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Document 62010CC0615

Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 19 janvier 2012.
Insinööritoimisto InsTiimi Oy.
Demande de décision préjudicielle: Korkein hallinto-oikeus - Finlande.
Directive 2004/18/CE - Marchés publics dans le domaine de la défense - Article 10 - Article 296, paragraphe 1, sous b), CE - Protection des intérêts essentiels de la sécurité d’un État membre - Commerce d’armes, de munitions et de matériels de guerre - Produit acquis par un pouvoir adjudicateur à des fins spécifiquement militaires - Existence, en ce qui concerne ce produit, d’une possibilité d’application civile largement similaire - Plateforme tournante (‘tiltable turntable’) destinée à la réalisation de mesures électromagnétiques - Absence de mise en concurrence conformément aux procédures prévues par la directive 2004/18.
Affaire C-615/10.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:26

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 janvier 2012 ( 1 )

Affaire C-615/10

Insinööritoimisto InsTiimi Oy

contre

Puolustusvoimat

[demande de décision préjudicielleformée par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande)]

«Marchés publics de fournitures — Article 10 de la directive 2004/18/CE — Article 296 CE — Préservation des intérêts de sécurité essentiels d’un État membre — Commerce de matériel militaire — Biens acquis par un pouvoir adjudicateur à des fins spécifiquement militaires, pour lesquels il existe cependant une possibilité d’application civile largement similaire — Système de plateforme tournante destiné à effectuer des mesures électromagnétiques»

I – Introduction

1.

Les conditions dans lesquelles les États membres sont autorisés à déroger aux règles du droit de l’Union pour les besoins de leur défense et de leurs forces armées continuent de donner matière à des contentieux ( 2 ).

2.

En l’occurrence, la Cour est invitée à indiquer à quelles conditions les forces armées d’un État membre ont le droit de se procurer des biens destinés à un usage militaire en dérogation aux règles du droit européen des marchés publics de fournitures.

3.

Les forces de défense finlandaises ont lancé en 2008 un appel d’offres relatif à la fourniture d’un système de plateforme tournante ( 3 ) destiné à effectuer des mesures électromagnétiques qui, dans le cadre de la «guerre électronique», doit servir à la simulation de situations de combat et à l’exercice y afférent. À cette occasion, la procédure de marché prescrite par la directive 2004/18/CE ( 4 ) n’a pas été totalement respectée.

4.

Une juridiction finlandaise soulève ici la question de l’interprétation de la réglementation dérogatoire applicable aux marchés publics du secteur de la défense qui résulte des dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE (devenu article 346 TFUE). La Cour devra, en partant de sa décision dans l’affaire Agusta ( 5 ), indiquer notamment si les marchandises peuvent être considérées comme «destinées à des fins spécifiquement militaires», lorsque, à côté de leur usage militaire, il existe aussi une possibilité d’application civile largement similaire.

5.

À la différence des hélicoptères de l’affaire Agusta, le pouvoir adjudicateur a acquis le système de plateforme tournante à des fins purement militaires. Il ne s’agit donc pas d’un «bien à double usage» au sens strict. Il est cependant tout à fait envisageable, selon les constatations de la décision de renvoi, que des organismes ou des entreprises privés aient, eux aussi, l’usage d’une telle plateforme.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

6.

Le cadre juridique de la présente affaire est fourni par les dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE.

7.

Sous le titre «Marchés dans le domaine de la défense», l’article 10 de la directive 2004/18, dans sa version initiale ( 6 ), indique ce qui suit quant au champ d’application des règles des marchés publics:

«La présente directive s’applique aux marchés publics passés par des pouvoirs adjudicateurs dans le domaine de la défense, sous réserve de l’article 296 du traité.»

8.

L’article 296 CE (ancien article 223 CEE) se lisait ainsi jusqu’à ce qu’il fût remplacé par l’article 346 TFUE à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ( 7 ):

«1.   Les dispositions du présent traité ne font pas obstacle aux règles ci-après:

[…]

b)

tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires.

2.   Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut apporter des modifications à la liste, qu’il a fixée le 15 avril 1958, des produits auxquels les dispositions du paragraphe 1, point b), s’appliquent.»

9.

La décision no 255/58 du Conseil, du 15 avril 1958, établissant la liste visée à l’article 296, paragraphe 2, CE se lit ainsi (extrait) ( 8 ):

«Les dispositions de l’article [296], paragraphe 1, sous b), du traité [CE] s’appliquent aux armes, munitions et matériel de guerre énumérés ci-dessous, y compris les armes conçues pour utiliser l’énergie nucléaire:

[…]

5.   Matériel de conduite du tir à usage militaire:

[…]

a)

calculateurs de tir et appareils de pointage en infrarouges et autre matériel de pointage de nuit;

b)

télémètres, indicateurs de position, altimètres;

c)

dispositifs d’observation électroniques, gyroscopiques, optiques et acoustiques;

d)

viseurs de bombardement et hausses de canons, périscopes pour les articles repris dans la présente liste.

[…]

11.   Matériel électronique pour l’usage militaire.

[…]

14.   Parties et pièces spécialisées du matériel repris dans la présente liste pour autant qu’elles ont un caractère militaire.

15.   Machines, équipement et outillage exclusivement conçus pour l’étude, la fabrication, l’essai et le contrôle des armes, munitions et engins à usage uniquement militaire repris dans la présente liste.»

10.

Il convient, à titre complémentaire, d’attirer l’attention sur le point 10 des considérants de la directive 2009/81, selon lequel «[p]ar ‘équipements militaires’, au sens de la présente directive, il faudrait entendre notamment les types de produits visés par la liste d’armes, de munitions et de matériel de guerre adoptée par la décision no 255/58 du Conseil du 15 avril 1958 […], et les États membres peuvent se limiter à utiliser cette seule liste pour la transposition de la présente directive. Cette liste ne comprend que les équipements qui sont conçus, développés et produits à des fins spécifiquement militaires. Néanmoins, la liste est générique et est à interpréter au sens large à la lumière du caractère évolutif des technologies, des politiques d’acquisition et des besoins militaires conduisant au développement de nouveaux types d’équipements, par exemple sur la base de la Liste commune des équipements militaires de l’Union. Au sens de la présente directive, le terme ‘équipement militaire’ devrait couvrir également les produits qui, bien qu’initialement conçus pour une utilisation civile, ont ensuite été adaptés à des fins militaires pour pouvoir être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre.»

B – Le droit national

11.

La directive 2004/18 a été transposée en Finlande par la loi no 348/2007 sur les marchés publics ( 9 ), dont le champ d’application est ainsi délimité à l’article 7, paragraphe 1:

«La présente loi ne s’applique pas aux marchés:

1)

qui doivent être tenus secrets ou dont la réalisation exige des mesures de protection spéciales prévues par la loi, ou si les intérêts essentiels de la sécurité de l’État l’imposent;

2)

qui portent sur du matériel destiné à des fins essentiellement militaires.»

12.

De plus, il ressort d’une instruction administrative du 28 mai 2008 édictée par le ministère de la Défense que, dans les marchés publics portant sur l’acquisition d’équipements destinés à la défense, il convient, jusqu’à nouvel ordre, de suivre, entre autres, l’arrêté no 76/1995 du ministère de la Défense, du 17 mars 1995.

13.

À l’article 1er dudit arrêté no 76/1995 est défini ce qu’il convient d’entendre par «bien ou service destiné à des fins essentiellement militaires, auquel la loi sur les marchés publics ne s’applique pas». Il s’agit essentiellement de l’«équipement spécial destiné à une activité militaire, à la formation ou à des exercices de simulations de situations militaires et [des] composants, accessoires et appareils conçus spécialement à ces fins», ainsi qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 1er et de la lettre M de l’annexe de l’arrêté no 76/1995.

III – Les faits et la procédure au principal

14.

En 2008, l’office d’études techniques des forces de défense finlandaises ( 10 ) a lancé un appel d’offres portant sur un système de plateforme tournante destiné à effectuer des mesures électromagnétiques, d’un montant de 1650000 euros. Le 5 février 2008, elle a invité quatre opérateurs, dont le bureau d’ingénierie Insinööritoimisto InsTiimi Oy (ci-après «InsTiimi»), à lui soumettre des propositions en ce sens.

15.

L’adjudication du marché s’est faite selon une «procédure négociée» qui, selon les informations contenues dans la demande de décision préjudicielle, s’écarte de la procédure de marché visée dans la directive 2004/18. Considérant que la procédure aurait dû se dérouler conformément aux prescriptions de la directive 2004/18, InsTiimi a porté l’affaire devant les tribunaux finlandais. La procédure intéresse également les forces de défense finlandaises, représentées par l’État major général ( 11 ).

16.

InsTiimi n’a pas eu gain de cause devant la juridiction de première instance, à savoir le markkinaoikeus ( 12 ). Cette juridiction a estimé qu’il était établi que la plateforme tournante en cause dans l’affaire au principal était destinée à des fins essentiellement militaires et que le pouvoir adjudicateur entendait l’utiliser exclusivement à de telles fins. Partant, le markkinaoikeus est parvenu à la conclusion que le marché en cause relevait de la disposition dérogatoire de l’article 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la loi no 348/2007 sur les marchés publics.

17.

InsTiimi ayant fait appel, l’affaire est désormais au stade du pourvoi devant la juridiction de renvoi, à savoir le Korkein hallinto-oikeus ( 13 ).

18.

InsTiimi a fait valoir devant cette juridiction que la plateforme tournante était reconnue comme une innovation technique dans l’industrie civile et qu’elle n’était pas perçue comme un matériel militaire. La réalisation technique du marché en cause dans l’affaire au principal reposait sur une combinaison de matériaux, de composants et de systèmes qui étaient librement disponibles, la conception y relative étant constituée uniquement par le choix et la réunion d’éléments structurels en vue de répondre aux exigences de l’appel d’offres.

19.

Les forces de défense ont fait valoir en réponse devant le Korkein hallinto-oikeus que la plateforme tournante avait été acquise à des fins spécifiquement militaires et qu’elle était destinée en particulier à simuler des situations de combat. La plateforme permettait la simulation de contre-mesures contre la reconnaissance aérienne sous différents angles et de l’acquisition de cible, ainsi que l’entraînement y afférent. Le capteur qui reproduisait la menace ne pouvait, selon elles, être placé que dans l’angle correspondant à la menace alors que l’objectif, par exemple un blindé à positionner sur la plateforme, était incliné à l’aide de celle-ci dans le bon angle.

20.

La plateforme tournante, selon l’argumentation présentée par les forces armées, constitue la composante essentielle d’un dispositif à installer sur terrain ouvert en vue de mesures, de simulations et d’exercices de guerre électronique et est donc conçue en vue de la recherche sur des armes à des fins militaires. La plateforme tournante serait un produit au sens de la lettre M de l’annexe de l’arrêté no 76/1995.

IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

21.

Par une ordonnance du 13 décembre 2010, le Korkein hallinto-oikeus a suspendu la procédure et saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle portant sur la question suivante:

«La directive 2004/18/CE s’applique-t-elle, compte tenu de l’article 10 de cette directive, de l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE et de la liste des armes, munitions et matériel de guerre adoptée par une décision du Conseil du 15 avril 1958 à un marché qui relève, par ailleurs, du champ d’application de la directive, dès lors que, selon le pouvoir adjudicateur, le matériel qui fait l’objet de ce marché est destiné à des fins spécifiquement militaires mais qu’il existe aussi des applications techniques essentiellement similaires sur le marché civil?»

22.

Outre les deux parties à la procédure au principal — InsTiimi et les forces de défense finlandaises —, les gouvernements finlandais, tchèque et portugais ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites. Les mêmes parties, à l’exception des gouvernements tchèque et portugais, ont aussi participé à l’audience du 12 décembre 2011.

V – Appréciation

23.

La pierre angulaire de la réponse à la présente demande de décision préjudicielle est l’interprétation de l’article 296 CE auquel l’article 10 de la directive 2004/18 fait référence.

24.

Le premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE autorise tout État membre à prendre unilatéralement ( 14 ) les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre. La directive 2004/18 y renvoie, à son article 10, afin de définir son propre champ d’application.

25.

Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, et que l’a reconnu le gouvernement finlandais, le premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE subordonne la prise de mesures nationales unilatérales à deux conditions cumulatives:

premièrement, il faut qu’il s’agisse de la production ou du commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre;

deuxièmement, il faut que les mesures qui doivent être prises apparaissent nécessaires à la protection des intérêts essentiels de la sécurité de l’État membre concerné.

26.

Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi met l’accent spécialement sur la première de ces deux conditions: elle s’intéresse uniquement à la notion de matériel destiné à des fins spécifiquement militaires. Il n’est cependant pas possible de se désintéresser totalement de la seconde condition, que ce soit lors de l’appréciation de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle (voir ci-après sous-titre A) ou de l’examen de la question posée sur le fond (voir ci-après sous-titre B). C’est pourquoi, j’examinerai également, pour autant que ce sera nécessaire, cette seconde condition, ainsi du reste que l’ont fait plusieurs des participants à la procédure, y compris lors de l’audience.

A – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

27.

La circonstance que la juridiction de renvoi ne se soit attachée dans sa demande de décision préjudicielle qu’au premier des critères visés à l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE — la notion de matériel destiné à des fins spécifiquement militaires n’est pas, en soi, de nature à mettre en cause la recevabilité de ladite demande.

28.

Certes, la question préjudicielle soumise à la Cour devrait être considérée comme hypothétique s’il apparaissait que, dans le cas d’espèce, le second critère cumulatif de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE ne serait de toute façon pas rempli en ce sens que la dérogation aux règles des marchés publics fixées par la directive 2004/18 ne pourrait pas être justifiée par les intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande. Cependant, la procédure devant la Cour n’a pas révélé d’indices suffisants en ce sens.

29.

La décision de renvoi n’indique pas de manière définitive si, en l’occurrence, le pouvoir adjudicateur a invoqué ou non le second critère, à savoir la protection des intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande. Elle constate seulement que les forces de défense n’ont pas précisé, de la manière préconisée par la Commission ( 15 ), quels intérêts essentiels pour la sécurité étaient concernés par l’acquisition du système de plateforme tournante et pourquoi la non-application de la directive 2004/18 était nécessaire dans ce cas. Le gouvernement finlandais et l’État major général des forces de défense font valoir cependant que de tels intérêts de sécurité avaient été invoqués lors de la procédure nationale.

30.

Par ailleurs, la juridiction de renvoi souligne que le recours d’InsTiimi devrait être rejeté comme irrecevable si le marché public ne relevait pas du champ d’application de la directive 2004/18 et de la loi no 348/2007 sur les marchés publics. Il est indispensable, pour se prononcer sur ce point, d’obtenir des éclaircissements, y compris sur le premier critère — la notion de matériel destiné à des fins spécifiquement militaires.

31.

Dans ces conditions, l’on ne saurait tenir pour avéré que la question posée manque manifestement de pertinence ( 16 ). Selon une jurisprudence constante, il convient plutôt de partir toujours de la présomption que la question est pertinente ( 17 ).

32.

Il n’y a donc pas de raison de ne pas répondre à la demande de décision préjudicielle.

B – Appréciation de la question sur le fond

33.

En posant sa question, la juridiction de renvoi aimerait savoir, en substance, si les dispositions de la directive 2004/18 peuvent être écartées lors de la passation d’un marché public dans le domaine de la défense, lorsque l’objet du marché doit, certes, être utilisé à des fins spécifiquement militaires, mais qu’il présente aussi des possibilités d’applications civiles essentiellement similaires.

34.

Cette question est sous-tendue par la considération que les systèmes de plateformes tournantes tels que celui en cause dans l’affaire au principal ont des possibilités d’applications qui, selon les déclarations d’InsTiimi, laquelle n’a pas été contredite sur ce point, ne sont pas militaires au premier chef mais sont surtout civiles.

35.

Les points de vue des participants à la procédure divergent largement. Alors qu’InsTiimi et la Commission considèrent que les prescriptions de la directive 2004/18 auraient dû être respectées dans le cas d’espèce, les forces de défense finlandaises et tous les gouvernements qui se sont exprimés partent du principe qu’il était justifié, en vertu de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE, de déroger à cette directive.

36.

En principe, les règles du droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics s’appliquent aussi dans le domaine de la défense. Cela ressortait déjà, à l’époque de l’attribution du marché litigieux, de l’article 10 de la directive 2004/18. Pour la période postérieure au 21 août 2011, le même principe a été réitéré par la directive 2009/81 ( 18 ). L’application des règles du droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics renforce la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services au sein de l’Union et contribue à la réalisation du marché intérieur ( 19 ).

37.

Dans le même temps, le droit de l’Union reconnaît pourtant l’intérêt légitime des États membres à protéger les intérêts essentiels de leur sécurité, ce qui s’exprime notamment à l’article 296 CE. L’article 10 de la directive 2004/18, qui renvoie spécialement à cette disposition, est une manifestation de la tension qui peut se produire, lors de l’adjudication de marchés publics, entre le principe du marché intérieur et les intérêts de la sécurité nationale.

38.

Il ressort des dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE qu’un État membre a le droit de déroger aux prescriptions du droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics lorsque, d’une part, le commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre est concerné (premier critère) et, que d’autre part, une dérogation aux règles d’adjudication des marchés publics apparaît nécessaire afin de préserver les intérêts essentiels de sa sécurité (second critère).

39.

Eu égard à l’importance primordiale des libertés fondamentales et du principe du marché intérieur dans le système des traités ( 20 ), ces critères doivent être interprétés strictement, conformément à la jurisprudence relative à l’article 296 CE ( 21 ).

1. Premier critère: la notion de matériel militaire

40.

Le premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE s’applique aux armes, aux munitions et au matériel de guerre — en bref, au matériel militaire. Le Conseil a fixé dans la liste de 1958 les catégories de produits concernés.

41.

Je partage le point de vue du Tribunal de l’Union européenne (à l’époque: le Tribunal de première instance des Communautés européennes) ( 22 ), selon lequel le champ d’application matériel de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE est déterminé de manière exhaustive par la liste de 1958, à laquelle l’article 296, paragraphe 2, CE renvoie expressément ( 23 ). Le Tribunal a attiré à juste titre l’attention sur le fait que la disposition dérogatoire de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE ne doit pas s’appliquer à des activités relatives à des matériels qui ne sont pas des matériels militaires désignés dans la liste de 1958 ( 24 ).

42.

Une dérogation aux procédures de marché prescrites par la directive 2004/18 sur le fondement de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE suppose donc avant tout qu’un matériel tel que le système de plateforme tournante litigieux ne puisse du tout être rangé dans l’une des catégories d’objets recensées dans la liste de 1958. La juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour constater et apprécier les faits, devra vérifier et apprécier précisément ce point.

43.

Étant donné que, selon les informations fournies par les forces de défense finlandaises, ledit système de plateforme tournante est censé permettre l’exécution de mesures électromagnétiques et la simulation de situations de combat, incluant l’exercice d’acquisition de cible, il pourrait s’agir d’une composante d’un équipement destiné à l’essai et au contrôle des armes (point 15, combiné aux points 11 et 14 de la liste de 1958). En théorie, la plateforme pourrait également être considérée comme une partie d’un indicateur de position ou d’un dispositif d’observation [point 5, sous b) et c), combiné au point 14 de la liste de 1958] ( 25 ).

44.

Toutefois, la seule circonstance que, le cas échéant, la plateforme tournante puisse être rangée dans l’une ou l’autre des catégories d’objets de la liste de 1958 ne justifie pas en soi qu’il soit dérogé aux dispositions du droit de l’Union en matière d’attribution des marchés publics. En effet, la présence d’un certain objet dans la liste de 1958 est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour invoquer les dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et du premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE.

45.

L’application du premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE suppose en outre que l’objet en question soit destiné à des fins spécifiquement militaires ( 26 ). Cela ressort a contrario du second membre de phrase de cette disposition, où il est question de «produits non destinés à des fins militaires». On trouve également dans la liste de 1958 différentes expressions dont il ressort que la simple possibilité de classer un matériel au sens de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE dans une certaine catégorie de produits ne suffit pas. Il faut en plus qu’il soit destiné à des fins spécifiquement militaires ( 27 ). Ce point a été également confirmé récemment par le législateur de l’Union ( 28 ).

46.

Il ne suffit pas, pour déduire qu’une marchandise est destinée à des fins militaires, que l’acquéreur soit les forces armées d’un État membre ou une autre administration publique pour le compte des forces armées. Sinon, un simple crayon pourrait devenir un matériel militaire du seul fait qu’il est acquis par les forces armées. Ce serait contraire à l’exigence d’une interprétation stricte de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE et irait à l’encontre du principe du marché intérieur.

47.

Il ne suffit pas non plus qu’il s’agisse d’une marchandise qui soit seulement appropriée à un usage militaire et qui puisse donc éventuellement servir à un tel usage. En ce sens, la Cour a dit pour droit, dans l’arrêt Agusta, que les hélicoptères, acquis par l’État italien, selon une pratique établie de longue date, sans appel d’offres préalable, ne relevaient pas de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE parce qu’ils avaient été conçus à des fins civiles et ne pouvaient servir qu’occasionnellement à des fins militaires ( 29 ).

48.

L’application de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE suppose qu’il s’agisse d’un matériel qui, au-delà du simple fait qu’il se prête éventuellement à un usage militaire, a une destination spécifiquement militaire, et ce d’un point de vue tant subjectif qu’objectif. Ainsi, faut-il que l’objet en cause soit destiné à des fins spécifiquement militaires non seulement en raison de son application concrète, déterminée par le pouvoir adjudicateur ( 30 ) (donc d’un point de vue subjectif), mais aussi de par sa conception et ses propriétés ( 31 ) (donc d’un point de vue objectif).

49.

Certaines marchandises disposent de toute évidence de cette destination militaire spécifique. Il suffit de penser aux véhicules blindés, aux bombes et aux navires de guerre ( 32 ) portés sur la liste de 1958. Ils sont conçus comme des appareils purement militaires (destination objective) et sont acquis par les pouvoirs adjudicateurs exclusivement à des fins militaires (destination subjective).

50.

Pour d’autres matériels tels que véhicules, aéronefs, explosifs et munitions portés également sur la liste de 1958 ( 33 ), il faut en revanche que la destination spécifiquement militaire soit démontrée, étant donné qu’une application civile peut aussi être envisagée.

51.

C’est exactement ainsi que se présente la situation dans le cas d’espèce.

52.

Il est certes constant que, d’un point de vue subjectif, le système de plateforme tournante litigieux a une destination spécifiquement militaire: il est censé, selon les intentions du pouvoir adjudicateur, servir à la simulation de situations de combat et à l’exercice d’acquisition de cibles par les forces de défense finlandaises. À cet égard, le présent cas se distingue de celui de l’affaire Agusta, dans lequel il n’avait pu être constaté de destination spécifiquement militaire des biens acquis ( 34 ).

53.

Or, il existe, d’un point de vue objectif, des doutes sérieux quant aux propriétés qui feraient de ce système de plateforme tournante un matériel à destination spécifiquement militaire. Certes, les participants à l’audience n’étaient pas d’accord sur le point de savoir si un système tel que celui en cause trouverait acquéreur en cas de revente sur le marché civil par les forces de défense. Toutefois, selon les informations fournies par la juridiction de renvoi qui, dans une procédure préjudicielle, sont les seules pertinentes ( 35 ), il existe des applications techniques largement similaires sur le marché civil. De même, InsTiimi explique — sans être contredite sur ce point — que les plateformes tournantes peuvent aussi être employées dans le secteur civil, d’autant plus qu’elles ont été conçues à l’origine pour des applications civiles et que c’est par la suite seulement qu’elles ont été adaptées à des fins militaires.

54.

De tels objets qui ont, certes, été conçus à l’origine pour des applications civiles, mais ont été adaptés à des fins militaires par la suite ne doivent pas en principe, selon la volonté du législateur de l’Union ( 36 ), être soustraits au champ d’application des procédures prévues par le droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics ( 37 ).

55.

Certes, il ne saurait être exclu que, dans le cas d’espèce, la plateforme tournante acquise ait été, dans la perspective de son usage militaire, modifiée sur des points essentiels, de sorte à en faire un produit tout à fait différent de celui utilisé dans le secteur civil. Une telle adaptation pourrait, par exemple, avoir été effectuée dans le cadre de l’intégration de la plateforme dans un dispositif spécifiquement conçu d’«installation de mesures sur terrain ouvert» en vue de mesurages, de simulations et d’exercices de «guerre électronique».

56.

Si une modification aussi fondamentale devait avoir été pratiquée — ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier —, la plateforme tournante en cause dans l’affaire au principal acquerrait, d’un point de vue non seulement subjectif mais aussi objectif, une destination spécifiquement militaire. Alors (et alors seulement), le pouvoir adjudicateur l’aurait classée à bon droit en matériel militaire au sens du premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE.

57.

Si, en revanche, devait se confirmer la thèse retenue jusqu’ici par la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal, selon laquelle le système de plateforme tournante en cause, de par sa conception et ses propriétés — y compris en tant que composante d’un dispositif militaire spécifique en vue de mesurages électromagnétiques et de la simulation de situations de combat — ne se distingue pas fondamentalement des plateformes tournantes utilisées habituellement dans le secteur civil, ce système serait dépourvu, d’un point de vue objectif, de destination spécifiquement militaire, quand bien même le pouvoir adjudicateur l’aurait envisagé et acquis en vue d’une destination spécifiquement militaire.

58.

Dans le second cas, il eût fallu recourir aux procédures de marchés publics prescrites par le droit de l’Union pour acquérir la plateforme tournante en cause dans l’affaire au principal.

59.

En résumé, il est établi qu’un objet qui, selon les déclarations du pouvoir adjudicateur, doit être employé à des fins spécifiquement militaires, mais qui, considéré d’un point de vue objectif, ne se distingue pas fondamentalement d’objets similaires employés dans le secteur civil ne saurait être soustrait, sous le couvert des dispositions combinées de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE et de l’article 10 de la directive 2004/18, aux procédures de marchés publics prescrites par cette directive.

2. Second critère: la préservation des intérêts essentiels de sécurité

60.

Même dans l’hypothèse où la plateforme tournante litigieuse devrait être classée comme matériel militaire [premier critère d’application de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE], la juridiction de renvoi devrait encore vérifier si, dans le cas d’espèce, il apparaissait nécessaire de déroger aux procédures de marché prescrites par le droit de l’Union de manière à préserver les intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande [second critère d’application de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE].

61.

La Cour a déjà établi à ce propos que le simple fait, de la part d’un État membre, d’invoquer ses intérêts de sécurité ne justifiait pas à lui seul qu’il fût dérogé au droit de l’Union ( 38 ).

62.

Certes, il y a lieu de concéder à tout État membre une marge d’appréciation étendue en matière de définition des intérêts essentiels de sa sécurité ( 39 ), ainsi que le montre déjà l’emploi des mots «[mesures] qu’il estime nécessaires» à l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE. Cependant, c’est aux autorités nationales qu’incombe la charge de la preuve de l’existence des conditions de mise en œuvre de cette disposition ( 40 ).

63.

Ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, le pouvoir adjudicateur devrait, en l’occurrence, être en état de démontrer que, aux fins de préserver les intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande, il apparaissait nécessaire ( 41 ) et il était proportionné ( 42 ) de déroger aux procédures de marchés publics prévues par la directive 2004/18.

64.

Il convient de relever à ce propos qu’une éventuelle nécessité de confidentialité concernant certaines informations à caractère militaire ne constitue pas à elle seule un empêchement à la passation d’un marché dans le cadre de la procédure d’adjudication ( 43 ). En effet, il est possible, même dans le cadre d’une procédure de marché public telle que prévue par le droit de l’Union de prendre les mesures nécessaires afin de protéger des informations sensibles ( 44 ).

65.

De toute façon, le pouvoir adjudicateur aurait, selon des déclarations non contredites d’InsTiimi, décrit en détail l’objet du marché et le mode de fonctionnement du système de plateforme tournante dans un quotidien finlandais. Dans ces conditions, il apparaît assez peu probable que l’État finlandais ait pu avoir un intérêt légitime à maintenir le secret dans la procédure de marché.

66.

Certaines dérogations aux procédures de marché prescrites par le droit de l’Union peuvent, certes, être justifiées par le fait qu’un État membre ne souhaite pas révéler sans autre forme de procès des informations importantes pour sa sécurité à des entreprises étrangères ou contrôlées par des étrangers, en particulier s’agissant d’entreprises ou de personnes ressortissants d’États tiers. De plus, il est légitime qu’un État membre puisse veiller à ne pas se rendre dépendant d’États tiers ou d’entreprises d’États tiers lorsqu’il se procure des biens d’équipement militaires. Le gouvernement tchèque a attiré l’attention à juste titre sur ces deux points.

67.

Il n’existe cependant pas en l’occurrence — pour autant que l’on puisse en juger — d’indices révélateurs de telles préoccupations sécuritaires. D’ailleurs, c’est en définitive à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de se prononcer à cet égard en appréciant de manière complète toutes les circonstances de l’espèce.

VI – Conclusion

68.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Korkein hallinto-oikeus comme suit:

«Un objet qui, selon les déclarations du pouvoir adjudicateur, doit être employé à des fins spécifiquement militaires, mais qui, considéré d’un point de vue objectif, ne se distingue pas fondamentalement d’objets similaires employés dans le secteur civil ne saurait être soustrait, sous le couvert des dispositions combinées de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE et de l’article 10 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, aux procédures de marchés publics prescrites par cette directive.»


( 1 ) Langue originale: l’allemand.

( 2 ) Voir, par exemple, la jurisprudence sur l’accès des femmes à l’emploi dans les forces armées des États membres (arrêts du 26 octobre 1999, Sirdar, C-273/97, Rec. p. I-7403, et du 11 janvier 2000, Kreil, C-285/98, Rec. p. I-69); sur les obligations militaires pour les hommes (arrêt du 16 septembre 1999, Commission/Espagne, C-414/97, Rec. p. I-5585), et sur le traitement douanier des biens d’équipement militaires (arrêts du 15 décembre 2009, Commission/Finlande, C-284/05, Rec. p. I-11705; Commission/Suède, C-294/05, Rec. p. I-11777; Commission/Allemagne, C-372/05, Rec. p. I-11801; Commission/Italie, C-387/05, Rec. p. I-11831; Commission/Grèce, C-409/05, Rec. p. I-11859; Commission/Danemark, C-461/05, Rec. p. I-11887, et Commission/Italie, C-239/06, Rec. p. I-11913, ainsi que arrêt du 4 mars 2010, Commission/Portugal, C-38/06, Rec. p. I-1569).

( 3 ) En anglais, «tiltable turntable».

( 4 ) Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114).

( 5 ) Arrêt du 8 avril 2008, Commission/Italie, dit «Agusta» (C-337/05, Rec. p. I-2173, point 47).

( 6 ) Le libellé de l’article 10 de la directive 2004/18 a été modifié par la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009 (JO L 216, p. 76). Cette nouvelle version n’est toutefois entrée en vigueur que le 21 août 2009 et devait être transposée par les États membres pour le 21 août 2011 (voir articles 72, paragraphe 1, et 74 de la directive 2009/81), de sorte qu’elle ne pouvait pas encore s’appliquer à la présente affaire.

( 7 ) Le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009.

( 8 ) Cette décision n’a pas été publiée au Journal officiel des Communautés européennes. Elle est cependant reproduite par extraits dans le document no 14538/4/08 du Conseil du 26 novembre 2008, accessible au public sur le site Internet du Conseil à l’adresse http://register.consilium.eu (dernière consultation le 12 décembre 2011). De plus, le contenu de ladite liste a été repris dans une réponse de la Commission à la question d’un membre du Parlement européen (réponse du 27 septembre 2001 à la question écrite E-1324/01 du député Bart Staes — JO C 364 E, p. 85).

( 9 ) Julkisista hankinnoista annettu laki.

( 10 ) Suomen Puolutusvoimien Teknillinen Tutkimuslaitos.

( 11 ) — Pääesikunta.

( 12 ) Tribunal des affaires économiques.

( 13 ) Cour administrative suprême.

( 14 ) La Cour a depuis longtemps, dans son arrêt du 15 juillet 1964, Costa/Enel (6/64, Rec. p. 1141, 1270), établi qu’il s’agissait de mesures unilatérales.

( 15 ) La juridiction de renvoi se réfère à ce propos à la communication interprétative de la Commission du 7 décembre 2006 sur l’application de l’article 296 du traité dans le domaine des marchés publics de la défense [COM(2006) 779 final, ci-après la «communication de la Commission»].

( 16 ) Sur le motif d’irrecevabilité tiré du défaut manifeste de pertinence, voir, parmi une jurisprudence abondante, arrêts du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C-308/06, Rec. p. I-4057, points 31 et 32); du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C-45/09, Rec. p. I-9391, points 32 et 33), ainsi que du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C-509/09 et C-161/10, Rec. p. I-10269, points 32 et 33).

( 17 ) — Arrêts du 7 septembre 1999, Beck et Bergdorf (C-355/97, Rec. p. I-4977, point 22); Rosenbladt (précité à la note 16, point 33), et du 5 avril 2011, Société fiduciaire nationale d’expertise comptable (C-119/09, Rec. p. I-2551, point 21).

( 18 ) Voir, en particulier, article 10 de la directive 2004/18, dans la version de la directive 2009/81, ainsi que article 2 et première phrase du dixième considérant de la directive 2009/81.

( 19 ) Deuxième considérant de la directive 2004/18; dans le même sens, voir la jurisprudence constante de la Cour sur les différentes directives de coordination du droit des marchés publics, par exemple: arrêts du 3 octobre 2000, University of Cambridge (C-380/98, Rec. p. I-8035, point 16); du 13 novembre 2007, Commission/Irlande (C-507/03, Rec. p. I-9777, point 27), ainsi que du 13 décembre 2007, Bayerischer Rundfunk e.a. (C-337/06, Rec. p. I-11173, point 38).

( 20 ) Voir article 2 UE et article 3, paragraphe 1, sous c), CE (devenu article 3, paragraphe 3, première phrase, TFUE).

( 21 ) Arrêts précités à la note 2 Commission/Espagne (point 21); Commission/Finlande (point 46); Commission/Suède (point 44); Commission/Allemagne (point 69); Commission/Italie (C-387/05, point 46); Commission/Grèce (point 51); Commission/Danemark (point 52); Commission/Italie (C-239/06, point 47), et Commission/Portugal (point 63).

( 22 ) Voir arrêt du 30 septembre 2003, Fiocchi munizioni/Commission (T-26/01, Rec. p. II-3951).

( 23 ) Cela n’exclut pas, bien sûr, que la liste soit interprétée et appliquée de manière actualisée, de façon à tenir compte à chaque fois des évolutions récentes. Ainsi qu’il ressort du dixième considérant de la directive 2009/81, il s’agit en effet d’une liste «générique [qui] est à interpréter au sens large à la lumière du caractère évolutif des technologies, des politiques d’acquisition et des besoins militaires conduisant au développement de nouveaux types d’équipements […]» (de même, communication de la Commission, section 3). Ainsi la liste ne s’applique-t-elle pas seulement aux matériels militaires connus en 1958, mais aussi à ceux utilisés aujourd’hui par les forces armées des États membres pour autant qu’ils entrent dans les catégories qui y sont mentionnées.

( 24 ) Arrêt Fiocchi munizioni/Commission (précité à la note 22, point 61).

( 25 ) Le classement au point 5 de la liste de 1958 suppose qu’il s’agisse d’un «matériel de conduite du tir à usage militaire». La référence à la «conduite de tir» pourrait, en principe, être perçue en ce sens que le système de plateforme tournante en cause doit servir, en vue de la «guerre électronique», à la simulation et à l’exercice d’«acquisition de cible» et à préparer en définitive des «contre-mesures contre la reconnaissance aérienne». Cependant, les participants à la procédure n’ont pas reconnu, lors de l’audience, un tel lien avec la conduite de tir.

( 26 ) — Arrêts Agusta (point 47), et du 2 octobre 2008, Commission/Italie (C-157/06, Rec. p. I-7313, point 26).

( 27 ) Voir, par exemple, points 5 et 11 («à usage militaire/pour l’usage militaire») ainsi que point 14 («pour autant qu’elles ont un caractère militaire») de la liste de 1958.

( 28 ) «[La liste de 1958] ne comprend que les équipements qui sont conçus, développés et produits à des fins spécifiquement militaires» (deuxième phrase du dixième considérant de la directive 2009/81).

( 29 ) Arrêt Agusta (en particulier points 48 et 49); voir, également, arrêt du 2 octobre 2008, Commission/Italie (précité à la note 26, point 27).

( 30 ) Voir, également, arrêt Agusta (en particulier points 48 et 49), où la Cour part de la destination définie par le pouvoir adjudicateur.

( 31 ) En ce sens, voir aussi le dixième considérant de la directive 2009/81, selon lequel la liste de 1958 «ne comprend que les équipements qui sont conçus, développés et produits à des fins spécifiquement militaires» (souligné par nous); voir, aussi, communication de la Commission (section 3), où il est question d’équipements «de nature et destinés à des fins purement militaires» (souligné aussi dans l’original).

( 32 ) No 2, sous a), 4 et 9, sous a), de la liste de 1958.

( 33 ) No 3, 5, sous a), 6, 8, sous b), et 10 de la liste de 1958.

( 34 ) Arrêt Agusta (en particulier points 48 et 49).

( 35 ) Arrêts du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (C-475/99, Rec. p. I-8089, point 10); du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C-482/01 et C-493/01, Rec. p. I-5257, point 42), ainsi que du 25 janvier 2011, Neukirchinger (C-382/08, Rec. p. I-139, point 41).

( 36 ) Dernière phrase du dixième considérant de la directive 2009/81. Même si cette déclaration est contenue dans un acte législatif qui ne s’applique pas ratione temporis au cas d’espèce, on ne voit pas ce qui s’opposerait à la prise en compte des considérations sous-jacentes lors de l’interprétation de la directive 2004/18 dans la version pertinente aux fins du litige au principal. En effet, au moins ledit dixième considérant comporte en substance des éclaircissements sur le sens de la liste de 1958 tel qu’il convenait déjà de l’interpréter.

( 37 ) De manière tout à fait similaire, la Cour a expliqué qu’un État membre ne saurait invoquer l’article 296 CE pour exempter de droits de douane l’importation de matériel à double usage civil et militaire, «que ce dernier ait été importé exclusivement ou non à des fins militaires» (voir arrêts précités à la note 2, Commission/Suède, point 53, et Commission/Italie, C-387/05, point 55).

( 38 ) Arrêts précités à la note 2 Commission/Finlande (point 47); Commission/Suède (point 45); Commission/Allemagne (point 70); Commission/Italie (point 47); Commission/Grèce (point 52); Commission/Danemark (point 53); Commission/Italie (C-239/06, point 48), et Commission/Portugal (point 64).

( 39 ) Arrêt Fiocchi munizioni/Commission (précité à la note 22, point 58); voir, aussi, la communication de la Commission, selon laquelle l’article 296 CE offre une marge de manœuvre étendue aux États membres lorsqu’ils décident de la manière de protéger leurs intérêts essentiels de sécurité (section 4 de la communication) et «[définir] leurs intérêts essentiels de sécurité relève de la prérogative des États membres» (section 5 de la communication).

( 40 ) Arrêts précités à la note 2 Commission/Espagne (points 22 et 24); Commission/Suède (point 47); Commission/Finlande (point 49); Commission/Allemagne (point 72); Commission/Italie (C-387/05, point 49); Commission/Grèce (point 54); Commission/Danemark (point 55); Commission/Italie (C-239/06, point 50), et Commission/Portugal (point 66).

( 41 ) Voir aussi communication de la Commission (section 3).

( 42 ) Arrêts Agusta (en particulier point 53), et du 2 octobre 2008, Commission/Italie (précité à la note 26, point 31); de même, communication de la Commission (section 5), selon laquelle il convient d’établir en quoi la non-application de la directive sur les marchés publics est nécessaire, dans un cas précis, à la protection d’un intérêt essentiel de sécurité.

( 43 ) Arrêts Agusta (en particulier point 52), et du 2 octobre 2008, Commission/Italie (précité à la note 26, point 30).

( 44 ) En ce qui concerne la confidentialité des informations classifiées du pouvoir adjudicateur, voir, en particulier, articles 7, 20 et 22 de la directive 2009/81; quant à la confidentialité des informations communiquées aux soumissionnaires, voir, par exemple, article 6 de la directive 2004/18 et article 6 de la directive 2009/81, ainsi que arrêt du 14 février 2008, Varec (C-450/06, Rec. p. I-581).

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Conclusions de l'avocat général

Conclusions de l'avocat général

I – Introduction

1. Les conditions dans lesquelles les États membres sont autorisés à déroger aux règles du droit de l’Union pour les besoins de leur défense et de leurs forces armées continuent de donner matière à des contentieux (2) .

2. En l’occurrence, la Cour est invitée à indiquer à quelles conditions les forces armées d’un État membre ont le droit de se procurer des biens destinés à un usage militaire en dérogation aux règles du droit européen des marchés publics de fournitures.

3. Les forces de défense finlandaises ont lancé en 2008 un appel d’offres relatif à la fourniture d’un système de plateforme tournante (3) destiné à effectuer des mesures électromagnétiques qui, dans le cadre de la «guerre électronique», doit servir à la simulation de situations de combat et à l’exercice y afférent. À cette occasion, la procédure de marché prescrite par la directive 2004/18/CE (4) n’a pas été totalement respectée.

4. Une juridiction finlandaise soulève ici la question de l’interprétation de la réglementation dérogatoire applicable aux marchés publics du secteur de la défense qui résulte des dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE (devenu article 346 TFUE). La Cour devra, en partant de sa décision dans l’affaire Agusta (5), indiquer notamment si les marchandises peuvent être considérées comme «destinées à des fins spécifiquement militaires», lorsque, à côté de leur usage militaire, il existe aussi une possibilité d’application civile largement similaire.

5. À la différence des hélicoptères de l’affaire Agusta, le pouvoir adjudicateur a acquis le système de plateforme tournante à des fins purement militaires. Il ne s’agit donc pas d’un «bien à double usage» au sens strict. Il est cependant tout à fait envisageable, selon les constatations de la décision de renvoi, que des organismes ou des entreprises privés aient, eux aussi, l’usage d’une telle plateforme.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

6. Le cadre juridique de la présente affaire est fourni par les dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE.

7. Sous le titre «Marchés dans le domaine de la défense», l’article 10 de la directive 2004/18, dans sa version initiale (6), indique ce qui suit quant au champ d’application des règles des marchés publics:

«La présente directive s’applique aux marchés publics passés par des pouvoirs adjudicateurs dans le domaine de la défense, sous réserve de l’article 296 du traité.»

8. L’article 296 CE (ancien article 223 CEE) se lisait ainsi jusqu’à ce qu’il fût remplacé par l’article 346 TFUE à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (7) :

«1. Les dispositions du présent traité ne font pas obstacle aux règles ci-après:

[…]

b) tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires.

2. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut apporter des modifications à la liste, qu’il a fixée le 15 avril 1958, des produits auxquels les dispositions du paragraphe 1, point b), s’appliquent.»

9. La décision n o  255/58 du Conseil, du 15 avril 1958, établissant la liste visée à l’article 296, paragraphe 2, CE se lit ainsi (extrait) (8) :

«Les dispositions de l’article [296], paragraphe 1, sous b), du traité [CE] s’appliquent aux armes, munitions et matériel de guerre énumérés ci-dessous, y compris les armes conçues pour utiliser l’énergie nucléaire:

[…]

5. Matériel de conduite du tir à usage militaire:

[…]

a) calculateurs de tir et appareils de pointage en infrarouges et autre matériel de pointage de nuit;

b) télémètres, indicateurs de position, altimètres;

c) dispositifs d’observation électroniques, gyroscopiques, optiques et acoustiques;

d) viseurs de bombardement et hausses de canons, périscopes pour les articles repris dans la présente liste.

[…]

11. Matériel électronique pour l’usage militaire.

[…]

14. Parties et pièces spécialisées du matériel repris dans la présente liste pour autant qu’elles ont un caractère militaire.

15. Machines, équipement et outillage exclusivement conçus pour l’étude, la fabrication, l’essai et le contrôle des armes, munitions et engins à usage uniquement militaire repris dans la présente liste.»

10. Il convient, à titre complémentaire, d’attirer l’attention sur le point 10 des considérants de la directive 2009/81, selon lequel «[p]ar ‘équipements militaires’, au sens de la présente directive, il faudrait entendre notamment les types de produits visés par la liste d’armes, de munitions et de matériel de guerre adoptée par la décision n o  255/58 du Conseil du 15 avril 1958 […], et les États membres peuvent se limiter à utiliser cette seule liste pour la transposition de la présente directive. Cette liste ne comprend que les équipements qui sont conçus, développés et produits à des fins spécifiquement militaires. Néanmoins, la liste est générique et est à interpréter au sens large à la lumière du caractère évolutif des technologies, des politiques d’acquisition et des besoins militaires conduisant au développement de nouveaux types d’équipements, par exemple sur la base de la Liste commune des équipements militaires de l’Union. Au sens de la présente directive, le terme ‘équipement militaire’ devrait couvrir également les produits qui, bien qu’initialement conçus pour une utilisation civile, ont ensuite été adaptés à des fins militaires pour pouvoir être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre.»

B – Le droit national

11. La directive 2004/18 a été transposée en Finlande par la loi n o  348/2007 sur les marchés publics (9), dont le champ d’application est ainsi délimité à l’article 7, paragraphe 1:

«La présente loi ne s’applique pas aux marchés:

1) qui doivent être tenus secrets ou dont la réalisation exige des mesures de protection spéciales prévues par la loi, ou si les intérêts essentiels de la sécurité de l’État l’imposent;

2) qui portent sur du matériel destiné à des fins essentiellement militaires.»

12. De plus, il ressort d’une instruction administrative du 28 mai 2008 édictée par le ministère de la Défense que, dans les marchés publics portant sur l’acquisition d’équipements destinés à la défense, il convient, jusqu’à nouvel ordre, de suivre, entre autres, l’arrêté n o  76/1995 du ministère de la Défense, du 17 mars 1995.

13. À l’article 1 er dudit arrêté n o  76/1995 est défini ce qu’il convient d’entendre par «bien ou service destiné à des fins essentiellement militaires, auquel la loi sur les marchés publics ne s’applique pas». Il s’agit essentiellement de l’«équipement spécial destiné à une activité militaire, à la formation ou à des exercices de simulations de situations militaires et [des] composants, accessoires et appareils conçus spécialement à ces fins», ainsi qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 1 er et de la lettre M de l’annexe de l’arrêté n o  76/1995.

III – Les faits et la procédure au principal

14. En 2008, l’office d’études techniques des forces de défense finlandaises (10) a lancé un appel d’offres portant sur un système de plateforme tournante destiné à effectuer des mesures électromagnétiques, d’un montant de 1 650 000 euros. Le 5 février 2008, elle a invité quatre opérateurs, dont le bureau d’ingénierie Insinööritoimisto InsTiimi Oy (ci-après «InsTiimi»), à lui soumettre des propositions en ce sens.

15. L’adjudication du marché s’est faite selon une «procédure négociée» qui, selon les informations contenues dans la demande de décision préjudicielle, s’écarte de la procédure de marché visée dans la directive 2004/18. Considérant que la procédure aurait dû se dérouler conformément aux prescriptions de la directive 2004/18, InsTiimi a porté l’affaire devant les tribunaux finlandais. La procédure intéresse également les forces de défense finlandaises, représentées par l’État major général (11) .

16. InsTiimi n’a pas eu gain de cause devant la juridiction de première instance, à savoir le markkinaoikeus (12) . Cette juridiction a estimé qu’il était établi que la plateforme tournante en cause dans l’affaire au principal était destinée à des fins essentiellement militaires et que le pouvoir adjudicateur entendait l’utiliser exclusivement à de telles fins. Partant, le markkinaoikeus est parvenu à la conclusion que le marché en cause relevait de la disposition dérogatoire de l’article 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la loi n o  348/2007 sur les marchés publics.

17. InsTiimi ayant fait appel, l’affaire est désormais au stade du pourvoi devant la juridiction de renvoi, à savoir le Korkein hallinto-oikeus (13) .

18. InsTiimi a fait valoir devant cette juridiction que la plateforme tournante était reconnue comme une innovation technique dans l’industrie civile et qu’elle n’était pas perçue comme un matériel militaire. La réalisation technique du marché en cause dans l’affaire au principal reposait sur une combinaison de matériaux, de composants et de systèmes qui étaient librement disponibles, la conception y relative étant constituée uniquement par le choix et la réunion d’éléments structurels en vue de répondre aux exigences de l’appel d’offres.

19. Les forces de défense ont fait valoir en réponse devant le Korkein hallinto-oikeus que la plateforme tournante avait été acquise à des fins spécifiquement militaires et qu’elle était destinée en particulier à simuler des situations de combat. La plateforme permettait la simulation de contre-mesures contre la reconnaissance aérienne sous différents angles et de l’acquisition de cible, ainsi que l’entraînement y afférent. Le capteur qui reproduisait la menace ne pouvait, selon elles, être placé que dans l’angle correspondant à la menace alors que l’objectif, par exemple un blindé à positionner sur la plateforme, était incliné à l’aide de celle-ci dans le bon angle.

20. La plateforme tournante, selon l’argumentation présentée par les forces armées, constitue la composante essentielle d’un dispositif à installer sur terrain ouvert en vue de mesures, de simulations et d’ exercices de guerre électronique et est donc conçue en vue de la recherche sur des armes à des fins militaires. La plateforme tournante serait un produit au sens de la lettre M de l’annexe de l’arrêté n o  76/1995.

IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

21. Par une ordonnance du 13 décembre 2010, le Korkein hallinto-oikeus a suspendu la procédure et saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle portant sur la question suivante:

«La directive 2004/18/CE s’applique-t-elle, compte tenu de l’article 10 de cette directive, de l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE et de la liste des armes, munitions et matériel de guerre adoptée par une décision du Conseil du 15 avril 1958 à un marché qui relève, par ailleurs, du champ d’application de la directive, dès lors que, selon le pouvoir adjudicateur, le matériel qui fait l’objet de ce marché est destiné à des fins spécifiquement militaires mais qu’il existe aussi des applications techniques essentiellement similaires sur le marché civil?»

22. Outre les deux parties à la procédure au principal — InsTiimi et les forces de défense finlandaises —, les gouvernements finlandais, tchèque et portugais ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites. Les mêmes parties, à l’exception des gouvernements tchèque et portugais, ont aussi participé à l’audience du 12 décembre 2011.

V – Appréciation

23. La pierre angulaire de la réponse à la présente demande de décision préjudicielle est l’interprétation de l’article 296 CE auquel l’article 10 de la directive 2004/18 fait référence.

24. Le premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE autorise tout État membre à prendre unilatéralement (14) les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre. La directive 2004/18 y renvoie, à son article 10, afin de définir son propre champ d’application.

25. Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, et que l’a reconnu le gouvernement finlandais, le premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE subordonne la prise de mesures nationales unilatérales à deux conditions cumulatives:

– premièrement, il faut qu’il s’agisse de la production ou du commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre;

– deuxièmement, il faut que les mesures qui doivent être prises apparaissent nécessaires à la protection des intérêts essentiels de la sécurité de l’État membre concerné.

26. Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi met l’accent spécialement sur la première de ces deux conditions: elle s’intéresse uniquement à la notion de matériel destiné à des fins spécifiquement militaires. Il n’est cependant pas possible de se désintéresser totalement de la seconde condition, que ce soit lors de l’appréciation de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle (voir ci-après sous-titre A) ou de l’examen de la question posée sur le fond (voir ci-après sous-titre B). C’est pourquoi, j’examinerai également, pour autant que ce sera nécessaire, cette seconde condition, ainsi du reste que l’ont fait plusieurs des participants à la procédure, y compris lors de l’audience.

A – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

27. La circonstance que la juridiction de renvoi ne se soit attachée dans sa demande de décision préjudicielle qu’au premier des critères visés à l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE — la notion de matériel destiné à des fins spécifiquement militaires n’est pas, en soi, de nature à mettre en cause la recevabilité de ladite demande.

28. Certes, la question préjudicielle soumise à la Cour devrait être considérée comme hypothétique s’il apparaissait que, dans le cas d’espèce, le second critère cumulatif de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE ne serait de toute façon pas rempli en ce sens que la dérogation aux règles des marchés publics fixées par la directive 2004/18 ne pourrait pas être justifiée par les intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande. Cependant, la procédure devant la Cour n’a pas révélé d’indices suffisants en ce sens.

29. La décision de renvoi n’indique pas de manière définitive si, en l’occurrence, le pouvoir adjudicateur a invoqué ou non le second critère, à savoir la protection des intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande. Elle constate seulement que les forces de défense n’ont pas précisé, de la manière préconisée par la Commission (15), quels intérêts essentiels pour la sécurité étaient concernés par l’acquisition du système de plateforme tournante et pourquoi la non-application de la directive 2004/18 était nécessaire dans ce cas. Le gouvernement finlandais et l’État major général des forces de défense font valoir cependant que de tels intérêts de sécurité avaient été invoqués lors de la procédure nationale.

30. Par ailleurs, la juridiction de renvoi souligne que le recours d’InsTiimi devrait être rejeté comme irrecevable si le marché public ne relevait pas du champ d’application de la directive 2004/18 et de la loi n o  348/2007 sur les marchés publics. Il est indispensable, pour se prononcer sur ce point, d’obtenir des éclaircissements, y compris sur le premier critère — la notion de matériel destiné à des fins spécifiquement militaires.

31. Dans ces conditions, l’on ne saurait tenir pour avéré que la question posée manque manifestement de pertinence (16) . Selon une jurisprudence constante, il convient plutôt de partir toujours de la présomption que la question est pertinente (17) .

32. Il n’y a donc pas de raison de ne pas répondre à la demande de décision préjudicielle.

B – Appréciation de la question sur le fond

33. En posant sa question, la juridiction de renvoi aimerait savoir, en substance, si les dispositions de la directive 2004/18 peuvent être écartées lors de la passation d’un marché public dans le domaine de la défense, lorsque l’objet du marché doit, certes, être utilisé à des fins spécifiquement militaires, mais qu’il présente aussi des possibilités d’applications civiles essentiellement similaires.

34. Cette question est sous-tendue par la considération que les systèmes de plateformes tournantes tels que celui en cause dans l’affaire au principal ont des possibilités d’applications qui, selon les déclarations d’InsTiimi, laquelle n’a pas été contredite sur ce point, ne sont pas militaires au premier chef mais sont surtout civiles.

35. Les points de vue des participants à la procédure divergent largement. Alors qu’InsTiimi et la Commission considèrent que les prescriptions de la directive 2004/18 auraient dû être respectées dans le cas d’espèce, les forces de défense finlandaises et tous les gouvernements qui se sont exprimés partent du principe qu’il était justifié, en vertu de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE, de déroger à cette directive.

36. En principe, les règles du droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics s’appliquent aussi dans le domaine de la défense. Cela ressortait déjà, à l’époque de l’attribution du marché litigieux, de l’article 10 de la directive 2004/18. Pour la période postérieure au 21 août 2011, le même principe a été réitéré par la directive 2009/81 (18) . L’application des règles du droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics renforce la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services au sein de l’Union et contribue à la réalisation du marché intérieur (19) .

37. Dans le même temps, le droit de l’Union reconnaît pourtant l’intérêt légitime des États membres à protéger les intérêts essentiels de leur sécurité, ce qui s’exprime notamment à l’article 296 CE. L’article 10 de la directive 2004/18, qui renvoie spécialement à cette disposition, est une manifestation de la tension qui peut se produire, lors de l’adjudication de marchés publics, entre le principe du marché intérieur et les intérêts de la sécurité nationale.

38. Il ressort des dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE qu’un État membre a le droit de déroger aux prescriptions du droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics lorsque, d’une part, le commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre est concerné (premier critère) et, que d’autre part, une dérogation aux règles d’adjudication des marchés publics apparaît nécessaire afin de préserver les intérêts essentiels de sa sécurité (second critère).

39. Eu égard à l’importance primordiale des libertés fondamentales et du principe du marché intérieur dans le système des traités (20), ces critères doivent être interprétés strictement, conformément à la jurisprudence relative à l’article 296 CE (21) .

1. Premier critère: la notion de matériel militaire

40. Le premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE s’applique aux armes, aux munitions et au matériel de guerre — en bref, au matériel militaire . Le Conseil a fixé dans la liste de 1958 les catégories de produits concernés.

41. Je partage le point de vue du Tribunal de l’Union européenne (à l’époque: le Tribunal de première instance des Communautés européennes) (22), selon lequel le champ d’application matériel de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE est déterminé de manière exhaustive par la liste de 1958, à laquelle l’article 296, paragraphe 2, CE renvoie expressément (23) . Le Tribunal a attiré à juste titre l’attention sur le fait que la disposition dérogatoire de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE ne doit pas s’appliquer à des activités relatives à des matériels qui ne sont pas des matériels militaires désignés dans la liste de 1958 (24) .

42. Une dérogation aux procédures de marché prescrites par la directive 2004/18 sur le fondement de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE suppose donc avant tout qu’un matériel tel que le système de plateforme tournante litigieux ne puisse du tout être rangé dans l’une des catégories d’objets recensées dans la liste de 1958. La juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour constater et apprécier les faits, devra vérifier et apprécier précisément ce point.

43. Étant donné que, selon les informations fournies par les forces de défense finlandaises, ledit système de plateforme tournante est censé permettre l’exécution de mesures électromagnétiques et la simulation de situations de combat, incluant l’exercice d’acquisition de cible, il pourrait s’agir d’une composante d’un équipement destiné à l’essai et au contrôle des armes (point 15, combiné aux points 11 et 14 de la liste de 1958). En théorie, la plateforme pourrait également être considérée comme une partie d’un indicateur de position ou d’un dispositif d’observation [point 5, sous b) et c), combiné au point 14 de la liste de 1958] (25) .

44. Toutefois, la seule circonstance que, le cas échéant, la plateforme tournante puisse être rangée dans l’une ou l’autre des catégories d’objets de la liste de 1958 ne justifie pas en soi qu’il soit dérogé aux dispositions du droit de l’Union en matière d’attribution des marchés publics. En effet, la présence d’un certain objet dans la liste de 1958 est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour invoquer les dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et du premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE.

45. L’application du premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE suppose en outre que l’objet en question soit destiné à des fins spécifiquement militaires (26) . Cela ressort a contrario du second membre de phrase de cette disposition, où il est question de «produits non destinés à des fins militaires». On trouve également dans la liste de 1958 différentes expressions dont il ressort que la simple possibilité de classer un matériel au sens de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE dans une certaine catégorie de produits ne suffit pas. Il faut en plus qu’il soit destiné à des fins spécifiquement militaires (27) . Ce point a été également confirmé récemment par le législateur de l’Union (28) .

46. Il ne suffit pas, pour déduire qu’une marchandise est destinée à des fins militaires, que l’acquéreur soit les forces armées d’un État membre ou une autre administration publique pour le compte des forces armées. Sinon, un simple crayon pourrait devenir un matériel militaire du seul fait qu’il est acquis par les forces armées. Ce serait contraire à l’exigence d’une interprétation stricte de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE et irait à l’encontre du principe du marché intérieur.

47. Il ne suffit pas non plus qu’il s’agisse d’une marchandise qui soit seulement appropriée à un usage militaire et qui puisse donc éventuellement servir à un tel usage. En ce sens, la Cour a dit pour droit, dans l’arrêt Agusta, que les hélicoptères, acquis par l’État italien, selon une pratique établie de longue date, sans appel d’offres préalable, ne relevaient pas de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE parce qu’ils avaient été conçus à des fins civiles et ne pouvaient servir qu’occasionnellement à des fins militaires (29) .

48. L’applicati on de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE suppose qu’il s’agisse d’un matériel qui, au-delà du simple fait qu’il se prête éventuellement à un usage militaire, a une destination spécifiquement militaire, et ce d’un point de vue tant subjectif qu’objectif. Ainsi, faut-il que l’objet en cause soit destiné à des fins spécifiquement militaires non seulement en raison de son application concrète, déterminée par le pouvoir adjudicateur (30) (donc d’un point de vue subjectif ), mais aussi de par sa conception et ses propriétés (31) (donc d’un point de vue objectif ).

49. Certaines marchandises disposent de toute évidence de cette destination militaire spécifique. Il suffit de penser aux véhicules blindés, aux bombes et aux navires de guerre (32) portés sur la liste de 1958. Ils sont conçus comme des appareils purement militaires (destination objective) et sont acquis par les pouvoirs adjudicateurs exclusivement à des fins militaires (destination subjective).

50. Pour d’autres matériels tels que véhicules, aéronefs, explosifs et munitions portés également sur la liste de 1958 (33), il faut en revanche que la destination spécifiquement militaire soit démontrée, étant donné qu’une application civile peut aussi être envisagée.

51. C’est exactement ainsi que se présente la situation dans le cas d’espèce.

52. Il est certes constant que, d’un point de vue subjectif, le système de plateforme tournante litigieux a une destination spécifiquement militaire: il est censé, selon les intentions du pouvoir adjudicateur, servir à la simulation de situations de combat et à l’exercice d’acquisition de cibles par les forces de défense finlandaises. À cet égard, le présent cas se distingue de celui de l’affaire Agusta, dans lequel il n’avait pu être constaté de destination spécifiquement militaire des biens acquis (34) .

53. Or, il existe, d’un point de vue objectif, des doutes sérieux quant aux propriétés qui feraient de ce système de plateforme tournante un matériel à destination spécifiquement militaire. Certes, les participants à l’audience n’étaient pas d’accord sur le point de savoir si un système tel que celui en cause trouverait acquéreur en cas de revente sur le marché civil par les forces de défense. Toutefois, selon les informations fournies par la juridiction de renvoi qui, dans une procédure préjudicielle, sont les seules pertinentes (35), il existe des applications techniques largement similaires sur le marché civil. De même, InsTiimi explique — sans être contredite sur ce point — que les plateformes tournantes peuvent aussi être employées dans le secteur civil, d’autant plus qu’elles ont été conçues à l’origine pour des applications civiles et que c’est par la suite seulement qu’elles ont été adaptées à des fins militaires.

54. De tels objets qui ont, certes, été conçus à l’origine pour des applications civiles, mais ont été adaptés à des fins militaires par la suite ne doivent pas en principe, selon la volonté du législateur de l’Union (36), être soustraits au champ d’application des procédures prévues par le droit de l’Union en matière d’adjudication des marchés publics (37) .

55. Certes, il ne saurait être exclu que, dans le cas d’espèce, la plateforme tournante acquise ait été, dans la perspective de son usage militaire, modifiée sur des points essentiels, de sorte à en faire un produit tout à fait différent de celui utilisé dans le secteur civil. Une telle adaptation pourrait, par exemple, avoir été effectuée dans le cadre de l’intégration de la plateforme dans un dispositif spécifiquement conçu d’«installation de mesures sur terrain ouvert» en vue de mesurages, de simulations et d’exercices de «guerre électronique».

56. Si une modification aussi fondamentale devait avoir été pratiquée — ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier —, la plateforme tournante en cause dans l’affaire au principal acquerrait, d’un point de vue non seulement subjectif mais aussi objectif, une destination spécifiquement militaire. Alors (et alors seulement), le pouvoir adjudicateur l’aurait classée à bon droit en matériel militaire au sens du premier membre de phrase de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE.

57. Si, en revanche, devait se confirmer la thèse retenue jusqu’ici par la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal, selon laquelle le système de plateforme tournante en cause, de par sa conception et ses propriétés — y compris en tant que composante d’un dispositif militaire spécifique en vue de mesurages électromagnétiques et de la simulation de situations de combat — ne se distingue pas fondamentalement des plateformes tournantes utilisées habituellement dans le secteur civil, ce système serait dépourvu, d’un point de vue objectif, de destination spécifiquement militaire, quand bien même le pouvoir adjudicateur l’aurait envisagé et acquis en vue d’une destination spécifiquement militaire.

58. Dans le second cas, il eût fallu recourir aux procédures de marchés publics prescrites par le droit de l’Union pour acquérir la plateforme tournante en cause dans l’affaire au principal.

59. En résumé, il est établi qu’un objet qui, selon les déclarations du pouvoir adjudicateur, doit être employé à des fins spécifiquement militaires, mais qui, considéré d’un point de vue objectif, ne se distingue pas fondamentalement d’objets similaires employés dans le secteur civil ne saurait être soustrait, sous le couvert des dispositions combinées de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE et de l’article 10 de la directive 2004/18, aux procédures de marchés publics prescrites par cette directive.

2. Second critère: la préservation des intérêts essentiels de sécurité

60. Même dans l’hypothèse où la plateforme tournante litigieuse devrait être classée comme matériel militaire [premier critère d’application de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE], la juridiction de renvoi devrait encore vérifier si, dans le cas d’espèce, il apparaissait nécessaire de déroger aux procédures de marché prescrites par le droit de l’Union de manière à préserver les intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande [second critère d’application de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE].

61. La Cour a déjà établi à ce propos que le simple fait, de la part d’un État membre, d’invoquer ses intérêts de sécurité ne justifiait pas à lui seul qu’il fût dérogé au droit de l’Union (38) .

62. Certes, il y a lieu de concéder à tout État membre une marge d’appréciation étendue en matière de définition des intérêts essentiels de sa sécurité (39), ainsi que le montre déjà l’emploi des mots «[mesures] qu’il estime nécessaires» à l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE. Cependant, c’est aux autorités nationales qu’incombe la charge de la preuve de l’existence des conditions de mise en œuvre de cette disposition (40) .

63. Ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, le pouvoir adjudicateur devrait, en l’occurrence, être en état de démontrer que, aux fins de préserver les intérêts essentiels de la sécurité de la République de Finlande, il apparaissait nécessaire (41) et il était proportionné (42) de déroger aux procédures de marchés publics prévues par la directive 2004/18.

64. Il convient de relever à ce propos qu’une éventuelle nécessité de confidentialité concernant certaines informations à caractère militaire ne constitue pas à elle seule un empêchement à la passation d’un marché dans le cadre de la procédure d’adjudication (43) . En effet, il est possible, même dans le cadre d’une procédure de marché public telle que prévue par le droit de l’Union de prendre les mesures nécessaires afin de protéger des informations sensibles (44) .

65. De toute façon, le pouvoir adjudicateur aurait, selon des déclarations non contredites d’InsTiimi, décrit en détail l’objet du marché et le mode de fonctionnement du système de plateforme tournante dans un quotidien finlandais. Dans ces conditions, il apparaît assez peu probable que l’État finlandais ait pu avoir un intérêt légitime à maintenir le secret dans la procédure de marché.

66. Certaines dérogations aux procédures de marché prescrites par le droit de l’Union peuvent, certes, être justifiées par le fait qu’un État membre ne souhaite pas révéler sans autre forme de procès des informations importantes pour sa sécurité à des entreprises étrangères ou contrôlées par des étrangers, en particulier s’agissant d’entreprises ou de personnes ressortissants d’États tiers. De plus, il est légitime qu’un État membre puisse veiller à ne pas se rendre dépendant d’États tiers ou d’entreprises d’États tiers lorsqu’il se procure des biens d’équipement militaires. Le gouvernement tchèque a attiré l’attention à juste titre sur ces deux points.

67. Il n’existe cependant pas en l’occurrence — pour autant que l’on puisse en juger — d’indices révélateurs de telles préoccupations sécuritaires. D’ailleurs, c’est en définitive à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de se prononcer à cet égard en appréciant de manière complète toutes les circonstances de l’espèce.

VI – Conclusion

68. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Korkein hallinto-oikeus comme suit:

«Un objet qui, selon les déclarations du pouvoir adjudicateur, doit être employé à des fins spécifiquement militaires, mais qui, considéré d’un point de vue objectif, ne se distingue pas fondamentalement d’objets similaires employés dans le secteur civil ne saurait être soustrait, sous le couvert des dispositions combinées de l’article 296, paragraphe 1, sous b), CE et de l’article 10 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, aux procédures de marchés publics prescrites par cette directive.»

(1) .

(2)  — Voir, par exemple, la jurisprudence sur l’accès des femmes à l’emploi dans les forces armées des États membres (arrêts du 26 octobre 1999, Sirdar, C-273/97, Rec. p. I-7403, et du 11 janvier 2000, Kreil, C-285/98, Rec. p. I-69); sur les obligations militaires pour les hommes (arrêt du 16 septembre 1999, Commission/Espagne, C-414/97, Rec. p. I-5585), et sur le traitement douanier des biens d’équipement militaires (arrêts du 15 décembre 2009, Commission/Finlande, C-284/05, Rec. p. I-11705; Commission/Suède, C-294/05, Rec. p. I-11777; Commission/Allemagne, C-372/05, Rec. p. I-11801; Commission/Italie, C-387/05, Rec. p. I-11831; Commission/Grèce, C-409/05, Rec. p. I-11859; Commission/Danemark, C-461/05, Rec. p. I-11887, et Commission/Italie, C-239/06, Rec. p. I-11913, ainsi que arrêt du 4 mars 2010, Commission/Portugal, C-38/06, Rec. p. I-1569).

(3)  — En anglais, «tiltable turntable».

(4)  — Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114).

(5)  — Arrêt du 8 avril 2008, Commission/Italie, dit «Agusta» (C-337/05, Rec. p. I-2173, point 47).

(6)  — Le libellé de l’article 10 de la directive 2004/18 a été modifié par la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009 (JO L 216, p. 76). Cette nouvelle version n’est toutefois entrée en vigueur que le 21 août 2009 et devait être transposée par les États membres pour le 21 août 2011 (voir articles 72, paragraphe 1, et 74 de la directive 2009/81), de sorte qu’elle ne pouvait pas encore s’appliquer à la présente affaire.

(7)  — Le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1 er  décembre 2009.

(8)  — Cette décision n’a pas été publiée au Journal officiel des Communautés européennes . Elle est cependant reproduite par extraits dans le document n o  14538/4/08 du Conseil du 26 novembre 2008, accessible au public sur le site Internet du Conseil à l’adresse http://register.consilium.eu (dernière consultation le 12 décembre 2011). De plus, le contenu de ladite liste a été repris dans une réponse de la Commission à la question d’un membre du Parlement européen (réponse du 27 septembre 2001 à la question écrite E-1324/01 du député Bart Staes — JO C 364 E, p. 85).

(9)  — Julkisista hankinnoista annettu laki.

(10)  — Suomen Puolutusvoimien Teknillinen Tutkimuslaitos.

(11)  — Pääesikunta.

(12)  — Tribunal des affaires économiques.

(13)  — Cour administrative suprême.

(14)  — La Cour a depuis longtemps, dans son arrêt du 15 juillet 1964, Costa/Enel (6/64, Rec. p. 1141, 1270), établi qu’il s’agissait de mesures unilatérales.

(15)  — La juridiction de renvoi se réfère à ce propos à la communication interprétative de la Commission du 7 décembre 2006 sur l’application de l’article 296 du traité dans le domaine des marchés publics de la défense [COM(2006) 779 final, ci-après la «communication de la Commission»].

(16)  — Sur le motif d’irrecevabilité tiré du défaut manifeste de pertinence, voir, parmi une jurisprudence abondante, arrêts du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C-308/06, Rec. p. I-4057, points 31 et 32); du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C-45/09, Rec. p. I-9391, points 32 et 33), ainsi que du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C-509/09 et C-161/10, Rec. p. I-10269, points 32 et 33).

(17)  — Arrêts du 7 septembre 1999, Beck et Bergdorf (C-355/97, Rec. p. I-4977, point 22); Rosenbladt (précité à la note 16, point 33), et du 5 avril 2011, Société fiduciaire nationale d’expertise comptable (C-119/09, Rec. p. I-2551, point 21).

(18)  — Voir, en particulier, article 10 de la directive 2004/18, dans la version de la directive 2009/81, ainsi que article 2 et première phrase du dixième considérant de la directive 2009/81.

(19)  — Deuxième considérant de la directive 2004/18; dans le même sens, voir la jurisprudence constante de la Cour sur les différentes directives de coordination du droit des marchés publics, par exemple: arrêts du 3 octobre 2000, University of Cambridge (C-380/98, Rec. p. I-8035, point 16); du 13 novembre 2007, Commission/Irlande (C-507/03, Rec. p. I-9777, point 27), ainsi que du 13 décembre 2007, Bayerischer Rundfunk e.a. (C-337/06, Rec. p. I-11173, point 38).

(20)  — Voir article 2 UE et article 3, paragraphe 1, sous c), CE (devenu article 3, paragraphe 3, première phrase, TFUE).

(21)  — Arrêts précités à la note 2 Commission/Espagne (point 21); Commission/Finlande (point 46); Commission/Suède (point 44); Commission/Allemagne (point 69); Commission/Italie (C-387/05, point 46); Commission/Grèce (point 51); Commission/Danemark (point 52); Commission/Italie (C-239/06, point 47), et Commission/Portugal (point 63).

(22)  — Voir arrêt du 30 septembre 2003, Fiocchi munizioni/Commission (T-26/01, Rec. p. II-3951).

(23)  — Cela n’exclut pas, bien sûr, que la liste soit interprétée et appliquée de manière actualisée, de façon à tenir compte à chaque fois des évolutions récentes. Ainsi qu’il ressort du dixième considérant de la directive 2009/81, il s’agit en effet d’une liste «générique [qui] est à interpréter au sens large à la lumière du caractère évolutif des technologies, des politiques d’acquisition et des besoins militaires conduisant au développement de nouveaux types d’équipements […]» (de même, communication de la Commission, section 3). Ainsi la liste ne s’applique-t-elle pas seulement aux matériels militaires connus en 1958, mais aussi à ceux utilisés aujourd’hui par les forces armées des États membres pour autant qu’ils entrent dans les catégories qui y sont mentionnées.

(24)  — Arrêt Fiocchi munizioni/Commission (précité à la note 22, point 61).

(25)  — Le classement au point 5 de la liste de 1958 suppose qu’il s’agisse d’un «matériel de conduite du tir à usage militaire». La référence à la «conduite de tir» pourrait, en principe, être perçue en ce sens que le système de plateforme tournante en cause doit servir, en vue de la «guerre électronique», à la simulation et à l’exercice d’«acquisition de cible» et à préparer en définitive des «contre-mesures contre la reconnaissance aérienne». Cependant, les participants à la procédure n’ont pas reconnu, lors de l’audience, un tel lien avec la conduite de tir.

(26)  — Arrêts Agusta (point 47), et du 2 octobre 2008, Commission/Italie (C-157/06, Rec. p. I-7313, point 26).

(27)  — Voir, par exemple, points 5 et 11 («à usage militaire/pour l’usage militaire») ainsi que point 14 («pour autant qu’elles ont un caractère militaire») de la liste de 1958.

(28)  — «[La liste de 1958] ne comprend que les équipements qui sont conçus, développés et produits à des fins spécifiquement militaires» (deuxième phrase du dixième considérant de la directive 2009/81).

(29)  — Arrêt Agusta (en particulier points 48 et 49); voir, également, arrêt du 2 octobre 2008, Commission/Italie (précité à la note 26, point 27).

(30)  — Voir, également, arrêt Agusta (en particulier points 48 et 49), où la Cour part de la destination définie par le pouvoir adjudicateur.

(31)  — En ce sens, voir aussi le dixième considérant de la directive 2009/81, selon lequel la liste de 1958 «ne comprend que les équipements qui sont conçus, développés et produits à des fins spécifiquement militaires» (souligné par nous); voir, aussi, communication de la Commission (section 3), où il est question d’équipements «de nature et destinés à des fins purement militaires» (souligné aussi dans l’original).

(32)  — N o  2, sous a), 4 et 9, sous a), de la liste de 1958.

(33)  — N o  3, 5, sous a), 6, 8, sous b), et 10 de la liste de 1958.

(34)  — Arrêt Agusta (en particulier points 48 et 49).

(35)  — Arrêts du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner (C-475/99, Rec. p. I-8089, point 10); du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C-482/01 et C-493/01, Rec. p. I-5257, point 42), ainsi que du 25 janvier 2011, Neukirchinger (C-382/08, Rec. p. I-139, point 41).

(36)  — Dernière phrase du dixième considérant de la directive 2009/81. Même si cette déclaration est contenue dans un acte législatif qui ne s’applique pas ratione temporis au cas d’espèce, on ne voit pas ce qui s’opposerait à la prise en compte des considérations sous-jacentes lors de l’interprétation de la directive 2004/18 dans la version pertinente aux fins du litige au principal. En effet, au moins ledit dixième considérant comporte en substance des éclaircissements sur le sens de la liste de 1958 tel qu’il convenait déjà de l’interpréter.

(37)  — De manière tout à fait similaire, la Cour a expliqué qu’un État membre ne saurait invoquer l’article 296 CE pour exempter de droits de douane l’importation de matériel à double usage civil et militaire, «que ce dernier ait été importé exclusivement ou non à des fins militaires» (voir arrêts précités à la note 2, Commission/Suède, point 53, et Commission/Italie, C-387/05, point 55).

(38)  — Arrêts précités à la note 2 Commission/Finlande (point 47); Commission/Suède (point 45); Commission/Allemagne (point 70); Commission/Italie (point 47); Commission/Grèce (point 52); Commission/Danemark (point 53); Commission/Italie (C-239/06, point 48), et Commission/Portugal (point 64).

(39)  — Arrêt Fiocchi munizioni/Commission (précité à la note 22, point 58); voir, aussi, la communication de la Commission, selon laquelle l’article 296 CE offre une marge de manœuvre étendue aux États membres lorsqu’ils décident de la manière de protéger leurs intérêts essentiels de sécurité (section 4 de la communication) et «[définir] leurs intérêts essentiels de sécurité relève de la prérogative des États membres» (section 5 de la communication).

(40)  — Arrêts précités à la note 2 Commission/Espagne (points 22 et 24); Commission/Suède (point 47); Commission/Finlande (point 49); Commission/Allemagne (point 72); Commission/Italie (C-387/05, point 49); Commission/Grèce (point 54); Commission/Danemark (point 55); Commission/Italie (C-239/06, point 50), et Commission/Portugal (point 66).

(41)  — Voir aussi communication de la Commission (section 3).

(42)  — Arrêts Agusta (en particulier point 53), et du 2 octobre 2008, Commission/Italie (précité à la note 26, point 31); de même, communication de la Commission (section 5), selon laquelle il convient d’établir en quoi la non-application de la directive sur les marchés publics est nécessaire, dans un cas précis, à la protection d’un intérêt essentiel de sécurité.

(43)  — Arrêts Agusta (en particulier point 52), et du 2 octobre 2008, Commission/Italie (précité à la note 26, point 30).

(44)  — En ce qui concerne la confidentialité des informations classifiées du pouvoir adjudicateur, voir, en particulier, articles 7, 20 et 22 de la directive 2009/81; quant à la confidentialité des informations communiquées aux soumissionnaires, voir, par exemple, article 6 de la directive 2004/18 et article 6 de la directive 2009/81, ainsi que arrêt du 14 février 2008, Varec (C-450/06, Rec. p. I-581).

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