l’objet de la norme violée

    41.

    Il se pose toutefois la question de savoir si l’objet de la norme violée doit remplir une condition qualitative supplémentaire pour pouvoir constituer le fondement de droits à réparation.

    42.

    Il est vrai – ainsi que le souligne la Commission – que l’article 3 de la directive 85/337 exige l’«évaluation» d’incidences sur l’environnement et, en vertu de l’article 8 de cette même directive, les résultats de cette évaluation doivent être pris en compte lors de la procédure d’autorisation. Il convient cependant de faire observer que ladite directive n’énonce pas de règles relatives au contenu même des projets pouvant être réalisés. En particulier, contrairement à ce que pense la Commission, l’exigence d’une évaluation des incidences sur l’environnement ne saurait être assimilée à une obligation de mise en balance des incidences sur l’environnement avec d’autres facteurs. Par conséquent, la directive 85/337 ne s’oppose pas à la mise en œuvre d’un projet, même dans le cas où l’évaluation des incidences sur l’environnement conclut à la présence d’incidences négatives importantes sur l’environnement.

    43.

    Ce caractère procédural de la directive 85/337 pourrait faire obstacle à des actions en responsabilité de l’État. Des indices en ce sens résultent de la jurisprudence relative à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union. Celle-ci suppose également la violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ( 21 ).

    44.

    Dans ce contexte, la Cour a déjà constaté qu’une éventuelle insuffisance de motivation d’un acte réglementaire n’était pas de nature à engager la responsabilité de l’Union. En effet, dans la perspective du système des voies de recours, la motivation des actes institutionnels a pour but de permettre à la Cour d’exercer son contrôle de légalité dans le cadre de l’article 263 TFUE en faveur des justiciables auxquels ce recours est ouvert par le traité ( 22 ). L’obligation de motivation a donc avant tout une fonction auxiliaire dans la mesure où elle permet de faire respecter d’autres règles de droit dont la violation est quant à elle susceptible de faire naître des droits à réparation.

    45.

    De même, le système de répartition des compétences entre les différentes institutions de l’Union a pour but d’assurer le respect de l’équilibre institutionnel prévu par le traité et non pas la protection des particuliers. Par conséquent, le non-respect de l’équilibre institutionnel ne saurait, à lui seul, suffire à engager la responsabilité de l’Union envers les opérateurs économiques concernés ( 23 ). Les particuliers peuvent néanmoins contester la validité d’un acte de l’Union en invoquant l’incompétence de l’institution qui en est l’auteur ( 24 ).

    46.

    Ces cas ont ceci de commun que la violation de la norme juridique respectivement concernée ne peut pas être la cause du préjudice litigieux. En effet, l’acte initial peut être de nouveau adopté, cette fois avec une motivation suffisante ou par les institutions compétentes. En soi, l’hypothèse que les autorités compétentes, sans cette irrégularité, eussent peut-être pris une décision différente à l’issue de l’exercice d’un éventuel pouvoir d’appréciation ne suffit pas à créer un droit à réparation. En effet, il n’existe pas de droit à ce que le pouvoir d’appréciation soit exercé de telle ou telle manière ( 25 ). Ainsi, un droit inconditionnel à une prévention des préjudices ne peut être déduit ni de l’obligation de motivation ni de l’équilibre institutionnel.

    47.

    Certes, il s’agit là d’éléments qui interviendraient probablement également dans le cadre de la causalité. Il semble toutefois que la Cour y voie également des caractéristiques intrinsèques des normes concernées. En somme, c’est leur nature même qui fait qu’elles ne sont pas susceptibles de créer des droits à réparation.

    48.

    Dans le même ordre d’idée, la directive 85/337 ne crée pas de droit à être préservé de certaines incidences sur l’environnement, telles qu’un accroissement du bruit des avions. En soi, la circonstance que des incidences environnementales ont été permises en violation de la directive 85/337 ne crée pas d’obligation de réparer les préjudices générés par ces incidences.

    49.

    La directive 85/337 octroie toutefois au public concerné un droit à ce que les incidences sur l’environnement du projet en cause soient étudiées et à être lui-même consulté au sujet de ces incidences.

    50.

    La participation du public est avant tout censée permettre l’identification en temps utile des incidences sur l’environnement, mais elle a également pour fonction d’alerter le public concerné. Conformément à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 85/337, la participation du public inclut en effet également une information sur les incidences du projet sur l’environnement. Les autorités ou services compétents doivent mettre à disposition toutes les informations que le maître d’ouvrage doit fournir en application de l’article 5 de cette directive, ainsi que toutes autres informations utiles en leur possession.

    51.

    L’évaluation environnementale permet donc aux particuliers, qu’ils s’expriment ou non sur le projet, de s’informer directement ou par le biais des médias sur les incidences de celui-ci sur l’environnement. Ils peuvent par conséquent s’adapter en prévenant, par exemple, d’éventuels dommages. Dans la directive 85/337, cette fonction de l’évaluation environnementale transparaît en particulier dans la disposition de l’article 9 qui prévoit que le public concerné est informé de la décision qui clôt la procédure d’autorisation et de ses principaux motifs.

    52.

    Une violation de la directive 85/337 qui porte atteinte à cette fonction d’alerte doit en principe pouvoir créer des droits à réparation.

    53.

    Imaginons, par exemple, une évaluation environnementale qui conclut erronément que le projet ne rejettera pas telle ou telle substance toxique dans l’environnement. La responsabilité de l’État pourrait être mise en cause dès lors que les membres du public concerné, s’étant par conséquent abstenus de prendre des mesures de précaution, subiraient ultérieurement un préjudice provenant justement des émissions dont la présence avait été erronément exclue. Il devrait en aller de même en cas d’omission pure et simple d’une évaluation environnementale pourtant nécessaire, qui aurait informé le public de l’existence de tels risques. Dans ce type de cas, les erreurs commises lors de l’application de la directive 85/337 présentent le lien de causalité requis avec le dommage ultérieurement survenu.

    54.

    Dans le cas d’un accroissement du bruit des avions, il est concevable que les gens ayant été suffisamment avertis renoncent à s’établir dans les secteurs concernés ou veillent du moins à équiper les nouvelles constructions d’une protection antibruit. Dans l’hypothèse où ils n’auraient toutefois pas été avertis, faute d’une évaluation environnementale pourtant requise, il n’est pas à exclure qu’ils puissent prétendre à réparation.

    55.

    La demande de décision préjudicielle ne permet pas de savoir si les préjudices litigieux dans l’affaire au principal reposent ou non sur une éventuelle atteinte à la fonction d’alerte de l’évaluation environnementale. Cependant, c’est aux juridictions nationales qu’il incombe, en dernière analyse, d’éclaircir les faits à cet égard.

    56.

    Il convient par conséquent de répondre à la seconde question en ce sens que, en soi, la circonstance que des incidences environnementales ont été permises en violation de la directive 85/337 ne crée pas d’obligation de réparer les préjudices générés par ces incidences. En effet, l’existence de droits à réparation suppose en outre que le public concerné n’ait pas été suffisamment informé des incidences environnementales à attendre en raison d’erreurs commises lors de l’application de la directive 85/337.

    V – Conclusion

    57.

    La directive 85/337 n’impose pas d’examiner les conséquences économiques d’incidences environnementales. Les conséquences économiques d’erreurs commises lors de l’application de la directive 85/337 peuvent néanmoins faire naître des droits à réparation.

    58.

    Je propose par conséquent à la Cour de répondre de la manière suivante à la demande de décision préjudicielle de l’Oberster Gerichtshof:

    1)

    L’évaluation des incidences sur l’environnement, telle que prévue à l’article 3 de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, n’inclut pas l’étude des incidences du projet examiné sur la valeur de biens matériels.

    2)

    En soi, la circonstance que des incidences environnementales ont été permises en violation de la directive 85/337, telle que modifiée par la directive 2003/35, ne crée pas d’obligation de réparer les préjudices générés par ces incidences. En effet, l’existence de droits à réparation suppose en outre que le public concerné n’ait pas été suffisamment informé des incidences environnementales à attendre en raison d’erreurs commises lors de l’application de la directive 85/337, telle que modifiée par la directive 2003/35.


    ( 1 )   Langue originale: l’allemand.

    ( 2 )   Directive du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO L 175, p. 40), telle que modifiée par la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003 (JO L 156, p. 17). Ladite directive a été codifiée et remplacée par la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1).

    ( 3 )   Voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, points 46 et 47).

    ( 4 )   Arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C-201/02, Rec. p. I-723, point 66).

    ( 5 )   Arrêt du 19 septembre 2000, Linster (C-287/98, Rec. p. I-6917, point 43).

    ( 6 )   Voir arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne (C-404/09, Rec. p. I-11853, points 84 et suiv.).

    ( 7 )   Arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C-72/95, Rec. p. I-5403, point 31); du 16 septembre 1999, WWF e.a. (C-435/97, Rec. p. I-5613, point 40), ainsi que du 28 février 2008, Abraham e.a. (C-2/07, Rec. p. I-1197, points 32 et 42).

    ( 8 )   Arrêt Abraham e.a. (précité à la note 7, point 43).

    ( 9 )   Directive du Conseil du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992 (JO L 209, p. 1). Voir, sur cette question, arrêt du 9 décembre 2010, Combinatie Spijker Infrabouw-De Jonge Konstruktie e.a. (C-568/08, Rec. p. I-12655, point 87).

    ( 10 )   Arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357, point 35); du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, point 31), ainsi que du 25 novembre 2010, Fuß (C-429/09, Rec. p. I-12167, point 45).

    ( 11 )   Précité à la note 4, point 66.

    ( 12 )   Arrêts du 17 avril 2007, AGM-COS.MET (C-470/03, Rec. p. I-2749, point 78); Fuß (précité à la note 10, point 47); Combinatie Spijker Infrabouw-De Jonge Konstruktie e.a. (précité à la note 9, point 87), ainsi que du 20 octobre 2011, Danfoss et Sauer-Danfoss (C-94/10, Rec. p. I-9963, point 33).

    ( 13 )   Arrêt Wells (précité à la note 4, point 61). Voir également, en ce sens, arrêts WWF e.a. (précité à la note 7, points 70 et suiv.), ainsi que Linster (précité à la note 5, points 33 et suiv.).

    ( 14 )   Arrêt du 12 octobre 2004 (C-222/02, Rec. p. I-9425, points 30, 42 et suiv.), ainsi que points 124, 126 et 129 des conclusions de l’avocat général Stix-Hackl présentées dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

    ( 15 )   Arrêt Paul e.a. (précité à la note 14, point 27).

    ( 16 )   Voir arrêt Commission/Espagne (précité à la note 6).

    ( 17 )   Voir, en ce sens, arrêt Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (précité à la note 3).

    ( 18 )   Arrêt du 17 mars 2011, Brussels Hoofdstedelijk Gewest e.a. (C-275/09, Rec. p. I-1753, point 37).

    ( 19 )   Arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C-453/99, Rec. p. I-6297, points 25 à 27), ainsi que du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C-295/04 à C-298/04, Rec. p. I-6619, point 60), portant sur des droits à réparation fondés sur la violation du droit des ententes.

    ( 20 )   Précité à la note 4.

    ( 21 )   Arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (C-352/98 P, Rec. p. I-5291, point 41); du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission (C-120/06 P et C-121/06 P, Rec. p. I-6513, point 173), ainsi que du 19 avril 2012, Artegodan/Commission (C‑221/10 P, point 80).

    ( 22 )   Arrêts du 15 septembre 1982, Kind/CEE (106/81, Rec. p. 2885, point 14), ainsi que du 6 juin 1990, AERPO e.a./Commission (C-119/88, Rec. p. I-2189, point 20).

    ( 23 )   Arrêts du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission (C-282/90, Rec. p. I-1937, points 20 et suiv.), ainsi que Artegodan/Commission (précité à la note 21, point 81).

    ( 24 )   Arrêt du 24 juillet 2003, Commission/Artegodan e.a. (C-39/03 P, Rec. p. I-7885, point 52).

    ( 25 )   Voir en ce sens, sur la question de la confiance légitime, arrêts du 15 juillet 2004, Di Lenardo et Dilexport (C-37/02 et C-38/02, Rec. p. I-6911, point 70); du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C-182/03 et C-217/03, Rec. p. I-5479, point 147); du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission (C-443/07 P, Rec. p. I-10945, point 91), ainsi que du 4 mars 2010, Angé Serrano e.a./Parlement (C-496/08 P, Rec. p. I-1793, point 93).

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