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Document 62002TJ0059
Judgment of the Court of First Instance (Third Chamber) of 27 September 2006.#Archer Daniels Midland Co. v Commission of the European Communities.#Competition - Cartels - Citric acid - Article 81 EC - Fine - Article 15(2) of Regulation No 17 - Guidelines on the method of setting fines - Leniency Notice - Principles of legal certainty and non-retroactivity - Principle of proportionality - Equal treatment - Obligation to state reasons - Rights of the defence.#Case T-59/02.
Arrêt du Tribunal de première instance (troisième chambre) du 27 septembre 2006.
Archer Daniels Midland Co. contre Commission des Communautés européennes.
Concurrence - Ententes - Acide citrique - Article 81 CE - Amende - Article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Communication sur la coopération - Principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité - Principe de proportionnalité - Égalité de traitement - Obligation de motivation - Droits de la défense.
Affaire T-59/02.
Arrêt du Tribunal de première instance (troisième chambre) du 27 septembre 2006.
Archer Daniels Midland Co. contre Commission des Communautés européennes.
Concurrence - Ententes - Acide citrique - Article 81 CE - Amende - Article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Communication sur la coopération - Principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité - Principe de proportionnalité - Égalité de traitement - Obligation de motivation - Droits de la défense.
Affaire T-59/02.
Recueil de jurisprudence 2006 II-03627
ECLI identifier: ECLI:EU:T:2006:272
Affaire T-59/02
Archer Daniels Midland Co.
contre
Commission des Communautés européennes
« Concurrence — Ententes — Acide citrique — Article 81 CE — Amende — Article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes — Communication sur la coopération — Principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité — Principe de proportionnalité — Égalité de traitement — Obligation de motivation — Droits de la défense »
Arrêt du Tribunal (troisième chambre) du 27 septembre 2006
Sommaire de l'arrêt
1. Droit communautaire — Principes généraux du droit — Non-rétroactivité des dispositions pénales
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communications de la Commission 96/C 207/04 et 98/C 9/03)
2. Concurrence — Amendes — Lignes directrices pour le calcul des amendes
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)
3. Concurrence — Amendes — Sanctions communautaires et sanctions infligées dans un État membre ou un État tiers pour violation du droit national de la concurrence
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15)
4. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination
(Art. 81, § 1, CE et 82 CE; accord EEE, art. 53, § 1; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
5. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
6. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Caractère dissuasif de l'amende
(Art. 81 CE; Règlement du Conseil nº 17, art. 15)
7. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Impact concret sur le marché
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 1)
8. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
9. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15)
10. Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense
(Art. 81 CE et 82 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 11)
11. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances aggravantes
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03, point 2)
12. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)
13. Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Amendes — Montant — Détermination
(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 17)
14. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes
(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 3e tiret)
15. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances atténuantes
(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15)
16. Concurrence — Amendes — Montant — Détermination
(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 96/C 207/04, titres B, C et D)
17. Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire
(Règlement du Conseil nº 17, art. 19, § 1)
18. Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire
(Règlement du Conseil nº 17, art. 19, § 1)
19. Concurrence — Amendes — Montant — Pouvoir d'appréciation de la Commission — Contrôle juridictionnel
(Art. 229 CE)
1. Le principe de non-rétroactivité des lois pénales, consacré à l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme comme droit fondamental, constitue un principe général du droit communautaire dont le respect s'impose lorsque des amendes sont infligées pour infraction aux règles de concurrence. Ce principe exige que les sanctions prononcées correspondent à celles qui étaient fixées à l'époque où l'infraction a été commise.
L'adoption de lignes directrices susceptibles de modifier la politique générale de concurrence de la Commission en matière d'amendes peut, en principe, relever du champ d'application du principe de non-rétroactivité.
En effet, d'une part, les lignes directrices sont susceptibles de déployer des effets juridiques. Ces effets juridiques découlent non pas d'une normativité propre des lignes directrices, mais de l'adoption et de la publication de celles-ci par la Commission. Cette adoption et cette publication des lignes directrices, comme d'ailleurs celles de la communication sur la coopération, entraînent une autolimitation du pouvoir d'appréciation de la Commission, qui ne peut se départir de ces dernières sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d'une violation de principes généraux du droit, tels que l'égalité de traitement, la protection de la confiance légitime et la sécurité juridique.
D'autre part, les lignes directrices, en tant qu'instrument d'une politique en matière de concurrence, tombent dans le champ d'application du principe de non-rétroactivité, à l'instar de la nouvelle interprétation jurisprudentielle d'une norme établissant une infraction, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à l'article 7, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme, en vertu de laquelle cette dernière disposition s'oppose à l'application rétroactive d'une nouvelle interprétation d'une norme établissant une infraction. Selon cette jurisprudence, tel est en particulier le cas s'il s'agit d'une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n'était pas raisonnablement prévisible au moment où l'infraction a été commise, au vu notamment de l'interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause. Il ressort toutefois de cette même jurisprudence que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. Ainsi, la prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé. Plus particulièrement, il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte.
Afin de contrôler le respect du principe de non-rétroactivité, il y a lieu de vérifier si la modification que constitue l'adoption des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA était raisonnablement prévisible à l'époque où les infractions concernées ont été commises. À cet égard, la principale innovation des lignes directrices consiste à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard par lesdites lignes directrices, ces fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais qui, comme telles, n'ont pas de rapport avec le chiffre d'affaires pertinent. Cette méthode repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes.
Ensuite, le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence; au contraire, l'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.
Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières.
Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d'élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Cela vaut non seulement lorsque la Commission procède à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également si ce relèvement s'opère par l'application, à des cas d'espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices.
(cf. points 41-49, 409)
2. Le fait pour la Commission d'avoir appliqué la méthode énoncée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, pour calculer le montant de l'amende infligée à une entreprise, ne saurait être constitutif d'un traitement discriminatoire par rapport aux entreprises ayant commis des infractions aux règles communautaires de la concurrence durant la même période mais qui, pour des raisons tenant à la date de la découverte de l'infraction ou des raisons propres au déroulement de la procédure administrative les concernant, ont fait l'objet de condamnations à des dates antérieures à l'adoption et à la publication des lignes directrices.
(cf. point 53)
3. Le principe ne bis in idem interdit de sanctionner une même personne plus d'une fois pour un même comportement illicite afin de protéger un même intérêt juridique. L'application de ce principe est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir l'identité des faits, l'identité du contrevenant et l'identité d'intérêt juridique protégé.
Ainsi, une entreprise peut valablement faire l'objet de deux procédures parallèles pour un même comportement illicite et donc d'une double sanction, l'une par l'autorité compétente de l'État membre en cause, l'autre communautaire, dans la mesure où lesdites procédures poursuivent des fins distinctes et où il n'y a pas d'identité entre les normes enfreintes.
Il s'ensuit que le principe ne bis in idem ne peut, à plus forte raison, trouver à s'appliquer dans un cas où les procédures diligentées et les sanctions infligées par la Commission, d'une part, et par des autorités d'États tiers, d'autre part, ne poursuivent pas, à l'évidence, les mêmes objectifs. En effet, si, dans le premier cas, il s'agit de préserver une concurrence non faussée sur le territoire de l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen, la protection recherchée, dans le second cas, concerne le marché d'un État tiers. La condition de l'identité de l'intérêt juridique protégé, nécessaire pour que trouve à s'appliquer le principe ne bis in idem, fait dans ce cas défaut.
(cf. points 61-63)
4. Le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE ou de l'article 82 CE constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d'accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comporte le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises.
Il s'ensuit que la Commission a le pouvoir de décider du niveau du montant des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d'un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer.
L'objectif de dissuasion visé par la Commission a trait à la conduite des entreprises au sein de la Communauté ou de l'Espace économique européen (EEE). Par conséquent, le caractère dissuasif d'une amende infligée à une entreprise, en raison de sa violation des règles communautaires de concurrence, ne saurait être déterminé ni en fonction de la seule situation particulière de cette entreprise ni en fonction du respect par celle-ci des règles de concurrence fixées dans des États tiers en dehors de l'EEE.
(cf. points 70-72)
5. La gravité des infractions aux règles de concurrence doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire et son contexte, et ce sans qu'il existe une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte.
De même, parmi les éléments d'appréciation de la gravité de l'infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l'objet de l'infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché pertinent. D'une part, il s'ensuit qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de marché des entreprises concernées sur le marché en cause qui est de nature à donner une indication de l'ampleur de l'infraction. D'autre part, il en résulte qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation, de sorte que la fixation du montant approprié d'une amende ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global.
(cf. points 98-99)
6. La dissuasion est l'une des principales considérations qui doivent guider la Commission lors de la détermination du montant des amendes infligées pour une infraction aux règles communautaires de concurrence.
Si l'amende devait être fixée à un niveau qui se limiterait à annuler le bénéfice de l'entente, elle n'aurait pas d'effet dissuasif. Il peut en effet être raisonnablement présumé que des entreprises tiennent rationnellement compte, dans le cadre de leur calcul financier et de leur gestion, non seulement du niveau des amendes qu'elles risquent de se voir infliger en cas d'infraction, mais également du niveau de risque de détection de l'entente. De plus, si l'on réduisait la fonction de l'amende au simple anéantissement du profit ou du bénéfice escompté, on ne tiendrait pas compte à suffisance du caractère infractionnel du comportement en cause au vu de l'article 81, paragraphe 1, CE. En effet, en réduisant l'amende à une simple compensation du préjudice encouru, l'on négligerait, outre l'effet dissuasif qui ne peut viser que des comportements futurs, le caractère répressif d'une telle mesure par rapport à l'infraction concrète effectivement commise.
De même, dans le cas d'une entreprise qui est présente sur un grand nombre de marchés et dispose d'une capacité financière particulièrement importante, la prise en compte du chiffre d'affaires réalisé sur le marché en cause peut ne pas suffire pour assurer un effet dissuasif de l'amende. En effet, plus une entreprise est grande et dispose de ressources globales lui donnant la capacité d'agir de façon indépendante sur le marché, plus elle doit être consciente de l'importance de son rôle quant au bon fonctionnement de la concurrence sur le marché. Partant, les circonstances de fait, et notamment le chiffre d'affaires global, ayant trait à la puissance économique d'une entreprise qui s'est rendue coupable d'une infraction doivent être prises en considération lors de l'examen de la gravité de l'infraction.
(cf. points 129-131)
7. Selon les termes du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, dans son calcul de l'amende en fonction de la gravité de l'infraction, la Commission tient compte, notamment, de l'impact concret de l'infraction sur le marché lorsqu'il est mesurable. Cet impact mesurable de l'entente doit être considéré comme suffisamment démontré lorsque la Commission est en mesure de fournir des indices concrets et crédibles indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l'entente a eu un impact sur le marché.
En effet, l'examen de l'impact d'une entente sur le marché implique nécessairement le recours à des hypothèses. Dans ce contexte, la Commission doit notamment examiner quel aurait été le prix du produit en cause en l'absence d'entente. Or, dans l'examen des causes de l'évolution réelle des prix, il est hasardeux de spéculer sur la part respective de chacune de ces dernières. Il convient de tenir compte de la circonstance objective que, en raison de l'entente sur les prix, les parties ont précisément renoncé à leur liberté de se concurrencer par les prix. Ainsi, l'évaluation de l'influence résultant de facteurs autres que cette abstention volontaire des parties à l'entente est nécessairement fondée sur des probabilités raisonnables et non quantifiables avec précision.
Dès lors, à moins d'ôter au critère du point 1 A, premier alinéa, son effet utile, il ne saurait être reproché à la Commission de s'être appuyée sur l'impact concret d'une entente sur le marché ayant un objet anticoncurrentiel, telle qu'une entente sur les prix ou bien sur des quotas, sans quantifier cet impact ou sans fournir une appréciation chiffrée à ce sujet.
(cf. points 157-161)
8. Lors de la détermination de la gravité d'une infraction en matière de concurrence, il y a lieu de tenir compte, notamment, du contexte réglementaire et économique du comportement incriminé. À cet égard, pour apprécier l'impact concret d'une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l'absence d'infraction.
D'une part, il en résulte que, dans le cas d'ententes portant sur les prix, il doit être constaté - avec un degré de probabilité raisonnable - que les accords ont effectivement permis aux parties concernées d'atteindre un niveau de prix supérieur à celui qui aurait prévalu en l'absence d'entente. D'autre part, il en découle que, dans le cadre de son appréciation, la Commission doit prendre en compte toutes les conditions objectives du marché concerné, eu égard au contexte économique et éventuellement réglementaire qui prévaut. Le cas échéant, il convient de tenir compte de l'existence de « facteurs économiques objectifs » faisant ressortir que, dans le cadre d'un « libre jeu de la concurrence », le niveau des prix n'aurait pas évolué de manière identique à celui des prix pratiqués.
(cf. points 181-182)
9. Le fait que des parties à une entente n'ont pas respecté leur accord et n'ont pas entièrement appliqué les prix convenus n'implique pas que, ce faisant, elles ont appliqué des prix qu'elles auraient pu pratiquer en l'absence d'entente et ne constitue donc pas un élément devant être pris en compte en tant que circonstance atténuante. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit.
(cf. point 189)
10. Aucune disposition n'interdit à la Commission de s'appuyer, en tant qu'élément de preuve pouvant servir à constater une infraction aux articles 81 CE et 82 CE et à fixer une amende, sur un document qui a été établi dans le cadre d'une procédure autre que celle menée par la Commission elle-même.
Pourtant, il est reconnu, au titre des principes généraux du droit communautaire, dont les droits fondamentaux font partie intégrante et à la lumière desquels tous les textes de droit communautaire doivent être interprétés, le droit pour une entreprise de ne pas être contrainte par la Commission, dans le cadre de l'article 11 du règlement nº 17, d'avouer sa participation à une infraction. La protection de ce droit implique, en cas de contestation sur la portée d'une question, qu'il soit vérifié si une réponse du destinataire équivaudrait effectivement à l'aveu d'une infraction, de sorte qu'il serait porté atteinte aux droits de la défense.
La Commission, lorsqu'elle s'appuie, dans le cadre de sa libre appréciation des éléments de preuve dont elle dispose, sur une déclaration faite dans un contexte différent de celui de la procédure diligentée devant elle-même, et lorsque cette déclaration comporte potentiellement des informations que l'entreprise concernée aurait été en droit de refuser de lui fournir si elle lui avait posé des questions sur le même sujet, est tenue de garantir à l'entreprise concernée des droits procéduraux équivalant à ceux conférés à l'entreprise à qui elle pose des questions.
Le respect de ces garanties procédurales implique, dans un tel contexte, que la Commission soit tenue d'examiner d'office si, à première vue, il y a des doutes sérieux quant au respect des droits procéduraux des parties concernées dans le cadre de la procédure au cours de laquelle celles-ci ont fourni de telles déclarations. En l'absence de tels doutes sérieux, les droits procéduraux des parties concernées doivent être considérés comme étant suffisamment garantis si, dans la communication des griefs, la Commission indique clairement, le cas échéant en annexant les documents concernés à cette communication, qu'elle a l'intention de s'appuyer sur les déclarations en cause. De cette façon, la Commission permet aux parties concernées de prendre position par rapport non seulement au contenu de ces déclarations, mais également à d'éventuelles irrégularités ou à des circonstances particulières ayant entouré soit leur établissement soit leur production devant la Commission.
(cf. points 261-265)
11. Lorsqu'une infraction aux règles de concurrence a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d'examiner la gravité relative de la participation de chacune d'entre elles, ce qui implique, en particulier, d'établir leur rôle respectif pendant la durée de leur participation à l'infraction.
Il en résulte, notamment, que le rôle de « chef de file » joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d'une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises.
(cf. points 296-297)
12. Dans la fixation du montant de l'amende infligée pour infraction aux règles de concurrence, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation. Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, en présence de circonstances aggravantes, un certain taux de majoration des amendes ne saurait la priver du pouvoir d'élever ces taux, dans les limites indiquées dans le règlement nº 17 et dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence.
(cf. point 312)
13. Dans l'application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 à chaque cas d'espèce, c'est-à-dire lorsqu'elle inflige des amendes pour violation des règles de concurrence du traité, la Commission est tenue de respecter les principes généraux de droit, parmi lesquels figure le principe d'égalité de traitement, tel qu'interprété par les juridictions communautaires. Une entreprise ne peut cependant contester le montant de l'amende qui lui a été infligée en arguant de la violation dudit principe que si elle démontre que les données circonstancielles des affaires relatives aux décisions auxquelles elle se réfère, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, sont comparables avec celles de l'espèce.
(cf. points 315-316)
14. Lors de l'appréciation de la gravité d'une infraction aux règles de concurrence en vue de déterminer le montant de l'amende, la Commission se doit de prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l'espèce, mais également le contexte dans lequel l'infraction se place, et de veiller au caractère dissuasif de son action. En effet, seule la prise en compte de ces aspects permet de garantir une pleine efficacité à l'action de la Commission en vue de maintenir une concurrence non faussée sur le marché commun.
Une analyse purement textuelle de la disposition figurant au point 3, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA pourrait donner l'impression que constitue de façon générale et sans réserve une circonstance atténuante le seul fait pour un contrevenant de cesser toute infraction dès les premières interventions de la Commission. Or, une telle interprétation de cette disposition amoindrirait l'effet utile des dispositions permettant le maintien d'une concurrence efficace, car elle affaiblirait tant la sanction pouvant être imposée à la suite d'une violation de l'article 81 CE que l'effet dissuasif d'une telle sanction.
En effet, à la différence d'autres circonstances atténuantes, cette circonstance n'est inhérente ni à la particularité subjective du contrevenant ni aux faits propres au cas d'espèce, dès lors qu'elle procède principalement de l'intervention extérieure de la Commission. Ainsi, la cessation d'une infraction uniquement à la suite d'une intervention de la Commission ne saurait être assimilée aux mérites découlant d'une initiative autonome de la part du contrevenant, mais ne constitue qu'une réaction appropriée et normale à ladite intervention. En outre, cette circonstance consacre uniquement un retour par le contrevenant à un comportement licite et ne contribue pas à rendre les poursuites par la Commission plus efficaces. Enfin, le prétendu caractère atténuant de cette circonstance ne saurait se justifier par la seule incitation à mettre fin à l'infraction qu'elle véhicule. À cet égard, la qualification de la continuation d'une infraction après les premières interventions de la Commission de circonstance aggravante constitue déjà, à juste titre, une incitation à mettre fin à l'infraction, qui n'amoindrit ni la sanction ni son effet dissuasif.
Ainsi, la reconnaissance de la cessation d'une infraction dès les premières interventions de la Commission comme circonstance atténuante porterait atteinte de manière injustifiée à l'effet utile de l'article 81, paragraphe 1, CE, par l'amoindrissement tant de la sanction que de l'effet dissuasif de la sanction. Par conséquent, la Commission ne peut s'imposer à elle-même de considérer la simple cessation de l'infraction dès ses premières interventions comme une circonstance atténuante. Partant, il y a lieu d'interpréter restrictivement la disposition figurant au point 3, troisième tiret, des lignes directrices, de façon qu'elle ne soit pas contraire à l'effet utile de l'article 81, paragraphe 1, CE, et en ce sens que seules les circonstances particulières du cas d'espèce, dans lesquelles l'hypothèse de la cessation de l'infraction dès les premières interventions de la Commission trouve à se concrétiser, pourraient justifier la prise en compte de cette dernière circonstance comme circonstance atténuante.
Dans l'hypothèse d'une infraction particulièrement grave ayant pour objet une fixation des prix et une répartition des marchés, commise de propos délibéré par les entreprises concernées, sa cessation ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante lorsqu'elle a été déterminée par l'intervention de la Commission.
(cf. points 334-338, 340-341)
15. S'il est certes important qu'une entreprise prenne des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l'avenir par des membres de son personnel, la prise de telles mesures ne change rien à la réalité de l'infraction constatée. La Commission n'est donc pas tenue de retenir un tel élément comme circonstance atténuante, d'autant plus lorsque l'infraction en cause constitue une violation manifeste de l'article 81, paragraphe 1, CE.
(cf. point 359)
16. À moins d'entrer en conflit avec le principe d'égalité de traitement, la communication concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes doit être appliquée en ce sens que, en ce qui concerne la réduction des amendes, la Commission doit traiter de la même façon les entreprises qui fournissent à la Commission au même stade de la procédure et dans des circonstances analogues des informations semblables concernant les faits qui leurs sont reprochés. La seule circonstance que l'une de ces entreprises a reconnu les faits reprochés en répondant la première aux questions que la Commission leur a posées au même stade de la procédure ne saurait constituer une raison objective de lui réserver un traitement différencié.
Toutefois, cela ne vaut que dans le cadre d'une coopération d'entreprises ne tombant pas dans le champ d'application des titres B et C de la communication sur la coopération.
En effet, contrairement à ces titres, le titre D ne prévoit pas un traitement différent des entreprises concernées en fonction de l'ordre dans lequel celles-ci coopèrent avec la Commission.
(cf. points 400-401, 403)
17. La communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, fussent-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n'est, en effet, qu'à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d'entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive.
(cf. point 416)
18. Dès lors que la Commission indique expressément, dans la communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux parties concernées et qu'elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée ainsi que le fait d'avoir commis celle-ci « de propos délibéré ou par négligence », elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende.
Il s'ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises en cause sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l'infraction. Cette conclusion s'impose d'autant plus que la Commission, par la publication des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, a fait connaître aux intéressés, de façon détaillée, la méthode de calcul du montant d'une éventuelle amende et la manière avec laquelle elle tiendrait compte de ces critères. Cette conclusion n'est pas remise en cause par le fait que les lignes directrices ne font pas expressément référence à un coefficient multiplicateur étant donné qu'elles indiquent qu'il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.
(cf. points 434-435)
19. Dès lors que l'examen des moyens soulevés par une entreprise à l'encontre de la légalité d'une décision de la Commission lui infligeant une amende pour violation des règles communautaires de concurrence a révélé une illégalité, il y a lieu pour le Tribunal d'examiner s'il doit, en faisant usage de sa compétence de pleine juridiction, réformer la décision attaquée.
(cf. point 443)
ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
27 septembre 2006 (*)
« Concurrence – Ententes – Acide citrique – Article 81 CE – Amende – Article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Communication sur la coopération – Principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité – Principe de proportionnalité – Égalité de traitement – Obligation de motivation – Droits de la défense »
Dans l’affaire T-59/02,
Archer Daniels Midland Co., établie à Decatur, Illinois (États-Unis), représentée par Me C. O. Lenz, avocat, Mmes L. Martin Alegi, M. Garcia et M. E. Batchelor, solicitors,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. P. Oliver, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de l’article 1er de la décision 2002/742/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/E-1/36.604 – Acide citrique) (JO 2002, L 239, p. 18), en ce qu’il constate que la requérante a enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à la restriction des capacités du marché en cause et à la désignation d’un producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national dudit marché en cause, une demande d’annulation de l’article 3 de cette même décision en ce qu’il vise la requérante et, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée à celle-ci,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de MM. J. Azizi, président, M. Jaeger et F. Dehousse, juges,
greffier : M. J. Plingers, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 juin 2004,
rend le présent
Arrêt
Faits à l’origine du litige
1 La requérante, Archer Daniels Midland Co. (ci-après « ADM »), est la société mère d’un groupe d’entreprises qui opère dans le secteur de la transformation de céréales et de graines oléagineuses. Elle s’est implantée sur le marché de l’acide citrique en 1991.
2 L’acide citrique est l’agent acidifiant et conservateur le plus utilisé dans le monde. Il en existe différents types, servant à des applications diverses, notamment dans les produits alimentaires et les boissons, dans les détergents et les nettoyants ménagers, dans les produits pharmaceutiques et cosmétiques ainsi que dans différents processus industriels.
3 En 1995, les ventes totales d’acide citrique au niveau mondial étaient d’environ 894,72 millions d’euros et celles réalisées dans l’Espace économique européen (EEE) d’environ 323,69 millions d’euros. En 1996, environ 60 % du marché mondial d’acide citrique étaient entre les mains des cinq destinataires de la décision faisant l’objet du présent recours, à savoir, outre ADM, Jungbunzlauer AG (ci-après « JBL »), F. Hoffmann-La Roche AG (ci-après « HLR »), Haarmann & Reimer Corp. (ci-après « H & R »), société appartenant au groupe Bayer AG (ci-après « Bayer »), et Cerestar Bioproducts BV (ci-après « Cerestar »), conjointement dénommées les « parties concernées ».
4 En août 1995, le ministère de la Justice américain a informé la Commission de ce qu’une enquête était en cours concernant le marché de l’acide citrique. Entre le mois d’octobre 1996 et le mois de juin 1998, toutes les parties concernées, y compris ADM, ont reconnu avoir participé à une entente. À la suite d’accords conclus avec le ministère de la Justice américain, ces entreprises se sont vu imposer des amendes par les autorités américaines. En outre, certaines personnes inculpées se sont vu infliger des amendes à titre personnel. Par ailleurs, des enquêtes ont également été menées au Canada où des amendes ont été imposées à certaines de ces mêmes entreprises, dont ADM.
5 Le 6 août 1997, la Commission a adressé, en vertu de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), des demandes de renseignements aux quatre principaux producteurs d’acide citrique de la Communauté. En outre, en janvier 1998, la Commission a adressé des demandes de renseignements aux principaux acheteurs d’acide citrique dans la Communauté et, en juin et en juillet 1998, elle a à nouveau adressé des demandes de renseignements aux principaux producteurs d’acide citrique de la Communauté.
6 Faisant suite à la première demande de renseignements qui lui avait été adressée en juillet 1998, Cerestar a pris contact avec la Commission et a déclaré, au cours d’une réunion qui s’est tenue le 29 octobre 1998, qu’elle avait l’intention de coopérer avec la Commission sur la base de la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »). À cette même occasion, Cerestar a fourni oralement une description des activités résultant de l’entente auxquelles elle avait participé. Le 25 mars 1999, elle a envoyé à la Commission une déclaration écrite confirmant ce qu’elle avait dit lors de cette réunion.
7 Par lettre du 28 juillet 1998, la Commission a adressé à JBL une nouvelle demande de renseignements à laquelle celle-ci a répondu par lettre du 28 septembre 1998.
8 Au cours d’une réunion qui s’est tenue le 11 décembre 1998, ADM a déclaré vouloir coopérer avec la Commission et a exposé oralement les activités anticoncurrentielles auxquelles elle avait participé. Par lettre du 15 janvier 1999, ADM a confirmé ses déclarations orales.
9 Le 3 mars 1999, la Commission a adressé des demandes de renseignements complémentaires à HLR, à JBL et à Cerestar.
10 Respectivement les 28 avril, 21 mai et 28 juillet 1999, Bayer, au nom de H & R, JBL et HLR ont fourni des déclarations en vertu de la communication sur la coopération.
11 Le 29 mars 2000, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a adressé une communication des griefs à ADM et aux autres parties concernées pour violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’EEE (ci-après l’« accord EEE »). ADM et les autres parties concernées ont transmis des observations écrites en réponse aux griefs retenus par la Commission. Aucune de ces parties n’a demandé la tenue d’une audition ni contesté substantiellement la matérialité des faits exposés dans la communication des griefs.
12 Le 27 juillet 2001, la Commission a adressé des demandes de renseignements complémentaires à ADM et aux autres parties concernées.
13 Le 5 décembre 2001, la Commission a adopté la décision C(2001)3923 final relative à une procédure au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/E-1/36.604 – Acide citrique) (ci-après la « Décision »). La Décision a été notifiée à ADM par lettre du 17 décembre 2001.
14 La Décision comprend notamment les dispositions suivantes :
« Article premier
[ADM], [Cerestar], [H & R], [HLR] et [JBL] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, du traité et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant à un accord et/ou une pratique concertée continus dans le secteur de l’acide citrique.
L’infraction a duré :
– dans le cas d’[ADM], de [H & R], de [HLR] et de [JBL] : de mars 1991 à mai 1995 ;
– dans le cas de [Cerestar] : de mai 1992 à mai 1995.
[…]
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées à l’article 1er en raison de l’infraction constatée audit article :
a) [ADM] : une amende de 39,69 millions d’euros,
b) [Cerestar] : une amende de 170 000 euros,
c) [HLR] : une amende de 63,5 millions d’euros,
d) [H & R] : une amende de 14,22 millions d’euros,
e) [JBL] : une amende de 17,64 millions d’euros. »
15 Aux considérants 80 à 84 de la Décision, la Commission a indiqué que l’entente portait sur l’attribution de quotas de vente précis à chaque membre et le respect de ces quotas, la fixation de prix cibles et/ou plancher, la suppression des remises et l’échange d’informations spécifiques sur les clients.
16 Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), ainsi que de la communication sur la coopération.
17 En premier lieu, la Commission a déterminé le montant de base de l’amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction.
18 Dans ce contexte, en ce qui concerne la gravité de l’infraction, la Commission a, tout d’abord, considéré que les parties concernées avaient commis une infraction très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché de l’acide citrique dans l’EEE et à l’étendue du marché géographique concerné (considérant 230 de la Décision).
19 Ensuite, la Commission a estimé qu’il fallait tenir compte de la capacité économique réelle à porter un préjudice à la concurrence et fixer l’amende à un niveau qui garantisse un effet dissuasif suffisant. Par conséquent, en se fondant sur le chiffre d’affaires mondial réalisé par les parties concernées par la vente de l’acide citrique au cours de la dernière année de la période infractionnelle, à savoir l’année 1995, la Commission a réparti celles-ci en trois catégories, à savoir, dans une première catégorie, H & R avec une part du marché mondial de 22 %, dans une deuxième catégorie, ADM et JBL avec des parts de marché de [confidentiel](1) ainsi que HLR avec une part de marché de 9 % et, dans une troisième catégorie, Cerestar avec une part de marché mondiale de 2,5 %. Sur cette base, la Commission a fixé des montants de départ de 35 millions d’euros, pour l’entreprise appartenant à la première catégorie, de 21 millions d’euros, pour celles appartenant à la deuxième catégorie, et de 3,5 millions d’euros, pour celle classée dans la troisième catégorie (considérant 239 de la Décision).
20 En outre, afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif, la Commission a procédé à un ajustement de ce montant de départ. Par conséquent, en tenant compte de la taille et des ressources globales des parties concernées, exprimés par le montant total des chiffres d’affaires mondiaux de celles-ci, la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de 2 aux montants de départ déterminés pour ADM et HLR et de 2,5 au montant de départ déterminé pour H & R (considérants 50 et 246 de la Décision).
21 En ce qui concerne la durée de l’infraction commise par chaque entreprise, le montant de départ ainsi déterminé a été majoré de 10 % par an, soit une majoration de 40 % pour ADM, H & R, HLR et JBL ainsi que de 30 % pour Cerestar (considérants 249 et 250 de la Décision).
22 C’est ainsi que la Commission a fixé le montant de base des amendes à 58,8 millions d’euros en ce qui concerne ADM. S’agissant de Cerestar, de HLR, de H & R et de JBL, les montants de base ont été fixés, respectivement, à 4,55, à 58,8, à 122,5 et à 29,4 millions d’euros (considérant 254 de la Décision).
23 En deuxième lieu, au titre des circonstances aggravantes, les montants de base des amendes infligées à ADM et à HLR ont été majorés de 35 % au motif que ces entreprises avaient joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente (considérant 273 de la Décision).
24 En troisième lieu, la Commission a examiné et rejeté les arguments de certaines entreprises quant au bénéfice de circonstances atténuantes (considérants 274 à 291 de la Décision).
25 En quatrième lieu, en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission a adapté les montants ainsi calculés pour Cerestar et H & R afin qu’ils n’excèdent pas la limite de 10 % du chiffre d’affaires total des parties concernées (considérant 293 de la Décision).
26 En cinquième lieu, en application du titre B de la communication sur la coopération, la Commission a consenti à Cerestar une « réduction très importante » (à savoir 90 %) du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération. En application du titre D de cette communication, la Commission a consenti une « réduction significative » (à savoir 50 %) du montant de l’amende à ADM (de 40 %), à JBL (de 30 %), à H & R et (de 20 %) à HLR (considérant 326).
Procédure et conclusions des parties
27 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 février 2002, ADM a introduit le présent recours.
28 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 28 février 2002, ADM a demandé qu’un traitement confidentiel soit accordé à certaines informations contenues dans les mémoires et dans certaines annexes.
29 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a posé par écrit des questions aux parties, auxquelles celles-ci ont répondu dans les délais impartis.
30 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 9 juin 2004.
31 ADM conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler l’article 1er de la Décision en ce qu’il constate qu’elle a enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à la restriction des capacités du marché en cause et à la désignation d’un producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque marché national dudit marché en cause ;
– annuler l’article 3 de la Décision en ce qu’il la vise ;
– subsidiairement, réduire le montant de son amende ;
– condamner la Commission aux dépens.
32 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner ADM aux dépens.
En droit
I – Sur l’applicabilité des lignes directrices
A – Arguments des parties
33 D’une part, ADM fait valoir que la méthode de calcul des amendes établie par les lignes directrices s’écarte radicalement de la pratique passée de la Commission en la matière qui, comme elle l’a admis dans la Décision (considérant 253), consistait à déterminer le montant de l’amende en fonction d’un taux de base représentant un certain pourcentage des ventes sur le marché communautaire concerné. À l’inverse, les lignes directrices introduiraient désormais un taux fixe d’amende, par exemple de 20 millions d’euros en cas d’infraction très grave, indépendamment du volume des ventes du produit concerné.
34 ADM fait observer que, pendant la période concernée dans la présente affaire (1991 à 1995), la Commission a infligé, en application de cette pratique constante, des amendes dont le montant était généralement situé entre 2,5 et 9 % du chiffre d’affaires réalisé par la vente du produit en cause sur le marché communautaire. En revanche, l’application de la nouvelle politique issue des lignes directrices aboutirait à des amendes dont le montant serait entre 10 et 34 fois supérieur à celui des amendes qui auraient été infligées sur la base de la pratique antérieure.
35 ADM reconnaît que la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour augmenter les amendes lorsque la politique en matière de droit de la concurrence exige que soient infligées des amendes à caractère dissuasif plus élevées. Toutefois, en imposant une amende dont le montant s’avère entre 10 et 34 fois supérieur à celui qu’elle aurait fixé selon la pratique antérieure, la Commission aurait manifestement outrepassé cette marge d’appréciation. Contrairement à ce que soutient la Commission, cette conclusion serait corroborée par l’arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Lögstör Rör/Commission (T‑16/99, Rec. p. II‑1633, point 237). D’une part, elle souligne en effet que, dans cet arrêt, le Tribunal a soumis la possibilité pour la Commission d’élever le niveau des amendes dans les limites indiquées par le règlement n° 17 à la condition que cela soit nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence. Or, ni dans la décision ni dans ses mémoires, la Commission n’aurait fourni une justification ou avancé des preuves démontrant que la mise en œuvre de cette politique nécessitait d’infliger des amendes d’un montant entre 10 et 34 fois supérieur à celui résultant de la pratique antérieure. D’autre part, elle fait observer que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt cité ainsi que dans toutes les autres affaires portant sur l’entente relative aux conduites de chauffages urbains, à l’exception de celle relative à la société ABB (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, Rec. p. II‑1881), la Commission aurait infligé des amendes d’un niveau comparable à celui qui prévalait lorsque la pratique antérieure de la Commission était appliquée. En effet, fait-elle valoir, les entreprises en cause dans cette entente n’auraient été condamnées qu’à des amendes d’un montant représentant entre 3 et 14 % des ventes affectées, et même ABB ne se serait vu infliger qu’une amende d’un montant correspondant à 44 % de son chiffre d’affaires affecté.
36 ADM estime que les entreprises doivent être en mesure d’opérer dans des conditions prévisibles. Conformément aux lignes directrices (1er alinéa), dans la fixation du montant des amendes, la Commission serait tenue de respecter une ligne politique cohérente et non discriminatoire. ADM considère que l’absence de sécurité juridique dans la détermination des amendes est antinomique avec l’idée de mise en œuvre effective du caractère dissuasif d’une amende. Pour que l’effet dissuasif individuel d’une amende soit effectif, il serait indispensable que les entreprises connaissent par avance les sanctions applicables. Elle relève qu’une amnistie globale ou une politique d’indulgence efficace requièrent que les sanctions applicables en cas de refus de collaboration soient clairement prédéfinies. De la même manière, il serait déraisonnable de maintenir un état d’incertitude constant quant au niveau des amendes qui peuvent être infligées en cas de violation des règles de concurrence, notamment en raison de la durée importante des enquêtes pour de telles infractions. Par conséquent, le principe de sécurité juridique exigerait que l’approche adoptée par la Commission pour calculer les amendes en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 puisse être prévue avec un degré suffisant de certitude.
37 ADM ajoute qu’il résulte du manuel des lignes directrices de la Sentencing Commission des États-Unis [point 1B1.11(b)(1), ci-après les « lignes directrices américaines »] et de la jurisprudence d’une cour d’appel fédérale [arrêt United States v. Kimler, 167 F. 3d 889 (5th Circ. 1999)] que l’application avec effet rétroactif de nouvelles lignes directrices en matière d’amendes est interdite par la règle ex post facto de la Constitution des États-Unis, lorsqu’elle aboutit à infliger une peine plus lourde que celle qui était prévue au moment où l’infraction a été commise.
38 Par conséquent, selon ADM, l’application rétroactive de la nouvelle politique prévue dans les lignes directrices à une infraction qui, comme en l’espèce, a eu lieu avant leur publication et qui a pour effet d’infliger à ADM une amende à ce point supérieure au niveau des amendes imputées en vertu de la pratique antérieure, et ce sans que cet écart soit nécessaire pour assurer le respect de la politique en matière de droit de la concurrence, viole le principe de sécurité juridique et est illégale.
39 D’autre part, ADM soutient que l’application des lignes directrices enfreint le principe d’égalité de traitement, car elle conduit à différencier les entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence en fonction non pas de la date de l’infraction, mais de la date d’adoption de la décision de la Commission fixée par cette dernière de manière arbitraire. À titre d’exemple, ADM expose que les entreprises visées dans la décision 97/624/CE de la Commission, du 14 mai 1997, relative à une procédure d’application de l’article [82] du traité CE (IV/34.621, 35.059/F-3 – Irish Sugar plc) (JO L 258, p. 1), et dans la décision 94/210/CE de la Commission, du 29 mars 1994, relative à une procédure d’application des articles [81] et [82] du traité CE (IV/33.941 – HOV-SVZ/MCN) (JO L 104, p. 34), se sont vu infliger des amendes d’un montant ne représentant respectivement que 6,8 et 5 % du montant des ventes réalisées sur le marché pertinent, alors que les infractions en cause étaient concomitantes à l’entente sur l’acide citrique.
40 La Commission conclut au rejet des moyens.
B – Appréciation du Tribunal
41 Le Tribunal rappelle, tout d’abord, que le principe de non-rétroactivité des lois pénales, consacré à l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, comme droit fondamental, constitue un principe général du droit communautaire dont le respect s’impose lorsque des amendes sont infligées pour infraction aux règles de la concurrence et que ce principe exige que les sanctions prononcées correspondent à celles qui étaient fixées à l’époque où l’infraction a été commise (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri/Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 202 ; arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, points 218 à 221, et du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 39).
42 Ensuite, le Tribunal considère que l’adoption de lignes directrices susceptibles de modifier la politique générale de concurrence de la Commission en matière d’amendes peut, en principe, relever du champ d’application du principe de non-rétroactivité.
43 En effet, d’une part, les lignes directrices sont susceptibles de déployer des effets juridiques. Ces effets juridiques découlent non pas d’une normativité propre des lignes directrices, mais de l’adoption et de la publication de celles-ci par la Commission. Cette adoption et cette publication des lignes directrices entraînent une autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission, qui ne peut se départir de ces dernières sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement, la protection de la confiance légitime et la sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, points 209 à 212).
44 D’autre part, les lignes directrices, en tant qu’instrument d’une politique en matière de concurrence, tombent dans le champ d’application du principe de non-rétroactivité, à l’instar de la nouvelle interprétation jurisprudentielle d’une norme établissant une infraction, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêts S.W. et C.R. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A nos 335-B et 335-C, § 34 à 36 et § 32 à 34 ; Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 29 à 32, et Coëme e.a. c. Belgique du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII, § 145), en vertu de laquelle cette dernière disposition s’oppose à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction. Selon cette jurisprudence, tel est en particulier le cas s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause. Il convient toutefois de préciser qu’il ressort de cette même jurisprudence que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. Ainsi, la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Plus particulièrement, en vertu de l’arrêt Cantoni c. France (précité, § 35), il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, points 215 à 223).
45 Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de vérifier si la modification que constitue l’adoption des lignes directrices était raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises.
46 À cet égard il convient de constater que la principale innovation des lignes directrices consiste à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard par lesdites lignes directrices, ces fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais qui, comme telles, n’ont pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent. Cette méthode repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, point 225).
47 Ensuite, il convient de rappeler que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence, mais que, au contraire, l’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, point 227, du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109, et du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, point 81 ; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, point 309, et du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T‑304/94, Rec. p. II‑869, point 89 ; arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 41 supra, point 56).
48 Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, point 228).
49 Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Cela vaut non seulement lorsque la Commission procède à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également si ce relèvement s’opère par l’application, à des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, points 229 et 230).
50 Ainsi, c’est à tort qu’ADM fait, en substance, valoir que l’augmentation du niveau des amendes par la Commission, dans le contexte de l’entente, serait manifestement disproportionnée par rapport à l’objectif d’assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence.
51 De même, la circonstance invoquée par ADM – à la supposer même établie – que l’application de la nouvelle politique aboutirait à des amendes dont les montants seraient entre 10 et 34 fois supérieurs à ceux des amendes qui auraient été infligées sur la base de la pratique antérieure n’est pas susceptible d’entraîner une violation du principe de non-rétroactivité. En effet, eu égard notamment à la jurisprudence citée au point 44 du présent arrêt, il devait être raisonnablement prévisible pour ADM que la Commission puisse à tout moment revoir le niveau général des amendes dans le contexte de la mise en œuvre d’une autre politique de concurrence. Ainsi, ADM devait pouvoir raisonnablement prévoir une telle augmentation – à la supposer même établie – à l’époque où les infractions concernées ont été commises.
52 Enfin, en ce qu’ADM estime que, pour assurer un effet dissuasif des amendes, il serait indispensable que les entreprises connaissent par avance le niveau des amendes auquel elles doivent s’attendre si elles commettent des infractions aux règles communautaires de la concurrence, il suffit de souligner que le caractère dissuasif des amendes ne présuppose nullement que les entreprises connaissent par avance le niveau précis de l’amende auquel elles doivent s’attendre pour un comportement anticoncurrentiel donné.
53 En ce qui concerne la violation du principe d’égalité de traitement invoqué par ADM, il convient de souligner qu’il a déjà été jugé que le fait d’avoir appliqué la méthode énoncée dans les lignes directrices pour calculer le montant de l’amende d’ADM ne saurait être constitutif d’un traitement discriminatoire par rapport aux entreprises ayant commis des infractions aux règles communautaires de la concurrence durant la même période mais qui, pour des raisons tenant à la date de la découverte de l’infraction ou des raisons propres au déroulement de la procédure administrative les concernant, ont fait l’objet de condamnations à des dates antérieures à l’adoption et à la publication des lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 41 supra, points 69 à 73 ; arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, points 118 et 119).
54 Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.
II – Sur l’incidence des amendes déjà infligées dans d’autres pays
A – Arguments des parties
55 ADM fait valoir que, par son refus de déduire du montant de l’amende fixée par la Décision le montant des amendes déjà infligées à ADM aux États-Unis et au Canada, la Commission a violé le principe interdisant le cumul de sanctions pour une même infraction. Ainsi qu’il résulterait de l’arrêt de la Cour du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission (7/72, Rec. p. 1281), la Commission serait obligée d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un pays tiers si les faits retenus contre l’entreprise requérante par la Commission, d’une part, et par ces autorités, d’autre part, sont identiques. Tel serait précisément le cas en l’espèce, puisque, à l’inverse de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Boehringer/Commission, précité, l’entente sanctionnée par les autorités américaines et canadiennes était, selon la requérante, la même, de par son objet, sa localisation et sa durée, que celle sanctionnée par la Commission, laquelle se serait d’ailleurs fondée sur les éléments de preuve réunis par les autorités américaines.
56 À cet égard, ADM conteste l’appréciation contenue dans la Décision, selon laquelle les amendes infligées aux États-Unis et au Canada auraient uniquement pris en considération les effets anticoncurrentiels de l’entente dans le ressort de ces juridictions (considérant 333 de la Décision). Aux États-Unis, le jugement rendu contre ADM le 15 octobre 1996 ferait, au contraire, ressortir que l’entente condamnée était mondiale et entravait le commerce « aux États-Unis et ailleurs ». L’amende infligée serait, par ailleurs, d’un montant particulièrement élevé en raison de la portée géographique de l’infraction. En ce qui concerne la procédure suivie au Canada, le fait qu’il s’agissait d’une entente mondiale aurait également été spécifiquement pris en compte.
57 En tout état de cause, à supposer même que l’affirmation de la Commission soit exacte, le fait que d’autres autorités n’aient pris en compte que les effets locaux d’une infraction serait dénué de pertinence aux fins de l’application du principe d’interdiction du cumul des sanctions. En effet, selon l’arrêt Boehringer/Commission, point 55 supra, seule serait déterminante, à ce titre, l’identité des comportements incriminés. Cette approche serait confirmée par la pratique de la Commission elle-même qui, dans une décision de 1983, avait déduit du montant de l’amende infligée à des entreprises ayant participé à une entente le montant de l’amende déjà fixé par les autorités allemandes, alors qu’elle ne statuait que sur les aspects de cette entente qui étaient extérieurs à l’Allemagne [voir décision 83/546/CEE de la Commission, du 17 octobre 1983, relative à une procédure d’application de l’article [81] du traité instituant la Communauté économique européenne (IV/30.064 – Cylindres en fonte et en acier moulés) (JO L 317, p. 1)].
58 ADM estime que la Commission a omis de prendre en compte, lors de la détermination du montant de l’amende, le fait qu’elle avait déjà été condamnée, dans des pays tiers, à des amendes et à des dommages-intérêts d’un montant suffisant pour la dissuader de commettre toute nouvelle infraction au droit de la concurrence. ADM aurait été, dès lors, suffisamment sanctionnée.
59 En outre, selon ADM, la Commission fait erreur en concluant que les dommages-intérêts payés par elle dans le cadre des procédures diligentées aux États-Unis et au Canada seraient purement compensatoires. En effet, souligne ADM, ces dommages-intérêts versés à titre de règlement transactionnel ont pris en compte les demandes de dommages-intérêts portés au triple (« triple damages ») réclamés par les acheteurs en cause. C’est pourquoi lesdits dommages-intérêts seraient allés au-delà d’un montant purement compensatoire et auraient comporté un élément de nature pénale. Par conséquent, la Commission aurait été tenue de prendre en compte ces montants à caractère pénal, conformément au principe selon lequel aucune sanction ne peut être infligée deux fois pour la même infraction.
60 La Commission conclut au rejet du moyen.
B – Appréciation du Tribunal
61 Il convient de rappeler que le principe ne bis in idem interdit de sanctionner une même personne plus d’une fois pour un même comportement illicite afin de protéger un même intérêt juridique. L’application de ce principe est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir l’identité des faits, l’identité du contrevenant et l’identité d’intérêt juridique protégé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 338).
62 La jurisprudence communautaire a ainsi admis qu’une entreprise peut valablement faire l’objet de deux procédures parallèles pour un même comportement illicite et donc une double sanction, l’une par l’autorité compétente de l’État membre en cause, l’autre communautaire, dans la mesure où lesdites procédures poursuivent des fins distinctes et qu’il n’y a pas d’identité entre les normes enfreintes (arrêt de la Cour du 13 février 1969, Wilhelm e.a. 14/68, Rec. p. 1, point 11 ; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T‑141/89, Rec. p. II‑791, point 191, et du 6 avril 1995, Sotralentz/Commission, T‑149/89, Rec. p. II‑1127, point 29).
63 Il s’ensuit que le principe ne bis in idem ne peut à plus forte raison trouver à s’appliquer dans un cas comme celui de l’espèce où les procédures diligentées et les sanctions infligées par la Commission, d’une part, et par des autorités américaines et canadiennes, d’autre part, ne poursuivent pas, à l’évidence, les mêmes objectifs. En effet, si, dans le premier cas, il s’agit de préserver une concurrence non faussée sur le territoire de l’Union européenne ou dans l’EEE, la protection recherchée dans le second cas concerne le marché américain ou canadien (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01, T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 134, et la jurisprudence y citée). La condition de l’identité de l’intérêt juridique protégé, nécessaire pour que trouve à s’appliquer le principe ne bis in idem, fait ainsi défaut.
64 Partant, c’est à tort qu’ADM invoque le principe ne bis in idem en l’espèce.
65 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt Boehringer/Commission, point 55 supra, invoqué par ADM. En effet, dans cette affaire, la Cour n’a pas indiqué que la Commission devait imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers dans l’hypothèse où les faits retenus contre une entreprise par la Commission et par lesdites autorités seraient identiques, mais s’est limitée à indiquer que cette question devrait être tranchée quant elle surviendrait (arrêt Boehringer/Commission, point 55 supra, point 3).
66 En tout état de cause, quand bien même le principe d’équité pourrait, dans certaines circonstances particulières, contraindre la Commission à tenir compte des sanctions infligées par les autorités des États tiers lorsque celles-ci sanctionnent également un comportement sur le territoire de la Communauté, force est de constater qu’ADM reste en défaut de démontrer que tel est le cas en l’espèce et que les autorités américaines et canadiennes ont sanctionné l’entente en ce qu’elle portait sur les territoires de la Communauté ou de l’EEE.
67 En effet, la simple référence, dans la transaction conclue avec les autorités américaines, au fait que l’entente avait trait « aux États-Unis et ailleurs » ne démontre pas que, lors du calcul du montant de l’amende, les autorités américaines aient tenu compte des applications ou des effets de l’entente autres que ceux concernant le territoire américain, et en particulier dans l’EEE (voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 63 supra, point 143).
68 De même, en ce qui concerne le montant élevé de l’amende en raison de la portée géographique de l’infraction, force est de considérer que cette simple affirmation ne suffit pas à démontrer que l’impact de l’entente sur le marché de l’EEE a été pris en considération.
69 En ce qui concerne la transaction conclue avec les autorités canadiennes, ADM reste en défaut de fournir la moindre preuve du fait que, lors de la détermination du montant de l’amende, ces autorités aient visé des applications ou des effets de l’entente autres que ceux concernant ce pays et, en particulier, ceux constatés dans l’EEE. La référence à la portée mondiale de l’entente faite par les autorités canadiennes et invoquée par ADM l’a été uniquement afin de définir l’importance de l’entente sur l’ensemble du marché canadien.
70 S’agissant de l’effet dissuasif des amendes déjà infligées et des dommages et intérêts, dont des dommages et intérêts triples qui ne sont pas compensatoires, le Tribunal rappelle que le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE ou de l’article 82 CE constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comporte le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra, point 105).
71 Il s’ensuit que la Commission a le pouvoir de décider du niveau du montant des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra, point 108).
72 ADM ne saurait valablement faire valoir qu’aucune dissuasion ne s’imposait à son égard au motif qu’elle avait déjà été condamnée pour les mêmes faits par des juridictions d’États tiers. En effet, l’objectif de dissuasion visé par la Commission a trait à la conduite des entreprises au sein de la Communauté ou de l’EEE. Par conséquent, le caractère dissuasif d’une amende infligée à ADM, en raison de sa violation des règles de la concurrence communautaires, ne saurait être déterminée ni en fonction de la seule situation particulière d’ADM ni en fonction du respect par celle-ci des règles de concurrence fixées dans des États tiers en dehors de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 63 supra, points 146 et 147).
73 Dès lors, il convient de rejeter le moyen tiré de l’absence de prise en compte des amendes infligées dans d’autres États.
III – Sur la gravité de l’infraction
A – Introduction
74 ADM considère que la Commission n’a pas correctement apprécié la gravité de l’infraction dans le cadre du calcul du montant de l’amende. Les moyens invoqués à ce sujet portent, premièrement, sur l’absence ou l’insuffisance de prise en compte du chiffre d’affaires tiré de la vente du produit en cause, deuxièmement, sur l’application d’un coefficient multiplicateur au montant de départ et, troisièmement, sur l’impact concret de l’entente sur le marché.
75 Avant de se prononcer sur le bien-fondé des différents moyens invoqués dans ce contexte, il convient de résumer la méthode suivie par la Commission dans le cas d’espèce quant à l’appréciation et à la prise en compte de la gravité de l’infraction, ainsi qu’elle ressort des considérants de la Décision.
76 Il ressort de la Décision que, pour apprécier la gravité de l’infraction, la Commission a, tout d’abord, considéré que les parties concernées avaient commis une infraction très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché de l’acide citrique et à l’étendue du marché géographique concerné, à savoir l’ensemble de l’EEE (considérants 204 à 232 de la Décision).
77 Ensuite, la Commission a estimé qu’il fallait appliquer aux parties concernées un traitement différencié afin de « tenir compte de la capacité économique réelle des auteurs de l’infraction [à] causer un dommage important à la concurrence, et [….] fixer l’amende à un niveau qui lui assure un effet suffisamment dissuasif ». Dans ce contexte, la Commission a indiqué qu’elle tiendrait compte du poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence (considérants 233 et 234 de la Décision).
78 Aux fins de l’appréciation de ces éléments, la Commission a choisi de se fonder sur les chiffres d’affaires réalisés par les parties concernées par la vente d’acide citrique au niveau mondial au cours de la dernière année de la période infractionnelle, à savoir l’année 1995. La Commission a, dans ce contexte, considéré que, le marché de l’acide citrique étant global, « ces chiffres […] donnent l’image la plus fidèle de la capacité des entreprises participantes [à] causer un préjudice important aux autres opérateurs dans le marché commun et/ou l’EEE » (considérant 236 de la Décision). La Commission a ajouté que, selon elle, cette méthode était validée par le fait qu’il s’agissait d’une entente mondiale, dont l’objet était notamment de répartir les marchés à l’échelon mondial. Elle a estimé, de surcroît, que le chiffre d’affaires mondial d’une partie à l’entente donnait aussi une idée de sa contribution à l’efficacité de l’entente dans son ensemble ou, au contraire, de l’instabilité qui l’aurait affectée si ladite partie n’y avait pas participé (considérant 236 de la Décision).
79 Sur cette base, la Commission a décidé de répartir les entreprises en trois catégories : dans une première catégorie, elle a placé H & R en invoquant le fait que, « avec une part de marché mondial de 22 %, [celle-ci] était le producteur le plus important sur le marché ». Dans une deuxième catégorie, elle a placé ADM, JBL et HLR en indiquant que les deux premières détenaient « des parts de marché similaires de [confidentiel] » et que la dernière avait une part de marché de 9 %. Enfin, dans une troisième catégorie, elle a placé Cerestar au motif que celle-ci était « de loin le plus petit compétiteur » avec, en 1995, 2,5 % de parts de marché. Ainsi, la Commission a fixé un montant de départ de 35 millions d’euros pour H & R, de 21 millions pour ADM, JBL ainsi que pour HLR et de 3,5 millions pour Cerestar (considérants 237 à 239 de la Décision).
80 Enfin, afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif, la Commission a procédé à un ajustement de ce montant de départ en fonction de la taille et des ressources globales des parties concernées. Ainsi, la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de 2 (soit une majoration de 100 %) au montant de départ déterminé pour ADM qui a donc été porté à 42 millions d’euros, et un coefficient multiplicateur de 2,5 (soit une majoration de 150 %) au montant de départ déterminé pour HLR qui a ainsi atteint 87,5 millions d’euros (considérants 240 à 246 de la Décision).
B – Sur l’absence de prise en compte du chiffre d’affaires tiré de la vente du produit en cause
1. Arguments des parties
81 ADM reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte, ou de façon insuffisante, de son chiffre d’affaires réalisé grâce à la vente du produit en cause pour le calcul du montant de base de l’amende.
82 D’une part, ADM fait valoir qu’il ressort de la jurisprudence du Tribunal que le chiffre d’affaires réalisé grâce au produit en cause est un élément important dans le calcul des amendes (arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. II‑549, points 92 à 95 ; du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T‑24/93 à T‑26/93 et T‑28/93, Rec. p. II‑1201, point 233 ; du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 176).
83 ADM considère que la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé grâce au produit en cause dans l’EEE est une base appropriée pour évaluer les atteintes à la concurrence sur le marché du produit concerné au sein de la Communauté ainsi que l’importance relative des participants à l’entente par rapport aux produits en cause. Cette conclusion serait corroborée par la jurisprudence du Tribunal (arrêt Europa Carton/Commission, point 47 supra, point 126, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, KNP BT/Commission, T‑309/94, Rec. p. II‑1007, point 108, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C‑248/98 P, Rec. p. I‑9641).
84 En outre, selon ADM, l’arrêt LR AF 1998/Commission, point 41 supra, confirme que la prise en compte disproportionnée de la taille globale d’une entreprise pour fixer l’amende est illégale.
85 De même, ADM invoque le fait que, dans sa pratique décisionnelle des dernières années concernant des affaires semblables à celle du cas d’espèce [décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/C/33.833 – Carton) (JO L 243, p. 1) ; décision 94/815/CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/33.126 et 33.322 – Ciment) (JO L 343, p. 1) ; décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/31.149 – Polypropylène) (JO L 230, p. 1) ; décision 89/515/CEE de la Commission, du 2 août 1989, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/31.553 – Treillis soudés) (JO L 260, p. 1), et décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1)], la Commission s’est elle-même fondée sur le volume des ventes réalisées par le produit en cause dans le marché communautaire, ainsi qu’elle l’a par ailleurs reconnu dans la Décision (considérant 253). Or, elle relève que, en s’appuyant dans ces décisions sur ce critère de calcul, la Commission a fixé des amendes dont le montant se situait entre 2,5 et 9 % du chiffre d’affaires réalisé par les parties concernées grâce au produit concerné. ADM souligne que, si la Commission avait également suivi ce critère de calcul dans le cas d’espèce, elle aurait été conduite à lui imposer une amende dont le montant serait situé entre 1,15 et 4,14 millions d’euros. En revanche, fait-elle valoir, en omettant de s’en tenir à ce critère de calcul, la Commission lui a imposé en l’espèce des amendes dont le montant est entre 10 et 34 fois supérieur à celui des amendes qu’elle aurait imposées sur cette base.
86 ADM considère que c’est également à tort que la Commission souligne avoir tenu compte du chiffre d’affaires des parties concernées en les classant dans trois catégories correspondant à l’importance de leurs parts sur le marché mondial de l’acide citrique (considérant 236). Selon ADM, la Commission aurait également dû tenir compte de la valeur limitée des ventes d’acide citrique dans l’EEE en 1995.
87 En effet, premièrement, ainsi que la Commission l’admettrait elle-même, celle-ci serait tenue de déterminer la gravité de l’infraction et, partant, le niveau de l’amende en fonction des effets sur l’EEE. Or, à cet égard, l’argument invoqué par la Commission au considérant 236 de la Décision selon lequel il fallait appliquer dans ce contexte le chiffre d’affaires mondial étant donné que l’objet de l’entente avait été de « retirer des réserves concurrentielles du marché de l’EEE » serait dénué de fondement. La Décision ne prétendrait pas que les parties étaient convenues de retirer des approvisionnements du marché de l’EEE. ADM souligne que l’entente avait fixé des quotas sur une base mondiale (considérants 97 à 101 de la Décision) et qu’il n’y avait pas de quotas séparés pour l’Europe. Dans une entente affectant les consommateurs de l’EEE, le préjudice causé à ceux-ci serait le même, que l’entente s’étende ou non en dehors de l’EEE. À cet égard, il ne devrait y avoir aucune différence dans l’appréciation de la gravité de l’infraction et dans la détermination de l’amende infligée.
88 Deuxièmement, la pratique décisionnelle de la Commission serait incohérente. En effet, dans les affaires dites « Tubes d’acier sans soudure » [décision 2003/382/CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE (affaire IV/E-1/35.860-B – Tubes d’acier sans soudure) (JO 2003 L 140, p. 1)] et « Gluconate de sodium » (décision du 2 octobre 2001, concernant une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE, COMP/E-1/36.756 – Gluconate de sodium), la Commission aurait uniquement entendu prendre en compte les seules ventes réalisées dans l’EEE.
89 Troisièmement, les effets pervers d’une prise en compte du chiffre d’affaires mondial seraient bien illustrés en l’espèce, puisque les ventes d’ADM au Canada et aux États-Unis, qui interviennent pour près de 50 % de ses ventes d’acide citrique sur le marché mondial, auraient déjà été prises en compte par les autorités de ces pays lors de l’imposition de sanctions à ADM. En prenant en compte le chiffre d’affaires mondial, la Commission aurait infligé une amende disproportionnée relativement aux ventes d’ADM pour lesquelles celle-ci avait déjà été sanctionnée.
90 Quatrièmement, ADM estime que, à supposer même que le chiffre d’affaires mondial réalisé du fait de la vente d’acide citrique puisse constituer un facteur pertinent dans la fixation de l’amende, la Commission ne l’a pas pris en compte de façon appropriée. En effet, le montant de l’amende infligée à ADM (avant l’application de la communication sur la coopération) serait de 66 % du chiffre d’affaires mondial réalisé par la vente d’acide citrique. Cette sanction dépasserait de loin tout préjudice causé aux consommateurs ou à la concurrence par la participation d’ADM à l’entente, laquelle n’aurait en fait correspondu qu’à une fraction du chiffre d’affaires réalisé sur le marché mondial. Plus exactement, la Commission se serait fondée exclusivement sur la totalité du chiffre d’affaires et des ressources de l’entreprise. Or, estime ADM, le fait de se fonder d’une manière disproportionnée sur le chiffre d’affaires total conduit à l’imposition d’une amende illégale.
91 Par conséquent, ADM estime que la Commission a non seulement méconnu les principes dégagés par la jurisprudence mais a également violé le principe de proportionnalité.
92 D’autre part, ADM fait valoir que les lignes directrices indiquent qu’il est « nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs » et qu’elles prévoient en outre, dans le cas des cartels, une pondération éventuelle destinée à refléter « l’impact réel […] du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence ».
93 Or, selon ADM, l’impact économique, que ce soit sur la concurrence ou sur les autres opérateurs, peut seulement être évalué par rapport au montant des ventes du produit en cause. Seule la prise en considération de ces ventes permettrait d’estimer l’étendue du préjudice potentiel pour les consommateurs ou la concurrence en termes de bénéfice anticoncurrentiel ou au regard d’autres profits illégaux.
94 Par conséquent, elle considère que, en omettant de prendre en compte le chiffre d’affaires tiré de la vente du produit en cause, la Commission n’a pas correctement appliqué ses propres lignes directrices.
95 Enfin, ADM considère que, en omettant d’exposer de façon spécifique les motifs retenus à l’appui de sa décision de ne pas prendre en compte les ventes qu’ADM avait réalisées sur le marché du produit en cause dans l’EEE, la Commission a violé l’obligation de motivation qui s’imposait à elle.
96 La Commission conclut au rejet des moyens invoqués.
2. Appréciation du Tribunal
97 ADM soulève la violation, d’une part, du principe de proportionnalité et des lignes directrices et, d’autre part, de l’obligation de motivation.
a) Sur la violation du principe de proportionnalité
98 Ainsi que cela a été reconnu par une jurisprudence constante, la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire et son contexte, et ce sans qu’il existe une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 54 ; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33 ; arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 443).
99 De même, il est de jurisprudence constante que, parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché pertinent. D’une part, il s’ensuit qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de marché des entreprises concernées sur le marché en cause qui est de nature à donner une indication de l’ampleur de l’infraction. D’autre part, il en résulte qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant approprié d’une amende ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra, points 120 et 121 ; arrêts Parker Pen/Commission, point 82 supra, point 94 ; SCA Holding/Commission, point 82 supra, point 176 ; Archer Daniels Midland and Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 41 supra, point 188, et HFB e.a./Commission, point 98 supra, point 444).
100 Il en découle que, s’il ne saurait être nié, comme le souligne ADM, que le chiffre d’affaires du produit en cause peut constituer une base appropriée pour évaluer les atteintes à la concurrence sur le marché du produit concerné au sein de la Communauté ainsi que l’importance relative des participants à l’entente par rapport aux produits en cause, il n’en demeure pas moins que cet élément ne constitue, de loin, pas l’unique critère selon lequel la Commission doit apprécier la gravité de l’infraction.
101 Par conséquent, contrairement à ce que soutient ADM, ce serait attribuer à cet élément une importance disproportionnée que de limiter, comme elle semble le proposer, l’appréciation à la mise en relation entre l’amende infligée et le chiffre d’affaires du produit en question afin d’apprécier son caractère proportionné. Il convient d’apprécier le caractère proportionné de ce niveau d’amende par rapport à l’ensemble des éléments dont la Commission doit tenir compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, à savoir la nature même de l’infraction, son impact concret sur le marché concerné et l’étendue du marché géographique.
102 Le bien-fondé de la Décision par rapport à certains de ces critères sera examiné, sur la base des quatre arguments d’ADM visant en substance à établir que la Commission aurait dû, en l’espèce, appliquer dans ce contexte le chiffre d’affaires des entreprises concernées au niveau de l’EEE et non pas au niveau mondial.
103 Par son premier argument, ADM critique en substance le fait que, au considérant 236 de la Décision, la Commission ait considéré qu’il fallait retenir le chiffre d’affaires mondial pour classer les parties concernées en trois catégories étant donné que l’objet de l’entente avait été de « retirer des réserves concurrentielles du marché de l’EEE ». Or, d’après ADM, la Décision ne prétendrait pas que les parties fussent convenues de retirer des approvisionnements du marché de l’EEE.
104 Le Tribunal estime qu’il convient de constater qu’ADM cite cette partie de la Décision en dehors de son contexte. Une lecture d’ensemble du considérant 236 de la Décision fait clairement apparaître que, de l’avis de la Commission, dans le contexte d’un cartel mondial comme celui de l’espèce, seul le chiffre d’affaires mondial permet d’apprécier la capacité effective des parties concernées à causer un préjudice au marché en cause. Par conséquent, ce premier argument n’est pas fondé.
105 Par son deuxième argument, ADM cherche à démontrer que, dans sa pratique administrative récente, la Commission a elle-même eu recours aux chiffres d’affaires réalisés dans l’EEE.
106 Le Tribunal constate toutefois que les deux décisions qu’elle invoque au soutien dudit argument ne sont pas pertinentes en l’espèce. En effet, dans l’affaire dite « Tubes d’acier sans soudure » (voir au point 88 ci-dessus), la Commission n’a pas procédé au classement des parties concernées (voir considérants 159 à 162 de la décision dans ladite affaire). Quant à l’affaire dite « Gluconate de sodium » (voir point 88 ci-dessus), comme dans la présente espèce, la Commission a eu recours au chiffre d’affaires mondial pour procéder à la classification des entreprises. L’argumentation d’ADM manque donc en fait.
107 Par son troisième argument, ADM soulève, en substance, le fait que ses ventes d’acide citrique au Canada et aux États-Unis, qui interviennent pour près de 50 % de ses ventes d’acide citrique sur le marché mondial, ont déjà été prises en compte par les autorités de ces pays lors de l’imposition de sanctions à ADM. En ce que, par cette argumentation, ADM réitère, en substance, le grief tiré de la violation du principe d’interdiction du cumul des sanctions, cette argumentation a déjà été rejetée par le Tribunal comme non fondée (voir points 61 à 73 ci-dessus). En ce que, par cette argumentation, ADM considère qu’il n’appartient pas à la Commission de fixer l’amende sur la base de comportements sur des marchés extérieurs à l’espace communautaire, cette argumentation manque en fait. La Commission n’a en effet pas utilisé le chiffre d’affaires mondial comme base de calcul de l’amende, mais seulement comme moyen pour déterminer la capacité économique réelle à porter préjudice à la concurrence de chaque entreprise et afin de fixer l’amende à un niveau qui garantisse un effet dissuasif suffisant pour chaque entreprise, ce qui est justifié eu égard au caractère mondial de l’entente.
108 Par son quatrième argument, ADM cherche, en substance, à établir que la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé grâce à la vente d’acide citrique au niveau mondial aboutit à une amende disproportionnée par rapport au préjudice causé aux consommateurs et à la concurrence.
109 Or, il convient de rappeler que, en l’espèce, il s’agit d’un cartel qui réunit des entreprises opérant au niveau mondial, lesquelles détiennent 60 % des parts de marché du produit pertinent au niveau mondial, et, en particulier, qui porte, outre sur la fixation des prix, notamment sur la répartition du marché par l’attribution de quotas de vente. Dans un tel cas, dans le cadre du traitement différencié des parties concernées, la Commission peut valablement, comme elle l’a fait en l’espèce, s’appuyer sur les chiffres d’affaires réalisés par les membres respectifs de l’entente au niveau mondial, en l’espèce du fait de la vente d’acide citrique. En effet, l’objectif de ce traitement différencié est d’évaluer la capacité économique effective des auteurs d’une infraction à causer un dommage à la concurrence par leur comportement infractionnel et, donc, de tenir compte de leur poids spécifique au sein du cartel. La Commission n’a par conséquent pas excédé la marge d’appréciation étendue qui lui est reconnue en la matière en estimant que la part respective du marché mondial des membres de l’entente était une valeur indicative appropriée.
110 Dès lors, les moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité doivent être rejetés.
b) Sur la violation des lignes directrices
111 En ce qui concerne la violation des lignes directrices, le Tribunal constate que ces dernières ne prévoient pas que le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné. Toutefois, elles ne s’opposent pas non plus à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin que soient respectés les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent (voir, en ce sens, arrêts LR AF 1998/Commission, point 41 supra, point 283, confirmé sous pourvoi par arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, point 258, et Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 41 supra, point 187).
112 Par conséquent, les lignes directrices ne prévoient pas que les chiffres d’affaires des entreprises concernées – que ce soit le chiffre d’affaires global ou celui tiré de la vente du produit en cause – constituent le point de départ du calcul des amendes et, encore moins, qu’ils constituent les seuls critères pertinents pour déterminer la gravité de l’infraction.
113 En revanche, la Commission peut en tenir compte comme un élément pertinent parmi d’autres. Cela est notamment le cas lorsque, conformément aux troisième à sixième alinéas du point 1 A des lignes directrices, la Commission adapte le montant pour garantir un niveau suffisamment dissuasif des amendes. Dans ce contexte, la Commission tient compte de la capacité effective des auteurs de l’infraction à causer un dommage important aux autres opérateurs et de la nécessité d’assurer à l’amende un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa) et procède à une pondération des montants déterminés en fonction du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature (point 1 A, sixième alinéa).
114 En l’espèce, la Commission a soutenu dans ses mémoires qu’elle s’est fondée sur le chiffre d’affaires réalisé sur le marché du produit en cause pour apprécier l’importance relative de chacune des entreprises. Or, ainsi qu’il résulte du considérant 236 de la Décision, la Commission a bel et bien tenu compte du chiffre d’affaires mondial réalisé pour le produit considéré afin de tenir compte de l’importance relative des entreprises sur le marché en cause. En effet, ainsi que cela a déjà été constaté aux points 77 et 78 ci-dessus, la Commission a considéré que, pour appliquer un traitement différencié afin de tenir compte de la capacité économique réelle des auteurs de l’infraction à causer un dommage important à la concurrence et de fixer l’amende à un niveau qui lui assure un effet suffisamment dissuasif, elle a choisi de se fonder sur les chiffres d’affaires réalisés par les parties concernées par la vente d’acide citrique au niveau mondial au cours de la dernière année de la période infractionnelle, à savoir l’année 1995.
115 En l’espèce, il s’agit d’un cartel mondial réunissant des entreprises qui détiennent une très grande part du marché du produit pertinent au niveau mondial. En outre, le cartel porte sur la fixation des prix et sur la répartition du marché par l’attribution de quotas de vente. Dans un tel cas, dans le cadre du traitement différencié entre les entreprises concernées, la Commission peut valablement s’appuyer sur les chiffres d’affaires réalisés par les membres de cette entente par leur vente d’acide citrique au niveau mondial. En effet, l’objectif de ce traitement différencié étant d’évaluer la capacité économique effective des auteurs d’une infraction à causer un dommage à la concurrence par le comportement infractionnel et, donc, de tenir compte de leur poids spécifique au sein du cartel, la Commission n’a pas dépassé sa large marge d’appréciation en estimant que la part de marché mondial des membres respectifs de l’entente était une valeur indicative appropriée.
116 Par conséquent, le moyen tiré de la violation des lignes directrices doit être rejeté.
c) Sur la violation de l’obligation de motivation
117 Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’autorité communautaire, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, Rec. p. I‑9919, point 87).
118 Pour ce qui est d’une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l’obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire et son contexte, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, point 98 supra, point 54).
119 En l’espèce, la Commission a calculé le montant de l’amende à imposer à une entreprise sur la base de son chiffre d’affaires relatif au produit concerné, cependant elle n’a pas pris en compte le chiffre d’affaires relatif au produit concerné dans l’EEE, mais au niveau mondial (voir point 114 ci-dessus). Contrairement à ce qu’affirme ADM, la Commission n’était pas tenue de prendre en compte le chiffre d’affaires relatif au produit concerné dans l’EEE (voir point 111 ci-dessus). Par conséquent, il ne saurait lui être reproché de n’avoir pas indiqué les motifs pour lesquels elle ne s’est pas servie de ce facteur pour calculer le montant de l’amende à lui infliger.
120 Par conséquent, le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation doit également être rejeté.
C – Sur l’application d’un coefficient multiplicateur au montant de départ
1. Arguments des parties
121 ADM considère que l’application d’un coefficient multiplicateur de 2 au montant de départ (considérant 246 de la Décision) constitue une mesure manifestement disproportionnée, qui serait par ailleurs fondée sur un raisonnement erroné et violerait le principe d’égalité de traitement.
122 En premier lieu, ADM rappelle que, dans le cadre des procédures engagées aux États-Unis et au Canada pour violation des règles de la concurrence, elle a déjà payé des amendes [30 millions de dollars des États-Unis (USD) aux États-Unis et 2 millions de dollars canadiens (CAD) au Canada], indemnisé les consommateurs (83 millions de USD), versé quelque 34 millions de USD pour mettre fin au procès intenté contre elle par les actionnaires, déjà vu un des membres de son personnel être condamné à une peine d’emprisonnement aux États-Unis et adopté, à l’échelle mondiale, une politique de conformité aux règles de concurrence. Toutes ces sanctions et mesures rendraient inutile et disproportionnée l’imposition d’une nouvelle sanction à caractère dissuasif prise par la Commission.
123 En deuxième lieu, ADM fait valoir que, compte tenu de ce que les entreprises sont des entités économiques rationnelles, pour que l’amende ait effectivement un caractère dissuasif, il est seulement nécessaire qu’elle soit fixée à un niveau tel que son montant attendu dépasse le bénéfice tiré de l’infraction. Elle estime que, si les entreprises réalisent que la perte liée à la sanction annule le bénéfice de l’entente, l’amende aura déjà un effet dissuasif. Cette approche aurait été confirmée par la Cour dans l’arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra (point 108). Elle correspondrait également aux lignes directrices qui prescriraient (au point I A, quatrième alinéa) d’évaluer l’effet dissuasif par rapport à la capacité des participants à l’entente en cause à porter préjudice aux consommateurs et, par conséquent, exigeraient que tout bénéfice tiré d’une entente illégale soit pris en considération lors de la détermination de l’effet dissuasif approprié. Enfin, cette approche serait une notion commune à d’autres réglementations communautaires.
124 ADM ne conteste pas que le chiffre d’affaires global puisse être pris en compte pour le calcul de l’amende. Toutefois, le fait de conférer à celui-ci une importance démesurée aboutirait à une amende disproportionnée. La Commission se limiterait à cet égard à défendre la majoration appliquée par une comparaison en se référant au chiffre d’affaires d’ADM. Or, aucune explication rationnelle ne pourrait justifier que le calcul de la majoration à effet dissuasif ait été centré sur son chiffre d’affaires global. L’approche choisie par la Commission n’expliquerait aucunement pourquoi il fallait réduire à néant les bénéfices réalisés par ADM grâce à la vente de produits n’ayant aucune relation avec l’infraction en cause dans l’objectif de dissuader les parties concernées de poursuivre leurs activités au sein d’une entente portant sur l’acide citrique.
125 En troisième lieu, ADM réitère l’assertion selon laquelle une sanction dissuasive efficace devrait réduire à néant le profit attendu de l’entente (voir point 123 ci-dessus). Toutefois, soutient ADM, en l’espèce, c’était JBL qui avait réalisé les ventes annuelles dans l’EEE les plus élevées (77 millions d’euros) et a perçu le profit le plus élevé grâce à l’entente. Or, relève ADM, JBL ne s’est pas vu imposer de majoration dissuasive à ce stade du calcul des amendes. Par contraste, fait valoir ADM, avec des ventes annuelles dans l’EEE représentant 46 millions d’euros, elle a vu le montant de base de l’amende qui lui a été infligée doublé par la majoration de 21 millions d’euros appliqué au titre de la dissuasion. ADM en déduit que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement.
126 En quatrième lieu, ADM estime que la Commission ne peut valablement soutenir dans son mémoire en défense que, outre l’entente sur le marché de l’acide citrique, ADM avait participé simultanément à deux autres ententes. En effet, cet élément ne serait pas repris dans la Décision. Par ailleurs, dans chacune des décisions relatives à ces ententes, la Commission aurait appliqué un coefficient multiplicateur pour assurer un effet dissuasif à l’amende.
127 En cinquième lieu, ADM estime que la Décision est insuffisamment motivée sur ce point. ADM soutient en effet que la Commission a omis de préciser sur quelle base une majoration de cette ampleur pouvait être estimée nécessaire pour avoir un effet dissuasif. Elle se serait bornée à déclarer que des sociétés de taille plus importante devaient être frappées d’amendes plus élevées mais n’aurait pas indiqué les raisons pour lesquelles un doublement de l’amende était, en l’espèce, considéré comme adéquat pour ADM, ni si des facteurs tels que des sanctions déjà infligées et exerçant un effet dissuasif sur la recherche de profits à tirer de l’entente avaient été pris en compte. Or, selon ADM, la Commission était, en l’espèce, tenue d’exposer de façon claire les motifs justifiant l’adoption de la mesure en cause. En effet, soutient ADM, il n’existe pas d’affaires publiées dans lesquelles la Commission ait ajouté une majoration « suffisamment dissuasive » en tant que mesure supplémentaire dans la procédure de calcul des amendes. Par ailleurs, cette majoration représenterait une partie importante de l’amende finalement infligée à ADM.
128 La Commission conclut au rejet des moyens invoqués.
2. Appréciation du Tribunal
a) Sur la violation du principe de proportionnalité
129 En ce qu’ADM fait, en substance, valoir que, compte tenu de ce que les entreprises sont des entités économiques rationnelles et que, pour que l’amende ait effectivement un caractère dissuasif, il est seulement nécessaire qu’elle soit fixée à un niveau tel que son montant escompté dépasse le bénéfice tiré de l’infraction, il convient de rappeler que la dissuasion est l’une des principales considérations qui doit guider la Commission lors de la détermination du montant des amendes (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 173, et du 14 juillet 1972, BASF/Commission, 49/69, Rec. p. 713, point 38).
130 Or, si l’amende devait être fixée à un niveau qui se limiterait à annuler le bénéfice de l’entente, elle n’aurait pas d’effet dissuasif. Il peut en effet être raisonnablement présumé que des entreprises tiennent rationnellement compte, dans le cadre de leur calcul financier et de leur gestion, non seulement du niveau des amendes qu’elles risquent de se voir infliger en cas d’infraction, mais également du niveau de risque de détection de l’entente. De plus, si l’on réduisait la fonction de l’amende au simple anéantissement du profit ou du bénéfice escompté, on ne tiendrait pas compte à suffisance du caractère infractionnel du comportement en cause au vu de l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, en réduisant l’amende à une simple compensation du préjudice encouru, l’on négligerait, outre l’effet dissuasif qui ne peut viser que des comportements futurs, le caractère répressif d’une telle mesure par rapport à l’infraction concrète effectivement commise.
131 De même, dans le cas d’une entreprise qui, telle qu’ADM, est présente sur un grand nombre de marchés et dispose d’une capacité financière particulièrement importante, la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé sur le marché en cause peut ne pas suffire pour assurer un effet dissuasif de l’amende. En effet, plus une entreprise est grande et dispose de ressources globales lui donnant la capacité d’agir de façon indépendante sur le marché, plus elle doit être consciente de l’importance de son rôle quant au bon fonctionnement de la concurrence sur le marché. Partant, les circonstances de fait ayant trait à la puissance économique d’une entreprise qui s’est rendue coupable d’une infraction doivent être prises en considération lors de l’examen de la gravité de l’infraction. Par conséquent, la prise en compte du chiffre d’affaires global d’ADM pour calculer le montant de l’amende n’aboutit pas à une amende disproportionnée en l’espèce.
132 Par conséquent, il convient de rejeter le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité.
b) Sur la violation du principe d’égalité de traitement
133 Il convient de rappeler que, en vertu du principe d’égalité de traitement, la Commission ne peut traiter des situations comparables de manière différente ou des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).
134 ADM fait en substance valoir que, malgré un chiffre de vente d’acide citrique plus élevé (77 millions d’euros) que celui qu’elle-même a réalisé (46 millions d’euros), la Commission n’a pas imposé à JBL une majoration de l’amende telle que celle qui lui a été imposée.
135 À ce sujet, il y a lieu de souligner que l’application du coefficient multiplicateur a pour objectif d’assurer que l’amende présente un effet dissuasif même pour les entreprises d’une très grande taille. Or, le chiffre d’affaires réalisé en 2000 par JBL s’élevait à peine à 314 millions d’euros, alors que, pour ADM, il s’élevait à 13 936 millions d’euros. Par ailleurs, il convient également de tenir compte de ce que des très grandes entreprises, comme ADM, ont une responsabilité accrue quant au maintien de la libre concurrence sur les marchés sur lesquels elles sont présentes et disposent en règle générale d’infrastructures plus importantes en termes de conseil juridico-économique leur permettant d’apprécier le caractère infractionnel de leur comportement au regard du droit communautaire de la concurrence.
136 Par conséquent, le moyen tiré de la violation du principe d’égalité de traitement doit également être rejeté.
c) Sur la violation de l’obligation de motivation
137 En ce qu’ADM fait en substance valoir que la Commission n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles un doublement de l’amende était considéré comme adéquat, ni si des facteurs tels que les sanctions déjà infligées et exerçant un effet dissuasif sur la recherche de profits à tirer de l’entente avaient été pris en compte, il convient de renvoyer, tout d’abord, à la jurisprudence citée aux points 117 et 118 ci-dessus. Ensuite, il y a lieu de rappeler que la Commission a motivé l’application d’un coefficient multiplicateur, notamment, à l’amende calculée pour ADM par la nécessité d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif. La Commission s’est, à cet égard, appuyée sur les chiffres d’affaires mondiaux des parties concernées (considérants 50 et 241 de la Décision). Enfin, au considérant 246 de la Décision, elle a indiqué qu’elle considérait que l’application du coefficient multiplicateur de 2 était appropriée pour assurer un caractère dissuasif de l’amende qui devait être infligée à ADM.
138 En ce qui concerne, en particulier, l’importance du coefficient multiplicateur appliqué à ADM, la Commission pouvait se limiter à invoquer la taille de cette entreprise, telle qu’elle ressortait de façon approximative du chiffre d’affaires global réalisé par celle-ci, et à souligner la nécessité d’assurer le caractère dissuasif de l’amende. Il ne lui incombait pas, au titre de l’obligation de motivation, d’indiquer les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul sous-jacent à ce choix (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 80).
139 Dès lors, la Commission a suffisamment motivé la Décision sur ce point et le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation doit également être rejeté.
D – Sur l’existence d’erreurs d’appréciation relatives à l’impact concret de l’entente sur le marché
1. Introduction
140 Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire et son contexte, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, point 98 supra, point 54 ; arrêts Ferriere Nord/Commission, point 98 supra, point 33, et HFB e.a./Commission, point 98 supra, point 443). Dans ce contexte, l’impact concret de l’entente sur le marché concerné peut être pris en compte comme l’un des critères pertinents.
141 Dans ses lignes directrices (point 1 A, premier alinéa), la Commission a indiqué que, pour évaluer la gravité d’une infraction, elle prend en considération, outre la nature propre de cette infraction et l’étendue du marché géographique concerné, « l’impact concret [de l’infraction] sur le marché lorsqu’il est mesurable ».
142 En ce qui concerne le cas d’espèce, il ressort des considérants 210 à 230 de la Décision que la Commission a effectivement fixé le montant de l’amende, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, en tenant compte de ces trois critères. En particulier, elle a, dans ce contexte, considéré que l’entente a eu un « effet réel » sur le marché de l’acide citrique (considérant 230 de la Décision).
143 Or, selon ADM, dans ce contexte, la Commission a commis plusieurs erreurs d’appréciation dans l’évaluation de l’impact concret de l’entente sur le marché de l’acide citrique. Selon ADM, ces erreurs affectent le calcul du montant des amendes.
2. En ce que la Commission aurait choisi une approche erronée pour démontrer que l’entente avait eu un impact concret sur le marché
a) Arguments des parties
144 ADM fait, en substance, valoir que la Commission a choisi une approche erronée pour démontrer que l’infraction avait eu un impact concret sur le marché.
145 ADM reproche à la Commission de ne pas avoir établi l’impact concret de l’entente sur le marché de l’acide citrique. Elle relève que, au considérant 211 de la Décision, la Commission a elle-même déclaré que l’écart entre les prix qui ont réellement été pratiqués et ceux qui auraient été appliqués en l’absence d’entente ne pouvait pas être mesuré d’une manière fiable. Dans une telle situation, au lieu de présenter, à tout le moins, une théorie défendable sur le plan économique de ce qui se serait passé si l’entente n’avait pas existé, la Commission se serait limitée à invoquer des suppositions en ce sens que la mise en œuvre des accords de l’entente avait dû produire des effets sur le marché concerné.
146 ADM estime que, malgré le fait que, au cours de la procédure administrative, ADM a soumis à la Commission un rapport d’experts daté du 30 juin 2000, mentionné, en particulier, aux considérants 222 et 223 de la Décision et auquel ADM a fait référence dans sa réponse à la communication des griefs et dans lequel il était démontré que l’entente n’avait pas eu d’effet sur le marché pertinent (ci-après le « rapport d’experts »), la Commission n’a pas procédé à une analyse économique appropriée des données fournies. ADM relève que le rapport d’experts indiquait ce qui suit :
« En conséquence, les contraintes entravant les capacités et la demande excédentaire, suivies de fournitures de plus en plus concurrentielles provenant des importations chinoises d’acide citrique, jointes à d’importantes augmentations de capacité entreprises par divers producteurs, fournissent une explication convaincante du comportement des prix de 1991 à 1995 [...] Le fait que pendant la période de l’infraction les prix n’aient pas atteint les niveaux du milieu des années 1980, malgré une demande excédentaire, joint à la circonstance que les producteurs participant à l’entente n’étaient pas en mesure de contrôler les capacités ou l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché, implique qu’il y a lieu de rejeter l’hypothèse selon laquelle les producteurs contrôlaient efficacement les prix de l’acide citrique pendant cette période. »
147 ADM fait observer que, au considérant 226 de la Décision, la Commission a elle-même admis que les explications des hausses de prix de 1991 et 1992, fournies, notamment, par ADM, « [pouvaient] avoir une certaine validité ». Toutefois, critique ADM, la Commission s’est contentée d’affirmer qu’il ne saurait être exclu que l’entente ait eu un effet sur le marché.
148 Premièrement, selon ADM, il s’ensuit que la Commission n’a pas établi que l’entente avait eu un impact concret sur le marché pouvant être mesuré, au sens des lignes directrices, mais a au contraire illégalement renversé la charge de la preuve.
149 Deuxièmement, ADM considère qu’il en découle que la Commission a commis une erreur de droit en déclarant que les fluctuations des prix sont nécessairement compatibles avec une entente efficace. En effet, en se fondant sur une telle déclaration, purement abstraite, la Commission n’aurait pas pris en considération le contexte de l’industrie ni les facteurs étayant la conclusion selon laquelle, pour les raisons exposées de façon détaillée dans le rapport d’experts, les prix n’avaient pas augmenté au-delà des niveaux fixés par l’entente.
150 Troisièmement, ADM estime que la Commission s’est trompée en émettant l’avis selon lequel des majorations de prix à court terme procèdent nécessairement d’une entente efficace. Il y aurait en effet un certain nombre de secteurs de produit compétitifs qui, confrontés à pareilles insuffisances de capacité et à une demande excédentaire analogue, auraient pratiqué des majorations de prix de 40 % ou plus durant un court laps de temps.
151 En outre, ADM fait valoir que, pour démontrer que l’entente a eu un impact concret sur le marché concerné, la Commission ne pouvait valablement s’appuyer sur les circonstances que les membres de l’entente représentaient 60 % du marché mondial et 70 % du marché européen de l’acide citrique et que ceux-ci étaient impliqués dans une entente longue et complexe.
b) Appréciation du Tribunal
152 Au vu des griefs formulés par ADM quant à l’approche même choisie par la Commission pour démontrer que l’entente a eu un impact concret sur le marché de l’acide citrique, il convient de résumer l’analyse effectuée par la Commission, telle qu’elle ressort des considérants 210 à 228 de la Décision, avant de se prononcer sur le bien-fondé des arguments invoqués par ADM.
Résumé de l’analyse effectuée par la Commission
153 Tout d’abord, la Commission a observé que « [l]’infraction a été commise par des entreprises qui, pendant la période considérée, représentaient plus de 60 % du marché mondial et 70 % du marché européen de l’acide citrique » (considérant 210 de la Décision).
154 Ensuite, la Commission a affirmé que, « [c]omme ces accords ont effectivement été mis en oeuvre, ils ont eu des effets réels sur le marché » (considérant 210 de la Décision). Au considérant 212 de la Décision, en se référant à la partie de sa Décision relative à la description des faits, la Commission a réitéré l’argument selon lequel les accords de l’entente avaient été « minutieusement mis en œuvre » et a ajouté qu’« un des participants [avait] déclaré ‘être surpris par le niveau de formalisme et d’organisation atteint par les participants pour parvenir à cet accord’ ». De même, au considérant 216 de la Décision, elle a noté que, « [e]u égard aux considérations qui précèdent et aux efforts déployés par chaque participant pour l’organisation complexe de l’entente, l’efficacité de sa mise en œuvre ne peut être mise en doute ».
155 En outre, la Commission a estimé qu’il n’était pas nécessaire « de quantifier précisément l’écart de ces prix par rapport à ceux qui auraient pu être appliqués en l’absence de ces accords » (considérant 211 de la Décision). En effet, la Commission a soutenu que « cet écart ne peut toujours être mesuré d’une manière fiable : un certain nombre de facteurs extérieurs peuvent simultanément avoir affecté l’évolution des prix du produit, ce qui rend extrêmement périlleuse toute conclusion sur l’importance relative de toutes les causes possibles » (ibidem). Néanmoins, au considérant 213 de la Décision, elle a décrit l’évolution des prix de l’acide citrique du mois de mars 1991 à l’année 1995 en notant en substance que, entre le mois de mars 1991 et le milieu de l’année 1993, les prix de l’acide citrique avaient augmenté de 40 % et que, après cette date, ils avaient en substance été maintenus à ce niveau. De même, aux considérants 214 et 215 de la Décision, elle a rappelé que les membres de l’entente avaient fixé des quotas de vente et avaient conçu et appliqué des mécanismes d’information, de surveillance et de compensation pour assurer l’application des quotas.
156 Enfin, aux considérants 217 à 228 de la Décision, la Commission a résumé, analysé et rejeté certains arguments invoqués par les parties concernées au cours de la procédure administrative. En particulier, elle a résumé le rapport d’experts selon lequel l’évolution des prix constatée se serait produite de toute façon même en l’absence d’entente. Au considérant 226 de la Décision, la Commission a pourtant estimé, dans les termes suivants, que les arguments avancés par ADM, en s’appuyant sur le rapport d’experts, ainsi que les arguments invoqués par d’autres parties, ne pouvaient pas être retenus :
« Les explications des hausses de prix de 1991-1992 fournies par ADM, [H & R et JBL] peuvent avoir une certaine validité, mais elles ne démontrent pas d’une manière convaincante que la mise en oeuvre de l’entente n’aurait pu jouer aucun rôle dans les fluctuations de prix. Si les phénomènes décrits peuvent se produire en l’absence d’une entente, ils cadrent aussi parfaitement avec son existence. La hausse des prix de l’acide citrique de 40 % en quatorze mois ne peut s’expliquer exclusivement par une réaction purement concurrentielle, mais doit être interprétée à la lumière des accords conclus entre les participants pour coordonner les hausses de prix et s’attribuer des parts de marché, ainsi que pour mettre en place un système d’information et de surveillance. Tous ces éléments auront contribué au succès des hausses de prix. »
Appréciation
157 Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon les termes du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, dans son calcul de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission tient compte, notamment, de « l’impact concret [de l’infraction] sur le marché lorsqu’il est mesurable ».
158 À cet égard, il y a lieu d’analyser la signification exacte des termes « lorsqu’il [c’est-à-dire l’impact concret] est mesurable ». En particulier, il s’agit de déterminer si, au sens de ces termes, la Commission peut uniquement tenir compte de l’impact concret d’une infraction dans le cadre de son calcul des amendes si, et dans la mesure où, elle est en mesure de quantifier cet impact.
159 Ainsi que la Commission l’a allégué à juste titre, l’examen de l’impact d’une entente sur le marché implique nécessairement le recours à des hypothèses. Dans ce contexte, la Commission doit notamment examiner quel aurait été le prix du produit en cause en l’absence d’entente. Or, dans l’examen des causes de l’évolution réelle des prix, il est hasardeux de spéculer sur la part respective de chacune de ces dernières. Il convient de tenir compte de la circonstance objective que, en raison de l’entente sur les prix, les parties ont précisément renoncé à leur liberté de se concurrencer par les prix. Ainsi, l’évaluation de l’influence résultant de facteurs autres que cette abstention volontaire des parties à l’entente est nécessairement fondée sur des probabilités raisonnables et non quantifiables avec précision.
160 Dès lors, à moins d’ôter au critère du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices son effet utile, il ne saurait être reproché à la Commission de s’être appuyée sur l’impact concret d’une entente sur le marché ayant un objet anticoncurrentiel, telle qu’une entente sur les prix ou bien sur des quotas, sans quantifier cet impact ou sans fournir une appréciation chiffrée à ce sujet.
161 Par conséquent, l’impact concret d’une entente sur le marché doit être considéré comme suffisamment démontré si la Commission est en mesure de fournir des indices concrets et crédibles indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l’entente a eu un impact sur le marché.
162 En l’espèce, il résulte du résumé de l’analyse effectuée par la Commission (voir points 153 à 156 ci-dessus) que celle-ci s’est appuyée sur deux indices pour conclure à l’existence d’un « effet réel » de l’entente sur le marché. En effet, d’une part, elle a invoqué que les membres de l’entente ont minutieusement mis en œuvre les accords de l’entente (voir, notamment, considérants 210, 212, 214 et 215) et que, pendant la période considérée, ces membres représentaient plus de 60 % du marché mondial et 70 % du marché européen de l’acide citrique (considérant 210 de la Décision). D’autre part, elle a estimé que les données fournies par les parties au cours de la procédure administrative montraient une certaine concordance entre les prix fixés par l’entente et ceux réellement pratiqués par les membres de l’entente (considérant 213 de la Décision).
163 Même s’il est vrai que les termes utilisés aux considérants 210 et 216 de la Décision pourraient, à eux seuls, être compris comme suggérant que la Commission s’est fondée sur une relation de cause à effet entre la mise en œuvre d’une entente et son impact concret sur le marché, il n’en reste pas moins qu’une lecture d’ensemble de l’analyse de la Commission démontre que, contrairement à ce qu’affirme ADM, la Commission ne s’est pas limitée à déduire de la mise en œuvre de l’entente l’existence d’effets réels de celle-ci sur le marché.
164 Outre l’existence d’une mise en œuvre « minutieuse » des accords de l’entente, elle s’est appuyée sur l’évolution des prix de l’acide citrique pendant la période concernée par l’entente. En effet, au considérant 213 de la Décision, elle a décrit les prix de l’acide citrique entre 1991 et 1995 tels qu’ils avaient été fixés entre les membres de l’entente, annoncés aux clients et, dans une large mesure, appliqués par les parties. Il sera examiné ci-après si, comme le soutient ADM, la Commission a commis des erreurs dans l’appréciation des éléments factuels sur lesquels elle a basé ses conclusions. Cela étant, ainsi qu’il a déjà été jugé au point 160 ci-dessus, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir cherché à quantifier l’importance de l’impact de l’entente sur le marché ou à fournir une appréciation chiffrée à ce sujet.
165 Dans ce contexte, il ne saurait non plus être reproché à la Commission de considérer que la circonstance que les membres de l’entente représentaient une partie très importante du marché de l’acide citrique (60 % du marché mondial et 70 % du marché européen) constitue un facteur important dont elle doit tenir compte pour examiner l’impact concret de l’entente sur le marché. Il ne peut en effet être nié que la probabilité de l’efficacité d’une entente de fixation des prix et de quotas de vente s’accroît avec l’importance des parts de marché que se partagent les membres de cette entente. S’il est vrai que, à elle seule, cette circonstance n’établit pas l’existence d’un impact concret, il n’en reste pas moins que, dans la Décision, la Commission n’a nullement établi une telle relation de cause à effet, mais en a uniquement tenu compte comme d’un élément parmi d’autres.
166 Par ailleurs, la Commission a valablement pu considérer que le poids de cet indice s’accroît avec la durée de l’entente. En effet, eu égard aux frais d’administration et de gestion liés au bon fonctionnement d’une entente complexe portant, comme celle en l’espèce, sur la fixation de prix, la répartition des marchés et l’échange d’informations compte tenu des risques inhérents à de telles activités illicites, la Commission a raisonnablement pu estimer que le fait que les entreprises ont fait perdurer l’infraction pendant une longue période indique que les membres de l’entente ont tiré un certain bénéfice de cette entente et, partant, qu’elle a eu un impact concret sur le marché concerné.
167 Enfin, la circonstance que, au considérant 226 de la Décision, la Commission a admis que l’analyse dans le rapport d’experts pouvait avoir une « certaine validité » tout en estimant, néanmoins, qu’elle ne démontrait pas d’une manière convaincante que la mise en œuvre de l’entente n’a joué aucun rôle dans les fluctuations des prix de l’acide citrique ne constitue pas un renversement de la charge de la preuve. Ce passage de l’analyse démontre plutôt que la Commission a soigneusement soupesé les différents arguments en faveur et à l’encontre de l’existence d’un impact concret de l’entente.
168 Il découle de tout ce qui précède que la Commission n’a pas adopté une approche erronée pour apprécier l’impact concret de l’entente sur le marché de l’acide citrique.
3. En ce qui concerne l’appréciation de l’évolution des prix de l’acide citrique
a) Arguments des parties
169 ADM fait valoir que les preuves avancées par la Commission quant à la mise en œuvre de l’entente sont limitées et n’établissent pas l’existence d’un impact concret.
170 En premier lieu, ADM conteste la valeur probante de l’analyse de la Commission quant à l’évolution des prix de l’acide citrique. ADM critique en effet le fait que la Commission a limité son analyse aux prix annoncés et n’a pas examiné les prix réellement facturés. Or, souligne ADM, en réalité, la majorité des prix pratiqués par elle à l’égard de ses clients se sont situés au-dessous du prix stipulé par l’entente pendant toute la période en cause. De même, Cerestar et JBL auraient, elles aussi, déclaré ne pas s’être souciées de la fixation des prix convenus (considérant 217 de la Décision). ADM ajoute que les données concernant les ventes mensuelles moyennes en Europe, fournies à la Commission par ADM, H & R et JBL [voir considérant 95 de la Décision ainsi que les lettres de JBL du 28 septembre 1998, de H & R (Bayer) du 23 septembre 1997 et d’ADM du 5 décembre 1997], étayent également la conclusion selon laquelle les prix effectivement pratiqués étaient généralement inférieurs aux prix convenus.
171 En outre, ADM attire l’attention sur plusieurs extraits de rapports de vente de H & R établis entre le mois de mars 1991 et le mois de septembre 1994, dont il ressort, à son avis, qu’une pression continue a été exercée sur les prix pendant toute la période en cause.
172 Par ailleurs, souligne ADM, cette conclusion est confirmée par ce qu’ont rapporté des clients au sujet de la fixation concurrentielle des prix.
173 ADM relève que, aux considérants 91, 116 et 217 à 226 de la Décision, la Commission a admis que, pendant la période comprise à tout le moins entre la moitié de l’année 1993 et le mois de mai 1995, il y a eu sur une grande échelle une tricherie au regard des engagements résultant de l’entente, qui a eu un impact direct sur les prix fixés par l’entente, et que, face aux importations chinoises, il n’était pas possible de respecter ces prix.
174 En deuxième lieu, ADM conteste la valeur probante de l’analyse de la Commission quant aux quotas de vente. ADM critique en effet le fait que la Commission ait limité son analyse aux quotas convenus et à la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de compensation et n’ait pas examiné les quantités d’acide citrique effectivement vendues par les différentes parties concernées.
175 À ce sujet, ADM fait observer, premièrement, qu’il ressort du considérant 97 de la Décision, et cela se trouve confirmé par le rapport d’experts, que l’accroissement rapide de la demande, surtout en 1991-1992, a rendu inopérant le système de fixation de quotas de tonnage, que les parties ont abandonné après deux mois le système de fixation des quotas en termes de tonnage dont elles étaient convenues lors de leur réunion du 6 mars 1991, qu’elles lui ont substitué un système de quotas basé sur un pourcentage des ventes et que ce système mettait chaque participant en mesure de survendre de considérables tonnages d’années antérieures pour tirer profit de l’accroissement de la demande.
176 Deuxièmement, ADM remarque qu’il ressort des considérants 106 et 107 de la Décision et du rapport d’experts (paragraphes 35 à 40) que, chaque année, les ventes réalisées par les parties ont dépassé leurs quotas ou leur ont été inférieures, ce qui a suscité d’incessants différends. JBL aurait même déclaré, sans être contredite par la Commission, « qu’elle ne s’[était] jamais souciée en pratique des parts de marché initialement convenues ». Le fait pour les parties à l’entente de ne pas en avoir respecté les termes serait compatible avec les accroissements de capacité réalisés sans contrainte par ADM, JBL et HLR pendant la période en cause.
177 Troisièmement, ADM souligne qu’il ressort du considérant 106 de la Décision que les systèmes de compensation et de surveillance n’avaient pas l’efficacité voulue pour obliger les parties à respecter leurs quotas et constituaient une cause importante de litiges au sein de l’entente.
178 ADM fait valoir que, dans des affaires comparables, la Commission a estimé que le non-respect des clauses de l’accord créant l’entente avait abouti à un impact limité. Ainsi, dans sa décision dans l’affaire dite « Transbordeurs grecs », la Commission aurait admis que l’octroi de remises sur le prix convenu dans le cadre de l’entente l’avait conduite à la conclusion que l’impact réel sur le marché était limité et, dans sa décision dans l’affaire dite « Compagnies de ferries – Surtaxes monétaires », que la résistance des clients aux majorations de prix l’avait menée à la conclusion de l’existence d’un impact limité sur le marché en cause. ADM estime qu’une importance similaire aurait dû être reconnue en l’espèce à la preuve de remises sur les prix fixés par l’entente et du manque de respect des quotas convenus.
179 La Commission rejette l’argumentation d’ADM.
b) Appréciation du Tribunal
180 Il est de jurisprudence constante que, aux fins du contrôle de l’appréciation portée par la Commission sur l’impact concret de l’entente sur le marché, il importe surtout d’examiner son appréciation quant aux effets produits par l’entente sur les prix [voir arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 41 supra, point 148, et, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, Rec. p. II‑925, point 173, et Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 225].
181 En outre, la jurisprudence rappelle que, lors de la détermination de la gravité de l’infraction, il y a lieu de tenir compte, notamment, du contexte réglementaire et économique du comportement incriminé (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 612, et Ferriere Nord/Commission, point 98 supra, point 38) et que, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir, en ce sens, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 619 et 620 ; arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 180 supra, point 235, et arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 645).
182 D’une part, il en résulte que, dans le cas d’ententes portant sur les prix, il doit être constaté – avec un degré de probabilité raisonnable (voir point 161 ci-dessus) – que les accords ont effectivement permis aux parties concernées d’atteindre un niveau de prix supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence d’entente. D’autre part, il en découle que, dans le cadre de son appréciation, la Commission doit prendre en compte toutes les conditions objectives du marché concerné, eu égard au contexte économique et éventuellement réglementaire qui prévaut. Il ressort des arrêts du Tribunal rendus dans l’affaire relative au cartel du carton (voir, notamment, arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 180 supra, points 234 et 235) qu’il convient de tenir compte de l’existence, le cas échéant, de « facteurs économiques objectifs » faisant ressortir que, dans le cadre d’un « libre jeu de la concurrence », le niveau des prix n’aurait pas évolué de manière identique à celui des prix pratiqués [voir, également, arrêts Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 41 supra, points 151 et 152, et Cascades/Commission, point 180 supra, points 183 et 184].
183 Dans le cas d’espèce, en se fondant sur des documents fournis par ADM et JBL au cours de la procédure administrative, la Commission a analysé l’évolution des prix de l’acide citrique entre mars 1991 et 1995 ainsi que, comme mesures corollaires visant à maintenir la pression à la hausse sur les prix, la fixation des quotas de vente et l’institution d’un système de compensation.
184 Au considérant 213 de la Décision, la Commission a décrit comme suit l’évolution des prix de l’acide citrique, tels que convenus et appliqués par les membres de l’entente :
« De mars 1991 au milieu de 1993, les prix convenus entre les membres de l’entente ont été annoncés aux clients et très largement mis en oeuvre, en particulier pendant les premières années de l’entente. La hausse de prix à 2,25 [marks allemands (DEM)] le kilo (CAA) en avril 1991, décidée lors de la réunion de l’entente de mars 1991, a été facilement appliquée. Elle a été suivie par la décision, prise par téléphone en juillet, de porter le prix à 2,70 DEM par kilo (CAA) pour le mois d’août. Cette hausse de prix a également pu être appliquée avec succès. La décision finale de porter le prix à 2,80 DEM par kilo (CAA) a été prise à la réunion de mai 1991 et appliquée en juin 1992. Après cette date, les prix n’ont plus été majorés et l’entente s’est concentrée sur la nécessité de maintenir ces prix. »
185 De même, la Commission a rappelé que, pendant les années 1991 à 1994, les membres de l’entente avaient fixé des quotas de vente sous forme de tonnage fixe et précis attribué à chaque membre de l’entente soumis à un système de contrôle. La Commission a noté que ces quotas avaient effectivement été appliqués et que le respect des instructions avait constamment été surveillé. Par ailleurs, la Commission a rappelé que les membres de l’entente étaient convenus d’un mécanisme de compensation, et l’avaient effectivement appliqué, visant à sanctionner les membres de l’entente qui vendraient des tonnages supérieurs à ceux qui leur avaient été attribués dans le cadre des quotas de vente et d’offrir une compensation à ceux qui ne les atteindraient pas (considérants 214 et 215 de la Décision, avec renvoi à la partie « faits » de la Décision).
186 ADM ne conteste pas en tant que telles les constatations factuelles faites par la Commission quant à l’évolution des prix et à la fixation des quotas de vente mais se limite en substance à invoquer que, en réalité, les prix et les quotas n’avaient pas été entièrement suivis.
187 Ainsi, en ce qui concerne l’évolution du prix de l’acide citrique, ADM relève que, selon plusieurs communications adressées à la Commission au cours de la procédure administrative ainsi que selon le rapport d’experts, la majorité des prix réellement pratiqués se sont situés en dessous des prix convenus.
188 Toutefois, il résulte des chiffres fournis par ADM qu’il y avait un parallélisme permanent entre les prix fixés et ceux réellement pratiqués. En particulier, selon ces chiffres, lorsque, entre le mois de mars 1991 et le mois de mai 1992, les membres de l’entente ont décidé d’augmenter les prix pour l’acide citrique utilisé dans le secteur de l’alimentation de 2,25 DEM par kilo à environ 2,8 DEM par kilo, les prix effectivement demandés aux clients, qui se situaient en avril 1991 entre 1,9 et 2,1 DEM par kilo, avaient augmenté pour se situer entre 2,3 et 2,7 DEM par kilo. De même, il résulte de ces chiffres que, pendant toute la période où les membres de l’entente avaient fixé le niveau des prix à 2,8 DEM par kilo, les prix effectivement demandés aux clients étaient restés par la suite de façon permanente au-dessus des prix pratiqués avant la hausse des prix en 1991 et 1992.
189 Le fait que les parties n’ont pas respecté leur accord et n’ont pas entièrement appliqué les prix convenus n’implique pas que, ce faisant, elles ont appliqué des prix qu’elles auraient pu pratiquer en l’absence d’entente. Comme la Commission l’a souligné à bon droit au considérant 219 de la Décision, le Tribunal a déjà jugé, dans le cadre de l’appréciation des circonstances atténuantes, qu’une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit (arrêt Cascades/Commission, point 180 supra, point 230). Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 226 de la Décision, l’entente a permis à ses membres de coordonner l’évolution des prix sur le marché.
190 Il en va de même pour la prétendue inefficacité du système de quotas de vente. À cet égard, ADM se limite à arguer que, au cours de la période de l’entente, le système avait été modifié de sorte qu’il permettait à chaque membre de l’entente de vendre des tonnages plus importants que ceux qui lui avaient été attribués pour tirer profit de l’accroissement de la demande. Or, cette argumentation ne saurait aboutir. Elle n’est pas de nature à démontrer que les tonnages effectivement vendus par les membres de l’entente correspondaient à ceux qu’ils auraient vendus en l’absence d’entente et que le système, même appliqué de façon moins efficace que celui prévu par les parties, n’exerçait pas une pression sur les prix. Par ailleurs, il ne peut être exclu que les prix aient évolué de façon encore plus accentuée en l’absence d’entente empêchant les parties de se concurrencer par les prix.
191 Eu égard à ce qui précède, la Commission pouvait valablement considérer qu’elle disposait d’éléments concrets et crédibles indiquant que les prix de l’acide citrique pratiqués dans le cadre de l’entente ont, selon une probabilité raisonnable, été plus élevés que ceux qui auraient prévalu en l’absence d’entente.
192 À supposer même, comme ADM le fait valoir en s’appuyant sur l’analyse économique contenue dans le rapport d’experts, que les prix pratiqués par les membres de l’entente aient été largement identiques à ceux qui auraient prévalu en l’absence d’entente, il n’en reste pas moins que la Commission pouvait à juste titre affirmer, au considérant 226 de la Décision, que l’entente avait permis aux membres de l’entente de coordonner l’évolution des prix. Ainsi, même si l’évolution des prix a été largement favorisée par le jeu du marché de sorte qu’il ne saurait être soutenu que le niveau des prix a évolué de manière identique à celui des prix pratiqués, il n’en reste pas moins que les parties ont au moins pu coordonner l’évolution des prix.
193 Par conséquent, l’argumentation d’ADM ne saurait être suivie.
4. En ce qui concerne la définition du marché de produits pertinent
a) Arguments des parties
194 ADM estime que la Commission a commis des erreurs dans la définition du marché pertinent. Or, elle souligne que la définition du marché pertinent est nécessaire pour mesurer l’impact de l’entente sur ce marché et que, dès lors, ces erreurs avaient un impact sur le calcul de l’amende. En effet, soutient ADM, la définition du marché de produits pertinent constitue une partie essentielle de l’analyse à effectuer obligatoirement par la Commission si celle-ci entend prendre en compte l’impact économique mesurable de l’entente sur le marché de produits pertinent en déterminant le montant d’une amende. À défaut de cette analyse, la conclusion de la Commission concernant l’existence d’un impact se réduirait à une appréciation théorique des effets sur la concurrence potentiellement liés à des mesures restrictives, ce qui ne serait pas une analyse des effets anticoncurrentiels observés à la suite de l’infraction étayée par des indications concrètes (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 4866).
195 ADM soutient qu’il résulte des considérants 8 à 14 de la Décision que l’acide citrique a des produits de substitution pour plus de 90 % de ses applications. De même, ADM fait valoir qu’il ressort du rapport d’expert que le « marché de produit pertinent pour une analyse antitrust est l’acide citrique avec des phosphates et, très probablement aussi, des acides minéraux ». En outre, d’autres producteurs d’acide citrique se seraient également exprimés en ce sens au cours de la procédure administrative. Enfin, ADM fait valoir que la substituabilité de l’acide citrique par d’autres produits est également expliquée dans un rapport de R. Bradley, H. Janshekar et Y. Yoshikawa, intitulé « CEH Marketing Research Report, Citric Acid » et publié, en 1996, par « Chemical Economics Handbook – SRI International » (ci-après le « rapport CEH »), rapport sur lequel la Commission s’est elle-même appuyée dans sa Décision (voir, notamment, considérant 72).
196 Toutefois, ADM souligne que, en dépit de ces faits, la Commission s’est abstenue d’examiner s’il y avait lieu de considérer le produit acide citrique en lui-même comme un marché économique pertinent ou s’il convenait de l’envisager comme faisant partie d’un marché plus vaste, englobant lesdits produits de substitution.
197 La Commission rejette l’argumentation d’ADM.
b) Appréciation du Tribunal
198 Il convient de constater tout d’abord que, dans la Décision, la Commission n’a pas analysé si le marché du produit en cause devait être limité à l’acide citrique ou s’il devait être appréhendé, comme l’affirme ADM, de façon plus large, englobant des produits de substitution de celui-ci. Sous les titres « Produit en cause » (considérants 4 à 14 de la Décision) et « Marché de l’acide citrique » (considérants 38 à 53 de la Décision), la Commission s’est limitée à décrire les différentes applications de l’acide citrique ainsi que le volume du marché de l’acide citrique.
199 Or, dans le rapport d’experts qu’ADM a soumis à la Commission au cours de la procédure administrative, le marché de produits en cause est analysé et défini comme étant plus vaste, englobant des produits de substitution, notamment les phosphates et acides minéraux. Néanmoins, dans la Décision, la Commission n’a pas examiné les arguments d’ADM relatifs à la nécessité de recourir à une définition plus large du marché du produit pertinent.
200 Cela étant, il convient de considérer que l’argumentation d’ADM serait uniquement susceptible de prospérer si celle-ci démontre que, si la Commission avait défini le marché de produits en cause en conformité avec les affirmations d’ADM, elle aurait dû constater que l’infraction n’avait pas eu d’impact sur le marché défini comme étant celui de l’acide citrique et de ses substituts. En effet, ainsi qu’il a été jugé au point 161 ci-dessus, c’est uniquement dans une telle circonstance que la Commission n’aurait pas pu s’appuyer sur le critère de l’impact concret de l’entente sur le marché pour asseoir son calcul de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction.
201 Or, face à l’analyse de l’évolution des prix et des quotas de vente, effectuée par la Commission aux points 213 et suivants de la Décision, ADM n’est pas parvenue à démontrer ni même à avancer des éléments qui, assemblés, constitueraient un faisceau d’indices cohérent montrant, avec une probabilité raisonnable, que l’impact de l’entente relative à l’acide citrique sur le marché plus large englobant les substituts de l’acide citrique aurait été inexistant ou, à tout le moins, négligeable. Même dans le rapport d’experts, alors qu’il postule que le marché devrait être défini de façon plus large, l’analyse quant à la prétendue absence d’influence de l’entente sur l’évolution du prix se limite au seul marché de l’acide citrique.
202 Enfin, ADM invoque à tort le point 4866 de l’arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 194 supra. En effet, s’il est vrai que, à cet endroit de l’arrêt, le Tribunal a considéré que la Commission se devait de procéder à une analyse fondée sur des indications concrètes et ne saurait se limiter à des appréciations théoriques, il n’en reste pas moins que ce passage de l’arrêt ne concernait pas la définition du marché de produits en cause, mais les effets réels de l’infraction sur le marché en tant que tels.
203 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la définition erronée du marché de produits en cause.
204 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure qu’ADM n’a pas établi que la Commission a commis des erreurs manifestes d’appréciation quant à l’impact concret de l’entente sur le marché.
IV – Sur la durée de l’infraction
205 ADM rappelle que, aux considérants 91, 116 et 217 à 226 de la Décision, la Commission a admis que, pendant la période comprise à tout le moins entre le milieu de l’année 1993 et mai 1995, il y a eu une tricherie de grande échelle quant aux engagements, qui a eu un impact direct sur les prix fixés par l’entente, et que, face aux importations chinoises, il n’était pas possible de respecter ces prix (voir point 173 ci-dessus).
206 Dans ce contexte, ADM fait valoir que la Commission ne pouvait pas appliquer à ADM la majoration de 10 % par année infractionnelle (considérant 249 de la Décision). En effet, ce faisant, la Commission a, selon ADM, violé le principe de proportionnalité et d’égalité de traitement dès lors qu’elle s’est ainsi écartée de sa pratique décisionnelle [décision 98/273/CE de la Commission, du 28 janvier 1998 relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/35.733 – VW) (JO L 124, p. 60)] d’imposer une majoration moindre pour les périodes durant lesquelles l’accord n’a pas été respecté ou n’a pas été mise en œuvre.
207 La Commission conclut au rejet du moyen.
208 Le Tribunal rappelle que, au point B des lignes directrices, la Commission a indiqué que, en ce qui concerne les infractions de moyenne durée, à savoir, en général, les infractions qui ont perduré de un à cinq ans, elle pourrait augmenter le montant de l’amende retenu pour la gravité de l’infraction jusqu’à atteindre 50 %.
209 En l’espèce, au considérant 249 de la Décision, la Commission a constaté qu’ADM a commis l’infraction pendant quatre ans, soit une durée moyenne au sens des lignes directrices, et elle a augmenté l’amende en raison de sa durée de 40 %. Il en ressort que la Commission a respecté les règles qu’elle s’est imposées dans les lignes directrices. De plus, le Tribunal estime que cette augmentation de 40 % eu égard à la durée de l’infraction n’est, en l’espèce, pas manifestement disproportionnée.
210 En ce qu’ADM invoque la décision de la Commission dans l’affaire VW (voir point 206 ci-dessus), il convient de constater que les faits dans cette autre affaire étaient différents de ceux de l’espèce. Il suffit en effet de constater qu’il s’agissait d’une entente qui a duré plus de dix ans et que, conformément à ses lignes directrices, la Commission avait utilisé un pourcentage par an pour augmenter l’amende et non pas, comme en l’espèce, un pourcentage unique. Par ailleurs, force est de constater que, contrairement à ce qu’affirme ADM, il ne résulte aucunement des considérants de la décision dans cette autre affaire que, à l’occasion de cette décision, la Commission aurait cherché à introduire une pratique générale qu’elle se devait de respecter dans toutes les décisions subséquentes.
211 Par conséquent, le moyen doit être rejeté.
V – Sur les circonstances aggravantes
A – Introduction
212 Aux considérants 267 et 273 de la Décision, la Commission a considéré que, avec HLR, ADM a joué le rôle d’un meneur de l’entente et a, dès lors, appliqué une majoration de 35 % au montant de l’amende de ces deux entreprises.
213 ADM conteste avoir été un meneur de l’entente et estime que la Commission ne pouvait valablement majorer le montant de l’amende comme elle l’a fait. Dans ce contexte, ADM soulève en substance quatre moyens relatifs à l’augmentation de l’amende au titre des circonstances aggravantes. Premièrement, ADM fait valoir que c’est à tort que la Commission l’a qualifiée de meneur de l’entente. Deuxièmement, ADM fait valoir que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en ce qu’elle a imposé à ADM le même taux de majoration qu’à HLR. Troisièmement, ADM considère que la Commission a violé les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en s’écartant de sa pratique décisionnelle quant au taux de majoration imputé à ADM. Quatrièmement, ADM fait valoir que la Décision est entachée d’une violation de l’obligation de motivation.
B – Sur la qualification d’ADM de meneur de l’entente
1. Introduction
214 Il résulte des considérants 263 à 266 de la Décision que, pour conclure que, avec HLR, ADM devait être considérée comme un meneur de l’entente, la Commission a invoqué en substance qu’ADM a joué un rôle déterminant dans l’établissement de l’entente ainsi qu’un rôle moteur dans le déroulement des différentes réunions de l’entente. À ce sujet, la Commission s’est basée sur trois éléments différents.
215 Premièrement, aux considérants 263 et 264 de la Décision, la Commission a invoqué le fait que, en janvier 1991, après avoir pénétré sur ce marché en décembre 1990, ADM a organisé plusieurs réunions bilatérales avec certains des principaux producteurs d’acide citrique, à savoir H & R, HLR et JBL (ci-après les « réunions bilatérales organisées par ADM en janvier 1991 »). Deuxièmement, au considérant 265 de la Décision, la Commission s’est appuyée sur une déclaration qu’un ancien représentant d’ADM qui a participé aux réunions de l’entente (ci-après l’« ancien représentant d’ADM ») a faite devant le FBI au cours de la procédure antitrust devant les autorités américaines telle qu’elle ressort d’un rapport établi par le FBI (ci-après le « rapport du FBI ») au sujet, notamment, du comportement qu’un autre représentant d’ADM qui avait également participé aux réunions de l’entente avait eu (ci-après l’« autre représentant d’ADM »). Troisièmement, au considérant 266 de la Décision, la Commission s’est référée à une déclaration faite par Cerestar au cours de la procédure administrative (ci-après la « déclaration de Cerestar »).
216 ADM reproche à la Commission d’avoir commis des erreurs dans l’appréciation de chacun de ces trois éléments ainsi que de ne pas avoir suffisamment motivé la Décision à ce sujet. Ces griefs seront examinés, de façon séparée, pour chacun de ces trois différents éléments. Par ailleurs, ADM fait valoir que ces éléments ne permettraient pas, en tout état de cause, de conclure qu’ADM a joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente.
2. Sur les prétendues erreurs de la Commission quant au rôle de meneur d’ADM
a) Sur les réunions bilatérales organisées par ADM en janvier 1991
Arguments des parties
217 ADM considère que son comportement au cours des réunions qui se sont tenues au mois de janvier 1991, et auxquelles participaient, outre elle-même, H & R, HLR et JBL, ne saurait être considéré comme un élément établissant son rôle de meneur au sein de l’entente. ADM cite à cet effet des extraits du considérant 264 de la Décision, où la Commission a déclaré que « l’existence d’un cycle de réunions bilatérales entre ADM et ses concurrents peu avant la première réunion multilatérale de l’entente ne suffi[sai]t pas pour conclure qu’ADM était l’instigateur de l’entente ».
218 En tout état de cause, ADM estime que la Décision est entachée d’une violation de l’obligation de motivation. En effet, en déclarant elle-même que l’existence de ces réunions bilatérales ne suffisait pas pour conclure qu’ADM était l’instigateur de l’entente, la Commission aurait contredit sa propre analyse contenue au considérant 263 quant auxdites réunions.
219 La Commission conclut au rejet de l’argumentation d’ADM.
Appréciation du Tribunal
220 Il convient d’observer que, au considérant 263 de la Décision, au sujet des réunions bilatérales organisées par ADM en janvier 1991, la Commission a indiqué s’être appuyée sur deux documents. Premièrement, la Commission s’est fondée sur un mémorandum daté du 15 janvier 1999, qu’ADM avait établi, relatif à une entrevue que l’ancien représentant d’ADM à l’entente avait eue avec les services de la Commission le 11 décembre 1998. Deuxièmement, la Commission s’est appuyée sur le rapport du FBI.
221 Au sujet de ces réunions bilatérales qu’ADM a organisées en janvier 1991 avec les principaux producteurs d’acide citrique, à savoir H & R, HLR et JBL, la Commission a considéré que, malgré le fait qu’ADM avait qualifié ces réunions de simple présentation destinée aux autres concurrents, il était « très probable qu’elles [aient] joué un rôle déterminant dans l’établissement (ou le rétablissement) de l’entente sur l’acide citrique en mars 1991 ». En effet, selon la Commission, « [v]u le délai très bref qui s’est écoulé entre cette série de réunions et la première réunion multilatérale de l’entente du 6 mars 1991, il est très probable que la possibilité ou l’intention d’établir une entente formalisée a été discutée, comme l’indique en particulier le contenu des discussions selon le compte rendu qu’en a fait un employé d’ADM : bien que la description des discussions reste vague, cet employé indique qu’à deux occasions au moins, un concurrent a été ‘dénigré’ [...] pour la manière dont il menait ses activités dans le secteur de l’acide citrique ». La Commission a estimé que « [c]ette expression de ressentiment à l’égard d’un concurrent accusé de ne pas se comporter convenablement sur le marché tradui[sai]t de toute évidence un objectif anticoncurrentiel d’apporter plus de discipline sur le marché » (considérants 74, 75 et 263 de la Décision).
222 En outre, au considérant 264 de la Décision, la Commission a ajouté que « l’existence d’un cycle de réunions bilatérales entre ADM et ses concurrents peu avant la première réunion multilatérale de l’entente ne suffi[sai]t pas pour conclure qu’ADM était l’instigateur de l’entente, mais en constitu[ait] une forte indication ».
223 En ce qu’ADM se prévaut d’erreurs d’appréciation au sujet de ces réunions bilatérales, il convient de noter, tout d’abord, qu’elle ne conteste pas avoir organisé ces réunions. Ensuite, elle ne reproche pas non plus à la Commission d’avoir incorrectement résumé les documents sur lesquels elle s’est appuyée à ce sujet. En revanche, ADM soutient que ces réunions bilatérales avaient uniquement pour objet de permettre de se présenter aux autres membres de l’entente.
224 Or, s’il est vrai, comme la Commission l’a souligné au considérant 264 de la Décision, que les informations dont la Commission disposait au sujet de ces réunions bilatérales n’étaient pas à elles seules suffisantes pour conclure que, lors de ces réunions, ADM avait joué le rôle d’instigateur de l’entente, il n’en demeure pas moins que la Commission pouvait à juste titre considérer que la tenue de telles réunions bilatérales, organisées par ADM juste avant la première réunion multilatérale de l’entente, constituait une « indication forte » de ce qu’ADM était un instigateur de l’entente.
225 Le seul fait que, au considérant 264 de la Décision, la Commission a relativisé la valeur probante de l’existence de ces réunions bilatérales quant au rôle d’instigateur d’ADM au sein de l’entente ne signifie pas que la Commission ait fait une analyse erronée desdites réunions. Tout au contraire, l’approche choisie par la Commission démontre qu’elle a soigneusement analysé les documents invoqués pour conclure que l’existence de ces réunions bilatérales ne constituait qu’un indice fort du rôle de meneur joué par ADM dans l’entente, mais ne suffisait pas pour en tirer des conclusions définitives.
226 Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en invoquant l’existence de ces réunions comme un indice supplémentaire par rapport aux deux autres éléments sur lesquels elle s’est appuyée pour conclure qu’ADM avait joué le rôle d’un meneur de l’entente.
227 En ce qu’ADM soulève une violation de l’obligation de motivation, il convient d’observer que les considérants 263 et 264 de la Décision font apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution. En effet, si, au considérant 263 de la Décision, la Commission a estimé que les réunions successives entre ADM et, respectivement, H & R, HLR et JBL en janvier 1991 ont très probablement joué un rôle déterminant dans l’établissement de l’entente sur l’acide citrique en mars 1991, au considérant 264 de la Décision, la Commission a précisé les conséquences pour ADM de ce constat en indiquant que l’existence d’un cycle de réunion bilatérales entre ADM et ses concurrents peu avant la première réunion multilatérale de l’entente ne suffit pas pour conclure qu’ADM était l’instigateur, mais en constitue un indice fort. Cette précision n’est pas contradictoire et n’affecte pas la cohérence du raisonnement de la Commission. Il ne peut, dès lors, à ce sujet, lui être reproché un défaut de motivation.
228 Par conséquent, la Commission n’a commis à ce sujet ni erreur manifeste d’appréciation ni violation de l’obligation de motivation.
b) Sur la déclaration de l’ancien représentant d’ADM devant le FBI
Rappel des faits et du libellé de la Décision
229 Les 11 et 12 octobre 1996, l’ancien représentant d’ADM a fait une déclaration lors de son interrogatoire par le « grand jury » dans le cadre de la procédure antitrust conduite aux États-Unis, ayant abouti à une transaction judiciaire (plea agreement). Cet interrogatoire, lors duquel l’ancien représentant d’ADM a été assisté par ses avocats, a été conduit à la suite de l’adoption d’une injonction (compulsion order). Cet interrogatoire a donné lieu à l’établissement du rapport du FBI daté du 5 novembre 1996.
230 Il ressort d’une lettre adressée le 11 octobre 1996 par les autorités compétentes des États-Unis à l’avocat de l’ancien représentant d’ADM que cet interrogatoire a été effectué à la demande d’ADM, qui a accepté de se soumettre à l’interrogatoire sous réserve d’exercer son droit, conféré par la constitution des États-Unis, de ne pas répondre à des questions susceptibles de conduire à sa propre incrimination (cinquième amendement). Cette lettre fait également mention de ce que, préalablement à cet interrogatoire, les autorités compétentes des États-Unis ont accordé à l’ancien représentant d’ADM l’immunité pénale concernant les faits admis dans sa déclaration, pour autant qu’il répondrait de façon sincère et véridique aux questions posées et qu’il fournirait toutes les informations dont il disposait. De même, les autorités compétentes des États-Unis ont indiqué que la déclaration faite par l’ancien représentant d’ADM lors de l’interrogatoire ne pourrait pas être utilisée directement ou indirectement contre ADM ou un de ses employés, une de ses filiales ou une des sociétés qui lui sont liées, dans le cadre d’une poursuite pénale.
231 Lors dudit interrogatoire des 11 et 12 octobre 1996, l’ancien représentant d’ADM a fourni une description détaillée du fonctionnement de l’entente et des parties impliquées. Il a notamment donné une description des réunions périodiques au plus haut niveau (dites réunions des « masters » ou également « G-4/5 ») ainsi que des réunions plus techniques (appelées réunions des « sherpas »), réunions auxquelles il avait lui-même participé en grande partie. En particulier, aux pages 21 et 22 du rapport du FBI, figure le passage de la déclaration de l’ancien représentant d’ADM dont la Commission a cité des extraits au considérant 265 de la Décision.
232 Dans le cadre de la procédure administrative diligentée devant la Commission, Bayer lui a communiqué le rapport du FBI. En outre, également au cours de la procédure administrative, le 11 décembre 1998, lors d’une réunion entre les services de la Commission et des représentants d’ADM (voir considérant 57 de la Décision), la Commission a interrogé l’ancien représentant d’ADM. À la suite de cette réunion, ADM a soumis à la Commission un mémorandum non daté et intitulé « Mémorandum fondé sur l’entretien de [l’ancien représentant d’ADM au sein de l’entente] à la Commission le 11 décembre 1998 ».
233 Ensuite, dans la communication des griefs, la Commission s’est appuyée, notamment, sur la déclaration de l’ancien représentant d’ADM telle qu’elle ressort du rapport du FBI. En outre, elle a annexé ce rapport à la communication des griefs.
234 Enfin, dans sa réponse à la communication des griefs, ADM s’est référée à la déclaration de son ancien représentant devant le FBI afin de souligner l’importance de la coopération d’ADM non seulement dans le cadre de la procédure devant la Commission, mais également devant les autorités américaines. Par ailleurs, ADM s’est elle-même référée à plusieurs reprises au rapport du FBI pour faire valoir qu’elle avait pleinement coopéré dans le cadre de la procédure devant la Commission, que l’entente n’avait eu qu’un impact limité sur le marché de l’acide citrique et qu’elle devait bénéficier de circonstances atténuantes dans le calcul de l’amende. En particulier, ADM s’est, dans ce contexte, appuyée sur le rapport du FBI afin de démontrer que, à son avis, elle n’avait pas joué le rôle d’un meneur de l’entente, même si, par cette argumentation, elle avait cherché à démontrer à la Commission qu’elle devait bénéficier d’une circonstance atténuante.
235 Au considérant 265 de la Décision, la Commission s’est référée au rapport du FBI dans les termes suivants :
« Pendant son interrogatoire par le FBI en 1996, [l’ancien] représentant d’ADM aux réunions de l’entente a déclaré, faisant allusion à un autre représentant d’ADM aux mêmes réunions, que ‘la mécanique de l’arrangement G-4/5 semblait être l’idée de [cet autre représentant d’ADM] et qu’à la réunion du 6 mars 1991 à Bâle, où l’arrangement [acide citrique] a été formulé, [cet autre représentant d’ADM] a[vait] joué un rôle assez actif’. Toujours à propos du même collègue, il a ajouté que [cet autre représentant d’ADM] était considéré comme ‘le Sage’, et était même surnommé ‘le prédicateur’ par [nom d’un représentant de JBL]. »
Arguments des parties
236 ADM fait valoir que la Commission a fait erreur en s’appuyant sur le rapport du FBI en tant que document établissant le « leadership » d’ADM.
237 En premier lieu, ADM fait valoir que la Commission ne pouvait valablement s’appuyer sur le rapport du FBI, étant donné que ce rapport faisait partie des éléments de preuve réunis par les autorités d’un pays tiers chargées d’une enquête, auxquelles ne s’appliquent pas les protections procédurales garanties par le droit communautaire. ADM souligne que ni l’ancien représentant d’ADM ni son avocat ne se sont vu donner l’occasion de réviser, d’approuver ou de signer la déclaration.
238 Pareilles déclarations auraient été considérées comme intrinsèquement peu fiables devant les juridictions des États-Unis. En outre, ADM fait observer que, dans son arrêt du 10 novembre 1993, Otto (C‑60/92, Rec. p. I-5683, point 20), la Cour a admis que les informations obtenues dans le cadre d’une procédure nationale ne se rattachant pas au droit reconnu par la Communauté de la défense contre une auto-incrimination peuvent, certes, être portées à la connaissance de la Commission, notamment par une partie intéressée. Toutefois, la Cour y aurait jugé qu’il découlait de son arrêt du 18 octobre 1989, Orkem/Commission (374/87, Rec. p. 3283), que la Commission – comme, d’ailleurs, une autorité nationale – ne saurait utiliser ces informations comme moyen de preuve d’une infraction aux règles de la concurrence dans le cadre d’une procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, ou comme indice justifiant l’ouverture d’une enquête préalable à une telle procédure.
239 ADM souligne qu’elle ne prétend pas que les autorités des États-Unis n’aient pas appliqué de garanties procédurales. Elle indique que l’ancien représentant d’ADM était en effet accompagné par son avocat et avait obtenu une immunité contre les poursuites. Toutefois, soutient ADM, ce sont là des éléments de preuve réunis dans le cadre de la procédure diligentée dans un pays tiers, qui ne peuvent se voir appliquer les garanties conférées par le droit communautaire. La Commission ne pourrait évidemment pas déterminer la valeur probante d’un document si elle ne comprenait pas comment il a été établi, ni les garanties procédurales qui ont entouré sa rédaction, y compris des facteurs déterminants tels que le point de savoir si ledit document a été établi sous serment ou soumis à la révision du témoin ou de son avocat.
240 En deuxième lieu, ADM considère que la Commission ne pouvait s’appuyer sur le rapport du FBI étant donné qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’exercer ses droits de la défense contre une auto-incrimination, tels que reconnus par l’arrêt Orkem/Commission, point 238 supra. ADM ajoute qu’il est sans pertinence que la renonciation aux poursuites concernant ADM ne se soit appliquée qu’à une procédure pénale.
241 ADM rappelle que la déclaration en question a été faite par l’ancien représentant d’ADM et a fait l’objet d’une renonciation aux droits de la défense contre une auto-incrimination à la condition que ladite déclaration ne soit pas utilisée par les autorités américaines contre, notamment, l’ancien représentant d’ADM ou elle-même. Cependant, poursuit-elle, contrairement aux autorités des États-Unis, la Commission ne lui a pas donné, au cours de la procédure qu’elle avait engagée, l’occasion d’exercer son droit d’opposition à l’auto-incrimination concernant la déclaration de l’ancien représentant d’ADM. ADM ne conteste pas que la Commission ait pu invoquer les extraits du rapport du FBI qui coïncident avec le témoignage direct de l’ancien représentant d’ADM devant la Commission. Or, souligne ADM, le témoignage direct de son ancien représentant devant la Commission ne se rapporte pas aux points relatifs au « leadership » sur lesquels celle-ci s’est fondée en se référant au rapport du FBI. ADM reproche à la Commission d’avoir interrogé son ancien représentant en personne et d’avoir eu pleinement l’occasion de l’interroger aussi bien directement qu’en lui posant des questions écrites, mais de n’avoir pas abordé le point de savoir si ADM était un meneur, pas plus qu’elle ne l’a fait ultérieurement, à un moment quelconque de la procédure d’enquête.
242 En troisième lieu, ADM fait valoir que, pour trois raisons, le rapport du FBI n’est pas intrinsèquement fiable.
243 Premièrement, ADM remarque que le rapport a été rédigé par des agents du FBI et des magistrats américains du ministère public soucieux de faire progresser leur cause. Pareils rapports auraient été écartés de la procédure devant la juridiction américaine en tant qu’éléments de preuve par ouï-dire et, partant, irrecevables, au motif que des enquêteurs cherchant à établir au pénal un dossier solide peuvent être amenés à ne pas présenter un compte rendu exhaustif de ce qu’a déclaré la personne interrogée.
244 Deuxièmement, ADM réitère l’assertion selon laquelle ni l’ancien représentant d’ADM ni son avocat-conseil n’ont eu l’occasion de lire, d’approuver ou de signer la déclaration et que, deux ans plus tard, au cours d’un interrogatoire contradictoire portant sur son témoignage à l’audience, lorsque l’ancien représentant d’ADM comparaissait en qualité de témoin cité par les autorités des États-Unis, celui-ci avait déclaré qu’il n’avait pas vu le rapport du FBI auparavant. En outre, remarque ADM, au cours de cet interrogatoire contradictoire, l’ancien représentant d’ADM avait mis en doute l’exactitude du passage du rapport qui lui avait été soumis à cette occasion.
245 Troisièmement, ADM considère que le rapport du FBI présente une contradiction interne en ce qui concerne le rôle de meneur qu’elle aurait joué. En effet, soutient ADM, alors que la Commission s’est fondée sur la partie du rapport, reprise à la page 22 de celui-ci, selon laquelle le supérieur de l’ancien représentant d’ADM aurait formulé l’arrangement et aurait joué un rôle actif lors de la réunion initiale du 6 mars 1991, à la page 7 du rapport il serait précisé, au sujet de cette même réunion du 6 mars 1991, que « [l]a réunion était ‘manifestement dirigée par [le représentant de HLR]’, que l’ancien représentant d’ADM désigne comme ‘le principal protagoniste’ ».
246 ADM ajoute qu’il ressort du mémorandum du 11 décembre 1998 (voir point 232 ci-dessus) que « [le représentant de HLR] [...] a assuré la présidence de ce groupe informel », qu’« ADM n’a guère participé » et que « [les représentants d’ADM] se sont surtout limités à écouter » (p. 3).
247 En quatrième lieu, ADM invoque les déclarations de l’ancien représentant d’ADM et de son avocat établies le 26 février 2002 pour les besoins de la présente procédure.
248 En ce qui concerne la déclaration de l’avocat de l’ancien représentant d’ADM, ADM fait observer que celui-ci précise que les notes qu’il a lui-même prises à partir des réponses données par l’ancien représentant d’ADM au cours de son interrogatoire par le FBI montrent que le rapport du FBI diffère de façon subtile, mais importante, de la teneur effective des réponses apportées par l’ancien représentant d’ADM en ce qui concerne précisément la question du leadership. ADM remarque que les notes de l’avocat de son ancien représentant étaient concomitantes des déclarations de son client, alors que le rapport du FBI reprenait après coup les termes utilisés par l’ancien représentant d’ADM.
249 En effet, premièrement, il ressortirait des notes de l’avocat de l’ancien représentant d’ADM que celui-ci avait dit que le rôle de l’autre représentant d’ADM lors de la réunion du 6 mars 1991 avait été « raisonnablement actif » mais que celui-ci n’avait jamais « visé à diriger ». Le rapport du FBI ferait état de cette participation en la qualifiant de « rôle actif », mais aurait omis l’importante restriction adverbiale précitée.
250 Deuxièmement, il ressortirait des notes de l’avocat de l’ancien représentant d’ADM que le FBI n’a pas demandé à celui-ci si la mécanique de l’arrangement du « G-4/G-5 » était une idée de l’autre représentant d’ADM. Plus exactement, dans le cadre d’une série de questions relatives à l’entente, il aurait été demandé à l’ancien représentant d’ADM s’il « apparaissait qu’il s’agissait d’une idée [de l’autre représentant d’ADM] », ce à quoi l’ancien représentant d’ADM aurait répondu « oui ». Ainsi, les questions auraient porté sur le point de savoir si l’adhésion d’ADM à l’entente était l’idée de l’autre représentant d’ADM et non si la mécanique de l’arrangement était l’idée dudit représentant. La question et la réponse seraient à tout le moins extrêmement ambiguës et ne pourraient être assimilées à la déclaration affirmative figurant dans le rapport du FBI, selon laquelle « la mécanique de l’arrangement G-4/G-5 semblait être l’idée de [l’autre représentant d’ADM] ». Par contraste, fait valoir ADM, en ce qui concerne les discussions relatives à la mécanique de l’entente formulée lors de la réunion du 6 mars 1991, les notes de l’avocat de l’ancien représentant d’ADM révèlent que ce dernier a déclaré, sans aucune ambiguïté, que le représentant de HLR était le principal participant, préconisant un système de quotas. En outre, il en ressortirait que l’autre représentant d’ADM « ne prenait pas beaucoup la parole » et que ce dernier « avait coutume, lors des réunions, d’écouter et de voir ce qui se passait ». ADM souligne que ces propos concordent avec la déclaration de son ancien représentant selon laquelle l’autre représentant d’ADM « n’a[vait] jamais cherché à diriger » et que « d’autres l’[avaient] fait auparavant ».
251 Troisièmement, ADM fait observer que les notes de l’avocat de son ancien représentant indiquent que celui-ci n’a pas employé les termes « le Sage » en ce qui concerne l’autre représentant d’ADM.
252 En ce qui concerne la déclaration de l’ancien représentant d’ADM, ADM fait valoir que celui-ci a également confirmé que les déclarations dont il se souvient diffèrent de celles qui lui sont attribuées dans le rapport du FBI sur trois points.
253 D’abord, il en ressortirait que l’autre représentant d’ADM n’avait guère apporté de contribution à la réunion du 6 mars 1991 et ne saurait être considéré comme l’ayant dirigée.
254 Ensuite, il apparaît dans la déclaration de l’ancien représentant d’ADM que le représentant de HLR avait invité l’ancien représentant d’ADM et l’autre représentant d’ADM à la réunion du 6 mars 1991, avait présidé la réunion et avait préconisé le système d’information et de contrôle relatif à la mécanique de l’entente.
255 Il en ressortirait que l’ancien représentant d’ADM ne se souvient pas de ce que l’autre représentant d’ADM aurait été dénommé le « Sage », mais qu’il se rappelle que le représentant de JBL, qui participait en tant que président aux réunions de l’entente à partir du mois de mai 1994, appelait l’autre représentant d’ADM le « prédicateur ». En outre, il en ressortirait que l’ancien représentant d’ADM présumait que ces appellations étaient utilisées parce que l’« [autre représentant d’ADM] avait généralement un comportement réservé et ne prenait habituellement la parole que s’il avait une communication relativement importante à faire ». Enfin, il en ressortirait que l’expression « le Sage » n’a pas été employée pour désigner l’autre représentant d’ADM.
256 En cinquième lieu, ADM fait valoir que le rapport du FBI est incompatible avec les propres conclusions de la Commission. En effet, fait observer ADM, au considérant 265 de la Décision, la Commission cherche à dépeindre l’autre représentant d’ADM, en se fondant sur le rapport du FBI, comme une personne ayant joué un rôle de meneur lors de la réunion initiale de l’entente, le 6 mars 1991, alors que, au considérant 78 de la Décision, elle note que cette réunion « avait été organisée et était présidée par un représentant de [HLR] ».
257 Par ailleurs, ADM soutient que cette description de la réunion du 6 mars 1991 diffère de celle que la Commission en avait faite dans la communication des griefs. En effet, au point 62 de celle-ci, la Commission aurait noté que cette réunion était « organisée et était conduite par [le représentant de HLR] ».
258 ADM ajoute que le rôle central du représentant de HLR lors de la réunion du 6 mars 1991 ressort également des considérants 85 et 89 de la Décision.
259 La Commission conclut au rejet de l’ensemble des arguments d’ADM.
Appréciation du Tribunal
– Introduction
260 ADM soulève des griefs de deux ordres différents. Premièrement, elle fait valoir que, en s’appuyant sur le rapport du FBI, la Commission aurait violé des garanties procédurales prévues par le droit communautaire. Deuxièmement, ADM estime que la Commission n’a pas correctement apprécié le contenu du rapport du FBI.
– En ce que la Commission a violé des garanties procédurales prévues par le droit communautaire
261 Il est constant qu’aucune disposition n’interdit à la Commission de s’appuyer, en tant qu’élément de preuve pouvant servir à constater une infraction aux articles 81 CE et 82 CE et à fixer une amende, sur un document qui, comme en l’espèce s’agissant du rapport du FBI, a été établi dans le cadre d’une procédure autre que celle menée par la Commission elle-même.
262 Pourtant, conformément à la jurisprudence, il est reconnu, au titre des principes généraux du droit communautaire, dont les droits fondamentaux font partie intégrante et à la lumière desquels tous les textes de droit communautaire doivent être interprétés, le droit pour une entreprise de ne pas être contrainte par la Commission, dans le cadre de l’article 11 du règlement n° 17, d’avouer sa participation à une infraction (arrêt Orkem/Commission, point 238 supra, point 35). La protection de ce droit implique, en cas de contestation sur la portée d’une question, qu’il soit vérifié si une réponse du destinataire équivaudrait effectivement à l’aveu d’une infraction, de sorte qu’il serait porté atteinte aux droits de la défense (voir arrêts de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 273, et du Tribunal du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑112/98, Rec. p. II‑729, point 64).
263 Il est vrai que la situation factuelle du cas d’espèce est différente de celles des affaires précitées, où la Commission avait posé des questions à des entreprises qui étaient en droit de refuser d’y répondre.
264 Néanmoins, lorsque, comme en l’espèce, la Commission s’appuie, dans le cadre de sa libre appréciation des éléments de preuve dont elle dispose, sur une déclaration faite dans un contexte différent de celui de la procédure diligentée devant la Commission, et lorsque cette déclaration comporte potentiellement des informations que l’entreprise concernée aurait été en droit de refuser de fournir à la Commission en vertu de la jurisprudence Orkem/Commission, point 238 supra, cette dernière est tenue de garantir à l’entreprise concernée des droits procéduraux équivalant à ceux conférés par ladite jurisprudence.
265 Le respect de ces garanties procédurales implique, dans un contexte comme celui du cas d’espèce, que la Commission soit tenue d’examiner d’office si, à première vue, il y a des doutes sérieux quant au respect des droits procéduraux des parties concernées dans le cadre de la procédure au cours de laquelle celles-ci ont fourni de telles déclarations. En l’absence de tels doutes sérieux, les droits procéduraux des parties concernées doivent être considérés comme étant suffisamment garantis si, dans la communication des griefs, la Commission indique clairement, le cas échéant en annexant les documents concernés à cette communication, qu’elle a l’intention de s’appuyer sur les déclarations en cause. De cette façon, la Commission permet aux parties concernées de prendre position par rapport non seulement au contenu de ces déclarations, mais également à d’éventuelles irrégularités ou à des circonstances particulières ayant entouré soit leur établissement soit leur production devant la Commission.
266 Dans le cas d’espèce, premièrement, il convient de tenir compte de ce que le rapport du FBI a été soumis à la Commission par un concurrent d’ADM, Bayer, qui avait également fait partie de l’entente (voir point 232 ci-dessus) et qu’ADM n’a pas fait valoir que ce document avait été obtenu de façon illégale par Bayer ou par la Commission.
267 Deuxièmement, il convient de constater que le rapport du FBI constitue un document établi par l’autorité compétente des États-Unis pour la poursuite de cartels secrets, qui a été produit devant les tribunaux américains lors du procès dont la même entente a fait l’objet. Il ne comportait aucun signe extérieur qui aurait, d’office, dû inciter la Commission à avoir des doutes quant à sa valeur probante. En ce que, dans ce contexte, ADM invoque le fait que, dans la lettre adressée le 11 octobre 1996 par les autorités compétentes des États-Unis à l’avocat de l’ancien représentant d’ADM, il a été souligné que l’information fournie par celui-ci dans ce rapport ne pouvait être utilisée contre lui ni à l’encontre d’ADM, il convient de noter que cette réserve se référait explicitement à des procédures pénales au sens du droit des États-Unis et non pas à des procédures telles que celles diligentées devant la Commission.
268 Troisièmement, et plus fondamentalement, il convient de rappeler que, dans la communication des griefs, la Commission a indiqué qu’elle avait l’intention de s’appuyer sur ce rapport et qu’elle a annexé ce document à cette communication. Elle a ainsi permis à ADM de prendre position par rapport non seulement au contenu de ce document, mais également à d’éventuelles irrégularités ou à des circonstances particulières ayant entouré soit son établissement, telles que celles soulevées devant le Tribunal (voir notamment points 243 et 244 ci-dessus), soit sa production devant la Commission, irrégularités ou circonstances en raison desquelles, selon ADM, la Commission ne pouvait s’appuyer sur ce document sans violer les droits procéduraux garantis par le droit communautaire.
269 ADM n’a pourtant formulé aucune critique dans sa réponse à la communication des griefs quant à la prise en compte de ce document par la Commission. Tout au contraire, elle s’est elle-même fondée expressément sur ce document pour faire valoir ses arguments, y compris en ce qui concerne la question de savoir si elle avait joué un rôle de meneur au sein de l’entente. En outre, ADM ne prétend pas même avoir attiré à n’importe quel autre moment de la procédure administrative l’attention de la Commission sur le manque de fiabilité du rapport du FBI ou avoir demandé à la Commission d’interroger l’ancien représentant d’ADM quant à la véracité des propos retenus dans ce rapport.
270 Dans une telle situation, la Commission n’a pas violé les droits procéduraux garantis par le droit communautaire en s’appuyant, dans sa libre appréciation des preuves dont elle disposait, sur le rapport du FBI.
– En ce que la Commission n’a pas correctement apprécié le contenu du rapport du FBI
271 En ce qu’ADM fait valoir que le rapport du FBI présente des contradictions internes (point 245 ci-dessus), il convient de constater que, dans le passage du rapport du FBI sur lequel la Commission s’est fondée au considérant 265 de la Décision, l’ancien représentant d’ADM avait déclaré que l’autre représentant d’ADM aurait eu l’idée de l’arrangement et aurait joué un rôle actif lors de la première réunion de l’entente, le 6 mars 1991. De même, il a ajouté que l’autre représentant d’ADM était considéré comme le « Sage », et était même surnommé le « prédicateur » par le représentant de JBL. En revanche, à la page 7 dudit rapport, il est précisé, au sujet de cette même réunion du 6 mars 1991, que « [l]a réunion était ‘manifestement dirigée par [le représentant de HLR]’, qui est désigné par l’ancien représentant d’ADM comme ‘le principal protagoniste’ ».
272 Il en résulte que l’ancien représentant d’ADM avait eu l’impression que les représentants d’ADM et de HLR avaient joué un rôle déterminant au cours de cette réunion, l’un (celui de HLR) ayant essentiellement organisé et dirigé la réunion, l’autre (celui d’ADM) ayant joué un rôle prépondérant dans la définition des accords conclus.
273 C’est d’ailleurs la lecture que la Commission a faite de ce document. En effet, il résulte des considérants 268 à 272 de la Décision qu’elle a considéré que tant ADM que HLR avaient joué un rôle de meneur de l’entente. Au considérant 269, la Commission s’est, à ce sujet, appuyée sur ce rapport du FBI, même si elle a cité un autre passage que celui invoqué par ADM.
274 Par conséquent, ADM invoque à tort l’existence de contradictions internes au rapport du FBI.
275 En ce qu’ADM relève des contradictions entre le rapport du FBI et la déclaration de l’ancien représentant d’ADM devant la Commission, telle qu’elle ressort du mémorandum établi par ADM (point 246 ci-dessus), il convient d’observer que, à supposer même que la description du rôle joué par les représentants d’ADM au cours des réunions en cause fût différente de celle qui ressort du rapport du FBI, il n’en demeure pas moins que, ainsi qu’il a été jugé au point 270 ci-dessus, la Commission pouvait valablement s’appuyer sur le rapport du FBI et il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir accordé plus de crédibilité au rapport du FBI qu’au mémorandum établi par ADM relatif à l’interrogatoire de ce même ancien représentant d’ADM devant la Commission, lequel avait eu lieu in tempore suspecto.
276 En ce qu’ADM fait valoir qu’il existe des contradictions dans les propres conclusions de la Commission figurant dans la Décision et dans la communication des griefs (points 256 à 258 ci-dessus), il convient de remarquer que, aux considérants 78, 85 et 89 de la Décision et au point 62 de la communication des griefs, il est indiqué que c’était le représentant de HLR qui avait organisé et présidé la réunion du 6 mars 1991. Toutefois, ce fait ne saurait invalider la conclusion de la Commission quant à la qualité de meneur conjoint d’ADM. En effet, rien ne s’oppose à ce que, comme en l’espèce, une partie dirige et organise une réunion et une autre partie y joue un rôle actif de premier plan, comme cela transparaît du considérant 265 de la Décision, et à ce que les deux parties soient considérées comme meneurs de l’entente en raison de leur rôle respectif.
277 En ce qu’ADM invoque des déclarations de l’ancien représentant d’ADM et de son avocat, établies le 26 février 2002 pour les besoins de la présente procédure, lesquelles comprendraient une description différente des déclarations faites par l’ancien représentant d’ADM devant le FBI (points 247 à 255 ci-dessus), il suffit de rappeler qu’ADM n’a nullement soutenu, au cours de la procédure administrative devant la Commission, que le rapport du FBI ne contenait pas une description exacte des déclarations faites par l’ancien représentant d’ADM (voir point 234 ci-dessus). Par ailleurs, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en accordant une force probante supérieure au rapport du FBI, produit au cours de la procédure administrative, par rapport à des déclarations postérieures, effectuées in tempore suspecto pour les besoins de la présente procédure.
278 Par conséquent, ADM n’a pas établi que la Commission ait incorrectement apprécié le contenu du rapport du FBI.
279 Il découle de tout ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation du rapport du FBI.
c) Sur la déclaration de Cerestar
Arguments des parties
280 En premier lieu, ADM estime que, même en admettant que la Commission puisse s’appuyer sur l’élément de preuve fourni par Cerestar, la présidence de réunions de sherpas indique tout au plus une participation active à l’entente, mais non l’exercice d’un « leadership » sur cette dernière.
281 En effet, soutient ADM, les réunions de sherpas étaient des réunions de membres d’un échelon moins élevé de la hiérarchie de chacune des parties concernées. Elles ne se seraient tenues qu’à partir du mois de juin 1993 et n’auraient eu pour objet que l’examen de questions techniques (considérant 117 de la Décision). Effectivement, indique ADM, certaines avaient trait non pas à l’accord illicite, mais à des activités légitimes pour une association commerciale, telles que l’évaluation de la possibilité d’autres usages pour l’acide citrique, en vue d’étendre le marché, et la prise en considération d’une plainte antidumping contre les producteurs chinois. Ces réunions contrasteraient avec celles des principaux « masters », qui se seraient déroulées pendant toute la période de l’entente et lors desquelles auraient été arrêtées des décisions sur des points essentiels (fixation de quotas, relèvements des prix, mécanismes de contrôle, paiements compensatoires).
282 En deuxième lieu, ADM soutient que l’élément de preuve fourni par Cerestar est, de façon générale, sujet à caution, car la mémoire qu’a Cerestar des réunions est infidèle : des détails ne sont présentés que pour trois des 17 réunions identifiées par Cerestar comme de « possibles » réunions sous l’égide de l’entente et six des réunions dont se souviendrait Cerestar n’ont pas eu lieu, si l’on se réfère aux éléments de preuve émanant des autres participants et aux constatations de la Commission.
283 En troisième lieu, ADM considère que l’élément de preuve produit par Cerestar en ce qui concerne plus particulièrement les réunions de sherpas contient des éléments erronés. Cerestar n’identifierait positivement qu’une seule de ces réunions durant toute sa participation à l’entente (à savoir une réunion du 15 avril 1994 à l’aéroport O’Hare de Chicago) et déclarerait que « M. [D.] n’en a pas de souvenirs précis ». Or, selon le témoignage des autres participants, cette réunion n’aurait pas eu lieu. En outre, Cerestar aurait mentionné trois autres réunions. Par ailleurs, souligne ADM, Cerestar a déclaré ne pas avoir assisté à d’autres réunions après le 2 novembre 1994, ce qui ne serait pas surprenant, car certaines réunions de sherpas étaient consacrées également à des questions étrangères à l’entente et la Commission n’a pas distingué entre ces réunions de sherpas et les autres.
284 En quatrième lieu, ADM fait valoir que la déclaration de Cerestar est incompatible avec la déclaration faite par l’ancien représentant d’ADM pour les besoins de la procédure devant la Commission. Or, compte tenu de l’absence de fiabilité de la déclaration de Cerestar et de l’incapacité de cette dernière à préciser les dates ou endroits auxquels se sont effectivement tenues les réunions de sherpas, ladite déclaration faite par l’ancien représentant d’ADM pour les besoins de la procédure devant la Commission devait être tenue pour plus crédible. Or, poursuit-elle, selon la déclaration de l’ancien représentant d’ADM, il n’y avait pas de président convenu ou officiellement désigné pour diriger les réunions des représentants d’un niveau subalterne dans la hiérarchie des entreprises participantes et il est fallacieux de prétendre qu’il se proposait de préparer les dossiers et de suggérer des barèmes. Il est vrai, admet ADM, que son ancien représentant apportait occasionnellement aux réunions des données préparées, mais il est tout aussi vrai que les autres participants faisaient de même. Pareillement, tous les participants auraient pris part aux propositions de prix. Les seules occasions pour lesquelles l’ancien représentant d’ADM aurait le souvenir d’avoir préparé des barèmes pour les autres participants concerneraient l’application de taux de change au prix convenu, ce qui se serait toutefois rarement produit.
285 La Commission rejette l’argumentation d’ADM.
Appréciation du Tribunal
286 Il convient, tout d’abord, d’observer que, au considérant 266 de la Décision, la Commission s’est référée dans les termes suivants à la déclaration faite par Cerestar :
« Dans sa déclaration du 25 mars 1999, Cerestar [...] affirme également que, ‘bien que [les représentants de HLR et de JBL] présidassent normalement la réunion ‘masters’, [Cerestar] avait la nette impression que [le représentant d’ADM] jouait un rôle moteur. [Le représentant d’ADM] présidait les réunions [de] sherpa[s] et préparait généralement les dossiers et les propositions pour les barèmes à convenir’. »
287 En ce qui concerne le « rôle moteur » que, selon la déclaration de Cerestar, l’ancien représentant d’ADM aurait joué au sein des réunions de l’entente au plus haut niveau (réunions dites des « masters »), il convient de noter qu’ADM se borne à soutenir qu’il ressort de ses propres déclarations qu’elle n’avait pas de « rôle moteur » dans le cadre de ces réunions et que ses propres déclarations auraient la même valeur juridique que celles de Cerestar.
288 Or, il y a lieu de constater que la description fournie par Cerestar coïncide, à cet égard, avec celle fournie par l’ancien représentant d’ADM dans le rapport du FBI. Quant à la crédibilité à accorder à la déclaration de Cerestar, il convient de remarquer qu’il est constant que Cerestar n’a pas joué un rôle actif au sein de l’entente, quand bien même cela n’a pas été retenu comme circonstance atténuante (voir considérants 282 et 283 de la Décision).
289 En ce qui concerne le rôle joué par l’ancien représentant d’ADM au sein des réunions intervenues à un niveau technique (réunions dites des « sherpas »), il convient d’observer que Cerestar a déclaré que, de façon générale, celui-ci avait organisé et dirigé ces réunions et avait fait des propositions techniques. Il est dès lors sans importance que, dans sa déclaration, Cerestar n’ait fourni des détails que quant à certaines des réunions de l’entente.
290 Enfin, le Tribunal a déjà jugé qu’ADM ne pouvait valablement invoquer une prétendue incompatibilité de la déclaration de Cerestar avec la déclaration de l’ancien représentant d’ADM pour les besoins de la procédure devant la Commission. En effet, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en accordant à cette déclaration une force probante supérieure à celle de déclarations effectuées in tempore suspecto pour les besoins de la présente procédure juridictionnelle.
291 Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation de la déclaration de Cerestar.
3. Sur la qualification d’ADM de meneur dans le cadre de l’entente
a) Arguments des parties
292 En se fondant sur la pratique décisionnelle de la Commission, ADM soutient que, à supposer même que la Commission n’ait pas commis d’erreur en s’appuyant sur le rapport du FBI et la déclaration de Cerestar, les éléments invoqués par la Commission sur la base de ces documents permettent tout au plus de conclure qu’ADM a joué un rôle actif dans l’entente, mais non pas qu’ADM a joué un rôle de meneur.
293 En effet, selon ADM, la Commission admet qu’elle n’était pas l’instigateur de l’entente (considérant 264 de la Décision), n’agissait pas en tant que secrétariat chargé de collecter, de contrôler et de diffuser les données des ventes (considérant 272 de la Décision), n’a pas agi en tant que médiateur dans les différends opposant les participants (considérant 270 de la Décision) et enfin n’a ni contraint ni invité d’autres entreprises à participer à l’entente (considérant 271 de la Décision). En revanche, c’était plutôt à HLR que la Commission a attribué chacun de ces éléments en y joignant le fait que HLR avait présidé et avait organisé la réunion initiale du 6 mars 1991 et avait continué d’assurer la présidence des réunions, sans interruption, jusqu’en mai 1994 (considérants 120 et 268 de la Décision).
294 Dès lors, selon ADM, la Commission a violé sa propre pratique administrative ainsi que le principe d’égalité de traitement.
295 La Commission conteste le bien-fondé de l’argumentation d’ADM.
b) Appréciation du Tribunal
296 Lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 181 supra, point 623), ce qui implique, en particulier, d’établir leur rôle respectif pendant la durée de leur participation à l’infraction (voir arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 150, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 264).
297 Il en résulte, notamment, que le rôle de « chef de file » joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d’une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l’amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, point 45 ; arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 180 supra, point 291).
298 Le point 2 des lignes directrices, sous le titre de « circonstances aggravantes », comprend une liste non exhaustive de circonstances pouvant donner lieu à une augmentation du montant de base de l’amende parmi lesquelles figure, notamment, le « rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction ».
299 En l’espèce, il ressort de l’analyse qui précède que, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, la Commission a invoqué trois différents éléments pour conclure que, avec HLR, ADM avait joué le rôle d’un meneur de l’entente, à savoir, premièrement, les réunions bilatérales organisées par ADM en janvier 1991, deuxièmement, le rapport du FBI et, troisièmement, la déclaration de Cerestar. Or, ces trois indices invoqués par la Commission convergent vers une même conclusion, à savoir que, dans la phase initiale de l’entente, ADM a joué le rôle d’un instigateur de l’entente et, pendant la phase opérationnelle de l’entente, ADM a eu un rôle prédominant par rapport aux autres membres de l’entente.
300 S’il est vrai que, comme l’a admis la Commission au considérant 273 de la Décision, d’autres membres de l’entente avaient également assumé des activités fréquemment liées à l’exercice du rôle de meneur, il n’en reste pas moins qu’ADM n’invoque aucun argument dont il ressortirait que le rôle de ces autres membres était aussi accentué que le sien et celui de HLR. Par ailleurs, il ressort du considérant 273 de la Décision que la Commission a tenu compte du fait que d’autres membres de l’entente avaient également assumé des activités fréquemment liées à l’exercice du rôle de meneur lorsqu’elle a fixé le montant de la majoration à 35 %.
301 La circonstance relevée par ADM que la Commission a également attribué à HLR le rôle de meneur ne saurait modifier cette conclusion (voir point 276 ci-dessus). De même, le fait que, ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 77 de la Décision, certaines parties concernées, dont notamment JBL, avaient déjà entrepris des démarches d’établissement d’une entente sur le marché de l’acide citrique avant qu’ADM ait pris les initiatives relevées par la Commission ne saurait infirmer la conclusion qu’ADM a joué un rôle de meneur dans le cadre, notamment, de l’établissement de l’entente qui a fait l’objet de la Décision.
302 Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant qu’ADM a été un meneur de l’entente.
C – Sur la violation du principe d’égalité de traitement en ce que la Commission a imposé à ADM le même taux de majoration qu’à HLR
1. Arguments des parties
303 ADM fait valoir que, même en acceptant l’opinion de la Commission quant au rôle joué par elle, contrastant avec son rôle réel au sein de l’entente, HLR a joué un rôle essentiel dans l’accord qui correspond aux caractéristiques généralement considérées par la Commission comme des indices de « leadership » dans d’autres affaires. En revanche, ADM n’aurait joué qu’un rôle mineur, tout au plus comparable à celui de JBL, qui a été considéré comme un membre actif de l’entente (voir considérants 120 et 284 de la Décision). Or, conteste ADM, la Commission n’a pas reconnu à JBL de circonstance aggravante et a, ainsi, violé le principe d’égalité de traitement.
304 La Commission conclut au rejet du moyen.
2. Appréciation du Tribunal
305 Le Tribunal observe qu’il ressort des considérants 268 à 272 de la Décision que, pour conclure que HLR avait joué un rôle de meneur de l’entente, la Commission s’est appuyée sur le fait que le représentant de cette entreprise avait organisé et présidé la première réunion de l’entente, qu’il avait assuré la présidence des autres réunions jusqu’au 18 mai 1994 (voir considérant 120 de la Décision) et qu’il s’est engagé, tout au long de sa participation à l’entente, à assurer le bon fonctionnement de celle-ci en attirant l’attention des autres membres de l’entente sur la nécessité de garder secrets les agissements de l’entente, en expliquant à Cerestar les mécanismes des accords entre les membres lorsque cette partie a rejoint l’entente.
306 En ce qui concerne ADM, la Commission a, pour l’essentiel, tenu compte du rôle déterminant que ses représentants avaient joué dans l’établissement de l’entente et en tant que membre actif durant le fonctionnement de celle-ci (voir point 299 ci-dessus).
307 Or, la Commission a valablement pu considérer que le rôle qu’ADM avait joué au cours de la phase initiale de l’entente était d’une gravité relative au moins équivalente à celle du rôle de HLR.
308 Par conséquent, le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement doit être rejeté.
D – Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en ce que la Commission s’est écartée de sa pratique décisionnelle quant au taux de majoration imputé à ADM
1. Arguments des parties
309 ADM fait valoir que, même en acceptant la position de la Commission quant au rôle joué par ADM au sein de l’entente, la Décision est entachée d’une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, dès lors que la Commission s’est écartée de sa pratique décisionnelle dans des affaires antérieures en appliquant, en l’espèce, une majoration pour « leadership » qui dépasse 25 %.
310 En effet, soutient ADM, dans les affaires dites « Transbordeurs grecs », « Extra d’alliage » ainsi que – antérieures aux lignes directrices – « Carton » et « Propylène », la Commission a uniquement appliqué un taux de majoration de 20 à 25 %. Ce n’est qu’en présence d’une combinaison de circonstances aggravantes, incluant le « leadership », que des majorations plus importantes seraient appropriées. Ainsi, dans l’affaire des conduites précalorifugées, la Commission a imposé à ABB une majoration de 50 % sanctionnant plusieurs facteurs à la fois.
311 La Commission conclut au rejet des moyens invoqués.
2. Appréciation du Tribunal
312 Il convient de rappeler que, dans la fixation du montant de l’amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59). Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, en présence de circonstances aggravantes, un certain taux de majoration des amendes ne saurait la priver du pouvoir d’élever ces taux, dans les limites indiquées dans le règlement nº 17 et dans les lignes directrices, si cela s’avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence.
313 En ce qu’ADM allègue une violation du principe de proportionnalité, il convient de considérer que, tenant compte de ce que la Commission doit fixer l’amende à un niveau qui garantisse un effet dissuasif suffisant, la Commission n’a pas outrepassé son pouvoir d’appréciation en considérant que le rôle de meneur joué par ADM et HLR dans le cadre de l’entente justifiait une majoration des montants respectifs des amendes à infliger à ces deux parties de 35 %.
314 En ce qu’ADM fait valoir une violation du principe d’égalité de traitement, il convient de rappeler que la pratique décisionnelle de la Commission ne constitue pas le fondement juridique pour l’imposition d’amendes en matière de concurrence, celui-ci étant formé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
315 Cela étant, il y a lieu de rappeler également que, dans l’application de cette disposition à chaque cas d’espèce, la Commission est tenue de respecter les principes généraux de droit, parmi lesquels figure le principe d’égalité de traitement, tel qu’interprété par les juridictions communautaires (voir point 133 ci-dessus).
316 S’agissant des comparaisons effectuées par ADM avec d’autres décisions de la Commission rendues en matière d’amendes, il en découle que ces décisions ne peuvent être pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement que s’il est démontré que les données circonstancielles des affaires relatives à ces autres décisions, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, sont comparables avec celles de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 janvier 2004, JCB Service/Commission, T‑67/01, Rec. p. II‑49, point 187).
317 Or, la requérante n’a pas fourni d’éléments suffisants permettant de conclure que ces conditions étaient réunies dans le cas d’espèce. En particulier, il convient de constater qu’ADM n’invoque pas de décisions contemporaines à celles de l’affaire « acide citrique ». En tout état de cause, il convient de souligner que la Commission doit, en vue de déterminer le montant de l’amende, veiller au caractère dissuasif de son action. Ainsi, en particulier dans le cas de meneurs d’une entente, même une augmentation considérable du niveau des amendes infligées au titre des circonstances aggravantes pourrait être considérée comme justifiée afin d’assurer le plein respect des règles de la concurrence.
318 Dès lors, les moyens tirés de la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité doivent être rejetés.
E – Sur la violation de l’obligation de motivation dans l’appréciation des circonstances aggravantes
319 Selon ADM, la motivation de la Décision est insuffisante, car il n’y serait pas indiqué pour quelles raisons la Commission a retenu des circonstances aggravantes contre elle et pour quelles raisons elle a estimé nécessaire d’imposer un taux de majoration de 35 %.
320 La Commission estime avoir suffisamment motivé sa Décision aux considérants 263 à 267.
321 Le Tribunal rappelle la jurisprudence citée aux points 117 et 118 ci-dessus et observe que, en l’espèce, il ressort des considérants 263 à 265 de la Décision que la Commission a exposé les éléments d’appréciation sur la base desquels elle a considéré qu’ADM avait joué un rôle de meneur de l’entente. En effet, la Commission a, pour l’essentiel, tenu compte du rôle déterminant que les représentants de cette partie avaient joué dans l’établissement de l’entente et en tant que membre actif de premier plan durant le fonctionnement de celle-ci. Par ailleurs, en ce qui concerne l’importance du taux de majoration appliqué, il ressort du considérant 273 de la Décision que la Commission a tenu compte du fait que d’autres membres de l’entente avaient également assumé des activités habituellement liées à l’exercice du rôle de meneur.
322 Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir fourni une motivation suffisante quant à l’application du taux de majoration de 35 % appliqué au titre des circonstances aggravantes.
323 Par conséquent, le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation doit être rejeté.
324 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de considérer que les moyens invoqués par ADM quant à la majoration du montant de l’amende en raison de circonstances aggravantes doivent être rejetés.
VI – Sur les circonstances atténuantes
A – Remarque liminaire
325 En ce qui concerne l’appréciation par la Commission des circonstances atténuantes, ADM soulève des erreurs d’appréciation relatives, premièrement, à la cessation de la participation à l’entente dès les premières interventions des autorités compétentes, deuxièmement, à l’absence de prise en compte des dommages et intérêts et, troisièmement, à l’adoption d’un code de conduite par ADM.
B – Sur la cessation de la participation à l’entente dès les premières interventions des autorités compétentes
1. Arguments des parties
326 ADM invoque le fait que, au point 3, troisième tiret, des lignes directrices, la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission est reconnue comme une circonstance atténuante, mais que, en l’espèce, elle n’en a pas bénéficié.
327 En outre, elle fait valoir que les faits de la présente affaire sont quasiment identiques à ceux à l’origine de l’affaire dites « des acides aminés » [décision 2001/418/CE de la Commission, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/36.545/F3 – Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24, ci-après l’« affaire des acides aminés »)], dans laquelle la Commission aurait accordé une diminution du montant de l’amende de 10 %. Par ailleurs, elle invoque l’arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission (point 35 supra, point 238), dans lequel le Tribunal aurait jugé qu’une réduction de l’amende devait être accordée aux entreprises qui avaient précédemment collaboré avec la Commission pour mettre fin à l’entente.
328 Enfin, contrairement à ce que soutient la Commission, il existerait des cas où des ententes ont perduré après l’intervention des autorités compétentes.
329 ADM en déduit que la Commission a commis une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.
330 La Commission considère que le fait de mettre fin à une entente secrète lorsqu’elle est découverte ne mérite aucune récompense et qu’il n’existe, dès lors, aucun droit à la prise en compte de cette cessation dans la détermination du montant de l’amende.
2. Appréciation du Tribunal
331 Le point 3 des lignes directrices, intitulé « Circonstances atténuantes », prévoit une diminution du montant de base de l’amende lorsque la Commission se trouve en présence de circonstances atténuantes particulières, telles que, par exemple, la cessation de l’infraction dès les premières interventions de la Commission (notamment dès les vérifications).
332 À cet égard, il convient cependant de rappeler, tout d’abord, que, aux fins d’établir un marché commun présentant un haut degré de compétitivité, l’article 3 CE prévoit que l’action de la Communauté comporte un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur. L’article 81, paragraphe 1, CE, qui interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, constitue l’un des principaux instruments permettant la mise en œuvre de ce régime.
333 Ensuite, il convient de rappeler qu’il incombe à la Commission tant de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises que d’instruire et de réprimer des infractions individuelles. Pour ce faire, la Commission dispose du pouvoir d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent notamment une infraction aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra, point 105).
334 Il s’ensuit que, lors de l’appréciation de la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission se doit de prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l’espèce, mais également le contexte dans lequel l’infraction se place et de veiller au caractère dissuasif de son action (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra, point 106). En effet, seule la prise en compte de ces aspects permet de garantir une pleine efficacité à l’action de la Commission en vue de maintenir une concurrence non faussée sur le marché commun.
335 Une analyse purement textuelle de la disposition figurant au point 3, troisième tiret, des lignes directrices pourrait donner l’impression que constitue de façon générale et sans réserve une circonstance atténuante le seul fait pour un contrevenant de cesser toute infraction dès les premières interventions de la Commission. Or, une telle interprétation de cette disposition amoindrirait l’effet utile des dispositions permettant le maintien d’une concurrence efficace, car elle affaiblirait tant la sanction pouvant être imposée à la suite d’une violation de l’article 81 CE que l’effet dissuasif d’une telle sanction.
336 En effet, à la différence d’autres circonstances atténuantes, cette circonstance n’est inhérente ni à la particularité subjective du contrevenant ni aux faits propres au cas d’espèce, dès lors qu’elle procède principalement de l’intervention extérieure de la Commission. Ainsi, la cessation d’une infraction uniquement à la suite d’une intervention de la Commission ne saurait être assimilée aux mérites découlant d’une initiative autonome de la part du contrevenant, mais ne constitue qu’une réaction appropriée et normale à ladite intervention. En outre, cette circonstance consacre uniquement un retour par le contrevenant à un comportement licite et ne contribue pas à rendre les poursuites par la Commission plus efficaces. Enfin, le prétendu caractère atténuant de cette circonstance ne saurait se justifier par la seule incitation à mettre fin à l’infraction qu’elle véhicule, et cela d’autant plus au vu des constatations qui précèdent. Il importe de relever, à cet égard, que la qualification de la continuation d’une infraction après les premières interventions de la Commission de circonstance aggravante (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Sigma Tecnologie/Commission, T‑28/99, Rec. p. II‑1845, points 102 et suivants) constitue déjà, à juste titre, une incitation à mettre fin à l’infraction, mais qui, bien au contraire de la circonstance atténuante en cause, n’amoindrit ni la sanction ni l’effet dissuasif de cette sanction.
337 Ainsi, la reconnaissance de la cessation d’une infraction dès les premières interventions de la Commission comme circonstance atténuante porterait atteinte de manière injustifiée à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE, par l’amoindrissement tant de la sanction que de l’effet dissuasif de la sanction. Par conséquent, la Commission ne pouvait s’imposer à elle-même de considérer la simple cessation de l’infraction dès ses premières interventions comme une circonstance atténuante. Partant, il y a lieu d’interpréter restrictivement la disposition figurant au point 3, troisième tiret, des lignes directrices, de façon qu’elle ne soit pas contraire à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE.
338 Par conséquent, il y a lieu d’interpréter cette disposition en ce sens que seules les circonstances particulières du cas d’espèce, dans lesquelles l’hypothèse de la cessation de l’infraction dès les premières interventions de la Commission trouve à se concrétiser, pourraient justifier la prise en compte de cette dernière circonstance comme circonstance atténuante (voir, en ce sens, arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 35 supra, point 213). C’est donc à tort qu’ADM considère que la Commission a commis une illégalité dans la Décision au motif qu’elle aurait dû d’office prendre en considération la cessation de l’infraction par ADM dès les premières interventions de la Commission, conformément aux lignes directrices.
339 Toutefois, l’illégalité invoquée par ADM pourrait être interprétée comme visant l’absence de prise en compte de la cessation de son infraction dans le contexte particulier du cas d’espèce.
340 Dans le cas d’espèce, il convient, pourtant, de rappeler que l’infraction en cause a trait à une entente secrète ayant pour objet une fixation de prix et une répartition de marchés. Ce type d’entente est expressément interdit par l’article 81, paragraphe 1, sous a) et c), CE, et constitue une infraction particulièrement grave. Les parties devaient, dès lors, avoir conscience du caractère illicite de leur comportement. Le caractère secret de l’entente confirme le fait que les parties avaient conscience du caractère illicite de leur agissement. Par conséquent, le Tribunal estime qu’il ne fait aucun doute que cette infraction a été commise de propos délibéré par les parties en cause.
341 Or, le Tribunal a déjà expressément considéré que la cessation d’une infraction commise de propos délibéré ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante lorsqu’elle a été déterminée par l’intervention de la Commission (arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Aristrain/Commission, T‑156/94, Rec. p. II‑645, point 138, et Ensidesa/Commission, T‑157/94, Rec. p. II‑707, point 498).
342 Au regard de ce qui précède, le Tribunal estime que, en l’espèce, le fait pour ADM d’avoir mis fin à l’infraction à la suite de la première intervention d’une autorité de la concurrence n’est pas susceptible de constituer une circonstance atténuante.
343 Cette conclusion n’est pas affectée par le fait que, en l’espèce, c’est à la suite de l’intervention des autorités américaines et non de la Commission qu’ADM a mis fin aux pratiques anticoncurrentielles en cause (voir considérants 128 et 193 de la Décision). En effet, le fait pour ADM d’avoir cessé toute infraction dès les premières interventions des autorités de la concurrence américaines ne rend pas cette cessation plus délibérée que si elle avait eu lieu dès les premières interventions de la Commission.
344 ADM invoque encore l’arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission (point 35 supra, point 238) à l’appui de son argumentation, dans la mesure où le Tribunal y aurait jugé qu’une réduction de l’amende devait être accordée aux entreprises ayant précédemment collaboré avec la Commission pour mettre fin à l’entente. Il suffit, à cet égard, de souligner que cet arrêt ne permet pas de conclure que le fait que la requérante ait mis fin à l’infraction dès les premières interventions d’une autorité de la concurrence constitue dans tous les cas une circonstance atténuante. En outre, dans le passage invoqué par ADM, l’arrêt énonce le principe selon lequel, lorsque le comportement de l’entreprise incriminée a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin, cette circonstance doit être prise en compte. Or, cette circonstance implique une initiative de l’entreprise incriminée qui va au-delà de la seule cessation de l’infraction à la suite de l’intervention de la Commission. Par conséquent, cette jurisprudence n’est pas de nature à remettre en cause l’analyse reprise ci-dessus.
345 S’agissant de l’affaire des acides aminés (voir point 327 ci-dessus), invoquée par ADM afin de démontrer une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, le Tribunal estime tout d’abord qu’une pratique administrative ne peut découler d’un seul cas. En outre, il convient de rappeler que le seul fait que la Commission a apprécié, dans le cadre de sa pratique décisionnelle antérieure, un comportement d’une certaine manière n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation à l’occasion de l’adoption d’une décision ultérieure (voir, par analogie, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 357 ; Mayr-Melnhof, point 180 supra, point 368, et LR AF 1998/Commission, point 41 supra, points 234 et 337). Enfin et en tout état de cause, le Tribunal considère que ce cas n’est susceptible de remettre en cause ni l’analyse découlant d’un des objectifs clés de la Communauté reprise ci-dessus ni la jurisprudence issue des arrêts Aristrain/Commission et Ensidesa/Commission, point 341 supra, en ce qu’il ne traduit que l’appréciation de la Commission.
346 Partant, pour les raisons qui précèdent, l’absence de prise en compte en l’espèce de la cessation de l’infraction dès les premières interventions des autorités de la concurrence américaines comme circonstance atténuante ne peut être considérée comme erronée.
C – Sur l’absence de prise en compte des dommages et intérêts
1. Arguments des parties
347 ADM évalue à quelque 15,7 millions de USD les dommages-intérêts qu’elle a payés à des acheteurs autres que ceux des États-Unis. Elle estime que, de ce montant, une somme comprise entre 6,8 et 11,7 millions de USD se rapporte à des achats effectués dans l’Union européenne. ADM considère que c’est à tort que la Commission a déclaré qu’elle n’était pas tenue de prendre en compte des dommages-intérêts versés dans le cadre d’actions civiles (considérant 335 de la Décision). Selon ADM, la Commission aurait dû en tenir compte au titre d’une circonstance atténuante.
348 La Commission conclut au rejet de ce moyen
2. Appréciation du Tribunal
349 Les paiements invoqués par ADM comme circonstance atténuante concernent les dommages et intérêts qu’ADM a payés à des acheteurs autres que ceux des États-Unis et dont une partie se rapporterait à des achats effectués dans l’Union européenne. Étant donné que la condamnation d’ADM aux États-Unis comprend le paiement de dommages et intérêts triples, les dommages et intérêts invoqués par ADM comprennent potentiellement non seulement un simple dédommagement, mais également une sanction.
350 En ce que ces dommages et intérêts constituent une sanction (dommages et intérêts triples), le Tribunal estime que le paiement de ces dommages et intérêts ne constitue pas une circonstance atténuante que la Commission devait prendre en considération en l’espèce. En effet, le paiement par ADM d’une sanction aux États-Unis n’est que la conséquence des procédures entamées aux États-Unis. Le paiement de cette sanction n’a pas trait à une particularité d’ADM et ne se rattache pas à suffisance aux faits dont doit connaître la Commission. Partant, le paiement de cette sanction ne peut remettre en cause la réalité et la gravité de l’infraction commise.
351 En ce que les dommages et intérêts en cause constituent un dédommagement des acheteurs de l’Union européenne, le Tribunal estime que les procédures en cause et les paiements exigés par la Commission, d’une part, et par les autorités américaines, d’autre part, ne poursuivent à l’évidence pas les mêmes objectifs. Si, dans le premier cas, la Commission vise, par le biais d’une amende, à sanctionner la violation du droit de la concurrence dans la Communauté ou l’EEE, dans le second cas, les autorités américaines visent à indemniser les victimes des agissements d’ADM. Partant, le paiement de ces dommages et intérêts ne se rattache pas à suffisance aux faits dont doit connaître la Commission.
352 Par conséquent, la Commission n’était pas tenue de prendre en considération, lors de la fixation du montant de l’amende, la circonstance selon laquelle ADM avait déjà payé des dommages et intérêts dans le cadre d’actions intentées aux États-Unis.
353 ADM considère cependant que, en ne tenant pas compte des dommages et intérêts versés à des acheteurs d’acide citrique établis dans l’EEE en tant que circonstance atténuante, la Commission enfreint le principe d’égalité de traitement en ce qu’elle s’écarte de sa pratique suivie dans des affaires similaires.
354 Le Tribunal observe, à cet égard, qu’ADM fonde l’existence d’une telle pratique sur une seule affaire, à savoir l’affaire dite des « conduites précalorifugées » [décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article [81] CE (affaire IV/35.691/E-4 – Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1)]. Or, l’invocation d’une seule affaire ne permet pas de démontrer l’existence d’une pratique de la Commission et ADM reste en défaut de démontrer le caractère comparable des deux affaires. En effet, ADM n’indique nullement en quoi son dédommagement en l’espèce serait du même ordre que celui en cause dans l’affaire précitée, à savoir important et limité à un des producteurs du secteur et à son propriétaire. En outre, comme cela est rappelé au point 345 ci-dessus, le seul fait que la Commission ait apprécié, dans le cadre de sa pratique décisionnelle antérieure, un comportement d’une certaine manière n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation à l’occasion de l’adoption d’une décision ultérieure.
355 Partant, le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement en ce que la Décision s’écarterait d’une pratique selon laquelle les dommages et intérêts versés à des acheteurs du marché en cause constitueraient une circonstance atténuante doit être rejeté.
D – Sur l’adoption d’un code de conduite par ADM
1. Arguments des parties
356 ADM fait valoir que la Commission aurait dû tenir compte, lors du calcul de l’amende, de la mise en place au sein d’ADM d’un programme rigoureux et permanent de mise en conformité avec les règles de concurrence comportant, notamment, l’adoption d’un code de conduite adressé à tous les employés de l’entreprise et la création d’un département spécialisé.
357 En outre, l’adoption du programme de mise en conformité avec les règles de concurrence, la mise en place d’une nouvelle direction et le licenciement des cadres supérieurs impliqués dans l’infraction démontreraient une contrition sincère de l’entreprise. Par ailleurs, ADM souligne qu’elle n’avait jusque là fait l’objet d’aucune constatation défavorable au titre du droit communautaire de la concurrence. ADM en déduit que la Commission a commis une violation du principe de proportionnalité.
358 La Commission conclut au rejet de ce moyen.
2. Appréciation du Tribunal
359 En ce qui concerne la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité avec les règles de la concurrence, il a déjà été jugé que, s’il est certes important qu’une entreprise prenne des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, la prise de telles mesures ne change rien à la réalité de l’infraction constatée. La Commission n’est donc pas tenue de retenir un tel élément comme circonstance atténuante, d’autant plus lorsque l’infraction en cause constitue, comme en l’espèce, une violation manifeste de l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 41 supra, point 373 ; Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 41 supra, points 280 et 281, et ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 35 supra, point 221).
360 Dès lors ce moyen doit également être rejeté.
VII – Sur la coopération d’ADM durant la procédure administrative
A – Introduction
361 En ce qui concerne sa coopération durant la procédure administrative, ADM soulève, en substance, quatre moyens. Premièrement, ADM allègue une violation de la communication sur la coopération entraînant une violation du principe de confiance légitime en ce que la Commission n’a pas constaté qu’ADM aurait été la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente. Deuxièmement, ADM fait état d’une violation du principe de confiance légitime en ce que la Commission aurait fait naître chez ADM des espérances fondées, en ce sens qu’elle lui appliquerait le titre B de la communication sur la coopération. Troisièmement, ADM fait valoir que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en ce qu’elle a réservé à ADM et à Cerestar un traitement différent. Quatrièmement, ADM considère que la Commission a violé les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en ce qu’elle a limité la réduction de l’amende à 50 %.
362 Avant d’apprécier le bien-fondé de ces moyens, il convient de résumer l’appréciation de la Commission quant à la coopération des entreprises durant la procédure administrative, telle qu’elle ressort des considérants 294 à 326 de la Décision.
363 Tout d’abord, en application du titre B de la communication sur la coopération (voir point 6 ci-dessus), la Commission a consenti à Cerestar une « réduction très importante », de 90 %, du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération. Dans ce contexte, la Commission a reconnu que Cerestar avait été la première entreprise à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente lors d’une réunion avec les services de la Commission du 29 octobre 1998. Elle ajoute que les « renseignements fournis par [Cerestar lors de] la réunion du 29 octobre 1998, qui correspondent à ceux qui ont figuré ultérieurement dans sa déclaration écrite du 25 mars 1999, ont suffi pour établir l’existence de l’entente et ont été communiqués à la Commission avant qu’ADM ne les lui fournisse » (considérant 306 de la Décision). Dès lors, la Commission a rejeté les arguments d’ADM tirés de ce qu’elle remplissait les conditions prévues au titre B de cette même communication pour bénéficier d’une « réduction très importante » du montant des amendes tout en ajoutant « qu’ADM était l’un des meneurs de l’entente » (considérants 305 à 308 de la Décision).
364 En outre, en application du titre D de cette communication, la Commission a consenti à ADM une « réduction significative », de 50 %, du montant de l’amende. Dans ce contexte, la Commission a tenu compte de ce que, lors d’une réunion tenue le 11 décembre 1998, ADM lui avait fait un compte rendu oral de l’entente et que, le 15 janvier 1999, elle lui avait communiqué une déclaration écrite confirmant les termes de ce compte rendu. La Commission a reconnu que « les renseignements fournis par ADM étaient détaillés et qu’elle les a par conséquent très largement utilisés pour poursuivre son enquête ». En effet, avec les informations obtenues de Cerestar, ces renseignements auraient servi à rédiger les demandes de renseignements qui ont fortement contribué à amener les autres parties concernées à admettre leur participation à l’entente. En outre, la Commission a considéré « qu’ADM a[vait] pu fournir à la Commission des documents contemporains de l’infraction, et notamment des notes manuscrites prises lors de réunions de l’entente et des instructions en matière de prix liées aux décisions prises par les membres de l’entente » (considérants 312 à 315 de la Décision).
B – En ce qu’ADM aurait été la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente
1. Arguments des parties
365 ADM considère que la Commission a omis d’appliquer correctement sa communication sur la coopération et a ainsi violé le principe de confiance légitime. Elle fait valoir que la réduction de 50 % du montant de l’amende qui lui a été infligée, accordée au titre des dispositions du titre D de la communication sur la coopération, est insuffisante. Selon elle, contrairement à ce que la Commission a relevé au considérant 308 de la Décision, ADM a été la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente au sens du titre B, sous b), de la communication sur la coopération. En revanche, contrairement à ce que la Commission aurait estimé au considérant 305 de la Décision, les preuves fournies par Cerestar lors de la réunion intervenue le 29 octobre 1998 avec les services de la Commission n’auraient pas été déterminantes au sens de ladite disposition de la communication sur la coopération.
366 En effet, premièrement, aucune information n’aurait été fournie par Cerestar au sujet de l’entente avant le 12 mai 1992, date à laquelle celle-ci a commencé à y être impliquée. La connaissance que la Commission a eue de l’entente au cours de la période antérieure au 12 mai 1992 aurait été due aux informations fournies tout d’abord par ADM.
367 Deuxièmement, la déclaration fournie par Cerestar le 18 mars 1999 n’aurait été ni concluante ni précise quant aux dates des réunions et aux participants de l’entente. Elle aurait identifié 32 réunions, qui se seraient tenues à différentes dates se situant entre le 14 novembre 1991 (avant l’adhésion de Cerestar à l’entente) et le 17 juillet 1996 (bien après la dissolution de l’entente). Elle aurait déclaré que neuf d’entre elles étaient des réunions de l’entente qui avaient certainement eu lieu, huit étaient des réunions « possibles » et quinze n’étaient pas des réunions de l’entente ou « il [aurait été] de moins en moins probable qu’elles l’aient été ». L’identité des participants aurait été fournie pour trois des 17 réunions qui s’étaient révélées être des réunions « certaines » ou « possibles » de l’entente. Six des réunions ainsi identifiées n’auraient en réalité nullement eu lieu, selon le témoignage des autres parties concernées et les constatations de la Commission.
368 Troisièmement, Cerestar aurait reconnu ultérieurement dans une lettre adressée à la Commission le 7 mai 1999 qu’un certain nombre de réunions ainsi identifiées n’avaient en réalité, après plus ample examen, pas eu lieu.
369 Quatrièmement, la déclaration de Cerestar serait vague et peu concluante quant à l’objet des réunions. Aucune donnée précise n’aurait été fournie concernant les prix et les quotas (en dehors des quotas fixés pour Cerestar elle-même).
370 Cinquièmement, il n’apparaîtrait pas clairement si, à l’instar d’ADM, Cerestar a fourni à la Commission une preuve sous forme d’un témoignage de première main. Toutefois, Cerestar aurait estimé nécessaire de développer et de clarifier sa déclaration orale du 29 octobre 1998.
371 Sixièmement, Cerestar elle-même aurait fait l’objet d’une demande plus détaillée d’informations de la part de la Commission, datée du 3 mars 1999 et fondée sur les conclusions d’ADM. Cerestar aurait eu l’occasion d’examiner la demande d’informations, qui se serait référée à des dates et lieux déterminés de réunions et aurait été basée sur la coopération d’ADM, avant de communiquer à la Commission sa déclaration finale du 25 mars 1999 (datée du 18 mars 1999).
372 En revanche, soutient ADM, les preuves apportées par elle-même ont été concluantes. En effet, souligne ADM, lors de la réunion du 11 décembre 1998, elle a fourni à la Commission un témoignage de première main, une preuve documentaire contemporaine ainsi que des documents probants établissant le cadre et la mise en œuvre de l’accord organisant l’entente. Les éléments de preuve produits par ADM auraient fourni de nombreux détails précis concernant les réunions, les participants, les mécanismes de compensation et de contrôle, les prix et les quotas, ainsi que la Commission l’aurait elle-même admis aux considérants 313 et 314 de la Décision.
373 La Commission conclut au rejet des moyens invoqués.
2. Appréciation du Tribunal
374 Le titre B de la communication sur la coopération, intitulé « Non-imposition d’amende ou réduction très importante de son montant », dispose :
« L’entreprise qui
a) dénonce l’entente secrète à la Commission avant que celle-ci ait procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l’entente, et sans qu’elle dispose déjà d’informations suffisantes pour prouver l’existence de l’entente dénoncée ;
b) est la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente ;
c) a mis fin à sa participation à l’activité illicite au plus tard au moment où elle dénonce l’entente ;
d) fournit à la Commission toutes les informations utiles, ainsi que tous les documents et éléments de preuve dont elle dispose au sujet de l’entente et maintient une coopération permanente et totale tout au long de l’enquête ;
e) n’a pas contraint une autre entreprise à participer à l’entente ni eu un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans l’activité illicite,
bénéficie d’une réduction d’au moins 75 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, réduction pouvant aller jusqu’à la non-imposition totale de l’amende. »
375 Il résulte des termes du titre B de la communication sur la coopération qu’une entreprise ne peut bénéficier d’une réduction très importante du montant de l’amende, voire d’une non-imposition de l’amende, au sens de ce titre, que si elle remplit cumulativement toutes les conditions prévues au titre B, sous a) à e), de cette communication.
376 En l’espèce, il suffit de constater que, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 308 de la Décision, ADM ne pouvait, en tout état de cause, bénéficier d’une réduction de l’amende, voire d’une non-imposition de l’amende, en vertu du titre B de la communication sur la coopération. En effet, ADM ne remplissait pas une des conditions cumulatives qui y sont prévues, à savoir celle du titre B, sous e), selon laquelle ne peut bénéficier d’une telle réduction, voire d’une non-imposition de l’amende, une entreprise qui, notamment, a joué un rôle « d’initiation ou un rôle déterminant dans l’activité illicite ».
377 Or, ainsi qu’il a été jugé au point 302 ci-dessus, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant qu’ADM avait joué le rôle de meneur dans l’entente. Même si la communication sur la coopération, les lignes directrices et la Décision n’emploient pas, à ce sujet, des termes identiques, il résulte de l’esprit du titre B, sous e), de la communication sur la coopération que la Commission n’entend pas accorder une réduction très importante de l’amende, voire la non-imposition totale de celle-ci, si la partie concernée a joué un rôle particulièrement déterminant au sein de l’entente, tel qu’un rôle de meneur, d’incitateur ou d’instigateur.
378 Partant, il doit être constaté que les moyens tirés de la violation de la communication sur la coopération ainsi que du principe de confiance légitime en ce qu’ADM a été la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente sont inopérants, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la Commission a considéré à bon droit que c’était Cerestar qui avait fourni la première des informations déterminantes pour établir l’existence de l’entente.
379 Par conséquent, les moyens tirés de la violation de la communication sur la coopération et du principe de confiance légitime doivent être rejetés.
C – Sur la violation du principe de confiance légitime
1. Arguments des parties
380 ADM fait valoir que, au cours de différentes réunions avec les services de la Commission et dans la correspondance antérieure et postérieure à la présentation d’éléments de preuve par ADM le 11 décembre 1998, la Commission a confirmé qu’ADM avait été la première à coopérer avec elle au sens du titre B de la communication sur la coopération.
381 En effet, lors d’une réunion intervenue le 10 décembre 1998 entre ADM, son conseil juridique et les services de la Commission, le chef d’unité chargé de l’affaire aurait confirmé à ADM que celle-ci était la première à coopérer, ainsi que cela ressortirait du compte rendu établi par le conseil juridique d’ADM le même jour. En outre, dans sa lettre du 19 janvier 1999, la Commission se serait référée au titre B de la communication sur la coopération. Dans la réponse du conseil d’ADM, celui-ci aurait confirmé ce point. Enfin, dans sa lettre du 5 février 1999, la Commission se serait à nouveau référée au titre B, sous b), de ladite communication.
382 Or, fait valoir ADM, au considérant 308 de la Décision, la Commission a modifié son appréciation de la coopération d’ADM alors que, au cours de la procédure administrative, celle-ci s’était fiée aux déclarations de la Commission en lui soumettant ses éléments de preuve le 11 décembre 1998 ainsi que durant sa coopération ultérieure, continue et sans réserve avec la Commission. Dans ces conditions, selon ADM, il convient de conclure que la Commission a violé le principe du respect de la confiance légitime.
383 La Commission conclut au rejet du moyen invoqué.
2. Appréciation du Tribunal
384 Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue un principe général du droit communautaire, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation dans laquelle il ressort que l’administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêt de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens/Commission, 265/85, Rec. p. 1155, point 44, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 33).
385 Il convient d’examiner si, comme le soutient ADM, la Commission lui a fourni des assurances précises en ce sens qu’elle lui accorderait le bénéfice d’une réduction de l’amende en application du titre B de la communication sur la coopération.
386 Premièrement, il semble ressortir des notes manuscrites que l’avocat d’ADM a établies lors de la réunion du 10 décembre 1998 intervenue entre des représentants d’ADM et les services de la Commission, qu’un fonctionnaire de la Commission a dit à cette occasion qu’ADM était la première à coopérer avec elle dans le cadre de l’affaire « acide citrique » (« [Nom du fonctionnaire] a confirmé que nous étions les premiers coopérants en ce qui concerne l’affaire de l’acide citrique »). Si cette phrase semble effectivement aller dans le sens indiqué par ADM, elle n’est pourtant pas aussi explicite que voudrait le faire croire ADM.
387 Deuxièmement, dans une lettre adressée le 19 janvier 1999 à l’avocat d’ADM, en se référant à la réunion du 11 décembre 1998, le chef d’unité chargé de l’affaire a noté ce qui suit :
« Lors de la réunion, [ADM] a consenti, faisant suite à une discussion approfondie à ce sujet, [à] fournir à la Commission une déclaration écrite contenant toutes les informations dont [elle] disposait [...] relativement à l’entente illicite sur le marché de l’acide citrique à laquelle elle a[vait] participé, en remplissant les conditions prévues par la [communication sur la coopération] et plus particulièrement au [ titre B, sous d)]. »
388 À la fin de cette lettre, le chef d’unité chargé de l’affaire a réitéré « l’importance de la condition prévue au [titre B, sous d)] de la [communication sur la coopération] ».
389 Dans sa réponse du 1er février 1999, l’avocat d’ADM a confirmé « que [son] client a[vait] l’intention de maintenir une coopération permanente et totale, conformément au [titre B, sous d)] de la [communication sur la coopération] ».
390 Enfin, dans une lettre adressée le 5 février 1999 à l’avocat d’ADM, en se référant au mémorandum qu’elle avait transmis à la Commission le 15 janvier 1999, le chef d’unité chargé de l’affaire a noté ce qui suit :
« [L’]ensemble de l’objet de votre offre volontaire de coopération faite à la Commission, au titre de la communication sur la [coopération], consiste en ce que les éléments fournis se présentent sous une forme qui constitue une preuve (déterminante) à l’encontre des autres participants au sein de l’entente. »
391 Il ressort de ce qui précède que la Commission a effectivement cherché à inciter les parties concernées à coopérer avec elle le plus complètement qu’il soit en leur rendant cet exercice le plus attrayant possible, moyennant des références au titre B de la communication sur la coopération.
392 Dans ce contexte, la Commission a indiqué à ADM que, en principe, celle-ci était « éligible » à une réduction très importante de l’amende en application du titre B de la communication sur la coopération et s’est engagée à examiner les documents soumis par ADM pour vérifier si celle-ci remplissait effectivement les critères qui y étaient prévus, et en particulier ceux prévus au titre B, sous d).
393 En revanche, dans toutes les lettres qui ont précédé l’envoi de la communication des griefs et l’adoption de la Décision, la Commission n’a fourni aucune assurance précise – et ne pouvait d’ailleurs pas le faire – en ce sens qu’elle lui accorderait le bénéfice de la réduction de l’amende en application du titre B de la communication sur la coopération.
394 Or, ce n’est que sur la base d’une appréciation de l’ensemble des informations soumises par les entreprises au cours de la procédure administrative que la Commission peut décider si l’une d’elles peut bénéficier d’une réduction de l’amende en application du titre B de la communication sur la coopération, ainsi que la Commission l’a d’ailleurs souligné sans ambiguïté au point 159 de la communication des griefs.
395 Par conséquent, le moyen tiré de la violation du principe de confiance légitime doit être rejeté.
D – Sur la violation du principe d’égalité de traitement en ce que la Commission a réservé à ADM et à Cerestar un traitement différent
1. Arguments des parties
396 Selon ADM, le traitement différent réservé à Cerestar et à elle-même viole le principe d’égalité de traitement, dès lors qu’elle et Cerestar ont coopéré dans des circonstances similaires, au même stade de la procédure et au cours de la même période.
397 En effet, estime ADM, les deux parties ont coopéré à la suite de la demande d’informations adressée par la Commission à tous les producteurs en juin-juillet 1998, aucune des deux n’avait connaissance de la coopération de l’autre et, quant à la période durant laquelle se situe la coopération, depuis l’aveu initial de la participation à l’entente jusqu’à l’envoi à la Commission d’une déclaration écrite complète, la coopération d’ADM s’est déroulée au cours d’une période similaire et a commencé et pris fin avant celle de Cerestar.
398 Or, rappelle ADM, le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission (T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, points 246 à 248), que l’appréciation du degré de coopération fourni par des entreprises ne saurait dépendre de facteurs purement hasardeux, tels que l’ordre dans lequel elles sont interrogées par la Commission. Tel aurait toutefois été le cas en l’espèce. En effet, souligne ADM, la date à laquelle les sociétés en cause sont convenues avec la Commission de la date d’une réunion pour donner à cette dernière une description orale de l’entente résulte d’un facteur purement aléatoire. ADM ne devrait pas, à son avis, subir de préjudice à cet égard en raison du temps prolongé qu’elle a mis à entreprendre des recherches documentaires approfondies aux États-Unis et à faire en sorte de procurer à la Commission des témoignages directs afin qu’elle dispose des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente, selon les termes du titre B, sous b), de la communication sur la coopération. Les rectifications, déclarations reformulées et informations complémentaires communiquées par Cerestar prouveraient le bien-fondé du souci d’ADM de fournir à la Commission des informations précises, détaillées et abondantes.
399 La Commission conclut au rejet du moyen.
2. Appréciation du Tribunal
400 L’argumentation d’ADM est pour l’essentiel fondée sur les principes dégagés par le Tribunal aux points 238 à 248 de l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 398 supra. À cet égard, il y lieu de rappeler que, dans cet arrêt, ainsi que, d’ailleurs, dans son arrêt du 13 décembre 2001, Acerinox/Commission (T‑48/98, Rec. p. II‑3859, points 132 à 141), le Tribunal a examiné l’application par la Commission du titre D de la communication sur la coopération. Il a, en substance, jugé que, à moins d’entrer en conflit avec le principe d’égalité de traitement, la communication sur la coopération doit être appliquée en ce sens que, en ce qui concerne la réduction des amendes, la Commission doit traiter de la même façon les entreprises qui fournissent à la Commission au même stade de la procédure et dans des circonstances analogues des informations semblables concernant les faits qui leurs sont reprochés. Le Tribunal a ajouté que la seule circonstance que l’une de ces entreprises ait reconnu les faits reprochés en répondant la première aux questions que la Commission leur a posées au même stade de la procédure ne saurait constituer une raison objective de leur réserver un traitement différencié.
401 Il convient de constater que, dans ces autres affaires et à la différence du cas d’espèce, il était constant que la coopération des entreprises concernées ne tombait pas dans le champ d’application des titres B et C de la communication sur la coopération. Ainsi qu’il ressort du point 219 de l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 398 supra, la Commission a appliqué à toutes les entreprises concernées par la décision attaquée les dispositions du titre D de cette communication. Ces autres affaires soulevaient donc uniquement la question de savoir si, en réservant aux parties requérantes un traitement différent par rapport à celui accordé à une autre entreprise concernée, à l’intérieur de la marge d’appréciation dont elle dispose pour l’application du titre D de cette communication, la Commission a commis une violation du principe d’égalité de traitement.
402 En revanche, dans le cas d’espèce, ADM cherche à démontrer, en substance, que c’était en raison de facteurs purement hasardeux que Cerestar a été la première à avoir été incitée à coopérer avec la Commission et que c’était pour cette raison que Cerestar s’est vu attribuer une réduction en application du titre B de la communication sur la coopération. ADM insinue que si elle était convenue en premier avec la Commission d’une date de réunion pour fournir à cette dernière une description de l’entente, elle aurait pu profiter d’une réduction du montant de l’amende plus importante en application, à tout le moins, du titre C de cette communication, car elle aurait pu être la première à fournir les informations transmises par Cerestar. ADM n’invoque donc pas la jurisprudence issue de l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 398 supra, pour démontrer que la Commission lui a appliqué le titre D de la communication sur la coopération de façon discriminatoire par rapport aux autres membres de l’entente.
403 Or, il convient d’observer que, contrairement aux titres B et C de la communication sur la coopération, le titre D de celle-ci ne prévoit pas un traitement différent des entreprises concernées en fonction de l’ordre dans lequel celles-ci coopèrent avec la Commission. Par conséquent, dans les affaires ayant abouti aux arrêts Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 398 supra, et Acerinox/Commission, point 400 supra, la Commission a tenu compte de cet élément sans qu’il soit expressément prévu au titre D de ladite communication.
404 Cela étant, même si, pour assurer le succès du régime de la coopération des entreprises concernées avec la Commission en matière de cartels secrets, celle-ci doit disposer d’une large marge d’appréciation dans l’organisation de la procédure, il n’en demeure pas moins que la Commission ne saurait agir de façon arbitraire.
405 À ce sujet, il convient de rappeler que, aux considérants 54 et 55 de la Décision, la Commission a indiqué que, à la suite de l’intervention des autorités américaines dans le domaine de l’acide citrique, la Commission a envoyé en août 1997 des demandes de renseignements aux quatre plus importants producteurs d’acide citrique de la Communauté. À la suite d’une demande écrite du Tribunal, la Commission a confirmé que cette demande a, notamment, été envoyée à ADM. En juin et juillet 1998, des demandes d’informations complémentaires ont été envoyées aux principaux producteurs d’acide citrique de la Communauté, dont ADM. En outre, une première demande de renseignements a été adressée à Cerestar. L’envoi de ces dernières demandes de renseignements est confirmée tant par la Commission dans sa réponse aux questions du Tribunal que par ADM elle-même (voir point 397 ci-dessus). C’est à la suite de cette dernière demande de renseignements que Cerestar a demandé à rencontrer la Commission le 29 octobre 1998 et que, au cours de cette réunion, elle a déclaré vouloir coopérer avec la Commission et elle a fourni des éléments sur l’existence d’une entente affectant l’EEE dans le secteur de l’acide citrique. Ainsi, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir agi de manière arbitraire vis-à-vis d’ADM en ce qui concerne l’organisation de la procédure qui comprend l’envoi des demandes d’informations.
E – Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en ce que la Commission a limité la réduction de l’amende à 50 %
1. Arguments des parties
406 En se référant aux arguments soulevés aux points 365 à 372 ci-dessus, ADM fait valoir que la Commission n’est pas liée par sa propre communication sur la coopération et qu’elle aurait dû lui accorder une réduction égale ou supérieure à celle retenue pour Cerestar. ADM ajoute que sa coopération au cours de la procédure administrative a été au moins équivalente à celle de Stora Kopparbergs Bergslags AB dans l’affaire dite « Carton », dans laquelle la Commission avait réduit l’amende des deux tiers.
407 Dès lors, selon ADM, la Commission a commis une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.
408 La Commission conclut au rejet du moyen invoqué.
2. Appréciation du Tribunal
409 Il convient de rappeler que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, lequel constitue la base juridique pour l’imposition des amendes en cas d’infraction aux règles du droit communautaire de la concurrence, confère à la Commission une marge d’appréciation dans la fixation des amendes (arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127) qui est, notamment, fonction de sa politique générale en matière de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra, points 105 et 109). C’est dans ce cadre que, pour assurer la transparence et le caractère objectif de ses décisions en matière d’amendes, la Commission a adopté et publié, en 1996, la communication sur la coopération. Il s’agit d’un instrument destiné à préciser, dans le respect du droit de rang supérieur, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation ; il en résulte une autolimitation de ce pouvoir (voir, par analogie, arrêts du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T‑214/95, Rec. p. II‑717, point 89, et Tokai Carbon e.a./Commission, point 63 supra, point 157), dans la mesure où il appartient à la Commission de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est imposées (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, Rec. p. II‑2169, point 57).
410 Ainsi, contrairement à ce que soutient ADM, la Commission était tenue d’appliquer les critères qu’elle s’est fixés dans la communication sur la coopération (arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 63 supra, point 157). Cette application des critères fixés dans la communication sur la coopération n’est, en l’espèce, pas susceptible d’être affectée par la disposition des lignes directrices prévoyant comme circonstance atténuante la collaboration effective de l’entreprise à la procédure. En effet, le point 3, dernier tiret, des lignes directrices précise expressément que seule une collaboration effective en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération constitue une circonstance atténuante. Or, en l’espèce, la collaboration d’ADM dès le début s’est effectuée en vertu de la communication sur la coopération, ce qui exclut la prise en compte de cette collaboration comme circonstance atténuante. En outre, en ce qui concerne la réduction du montant de l’amende pour ADM, le Tribunal considère que, eu égard aux informations communiquées par ADM dans le cadre de sa coopération, cette réduction n’est pas disproportionnée. Enfin, s’agissant de la violation de l’égalité de traitement eu égard à la décision de l’affaire dite « Carton » (point 406 supra), le Tribunal observe que cette décision a été prise en 1994, soit avant l’application de la communication sur la coopération, et qu’ADM n’établit pas d’équivalence entre les preuves détaillées fournies par Stora dans l’affaire dite « Carton » et celles fournies par elle dans la Décision. Partant, il ne peut être fait état, à cet égard, d’une violation du principe d’égalité de traitement.
411 Par conséquent, les moyens tirés de la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité doivent être rejetés.
VIII – Sur les vices affectant la procédure administrative
A – Quant à la portée de l’infraction reprochée aux parties
1. Arguments des parties
412 ADM fait valoir que, au considérant 158 de la Décision, la Commission a indiqué ceux des éléments qui, dans les accords et arrangements conclus dans le cadre de l’entente, étaient pertinents aux fins de l’établissement d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 3, EEE. Or, soutient ADM, deux de ces éléments n’étaient pas mentionnés dans la communication des griefs, à savoir que les parties, premièrement, avaient restreint les capacités de production (deuxième tiret) et, deuxièmement, avaient désigné parmi eux un producteur qui devait conduire les augmentations de prix dans chaque marché national (quatrième tiret).
413 ADM conteste l’assertion selon laquelle cette omission n’a eu aucune incidence sur le fond de l’analyse des faits et des preuves ainsi que sur le calcul de l’amende. En effet, ADM soutient que, au cours de la procédure administrative, elle a fait valoir que c’était précisément l’absence de restriction de capacité qui amoindrissait les effets de l’entente, conclusion qui avait été rejetée par la Commission qui avait estimé, au contraire, qu’il y avait eu un impact réel sur le marché.
414 ADM en déduit que, conformément à ses conclusions, l’article 1er de la Décision doit être annulé en ce qu’il dispose, en liaison avec le considérant 158 de la Décision, que les parties concernées ont restreint les capacités de production et ont désigné parmi eux un producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause.
415 La Commission fait valoir que, s’il est vrai que les deux éléments en question ne figuraient pas dans la communication des griefs, il n’en reste pas moins qu’il s’agissait uniquement de deux des huit éléments susceptibles d’être identifiés dans l’infraction en cause, présentés à titre d’exemple plutôt que sous la forme d’une énumération exhaustive. Ces deux éléments n’auraient pas modifié sur le fond les descriptions et éléments de preuve contenus dans la communication des griefs et n’auraient pas eu la moindre influence sur le calcul du montant de l’amende infligée à ADM.
2. Appréciation du Tribunal
a) Introduction
416 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, fussent-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n’est, en effet, qu’à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d’entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n’adopte une décision définitive (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, point 42 ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II-1989, point 63, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855 ; arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 138).
417 Il convient dès lors d’examiner si, dans la communication des griefs, la Commission a exposé dans des termes suffisamment clairs, fussent-ils sommaires, les griefs reprochés à ADM dans la Décision, y compris les deux griefs invoqués par ADM, de façon à lui permettre de prendre effectivement connaissance des comportements qui lui ont été reprochés.
418 À cet égard, il y a lieu d’observer que, au considérant 158 de la Décision, la Commission a retenu les éléments suivants au titre d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE :
– « attribution de marchés et de quotas de parts de marché,
– gel/restriction/fermeture de capacités de production,
– accord concerté sur des augmentations de prix,
– désignation du producteur qui devrait conduire les augmentations de prix dans chaque marché national,
– distribution de listes de prix cibles actuels et futurs, afin de coordonner les augmentations de prix,
– élaboration et mise en œuvre d’un système de communication de données et de contrôle, afin de garantir l’application des accords restrictifs,
– partage ou attribution de clients,
– participation à des réunions régulières ou autres prises de contact afin de convenir des restrictions ci-dessus et de les mettre en oeuvre et/ou de les modifier en fonction de la situation ».
419 Il est constant que, au point 134 de la communication des griefs, comportant, à l’instar du considérant 158 de la Décision, un résumé des griefs invoqués à l’encontre des parties concernées, la Commission n’a pas mentionné de façon explicite les éléments compris aux deuxième et quatrième tirets du considérant 158 de la Décision.
420 Il y a dès lors lieu d’apprécier si, sur la base d’une lecture complète de la communication des griefs, ces éléments ressortaient de façon suffisamment claire pour permettre aux parties concernées de faire valoir leurs droits de la défense.
b) En ce qui concerne le grief relatif au gel, à la restriction et à la fermeture de capacités de production d’acide citrique
421 Au considérant 158, deuxième tiret, de la Décision, la Commission reproche aux parties concernées d’avoir gelé, restreint et fermé des capacités de production. Ce grief est, certes, lié au grief retenu au considérant 158, premier tiret, de la Décision (ou en est une conséquence), où la Commission reproche aux parties concernées d’avoir attribué des quotas de parts de marché.
422 Toutefois, ces deux griefs, ainsi que la Commission l’admet elle-même, ne sont pas identiques, l’un portant sur les capacités de production et l’autre plutôt sur les quotas de vente. À cet égard, il convient également de rappeler que l’article 81, paragraphe 1, CE fait une distinction entre, d’une part, la limitation ou le contrôle de la production [ sous b)] et, d’autre part, la répartition des marchés [ sous c)].
423 Or, dans la communication des griefs, celle-ci s’est uniquement référée à la fixation de quotas de vente (voir, notamment, points 63, 70, 79 à 82, 86 et 87).
424 Dès lors, c’est à juste titre qu’ADM soutient que le grief tiré du gel, de la restriction et de la fermeture de capacités de production n’a pas été mentionné dans la communication des griefs et ne pouvait donc lui être attribué dans la Décision.
425 Par conséquent, il convient d’annuler l’article 1er de la Décision en ce que, lu en liaison avec le considérant 158, il constate qu’ADM et les autres membres de l’entente ont gelé, restreint et fermé des capacités de production d’acide citrique.
c) En ce qui concerne le grief relatif à la désignation du producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause
426 Au considérant 158, quatrième tiret, de la Décision, la Commission reproche aux parties concernées d’avoir désigné un producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause.
427 À ce sujet, il convient de constater que, dans la communication des griefs, la Commission n’a pas exposé cet élément du grief, tiré de la conclusion d’un accord sur des augmentations de prix, de façon à permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur étaient reprochés par la Commission.
428 Dès lors, c’est à juste titre qu’ADM soutient que le grief tiré de la désignation du producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause n’a pas été mentionné dans la communication des griefs et ne pouvait donc lui être attribué dans la Décision.
429 Par conséquent, il convient d’annuler l’article 1er de la Décision en ce que, lu en liaison avec le considérant 158, il constate qu’ADM et les autres membres de l’entente ont désigné le producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause.
B – Quant à l’application du facteur de dissuasion et à la qualification d’ADM d’un des meneurs de l’entente
1. Arguments des parties
430 Premièrement, ADM fait valoir qu’elle n’a pas pu se prononcer sur l’utilisation, à titre de preuves, du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar du 18 mars 1999.
431 Deuxièmement, ADM reproche à la Commission d’avoir omis de l’informer au cours de la procédure administrative qu’elle était considérée comme un meneur de l’entente et de ne pas avoir indiqué les preuves sur lesquelles elle fondait cette conclusion.
432 Troisièmement, ADM fait valoir que, en violation de ses droits de la défense, elle n’a pas été mise en mesure de présenter ses observations, durant la procédure administrative, à propos de l’application du coefficient multiplicateur 2 au montant de départ aux fins de dissuasion, coefficient multiplicateur qui ne serait pas prévu par les lignes directrices.
433 La Commission conclut au rejet des griefs soulevés.
2. Appréciation du Tribunal
434 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans la communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux parties concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée ainsi que le fait d’avoir commis celle-ci « de propos délibéré ou par négligence », elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 47 supra, point 21).
435 Il s’ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises en cause sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l’infraction (arrêts du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II-755, point 235, et HFB e.a./Commission, point 98 supra, point 312). Cette conclusion s’impose d’autant plus que la Commission, par la publication des lignes directrices, a fait connaître aux intéressés, de façon détaillée, la méthode de calcul du montant d’une éventuelle amende et la manière avec laquelle elle tiendrait compte de ces critères. Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que les lignes directrices ne font pas expressément référence à un coefficient multiplicateur étant donné qu’elles indiquent qu’il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.
436 En ce qui concerne le cas d’espèce, il convient de constater que, dans la communication des griefs, la Commission a indiqué les principaux éléments de fait et de droit susceptibles de fonder l’amende qu’elle envisageait d’infliger à ADM, amende dont elle déterminerait le montant en fonction notamment de la gravité et de la durée de l’infraction.
437 Par ailleurs, la Commission a indiqué au point 160 de la communication des griefs qu’elle entendait fixer le montant des amendes à un niveau suffisamment dissuasif. De même, au point 161 de la communication des griefs, elle a précisé, en substance, que, pour apprécier la gravité de l’infraction, elle entendait prendre en considération le fait qu’il s’agissait d’une infraction très grave qui avait pour objet de restreindre la concurrence et qui, par ailleurs, compte tenu de la nature même des accords conclus, avait un impact sérieux sur la concurrence.
438 Le respect des droits de la défense des entreprises en cause n’oblige pas la Commission à indiquer de façon plus précise, dans la communication des griefs, la manière dont elle se servira, le cas échéant, de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l’amende. En particulier, la Commission n’était tenue d’indiquer ni qu’elle pouvait considérer ADM comme meneur de l’entente ni l’importance de la majoration qu’elle appliquerait éventuellement à l’amende concernant ADM pour cette raison (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 20).
439 En ce qu’ADM soutient qu’elle n’a pas pu se prononcer sur l’utilisation, à titre de preuves, du rapport du FBI et de la déclaration de Cerestar du 18 mars 1999, il convient de rappeler que la Commission a annexé ces documents à la communication des griefs et que les parties ont ainsi été en mesure de s’exprimer à ce sujet, y compris en ce qui concerne leur utilisation en tant qu’éléments de preuve.
440 Enfin, force est de constater que la répartition des membres de cartels en groupes constitue une pratique que la Commission a développée sur la base des lignes directrices. La Décision a donc été adoptée dans un contexte bien connu d’ADM et se place dans une pratique décisionnelle constante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C‑57/00 P et C‑61/00 P, Rec. p. I‑9975, point 77).
441 Par conséquent, le moyen tiré de la violation des droits de la défense doit être rejeté.
Sur l’exercice du pouvoir de pleine juridiction
442 Au regard de l’analyse de l’ensemble des moyens invoqués par ADM, il apparaît que seuls les griefs d’ADM tirés de l’absence de communication par la Commission de certains éléments retenus par celle-ci à l’encontre d’ADM dans sa communication des griefs sont fondés. Ainsi, il a été reconnu au point 424 ci-dessus que c’est à juste titre qu’ADM soutient que le grief tiré du gel, de la restriction et de la fermeture de capacités de production n’a pas été mentionné dans la communication des griefs et ne pouvait donc lui être reproché. En outre, il a été reconnu au point 428 ci-dessus que c’est à juste titre qu’ADM soutient que le grief tiré de la désignation du producteur devant conduire les augmentations des prix dans chaque segment national du marché en cause n’a pas été mentionné dans la communication des griefs et, donc, ne pouvait lui être reproché.
443 Eu égard à la reconnaissance de cette illégalité, il incombe au Tribunal de se prononcer sur la nécessité de réformer la Décision. Le Tribunal estime, à cet égard, qu’il convient de tenir compte de ce que l’entente qui a, pour l’essentiel, porté sur la fixation des prix, sur la répartition des quotas de vente et sur un système de compensation organisé par les membres de l’entente dans l’objectif d’une pleine efficacité de l’entente constitue une infraction très grave aux règles de la concurrence communautaires. Elle a constitué une infraction continue et unique.
444 Le Tribunal constate ensuite qu’il ressort des considérants de la Décision, en particulier quant à l’appréciation de la gravité de l’infraction en raison de sa nature même et aux effets réels sur le marché de l’acide citrique, que les deux griefs que la Commission a omis de mentionner dans la communication des griefs avaient un caractère surabondant par rapport aux accords relatifs à la fixation des prix, à l’attribution de quotas de vente et au système de compensation organisé par les membres de l’entente.
445 Dès lors, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, le Tribunal considère que, malgré les omissions de la Commission dans la communication des griefs, il n’y a pas lieu de modifier le montant de l’amende fixé par la Commission.
Sur les dépens
446 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.
447 En l’espèce, la Commission n’a succombé qu’en ce qu’elle a omis de mentionner, dans la communication des griefs, deux des griefs reprochés à ADM dans la Décision (voir points 425 et 429 ci-dessus), lesquels étaient d’un caractère surabondant par rapport aux autres griefs retenus par la Commission. ADM a succombé concernant l’ensemble des autres conclusions qu’elle a présentées.
448 Dans une telle situation, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera un dixième des dépens exposés par ADM et qu’ADM supportera le restant de ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) L’article 1er de la décision 2002/742/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E-1/36.604 – Acide citrique), est annulé en ce que, lu en liaison avec le considérant 158, il constate qu’Archer Daniels Midland Co. a gelé, restreint et fermé des capacités de production d’acide citrique.
2) L’article 1er de la décision 2002/742 est annulé en ce que, lu en liaison avec le considérant 158, il constate qu’Archer Daniels Midland Co. a désigné le producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause.
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) La Commission est condamnée à supporter un dixième des dépens exposés par Archer Daniels Midland Co.
5) Archer Daniels Midland Co. est condamnée à supporter le restant de ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la Commission.
Azizi |
Jaeger |
Dehousse |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2006.
Le greffier |
Le président |
E. Coulon |
J. Azizi |
Table des matières
Faits à l’origine du litige
Procédure et conclusions des parties
En droit
I – Sur l’applicabilité des lignes directrices
A – Arguments des parties
B – Appréciation du Tribunal
II – Sur l’incidence des amendes déjà infligées dans d’autres pays
A – Arguments des parties
B – Appréciation du Tribunal
III – Sur la gravité de l’infraction
A – Introduction
B – Sur l’absence de prise en compte du chiffre d’affaires tiré de la vente du produit en cause
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
a) Sur la violation du principe de proportionnalité
b) Sur la violation des lignes directrices
c) Sur la violation de l’obligation de motivation
C – Sur l’application d’un coefficient multiplicateur au montant de départ
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
a) Sur la violation du principe de proportionnalité
b) Sur la violation du principe d’égalité de traitement
c) Sur la violation de l’obligation de motivation
D – Sur l’existence d’erreurs d’appréciation relatives à l’impact concret de l’entente sur le marché
1. Introduction
2. En ce que la Commission aurait choisi une approche erronée pour démontrer que l’entente avait eu un impact concret sur le marché
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
Résumé de l’analyse effectuée par la Commission
Appréciation
3. En ce qui concerne l’appréciation de l’évolution des prix de l’acide citrique
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
4. En ce qui concerne la définition du marché de produits pertinent
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
IV – Sur la durée de l’infraction
V – Sur les circonstances aggravantes
A – Introduction
B – Sur la qualification d’ADM de meneur de l’entente
1. Introduction
2. Sur les prétendues erreurs de la Commission quant au rôle de meneur d’ADM
a) Sur les réunions bilatérales organisées par ADM en janvier 1991
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
b) Sur la déclaration de l’ancien représentant d’ADM devant le FBI
Rappel des faits et du libellé de la Décision
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
– Introduction
– En ce que la Commission a violé des garanties procédurales prévues par le droit communautaire
– En ce que la Commission n’a pas correctement apprécié le contenu du rapport du FBI
c) Sur la déclaration de Cerestar
Arguments des parties
Appréciation du Tribunal
3. Sur la qualification d’ADM de meneur dans le cadre de l’entente
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
C – Sur la violation du principe d’égalité de traitement en ce que la Commission a imposé à ADM le même taux de majoration qu’à HLR
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
D – Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en ce que la Commission s’est écartée de sa pratique décisionnelle quant au taux de majoration imputé à ADM
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
E – Sur la violation de l’obligation de motivation dans l’appréciation des circonstances aggravantes
VI – Sur les circonstances atténuantes
A – Remarque liminaire
B – Sur la cessation de la participation à l’entente dès les premières interventions des autorités compétentes
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
C – Sur l’absence de prise en compte des dommages et intérêts
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
D – Sur l’adoption d’un code de conduite par ADM
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
VII – Sur la coopération d’ADM durant la procédure administrative
A – Introduction
B – En ce qu’ADM aurait été la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
C – Sur la violation du principe de confiance légitime
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
D – Sur la violation du principe d’égalité de traitement en ce que la Commission a réservé à ADM et à Cerestar un traitement différent
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
E – Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité en ce que la Commission a limité la réduction de l’amende à 50 %
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
VIII – Sur les vices affectant la procédure administrative
A – Quant à la portée de l’infraction reprochée aux parties
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
a) Introduction
b) En ce qui concerne le grief relatif au gel, à la restriction et à la fermeture de capacités de production d’acide citrique
c) En ce qui concerne le grief relatif à la désignation du producteur devant conduire les augmentations de prix dans chaque segment national du marché en cause
B – Quant à l’application du facteur de dissuasion et à la qualification d’ADM d’un des meneurs de l’entente
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
Sur l’exercice du pouvoir de pleine juridiction
Sur les dépens
* Langue de procédure : l’anglais.
1 – Données confidentielles occultées.