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Document 62002CJ0397

    Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 septembre 2004.
    Clinique La Ramée ASBL et Winterthur Europe Assurance SA contre Jean-Pierre Riehl et Conseil de l'Union européenne.
    Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique.
    Fonctionnaires - Avantages sociaux - Subrogation des Communautés dans les droits d'un fonctionnaire contre le tiers responsable d'un évènement dommageable.
    Affaire C-397/02.

    Recueil de jurisprudence 2004 I-07947

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:502

    Arrêt de la Cour

    Affaire C-397/02


    Clinique La Ramée ASBLetWinterthur Europe Assurance SA
    contre
    Jean-Pierre RiehletConseil de l'Union européenne



    (demande de décision préjudicielle, formée par la Cour d'appel de Bruxelles)

    «Fonctionnaires – Avantages sociaux – Subrogation des Communautés dans les droits d'un fonctionnaire contre le tiers responsable d'un évènement dommageable»

    Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 12 février 2004
        
    Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 septembre 2004
        

    Sommaire de l'arrêt

    Fonctionnaires – Subrogation des Communautés dans les droits d'un fonctionnaire contre le tiers responsable d'un événement dommageable – Limites – Application du droit national pour la détermination de l'étendue de l'obligation de réparation – Législation nationale excluant une pension de survie de ladite obligation

    (Statut des fonctionnaires, art. 85 bis, § 1)

    La subrogation prévue à l’article 85 bis du statut est une subrogation de plein droit. Elle s’opère, dans la limite des obligations découlant pour les Communautés des dispositions dudit statut, au moment de l’événement dommageable engageant la responsabilité d’un tiers.

    Toutefois, il résulte clairement du paragraphe 1 de ladite disposition que les Communautés ne disposent pas à l’encontre du tiers responsable de plus de droits que la victime ou ses ayants droit.

    L’article 85 bis du statut n’a pas pour objet de modifier les règles nationales applicables pour déterminer si et dans quelle mesure la responsabilité du tiers auteur du dommage doit être engagée. La responsabilité de ce dernier demeure soumise aux règles de fond que doit normalement appliquer la juridiction nationale saisie par la victime, c’est-à-dire, en principe, à la législation de l’État membre sur le territoire duquel le dommage est survenu.

    Il s’ensuit que, si le droit national de la responsabilité applicable au cas d’espèce exclut une pension de survie, telle que celle prévue aux articles 79 et 79 bis du statut, du champ de l’obligation de réparation incombant à l’auteur de l’acte illicite, les Communautés ne sauraient obtenir le remboursement des sommes correspondant à cette pension de survie par le biais de la subrogation instituée par l’article 85 bis dudit statut.

    (cf. points 15-18)




    ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
    9 septembre 2004(1)


    «Fonctionnaires – Avantages sociaux – Subrogation des Communautés dans les droits d'un fonctionnaire contre le tiers responsable d'un évènement dommageable»

    Dans l'affaire C-397/02,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE,introduite par la Cour d'appel de Bruxelles (Belgique), par décision du 6 novembre 2002, enregistrée le 11 novembre 2002, dans la procédure

    Clinique La Ramée ASBL,Winterthur Europe Assurance SA

    contre

    Jean-Pierre Riehl,Conseil de l'Union européenne,



    LA COUR (première chambre),,



    composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. A. Rosas et S. von Bahr, Mme R. Silva de Lapuerta et M. K. Lenaerts, juges,

    avocat général: M. P. Léger,
    greffier: Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

    vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 11 décembre 2003,considérant les observations présentées:

    pour la clinique La Ramée ASBL et Winterthur Europe Assurance SA, par Me M. Mahieu, avocat,

    pour M. Riehl, par Me J. Buekenhoudt, avocat,

    pour le Conseil de l'Union européenne, par Mme M. Sims et M. M. Bauer, en qualité d'agents, assistés de Me F. Lagasse, avocat,

    pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. Currall et Mme F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d'agents,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 février 2004,

    rend le présent



    Arrêt



    1
    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 85 bis du règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission (JO L 56, p. 1), tel que modifié par le règlement (CECA, CEE, Euratom) n° 2799/85 du Conseil, du 27 septembre 1985 (JO L 265, p. 1, ci-après le «statut des fonctionnaires»).

    2
    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la clinique La Ramée ASBL (ci-après la «clinique La Ramée») et son assureur Winterthur Europe Assurance SA (ci-après «Winterthur») au Conseil de l’Union européenne et à M. Riehl au sujet de l’indemnisation du préjudice subi par ce dernier à la suite du décès de son épouse dans ladite clinique et de la subrogation des Communautés européennes dans les droits de M. Riehl.


    Le cadre juridique

    3
    L’article 85 bis du statut des fonctionnaires dispose:

    «1.     Lorsque la cause du décès, d’un accident ou d’une maladie dont est victime une personne visée au présent statut est imputable à un tiers, les Communautés sont, dans la limite des obligations statutaires leur incombant consécutivement à l’événement dommageable, subrogées de plein droit à la victime ou à ses ayants droit dans leurs droits et actions contre le tiers responsable.

    2.       Entrent notamment dans le domaine couvert par la subrogation visée au paragraphe 1:

    les rémunérations maintenues, conformément à l’article 59, au fonctionnaire durant la période de son incapacité temporaire de travail,

    les versements effectués conformément à l’article 70 à la suite du décès d’un fonctionnaire ou ancien fonctionnaire titulaire d’une pension,

    les prestations servies au titre des articles 72 et 73 et des réglementations prises pour leur application, concernant la couverture des risques de maladie et d’accident,

    le paiement des frais de transport du corps, visé à l’article 75,

    les versements de suppléments d’allocations familiales intervenant, conformément à l’article 67 paragraphe 3 et à l’article 2 paragraphes 3 et 5 de l’annexe VII, en raison de la maladie grave, de l’infirmité ou du handicap atteignant un enfant à charge,

    les versements de pensions d’invalidité intervenant à la suite d’un accident ou d’une maladie entraînant pour le fonctionnaire une incapacité définitive d’exercer ses fonctions,

    les versements de pensions de survie intervenant à la suite du décès du fonctionnaire ou de l’ancien fonctionnaire ou du décès du conjoint ni fonctionnaire ni agent temporaire d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension,

    […]

    4.       Les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 ne peuvent faire obstacle à l’exercice d’une action directe de la part des Communautés.»


    Le litige au principal et la question préjudicielle

    4
    Mme Guette, épouse de M. Riehl, était fonctionnaire du Conseil et bénéficiait d’une pension d’invalidité au titre de l’article 78 du statut des fonctionnaires. Elle est décédée le 25 septembre 1990 lors de son hospitalisation à la clinique La Ramée. Il est établi que le décès est imputable à une faute d’une préposée de cette clinique.

    5
    À la suite du décès de Mme Guette, le Conseil a versé à M Riehl:

    une indemnité pour frais funéraires, en application de l’article 10 de la réglementation commune relative à la couverture des risques de maladie des fonctionnaires des Communautés européennes;

    un montant correspondant à celui de la pension d’invalidité dont bénéficiait Mme Guette, servi jusqu’à la fin du troisième mois suivant celui du décès, conformément à l’article 70 du statut des fonctionnaires, et

    une pension de survie, allouée mensuellement depuis le quatrième mois suivant celui du décès, en vertu des articles 79 et 79 bis du même statut.

    6
    Par jugement du 15 décembre 1997, le Tribunal de première instance de Bruxelles (Belgique) a statué sur les conséquences de la responsabilité civile de la clinique La Ramée.

    7
    Statuant sur les demandes de M. Riehl, ledit Tribunal a condamné la clinique La Ramée ainsi que Winterthur à réparer tant le préjudice qui lui a été causé par la perte d’assistance ménagère de son épouse que le préjudice moral résultant du décès de cette dernière. En revanche, il a rejeté la demande présentée par M. Riehl pour avoir réparation de sa perte de revenus au motif que cette perte serait inférieure au montant de la pension de survie versée par le Conseil.

    8
    En ce qui concerne le Conseil, le Tribunal de première instance de Bruxelles a fait droit aux demandes que cette institution avait présentées, sur le fondement de l’article 85 bis du statut des fonctionnaires, en vue d’obtenir le remboursement, par la clinique La Ramée et Winterthur, des sommes qu’il avait versées ou qu’il verserait à M. Riehl.

    9
    La clinique La Ramée et Winterthur ont interjeté appel de ce jugement. Ils ont fait valoir que ledit Tribunal avait violé l’effet translatif de la subrogation en ce qu’il avait alloué au Conseil, subrogé dans les droits de M. Riehl, des sommes plus importantes que celles auxquelles ce dernier pouvait prétendre à l’encontre du tiers responsable du dommage.

    10
    M. Riehl et le Conseil ont formé un appel incident. M. Riehl a demandé, notamment, l’indemnisation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la perte de revenus du ménage. Le Conseil a demandé l’actualisation du montant de ses préjudices à la date de l’arrêt à intervenir.

    11
    S’agissant de la demande d’indemnisation fondée sur la perte de revenus que M. Riehl aurait subie, la Cour d’appel de Bruxelles, dans son arrêt de renvoi, a jugé que, en droit belge, le droit à une pension de survie est étranger à l’obligation de l’auteur d’un acte illicite de réparer l’intégralité du dommage et que, dès lors, à la différence de ce qu’avait jugé la juridiction de première instance, il y avait lieu de déterminer la perte de revenus du ménage sans tenir compte de la pension de survie allouée à M. Riehl. Seule devait être déduite du capital revenant à ce dernier la pension d’invalidité de la défunte versée jusqu’au troisième mois après celui de son décès. Appliquant cette méthode de calcul, la Cour d’appel a évalué le préjudice matériel subi par M. Riehl du fait de la perte des revenus de son épouse à 479,80 euros par mois, à compter du 1er octobre 1990, soit un montant inférieur à celui de la pension de survie versée par le Conseil.

    12
    S’agissant de la subrogation invoquée par le Conseil, la Cour d’appel de Bruxelles a considéré que le litige dont elle est saisie soulève la question de la nature ainsi que de l’étendue de cette subrogation et, partant, elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

    «L’article 85 bis du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, tel que fixé par les articles 2 et 3 du règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, ainsi que par les règlements portant modification de celui-ci, doit-il être interprété comme conférant aux Communautés le droit de réclamer au tiers responsable du décès d’un fonctionnaire le remboursement de la totalité de la pension de survie versée au conjoint survivant, en exécution des articles 79 et 79 bis dudit statut, alors que la loi applicable à la créance d’indemnisation du dommage prévoit que le droit à une pension de survie est étranger à l’obligation de l’auteur d’un acte illicite de réparer l’intégralité du dommage, et alors que le préjudice subi par le conjoint survivant du fait de la perte des revenus de l’épouse décédée est inférieur au montant de la pension de survie qui lui est versée?»


    Sur la question préjudicielle

    13
    Selon la clinique La Ramée et Winterthur, l’article 85 bis du statut des fonctionnaires consacre une subrogation des Communautés à concurrence des montants correspondant à la pension de survie qu’elles sont tenues de verser au conjoint survivant d’un fonctionnaire décédé et n’autorise pas ce conjoint survivant à cumuler la pension de survie et l’indemnité compensant, au profit de celui-ci, la perte des revenus consécutive au décès. Toutefois, le subrogé ne pouvant disposer de plus de droits que le subrogeant, le droit, appartenant aux Communautés, de réclamer le remboursement de la totalité de la pension de survie versée au conjoint survivant devrait être limité au montant correspondant à l’évaluation, faite selon les règles du droit national applicable, du préjudice subi par ce dernier du fait de la perte de revenus résultant du décès de son conjoint.

    14
    M. Riehl, le Conseil et la Commission des Communautés européennes soutiennent que la subrogation prévue à l’article 85 bis du statut des fonctionnaires est un mécanisme propre au droit communautaire, qui ne peut être écarté en vertu d’une quelconque règle de droit national. La subrogation ouverte aux Communautés ne serait pas limitée à l’indemnisation accordée en droit national au fonctionnaire victime d’un préjudice ou à ses ayants droit, mais elle s’étendrait à l’intégralité des prestations énumérées au paragraphe 2 de ladite disposition.

    15
    À cet égard, il convient de rappeler que la subrogation prévue à l’article 85 bis du statut des fonctionnaires est une subrogation de plein droit. Elle s’opère, dans la limite des obligations découlant pour les Communautés des dispositions dudit statut, au moment de l’évènement dommageable engageant la responsabilité d’un tiers (arrêt du 26 février 1992, Royale belge, C‑333/90, Rec. p. I-1135, point 8).

    16
    Toutefois, l’article 85 bis, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires précise que les Communautés sont subrogées à la victime ou à ses ayants droit «dans leurs droits et actions contre le tiers responsable». Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 26 de ses conclusions, il résulte clairement de ce membre de phrase que les Communautés ne disposent pas à l’encontre du tiers responsable de plus de droits que la victime ou ses ayants droit.

    17
    Dans ce contexte, il y a lieu de constater que l’article 85 bis du statut des fonctionnaires n’a pas pour objet de modifier les règles nationales applicables pour déterminer si et dans quelle mesure la responsabilité du tiers auteur du dommage doit être engagée. La responsabilité de ce dernier demeure soumise aux règles de fond que doit normalement appliquer la juridiction nationale saisie par la victime, c’est-à-dire, en principe, à la législation de l’État membre sur le territoire duquel le dommage est survenu [voir, à propos de la subrogation des organismes de sécurité sociale dans le cadre du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), arrêt du 2 juin 1994, DAK, C-428/92, Rec. p. I‑2259, point 21].

    18
    Il s’ensuit que, si le droit national de la responsabilité applicable au cas d’espèce exclut une pension de survie telle que celle prévue aux articles 79 et 79 bis du statut des fonctionnaires du champ de l’obligation de réparation incombant à l’auteur de l’acte illicite, les Communautés ne sauraient obtenir le remboursement des sommes correspondant à cette pension de survie au moyen de la subrogation instituée à l’article 85 bis dudit statut.

    19
    Dès lors, il convient de répondre à la question posée que l’article 85 bis du statut des fonctionnaires doit être interprété en ce sens qu’il ne confère pas aux Communautés le droit d’obtenir du tiers responsable du décès d’un fonctionnaire le remboursement de la totalité de la pension de survie versée au conjoint survivant, en exécution des articles 79 et 79 bis dudit statut, alors que la loi applicable à la créance d’indemnisation du dommage prévoit que le droit à une pension de survie est étranger à l’obligation de l’auteur d’un acte illicite de réparer l’intégralité du dommage et que le préjudice subi par le conjoint survivant du fait de la perte des revenus de l’épouse décédée est inférieur au montant de la pension de survie qui lui est versée.


    Sur les dépens

    20
    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

    L’article 85 bis du règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission, tel que modifié par le règlement (CECA, CEE, Euratom) n° 2799/85 du Conseil, du 27 septembre 1985, doit être interprété en ce sens qu’il ne confère pas aux Communautés le droit d’obtenir du tiers responsable du décès d’un fonctionnaire le remboursement de la totalité de la pension de survie versée au conjoint survivant, en exécution des articles 79 et 79 bis dudit statut, alors que la loi applicable à la créance d’indemnisation du dommage prévoit que le droit à une pension de survie est étranger à l’obligation de l’auteur d’un acte illicite de réparer l’intégralité du dommage et que le préjudice subi par le conjoint survivant du fait de la perte des revenus de l’épouse décédée est inférieur au montant de la pension de survie qui lui est versée.

    Signatures.


    1
    Langue de procédure: le français.

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