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Document 62005CJ0404

Arrêt de la Cour (première chambre) du 29 novembre 2007.
Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne.
Règlement (CEE) nº 2092/91 - Production biologique de produits agricoles - Organismes de contrôle privés - Exigence d’un établissement ou d’une infrastructure durable dans l’État membre de la prestation - Justifications - Participation à l’exercice de l’autorité publique - Article 55 CE - Protection des consommateurs.
Affaire C-404/05.

Recueil de jurisprudence 2007 I-10239

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:723

Affaire C-404/05

Commission des Communautés européennes

contre

République fédérale d’Allemagne

«Règlement (CEE) nº 2092/91 — Production biologique de produits agricoles — Organismes de contrôle privés — Exigence d’un établissement ou d’une infrastructure durable dans l’État membre de la prestation — Justifications — Participation à l’exercice de l’autorité publique — Article 55 CE — Protection des consommateurs»

Sommaire de l'arrêt

Libre prestation des services — Restrictions

(Art. 45 CE, 49 CE et 55 CE; règlement du Conseil nº 2092/91)

Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 49 CE un État membre exigeant des organismes privés de contrôle des produits issus de l'agriculture biologique agréés dans un autre État membre qu'ils disposent d'un établissement sur le territoire national pour pouvoir y fournir des prestations de contrôle.

En effet, d'une part, le rôle auxiliaire et préparatoire dévolu aux organismes privés par le règlement nº 2092/91, concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires, vis-à-vis de l'autorité de supervision ne saurait être considéré comme une participation directe et spécifique à l'exercice de l'autorité publique au sens de l'article 55 CE lu en combinaison avec l'article 45, premier alinéa, CE, justifiant une exception au titre de ces dispositions, mais comme une activité supplémentaire détachable de l'exercice d'une telle autorité. D'autre part, une telle exigence va au-délà de ce qui est objectivement nécessaire pour atteindre l'objectif de protection des consommateurs susceptible de justifier des entraves à la libre prestation des services.

(cf. points 37-38, 44, 48, 52 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

29 novembre 2007 (*)

«Règlement (CEE) n° 2092/91 – Production biologique de produits agricoles – Organismes de contrôle privés – Exigence d’un établissement ou d’une infrastructure durable dans l’État membre de la prestation – Justifications – Participation à l’exercice de l’autorité publique – Article 55 CE – Protection des consommateurs»

Dans l’affaire C-404/05,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 17 novembre 2005,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. E. Traversa et G. Braun, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. M. Lumma et Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, M. Ilešič et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 juillet 2007,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en exigeant des organismes privés de contrôle des produits issus de l’agriculture biologique (ci-après les «organismes privés») établis et agréés dans un autre État membre qu’ils disposent d’un siège commercial ou d’une autre infrastructure permanente en Allemagne pour pouvoir y exercer leur activité, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        Le règlement (CEE) n° 2092/91 du Conseil, du 24 juin 1991, concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires (JO L 198, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1804/1999 du Conseil, du 19 juillet 1999 (JO L 222, p. 1, ci‑après le «règlement n° 2092/91»), définit des règles minimales en matière de production biologique de produits agricoles, les procédures de contrôle des modes de production concernés et de certification des produits issus de cette production. Conformément à ce règlement, les produits remplissant les exigences y prescrites peuvent être désignés avec l’indication «Agriculture biologique – Système de contrôle CE», notamment sous forme d’étiquetage.

3        Les articles 1, 2 et 4 du règlement n° 2092/91 énumèrent les produits concernés et les indications se référant au mode de production biologique et définissent différentes notions. L’article 3 de ce règlement dispose que celui-ci s’applique sans préjudice des autres dispositions communautaires ou dispositions nationales, en conformité avec la législation communautaire. L’article 5 dudit règlement fixe les conditions dans lesquelles l’étiquetage ou la publicité d’un produit peut faire référence au mode de production biologique, alors que l’article 6 de ce même règlement expose les règles de production impliquées par la notion de méthode de production biologique.

4        L’article 8 du règlement n° 2092/91 est rédigé comme suit:

«1.      Tout opérateur qui produit, prépare ou importe d’un pays tiers des produits visés à l’article 1er en vue de leur commercialisation doit:

a)       notifier cette activité à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel cette activité est exercée; la notification comprend les données figurant à l’annexe IV;

b)       soumettre son exploitation au régime de contrôle prévu à l’article 9.

2.      Les États membres désignent une autorité ou un organisme pour recevoir les notifications.

Les États membres peuvent prévoir la communication de toute information complémentaire qu’ils estiment nécessaire en vue d’un contrôle efficace des opérateurs en cause.

3.      L’autorité compétente assure qu’une liste mise à jour contenant les noms et adresses des opérateurs soumis au système de contrôle sera rendue disponible pour les intéressés.»

5        Aux termes de l’article 9 du règlement n° 2092/91:

«1.      Les États membres établissent un système de contrôle opéré par une ou plusieurs autorités désignées de contrôle et/ou par des organismes privés agréés auxquels les opérateurs produisant, préparant ou important de pays tiers des produits visés à l’article 1er doivent être soumis.

2.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu’un opérateur qui respecte les dispositions du présent règlement et paie sa contribution aux frais de contrôle soit assuré d’avoir accès au système de contrôle.

3.      Le régime de contrôle comporte au moins la mise en œuvre des mesures de contrôle et de précaution figurant à l’annexe III.

4.      Pour la mise en œuvre du régime de contrôle par des organismes privés, les États membres désignent une autorité chargée de l’agrément et de la supervision de ces organismes.

5.      Pour l’agrément d’un organisme de contrôle privé, les éléments suivants sont pris en considération:

a)       le plan type de contrôle de l’organisme qui contient une description détaillée des mesures de contrôle et des mesures de précaution que cet organisme s’engage à imposer aux opérateurs qu’il contrôle;

b)       les sanctions que l’organisme envisage d’imposer en cas de constatation d’irrégularités et/ou infractions;

c)       les ressources adéquates en personnel qualifié et en équipement administratif et technique, ainsi que l’expérience en matière de contrôle et la fiabilité;

d)       l’objectivité de l’organisme de contrôle à l’égard des opérateurs soumis à son contrôle.

6.      Après l’agrément d’un organisme de contrôle, l’autorité compétente:

a)       assure l’objectivité du contrôle effectué par l’organisme de contrôle;

b)       vérifie l’efficacité du contrôle;

c)       prend connaissance des irrégularités et/ou infractions constatées et des sanctions infligées;

d)       retire l’agrément d’un organisme de contrôle lorsque cet organisme ne satisfait pas aux exigences requises aux points a) et b) ou ne satisfait plus aux critères énoncés au paragraphe 5 ou ne satisfait pas aux exigences requises aux paragraphes 7, 8, 9 et 11.

bis.      Avant le 1er janvier 1996, les États membres attribuent un numéro de code à chaque organisme ou autorité de contrôle agréé ou désigné conformément aux dispositions du présent article. Ils en informent les autres États membres et la Commission, qui publiera ces numéros de code dans la liste visée au dernier alinéa de l’article 15.

7.      L’autorité de contrôle et les organismes agréés de contrôle visés au paragraphe 1:

a)       assurent qu’au moins les mesures de contrôle et de précaution figurant à l’annexe III sont mises en œuvre dans les exploitations soumises à leur contrôle;

b)       ne divulguent pas les informations et données qu’ils acquièrent à la suite de leurs actions de contrôle à toute personne autre que le responsable de l’exploitation et les autorités publiques compétentes.

8.      Les organismes agréés de contrôle:

a)       donnent accès à leurs bureaux et installations à leur autorité compétente, aux fins de l’inspection, et donnent toute information et toute aide estimée nécessaire par l’autorité compétente pour la mise en œuvre de ses obligations en vertu du présent règlement;

b)       transmettent, au plus tard le 31 janvier de chaque année, à l’autorité compétente de l’État membre une liste des opérateurs soumis à leur contrôle à la date du 31 décembre de l’année précédente et lui présentent un rapport annuel succinct.

9.      L’autorité de contrôle et les organismes de contrôle visés au paragraphe 1 doivent:

a)       en cas de constatation d’une irrégularité en ce qui concerne la mise en œuvre des articles 5, 6 et 7 ou la mise en œuvre des mesures figurant à l’annexe III, faire éliminer les indications prévues à l’article 2 se référant au mode de production biologique de tout le lot ou de toute la production affectée par l’irrégularité;

b)       en cas de constatation d’une infraction manifeste ou avec un effet prolongé, interdire à l’opérateur en cause de commercialiser des produits avec des indications se référant au mode de production biologique pour une période à convenir avec l’autorité compétente de l’État membre.

[...]

11.      À compter du 1er janvier 1998 et sans préjudice des paragraphes 5 et 6, les organismes de contrôle agréés doivent satisfaire aux exigences fixées selon les conditions de la norme EN 45011.

[…]»

6        L’article 10 du règlement n° 2092/91 prévoit l’apposition d’une indication et/ou d’un logotype conformes à l’annexe V de ce règlement sur l’étiquetage des produits soumis au régime de contrôle prévu à l’article 9 dudit règlement. À cet égard, le paragraphe 3 dudit article 10 impose aux organismes de contrôle des obligations d’exécution équivalentes à celles fixées à l’article 9, paragraphe 9, du même règlement.

7        Aux termes de l’article 10 bis du règlement n° 2092/91, relatif aux mesures générales d’exécution:

«1.      Lorsqu’un État membre constate, sur un produit provenant d’un autre État membre et portant des indications prévues à l’article 2 et/ou à l’annexe V, des irrégularités ou des infractions relatives à l’application du présent règlement, il en informe l’État membre ayant désigné l’autorité de contrôle ou agréé l’organisme de contrôle et la Commission.

2.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour éviter l’utilisation frauduleuse des indications prévues à l’article 2 et/ou à l’annexe V.»

8        L’annexe III du règlement n° 2092/91 précise les exigences minimales de contrôle et les mesures de précaution prévues dans le cadre du régime de contrôle visé aux articles 8 et 9 de ce règlement.

9        En particulier, les dispositions générales de cette annexe prévoient, à leurs points 9, second alinéa, et 10, que les organismes privés sont habilités à exiger qu’un opérateur contrôlé ne puisse pas, à titre provisoire, commercialiser avec l’indication du mode de production biologique un produit suspecté de ne pas répondre aux standards énoncés par ledit règlement et que ces organismes disposent d’un droit d’accès aux locaux ainsi qu’aux documents comptables dudit opérateur.

 La réglementation nationale

10      La loi sur la transposition des actes communautaires dans le domaine de l’agriculture biologique (Gesetz zur Durchführung der Rechtsakte der Europäischen Gemeinschaft auf dem Gebiet des ökologischen Landbau), dans sa version du 10 juillet 2002 (BGBl. 2002 I, p. 2558, ci-après l’«ÖLG»), met en application les dispositions du règlement n° 2092/91.

11      L’article 3, paragraphe 1, de l’ÖLG précise que le système de contrôle prévu à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 2092/91, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 3, et l’annexe III de ce même règlement, peut être mis en œuvre par des organismes privés, dans la mesure où la prise en charge de cette tâche n’est pas liée au déclenchement d’une procédure administrative.

12      Conformément à l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG, l’exercice d’une activité de contrôle par des organismes privés sur le territoire allemand présuppose l’obtention d’un agrément, elle-même conditionnée par l’existence d’un établissement en Allemagne. L’ÖLG ne prévoit aucune procédure visant à la reconnaissance des agréments délivrés à des organismes privés dans les autres États membres.

 La procédure précontentieuse

13      Après avoir adressé, le 8 novembre 2000, une lettre de mise en demeure aux autorités de la République fédérale d’Allemagne, attirant leur attention sur le fait que l’exigence de disposer d’un siège commercial ou d’une infrastructure permanente en Allemagne imposée aux organismes privés agréés dans un autre État membre serait incompatible avec l’article 49 CE, la Commission, estimant insatisfaisante la réponse apportée par cet État membre en date du 19 février 2001, a émis un avis motivé le 23 octobre 2002, invitant ledit État membre à se conformer à ses obligations dans un délai de deux mois à compter de la transmission de cet avis.

14      Dans sa réponse du 13 février 2003, la République fédérale d’Allemagne a transmis à la Commission le texte de l’ÖLG et maintenu la position selon laquelle, pour servir efficacement les intérêts des consommateurs et de la concurrence, il est absolument indispensable, pour un organisme privé, de disposer d’un établissement sur le territoire de l’État membre dans lequel cet organisme souhaite exercer son activité de contrôle.

15      La Commission a considéré que la République fédérale d’Allemagne ne s’était pas conformée audit avis motivé et a, par conséquent, introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

16      Selon la Commission, l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG constitue une entrave à la liberté, pour un organisme privé agréé dans un autre État membre, mais ne disposant pas d’un établissement sur le territoire allemand, d’y exercer son activité de contrôle.

17      En effet, le système d’agrément et de supervision des organismes privés mis en place par le règlement n° 2092/91 ne présupposerait l’établissement de ces organismes que sur le territoire de l’État membre qui délivre l’agrément, et non pas sur celui de chaque État membre dans lequel lesdits organismes souhaitent exercer une activité de contrôle.

18      La Commission précise à cet égard que, dans la mesure où le règlement n° 2092/91 ne procède pas à une harmonisation complète du domaine concerné, il convient de prendre en considération la libre prestation des services consacrée à l’article 49 CE pour juger si la réglementation allemande contestée comporte une entrave à cette liberté.

19      Au demeurant, la Commission souligne, d’une part, que, lors de l’adoption du règlement n° 2092/91, le Conseil de l’Union européenne ne s’est pas référé à l’article 66 du traité CEE (devenu article 66 du traité CE, lui-même devenu article 55 CE), lu en combinaison avec l’article 55 du traité CEE (devenu article 55 du traité CE, lui-même devenu article 45 CE), de sorte que le contrôle et l’étiquetage des produits issus de l’agriculture biologique ne constitueraient pas une activité exclue du champ d’application de l’article 49 CE.

20      D’autre part, l’article 45, premier alinéa, CE ne concernerait que les activités qui constituent, en tant que telles, une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique. Dès lors, à supposer même que l’activité de contrôle des produits issus de l’agriculture biologique relève, in fine, de l’autorité publique, les organismes privés ne participeraient pas directement et spécifiquement à l’exercice de cette autorité.

21      En effet, l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 2092/91 démontrerait à lui seul que l’activité de contrôle concernée ne relève pas des missions se rattachant à l’exercice de la puissance publique, dans la mesure où il permet aux États membres d’établir un système de contrôle opéré par des organismes privés. Dès lors, il ne s’agirait certainement pas d’une mission centrale de l’État nécessitant une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

22      À cet égard, la circonstance que les organismes privés allemands qui exécutent les opérations de contrôle prévues par le règlement n° 2092/91 exercent également d’autres activités susceptibles de relever de l’autorité publique serait dénuée de pertinence au regard du droit communautaire.

23      Enfin, la Commission considère que l’objectif de protection des consommateurs ne saurait justifier l’exigence d’établissement en Allemagne imposée aux organismes privés agréés dans un autre État membre. En effet, une telle exigence ne serait pas indispensable pour vérifier l’objectivité des contrôles et assurer ladite protection. L’autorité compétente de l’État membre d’agrément disposerait, aux termes du règlement n° 2092/91, des compétences qui lui permettent d’effectuer les vérifications nécessaires à cet égard et adopter les sanctions requises en cas de non-respect des critères de contrôle. Une procédure simplifiée d’agrément, tenant compte des vérifications opérées par l’autorité compétente de l’État membre d’agrément, permettrait aux autorités allemandes de s’assurer que les organismes privés souhaitant effectuer des contrôles sur le territoire allemand remplissent effectivement les conditions relatives aux ressources en personnel et en équipement administratif requises par ledit règlement. En outre, le système de communication entre les administrations des États membres permettrait à celles-ci d’adopter les mesures requises en cas de constatation d’irrégularités dans les contrôles effectués dans un autre État membre.

24      La République fédérale d’Allemagne soutient à titre principal que le règlement n° 2092/91 procède à une harmonisation exhaustive du domaine concerné. Partant, il résulterait de la jurisprudence de la Cour qu’il ne serait dès lors plus possible d’invoquer les libertés fondamentales garanties par le traité CE dans ce domaine. Cet État membre se réfère, à cet égard, aux arrêts du 13 décembre 1983, Apple and Pear Development Council (222/82, Rec. p. 4083); du 20 septembre 1988, Moormann (190/87, Rec. p. 4689, point 10); du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage (C‑37/92, Rec. p. I‑4947, point 9), ainsi que du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler (C‑324/99, Rec. p. I‑9897, point 43).

25      La question de la reconnaissance des agréments obtenus dans un autre État membre n’étant, toutefois, pas réglée par les dispositions du règlement n° 2092/91, chaque État membre serait en droit d’exiger de tout organisme privé désireux d’offrir ses services sur son territoire le respect des conditions d’agrément requises par ledit règlement. En outre, imposer à un État membre de permettre aux organismes privés agréés dans un autre État membre, sans autre condition, d’exercer leur activité sur son territoire reviendrait à limiter la liberté conférée à chaque État membre dans la conception de son système de contrôle.

26      De surcroît, la République fédérale d’Allemagne fait valoir, en premier lieu, que l’activité des organismes privés relève de l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 55 CE lu en combinaison avec l’article 45, premier alinéa, CE et, en second lieu, que l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG est justifié par un objectif de protection des consommateurs.

27      S’agissant, d’une part, de la dérogation prévue à l’article 55 CE, lu en combinaison avec l’article 45, premier alinéa, CE, le rôle primordial dans le système de contrôle des produits issus de l’agriculture biologique dont seraient investis les organismes privés résulterait, premièrement, du fait que, conformément à l’article 9 du règlement n° 2092/91, les États membres peuvent confier la mission de contrôle à une autorité publique et, deuxièmement, des pouvoirs spécifiques qu’implique l’exercice de cette activité, susceptibles d’affecter les droits des opérateurs contrôlés. La circonstance que ces organismes ne puissent pas exécuter eux-mêmes les décisions qu’ils adoptent ne serait pas déterminante. En revanche, le caractère contraignant de leurs décisions, qu’il ne serait possible de contester que par voie judiciaire, constituerait un élément militant en faveur de leur participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique, ainsi qu’il résulterait de la jurisprudence de la Cour, en particulier des arrêts du 21 juin 1974, Reyners (2/74, Rec. p. 631, point 43), et du 13 juillet 1993, Thijssen (C‑42/92, Rec. p. I‑4047, point 8).

28      S’agissant, d’autre part, de la justification de l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG, la République fédérale d’Allemagne estime que l’obligation de disposer d’un établissement en Allemagne est requise pour des raisons impérieuses d’intérêt général, à savoir la protection des consommateurs. Cette obligation serait, au demeurant, proportionnée à cet objectif.

29      Ainsi, ladite obligation serait indispensable pour permettre la supervision adéquate de l’activité des organismes privés par les autorités publiques compétentes. En effet, il serait nécessaire que cette supervision soit effectuée par les autorités compétentes de l’État membre dans lequel ces organismes sont actifs et, à cette fin, que ceux-ci y disposent d’un établissement ou d’une infrastructure durable.

 Appréciation de la Cour

30      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, dans l’hypothèse où les États membres ont opté pour un système où le contrôle des produits issus de l’agriculture biologique est opéré par des organismes privés agréés, le règlement n° 2092/91 détermine la procédure et les conditions d’agrément de ces organismes, les modalités de contrôle que ces derniers doivent appliquer ainsi que la procédure de supervision à laquelle ils sont eux-mêmes soumis dans leur État membre d’agrément. Ce règlement ne contient toutefois aucune disposition relative à la fourniture de prestations de contrôle par les organismes privés dans un État membre autre que celui de leur agrément.

31      S’il est vrai que, dans un secteur n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation complète au niveau communautaire, les États membres demeurent, en principe, compétents pour définir les conditions d’exercice des activités dans ce secteur, il n’en reste pas moins qu’ils doivent exercer leurs compétences dans le respect des libertés fondamentales garanties par le traité (voir arrêts du 26 janvier 2006, Commission/Espagne, C‑514/03, Rec. p. I-963, point 23, et du 14 décembre 2006, Commission/Autriche, C‑257/05, non publié au Recueil, point 18).

32      En l’occurrence se pose la question de la conformité avec l’article 49 CE de la condition d’avoir un établissement sur le territoire allemand imposée à l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG aux organismes privés qui disposent déjà d’un agrément et, donc, d’un établissement dans un autre État membre.

33      En effet, il est de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la libre prestation des services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (voir arrêt du 3 octobre 2006, Fidium Finanz, C‑452/04, Rec. p. I‑9521, point 46 et jurisprudence citée).

34      Dès lors, l’exigence d’établissement prévue par la disposition litigieuse va directement à l’encontre de la libre prestation des services, dans la mesure où elle rend impossible la prestation, en Allemagne, des services en cause par des organismes privés établis uniquement dans d’autres États membres (voir, par analogie, arrêt du 9 mars 2000, Commission/Belgique, C‑355/98, Rec. p. I‑1221, point 27 et jurisprudence citée).

35      Par conséquent, il y a lieu de vérifier si la disposition litigieuse est susceptible d’être justifiée par les dérogations prévues par le traité ou par des raisons impérieuses d’intérêt général.

36      La République fédérale d’Allemagne fait valoir, à titre principal, que l’activité des organismes privés constitue une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 55 CE lu conjointement avec l’article 45, premier alinéa, CE et, à titre subsidiaire, que la disposition litigieuse est justifiée par un objectif de protection des consommateurs.

37      S’agissant du premier ordre d’argumentation, il convient de rappeler que, en tant que dérogation à la règle fondamentale de la libre prestation des services, l’article 55 CE, lu en combinaison avec l’article 45, premier alinéa, CE, doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts qu’il permet aux États membres de protéger (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, C‑451/03, Rec. p. I‑2941, point 45 et jurisprudence citée).

38      Ainsi, selon une jurisprudence constante, la dérogation prévue à ces articles doit être restreinte aux activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique (voir arrêt Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, précité, point 46 et jurisprudence citée), ce qui exclut que soient considérées comme une participation à l’exercice de l’autorité publique au sens de ladite dérogation les fonctions simplement auxiliaires et préparatoires vis-à-vis d’une entité qui exerce effectivement l’autorité publique en disposant de la décision finale (arrêt Thijssen, précité, point 22).

39      Il résulte du règlement n° 2092/91 que l’activité des organismes privés et ses modalités d’exercice peuvent être décrites comme suit.

40      Premièrement, les organismes privés mettent en œuvre, conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement n° 2092/91, les mesures de contrôle et de précaution mentionnées à l’annexe III de ce règlement.

41      Deuxièmement, en vertu de l’article 9, paragraphe 9, sous a) et b), dudit règlement, ces organismes tirent les conséquences des contrôles qu’ils effectuent en permettant ou non l’utilisation des indications relatives au mode de production biologique pour les produits commercialisés par les opérateurs qu’ils contrôlent et, en cas d’infraction manifeste ou dont l’effet est prolongé, en interdisant la commercialisation des produits de l’opérateur en cause avec des indications se référant au mode de production biologique pour une période préalablement définie avec l’autorité publique compétente.

42      Troisièmement, en vertu de l’article 9, paragraphes 6, sous c), et 8, sous a) et b), du règlement n° 2092/91, lesdits organismes doivent rendre compte de leur activité à l’autorité chargée de leur agrément et de leur supervision, respectivement, en l’informant des irrégularités et des infractions constatées ainsi que des sanctions infligées, en lui donnant toute information requise et en lui transmettant chaque année une liste des opérateurs soumis à leur contrôle ainsi qu’un rapport d’activité. Par ailleurs, ledit article 9, paragraphe 8, sous a), prévoit que les organismes privés donnent accès à leurs bureaux et à leurs installations à l’autorité compétente dont ils dépendent aux fins de l’inspection, et donnent toute information et toute aide estimée nécessaire par ladite autorité pour la mise en œuvre de ses obligations.

43      S’il ressort de ces éléments que l’activité des organismes privés ne se limite pas à organiser de simples contrôles de conformité des produits issus de l’agriculture biologique, mais comporte également l’exercice de prérogatives quant aux conséquences à tirer de ces contrôles, il convient néanmoins de souligner que le règlement n° 2092/91 prévoit l’encadrement de ces organismes par l’autorité publique compétente. Ainsi, l’article 9, paragraphe 4, de ce règlement soumet lesdits organismes à la supervision de cette autorité. Entre autres dispositions, le paragraphe 6 du même article précise les modalités d’exercice de cette supervision, en prévoyant notamment que ladite autorité, outre sa compétence en ce qui concerne la délivrance et le retrait de l’agrément, assure l’objectivité et vérifie l’efficacité des contrôles effectués par les organismes privés. De surcroît, l’article 9, paragraphe 8, sous a), dudit règlement impose à ces organismes de permettre l’accès à leurs bureaux et à leurs installations à l’autorité compétente aux fins de l’inspection.

44      Il apparaît donc que les organismes privés exercent leur activité sous la supervision active de l’autorité publique compétente qui, en dernier lieu, est responsable des contrôles et des décisions desdits organismes, ainsi que le démontrent les obligations incombant à ladite autorité rappelées au point précédent du présent arrêt. Cette conclusion est d’ailleurs corroborée par l’article 3, paragraphe 1, de l’ÖLG, dans la mesure où cette disposition indique que la prise en charge par les organismes privés des tâches de contrôle prévues par le règlement n° 2092/91 ne saurait être liée à la mise en œuvre d’une procédure administrative. Il en résulte que le rôle auxiliaire et préparatoire dévolu aux organismes privés par ce règlement vis-à-vis de l’autorité de supervision ne saurait être considéré comme une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 55 CE lu en combinaison avec l’article 45, premier alinéa, CE.

45      La République fédérale d’Allemagne fait toutefois valoir que les organismes privés sont investis, en Allemagne, de prérogatives exorbitantes dudit règlement. Ainsi, ceux-ci seraient compétents pour adopter des actes administratifs dont la force contraignante équivaudrait à celle de décisions prises par une autorité publique.

46      À cet égard, il y a lieu de souligner, d’une part, que, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 du présent arrêt, la dérogation prévue à l’article 55 CE, lu en combinaison avec l’article 45, premier alinéa, CE, doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts qu’elle permet aux États membres de protéger.

47      D’autre part, si le règlement n° 2092/91 ne s’oppose pas à ce que les États membres dotent les organismes privés de prérogatives de puissance publique pour mener à bien leur activité de contrôle, voire leur confient d’autres activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique, il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour qu’une extension de l’exception permise par les articles 45 CE et 55 CE à une profession entière ne saurait être admise lorsque les activités participant éventuellement à l’exercice de l’autorité publique constituent un élément détachable de l’ensemble de l’activité professionnelle en cause (voir, s’agissant de l’article 45 CE, arrêt Reyners, précité, point 47).

48      Or, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été constaté au point 44 du présent arrêt, l’activité des organismes privés telle que définie par le règlement n° 2092/91 ne constitue pas, en elle-même, une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique, de sorte que toute autre activité supplémentaire constituant une telle participation en est nécessairement détachable.

49      S’agissant du second ordre d’argumentation développé à titre subsidiaire par la République fédérale d’Allemagne, relatif à la justification de l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG par des motifs de protection des consommateurs, cet État membre soutient, en particulier, que l’exigence d’un établissement ou d’une infrastructure durable sur le territoire allemand est indispensable pour que les autorités compétentes allemandes, d’une part, s’assurent que les organismes qui y fournissent des prestations de contrôle disposent effectivement des infrastructures et du personnel nécessaires, et, d’autre part, puissent effectuer les inspections sur place prévues par le règlement n° 2092/91.

50      À cet égard, il y a lieu d’indiquer que, conformément à une jurisprudence constante, la protection des consommateurs est susceptible de justifier des entraves à la libre prestation des services (voir en ce sens, notamment, arrêts du 9 juillet 1997, De Agostini et TV-Shop, C‑34/95 à C‑36/95, Rec. p. I‑3843, point 53; du 6 novembre 2003, Gambelli e.a., C‑243/01, Rec. p. I‑13031, point 67, ainsi que du 6 mars 2007, Placanica e.a., C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, non encore publié au Recueil, point 46).

51      Toutefois, il importe de s’assurer que les mesures prises à cette fin n’excèdent pas ce qui est objectivement nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2004, Commission/France, C‑496/01, Rec. p. I‑2351, point 68).

52      Or, la condition imposée aux organismes privés agréés dans un autre État membre de disposer d’un établissement sur le territoire allemand pour pouvoir y exercer leur activité va au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des consommateurs.

53      En effet, il y a lieu de rappeler que le règlement n° 2092/91 prescrit des critères minimaux en matière de supervision desdits organismes. Ces critères sont applicables dans l’ensemble des États membres, de sorte qu’il est garanti qu’un tel organisme agréé dans un État membre fournissant des prestations de contrôle en Allemagne répond, notamment, aux différents critères prévus par ledit règlement et, partant, que la protection des consommateurs est assurée.

54      Dès lors, en exigeant des organismes privés agréés dans un autre État membre qu’ils disposent d’un établissement en Allemagne afin que les autorités allemandes puissent superviser leur activité, l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG exclut qu’il soit tenu compte des obligations et des mesures de surveillance auxquelles ces organismes sont déjà soumis dans leur État membre d’agrément.

55      Or, il serait possible aux autorités allemandes d’obtenir les garanties requises au titre du règlement n° 2092/91 et de la protection des consommateurs par des mesures moins restrictives.

56      Ainsi, d’une part, lesdites autorités pourraient, préalablement à toute prestation, exiger d’un organisme privé agréé dans un autre État membre la preuve qu’il dispose effectivement, dans son État membre d’établissement, d’un agrément ainsi que de l’infrastructure et du personnel requis pour exécuter les prestations qu’il souhaite fournir sur le territoire allemand. Ces éléments pourraient être corroborés par les autorités compétentes de l’État membre d’établissement qui sont en charge de la supervision de l’activité de l’organisme concerné.

57      D’autre part, si une irrégularité devait être constatée dans les contrôles effectués en Allemagne par cet organisme, le règlement n° 2092/91 prévoit, à son article 10 bis, un système d’échange d’informations entre les États membres qui permettrait aux autorités allemandes de signaler cette irrégularité aux autorités de supervision dudit organisme, afin que ces dernières adoptent les mesures qui s’imposent, à savoir, par exemple, l’inspection des locaux dudit organisme, et procèdent, si nécessaire, au retrait de son agrément.

58      Dès lors, il y a lieu de constater que l’article 4, paragraphe 1, point 4, de l’ÖLG n’est pas proportionné à l’objectif de protection des consommateurs invoqué par la République fédérale d’Allemagne.

59      Partant, il résulte de ce qui précède que, en exigeant des organismes privés agréés dans un autre État membre qu’ils disposent d’un établissement sur le territoire allemand pour pouvoir y fournir des prestations de contrôle, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

 Sur les dépens

60      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En exigeant des organismes privés de contrôle des produits issus de l’agriculture biologique agréés dans un autre État membre qu’ils disposent d’un établissement sur le territoire allemand pour pouvoir y fournir des prestations de contrôle, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

2)      La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.

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