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Document 62006CJ0147

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 15 mai 2008.
SECAP SpA (C-147/06) et Santorso Soc. coop. arl (C-148/06) contre Comune di Torino.
Demande de décision préjudicielle: Consiglio di Stato - Italie.
Marchés publics de travaux - Attribution des marchés - Offres anormalement basses - Modalités d’exclusion - Marchés de travaux n’atteignant pas les seuils prévus par les directives 93/37/CEE et 2004/18/CE - Obligations du pouvoir adjudicateur résultant des principes fondamentaux du droit communautaire.
Affaires jointes C-147/06 et C-148/06.

Recueil de jurisprudence 2008 I-03565

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2008:277

Affaires jointes C-147/06 et C-148/06

SECAP SpA
et
Santorso Soc. coop. arl

contre

Comune di Torino

(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Consiglio di Stato)

«Marchés publics de travaux — Attribution des marchés — Offres anormalement basses — Modalités d’exclusion — Marchés de travaux n’atteignant pas les seuils prévus par les directives 93/37/CEE et 2004/18/CE — Obligations du pouvoir adjudicateur résultant des principes fondamentaux du droit communautaire»

Sommaire de l'arrêt

Droit communautaire — Principes — Égalité de traitement — Discrimination en raison de la nationalité

(Art. 12 CE, 43 CE et 49 CE)

Les règles fondamentales du traité concernant la liberté d’établissement et la libre prestation des services, ainsi que le principe général de non-discrimination, s’opposent à une réglementation nationale qui, pour ce qui concerne les marchés d’une valeur inférieure au seuil établi par l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 93/37, telle que modifiée par la directive 97/52, et revêtant un intérêt transfrontalier certain, impose impérativement aux pouvoirs adjudicateurs, lorsque le nombre des offres valides est supérieur à cinq, de procéder à l’exclusion automatique des offres considérées comme anormalement basses par rapport à la prestation à fournir, selon un critère mathématique prévu par cette réglementation, sans laisser auxdits pouvoirs adjudicateurs aucune possibilité de vérifier la composition de ces offres en demandant aux soumissionnaires concernés des précisions sur celles-ci. Tel ne serait pas le cas si une réglementation nationale ou locale ou encore le pouvoir adjudicateur concerné, du fait d’un nombre excessivement élevé d’offres qui pourrait obliger le pouvoir adjudicateur à procéder à la vérification, de manière contradictoire, d’un nombre d’offres si élevé que cela dépasserait sa capacité administrative ou serait susceptible, en raison du retard que cette vérification pourrait entraîner, de mettre en danger la réalisation du projet, fixaient un seuil raisonnable au-dessus duquel l’exclusion automatique des offres anormalement basses s’appliquerait.

(cf. point 35 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

15 mai 2008 (*)

«Marchés publics de travaux − Attribution des marchés − Offres anormalement basses − Modalités d’exclusion − Marchés de travaux n’atteignant pas les seuils prévus par les directives 93/37/CEE et 2004/18/CE − Obligations du pouvoir adjudicateur résultant des principes fondamentaux du droit communautaire»

Dans les affaires jointes C‑147/06 et C‑148/06,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Consiglio di Stato (Italie), par décisions du 25 octobre 2005, parvenues à la Cour le 20 mars 2006, dans les procédures

SECAP SpA (C‑147/06),

contre

Comune di Torino,

en présence de:

Tecnoimprese Srl,

Gambarana Impianti Snc,

ICA Srl,

Cosmat Srl,

Consorzio Ravennate,

ARCAS SpA,

Regione Piemonte,

et

Santorso Soc. coop. arl (C‑148/06)

contre

Comune di Torino,

en présence de:

Bresciani Bruno Srl,

Azienda Agricola Tekno Green Srl,

Borio Giacomo Srl,

Costrade Srl,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. G. Arestis, président de la huitième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur), J. Malenovský et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 octobre 2007,

considérant les observations présentées:

–        pour SECAP SpA, par Me F. Videtta, avvocato,

–        pour Santorso Soc. coop. arl, par Mes B. Amadio, L. Fumarola et S. Bonatti, avvocati,

–        pour le Comune di Torino, par Mes M. Caldo, A. Arnone et M. Colarizi, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de MM. D. Del Gaizo et F. Arena, avvocati dello Stato,

–        pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J.‑C. Gracia, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster et M. P. van Ginneken, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. M. Fruhmann, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement slovaque, par M. R. Procházka, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. X. Lewis et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 novembre 2007,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 (JO L 328, p. 1, ci-après la «directive 93/37»), et des principes fondamentaux du droit communautaire en matière de passation des marchés publics.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant SECAP SpA (ci-après «SECAP») et Santorso Soc. coop. arl (ci-après «Santorso») au Comune di Torino au sujet de la compatibilité avec le droit communautaire d’une règle de la législation italienne qui prévoit, en ce qui concerne les marchés publics de travaux d’une valeur inférieure au seuil prévu par la directive 93/37, l’exclusion automatique des offres qui sont considérées comme anormalement basses.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        Aux termes de son article 6, paragraphe 1, sous a), la directive 93/37 s’applique «[…] aux marchés publics de travaux dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) égale ou dépasse l’équivalent en [euros] de 5 millions de droits de tirage spéciaux (DTS)».

4        Aux termes de l’article 30 de la directive 93/37, qui figure au titre IV de celle-ci, intitulé «Règles communes de participation», dont le chapitre 3 concerne les critères d’attribution du marché:

«1.      Les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur se fonde pour attribuer les marchés sont:

a)      soit uniquement le prix le plus bas;

b)      soit, lorsque l’attribution se fait à l’offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché en question: par exemple, le prix, le délai d’exécution, le coût d’utilisation, la rentabilité, la valeur technique.

[…]

4.      Si, pour un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses par rapport à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres, demande, par écrit, des précisions sur la composition de l’offre qu’il juge opportunes et vérifie cette composition en tenant compte des justifications fournies.

Le pouvoir adjudicateur peut prendre en considération des justifications tenant à l’économie du procédé de construction, ou aux solutions techniques adoptées, ou aux conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour exécuter les travaux, ou à l’originalité du projet du soumissionnaire.

Si les documents relatifs au marché prévoient l’attribution au prix le plus bas, le pouvoir adjudicateur est tenu de communiquer à la Commission le rejet des offres jugées trop basses.

[…]»

5        Le contenu de l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37 est repris de manière plus développée à l’article 55, intitulé «Offres anormalement basses», de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114). Conformément à son premier considérant, la directive 2004/18 procède à une refonte dans un seul texte des directives applicables aux procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures ainsi que de services et, suivant son article 80, paragraphe 1, elle devait être transposée dans l’ordre juridique des États membres au plus tard le 31 janvier 2006.

6        La raison qui sous-tend la non-exclusion automatique des offres qui apparaissent anormalement basses par rapport à la prestation ressort du premier alinéa du quarante-sixième considérant de la directive 2004/18, aux termes duquel «[l]’attribution du marché devrait être effectuée sur la base de critères objectifs […] qui garantissent l’appréciation des offres dans des conditions de concurrence effective. Par conséquent, il convient de n’admettre que l’application de deux critères d’attribution, à savoir celui du ‘prix le plus bas’ et celui de ‘l’offre économiquement la plus avantageuse’». Ces deux critères d’attribution sont mentionnés aux articles 30, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 93/37 et 53, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2004/18.

 La réglementation nationale

7        La directive 93/37 a été transposée dans l’ordre juridique italien par la loi nº 109, loi-cadre en matière de travaux publics (Legge quadro in materia di lavori pubblici), du 11 février 1994 (supplément ordinaire à la GURI n° 41, du 19 février 1994).

8        L’article 21, paragraphe 1 bis, de ladite loi, dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après la «loi nº 109/94»), est libellé comme suit:

«En cas d’adjudication de travaux d’un montant égal ou supérieur à la contre‑valeur en euros de 5 millions de DTS en usant du critère du prix le plus bas visé au paragraphe 1, l’administration concernée évalue l’anomalie, au sens de l’article 30 de la directive 93/37 […], de toute offre présentant un rabais égal ou supérieur à la moyenne arithmétique des pourcentages de rabais de toutes les offres admises, à l’exclusion de 10 %, arrondis à l’unité supérieure, des offres présentant respectivement un rabais plus élevé ou moins élevé, augmentée de l’écart arithmétique moyen des pourcentages de rabais qui dépassent la moyenne précitée.

Les offres doivent être accompagnées, dès leur présentation, de justifications tenant aux composantes les plus significatives du prix indiquées dans l’avis de marché ou dans la lettre d’invitation, représentant ensemble un montant d’au moins 75 % de la valeur de base du marché. L’avis de marché ou la lettre d’invitation doivent préciser des modalités de présentation des justifications, mais aussi indiquer lesquelles sont éventuellement nécessaires pour l’admissibilité des offres. Des justifications ne sont pas exigées pour les éléments pour lesquels une valeur minimale peut être déterminée sur la base de données officielles. Si l’examen des justifications demandées et produites n’est pas suffisant pour exclure l’incohérence de l’offre, le soumissionnaire est invité à compléter les documents justificatifs et l’exclusion ne pourra être décidée qu’à l’issue de la vérification ultérieure, avec débat contradictoire.

En ce qui concerne les seuls marchés publics de travaux d’une valeur inférieure au seuil communautaire, l’administration concernée procède à l’exclusion automatique des offres qui présentent un pourcentage de rabais égal ou supérieur au pourcentage établi conformément au premier alinéa du présent paragraphe. La procédure d’exclusion automatique ne s’applique pas lorsque le nombre des offres valides est inférieur à cinq.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

9        SECAP a participé à un appel d’offres ouvert, lancé par le Comune di Torino au cours du mois de décembre de l’année 2002, relatif à un marché public de travaux d’une valeur estimée de 4 699 999 euros. À la date de cet appel d’offres, le seuil d’application de la directive 93/37 était fixé, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous a), de celle-ci, à 6 242 028 euros. Santorso a participé à un appel d’offres analogue, lancé au cours du mois de septembre de l’année 2004, d’une valeur estimée de 5 172 579 euros. À cette dernière date, le seuil d’application de la directive 93/37 se situait à 5 923 624 euros. Par conséquent, dans les deux cas, la valeur estimée des marchés en question était inférieure aux seuils d’application respectifs de la directive 93/37.

10      Les avis par lesquels le Comune di Torino a lancé lesdites procédures d’appel d’offres précisaient que l’adjudication aurait lieu sur la base du critère du plus fort rabais, avec vérification des offres anormalement basses et sans exclusion automatique de celles-ci. Ces avis étaient fondés sur une délibération de la Giunta comunale (organe exécutif du Comune) qui prévoyait que l’application du critère du plus fort rabais comportait la vérification des offres «anormales» conformément à la directive 93/37, y compris pour les marchés d’un montant inférieur au seuil communautaire, laissant ainsi inappliqué l’article 21, paragraphe 1 bis, de la loi n° 109/94 en tant qu’il prévoit l’exclusion automatique des offres anormalement basses.

11      L’évaluation des offres a permis de classer celles de SECAP et de Santorso au premier rang de celles qui ont été considérées comme «non anormales». Après avoir procédé à la vérification des offres anormalement basses, le Comune di Torino a finalement écarté les offres de SECAP et de Santorso au profit de celles d’autres sociétés.

12      SECAP et Santorso ont attaqué cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale del Piemonte, en soutenant que la loi n° 109/94 impose au pouvoir adjudicateur une obligation impérative d’exclure les offres anormalement basses, ne laissant aucune marge de manœuvre pour l’application d’une procédure de vérification contradictoire.

13      Par jugements du 11 octobre 2004 et du 30 avril 2005, ladite juridiction a rejeté respectivement les recours de SECAP et de Santorso au motif que la procédure d’exclusion automatique des offres anormalement basses n’est pas une obligation pour les pouvoirs adjudicateurs, mais laisse à ces derniers le choix pour ordonner une vérification de l’anomalie éventuelle résultant de la modicité de ces offres, y compris pour des marchés dont le montant est inférieur au seuil communautaire.

14      SECAP et Santorso se sont pourvues contre ces jugements de rejet devant le Consiglio di Stato. Ce dernier partage la thèse de ces sociétés quant au caractère contraignant de la règle d’exclusion automatique des offres anormalement basses, sans toutefois rester insensible aux arguments développés par le Comune di Torino qui, en s’appuyant sur des données statistiques, expose que cette règle, en raison de sa grande rigidité, incite à la collusion entre entreprises, qui s’accordent sur les prix afin d’influencer l’issue de la procédure d’appel d’offres, portant ainsi préjudice tant à l’administration adjudicatrice qu’aux autres soumissionnaires qui sont, pour une grande majorité, des entreprises établies sur le territoire d’un autre État membre.

15      La juridiction de renvoi se réfère à la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle, en ce qui concerne les contrats qui, eu égard à leur objet, ne rentrent pas dans le champ d’application des directives en matière de marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de respecter les règles fondamentales du traité CE, notamment le principe de non-discrimination en raison de la nationalité (voir, notamment, arrêt du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, C‑324/98, Rec. p. I‑10745, point 60), ainsi qu’à la jurisprudence qui interdit aux États membres de mettre en place des dispositions qui prévoient, en ce qui concerne les marchés publics de travaux dont le montant est supérieur au seuil communautaire, l’exclusion d’office de certaines offres déterminées selon un critère mathématique, au lieu d’obliger le pouvoir adjudicateur d’appliquer la procédure de vérification contradictoire prévue par les règles communautaires (voir, notamment, arrêt du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, Rec. p. 1839, point 19).

16      Eu égard à ces considérations et ayant des doutes quant à la réponse à apporter à la question de savoir si la règle relative à la vérification contradictoire des offres anormalement basses peut être qualifiée de principe fondamental du droit communautaire, susceptible d’écarter d’éventuelles dispositions nationales contraires, le Consiglio di Stato a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, lesquelles sont rédigées en des termes identiques dans les deux affaires C‑147/06 et C‑148/06:

«1)      La règle établie à l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37 […], ou celle analogue figurant aux paragraphes 1 et 2 de l’article 55 de la directive 2004/18 […] (si c’est ce dernier qui est considéré comme applicable), selon laquelle, lorsque les offres apparaissent anormalement basses par rapport à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres, doit demander, par écrit, des précisions sur la composition de l’offre qu’il juge opportunes et vérifier cette composition en tenant compte des justifications fournies, énonce-t-elle ou non un principe fondamental du droit communautaire?

2)      En cas de réponse négative à la question précédente, si elle ne revêt pas les caractéristiques d’un principe fondamental du droit communautaire, la règle établie à l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37 […], ou celle analogue figurant aux paragraphes 1 et 2 de l’article 55 de la directive 2004/18 […] (si c’est ce dernier qui est considéré comme applicable), selon laquelle, lorsque les offres apparaissent anormalement basses par rapport à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres, doit demander, par écrit, des précisions sur la composition de l’offre qu’il juge opportunes et vérifier cette composition en tenant compte des justifications fournies, forme-t-elle un corollaire implicite ou un ‘principe dérivé’ du principe de concurrence, pris en combinaison avec le principe de transparence administrative et le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, et doit-elle par conséquent être considérée comme directement applicable et comme primant les dispositions nationales, éventuellement non conformes, prises par les États membres pour réglementer les procédures d’attribution de marchés publics échappant au champ d’application directe du droit communautaire?»

17      Par ordonnance du président de la Cour du 10 mai 2006, les affaires C‑147/06 et C‑148/06 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

18      Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si les principes fondamentaux du droit communautaire qui régissent également la passation des marchés publics, dont l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37 constituerait une expression spécifique, s’opposent à une réglementation nationale qui, pour ce qui concerne les marchés d’une valeur inférieure au seuil fixé à l’article 6, paragraphe 1, sous a), de cette directive, impose aux pouvoirs adjudicateurs, lorsque le nombre des offres valides est supérieur à cinq, de procéder à l’exclusion automatique des offres considérées comme anormalement basses par rapport à la prestation à fournir, selon un critère mathématique prévu par cette réglementation, sans laisser auxdits pouvoirs adjudicateurs aucune possibilité de vérifier la composition de ces offres en demandant aux soumissionnaires concernés des précisions sur celles-ci.

19      Il convient de relever que les procédures particulières et rigoureuses prévues par les directives communautaires portant coordination des procédures de passation des marchés publics s’appliquent uniquement aux contrats dont la valeur dépasse le seuil prévu expressément dans chacune desdites directives (ordonnance du 3 décembre 2001, Vestergaard, C‑59/00, Rec. p. I‑9505, point 19). Ainsi, les règles de ces directives ne s’appliquent pas aux marchés dont la valeur n’atteint pas le seuil fixé par celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2008, Commission/Italie, C-412/04, non encore publié au Recueil, point 65).

20      Ceci ne signifie pas pour autant que ces derniers marchés sont exclus du champ d’application du droit communautaire (ordonnance Vestergaard, précitée, point 19). En effet, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, en ce qui concerne la passation des marchés qui, eu égard à leur valeur, ne sont pas soumis aux procédures prévues par les règles communautaires, les pouvoirs adjudicateurs sont néanmoins tenus de respecter les règles fondamentales du traité et le principe de non‑discrimination en raison de la nationalité en particulier (arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, point 60; ordonnance Vestergaard, précitée, points 20 et 21; arrêts du 20 octobre 2005, Commission/France, C‑264/03, Rec. p. I‑8831, point 32, et du 14 juin 2007, Medipac-Kazantzidis, C‑6/05, Rec. p. I‑4557, point 33).

21      Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’application des règles fondamentales et des principes généraux du traité aux procédures de passation des marchés d’une valeur inférieure au seuil d’application des directives communautaires présuppose que les marchés en cause présentent un intérêt transfrontalier certain (voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 2007, Commission/Irlande, C‑507/03, non encore publié au Recueil, point 29, ainsi que Commission/Italie, précité, points 66 et 67).

22      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.

23      Il ressort du dossier soumis à la Cour que ladite réglementation impose au pouvoir adjudicateur concerné, en ce qui concerne la passation des marchés d’une valeur inférieure au seuil prévu à l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 93/37, de procéder à l’exclusion automatique des offres qui, selon un critère mathématique établi par cette réglementation, sont considérées comme anormalement basses par rapport à la prestation à fournir, à la seule exception que cette règle de l’exclusion automatique ne s’applique pas lorsque le nombre des offres valides est inférieur à cinq.

24      Par conséquent, ladite règle, rédigée en des termes clairs, impératifs et absolus, enlève aux soumissionnaires qui ont présenté des offres anormalement basses la possibilité de prouver que celles-ci sont fiables et sérieuses. Cet aspect de la réglementation en cause au principal pourrait aboutir à des résultats incompatibles avec le droit communautaire si un marché donné est susceptible, eu égard à ses caractéristiques propres, de présenter un intérêt transfrontalier certain et d’attirer ainsi des opérateurs d’autres États membres. Un marché de travaux pourrait, par exemple, présenter un tel intérêt transfrontalier à cause de sa valeur estimée, en liaison avec sa technicité ou une localisation des travaux à un endroit qui serait propice à attirer l’intérêt d’opérateurs étrangers.

25      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 45 et 46 de ses conclusions, une telle réglementation, bien qu’objective et non discriminatoire en soi, pourrait porter atteinte au principe général de non‑discrimination dans les procédures de passation des marchés revêtant un intérêt transfrontalier.

26      En effet, l’application aux marchés revêtant un intérêt transfrontalier certain de la règle de l’exclusion automatique des offres considérées comme anormalement basses est susceptible de constituer une discrimination indirecte, en désavantageant dans la pratique les opérateurs des autres États membres qui, ayant des structures de coûts différentes, pouvant bénéficier d’économies d’échelle importantes ou désireux de comprimer leurs marges bénéficiaires afin de pouvoir pénétrer plus efficacement le marché considéré, seraient en mesure de faire une offre compétitive et, en même temps, sérieuse et fiable, dont le pouvoir adjudicateur ne saurait pourtant tenir compte en raison de ladite réglementation.

27      En outre, ainsi que l’ont relevé le Comune di Torino et M. l’avocat général aux points 43, 46 et 47 de ses conclusions, une telle réglementation peut donner lieu à des attitudes et à des arrangements anticoncurrentiels, voire à des pratiques de collusion, entre entreprises nationales ou locales visant à réserver à ces dernières les marchés publics de travaux.

28      Dès lors, l’application aux marchés revêtant un intérêt transfrontalier certain de la règle de l’exclusion automatique des offres anormalement basses pourrait priver les opérateurs économiques des autres États membres de la possibilité de livrer une concurrence plus efficace aux opérateurs implantés dans l’État membre considéré et affecte de la sorte leur accès au marché de cet État, en gênant ainsi l’exercice de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, ce qui constitue une restriction à ces libertés (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2002, Payroll e.a., C‑79/01, Rec. p. I‑8923, point 26; du 5 octobre 2004, CaixaBank France, C‑442/02, Rec. p. I‑8961, points 12 et 13, ainsi que du 3 octobre 2006, Fidium Finanz, C‑452/04, Rec. p. I‑9521, point 46).

29      Par l’application aux marchés revêtant un intérêt transfrontalier certain d’une telle réglementation, les pouvoirs adjudicateurs, privés de toute faculté d’évaluer la solidité et la fiabilité des offres anormalement basses, ne sont pas en mesure de se conformer à leur obligation de respecter les règles fondamentales du traité en matière de libre circulation ainsi que le principe général de non-discrimination, comme il est exigé par la jurisprudence de la Cour citée au point 20 du présent arrêt. La privation de cette faculté va également à l’encontre de l’intérêt propre des pouvoirs adjudicateurs, en raison du fait qu’ils ne sont pas en mesure d’apprécier les offres qui leur sont soumises dans des conditions de concurrence effective et donc d’attribuer le marché en application des critères, établis également dans l’intérêt public, du prix le plus bas ou de l’offre économiquement la plus avantageuse.

30      L’appréciation, avant la définition des termes de l’avis de marché, de l’intérêt transfrontalier éventuel d’un marché dont la valeur estimée est inférieure au seuil prévu par les règles communautaires appartient en principe au pouvoir adjudicateur concerné, étant entendu que cette appréciation peut être soumise au contrôle juridictionnel.

31      Il est toutefois loisible qu’une réglementation établisse, au niveau national ou local, des critères objectifs indiquant l’existence d’un intérêt transfrontalier certain. De tels critères pourraient être, notamment, le montant d’une certaine importance du marché en cause, en combinaison avec le lieu d’exécution des travaux. Il serait également possible d’exclure l’existence d’un tel intérêt dans le cas, par exemple, d’un enjeu économique très réduit du marché en cause (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2005, Coname, C‑231/03, Rec. p. I‑7287, point 20). Toutefois, il est nécessaire de tenir compte du fait que, dans certains cas, les frontières traversent des agglomérations qui sont situées sur le territoire d’États membres différents et que, dans de telles circonstances, même des marchés de faible valeur peuvent présenter un intérêt transfrontalier certain.

32      Même en présence d’un intérêt transfrontalier certain, l’exclusion automatique de certaines offres en raison de leur caractère anormalement bas pourrait s’avérer acceptable lorsque le recours à cette règle est justifié par le nombre excessivement élevé des offres, circonstance qui pourrait obliger le pouvoir adjudicateur concerné à procéder à la vérification, de manière contradictoire, d’un nombre d’offres si élevé que cela dépasserait la capacité administrative dudit pouvoir adjudicateur ou serait susceptible, en raison du retard que cette vérification pourrait entraîner, de mettre en danger la réalisation du projet.

33      Dans de telles circonstances, une réglementation nationale ou locale ou encore le pouvoir adjudicateur lui-même seraient en droit de fixer un seuil raisonnable pour l’application de l’exclusion automatique des offres anormalement basses. Toutefois, le seuil de cinq offres valides fixé à l’article 21, paragraphe 1 bis, troisième alinéa, de la loi n° 109/94 ne peut être considéré comme raisonnable.

34      En ce qui concerne les affaires au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de procéder à une appréciation circonstanciée de tous les éléments pertinents concernant les deux marchés en cause afin de vérifier l’existence, dans ces cas, d’un intérêt transfrontalier certain.

35      Il convient donc de répondre aux questions posées que les règles fondamentales du traité concernant la liberté d’établissement et la libre prestation des services, ainsi que le principe général de non‑discrimination, s’opposent à une réglementation nationale qui, pour ce qui concerne les marchés d’une valeur inférieure au seuil établi par l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 93/37 et revêtant un intérêt transfrontalier certain, impose impérativement aux pouvoirs adjudicateurs, lorsque le nombre des offres valides est supérieur à cinq, de procéder à l’exclusion automatique des offres considérées comme anormalement basses par rapport à la prestation à fournir, selon un critère mathématique prévu par cette réglementation, sans laisser auxdits pouvoirs adjudicateurs aucune possibilité de vérifier la composition de ces offres en demandant aux soumissionnaires concernés des précisions sur celles-ci. Tel ne serait pas le cas si une réglementation nationale ou locale ou encore le pouvoir adjudicateur concerné, du fait d’un nombre excessivement élevé d’offres qui pourrait obliger le pouvoir adjudicateur à procéder à la vérification, de manière contradictoire, d’un nombre d’offres si élevé que cela dépasserait sa capacité administrative ou serait susceptible, en raison du retard que cette vérification pourrait entraîner, de mettre en danger la réalisation du projet, fixaient un seuil raisonnable au-dessus duquel l’exclusion automatique des offres anormalement basses s’appliquerait.

 Sur les dépens

36      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

Les règles fondamentales du traité CE concernant la liberté d’établissement et la libre prestation des services, ainsi que le principe général de non-discrimination, s’opposent à une réglementation nationale qui, pour ce qui concerne les marchés d’une valeur inférieure au seuil établi par l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, telle que modifiée par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997, et revêtant un intérêt transfrontalier certain, impose impérativement aux pouvoirs adjudicateurs, lorsque le nombre des offres valides est supérieur à cinq, de procéder à l’exclusion automatique des offres considérées comme anormalement basses par rapport à la prestation à fournir, selon un critère mathématique prévu par cette réglementation, sans laisser auxdits pouvoirs adjudicateurs aucune possibilité de vérifier la composition de ces offres en demandant aux soumissionnaires concernés des précisions sur celles-ci. Tel ne serait pas le cas si une réglementation nationale ou locale ou encore le pouvoir adjudicateur concerné, du fait d’un nombre excessivement élevé d’offres qui pourrait obliger le pouvoir adjudicateur à procéder à la vérification, de manière contradictoire, d’un nombre d’offres si élevé que cela dépasserait sa capacité administrative ou serait susceptible, en raison du retard que cette vérification pourrait entraîner, de mettre en danger la réalisation du projet, fixaient un seuil raisonnable au-dessus duquel l’exclusion automatique des offres anormalement basses s’appliquerait.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.

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