Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62006CC0341

    Conclusions de l'avocat général Sharpston présentées le 6 décembre 2007.
    Chronopost SA et La Poste contre Union française de l’express (UFEX) et autres.
    Pourvoi - Régularité de la procédure suivie devant le Tribunal - Arrêt du Tribunal - Annulation - Renvoi - Second arrêt du Tribunal - Composition de la formation de jugement - Aides d’État - Domaine postal - Entreprise publique chargée d’un service d’intérêt économique général - Assistance logistique et commerciale à une filiale - Filiale n’opérant pas dans un secteur réservé - Transfert de l’activité du courrier express à cette filiale - Notion d’‘aides d’État’ - Décision de la Commission - Assistance et transfert non constitutifs d’aides d’État - Motivation.
    Affaires jointes C-341/06 P et C-342/06 P.

    Recueil de jurisprudence 2008 I-04777

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:758

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    MME ELEANOR SHARPSTON

    présentées le 6 décembre 2007 ( 1 )

    Affaires jointes C-341/06 P et C-342/06 P

    Chronopost SA et La Poste

    contre

    Union française de l’express (UFEX) e.a.

    «Pourvoi — Régularité de la procédure suivie devant le Tribunal — Arrêt du Tribunal — Annulation — Renvoi — Second arrêt du Tribunal — Composition de la formation de jugement — Aides d’État — Domaine postal — Entreprise publique chargée d’un service d’intérêt économique général — Assistance logistique et commerciale à une filiale — Filiale n’opérant pas dans un secteur réservé — Transfert de l’activité du courrier express à cette filiale — Notion d’‘aides d’État’ — Décision de la Commission — Assistance et transfert non constitutifs d’aides d’État — Motivation»

    1. 

    La présente instance résulte de la deuxième série de pourvois présentés dans une affaire introduite il y a longtemps et qui concerne principalement la fourniture de services d’assistance commerciale et logistique par la poste française à une filiale de celle-ci, la SFMI-Chronopost, qui exerce une activité d’expédition de courrier express. Dans sa décision 98/365/CE (ci-après la «décision attaquée»), la Commission des Communautés européennes a conclu que l’assistance reprochée ne constituait pas une aide d’État en faveur de la SFMI-Chronopost ( 2 ). Des concurrents de cette dernière ont introduit une action devant le Tribunal (ci-après l’«affaire UFEX I») ( 3 ), lequel a annulé la décision attaquée. Dans le cadre des premiers pourvois (ci-après l’«affaire Chronopost I») ( 4 ), la Cour a annulé la décision du Tribunal et renvoyé l’affaire à celui-ci. Les présents pourvois sont dirigés contre l’arrêt rendu sur renvoi, dans lequel le Tribunal a à nouveau annulé la décision attaquée (ci-après l’«arrêt attaqué», affaire UFEX II) ( 5 ).

    2. 

    Les moyens formulés dans le cadre des présents pourvois se rapportent à i) la composition du Tribunal dans la procédure qui a abouti à l’arrêt attaqué, ii) la question de savoir si le Tribunal a statué sur une demande irrecevable, iii) l’examen par celui-ci de la motivation retenue par la Commission pour justifier la décision attaquée et iv) son appréciation de la notion d’aide d’État dans le cadre d’un transfert de clientèle à la SFMI-Chronopost.

    Faits et procédure

    Contexte du litige

    3.

    Le litige a pour origine une plainte déposée à la Commission en décembre 1990. L’arrêt attaqué décrit les circonstances de la cause:

    «2

    La poste française (ci-après ‘La Poste’), qui opère, sous monopole légal, dans le secteur du courrier ordinaire, faisait partie intégrante de l’administration française jusqu’à la fin de l’année 1990. À compter du 1er janvier 1991, elle a été organisée comme une personne morale de droit public, conformément aux dispositions de la loi 90-568, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990, p. 8069 […]). Cette loi l’autorise à exercer certaines activités ouvertes à la concurrence, notamment l’expédition de courrier express.

    3

    La Société française de messagerie internationale (ci-après la ‘SFMI’) est une société de droit privé qui s’est vu confier la gestion du service de courrier express de La Poste [ ( 6 )] depuis la fin de l’année 1985. Cette entreprise a été constituée avec un capital social de 10 millions de francs français (FRF) (environ 1524490 euros), réparti entre Sofipost (66 %), société financière détenue à 100 % par La Poste, et TAT Express (34 %), filiale de la compagnie aérienne Transport aérien transrégional (ci-après ‘TAT’).

    4

    Les modalités d’exploitation et de commercialisation du service de courrier express que la SFMI assurait sous la dénomination EMS/Chronopost ont été définies par une instruction du ministère des Postes et Télécommunications français du 19 août 1986. Selon cette instruction, La Poste devait fournir à la SFMI une assistance logistique et commerciale. Les relations contractuelles entre La Poste et la SFMI étaient régies par des conventions, dont la première date de 1986.

    5

    En 1992, la structure de l’activité de courrier express réalisée par la SFMI a été modifiée. Sofipost et TAT ont créé une nouvelle société, Chronopost SA, dont elles détenaient toujours respectivement 66 % et 34 % des actions. La société Chronopost, qui avait un accès exclusif au réseau de La Poste jusqu’au 1er janvier 1995, s’est recentrée sur le courrier express national. La SFMI a été rachetée par GD Express Worldwide France, filiale d’une entreprise commune internationale regroupant la société australienne TNT et les postes de cinq pays, concentration autorisée par décision de la Commission du 2 décembre 1991 (Affaire IV/M.102 – TNT/Canada Post, DBP Postdienst, La Poste, PTT Poste et Sweden Post) (JO C 322, p. 19). La SFMI a conservé l’activité internationale de courrier express, utilisant Chronopost comme agent et prestataire de services dans le traitement en France de ses envois internationaux (ci-après la ‘SFMI-Chronopost’) [ ( 7 )].

    6

    Le Syndicat français de l’express international (SFEI), auquel a succédé l’Union française de l’express (UFEX), et dont les trois autres requérantes sont membres, est un syndicat professionnel de droit français regroupant la quasi-totalité des sociétés offrant des services de courrier express faisant concurrence à la SFMI-Chronopost.

    7

    Le 21 décembre 1990, le SFEI a déposé une plainte auprès de la Commission au motif, notamment, que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI comportait une aide d’État au sens de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE). Dans la plainte était principalement dénoncé le fait que la rémunération versée par la SFMI pour l’assistance fournie par La Poste ne correspondait pas aux conditions normales de marché. La différence entre le prix du marché pour l’acquisition de tels services et celui effectivement payé par la SFMI constituerait une aide d’État. Une étude économique, réalisée, à la demande du SFEI, par la société de conseil Braxton associés, a été jointe à la plainte afin d’évaluer le montant de l’aide pendant la période 1986-1989.

    8

    Par lettre du 10 mars 1992, la Commission a informé le SFEI du classement de sa plainte. Le 16 mai 1992, le SFEI et d’autres entreprises ont introduit un recours en annulation devant la Cour à l’encontre de cette décision. La Cour a prononcé un non-lieu à statuer (ordonnance de la Cour du 18 novembre 1992, SFEI e.a./Commission, C-222/92, non publiée au Recueil) après la décision de la Commission du 9 juillet 1992 de retirer celle du 10 mars 1992.»

    4.

    Outre la plainte adressée à la Commission, «[l]e 16 juin 1993, le SFEI et d’autres entreprises ont introduit devant le tribunal de commerce de Paris un recours contre la SFMI, Chronopost, La Poste et autres. Une deuxième étude de la société Braxton associés y était jointe actualisant les données de la première étude et étendant la période d’estimation de l’aide à la fin de l’année 1991. Par jugement du 5 janvier 1994, le tribunal de commerce de Paris a posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 92 du traité et de l’article 93 du traité CE (devenu article 88 CE), dont l’une portait sur la notion d’aide d’État dans les circonstances de la présente affaire. Le gouvernement français a déposé devant la Cour, à l’annexe de ses observations du 10 mai 1994, une étude économique réalisée par la société Ernst & Young. [Dans son arrêt SFEI e.a. ( 8 )], la Cour a dit pour droit que ‘[l]a fourniture d’une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 92 du traité si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché’ (point 62)» ( 9 ).

    La procédure devant la Commission et la décision attaquée

    5.

    En 1993, la Commission a demandé et reçu de la République française des informations complémentaires. En mars 1996, elle a fait savoir à cet État membre qu’elle engageait la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité en raison de l’octroi supposé d’une aide par l’État français à la SFMI-Chronopost. L’ouverture de cette procédure a fait l’objet d’une communication de la Commission publiée le 17 juillet 1996 ( 10 ).

    6.

    Le 17 août 1996, le SFEI a, en réponse à la communication, soumis des observations à la Commission, auxquelles était jointe une étude économique réalisée par Bain & Co ( 11 ). La République française y a répondu, sa réponse étant accompagnée d’une étude économique réalisée par Deloitte Touche Tohmatsu.

    7.

    La Commission a adopté la décision attaquée le 1er octobre 1997. L’article 1er de ladite décision dispose que «[l]’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale SFMI-Chronopost [et les autres mesures attaquées] ne constituent pas des aides d’État en faveur de SFMI-Chronopost».

    Arrêts UFEX I ( 12 ) et Chronopost I ( 13 )

    8.

    Par une requête déposée le 30 décembre 1997, UFEX, DHL International SA, Federal express international SA et CRIE SA ont demandé au Tribunal d’annuler la décision attaquée. La République française, La Poste et Chronopost sont alors intervenues au soutien de la Commission.

    9.

    L’affaire a été confiée à la quatrième chambre (élargie) du Tribunal, et un juge rapporteur a été désigné.

    10.

    Les parties requérantes ont invoqué quatre moyens d’annulation, tirés i) d’une violation des droits de la défense, ii) d’une insuffisance de motivation, iii) d’erreurs de fait et d’erreurs manifestes d’appréciation et iv) d’une méconnaissance par la Commission de la notion d’aide d’État, premièrement en ne tenant pas compte des conditions normales du marché dans l’analyse de la rémunération de l’assistance fournie par la Poste à la SFMI-Chronopost et, deuxièmement, en excluant de cette notion diverses mesures dont aurait bénéficié la SFMI-Chronopost.

    11.

    Le Tribunal a considéré que le quatrième moyen était fondé en sa première branche et a annulé l’article 1er de la décision attaquée en ce que celui-ci constatait que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost ne constituait pas une aide d’État. Le Tribunal a estimé inutile d’examiner la seconde branche de ce moyen ou les autres moyens, dans la mesure où ces derniers concernaient l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost. En particulier, il n’y avait pas lieu d’examiner le deuxième moyen. Le premier moyen et les aspects du troisième moyen qui ne se rapportaient pas aux griefs examinés dans le cadre du quatrième moyen ont été rejetés.

    12.

    Par requêtes déposées au greffe de la Cour les 19 et 23 février 2001, Chronopost, La Poste et la République française se sont pourvues contre l’arrêt UFEX I.

    13.

    Les parties requérantes aux pourvois ont fait valoir plusieurs moyens, dont le premier était tiré d’une violation par le Tribunal de l’article 92, paragraphe 1, du traité en ce que celui-ci avait mal interprété la notion de «conditions normales de marché» utilisée dans l’arrêt SFEI. Au point 75 de l’arrêt UFEX I, le Tribunal avait conclu que la Commission aurait au moins dû vérifier que la contrepartie reçue par La Poste était comparable à celle qu’aurait réclamée une société financière privée ou un groupe privé d’entreprises n’opérant pas dans un secteur réservé.

    14.

    La Cour a considéré que cette appréciation était entachée d’une erreur de droit, en ce qu’elle méconnaissait que La Poste se trouvait dans une situation très différente de celle d’une entreprise privée agissant dans des conditions normales de marché. En tant qu’elle était chargée d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE), La Poste a dû se doter ou être dotée d’infrastructures et de moyens importants lui permettant de fournir le service postal de base à tous les usagers, y compris dans les zones où les tarifs ne couvraient pas les coûts des services. La constitution et le maintien du réseau de La Poste ne répondaient donc pas à une logique purement commerciale et une entreprise privée ne s’y serait jamais engagée. Par ailleurs, la fourniture de l’assistance logistique et commerciale consistait précisément dans la mise à disposition de ce réseau. Partant, elle lui était indissociablement liée. La Cour a conclu dans les termes suivants:

    «38

    Dans ces conditions, en l’absence de toute possibilité de comparer la situation de La Poste avec celle d’un groupe privé d’entreprises n’opérant pas dans un secteur réservé, les ‘conditions normales de marché’, qui sont nécessairement hypothétiques, doivent s’apprécier par référence aux éléments objectifs et vérifiables qui sont disponibles.

    39

    En l’occurrence, les coûts supportés par La Poste pour la fourniture à sa filiale d’une assistance logistique et commerciale peuvent constituer de tels éléments objectifs et vérifiables.

    40

    Sur cette base, l’existence d’une aide d’État en faveur de la SFMI-Chronopost peut être exclue si, d’une part, il est établi que la contrepartie exigée couvre dûment tous les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, une contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal ainsi qu’une rémunération appropriée des capitaux propres dans la mesure où ils sont affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, et si, d’autre part, aucun indice ne donne à penser que ces éléments ont été sous-estimés ou fixés de manière arbitraire.»

    15.

    La Cour a donc conclu que le pourvoi était fondé en son premier moyen. Elle a annulé l’arrêt UFEX I, sans examiner les autres moyens invoqués, et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

    L’arrêt attaqué ( 14 )

    16.

    Après le renvoi au Tribunal, l’affaire avait initialement été confiée à la quatrième chambre (élargie) et le même juge rapporteur avait été désigné que celui qui l’avait été dans l’affaire UFEX I. À la suite de la décision du 13 septembre 2004 ( 15 ) modifiant la composition des chambres du Tribunal, ledit juge rapporteur a été transféré à la troisième chambre (élargie), à laquelle l’affaire a alors été réattribuée.

    17.

    En substance, les parties requérantes se sont appuyées sur les deuxième, troisième et quatrième moyens invoqués dans le cadre de l’affaire UFEX I ( 16 ). La première branche du quatrième moyen alléguait cette fois une violation de la notion de conditions normales de marché, telle que dégagée par l’arrêt Chronopost I.

    18.

    Les parties ont plaidé et répondu aux questions du Tribunal à l’audience du 15 juin 2005.

    19.

    Le Tribunal a reconnu le bien-fondé du deuxième moyen (insuffisance de motivation) et du grief invoqué dans le cadre de la seconde branche du quatrième moyen, à propos du transfert de la clientèle du service Postadex. Il a rejeté tous les autres griefs, à l’exception de ceux, se rapportant à la première branche du quatrième moyen, dont il estimait l’examen impossible. Le Tribunal a annulé la décision attaquée en ce que celle-ci a constaté que ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituaient des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost.

    Les pourvois

    20.

    Par requêtes déposées au greffe de la Cour les 4 et 7 août 2006 respectivement, Chronopost (affaire C-341/06 P) et La Poste (affaire C-342/06 P) ont chacune introduit un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal. Les parties requérantes aux pourvois prient la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner les parties requérantes au fond à l’intégralité des dépens. Chronopost prie également la Cour de statuer définitivement sur le litige et de confirmer la légalité de la décision attaquée.

    21.

    UFEX, DHL Express (France) (anciennement DHL International), Federal express international (France) et CRIE (en liquidation) ont présenté une réponse commune dans le cadre de chacun des pourvois. Ni la République française ni la Commission n’ont présenté d’observations ( 17 ). En vertu de l’article 117 des règles de procédure, le président de la Cour a autorisé Chronopost et La Poste à présenter des mémoires en réplique concernant les moyens d’irrecevabilité. UFEX a ensuite déposé des mémoires en duplique.

    22.

    Les deux affaires ont été jointes par une ordonnance du président de la Cour du 18 avril 2007.

    23.

    Aucune audience n’a été demandée ni tenue.

    Premier moyen: vice de procédure en ce qui concerne la composition de la chambre

    24.

    Les parties requérantes aux pourvois invoquent la violation de leur droit à un procès équitable en raison du fait que le juge rapporteur, dans le cadre de la procédure à l’origine de l’arrêt attaqué, a également agi en qualité de juge rapporteur au cours de la procédure qui a abouti à l’arrêt UFEX I.

    Dispositions applicables

    Règlement de procédure de la Cour (ci-après les «règles de procédure de la Cour»)

    25.

    L’article 42, paragraphe 2, prévoit que «[l]a production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure».

    26.

    En vertu de l’article 118, l’article 42, paragraphe 2, s’applique à la procédure devant la Cour ayant pour objet un pourvoi contre une décision du Tribunal.

    Règlement de procédure du Tribunal (ci-après les «règles de procédure du Tribunal»)

    27.

    L’article 48, paragraphe 2, a un libellé identique à celui de l’article 42, paragraphe 2, des règles de procédure de la Cour.

    28.

    L’article 118 dispose que:

    «1.   Lorsque la Cour annule un arrêt ou une ordonnance d’une chambre, le président du Tribunal peut attribuer l’affaire à une autre chambre composée du même nombre de juges.

    2.   Lorsque la Cour annule un arrêt ou une ordonnance rendu par la formation plénière ou par la grande chambre du Tribunal, l’affaire est attribuée à la formation qui a rendu la décision en question.

    2 bis.   Lorsque la Cour annule un arrêt ou une ordonnance rendu par un juge unique, le président du Tribunal attribue l’affaire à une chambre composée de trois juges dont ce juge ne fait pas partie.

    […]»

    Arguments des parties

    29.

    Les parties requérantes aux pourvois allèguent que, même si la Communauté n’est pas, comme telle, partie à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»), elle est tenue de respecter les droits qui y sont consacrés. Le droit de voir sa cause entendue par un tribunal indépendant et impartial est un élément du droit à un procès équitable selon les termes de l’article 6 de la CEDH. Une apparence de partialité (conception objective) suffit à porter atteinte à ce droit et peut exister lorsque la composition d’une juridiction fait naître un doute légitime quant à son impartialité. Tant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que celle des tribunaux français indique que la présence d’un même juge dans des procédures successives crée un tel doute. La Poste considère que l’article 118, paragraphes 1 et 2 bis, des règles de procédure du Tribunal révèle que la question du réexamen d’une affaire par un juge qui a participé au premier jugement suscite une certaine préoccupation.

    30.

    Dans ses mémoires en réponse, UFEX fait valoir que le moyen constitue un moyen nouveau, et qu’il est partant irrecevable selon les règles de procédure de la Cour. Les courriers du greffe du Tribunal ont informé les parties requérantes aux pourvois de la composition de la chambre saisie avant l’audience et le nom du juge rapporteur figurait dans le rapport d’audience. Malgré cela, les parties requérantes aux pourvois n’ont pas soulevé d’objection devant le Tribunal. Il ressort de l’arrêt Petrides/Commission ( 18 ) qu’une garantie procédurale dont on a ainsi renoncé à faire usage ne peut pas être invoquée en deuxième instance.

    31.

    Quant au contenu du moyen, UFEX soutient, premièrement, que la composition du Tribunal qui a rendu l’arrêt attaqué était conforme au prescrit de l’article 118 de ses règles de procédure, laquelle disposition gouverne la composition du Tribunal en cas de renvoi par la Cour après annulation d’un arrêt antérieur. En outre, le principe de collégialité qui régit les formations au sein des juridictions communautaires est réputé neutraliser tout risque de partialité. Deuxièmement, ces règles communautaires n’enfreindraient pas l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Selon UFEX, la Cour européenne des droits de l’homme suit une approche au cas par cas et n’a pas énoncé de principe général selon lequel un juge ne pourrait pas siéger dans plusieurs procédures successives dans le cadre de la même affaire. Troisièmement, les règles tiendraient compte des diverses traditions des États membres. De plus, le maintien du juge rapporteur dans une affaire complexe renvoyée au Tribunal est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice communautaire.

    32.

    Dans leurs mémoires en réplique, les parties requérantes aux pourvois réfutent le moyen d’irrecevabilité soulevé par UFEX. Chronopost le considère comme inopérant, car la violation du droit à un tribunal impartial constitue une violation de formes substantielles. Il s’agit donc d’un moyen d’ordre public que la Cour doit relever d’office.

    33.

    Les parties requérantes aux pourvois soutiennent, en tout état de cause, que l’irrecevabilité n’est pas fondée. Le moyen contesté n’aurait pas pu être invoqué avant que soit rendu l’arrêt attaqué. Les moyens invoqués dans le cadre d’un pourvoi sont, en ce qu’ils critiquent l’arrêt attaqué, nécessairement nouveaux. Le droit de voir sa cause entendue par un tribunal impartial est inaliénable et l’on ne peut y renoncer comme on le pourrait à une garantie procédurale. En outre, les parties requérantes aux pourvois persistent à affirmer qu’il n’existe pas de procédure permettant de contester la composition du Tribunal ou de récuser un juge particulier. Enfin, Chronopost allègue que les courriers du greffe du Tribunal ne mentionnaient pas l’identité des membres des formations concernées et qu’elle n’a jamais reçu une copie du rapport d’audience.

    34.

    Dans ses mémoires en duplique, UFEX fait valoir que l’argument selon lequel le moyen dont il est question ici intéresse l’ordre public constitue en soi un moyen nouveau. L’argument serait également inopérant, car il ne se serait jamais produit de violation d’un droit fondamental. Les parties requérantes aux pourvois auraient pu invoquer le moyen devant le Tribunal au titre de l’article 48, paragraphe 2, des règles de procédure de celui-ci. Les moyens présentés dans le cadre d’un pourvoi ne sont pas nécessairement nouveaux, puisqu’ils devraient être formulés à propos de moyens débattus devant la juridiction de première instance. Lorsqu’ils sont nouveaux, l’article 42, paragraphe 2, des règles de procédure de la Cour s’applique en cas de pourvoi, en vertu de l’article 118 de celles-ci. UFEX relève aussi que Chronopost aurait dû connaître la composition des chambres du Tribunal, étant donné que celle-ci a été publiée au Journal officiel ( 19 ).

    Appréciation

    35.

    Quant à la question de la recevabilité, je rappellerais que Chronopost et La Poste sont intervenues, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, au soutien de la Commission.

    36.

    En vertu de l’article 40 du protocole sur le statut de la Cour de justice, une partie intervenante ne peut que soutenir les conclusions de l’une des parties. Les juridictions communautaires ont interprété cette restriction en ce sens qu’un intervenant ne peut pas soulever des arguments ou des moyens qui seraient d’une nature totalement étrangère aux considérations qui fondent le litige, tel qu’il a été constitué entre la partie requérante et la partie défenderesse ( 20 ).

    37.

    Une allégation de vice de procédure lié à la composition du Tribunal n’a pas le moindre rapport avec les moyens invoqués devant le Tribunal par la Commission. En conséquence, Chronopost et La Poste n’étaient pas recevables à invoquer cet argument devant le Tribunal.

    38.

    La question se poserait alors de savoir si la Commission elle-même aurait pu s’en prévaloir devant le Tribunal.

    39.

    En vertu de l’article 48, paragraphe 2, des règles de procédure de la Cour, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments qui se sont révélés pendant la procédure. Pour savoir si des éléments «se sont révélés» pendant la procédure, le Tribunal applique un test objectif, en posant la question de savoir si la partie en question a été en mesure d’avoir connaissance des éléments antérieurement ( 21 ).

    40.

    Il va de soi que la composition de la chambre du Tribunal à laquelle l’affaire a été attribuée après le renvoi par la Cour est un élément qui n’aurait pas pu se révéler avant le début de la procédure. La Commission aurait donc été en droit, selon l’article 48, paragraphe 2, des règles de procédure du Tribunal, de soulever un moyen nouveau pour la contester.

    41.

    De plus, la Commission se trouvait objectivement dans une position qui lui permettait de le faire. La composition de la chambre désignée pour connaître de l’affaire a été communiquée aux parties. Les modifications apportées aux chambres du Tribunal en 2004 ont été annoncées au Journal officiel. La composition des chambres figure également sur le site Internet de la Cour. Le nom du juge rapporteur est mentionné sur le rapport d’audience envoyé aux parties avant l’audience. Enfin, la composition du Tribunal et le nom du juge rapporteur sont clairement indiqués sur l’avis annonçant la tenue de l’audience, affiché à l’extérieur de la salle où celle-ci doit avoir lieu.

    42.

    La Commission était donc, au cours de la procédure devant le Tribunal, objectivement en mesure de savoir que le juge rapporteur dans l’affaire UFEX I siégeait dans la formation à laquelle l’affaire a été attribuée après renvoi. Toutefois, aucun élément dans l’arrêt attaqué ou dans le dossier n’indique que la Commission aurait soulevé la moindre objection.

    43.

    Dans l’affaire Petrides/Commission ( 22 ), la Cour a rejeté un moyen tiré de la violation du principe du contradictoire et de celui de l’égalité des armes, car la partie requérante au pourvoi n’avait pas invoqué le moyen devant le Tribunal, alors qu’elle en avait eu l’occasion, et avait, ce faisant, renoncé à faire usage d’une garantie procédurale.

    44.

    De même, la Commission ne pourrait pas ici tirer argument de la composition du Tribunal en tant que moyen à l’appui d’un pourvoi. Elle aurait pu formuler une objection à l’encontre de la composition de la chambre en première instance. À défaut de ce faire, cependant, elle a renoncé à une garantie procédurale et ne serait pas en mesure de se rattraper à ce stade-ci.

    45.

    Il me semble qu’il serait contraire tant à la jurisprudence de la Cour dans son arrêt Petrides/Commission, précité, qu’à l’article 40 du protocole sur le statut de la Cour de justice de permettre à une partie intervenante en première instance de faire valoir, dans le cadre d’un pourvoi, un moyen que la partie soutenue a omis d’invoquer devant le premier juge.

    46.

    Il faut reconnaître que cette conclusion repose sur une analyse plutôt formelle du statut de la partie intervenante. A priori, je ne pense pas que l’on puisse affirmer qu’un intervenant n’a aucun droit à un procès équitable, même s’il ne s’agit pas de son propre procès. Conformément à l’article 40 du protocole sur le statut de la Cour de justice, la partie intervenante justifie nécessairement d’un intérêt à la solution d’un litige (sans cela, en effet, elle n’aurait pas été admise à intervenir). En outre, Chronopost et La Poste ne sont plus de simples parties intervenantes, mais bien des parties requérantes dans le cadre de pourvois introduits auprès de la Cour. L’article 6, paragraphe 1, de la CEDH garantit à toute personne le droit à un procès équitable, qu’il s’agisse «soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle» ( 23 ).

    47.

    Toutefois, il me semble que, si la Cour devait estimer que Chronopost et La Poste auraient pu, elles-mêmes, contester la composition du Tribunal devant le Tribunal, alors même que la Commission ne l’aurait pas fait, elles devraient être considérées, pour les motifs décrits aux points 40 à 43 ci-dessus, comme ayant renoncé à ce droit.

    48.

    J’estime, par conséquent, que le premier moyen est irrecevable.

    49.

    En ce qui concerne l’argument des parties requérantes aux pourvois selon lequel leur moyen doit être examiné par la Cour en tout état de cause, car il intéresserait l’ordre public, je ne pense pas que cet argument même constitue, comme l’affirme UFEX, un moyen nouveau. Il a plutôt été avancé en réponse à l’irrecevabilité soulevée par UFEX.

    50.

    Cela étant dit, je ne me rallie pas à la thèse des parties requérantes au pourvoi.

    51.

    Celle-ci est fondée sur une jurisprudence montrant qu’une forme substantielle est violée lorsqu’une autorité administrative, telle que la Commission, refuse aux parties intéressées la possibilité de présenter des observations avant l’adoption d’un acte administratif ( 24 ).

    52.

    Or, il ressort clairement de l’arrêt Petrides/Commission, précité, qu’une partie requérante qui omet d’exercer ses droits de la défense au cours d’une procédure juridictionnelle, alors qu’elle en a la possibilité, ne peut pas les faire valoir ultérieurement. Dans cette affaire, la Cour n’a pas estimé nécessaire de soulever d’office l’argument de la partie requérante.

    53.

    Les principes que la partie requérante dans l’affaire Petrides/Commission a considérés comme ayant été méconnus font tout autant partie du droit à un procès équitable que le droit à un tribunal impartial: en effet, le principe du contradictoire et celui désigné par l’adage nemo judex in sua causa constituent les deux piliers de l’équité. Je ne vois, dès lors, aucune raison pour que la Cour suive une approche différente en l’espèce.

    54.

    Si la Cour devait néanmoins considérer le moyen comme recevable, elle devrait, selon moi, le rejeter comme non fondé.

    55.

    Premièrement, il ne s’est pas produit de violation manifeste d’une forme substantielle. L’article 118, paragraphe 1, des règles de procédure du Tribunal n’interdit pas que la même chambre soit, dans une affaire, saisie de plusieurs procédures successives dans le cas d’un renvoi. Cette règle peut être opposée à la règle très différente de l’article 118, paragraphe 2 bis, selon laquelle un juge ne peut pas se voir confier une affaire renvoyée au Tribunal s’il a eu à en connaître à l’origine comme juge unique. D’autre part, rien dans les règles de procédure du Tribunal ne permet de penser qu’un même juge ne pourrait pas agir en qualité de juge rapporteur lorsque l’affaire a été renvoyée après un pourvoi. En effet, l’article 118, paragraphe 2, des règles de procédure du Tribunal prévoit spécifiquement qu’une affaire tranchée à l’origine par la grande chambre (et, bien sûr, par une formation plénière) doit être réexaminée par la même formation.

    56.

    Deuxièmement, les parties requérantes aux pourvois n’allèguent pas l’existence d’une partialité réelle (conception subjective). La seule partialité alléguée (qui est objective) résulte de la composition de la chambre du Tribunal à laquelle a été attribuée leur affaire après le renvoi par la Cour.

    57.

    Elles font observer, avec raison, que, bien que la Communauté ne soit pas une partie à la CEDH, l’article 6, paragraphe 2, UE ne dispose pas moins que «[l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] […]». En outre, la CEDH revêt une signification particulière parmi les sources dont découlent les droits fondamentaux dont la Cour garantit le respect ( 25 ). Le droit à un tribunal impartial consacré par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH fait partie de ces droits fondamentaux.

    58.

    En ce qui concerne la partialité objective, qui peut être constatée lorsqu’il existe un doute légitime quant à l’impartialité d’une juridiction, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’«on ne saurait poser en principe général découlant du devoir d’impartialité qu’une juridiction de recours annulant une décision administrative ou judiciaire a l’obligation de renvoyer l’affaire à une autre autorité juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité» ( 26 ). La présence d’un même juge à plusieurs audiences concernant une même affaire ne peut faire naître de suspicion légitime de partialité qu’en combinaison avec d’autres facteurs ( 27 ). Or, aucun facteur complémentaire de cet ordre n’est allégué en l’espèce.

    59.

    En outre, il arrive que des juges de la Cour européenne des droits de l’homme elle-même siègent à plusieurs audiences successives dans une même affaire. Lorsqu’une affaire sur laquelle une chambre a statué par un arrêt est renvoyée devant la grande chambre en vertu de l’article 43 de la CEDH, le président de la chambre qui a rendu l’arrêt et le juge ayant siégé au titre de l’État partie intéressé (mais aucun autre juge de la chambre qui a rendu l’arrêt) peuvent y siéger ( 28 ). Il est arrivé, d’ailleurs, que des juges siégeant dans le cadre des deux procédures changent d’avis ( 29 ).

    60.

    Enfin, les parties requérantes aux pourvois font observer que l’article 6, paragraphe 2, UE impose aussi à l’Union de respecter les droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Elles relèvent que, en France, le tribunal saisi sur renvoi doit être constitué différemment de celui qui a connu de l’affaire au départ. UFEX rétorque que tel n’est pas le cas en Allemagne, en Espagne ou au Royaume-Uni. Il me semble évident qu’il ne suffit pas, pour démontrer l’existence d’une tradition constitutionnelle commune aux États membres, de se référer à la situation prévalant dans un seul État membre.

    61.

    J’en conclus donc que, à supposer que le premier moyen soit recevable (quod non), il est en tout état de cause non fondé.

    Deuxième moyen: vice de procédure, en ce que le Tribunal n’a pas considéré l’exception d’irrecevabilité soulevée par La Poste et a examiné dans sa substance un moyen irrecevable

    Arguments des parties

    62.

    La Poste rappelle, en premier lieu, qu’elle a fait valoir, dans ses observations écrites, que le grief d’UFEX concernant le transfert du service Postadex était nouveau et que le Tribunal avait omis de se prononcer sur sa recevabilité en conséquence. En deuxième lieu, elle soutient que, étant donné que ce grief était nouveau, le Tribunal aurait dû, en tout état de cause, s’abstenir de l’examiner.

    63.

    UFEX considère que la première branche du deuxième moyen invoqué par La Poste est irrecevable, dans la mesure où l’argumentation qui la sous-tend est confuse et imprécise. Quant à sa substance, UFEX fait valoir que le Tribunal n’est pas tenu de se prononcer sur une exception d’irrecevabilité soulevée par une partie intervenante si cette exception n’a pas été formulée par la partie défenderesse. En ce qui concerne la seconde branche du moyen invoqué par La Poste, le moyen formulé par UFEX n’était pas nouveau, mais avait été invoqué dans sa requête introductive de l’instance d’origine.

    Appréciation

    64.

    En ce qui concerne la première branche du moyen, il ressort très clairement de la jurisprudence de la Cour qu’une partie intervenante n’a pas la qualité pour soulever une exception d’irrecevabilité qui n’aurait pas été formulée dans les conclusions de la partie défenderesse ( 30 ). La Commission n’a pas, en tant que partie défenderesse, invoqué le moyen en question. Dès lors, le Tribunal n’était pas tenu de l’examiner.

    65.

    Les arrêts de la Cour invoqués par La Poste pour affirmer que la question est abordée au cas par cas montrent en réalité, comme UFEX le fait observer à juste titre, que la Cour ne procède à l’examen du bien-fondé d’une exception d’irrecevabilité soulevée par une partie intervenante, plutôt que par la partie défenderesse, que si cette exception intéresse l’ordre public ( 31 ).

    66.

    Quant à la seconde branche du moyen, La Poste tente, en substance, de prouver à nouveau le bien-fondé de l’exception d’irrecevabilité qu’elle avait soulevée devant le Tribunal. Il serait incompatible avec la jurisprudence de la Cour citée ci-dessus d’examiner en deuxième instance un moyen qui était irrecevable devant le premier juge.

    67.

    Je propose, par conséquent, à la Cour de déclarer le deuxième moyen non fondé en sa première branche et irrecevable en sa seconde.

    Troisième moyen: erreur de droit dans l’examen de la motivation de la décision attaquée

    Contexte

    68.

    Il s’impose, avant tout, de décrire dans un certain détail les parties pertinentes de la décision et de l’arrêt attaqués.

    La décision attaquée

    69.

    Le trente-troisième considérant ( 32 ) de la décision attaquée décrit, entre autres, l’assistance logistique et commerciale apportée par La Poste à la SFMI-Chronopost et explique la façon dont les coûts sont calculés et pris en compte:

    «[i) ( 33 )] 1)

    Une assistance logistique, consistant à mettre les infrastructures postales à la disposition de SFMI-Chronopost pour la collecte, le tri, le transport et la distribution de ses envois.

    […]

    [iii)]

    Pour calculer le montant total de l’assistance apportée à SFMI-Chronopost, La Poste calcule d’abord ses coûts opérationnels directs, hors frais de siège et de directions régionales, en fonction de la gamme de production (chaîne d’opérations élémentaires) correspondant à la prestation et des volumes de trafic réels. Les frais du siège et des directions régionales sont alors alloués au prorata des coûts de revient de chaque prestation [ ( 34 )].

    [iv)]

    En ce qui concerne la gamme de production, La Poste n’avait pas de système de comptabilité analytique lui permettant de calculer les coûts réels liés à la fourniture de cette assistance logistique à SFMI-Chronopost. Jusqu’en 1992, ces coûts étaient calculés sur la base d’estimations. Les prestations fournies à SFMI-Chronopost étaient décomposées en une suite d’opérations élémentaires qui, avant 1992, n’avaient pas été chronométrées. Pour établir ces coûts, La Poste assimilait ces prestations à des services postaux existants et de nature similaire, dont les différentes opérations avaient déjà été chronométrées et évaluées (dépôt d’une lettre recommandée, par exemple). En 1992, la durée et le coût des opérations en question ont été calculés en tenant compte des volumes réels de trafic relevant du courrier express. Ces calculs ont permis à La Poste d’estimer le coût réel de son assistance logistique.»

    D’après le point vi), la rémunération cumulée versée par la SFMI-Chronopost a couvert les coûts complets à 116,1 % sur la période 1986-1991 et à 119 % sur la période 1986-1995. En 1986 et en 1987, le taux de couverture a été de 70,3 % et de 84,3 % respectivement. Durant ces deux années, les revenus ont couvert les coûts directs avant les frais de siège et de directions régionales.

    «[x)] 2)

    Une assistance commerciale, c’est-à-dire l’accès de SFMI-Chronopost à la clientèle de La Poste et l’apport, par celle-ci, de son fonds de commerce. Le plaignant affirme qu’en 1986, La Poste a transféré à SFMI-Chronopost la clientèle de son produit Postadex sans contrepartie aucune (le produit Postadex a été remplacé par le produit EMS-Chronopost en 1986). En outre, SFMI-Chronopost bénéficie de campagnes promotionnelles et publicitaires organisées par La Poste.»

    70.

    Au point xi), la Commission explique que les prix payés par la SFMI-Chronopost pour l’assistance logistique reçue couvrent également l’intégralité des frais supportés par La Poste, y compris ceux entraînés par l’assistance commerciale.

    71.

    Au trente-quatrième considérant ( 35 ), la Commission a résumé les arguments avancés par le SFEI pour conclure à l’existence d’une aide d’État, lesquels arguments reposaient sur les conclusions des études économiques qu’il avait commandées. L’aide d’État alléguée s’élevait, au total, à 1,516 milliard de FRF pour la période 1986-1991, en ce compris 1,048 milliard de FRF au titre de l’assistance logistique et 468 millions de FRF au titre de l’assistance commerciale ( 36 ). La Commission a décrit, pour le montant total de l’aide alléguée, la méthode fondée sur le «prix de marché normal» suivie par le SFEI. En ce qui concerne l’assistance logistique, le SFEI a calculé les coûts en prenant comme référence une entreprise mettant en place et exploitant un réseau comparable à celui de La Poste. En ce qui concerne l’assistance commerciale, la Commission a résumé l’approche suivie par le SFEI en se fondant sur les explications qu’elle a trouvées dans la plainte de celui-ci.

    72.

    Dans son appréciation, la Commission a, tout d’abord, rejeté la méthode retenue par le SFEI, fondée sur une comparaison avec un réseau nouveau, pour évaluer l’assistance logistique, ainsi que son estimation des composantes particulières de l’assistance commerciale ( 37 ). En ce qui concerne ces dernières, la Commission a indiqué pourquoi elle ne considérait pas le transfert du service Postadex, évalué par le SFEI à 38 millions de FRF ( 38 ), comme une aide d’État. Ce transfert n’a comporté aucun avantage en numéraire pour la SFMI-Chronopost. La possibilité pour une filiale d’avoir accès à la clientèle de la société mère, ce qui constitue un apport incorporel, est une caractéristique commune aux relations au sein d’un groupe de sociétés. Le transfert était la conséquence logique de la création de la SFMI-Chronopost, en tant que filiale chargée des activités de La Poste dans le domaine du courrier express.

    73.

    Puis la Commission a rejeté l’approche générale suivie par le SFEI dans son évaluation de l’aide d’État ( 39 ). Elle a considéré que le raisonnement de celui-ci reflétait un vice fondamental ( 40 ) dans l’interprétation qu’il faisait de l’arrêt SFEI ( 41 ). Selon la Commission, le SFEI avait interprété la notion de «prix normal du marché» comme étant le prix auquel une société privée comparable fournirait les mêmes services à une société à laquelle elle n’est pas apparentée, y compris une redevance pour l’accès au réseau postal. Cependant, aucun élément, dans la jurisprudence de la Cour, n’indiquait que la Commission devait ignorer les considérations stratégiques et les synergies qui découlent de l’appartenance de La Poste et de la SFMI-Chronopost au même groupe. Ces considérations jouent un rôle important dans la prise de décision en matière d’investissements d’une société holding et étaient donc applicables à la présente affaire, où la question examinée était celle du comportement d’une société mère et de sa filiale. La Cour n’avait jamais indiqué que la Commission devait appliquer une méthode différente lorsque l’une des parties à l’opération détenait un monopole. La Commission a poursuivi en ces termes:

    «[56.]

    En conséquence, la question qu’il convient de se poser est celle de savoir si les conditions de la transaction entre La Poste et SFMI-Chronopost sont comparables à celles d’une transaction équivalente entre une société mère privée, qui peut très bien être en situation de monopole (par exemple parce qu’elle détient des droits exclusifs), et sa filiale. […].

    [57.]

    La Commission considère que les prix internes auxquels les produits et les services sont échangés entre des sociétés appartenant au même groupe ne comportent aucun avantage financier, quel qu’il soit, s’il s’agit des prix calculés sur la base des coûts complets (c’est-à-dire les coûts totaux plus la rémunération des capitaux propres). En l’espèce, les paiements effectués par SFMI-Chronopost ne couvraient pas les coûts totaux pendant les deux premières années d’exploitation, mais ils couvraient tous les coûts hors frais de siège et de directions régionales. La Commission considère que cette situation n’est pas anormale étant donné que le revenu provenant de l’activité d’une nouvelle entreprise appartenant à un groupe de sociétés peut ne couvrir que les coûts variables pendant la période de démarrage. Une fois que l’entreprise a stabilisé sa position sur le marché, le revenu qu’elle génère doit être supérieur aux frais variables, de manière à ce qu’elle contribue à la couverture des frais fixes du groupe. Au cours des deux premiers exercices (1986 et 1987), les paiements effectués par SFMI-Chronopost couvraient non seulement les frais variables, mais aussi certains frais fixes (par exemple immeubles et véhicules). La France a démontré qu’à partir de 1988, la rémunération payée par SFMI-Chronopost pour l’assistance qui lui a été fournie couvre tous les coûts encourus par La Poste, plus une contribution à la rémunération des capitaux propres. En conséquence, l’assistance logistique et commerciales fournie par La Poste à sa filiale l’a été à des conditions normales de marché et elle ne constituait pas une aide d’État.»

    74.

    La Commission a également considéré que la fourniture d’une assistance logistique et commerciale ne constituait pas une aide d’État sous l’angle du principe de l’investisseur en économie de marché ( 42 ). Le taux de rendement interne («TRI») de l’investissement – calculé sur la base des dividendes versés par la SFMI-Chronopost, plus l’accroissement de la valeur de l’injection de capital effectuée par La Poste à l’origine – dépassait largement le coût des fonds propres de la SFMI-Chronopost en 1986. Cela restait le cas lorsqu’on incluait le montant de 38 millions de FRF, considéré par le SFEI comme correspondant à la valeur du service Postadex, dans le calcul du TRI en tant qu’injection de capital social, de même que l’évaluation par le SFEI des conditions d’accès privilégiées de la SFMI-Chronopost au réseau de La Poste.

    L’arrêt attaqué

    75.

    Après avoir résumé la jurisprudence pertinente des juridictions communautaires ( 43 ), le Tribunal a défini la portée de son contrôle de la motivation de la décision attaquée ( 44 ). Au regard de l’arrêt Chronopost I, il lui appartenait d’examiner, notamment, le caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée concernant la question de savoir si la contrepartie exigée de la SFMI-Chronopost pour l’assistance dont elle a bénéficié couvrait les coûts variables supplémentaires de La Poste, une contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal et une rémunération appropriée des capitaux propres affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost.

    76.

    Le Tribunal a estimé que «les raisons pour lesquelles la Commission a rejeté la méthode de calcul des coûts proposée par les requérantes ressortent clairement des motifs exposés aux considérants 49 à 56 de la décision attaquée» ( 45 ). Toutefois, il a également dû examiner le raisonnement de la Commission en ce qui concerne i) la manière dont celle-ci a, en utilisant la méthode dite des «coûts complets», calculé et évalué les coûts supportés par La Poste et ii) la contrepartie exigée à cet égard.

    77.

    S’agissant d’abord des coûts variables supplémentaires ( 46 ), le Tribunal a estimé que les trente-troisième et cinquante-septième considérants de la décision attaquée n’indiquaient pas suffisamment la portée exacte qu’entendait donner la Commission aux notions économiques et comptables utilisées à ce titre ni le caractère précis des coûts examinés par elle pour conclure à l’absence d’aide d’État, pour permettre au Tribunal d’effectuer son contrôle sur la question de savoir si ces coûts correspondent effectivement aux coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale au sens de l’arrêt Chronopost I. Les explications fournies par après par la Commission n’ont fait que renforcer la conclusion selon laquelle la motivation de la décision attaquée en tant que telle était beaucoup trop générale.

    78.

    Il n’a pas été possible de savoir quels ont été les «coûts opérationnels directs», ni quels ont été les coûts qui, dans la comptabilité de La Poste, étaient directement attribuables aux différentes activités. La mention, au cinquante-septième considérant, de «certains frais fixes» était trop imprécise pour que l’on puisse déterminer ce qu’ont couvert exactement les paiements effectués par la SFMI-Chronopost pendant les deux premiers exercices. En outre, aucune explication n’a été donnée sur la question de savoir de quelle manière les prestations fournies par La Poste étaient décomposées en opérations élémentaires ou de quelle manière ces prestations ont été assimilées à des services postaux existants de nature similaire. Étant donné que les coûts supportés jusqu’en 1992 ont été calculés sur la base d’estimations, il aurait été nécessaire d’expliquer la façon dont les prestations avaient été assimilées afin de pouvoir vérifier la présence ou l’absence d’éventuelles erreurs de fait ou d’appréciation. Enfin, la manière dont l’assistance commerciale a été prise en compte dans le calcul des coûts complets n’apparaissait pas clairement du tout.

    79.

    Le Tribunal a conclu qu’il aurait été nécessaire d’inclure dans la décision attaquée une motivation adéquate à cet égard et, à tout le moins, un sommaire général des calculs comptables analytiques sur les prestations fournies à la SFMI-Chronopost, les informations à caractère confidentiel ayant éventuellement été omises. En l’état, la décision attaquée ne comportait pas de motivation suffisante de l’appréciation de la Commission quant à la présence ou non de coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale.

    80.

    Le Tribunal s’est ensuite penché sur les coûts fixes ( 47 ). Il a estimé que la décision attaquée ne comportait pas suffisamment d’explication à leur propos. Premièrement, il était impossible de vérifier si une partie des frais de siège et de directions régionales consistait en des coûts fixes découlant de l’utilisation du réseau postal. Ce point était particulièrement important, compte tenu du fait que la rémunération payée par la SFMI-Chronopost n’a pas couvert les coûts complets à 100 % pendant les deux premières années d’activité. Deuxièmement, il n’a pas été précisé s’il existait d’autres coûts fixes, supportés par La Poste consécutivement à l’utilisation du réseau postal, qui auraient dû être couverts par la rémunération. Par conséquent, il n’a pas pu être déterminé si la contribution aux coûts fixes a été effectuée correctement au regard des exigences de l’arrêt Chronopost I.

    81.

    Enfin, le Tribunal a relevé que la décision attaquée n’a pas indiqué quelle a été la contribution que la SFMI-Chronopost a apportée pour rémunérer les capitaux propres de La Poste ( 48 ). Il n’a pas été précisé si la Commission a effectué le calcul du TRI pour démontrer que le critère de l’investisseur privé était rempli et/ou pour calculer la rémunération des capitaux propres.

    82.

    Dans le calcul du TRI, la Commission a, selon le Tribunal, omis de déterminer l’identité des capitaux dont elle estimait qu’ils ont effectivement été affectés à l’activité. Elle s’est limitée à indiquer qu’elle a pris en compte, d’une part, l’injection de capital effectuée par La Poste en 1986 et, d’autre part, les transactions financières qui ont eu lieu entre La Poste et sa filiale au cours de la période 1986-1991, sans pour autant identifier avec suffisamment de précision de quelles transactions financières il s’est agi. Même à supposer que le TRI reflétait avec suffisamment de précision la rémunération des capitaux propres affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI-Chronopost, il n’était pas possible de contrôler si cette éventuelle rémunération des capitaux propres a été appropriée au sens du point 40 de l’arrêt Chronopost I, étant donné que le calcul chiffré du TRI ne ressortait pas de la décision attaquée.

    83.

    Le Tribunal a ensuite formulé des observations générales sur la couverture des coûts ( 49 ). Selon lui, les conclusions de la Commission reprises au cinquante-septième considérant de la décision attaquée constituaient des affirmations purement péremptoires. La décision attaquée ne comportait ni un examen détaillé des phases distinctes du calcul de la rémunération de l’assistance en cause ou des coûts d’infrastructures imputables à cette assistance, ni de données chiffrées de l’analyse des coûts y afférents. La Commission s’est contentée d’affirmer que les coûts complets de La Poste ont été couverts par la rémunération versée par la SFMI-Chronopost, sans pour autant préciser les chiffres et les calculs sur lesquels elle a fondé son analyse et ses conclusions. En conséquence, le Tribunal n’a pas été à même de contrôler si la méthode employée et les étapes d’analyse suivies par la Commission ont été exemptes d’erreurs et compatibles avec les principes dégagés dans l’arrêt Chronopost I pour déterminer l’existence ou l’absence d’une aide d’État.

    84.

    Le Tribunal a conclu son examen du deuxième moyen en indiquant que trois arguments plaidaient, en l’espèce, pour une motivation plus détaillée:

    «97

    En l’espèce, les circonstances justifiant une motivation plus détaillée résident dans le fait que, premièrement, il s’agissait d’une des premières décisions abordant la question complexe, dans le cadre de l’application des dispositions en matière d’aides d’État, du calcul des coûts d’une société mère opérant dans un marché réservé et fournissant de l’assistance logistique et commerciale à sa filiale n’opérant pas dans un marché réservé. Deuxièmement, le retrait de la première décision de rejet de la Commission du 10 mars 1992 après l’introduction d’un recours en annulation et l’arrêt SFEI de la Cour auraient dû amener la Commission à motiver son approche avec d’autant plus de diligence et de précision quant aux points contestés. Enfin, le fait que les requérantes ont soumis plusieurs études économiques durant la procédure administrative aurait également dû conduire la Commission à préparer une motivation soigneuse tout en répondant aux arguments essentiels des requérantes, tels qu’étayés par ces études économiques.»

    85.

    Compte tenu de ce contexte, le Tribunal a conclu que:

    «98

    […] la motivation de la décision attaquée, laquelle se limite à une explication très générale de la méthode d’appréciation des coûts suivie par la Commission et du résultat final obtenu, sans pour autant imputer, avec la précision requise, les différents coûts de La Poste occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale à la SFMI-Chronopost ainsi que les coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal, et préciser la rémunération des capitaux propres, ne répond pas aux exigences de l’article 190 du traité.

    […]

    100

    En conséquence, il y a lieu de considérer que la décision attaquée ne permet pas au Tribunal de vérifier l’existence et l’importance des différents coûts qui tombent sous la notion des coûts complets, tels que définis par la Commission dans la décision attaquée. Dès lors, la motivation de la décision attaquée ne permet pas au Tribunal de contrôler la légalité de l’appréciation que la Commission a effectuée à cet égard ainsi que sa compatibilité avec les exigences établies par la Cour dans son arrêt sur pourvoi afin de conclure à l’absence d’une aide d’État.

    101

    Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler la décision attaquée pour défaut de motivation dans la mesure où celle-ci conclut que l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost ne constitue pas une aide d’État.»

    Arguments des parties

    86.

    Les parties requérantes aux pourvois soutiennent que le Tribunal, en concluant à l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée, a été au-delà des exigences de l’article 253 CE et de la jurisprudence. Chronopost estime que, sous le couvert d’un examen de la motivation, c’est un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et du caractère approprié des méthodes de la Commission que le Tribunal a effectué.

    87.

    Selon UFEX, le Tribunal n’a pas remis en question l’appréciation qui sous-tend la décision attaquée, mais il s’est contenté de vérifier le caractère suffisamment précis, complet et compréhensible du raisonnement. C’est avec raison qu’il a conclu que la motivation était insuffisante. Une motivation plus détaillée s’imposait pour pouvoir contrôler si la décision avait correctement appliqué le critère des «conditions normales du marché» dégagé par la Cour au point 40 de l’arrêt Chronopost I.

    Appréciation

    88.

    En vertu de l’article 253 CE, les décisions de la Commission doivent être motivées.

    89.

    Selon une jurisprudence constante de la Cour, la motivation «doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée […]» ( 50 ).

    90.

    S’agissant d’une décision qui conclut à l’inexistence d’une aide d’État dénoncée par un plaignant, «la Commission est en tout état de cause tenue d’exposer de manière suffisante au plaignant les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État. Toutefois, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires» ( 51 ).

    91.

    Je relève, incidemment, que la jurisprudence citée par UFEX pour démontrer que la Commission aurait dû conduire une étude approfondie fondée sur des preuves solides ( 52 ) et des éléments significatifs et concordants ( 53 ) concerne non pas les aides d’État, mais l’analyse prospective effectuée pour déterminer l’incidence sur le marché de fusions et d’ententes alléguées entre entreprises.

    92.

    Dans le cadre des présents pourvois, il est constant – et a, en fait, été admis par le Tribunal dans l’arrêt attaqué ( 54 ) –, que le contexte pertinent est déterminé par la question de savoir si la décision attaquée a correctement appliqué le critère des «conditions normales du marché» dégagé par la Cour au point 40 de l’arrêt Chronopost I ( 55 ).

    93.

    Le test appliqué par la Cour dans l’arrêt Chronopost I est de nature générale. La Cour indique l’approche à suivre pour déterminer si la fourniture d’une assistance commerciale et logistique implique une aide d’État. Elle ne précise pas les critères économiques, comptables ou financiers qui doivent être appliqués. Lorsqu’elle requiert que «tous» les coûts variables supplémentaires soient inclus, elle n’indique pas les coûts qui doivent être considérés comme variables. Elle ne précise pas davantage ce qu’il faut entendre par une contribution «adéquate» aux coûts fixes ou une rémunération «appropriée» des capitaux propres.

    94.

    À mon sens, le premier motif qui, selon l’arrêt attaqué, plaide pour une motivation détaillée (à savoir le fait que la décision attaquée a été l’une des premières à aborder une question complexe) ( 56 ) justifie, au contraire, une motivation formulée en des termes plus larges et plus généraux. Il ne sert pas à grand-chose de s’attarder sur le moindre détail si l’approche d’ensemble est incorrecte. En outre, la décision attaquée a été adoptée plusieurs années avant l’arrêt Chronopost I. Il me semble plus approprié, plutôt que d’examiner si la motivation de la Commission est compatible dans tous ses détails avec le libellé exact du test élaboré (ultérieurement) dans l’arrêt Chronopost I (dont les exigences précises ne pouvaient donc pas être connues du rédacteur de la décision), de concentrer le contrôle juridictionnel des motifs de la décision sur l’examen du point de savoir si l’approche d’ensemble de la Commission a effectivement été correcte – c’est-à-dire si elle a été compatible avec la substance du test retenu dans l’arrêt Chronopost I.

    95.

    Ce point de vue trouve un appui dans les décisions rendues antérieurement par les juridictions communautaires dans la présente affaire. Tant l’arrêt UFEX I que l’arrêt Chronopost I, qui a annulé le premier, se sont articulés autour de l’interprétation correcte de la notion de «conditions normales du marché» en tant que celle-ci devait s’appliquer aux rapports entre La Poste et la SFMI-Chronopost.

    96.

    Dès lors, il me paraît que la question pertinente est celle de savoir si la motivation suffit pour apprécier si la Commission a fondé sa décision sur les critères qui s’imposaient pour identifier les conditions normales du marché, tels que définis par la Cour dans l’arrêt Chronopost I.

    97.

    Toutefois, l’arrêt attaqué a essentiellement annulé la décision attaquée pour la raison que la motivation et les informations fournies par la Commission étaient trop générales et imprécises ( 57 ). Le Tribunal a particulièrement critiqué le manque de précision en ce qui concerne les notions économiques et comptables utilisées, le caractère des coûts examinés et les composantes des calculs financiers effectués. Il a constaté qu’il n’était pas à même de vérifier la présence ou l’absence d’éventuelles erreurs de fait ou d’appréciation et a estimé, en ce qui concerne les coûts variables, que la décision attaquée aurait dû, à tout le moins, comprendre un sommaire général des calculs comptables analytiques relatifs aux prestations fournies.

    98.

    Il ne fait aucun doute que la transparence est importante en soi. Il est également vrai qu’une éventuelle erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission – que ce soit dans sa méthode ou au niveau de l’exactitude des données utilisées – aura d’autant plus de chance d’être décelée que la motivation est détaillée. Ainsi, par exemple, la seule existence d’un sommaire général des calculs comptables ne garantirait pas nécessairement la découverte d’erreurs manifestes.

    99.

    Dans le contexte de la présente affaire, cependant, il n’est pas évident que les éléments dont le Tribunal a constaté l’absence sont absolument nécessaires pour apprécier si la Commission a mal appliqué le critère des «conditions normales du marché», tel que défini dans l’arrêt Chronopost I.

    100.

    Il faut reconnaître qu’il ne serait pas déraisonnable d’interpréter ces conditions comme imposant le respect de critères généralement acceptés en matières comptable, commerciale et d’investissements. En effet, le principe de droit communautaire de l’investisseur en économie de marché opère sur cette base. Dans cette mesure, les détails exigés par le Tribunal pourraient, en théorie, permettre de découvrir des dérogations aux principes généralement admis, qui pourraient constituer des erreurs manifestes. Toutefois, ces principes eux-mêmes sont à ce point larges et variés qu’ils sont, dans une mesure considérable, sujets à discussion, et la Cour n’a indiqué qu’en termes généraux ce qui constitue des «conditions normales du marché». Il s’ensuit qu’une telle discussion aurait pour cadre ce que le Tribunal reconnaît être un domaine dans lequel la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation ( 58 ).

    101.

    Dans le contexte de la présente affaire, il me paraît donc que les éléments considérés par le Tribunal comme manquant dans la motivation retenue par la Commission sont secondaires. La décision attaquée comprend suffisamment de motifs et d’informations pour permettre un contrôle de sa légalité à la lumière des critères dégagés dans l’arrêt Chronopost I.

    102.

    En ce qui concerne le coût de l’assistance, les points iii) et xi) du trente-troisième considérant, ainsi que les quarante-deuxième et cinquante-septième considérants ( 59 ) montrent que les «coûts complets» pris en compte comprennent tous les coûts variables et une contribution proportionnelle aux coûts fixes entraînés par l’assistance aussi bien logistique que commerciale.

    103.

    Le point iii) du trente-troisième considérant indique que La Poste décompose les «coûts complets» en «coûts opérationnels directs» et en une part proportionnelle des «frais de siège et de directions régionales». Cette ventilation ne correspond pas, respectivement, aux coûts variables et fixes, étant donné que, d’après le cinquante-septième considérant, les frais fixes comprennent les immeubles et les véhicules. Toutefois, ce considérant fait clairement ressortir que les coûts variables ont été couverts dès le premier exercice. Il découle à l’évidence, de l’indication que seuls «certains frais fixes» ont été couverts pendant les deux premiers exercices (1986 et 1987) et que, à partir de 1988, «tous les coûts encourus par La Poste» ont été couverts, que tous les coûts fixes ont été couverts à partir de cette année-là. En outre, il paraît clair, à la lecture du quarante-deuxième considérant, que l’allocation des coûts fixes a été proportionnelle.

    104.

    Le point 40 de l’arrêt Chronopost I indique clairement que la «rémunération appropriée des capitaux propres» devrait découler de la rémunération exigée pour l’assistance commerciale et logistique. À en juger par la définition des «prix calculés sur la base des coûts complets», au cinquante-septième considérant, l’analyse par la Commission de la rémunération par la SFMI-Chronopost des capitaux propres investis par La Poste est comparable à l’approche suivie par la Cour.

    105.

    Le plaignant, le SFEI, trouve également dans la décision attaquée une explication adéquate des motifs pour lesquels les arguments de fait et de droit présentés dans sa plainte n’ont pas permis de conclure à l’existence d’une aide d’État.

    106.

    Aux quarante-cinquième à soixante-deuxième considérants, la Commission donne les raisons pour lesquelles elle rejette la plainte du SFEI, telle que résumée au trente-quatrième considérant. En substance, elle rejette l’approche suivie par celui-ci dans son évaluation des diverses composantes de l’aide alléguée. En particulier, il ressort clairement de la décision attaquée ( 60 ) que les études économiques détaillées fournies par la plaignante pour prouver l’existence d’une aide d’État étaient fondées sur une conception du «prix normal du marché» qui était, selon la Commission, fondamentalement erronée ( 61 ). Dans ces circonstances, il serait hors de propos d’apporter une réponse détaillée aux suppositions et aux calculs sur lesquels se fondent ces études pour déterminer les montants globaux de l’aide d’État alléguée.

    107.

    Compte tenu de ce qui précède, je ne considère pas le troisième motif donné pour justifier une motivation plus détaillée comme valable ( 62 ). Le Tribunal lui-même a admis que les raisons pour lesquelles la Commission a rejeté la méthode de calcul des coûts proposée par le SFEI ressortaient clairement des motifs exposés dans la décision attaquée ( 63 ). Il me semble que la Commission a répondu aux «arguments essentiels des requérantes, tels qu’étayés par [les] études économiques». Le point de vue de la Commission était, en substance, que l’approche et la méthodologie globales du SFEI étaient incorrectes. Quelle serait, dans ces conditions, l’utilité d’exiger une «motivation soigneuse» reflétant un examen détaillé de certains points? J’ajouterais que le Tribunal ne s’est pas attardé sur la question de savoir quels aspects de la plainte formulée par le SFEI ont été, selon lui, traités de façon inadéquate dans la décision attaquée. Cette approche contraste de façon frappante avec celle que le Tribunal a suivie dans l’affaire Sytraval et Brink’s France/Commission ( 64 ).

    108.

    Je ne suis pas convaincue que le deuxième motif ( 65 ) retenu par le Tribunal pour exiger une motivation plus détaillée dans la décision de la Commission résiste à l’analyse. On est en droit d’attendre d’une institution que celle-ci accorde l’attention qu’elles méritent aux décisions juridictionnelles susceptibles d’avoir une incidence sur la formulation d’une décision qu’elle est en train de prendre. De fait, la Commission a concentré son analyse sur l’arrêt SFEI ( 66 ). Cependant, je ne pense pas que le simple retrait d’une décision antérieure modifie substantiellement la portée du devoir de motivation prévu à l’article 253 CE. La portée précise de cette obligation continue plutôt à dépendre des circonstances de la cause et de toutes les règles applicables au domaine concerné.

    109.

    J’en conclus que le Tribunal a, en jugeant la motivation de la décision attaquée défaillante, commis une erreur de droit. En conséquence, je suggère à la Cour de déclarer les pourvois fondés quant à leur troisième moyen.

    Quatrième moyen: erreur de droit dans l’appréciation de la notion d’aide d’État en ce qui concerne le transfert du service Postadex ( 67 )

    Appréciation du Tribunal ( 68 )

    110.

    Premièrement, le Tribunal a relevé que la notion d’aide d’État, au sens de l’article 92 du traité, a un champ d’application très large. En effet, cette disposition a pour objet de prévenir que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ( 69 ). La notion d’aide inclut des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise. Selon une jurisprudence constante, le traité CE définit les interventions étatiques en fonction de leurs effets.

    111.

    Le Tribunal a rejeté l’argument de la Commission selon lequel le transfert de la clientèle de Postadex, comme conséquence logique de la création d’une filiale, ne constituait pas une aide d’État ( 70 ). La clientèle est considérée comme un actif incorporel ayant une valeur économique, même si celle-ci est difficilement quantifiable. La Poste a pu créer le service Postadex en se servant des ressources du monopole légal. La SFMI-Chronopost ( 71 ) n’a versé aucune contrepartie à La Poste. Néanmoins, le transfert de cet actif a constitué un avantage pour le bénéficiaire. Cet avantage était imputable à l’État. Le transfert constituait donc une aide d’État.

    112.

    Le Tribunal a estimé que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que le transfert de la clientèle du service Postadex ne constituait pas une aide d’État au motif qu’il ne comportait aucun avantage numéraire. En conséquence, la décision attaquée a été annulée dans la mesure où la Commission y a considéré que le transfert du service Postadex par La Poste à la SFMI-Chronopost ne constituait pas une aide d’État.

    Arguments des parties

    113.

    Selon les parties requérantes au pourvoi, c’est à tort que le Tribunal a conclu que la Commission a commis une erreur de droit en constatant que le transfert du service Postadex à la SFMI-Chronopost ne constituait pas une aide d’État. Elles soutiennent que la situation ne peut pas être comparée au comportement d’une société mère du secteur privé vis-à-vis d’une filiale existante. En l’espèce, La Poste a créé une filiale, transférant une activité économique à une entité distincte spécialement constituée à cette fin. Au moment où une filiale est constituée, il n’y a pas de bénéficiaire. Et la Commission encourage de telles opérations de filialisation, dans la mesure où elles permettent d’accroître la concurrence sur le marché.

    114.

    Selon UFEX, le transfert à titre gratuit de la clientèle captive du service Postadex a bel et bien favorisé la SFMI-Chronopost en tant que nouvel entrant sur le marché. Un transfert d’actifs suppose toujours une contrepartie. L’avantage aurait dû faire l’objet d’une évaluation conforme aux lignes directrices données par la Cour dans l’arrêt Chronopost I.

    Appréciation

    115.

    Dans la décision attaquée, la Commission a admis que la clientèle du service Postadex représentait un actif incorporel ( 72 ). Comme l’a fait observer le Tribunal, le fait qu’un élément peut être difficilement quantifiable ne signifie pas qu’il soit sans valeur ( 73 ). Pour ma part, je considère comme établi que la clientèle avait une valeur économique positive au moment du tranfert à la SFMI-Chronopost en 1985.

    116.

    Que s’est-il précisément passé lorsque La Poste a créé la SFMI-Chronopost? Il me paraît qu’il convient, tout particulièrement, de faire une distinction entre, d’une part, les activités relatives à l’expédition de courrier express et, d’autre part, la valeur de ces activités.

    117.

    Il est évident que la nouvelle entité a pris en charge les activités. Cela comprenait la gestion et l’utilisation de la clientèle. Toutefois, du fait de la constitution même de la filiale, la valeur économique des activités de celle-ci allait échoir à ses actionnaires. La Poste a donc conservé la part de valeur correspondant à sa participation de 66 %. TAT a bénéficié du solde de ladite valeur en échange d’un apport de capital. Autrement dit, la valeur des activités s’est reflétée dans celle des actions émises pour les actionnaires et détenues par ceux-ci.

    118.

    La situation n’est donc pas la même que celle qui se présente lors d’une privatisation. Lorsqu’un État abandonne un actif à un investisseur externe, il reçoit une contrepartie. Il se produit une aide d’État si, au regard du principe de l’investisseur en économie de marché, la contrepartie obtenue est inférieure à la valeur de l’actif cédé ( 74 ). Lors de la constitution de la SFMI-Chronopost, le seul investisseur externe concerné a été TAT qui a pris une participation de 34 %. Si la SFMI-Chronopost avait versé une contrepartie quelconque à La Poste, cela aurait simplement réduit la valeur de la filiale et, par voie de conséquence, celle de la participation de La Poste.

    119.

    Il me semble que le principe de l’investisseur en économie de marché est également applicable à l’autonomisation d’une activité par un service public, par le biais de la création d’une filiale ( 75 ). La question est de savoir si un investisseur privé aurait agi de la même façon au lieu, par exemple, de céder l’activité à un tiers. De fait, la Commission aborde cette question dans la décision attaquée en analysant le TRI relatif à l’injection de capitaux par La Poste en 1986 ( 76 ).

    120.

    Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal fait très justement observer que l’article 87, paragraphe 1, CE distingue les interventions étatiques en fonction de leurs effets ( 77 ). Cependant, j’ai peine à imaginer comment la création de la SFMI-Chronopost a pu avoir pour effet de fausser la concurrence sur le marché. Elle n’était une concurrente nouvelle que dans la mesure où il s’agissait d’une société nouvelle avec un nom nouveau. Les activités et la clientèle étaient celles liées au service Postadex. Il paraît beaucoup plus probable que le fait de créer une filiale distincte, destinée à exercer certaines activités qui l’étaient auparavant par un monolithe étatique, aurait pour effet, à la condition que les relations d’affaires entre celle-ci et l’entreprise mère respectent les critères dégagés dans l’arrêt Chronopost I, d’accroître en définitive la concurrence sur le marché.

    121.

    Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que La Poste ait, à l’époque de la filialisation de l’activité liée au service Postadex, abandonné la valeur de ce service à la SFMI-Chronopost. En conséquence, le Tribunal s’est fourvoyé en jugeant que, faute de contrepartie fournie à La Poste par la SFMI-Chronopost, le transfert du service Postadex à la SFMI-Chronopost constituait une aide d’État ( 78 ).

    122.

    Compte tenu de ce qui précède, je propose à la Cour de déclarer les pourvois fondés en leur quatrième moyen également.

    Remarques finales

    123.

    L’article 61 du protocole sur le statut de la Cour de justice prévoit que la Cour peut, si elle annule la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

    124.

    Puisque le Tribunal a estimé qu’il n’était pas possible, en raison d’une motivation défaillante de la décision attaquée ( 79 ), d’examiner certains arguments invoqués sous la première branche du quatrième moyen, il me paraît que le litige n’est pas en état d’être tranché par la Cour. Je suggère, par conséquent, que l’affaire soit renvoyée devant le Tribunal et que les dépens soient réservés.

    Conclusion

    125.

    Compte tenu de ce qui précède, je suggère à la Cour:

    d’annuler l’arrêt du Tribunal du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission (T-613/97), dans la mesure où celui-ci a annulé la décision 98/365/CE de la Commission, du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France aurait accordées à SFMI-Chronopost, en ce que cette décision constate que «ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituent des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost»;

    de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

    de réserver les dépens.


    ( 1 ) Langue originale: l’anglais.

    ( 2 ) Décision du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France aurait accordées à SFMI-Chronopost (JO 1998, L 164, p. 37).

    ( 3 ) Arrêt du Tribunal du 14 décembre 2000, UFEX e.a./Commission (T-613/97, Rec. p. II-4055).

    ( 4 ) Arrêt du 3 juillet 2003, Chronopost e.a./UFEX e.a. (C-83/01 P, C-93/01 P et C-94/01 P, Rec. p. I-6993).

    ( 5 ) Arrêt du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission (T-613/97, Rec. p. II-1531).

    ( 6 ) Activité qu’elle exerçait sous la dénomination «Postadex».

    ( 7 ) Dans les présentes conclusions comme dans la décision attaquée, la référence à «SFMI-Chronopost» est utilisée même lorsqu’une des deux entreprises seulement est concernée. Cette pratique a également été suivie par les décisions citées aux notes 3 à 5.

    ( 8 ) Arrêt du 11 juillet 1996 (C-39/94, Rec. p. I-3547), que je désignerai comme l’arrêt SFEI.

    ( 9 ) Point 10 de l’arrêt attaqué.

    ( 10 ) JO C 206, p. 3.

    ( 11 ) Elle a également élargi le champ de sa plainte de décembre 1990 à plusieurs questions qui ne sont pas concernées par le présent pourvoi.

    ( 12 ) Précité note 3.

    ( 13 ) Précité note 4.

    ( 14 ) Précité note 5.

    ( 15 ) JO C 251, p. 12.

    ( 16 ) Voir point 10, ci-dessus.

    ( 17 ) Je désignerai les parties qui ont présenté une réponse collective par la dénomination «UFEX».

    ( 18 ) Arrêt du 9 septembre 1999 (C-64/98 P, Rec. p. I-5187, point 32).

    ( 19 ) Voir note 15.

    ( 20 ) Voir arrêts du 17 mars 1993, Commission/Conseil (C-155/91, Rec. p. I-939, points 23 et 24), et du Tribunal du 14 décembre 2006, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission (T-237/02, Rec. p. II-5131, point 97 et jurisprudence citée). Ce dernier arrêt fait l’objet d’un pourvoi (C-139/07 P), mais pas quant à la question qui nous concerne ici.

    ( 21 ) Arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission (T-340/04, Rec. p. II-573, point 164 et jurisprudence citée).

    ( 22 ) Précitée note 18. Voir aussi conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, point 33.

    ( 23 ) Voir Cour eur. D. H., arrêt Antunes Rocha c. Portugal du 31 mai 2005, Recueil des arrêts et décisions 2005, § 43. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH était applicable dans cette affaire, où la requérante avait demandé que l’action publique soit engagée contre son ancien employeur, un organisme public, et avait participé à cette procédure en se constituant «assistente», manifestant ainsi l’intérêt qu’elle attachait à la condamnation pénale des inculpés, ainsi qu’à la réparation pécuniaire du dommage subi.

    ( 24 ) Arrêts du 7 mai 1991, Interhotel/Commission (C-291/89, Rec. p. I-2257, points 14 à 17), et du Tribunal du 10 mai 2001, Kaufring e.a./Commission (T-186/97, T-187/97, T-190/97 à T-192/97, T-210/97, T-211/97, T-216/97 à T-218/97, T-279/97, T-280/97, T-293/97 et T-147/99, Rec. p. II-1337, points 134 et 135).

    ( 25 ) Voir, par exemple, arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C-540/03, Rec. p. I-5769, point 35 et jurisprudence citée).

    ( 26 ) Voir Cour eur. D. H., arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, § 97 (le passage mis en évidence est de mon fait). Dans cette affaire, le fait que deux membres de l’organe saisi sur renvoi avaient pris part à la première décision ne permettait pas de fonder une suspicion légitime. La Cour européenne des droits de l’homme est parvenue à une conclusion similaire dans l’affaire Diennet c. France (arrêt du 26 septembre 1995, série A no 325-A, § 38), où trois des sept juges ayant siégé dans le cadre de la procédure en cause avaient pris part à la première décision. Dans son arrêt Schwarzenberger c. Allemagne du 10 août 2006, § 42, cette Cour a énuméré des arrêts qui ont appliqué le même principe à des situations analogues, telles que des décisions prises au stade de l’instruction.

    ( 27 ) Dans l’arrêt Ferrantelli et Santangelo c. Italie du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 937, § 58 à 60, cité par les parties requérantes au pourvoi, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la crainte d’un manque d’impartialiteì était objectivement justifiée dans la mesure où elle tenait à un double fait, dont l’un était la circonstance qu’un des juges dans l’affaire concernant les requérants avait antérieurement condamné le complice de ceux-ci.

    ( 28 ) Article 27, paragraphe 3, de la CEDH. Voir, également, Mowbray, A. R., «An examination of the work of the Grand Chamber of the European Court of Human Rights», Public Law, 2007, 3, p. 507, en particulier p. 519 et suiv.

    ( 29 ) Voir, par exemple, Cour eur. D. H., arrêt Kyprianou c. Chypre du 15 décembre 2005, Recueil des arrêts et décisions 2005-XIII, rendu dans une affaire où il avait été fait grief de la partialité d’une juridiction. Le juge Costa (aujourd’hui président de la Cour européenne des droits de l’homme), qui avait été le président de la chambre ayant rendu le premier arrêt dans cette affaire, a, dans le cadre de la procédure en grande chambre, changé d’avis sur deux points. Dans son opinion partiellement dissidente, il s’est interrogé sur le point de savoir si les juges qui siègent deux fois doivent s’en tenir strictement à leur opinion initiale. Il a déclaré que «[t]out dépend […] des particularités de l’espèce […] et de l’entêtement plus ou moins grand de chacun (ou de sa capacité à se remettre en question); à nouveau, cela dépend des affaires, plus peut-être que du tempérament». Il a conclu (de façon assez charmante) que le renvoi de l’affaire «a conforté mes vues, tout en me permettant de les corriger: on peut toujours mieux faire (ou en tout cas moins mal […])».

    ( 30 ) Arrêt du 19 mars 2002, Commission/Irlande (C-13/00, Rec. p. I-2943, point 5 et jurisprudence citée).

    ( 31 ) Arrêts du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil (C-305/86 et C-160/87, Rec. p. I-2945, point 18), et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission (C-313/90, Rec. p. I-1125, point 23). Dans ces deux affaires, l’exception d’irrecevabilité faisait valoir l’absence de qualité pour agir des parties requérantes. Dans un arrêt beaucoup plus ancien (arrêt du 22 mars 1961, SNUPAT/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, Rec. p. 101, 145), la Cour n’a pas expressément indiqué qu’une question d’ordre public avait été soulevée, mais elle a reconnu que les parties intervenantes avaient le droit de formuler une exception d’irrecevabilité à l’encontre d’un recours en annulation dirigé contre un acte purement confirmatif d’un acte antérieur non attaqué dans les délais.

    ( 32 ) Au chapitre D de la décision attaquée.

    ( 33 ) Pour faciliter les références, j’ai attribué à chaque point de ce considérant un numéro en chiffres romains.

    ( 34 ) Au quarante-deuxième considérant, la Commission indique ensuite que les coûts fixes ont été alloués au prorata de la proportion de l’activité prestée par La Poste en faveur de sa filiale.

    ( 35 ) Chapitre E de la décision attaquée.

    ( 36 ) L’équivalent approximatif en euros de ces montants est de, respectivement, 231 millions, 160 millions et 71 millions.

    ( 37 ) Quarante-cinquième à quarante-huitième considérant.

    ( 38 ) Approximativement 5,8 millions d’euros.

    ( 39 ) Quarante-neuvième à cinquante-septième considérant.

    ( 40 ) Cinquante-troisième considérant.

    ( 41 ) Précité note 8. Voir aussi point 4, ci-dessus.

    ( 42 ) Cinquante-huitième à soixante-troisième considérant.

    ( 43 ) Points 63 à 71 de l’arrêt.

    ( 44 ) Points 72 et 73.

    ( 45 ) Point 73.

    ( 46 ) Points 77 à 85.

    ( 47 ) Points 86 à 89.

    ( 48 ) Points 90 à 93.

    ( 49 ) Points 94 et 95.

    ( 50 ) Arrêt du 11 septembre 2003, Belgique/Commission (C-197/99 P, Rec. p. I-8461, point 72 et jurisprudence citée).

    ( 51 ) Arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 64).

    ( 52 ) Arrêt du Tribunal du 13 juillet 2006, Impala/Commission (T-464/04, Rec. p. II-2289, point 248). Relevons, en outre, que cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi.

    ( 53 ) Arrêt du 31 mars 1998, France e.a./Commission (C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375, point 228).

    ( 54 ) Point 72.

    ( 55 ) Voir point 14, ci-dessus.

    ( 56 ) Point 97 de l’arrêt.

    ( 57 ) Points 75 à 95 de l’arrêt.

    ( 58 ) Au point 128 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que l’appréciation de la question de savoir de quelle manière les coûts de La Poste occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale ont été calculés en l’absence d’une comptabilité analytique a impliqué une appréciation économique complexe. Or, dans un tel cas, la Commission jouit, selon lui, d’un large pouvoir d’appréciation.

    ( 59 ) Voir points 69 et 73 ci-dessus, et note 34.

    ( 60 ) Trente-quatrième considérant.

    ( 61 ) Cinquante-troisième considérant.

    ( 62 ) Point 97 de l’arrêt attaqué.

    ( 63 ) Idem, point 73.

    ( 64 ) Arrêt du 28 septembre 1995 (T-95/94, Rec. p. II-2651, points 62 et 63). Voir aussi points 74 à 77 de l’arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité note 51, rendu sur pourvoi par la Cour dans la même affaire.

    ( 65 ) Point 97 de l’arrêt attaqué.

    ( 66 ) Voir point 73, ci-dessus.

    ( 67 ) Le service de courrier express de La Poste (voir note 6).

    ( 68 ) Points 158 à 171 de l’arrêt attaqué.

    ( 69 ) Le Tribunal cite les arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709, point 26), et du 15 mars 1994, Banco Exterior de España (C-387/92, Rec. p. I-877, point 12).

    ( 70 ) Quarante-huitième considérant de la décision attaquée (voir point 72, ci-dessus).

    ( 71 ) Je rappelle que la filiale créée a été appelée SFMI (voir note 7).

    ( 72 ) Quarante-huitième considérant.

    ( 73 ) Point 169 de l’arrêt attaqué.

    ( 74 ) Voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2003, Allemagne/Commission (C-334/99, Rec. p. I-1139, points 133 et 134), rendu dans une affaire de vente d’une entreprise en ex-République démocratique allemande pour un prix de vente négatif.

    ( 75 ) Le test élaboré dans l’arrêt Chronopost I est, en revanche, inapplicable, puisqu’il se rapporte à la couverture des coûts dans les opérations commerciales entre des entreprises mères et filiales dans le secteur public.

    ( 76 ) Cinquante-neuvième à soixante-troisième considérant de la décision attaquée.

    ( 77 ) Point 160.

    ( 78 ) Point 167 de l’arrêt attaqué.

    ( 79 ) Point 102 de l’arrêt attaqué.

    Top