Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62007CJ0092

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 29 avril 2010.
Commission européenne contre Royaume des Pays-Bas.
Accord d’association CEE-Turquie - Règles de ‘standstill’ et de non-discrimination - Obligation d’acquitter des droits aux fins de l’obtention et de la prorogation d’un permis de séjour - Proportionnalité des droits à acquitter - Comparaison avec les droits acquittés par des citoyens de l’Union - Article 9 de l’accord d’association - Article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel - Articles 10, paragraphe 1, et 13 de la décision nº 1/80 du conseil d’association.
Affaire C-92/07.

Recueil de jurisprudence 2010 I-03683

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2010:228

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 avril 2010 ( *1 )

«Accord d’association CEE-Turquie — Règles de ‘standstill’ et de non-discrimination — Obligation d’acquitter des droits aux fins de l’obtention et de la prorogation d’un permis de séjour — Proportionnalité des droits à acquitter — Comparaison avec les droits acquittés par des citoyens de l’Union — Article 9 de l’accord d’association — Article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel — Articles 10, paragraphe 1, et 13 de la décision no 1/80 du conseil d’association»

Dans l’affaire C-92/07,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 16 février 2007,

Commission européenne, représentée par M. P. J. Kuijper et Mme S. Boelaert, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes H. G. Sevenster et C. Wissels ainsi que par M. M. de Grave, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, Mme P. Lindh (rapporteur), MM. A. Rosas, A. Ó Caoimh et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 novembre 2009,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en instituant et en maintenant, pour la délivrance de permis de séjour, un régime prévoyant des droits supérieurs à ceux qui sont exigés des ressortissants des États membres ainsi que de la République d’Islande, de la Principauté de Liechtenstein, du Royaume de Norvège et de la Confédération suisse pour la délivrance de documents similaires, et en appliquant ce régime aux ressortissants turcs ayant un droit de séjour aux Pays-Bas en vertu:

de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, signé le 12 septembre 1963 à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’«accord d’association»),

du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles, et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du (JO L 293, p. 1, ci-après le «protocole additionnel»), et

de la décision no 1/80, adoptée le 19 septembre 1980 par le conseil d’association, institué par l’accord d’association et composé, d’une part, de membres des gouvernements des États membres, du Conseil de l’Union européenne ainsi que de la Commission et, d’autre part, de membres du gouvernement turc,

le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’accord d’association, à savoir de son article 9, du protocole additionnel, à savoir de son article 41, et de la décision no 1/80, à savoir de ses articles 10, paragraphe 1, et 13.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

L’association CEE-Turquie

— L’accord d’association

2

Conformément à son article 2, paragraphe 1, l’accord d’association a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, y compris dans le domaine de la main-d’œuvre, par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs ainsi que par l’élimination des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, en vue d’améliorer le niveau de vie du peuple turc et de faciliter ultérieurement l’adhésion de la République de Turquie à la Communauté.

3

L’article 9 de l’accord d’association est libellé comme suit:

«Les parties contractantes reconnaissent que dans le domaine d’application de l’accord, et sans préjudice des dispositions particulières qui pourraient être établies en application de l’article 8, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite en conformité du principe énoncé dans l’article 7 du traité instituant la Communauté.»

— Le protocole additionnel

4

Conformément à son article 62, le protocole additionnel fait partie intégrante de l’accord d’association.

5

L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel énonce:

«Les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.»

6

L’article 59 dudit protocole stipule:

«Dans les domaines couverts par le présent protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité instituant la Communauté.»

— La décision no 1/80

7

L’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 est rédigé comme suit:

«Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

8

L’article 10, paragraphe 1, de cette décision prévoit:

«Les États membres de la Communauté accordent aux travailleurs turcs appartenant à leur marché régulier de l’emploi un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux travailleurs communautaires en ce qui concerne la rémunération et les autres conditions de travail.»

9

L’article 13 de ladite décision dispose:

«Les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi.»

La directive 2004/38/CE

10

La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatifs JO L 229, p. 35, JO 2005, L 197, p. 34, et JO 2007, L 204, p. 28), contient à son article 25, intitulé «Dispositions générales concernant les documents de séjour», les dispositions suivantes:

«1.   La possession d’une attestation d’enregistrement, telle que visée à l’article 8, d’un document attestant l’introduction d’une demande de carte de séjour de membre de la famille, d’une carte de séjour, ou d’une carte de séjour permanent ne peut en aucun cas constituer une condition préalable à l’exercice d’un droit ou [à] l’accomplissement d’une formalité administrative, la qualité de bénéficiaire des droits pouvant être attestée par tout autre moyen de preuve.

2.   Tout document mentionné au paragraphe 1 est délivré gratuitement ou contre versement d’un droit ne dépassant pas celui exigé des ressortissants [nationaux] pour la délivrance de documents similaires.»

La réglementation nationale

11

Jusqu’en 1993, le Royaume des Pays-Bas ne prévoyait pas le paiement de droits, par les étrangers et, notamment, par les ressortissants turcs, à l’occasion de la présentation d’une demande de permis de séjour ou d’une demande de prorogation de la validité d’un tel permis. Au cours de l’année 1993, cet État membre a modifié sa loi sur les étrangers, dans sa version de 1965, et, depuis le 1er février 1994, un étranger est tenu de payer de tels droits pour le traitement d’une demande d’entrée aux Pays-Bas.

12

Cette loi a été entièrement revue par la loi procédant à une révision générale de la loi sur les étrangers (Wet tot algehele herziening van de Vreemdelingenwet), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, no 495), et modifiée à plusieurs reprises par la suite, notamment au cours des années 2002, 2003 et 2005.

13

Il ressort des données figurant dans la requête, et non contestées par le Royaume des Pays-Bas, que le montant des droits appliqués aux ressortissants turcs et celui des droits payés par les citoyens de l’Union ont varié de la manière suivante entre 1994 et 2005:

 

Citoyens de l’Union

Ressortissants turcs

Avant le 1er février 1994

0

0

Au 15 février 1994

35 NLG (16 euros environ)

de 125 NLG à 1 000 NLG (de 57 euros environ à 454 euros environ)

Au 1er mai 2002

26 euros

de 50 euros à 539 euros

Au 1er janvier 2003

28 euros

de 285 euros à 890 euros

Au 1er juillet 2005

30 euros

de 52 euros à 830 euros

La procédure précontentieuse

14

La Commission a entamé une procédure d’infraction à la suite d’une plainte introduite au cours de l’année 2003 par un ressortissant néerlandais vivant avec une ressortissante turque.

15

Le 24 janvier 2005, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure au Royaume des Pays-Bas, lequel a répondu à cette dernière par une lettre du . N’étant pas d’accord avec l’analyse juridique faite par cet État membre, la Commission lui a adressé, le , un avis motivé l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa réception. Le Royaume des Pays-Bas a répondu à cet avis motivé le 9 juin suivant.

16

N’étant toujours pas convaincue par les arguments invoqués par le Royaume des Pays-Bas, la Commission a introduit le présent recours.

La procédure devant la Cour

17

Par ordonnance du président de la Cour du 29 juin 2007, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Royaume des Pays-Bas.

18

Par décision du président de la troisième chambre du 14 octobre 2008, la procédure a été suspendue dans la présente affaire jusqu’au prononcé de l’arrêt du , Sahin (C-242/06, Rec. p. I-8465).

Sur le recours

Argumentation des parties

19

La Commission soutient que les droits exigés des ressortissants turcs depuis le 1er février 1994 et jusqu’au terme du délai fixé dans l’avis motivé, pour l’obtention ou la prorogation d’un permis de séjour (ci-après les «droits litigieux»), sont contraires aux règles de «standstill» et de non-discrimination figurant dans la réglementation de l’Union relative à l’association CEE-Turquie.

20

Les droits litigieux enfreindraient les règles de «standstill» car ils constitueraient des mesures nouvelles ayant aggravé la situation des ressortissants turcs en matière de droits à acquitter pour l’obtention d’un titre de séjour. En effet, ces personnes n’étaient pas soumises, précédemment, à l’obligation d’acquitter de tels droits et les montants de ceux-ci auraient, en outre, été augmentés à plusieurs reprises depuis 1994.

21

La Commission estime que les droits litigieux sont contraires, à l’article 13 de la décision no 1/80, en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, et à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, s’agissant de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, ainsi qu’à l’article 9 de l’accord d’association et à l’article 10, paragraphe 1, de la décision no 1/80, en ce qui concerne l’interdiction des discriminations.

22

Selon la Commission, l’article 13 de la décision no 1/80 s’applique même si les travailleurs et les membres de leur famille ne sont pas encore intégrés dans l’État membre d’accueil et, par conséquent, ne peuvent pas se prévaloir des dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision. L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel s’opposerait à toute aggravation des possibilités de s’établir ou d’offrir des services afin de permettre aux personnes concernées l’exercice de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services.

23

La Commission fait valoir que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les clauses de «standstill» ont un effet direct et portent également sur le droit de séjour. Dans ses observations portant sur le mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne, elle soutient que l’arrêt du 20 septembre 2007, Tum et Dari (C-16/05, Rec. p. I-7415), prononcé après que les mémoires en réplique et en duplique ont été déposés, confirme son analyse. Elle rappelle que, dans cet arrêt, la Cour a jugé que les règles de «standstill» s’appliquent à toute nouvelle restriction, qu’il s’agisse d’une restriction découlant d’une règle de fond ou de forme, et que ces règles ne sont pas soumises à un seuil de minimis.

24

La Commission considère qu’il convient de comparer la situation au 1er février 1994 avec celle qui prévalait lors de l’entrée en vigueur du protocole additionnel, à savoir le , s’agissant de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, et, en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, avec la situation au ou au , selon que l’on se fonde sur la décision no 1/80 ou sur celle qui l’a précédée, à savoir la décision no 2/76, relative à la mise en œuvre de l’article 12 de l’accord d’association, adoptée par le conseil d’association le .

25

La Commission admet que les règles de «standstill» ne portent pas atteinte au droit des États membres de réglementer la première admission des ressortissants turcs sur leur territoire ainsi que les conditions d’exercice de leur première activité professionnelle. Elle précise également qu’il existe des limites à ces règles de «standstill», à savoir celle qui résulte de l’article 59 du protocole additionnel, en vertu duquel les ressortissants turcs ne peuvent bénéficier de droits plus favorables que ceux accordés aux citoyens de l’Union, et celle qui résulte de l’application des règles de non-discrimination. Or, en dépit de la prise en compte de ces règles, la réglementation néerlandaise serait contraire aux règles de «standstill».

26

S’agissant des règles de non-discrimination, la Commission soutient que l’article 10, paragraphe 1, de la décision no 1/80, qui interdit les discriminations en matière de conditions de travail, est applicable car les droits exigés des ressortissants turcs lors de la présentation d’une demande de titre de séjour constitueraient une condition de travail. Or, selon l’arrêt du 8 mai 2003, Wählergruppe Gemeinsam (C-171/01, Rec. p. I-4301, point 57), la règle d’égalité de traitement prévue à cet article 10 prescrirait une obligation de résultat. Par ailleurs, même si ledit article n’était pas applicable, les droits litigieux devraient être jugés discriminatoires en application de l’article 9 de l’accord d’association, lequel interdirait, d’une manière générale, les discriminations.

27

Lors de l’audience devant la Cour, la Commission a indiqué qu’elle prenait acte de l’arrêt Sahin, précité, dans lequel la Cour a examiné si des droits, tels que ceux appliqués aux ressortissants turcs au cours de l’année 2002, étaient conformes à la règle de «standstill» visée à l’article 13 de la décision no 1/80, en se fondant sur la notion de proportionnalité et en vérifiant si ces droits n’étaient pas disproportionnés par rapport à ceux appliqués aux ressortissants des États membres pour la délivrance de documents similaires. La Commission estime que la notion de «droits supérieurs», à laquelle elle se réfère dans le dispositif de sa requête, comprend celle de «droits disproportionnés» et peut être entendue en ce sens.

28

En défense, le Royaume des Pays-Bas, après avoir relevé une incertitude quant à la portée du manquement, a admis, lors de ladite audience, que la requête visait non seulement les droits relatifs à la prorogation des permis de séjour mais aussi les droits se rapportant à la première délivrance de ces permis.

29

Le Royaume des Pays-Bas a également indiqué qu’il prenait acte des arrêts intervenus postérieurement au dépôt de son mémoire en duplique, à savoir les arrêts Tum et Dari, précité; du 19 février 2009, Soysal et Savatli (C-228/06, Rec. p. I-1031), ainsi que Sahin, précité. Il reconnaît, en conséquence, que les règles de «standstill» concernent non seulement les règles de fond mais aussi les règles de forme et qu’elles s’appliquent aux droits des ressortissants turcs dès la première admission de ces derniers sur le territoire des États membres dans les domaines de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services. Il maintient en revanche que les règles de «standstill» visées à l’article 13, paragraphe 1, de la décision no 1/80 ne s’appliquent pas à la première admission des travailleurs turcs dans un État membre.

30

En ce qui concerne les travailleurs turcs, le Royaume des Pays-Bas fait valoir que l’existence d’un droit de séjour dépend de celle d’un droit d’accès au marché du travail de l’État membre de destination en vertu des articles 6 et 7 de la décision no 1/80. Seuls les ressortissants turcs légalement entrés sur le territoire d’un État membre et qui appartiennent au marché régulier du travail de cet État, ainsi que les membres de leur famille, disposeraient d’un droit de séjour dans ledit État membre. Les autres travailleurs turcs ne bénéficieraient pas d’un droit de séjour en vertu de la décision no 1/80, mais demeureraient soumis aux règles nationales d’immigration de l’État membre dans lequel ils souhaitent séjourner.

31

En ce qui concerne, ensuite, le montant des droits appliqués aux ressortissants turcs pour l’octroi d’un permis de séjour, le Royaume des Pays-Bas a indiqué, lors de l’audience devant la Cour, qu’il avait réduit leur montant à compter du 17 septembre 2009. Ces droits ne seraient pas différents de ceux applicables aux citoyens de l’Union pour la délivrance de documents similaires, sauf dans le cas d’une première admission aux fins de l’établissement ou de la fourniture de prestations de services et dans celui d’une première admission en tant que travailleur, la différence étant plus substantielle dans le second de ces cas.

32

Quant au montant des droits litigieux, le Royaume des Pays-Bas maintient qu’il est justifié. Il s’appuie, par analogie, sur l’arrêt du 16 novembre 2004, Panayotova e.a. (C-327/02, Rec. p. I-11055), relatif aux accords européens établissant des associations entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République de Bulgarie, la République de Pologne et la République slovaque, d’autre part. Il se réfère au point 20 de cet arrêt dans lequel la Cour a jugé que les restrictions apportées au droit d’établissement par la législation de l’État membre d’accueil en matière d’immigration doivent être aptes à réaliser l’objectif visé et ne pas constituer, au regard de celui-ci, une intervention qui porterait atteinte à la substance même des droits octroyés. Le Royaume des Pays-Bas soutient qu’il convient de vérifier, de manière analogue, que les droits litigieux ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice par les ressortissants turcs des droits qui leur sont conférés par l’accord d’association. Il ajoute que ces droits doivent être non discriminatoires, proportionnés, conformes aux droits fondamentaux et d’un montant raisonnable.

33

Le Royaume des Pays-Bas fait valoir que les droits litigieux partagent ces caractéristiques.

34

Ces droits ne porteraient aucunement atteinte à la substance du droit, reconnu par la décision no 1/80, d’accéder au marché du travail, étant donné qu’ils constitueraient non pas une nouvelle condition matérielle nécessaire pour l’obtention du droit de séjour que cette décision accorde aux ressortissants turcs, mais une simple exigence formelle aux fins de la constatation, par les autorités néerlandaises, de ce droit de séjour.

35

Les droits litigieux ne seraient pas discriminatoires car il existe des différences fondamentales entre la situation des ressortissants turcs et celle des citoyens de l’Union. En effet, l’accord d’association ne créerait pas un marché intérieur avec la République de Turquie et ne conférerait pas la citoyenneté de l’Union aux ressortissants turcs. La Commission essaierait donc, à tort, d’étendre aux ressortissants turcs les dispositions de la directive 2004/38.

36

Les droits litigieux ne seraient pas disproportionnés, étant donné que les ressortissants turcs qui souhaitent immigrer dans un État membre disposent normalement de moyens suffisants pour payer ces droits. Les intéressés pourraient, le cas échéant, emprunter les sommes nécessaires.

37

Les droits litigieux ne porteraient pas non plus atteinte aux droits fondamentaux. Par ailleurs, le Parlement néerlandais aurait prévu une exonération en faveur des étrangers pouvant se prévaloir de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, lorsqu’ils ne sont pas en mesure de s’acquitter des droits litigieux.

38

Ces droits seraient d’un montant raisonnable. Ils seraient fondés sur une analyse du prix de revient de l’établissement des documents délivrés et des modifications auraient été apportées aux montants réclamés pour tenir compte des dernières études de coûts. Les ressortissants turcs ne paieraient pas plus de 70% des coûts générés par le traitement des demandes de titre de séjour, 30% de ces coûts demeurant à la charge de l’État.

39

Le Royaume des Pays-Bas ajoute que la Commission accepte que les États membres puissent passer d’un système de droits nominaux à un système où les droits reflètent davantage les coûts. Or, c’est précisément ce qu’aurait fait le Royaume des Pays-Bas en rapprochant le montant des droits litigieux du prix de revient de l’établissement des documents dont la délivrance est demandée.

40

Enfin, cet État membre a soutenu, lors de l’audience devant la Cour, que le grief formulé par la Commission dans sa requête, tiré de ce que le montant des droits litigieux est «supérieur» à celui appliqué aux ressortissants des États membres, ne correspond pas au critère de proportionnalité pris en compte par la Cour dans l’arrêt Sahin, précité. Il en conclut que le présent recours n’est pas fondé.

41

La République fédérale d’Allemagne est intervenue au soutien du Royaume des Pays-Bas. Elle fait valoir que les droits litigieux sont afférents à une formalité administrative et ne constituent pas une restriction, au sens des règles de «standstill». En tout état de cause, ces droits pourraient être justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir la nécessité de contrôler l’afflux d’étrangers et les motifs pour lesquels ceux-ci souhaitent séjourner dans l’État d’accueil.

42

Cet État membre soutient, par ailleurs, que la règle de non-discrimination énoncée à l’article 9 de l’accord d’association n’est pas suffisamment claire et précise pour être directement applicable. Elle devrait être concrétisée par d’autres mesures, telles que l’article 10 de la décision no 1/80. Cet article 10 ne serait toutefois pas applicable en l’espèce, car les droits litigieux ne font pas partie des conditions de travail, au sens dudit article.

Appréciation de la Cour

43

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, dans le dispositif de sa requête, la Commission demande à la Cour de constater que, en instituant et en maintenant, pour la délivrance de permis de séjour aux ressortissants turcs ayant un droit de séjour aux Pays-Bas, un régime prévoyant des droits supérieurs à ceux qui sont exigés non seulement des ressortissants des États membres mais aussi des ressortissants de la République d’Islande, de la Principauté de Liechtenstein, du Royaume de Norvège et de la Confédération suisse pour la délivrance de documents similaires, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union. Toutefois, les textes de droit de l’Union sur lesquels la Commission fonde son recours ne visent pas ces quatre États. Il y a lieu, par conséquent, d’écarter la comparaison avec ces derniers.

Sur l’application des règles de «standstill» à la première admission d’un ressortissant turc sur le territoire du Royaume des Pays-Bas

44

Selon la Commission, les règles de «standstill» s’appliquent aux droits litigieux, qu’ils concernent une demande de permis de séjour portant sur une première admission aux Pays-Bas d’un ressortissant turc ou une demande de prorogation d’un tel permis. Le Royaume des Pays-Bas, quant à lui, admet que les règles de «standstill» s’appliquent aux droits des ressortissants turcs, dès la première admission de ces derniers sur le territoire des États membres dans les domaines de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, mais il maintient qu’elles ne s’appliquent pas à la première admission de travailleurs turcs sur ce territoire.

45

À cet égard, la Cour a examiné dans l’arrêt Sahin, précité, la portée de la règle de «standstill» énoncée à l’article 13 de la décision no 1/80, applicable à la libre circulation des travailleurs. Elle a rappelé que cette disposition n’est pas destinée à protéger les ressortissants turcs déjà intégrés au marché du travail d’un État membre, mais a vocation à s’appliquer précisément aux ressortissants turcs qui ne bénéficient pas encore des droits en matière d’emploi et, corrélativement, de séjour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision (arrêt Sahin, précité, point 51).

46

Elle a également examiné cet article 13 à la lumière de la règle de «standstill» visée à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, relatif à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

47

Or, s’agissant de cet article 41, paragraphe 1, la Cour a rappelé, conformément aux arrêts précités Tum et Dari ainsi que Soysal et Savatli, que cette disposition s’oppose à l’adoption, à compter de la date d’entrée en vigueur dans l’État membre d’accueil de l’acte juridique dont cette disposition fait partie, de toutes nouvelles restrictions à l’exercice de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services, y compris celles portant sur les conditions de fond et/ou de procédure en matière de première admission sur le territoire de l’État membre concerné des ressortissants turcs se proposant d’y faire usage desdites libertés économiques (arrêt Sahin, précité, point 64).

48

La Cour a jugé que, étant donné que la clause de «standstill» énoncée à l’article 13 de la décision no 1/80 est de même nature que celle inscrite à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et que ces deux clauses poursuivent un objectif identique, l’interprétation de cet article 41, paragraphe 1, doit valoir également s’agissant de l’obligation de statu quo qui constitue le fondement dudit article 13 en matière de libre circulation des travailleurs (arrêt Sahin, précité, point 65).

49

Il s’ensuit que l’article 13 de la décision no 1/80 s’oppose à l’introduction dans la réglementation néerlandaise, à compter de la date d’entrée en vigueur aux Pays-Bas de la décision no 1/80, de toutes nouvelles restrictions à l’exercice de la libre circulation des travailleurs, y compris celles portant sur les conditions de fond et/ou de procédure en matière de première admission sur le territoire de cet État membre des ressortissants turcs se proposant d’y faire usage de cette liberté.

50

Par conséquent, les règles de «standstill» énoncées à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et à l’article 13 de la décision no 1/80 sont applicables, à compter de l’entrée en vigueur de ces dispositions, à l’ensemble des droits imposés aux ressortissants turcs pour la délivrance d’un permis de séjour relatif à une première admission sur le territoire du Royaume des Pays-Bas ou pour la prorogation d’un tel permis.

Sur l’existence d’un manquement aux obligations découlant des règles de «standstill»

51

La Commission et le Royaume des Pays-Bas estiment tous deux que l’existence du manquement reproché doit être appréciée en tenant compte de l’arrêt Sahin, précité, mais leurs avis divergent sur les conséquences à tirer de ce dernier. Selon la Commission, ce manquement est fondé sur le fait que cet État membre a imposé aux ressortissants turcs des droits disproportionnés par rapport à ceux appliqués aux citoyens de l’Union pour la délivrance de documents similaires. La notion de droits disproportionnés devrait être entendue comme étant comprise dans la notion de droits supérieurs visée dans le dispositif de la requête.

52

Selon le Royaume des Pays-Bas, il ressort de l’arrêt Sahin, précité, que l’application aux ressortissants turcs de droits qui ne sont pas parfaitement égaux à ceux appliqués aux citoyens de l’Union n’est pas contraire aux règles de «standstill» et que seuls des droits disproportionnés sont interdits par ces dernières. Or, les droits imposés aux ressortissants turcs ne représenteraient qu’une partie des coûts relatifs à l’examen de leurs dossiers et ne seraient donc pas contraires à ces règles. Par ailleurs, cet État membre considère que le recours porte sur l’application aux ressortissants turcs non pas de droits disproportionnés, mais de droits supérieurs à ceux appliqués aux citoyens de l’Union et que, dès lors, le recours n’est pas fondé.

53

À cet égard, aux fins de l’examen du présent recours, il y a lieu, en effet, de se référer à l’arrêt Sahin, précité, dans lequel la Cour s’est prononcée sur la compatibilité avec l’article 13 de la décision no 1/80 de droits tels que ceux imposés au cours de l’année 2002 par la réglementation néerlandaise pour la délivrance d’un permis de séjour ou la prorogation de celui-ci. Les droits appliqués aux travailleurs turcs s’élevaient, en l’occurrence, à 169 euros pour la prorogation d’un permis de séjour, comparés au montant de 30 euros seulement qui, selon la juridiction de renvoi, dans ladite affaire, était exigé des citoyens de l’Union pour la délivrance de documents de séjour.

54

Il ressort de l’arrêt Sahin, précité, notamment de ses points 72 et 74, que la demande de délivrance d’un permis de séjour ou de prorogation de la validité d’un tel document présentée par un ressortissant turc et la demande de délivrance d’un permis de séjour présentée dans un autre État membre par un citoyen de l’Union sont similaires.

55

La Cour a souligné qu’une réglementation, telle que la réglementation néerlandaise, ne doit pas revenir à créer, à l’égard des ressortissants turcs, une restriction, au sens de l’article 13 de la décision no 1/80. Elle a précisé que, lu en combinaison avec l’article 59 du protocole additionnel, cet article 13 implique qu’un ressortissant turc auquel s’appliquent ces dispositions, s’il ne doit certes pas être placé dans une situation plus avantageuse que celle des citoyens de l’Union, ne saurait en revanche se voir imposer des obligations nouvelles disproportionnées par rapport à celles prévues pour ces derniers (arrêt Sahin, précité, point 71).

56

La Cour a jugé que l’incidence financière de droits tels que ceux introduits en 2002 est considérable pour les ressortissants turcs, d’autant plus que ces derniers sont contraints de solliciter le renouvellement de leurs titres de séjour plus fréquemment que les citoyens de l’Union et que, en cas de rejet de leur demande, la somme acquittée n’est pas remboursée. Elle a considéré que le gouvernement néerlandais n’avait invoqué aucun argument pertinent de nature à justifier une différence aussi considérable entre les droits exigés des ressortissants turcs et ceux réclamés aux citoyens de l’Union. Elle n’a pas admis la thèse dudit gouvernement selon laquelle les recherches et les contrôles préalables à la délivrance d’un titre de séjour à un ressortissant turc seraient plus compliqués et davantage onéreux que ceux nécessaires à la délivrance d’un titre de séjour à un citoyen de l’Union.

57

La Cour a conclu qu’une réglementation telle que la réglementation en cause au principal constitue une restriction prohibée par l’article 13 de la décision no 1/80 dans la mesure où, aux fins de l’examen d’une demande d’octroi d’un permis de séjour ou de prorogation de la validité de celui-ci, elle impose le versement, à la charge des ressortissants turcs auxquels ledit article 13 s’applique, de droits d’un montant disproportionné par rapport à celui réclamé dans des circonstances similaires aux citoyens de l’Union (voir arrêt Sahin, précité, points 72 à 74).

58

Il convient de tenir compte de ces développements dans la présente affaire qui porte sur l’ensemble des droits appliqués aux ressortissants turcs par la réglementation néerlandaise depuis 1994 pour l’octroi et la prorogation de permis de séjour, tels que modifiés notamment au cours des années 2002, 2003 ainsi que 2005, et résumés dans le tableau figurant au point 13 du présent arrêt.

59

Comparée à celle relevée au cours de l’année 2002, en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sahin, précité, la différence entre les montants des droits appliqués aux ressortissants turcs et ceux imposés aux citoyens de l’Union s’est encore accrue au cours des années 2003 et 2005. En outre, les ressortissants turcs concernés par le présent recours sont non seulement des travailleurs, comme dans ladite affaire, mais aussi des personnes souhaitant faire usage de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services au titre de l’accord d’association.

60

L’existence d’un manquement aux règles de «standstill» doit donc être examinée au regard de celles énoncées à l’article 13 de la décision no 1/80 et à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel.

61

À cet égard, il est constant que les droits litigieux constituent des mesures nouvelles puisqu’ils ont été adoptés après l’entrée en vigueur de la décision no 1/80, en tant qu’ils affectent la situation des travailleurs turcs, et après l’entrée en vigueur du protocole additionnel, en tant qu’ils concernent des ressortissants turcs souhaitant faire usage de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services au titre de l’accord d’association.

62

Cependant, l’édiction de toute mesure nouvelle dans ce contexte n’est pas interdite. En effet, l’adoption de mesures s’appliquant de la même manière aux ressortissants turcs et aux citoyens de l’Union n’est pas en contradiction avec les règles de «standstill». Si de telles mesures s’appliquaient aux ressortissants des États membres sans être imposées également aux ressortissants turcs, ces derniers se trouveraient dans une situation plus avantageuse que celle des citoyens de l’Union, ce qui serait manifestement contraire à l’exigence énoncée à l’article 59 du protocole additionnel, selon laquelle la République de Turquie ne saurait bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité CE (voir, en ce sens, arrêts précités Soysal et Savatli, point 61, ainsi que Sahin, point 67).

63

Il convient, dès lors, de vérifier si les droits litigieux imposent aux ressortissants turcs des obligations nouvelles disproportionnées par rapport à celles prévues pour les citoyens de l’Union.

64

Tout en reconnaissant que les droits précédemment appliqués étaient trop élevés, le Royaume des Pays-Bas fait valoir que le montant des droits applicables aux ressortissants turcs s’explique par le niveau plus élevé des coûts relatifs au traitement des dossiers. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, au point 73 de l’arrêt Sahin, précité, la Cour n’a pas considéré que ce rapport permettait de justifier une différence, jugée considérable, entre les droits appliqués aux ressortissants turcs et ceux imposés aux citoyens de l’Union pour la délivrance de documents similaires.

65

Ainsi, l’argument du Royaume des Pays-Bas consistant à soutenir que les droits litigieux représentent 70% des coûts relatifs au traitement des dossiers ne permet pas de justifier leur application et l’affirmation de cet État membre selon laquelle ces droits ne sont pas disproportionnés doit être écartée.

66

Le Royaume des Pays-Bas prétend également que les droits litigieux sont non discriminatoires, en raison de l’existence de différences qu’il qualifie de fondamentales entre la situation des ressortissants turcs et celle des citoyens de l’Union. Selon cet État membre, l’objectif fondamental de l’Union européenne consistant à instaurer un marché intérieur, à mettre en place la citoyenneté européenne et à assurer la libre circulation des citoyens au sein de l’Union ne peut être appliqué «de manière illimitée» aux ressortissants turcs.

67

Il convient, toutefois, de souligner que, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de l’accord d’association, ce dernier a pour objet de rapprocher la situation des ressortissants turcs de celle des citoyens de l’Union par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs et par l’élimination des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

68

À cet égard, le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit à l’article 9 de l’accord d’association et l’application de ce principe au domaine particulier des travailleurs, conformément à l’article 10 de la décision no 1/80, contribuent à favoriser l’intégration graduelle des travailleurs migrants turcs ainsi que des ressortissants turcs qui se déplacent afin de s’établir ou d’offrir des services dans un État membre (voir, en ce sens, s’agissant des travailleurs, arrêt Wählergruppe Gemeinsam, précité, point 78).

69

Le Royaume des Pays-Bas ne saurait donc justifier la différence existant entre les droits litigieux et ceux réclamés aux citoyens de l’Union en se référant à la circonstance que la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement ou la libre prestation des services dans l’Union ne bénéficient pas d’une manière aussi complète aux ressortissants turcs qu’aux citoyens de l’Union. La Commission s’est appuyée à bon droit sur les règles de non-discrimination de même que sur l’article 59 du protocole additionnel aux fins de vérifier si les droits litigieux n’aggravaient pas la situation de ces ressortissants par rapport à celle des citoyens de l’Union d’une manière contraire aux règles de «standstill».

70

Le Royaume des Pays-Bas soutient, par ailleurs, qu’il existe un décalage entre la notion de droits supérieurs visée dans la requête de la Commission et celle de droits disproportionnés retenue dans l’arrêt Sahin, précité.

71

À cet égard, il y a lieu de relever que la première de ces notions comprend la seconde et que tout droit supérieur n’est pas nécessairement disproportionné.

72

En réponse à une question posée lors de l’audience relative aux implications de ce décalage dans la présente affaire, le Royaume des Pays-Bas a soutenu que les droits appliqués aux ressortissants turcs pouvaient être légèrement supérieurs aux droits appliqués aux citoyens de l’Union si les coûts effectifs relatifs au traitement des dossiers des premiers étaient supérieurs à ceux afférents au traitement des dossiers des seconds. Il a notamment fait valoir que les droits appliqués aux ressortissants turcs, à compter du 17 septembre 2009, respectent pleinement la condition de proportionnalité.

73

En ce qui concerne les droits appliqués à compter de cette date, il convient de relever que ceux-ci ont été introduits postérieurement au délai fixé dans l’avis motivé. Or, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 14 septembre 2004, Commission/Espagne, C-168/03, Rec. p. I-8227, point 24, et du , Commission/France, C-507/07, point 7). Par conséquent, ces droits ne peuvent pas être pris en compte par la Cour aux fins de l’examen du présent recours en manquement.

74

S’agissant des droits litigieux, il y a lieu de relever qu’il ne saurait être exclu que des droits applicables aux ressortissants turcs, légèrement supérieurs à ceux réclamés aux citoyens de l’Union pour la délivrance de documents similaires, puissent, dans certains cas particuliers, être considérés comme proportionnés. Toutefois, il convient de constater que les montants des droits litigieux varient à l’intérieur d’une fourchette dont la valeur la plus faible est supérieure de plus des deux tiers à celle des droits appliqués aux citoyens de l’Union pour la délivrance de documents similaires. Un tel écart ne saurait être considéré comme minime et il y a lieu, par conséquent, de considérer que les droits litigieux ont, dans leur intégralité, un caractère disproportionné.

75

La Commission considère également que les droits litigieux sont contraires aux règles de non-discrimination figurant à l’article 9 de l’accord d’association et à l’article 10, paragraphe 1, de la décision no 1/80. À cet égard, il y a lieu de constater que, en appliquant aux ressortissants turcs des droits d’un montant disproportionné pour l’obtention de permis de séjour ou la prorogation de ceux-ci par rapport aux droits appliqués aux citoyens de l’Union pour des documents similaires, le Royaume des Pays-Bas a, par là même, imposé des droits à caractère discriminatoire. Pour autant que ces droits s’appliquent aux travailleurs turcs ou aux membres de leur famille, ces droits introduisent une condition de travail discriminatoire contraire à l’article 10 de la décision no 1/80. Dans la mesure où ces droits s’appliquent à des ressortissants turcs souhaitant faire usage de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services au titre de l’accord d’association ou aux membres de leur famille, ils sont contraires à la règle générale de non-discrimination énoncée à l’article 9 de l’accord d’association.

76

Il résulte de ce qui précède que, en instituant et en maintenant, pour la délivrance de permis de séjour, un régime prévoyant des droits disproportionnés par rapport à ceux qui sont exigés des ressortissants des États membres pour la délivrance de documents similaires, et en appliquant ce régime aux ressortissants turcs ayant un droit de séjour aux Pays-Bas en vertu de l’accord d’association, du protocole additionnel ou de la décision no 1/80, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9 de l’accord d’association, de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel ainsi que des articles 10, paragraphe 1, et 13 de la décision no 1/80.

Sur les dépens

77

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, dudit article, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

78

La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. La République fédérale d’Allemagne qui est intervenue au litige supporte ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

 

1)

En instituant et en maintenant, pour la délivrance de permis de séjour, un régime prévoyant des droits disproportionnés par rapport à ceux qui sont exigés des ressortissants des États membres pour la délivrance de documents similaires, et en appliquant ce régime aux ressortissants turcs ayant un droit de séjour aux Pays-Bas en vertu:

de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, signé le 12 septembre 1963 à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du ,

du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles, et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du , et

de la décision no 1/80, adoptée le 19 septembre 1980 par le conseil d’association, institué par l’accord d’association et composé, d’une part, de membres des gouvernements des États membres, du Conseil de l’Union européenne ainsi que de la Commission des Communautés européennes et, d’autre part, de membres du gouvernement turc,

le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9 de cet accord d’association, de l’article 41 de ce protocole additionnel ainsi que des articles 10, paragraphe 1, et 13 de la décision no 1/80.

 

2)

Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens. La République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.

Top