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Document 62007CJ0102

Arrêt de la Cour (première chambre) du 10 avril 2008.
adidas AG et adidas Benelux BV contre Marca Mode CV et autres.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
Marques - Articles 5, paragraphes 1, sous b), et 2, ainsi que 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104/CEE - Impératif de disponibilité - Marques figuratives à trois bandes - Motifs à deux bandes utilisés par des concurrents comme ornement - Reproche tiré de l’atteinte à la marque et de la dilution de cette dernière.
Affaire C-102/07.

Recueil de jurisprudence 2008 I-02439

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2008:217

Affaire C-102/07

adidas AG et adidas Benelux BV

contre

Marca Mode CV e.a.

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden)

«Marques — Articles 5, paragraphes 1, sous b), et 2, ainsi que 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104/CEE — Impératif de disponibilité — Marques figuratives à trois bandes — Motifs à deux bandes utilisés par des concurrents comme ornement — Reproche tiré de l’atteinte à la marque et de la dilution de cette dernière»

Sommaire de l'arrêt

1.        Rapprochement des législations — Marques — Directive 89/104 — Droit pour le titulaire d'une marque enregistrée de s'opposer à l'utilisation illicite de sa marque

(Directive du Conseil 89/104, art. 5, § 1, b))

2.        Rapprochement des législations — Marques — Directive 89/104 — Droit pour le titulaire d'une marque enregistrée de s'opposer à l'utilisation illicite de sa marque

(Directive du Conseil 89/104, art. 5, § 1, b))

3.        Rapprochement des législations — Marques — Directive 89/104 — Marque renommée

(Directive du Conseil 89/104, art. 5, § 2)

4.        Rapprochement des législations — Marques — Directive 89/104 — Limitation des effets de la marque

(Directive du Conseil 89/104, art. 6, § 1, b))

1.        Selon le dixième considérant de la première directive 89/104 sur les marques, l’appréciation de l’existence d’un risque de confusion «dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés». Le risque de confusion doit donc être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.

La circonstance qu’il existe, pour les opérateurs économiques, un besoin de disponibilité du signe ne saurait faire partie de ces facteurs pertinents. En effet, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, la réponse à la question de savoir s’il existe un risque de confusion doit être fondée sur la perception, par le public, des produits couverts par la marque du titulaire, d’une part, et des produits couverts par le signe utilisé par le tiers, d’autre part. En outre, des signes devant en principe rester disponibles pour l’ensemble des opérateurs économiques sont susceptibles d’être utilisés de manière abusive dans le but de créer une confusion dans l’esprit du consommateur. Si, dans un tel contexte, le tiers pouvait se prévaloir de l’impératif de disponibilité pour utiliser librement un signe pourtant similaire à la marque, sans que le titulaire de cette dernière puisse s’y opposer en invoquant un risque de confusion, il serait porté atteinte à l’application effective de la règle prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive.

(cf. points 29-31)

2.        La perception par le public d’un signe comme constituant un ornement ne saurait faire obstacle à la protection conférée par l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104, rapprochant les législations des États membres sur les marques, lorsque, malgré son caractère décoratif, le signe présente une similitude avec la marque enregistrée telle que le public concerné est susceptible de croire que les produits proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement.

Ainsi qu’il ressort du dixième considérant de la directive, cette appréciation du risque de confusion dépend non pas uniquement du degré de similitude entre la marque et le signe, mais également de la facilité avec laquelle le signe peut être associé à la marque eu égard, notamment, à la connaissance de cette dernière sur le marché. En effet, plus la marque est connue, plus grand sera le nombre d’opérateurs qui voudront utiliser des signes similaires. La présence sur le marché d’une grande quantité de produits couverts par des signes similaires pourrait porter atteinte à la marque en tant qu’elle risque de diminuer le caractère distinctif de la marque et de mettre en péril la fonction essentielle de celle-ci, qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits concernés.

(cf. points 34, 36)

3.        L’article 5, paragraphe 2, de la première directive 89/104, rapprochant les législations des États membres sur les marques, instaure, en faveur des marques renommées, une protection dont la mise en œuvre n’exige pas l’existence d’un risque de confusion. En effet, cette disposition s’applique à des situations dans lesquelles la condition spécifique de la protection est constituée par un usage sans juste motif du signe contesté qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

Les atteintes visées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas. Il n’est donc pas exigé que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe utilisé par le tiers soit tel qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion. Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe ait pour effet que le public concerné établit un lien entre le signe et la marque. L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents.

L’impératif de disponibilité est étranger tant à l’appréciation du degré de similitude entre la marque renommée et le signe utilisé par le tiers qu’au lien qui pourrait être fait par le public concerné entre ladite marque et ledit signe. Il ne saurait donc constituer un élément pertinent pour vérifier si l’usage du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

(cf. points 40-43)

4.        L’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive dispose que le titulaire d’une marque ne peut interdire aux tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci, pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. En limitant ainsi les effets du droit exclusif du titulaire de la marque, l’article 6 de la directive vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises ainsi que de la libre prestation des services dans le marché commun, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir.

Plus spécifiquement, l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive vise à sauvegarder la possibilité pour l’ensemble des opérateurs économiques d’utiliser des indications descriptives. Cette disposition constitue donc une expression de l’impératif de disponibilité. Toutefois, l’impératif de disponibilité ne saurait en aucun cas constituer une limitation autonome des effets de la marque s’ajoutant à celles expressément prévues à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive. Il convient à cet égard de souligner que, pour qu’un tiers puisse invoquer les limitations des effets de la marque contenues à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive et se prévaloir dans ce contexte de l’impératif de disponibilité qui sous-tend cette disposition, il faut que l’indication utilisée par lui soit, comme l’exige ladite disposition, relative à l’une des caractéristiques du produit commercialisé ou du service fourni par ce tiers.

(cf. points 44-47)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

10 avril 2008 (*)

«Marques – Articles 5, paragraphes 1, sous b), et 2, ainsi que 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104/CEE – Impératif de disponibilité – Marques figuratives à trois bandes – Motifs à deux bandes utilisés par des concurrents comme ornement – Reproche tiré de l’atteinte à la marque et de la dilution de cette dernière»

Dans l’affaire C‑102/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 16 février 2007, parvenue à la Cour le 21 février 2007, dans la procédure

adidas AG,

adidas Benelux BV

contre

Marca Mode CV,

C&A Nederland CV,

H&M Hennes & Mauritz Netherlands BV,

Vendex KBB Nederland BV,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, M. Ilešič (rapporteur) et E. Levits, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 décembre 2007,

considérant les observations présentées:

–        pour adidas AG et adidas Benelux BV, par Mes G. Vos et A. Quaedvlieg, advocaten,

–        pour Marca Mode CV et Marca CV, par Me J. Brinkhof, advocaat,

–        pour H&M Hennes & Mauritz Netherlands BV, par Me G. van Roeyen, advocaat,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Gibbs, en qualité d’agent, assistée de M. M. Edenborough, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. W. Wils, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 janvier 2008,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant adidas AG et adidas Benelux BV à Marca Mode CV (ci-après «Marca Mode»), C&A Nederland CV (ci-après «C&A»), H&M Hennes & Mauritz Netherlands BV (ci-après «H&M») et Vendex KBB Nederland BV (ci-après «Vendex»), au sujet de l’étendue de la protection des marques figuratives à trois bandes dont adidas AG est titulaire.

 Le cadre juridique

3        L’article 3 de la directive, intitulé «Motifs de refus ou de nullité», dispose, à son paragraphe 1:

«1.      Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:

a)       les signes qui ne peuvent constituer une marque;

b)       les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

c)       les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;

d)      les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;

e)      les signes constitués exclusivement:

–      par la forme imposée par la nature même du produit,

–      par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique,

–      par la forme qui donne une valeur substantielle au produit;

[…]»

4        L’article 3, paragraphe 3, de la directive énonce:

«Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.»

5        L’article 5 de la directive, intitulé «Droits conférés par la marque», dispose, à ses paragraphes 1 et 2:

«1.      La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

2.      Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

6        L’article 6 de la directive, intitulé «Limitation des effets de la marque», prévoit, à son paragraphe 1:

«Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires,

a)      de son nom et de son adresse;

b)      d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci;

c)      de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»

7        L’article 12 de la directive, intitulé «Motifs de déchéance», énonce à son paragraphe 2:

«Le titulaire d’une marque peut […] être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque:

a)       est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée;

[…]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8        La société adidas AG est titulaire de marques figuratives constituées par trois bandes verticales parallèles, de largeur égale, qui sont apposées latéralement sur des vêtements de sport et de loisirs, et dont la couleur contraste avec la couleur principale de ces vêtements.

9        La société adidas Benelux BV est titulaire d’une licence exclusive pour le Benelux accordée par adidas AG.

10      Marca Mode, C&A, H&M et Vendex sont des entreprises concurrentes ayant pour activité le commerce d’articles textiles.

11      Après avoir constaté que certains de ces concurrents avaient commencé à mettre en vente des vêtements de sport et de loisirs sur lesquels figurent deux bandes parallèles dont la couleur contraste avec la couleur principale de ces derniers, adidas AG et adidas Benelux BV (ci-après, ensemble, «adidas») ont introduit devant le Rechtbank te Breda une procédure de référé à l’encontre de H&M ainsi qu’une action au fond à l’encontre de Marca Mode et de C&A, afin qu’il soit interdit à ces entreprises d’utiliser tout signe constitué par le motif à trois bandes enregistré à la demande d’adidas ou par un motif correspondant à celui-ci, tel que le motif à deux bandes parallèles utilisé par ces entreprises.

12      Marca Mode, C&A, H&M et Vendex ont, quant à elles, introduit des demandes devant le Rechtbank te Breda pour que celui-ci déclare qu’elles sont libres de faire figurer deux bandes à des fins décoratives sur des vêtements de sport et de loisirs.

13      Par un jugement du 2 octobre 1997, le président du Rechtbank te Breda, statuant en référé, a enjoint à H&M de cesser d’utiliser au Benelux le signe constitué par le motif à trois bandes enregistré à la demande d’adidas ou tout autre signe correspondant à celui-ci, tel que le motif à deux bandes utilisé par elle.

14      Par un jugement avant dire droit du 13 octobre 1998, le Rechtbank te Breda a jugé qu’il avait été porté atteinte aux marques dont adidas est titulaire.

15      Les jugements des 2 octobre 1997 et 13 octobre 1998 ont fait l’objet d’appels devant le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch.

16      Par arrêt du 29 mars 2005, le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch a annulé les jugements des 2 octobre 1997 et 13 octobre 1998 et, statuant lui-même sur le litige, il a rejeté tant la demande d’adidas que celles de Marca Mode, C&A, H&M et Vendex au motif, d’une part, qu’il n’avait pas été porté atteinte aux marques dont adidas est titulaire et, d’autre part, que les demandes présentées par Marca Mode, C&A, H&M et Vendex avaient une portée trop générale.

17      Le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch a précisé qu’un motif à trois bandes tel que celui qui a été enregistré à la demande d’adidas est en soi peu distinctif, mais que, en raison des efforts de publicité déployés par adidas, les marques dont celle-ci est titulaire ont acquis un caractère distinctif considérable et sont devenues notoirement connues. Lesdites marques jouiraient, par conséquent, d’une protection étendue en ce qui concerne le motif à trois bandes. Toutefois, étant donné que les bandes et les simples motifs à bandes sont, en principe, des signes qui doivent demeurer disponibles et qui ne se prêtent donc pas à un droit exclusif, les marques dont adidas est titulaire ne sauraient offrir une quelconque protection contre l’usage de motifs à deux bandes.

18      S’étant pourvue en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden, adidas estime que, dans l’économie du régime institué par la directive, l’impératif de disponibilité doit seulement être pris en compte lors de l’application des motifs de refus ou de nullité prévus à l’article 3 de la directive.

19      C’est dans ces conditions que le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Lors de l’appréciation de l’étendue de la protection d’une marque qui, quoiqu’elle consiste en un signe ne présentant pas intrinsèquement de caractère distinctif ou en une indication au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive […], a acquis un caractère distinctif par l’usage (‘inburgering’) et a été enregistrée, convient-il de tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité de certains signes pour les autres opérateurs offrant les produits ou services concernés (‘Freihaltebedürfnis’)?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative, est-il indifférent, à cet égard, que les signes en question, soumis à l’impératif de disponibilité, soient considérés par le public concerné comme des signes distinctifs de certains produits ou comme de simples ornements de ces produits?

3)      Si la première question appelle une réponse affirmative, est-il également indifférent, à cet égard, que le signe contesté par le titulaire de la marque soit dépourvu de caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive […] ou qu’il comporte une désignation telle que visée à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive?»

 Sur les questions préjudicielles

20      Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance dans quelle mesure il convient de tenir compte de l’intérêt général consistant à ne pas restreindre indûment la disponibilité de certains signes lors de l’appréciation de l’étendue du droit exclusif du titulaire d’une marque.

21      Ladite juridiction a formulé cette demande eu égard au motif à trois bandes enregistré à la demande d’adidas, qui a acquis un caractère distinctif par l’usage. En particulier, elle cherche à savoir si, lorsque des tiers utilisent des signes identiques ou similaires à la marque concernée sans le consentement du titulaire de celle-ci et invoquent à l’appui de cet usage l’impératif de disponibilité, il importe de savoir si lesdits signes sont considérés ou non par le public concerné comme décoratifs, s’ils sont dépourvus ou non de caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive, et s’ils ont ou non un caractère descriptif au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive.

 Considérations liminaires

22      Ainsi que l’a rappelé M. l’avocat général aux points 33 et suivants de ses conclusions, il existe des considérations d’intérêt général, tenant notamment à la nécessité d’une concurrence non faussée, qui recommandent que certains signes puissent être utilisés librement par l’ensemble des opérateurs économiques.

23      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, cet impératif de disponibilité est la ratio qui sous-tend certains motifs de refus d’enregistrement énoncés à l’article 3 de la directive (voir notamment, en ce sens, arrêts du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, Rec. p. I-2779, point 25; du 8 avril 2003, Linde e.a., C-53/01 à C-55/01, Rec. p. I-3161, point 73, et du 6 mai 2003, Libertel, C-104/01, Rec. p. I-3793, point 53).

24      En outre, l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive prévoit que le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits lorsque, après son enregistrement, la marque est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service pour lequel elle est enregistrée. Par cette disposition, le législateur communautaire a procédé à une mise en balance des intérêts du titulaire de la marque et de ceux de ses concurrents liés à une disponibilité des signes (voir arrêt du 27 avril 2006, Levi Strauss, C-145/05, Rec. p. I-3703, point 19).

25      S’il s’avère ainsi que l’impératif de disponibilité joue un rôle pertinent dans le cadre des articles 3 et 12 de la directive, force est de constater que la présente demande de décision préjudicielle dépasse ce cadre, puisqu’elle soulève la question de savoir si l’impératif de disponibilité constitue un critère d’appréciation, après l’enregistrement d’une marque, aux fins de délimiter l’étendue du droit exclusif du titulaire de la marque. En effet, Marca Mode, C&A, H&M et Vendex ne cherchent pas à obtenir une déclaration de nullité au sens dudit article 3 ou de déchéance au sens dudit article 12, mais invoquent le besoin de disponibilité de motifs à bandes autres que celui enregistré à la demande d’adidas, afin de faire valoir leur droit d’utiliser ces motifs sans le consentement de celle-ci.

26      Or, lorsqu’un tiers se prévaut de l’impératif de disponibilité pour faire valoir son droit d’utiliser un signe autre que celui enregistré à la demande du titulaire de la marque, la pertinence d’un tel argument ne saurait être appréciée dans le cadre des articles 3 et 12 de la directive, mais doit être examinée au regard de l’article 5 de la directive, qui concerne la protection de la marque enregistrée contre l’utilisation de signes par des tiers, ainsi qu’au regard de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive, si le signe concerné entre dans le champ d’application de cette disposition.

 Sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive

27      En conférant au titulaire d’une marque un droit d’interdire à tout tiers de faire usage d’un signe identique ou similaire, en cas de risque de confusion, et en indiquant certains des usages d’un tel signe qui peuvent être interdits, l’article 5 de la directive vise à protéger ce titulaire contre des usages de signes susceptibles de porter atteinte à cette marque (voir, en ce sens, arrêt Levi Strauss, précité, point 14).

28      Le risque de confusion constitue la condition spécifique de la protection conférée par la marque enregistrée, notamment contre l’usage par des tiers de signes non identiques. La Cour a défini cette condition comme le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement (voir arrêts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, point 17, ainsi que du 6 octobre 2005, Medion, C-120/04, Rec. p. I-8551, points 24 et 26).

29      Selon le dixième considérant de la directive, l’appréciation de l’existence d’un tel risque «dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés». Le risque de confusion doit donc être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir arrêts du 11 novembre 1997, SABEL, C-251/95, Rec. p. I-6191, point 22; du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, point 40, et Medion, précité, point 27).

30      La circonstance qu’il existe, pour les opérateurs économiques, un besoin de disponibilité du signe ne saurait faire partie de ces facteurs pertinents. En effet, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive et de la jurisprudence précitée, la réponse à la question de savoir s’il existe un risque de confusion doit être fondée sur la perception, par le public, des produits couverts par la marque du titulaire, d’une part, et des produits couverts par le signe utilisé par le tiers, d’autre part.

31      En outre, des signes devant en principe rester disponibles pour l’ensemble des opérateurs économiques sont susceptibles d’être utilisés de manière abusive dans le but de créer une confusion dans l’esprit du consommateur. Si, dans un tel contexte, le tiers pouvait se prévaloir de l’impératif de disponibilité pour utiliser librement un signe pourtant similaire à la marque, sans que le titulaire de cette dernière puisse s’y opposer en invoquant un risque de confusion, il serait porté atteinte à l’application effective de la règle prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive.

32      Cette considération vaut notamment pour les motifs à bandes. Ainsi qu’adidas l’a reconnu dans la partie introductive de ses observations, les motifs à bandes en tant que tels sont disponibles et peuvent donc être apposés d’une multitude de façons sur des vêtements de sport et de loisirs par l’ensemble des opérateurs. Néanmoins, les concurrents d’adidas ne sauraient être autorisés à porter atteinte au motif à trois bandes enregistré à la demande de cette dernière en apposant sur les vêtements de sport et de loisirs qu’ils commercialisent des motifs à bandes à tel point similaires à celui enregistré à la demande d’adidas qu’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion.

33      Il incombera au juge national de vérifier si un tel risque de confusion existe. En vue de cette vérification, il est utile d’examiner la question de la juridiction de renvoi visant à savoir s’il importe de vérifier si le public perçoit le signe utilisé par le tiers comme un simple ornement du produit concerné.

34      À cet égard, il convient de relever que la perception par le public d’un signe comme constituant un ornement ne saurait faire obstacle à la protection conférée par l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive lorsque, malgré son caractère décoratif, ledit signe présente une similitude avec la marque enregistrée telle que le public concerné est susceptible de croire que les produits proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement.

35      En l’espèce, il conviendra donc d’apprécier si le consommateur moyen, lorsqu’il perçoit des vêtements de sport et de loisirs sur lesquels sont apposés des motifs à bandes aux mêmes endroits et avec les mêmes caractéristiques que le motif à bandes enregistré à la demande d’adidas, à la différence près qu’ils sont composés de deux et non de trois bandes, peut se méprendre sur l’origine de ce produit, en croyant que celui-ci est commercialisé par adidas AG, adidas Benelux BV ou une entreprise liée économiquement à celles-ci.

36      Ainsi qu’il ressort du dixième considérant de la directive, cette appréciation dépend non pas uniquement du degré de similitude entre la marque et le signe, mais également de la facilité avec laquelle le signe peut être associé à la marque eu égard, notamment, à la connaissance de cette dernière sur le marché. En effet, plus la marque est connue, plus grand sera le nombre d’opérateurs qui voudront utiliser des signes similaires. La présence sur le marché d’une grande quantité de produits couverts par des signes similaires pourrait porter atteinte à la marque en tant qu’elle risque de diminuer le caractère distinctif de la marque et de mettre en péril la fonction essentielle de celle-ci, qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits concernés.

 Sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, de la directive

37      Il n’est pas contesté par les parties au principal que le motif à trois bandes enregistré à la demande d’adidas constitue une marque renommée. En outre, il est constant que la législation applicable aux Pays-Bas comporte la règle visée à l’article 5, paragraphe 2, de la directive. Au demeurant, la Cour a précisé que l’article 5, paragraphe 2, de la directive s’applique également par rapport aux produits et aux services qui sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée (voir, en ce sens, arrêts du 9 janvier 2003, Davidoff, C-292/00, Rec. p. I-389, point 30, ainsi que du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon et Adidas Benelux, C-408/01, Rec. p. I-12537, points 18 à 22).

38      Le motif à trois bandes enregistré à la demande d’adidas bénéficie donc tant de la protection conférée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive que de celle, renforcée, accordée par le paragraphe 2 du même article (voir, par analogie, arrêt Davidoff, précité, points 18 et 19).

39      Dans ces conditions, il convient de répondre à la demande de décision préjudicielle aussi sous l’angle de cette dernière disposition, qui concerne spécifiquement la protection des marques renommées.

40      L’article 5, paragraphe 2, de la directive instaure, en faveur des marques renommées, une protection dont la mise en œuvre n’exige pas l’existence d’un risque de confusion. En effet, cette disposition s’applique à des situations dans lesquelles la condition spécifique de la protection est constituée par un usage sans juste motif du signe contesté qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice (arrêts précités Marca Mode, point 36, ainsi qu’Adidas-Salomon et Adidas Benelux, point 27).

41      Les atteintes visées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas. Il n’est donc pas exigé que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe utilisé par le tiers soit tel qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion. Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe ait pour effet que le public concerné établit un lien entre le signe et la marque (voir arrêt Adidas-Salomon et Adidas Benelux, précité, points 29 et 31).

42      L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents (arrêt Adidas-Salomon et Adidas Benelux, précité, point 30).

43      Force est de constater que l’impératif de disponibilité est étranger tant à l’appréciation du degré de similitude entre la marque renommée et le signe utilisé par le tiers qu’au lien qui pourrait être fait par le public concerné entre ladite marque et ledit signe. Il ne saurait donc constituer un élément pertinent pour vérifier si l’usage du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

 Sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive

44      L’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive dispose que le titulaire d’une marque ne peut interdire aux tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci, pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

45      En limitant ainsi les effets du droit exclusif du titulaire de la marque, l’article 6 de la directive vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises ainsi que de la libre prestation des services dans le marché commun, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité CE entend établir et maintenir (voir arrêt du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland, C-228/03, Rec. p. I-2337, point 29 et jurisprudence citée).

46      Plus spécifiquement, l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive vise à sauvegarder la possibilité pour l’ensemble des opérateurs économiques d’utiliser des indications descriptives. Cette disposition constitue donc, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 75 et 78 de ses conclusions, une expression de l’impératif de disponibilité.

47      Toutefois, l’impératif de disponibilité ne saurait en aucun cas constituer une limitation autonome des effets de la marque s’ajoutant à celles expressément prévues à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive. Il convient à cet égard de souligner que, pour qu’un tiers puisse invoquer les limitations des effets de la marque contenues à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive et se prévaloir dans ce contexte de l’impératif de disponibilité qui sous-tend cette disposition, il faut que l’indication utilisée par lui soit, comme l’exige ladite disposition, relative à l’une des caractéristiques du produit commercialisé ou du service fourni par ce tiers (voir, en ce sens, arrêts Windsurfing Chiemsee, précité, point 28, et du 25 janvier 2007, Adam Opel, C-48/05, Rec. p. I-1017, points 42 à 44).

48      En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi et des observations présentées par les concurrents d’adidas devant la Cour que ces derniers invoquent comme justification de l’utilisation des motifs à deux bandes litigieux le caractère purement décoratif de ceux-ci. Il s’ensuit que l’apposition, par ces concurrents, de motifs à bandes sur des vêtements ne vise pas à fournir une indication relative à l’une des caractéristiques de ces produits.

49      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la demande de décision préjudicielle que la directive doit être interprétée en ce sens qu’il ne saurait être tenu compte de l’impératif de disponibilité lors de l’appréciation de l’étendue du droit exclusif du titulaire d’une marque, sauf dans la mesure où est applicable la limitation des effets de la marque définie à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de ladite directive.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

La première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprétée en ce sens qu’il ne saurait être tenu compte de l’impératif de disponibilité lors de l’appréciation de l’étendue du droit exclusif du titulaire d’une marque, sauf dans la mesure où est applicable la limitation des effets de la marque définie à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de ladite directive.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.

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