Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62000CC0003

    Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 30 mai 2002.
    Royaume de Danemark contre Commission des Communautés européennes.
    Rapprochement des législations - Directive 95/2/CE - Emploi des sulfites, des nitrites et des nitrates comme additifs alimentaires - Protection de la santé - Dispositions nationales plus strictes - Conditions d'application de l'article 95, paragraphe 4, CE - Principe du contradictoire.
    Affaire C-3/00.

    Recueil de jurisprudence 2003 I-02643

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:314

    62000C0003

    Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 30 mai 2002. - Royaume de Danemark contre Commission des Communautés européennes. - Rapprochement des législations - Directive 95/2/CE - Emploi des sulfites, des nitrites et des nitrates comme additifs alimentaires - Protection de la santé - Dispositions nationales plus strictes - Conditions d'application de l'article 95, paragraphe 4, CE - Principe du contradictoire. - Affaire C-3/00.

    Recueil de jurisprudence 2003 page I-02643


    Conclusions de l'avocat général


    1 Dans la présente affaire, la Cour est appelée à statuer pour la première fois sur le recours formé par un État membre à l'encontre du refus de la Commission d'autoriser le maintien de mesures nationales dérogeant à une directive adoptée sur la base de l'article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE). Le royaume de Danemark demande en effet, en vertu de l'article 230 CE, l'annulation de la décision 1999/830/CE de la Commission, du 26 octobre 1999 (1), qui refuse d'approuver les dispositions nationales notifiées par le royaume de Danemark concernant l'emploi des sulfites, nitrites et nitrates dans les denrées alimentaires, par dérogation à la directive 95/2/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 1995, concernant les additifs alimentaires autres que les colorants et les édulcorants (2). Il y a cependant lieu de préciser que, bien que sollicitée en vertu de l'article 100 A du traité, la décision de la Commission est intervenue après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam et a donc été adoptée sur la base du nouvel article 95, paragraphe 4, CE.

    I - Le cadre normatif

    A - La législation communautaire

    1. Le traité

    2 Comme on sait, la disposition générale destinée à favoriser l'harmonisation législative en vue de la réalisation du marché commun a été très longtemps le seul article 100 du traité CE (légèrement modifié par le traité de Maastricht et devenu par la suite l'article 94 CE), qui autorise le Conseil à adopter, à l'unanimité, les directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché commun. Dans le but, toutefois, de favoriser la réalisation du marché interne, prévue à l'article 7 A du traité CE (devenu, après modification, article 14 CE), l'Acte unique européen a par la suite inséré une nouvelle disposition, l'article 100 A, qui a ensuite à son tour subi diverses modifications insérées par les traités de révision ultérieurs.

    3 Par rapport à l'article 100 du traité, dont il constituait, par définition expresse, une dérogation, l'article 100 A avait en pratique introduit la possibilité pour le Conseil, statuant suivant la procédure de coopération visée à l'article 189 B du traité CE (devenu, après modification, article 251 CE), d'arrêter les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres ayant pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Dans ce cadre, le paragraphe 3 de cet article fixait l'objectif d'un niveau de protection élevé, lorsque ces mêmes dispositions portaient sur les domaines de la santé, de la sécurité, de la protection de l'environnement ainsi que de la protection des consommateurs. Elles imposaient en effet à la Commission de fonder précisément ses propositions en la matière sur un niveau de protection élevé. Toutefois, eu égard notamment au fait qu'il s'agissait de mesures devant être adoptées à la majorité qualifiée, avec le risque donc de sacrifier des exigences nationales dignes de protection, ce même article ouvrait aux États une possibilité de déroger aux mesures en cause, en vue de la sauvegarde de ces exigences.

    4 Le paragraphe 4 de l'article 100 A disposait en effet comme suit:

    «Lorsque, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, un État membre estime nécessaire d'appliquer des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes visées à l'article 36 [du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE)] ou relatives à la protection du milieu de travail ou de l'environnement, il les notifie à la Commission.

    La Commission confirme les dispositions en cause après avoir vérifié qu'elles ne sont pas un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre États membres.

    Par dérogation à la procédure prévue aux articles 169 et 170 [du traité CE (devenus articles 226 CE et 227 CE)], la Commission ou tout État membre peut saisir directement la Cour de justice s'il estime qu'un autre État membre fait un usage abusif des pouvoirs prévus au présent article.»

    5 Le traité d'Amsterdam a apporté des modifications substantielles à l'article 100 A du traité, en remplaçant les paragraphes 3, 4 et 5 de cet article par huit nouveaux paragraphes, numérotés de 3 à 10. L'article, ainsi modifié et devenu l'article 95 CE, est à présent libellé comme suit:

    «1. Par dérogation à l'article 94 et sauf si le présent traité en dispose autrement, les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 14. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251 et après consultation du Comité économique et social, arrête les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

    2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux dispositions fiscales, aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés.

    3. La Commission, dans ses propositions prévues au paragraphe 1 en matière de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques. Dans le cadre de leurs compétences respectives, le Parlement européen et le Conseil s'efforcent également d'atteindre cet objectif.

    4. Si, après l'adoption par le Conseil ou par la Commission d'une mesure d'harmonisation, un État membre estime nécessaire de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes visées à l'article 30 ou relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail, il les notifie à la Commission, en indiquant les raisons de leur maintien.

    5. En outre, sans préjudice du paragraphe 4, si, après l'adoption par le Conseil ou par la Commission d'une mesure d'harmonisation, un État membre estime nécessaire d'introduire des dispositions nationales basées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail en raison d'un problème spécifique de cet État membre, qui surgit après l'adoption de la mesure d'harmonisation, il notifie à la Commission les mesures envisagées ainsi que les raisons de leur adoption.

    6. Dans un délai de six mois après les notifications visées aux paragraphes 4 et 5, la Commission approuve ou rejette les dispositions nationales en cause après avoir vérifié si elles sont ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre États membres et si elles constituent ou non une entrave au fonctionnement du marché intérieur.

    En l'absence de décision de la Commission dans ce délai, les dispositions nationales visées aux paragraphes 4 et 5 sont réputées approuvées.

    Lorsque cela est justifié par la complexité de la question et en l'absence de danger pour la santé humaine, la Commission peut notifier à l'État membre en question que la période visée dans le présent paragraphe peut être prorogée d'une nouvelle période pouvant aller jusqu'à six mois.

    7. Lorsque, en application du paragraphe 6, un État membre est autorisé à maintenir ou à introduire des dispositions nationales dérogeant à une mesure d'harmonisation, la Commission examine immédiatement s'il est opportun de proposer une adaptation de cette mesure.

    8. Lorsqu'un État membre soulève un problème particulier de santé publique dans un domaine qui a fait préalablement l'objet de mesures d'harmonisation, il en informe la Commission, qui examine immédiatement s'il y a lieu de proposer des mesures appropriées au Conseil.

    9. Par dérogation à la procédure prévue aux articles 226 et 227, la Commission et tout État membre peuvent saisir directement la Cour de justice s'ils estiment qu'un autre État membre fait un usage abusif des pouvoirs prévus par le présent article.

    10. Les mesures d'harmonisation visées ci-dessus comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour une ou plusieurs des raisons non économiques visées à l'article 30, des mesures provisoires soumises à une procédure communautaire de contrôle.»

    2. Les directives d'harmonisation

    6 Ce sont plus particulièrement les directives 89/107/CEE et 95/2 qui importent en la matière.

    a) La directive 89/107/CEE

    7 La directive 89/107/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine (3) (ci-après la «directive 89/107» ou la «directive-cadre»), est une directive-cadre adoptée sur la base de l'article 100 A du traité.

    8 Pour ce qui importe présentement, signalons tout d'abord qu'elle définit la notion d'additif alimentaire (article 1er, paragraphe 2) comme étant «toute substance habituellement non consommée comme aliment en soi, et habituellement non utilisée comme ingrédient caractéristique dans l'alimentation, possédant ou non une valeur nutritive, et dont l'adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but technologique, au stade de leur fabrication, transformation, préparation, traitement, conditionnement, transport ou entreposage, a pour effet, ou peut raisonnablement être estimée avoir pour effet, qu'elle devient elle-même, ou que ses dérivés deviennent, directement ou indirectement, un composant de ces denrées alimentaires». L'annexe I de la directive répertorie les différentes catégories de substances au sein desquelles se regroupent des additifs alimentaires ainsi définis.

    9 La directive prévoit en outre l'adoption de mesures particulières «par la voie d'une directive globale, incluant notamment les directives spécifiques existantes concernant certaines catégories d'additifs» (article 3, paragraphe 1). Ces directives spécifiques devront notamment établir - pour chaque catégorie - les substances dont l'emploi est autorisé et les conditions de leur emploi (article 3, paragraphe 2).

    10 Conformément aux dispositions de l'article 2, paragraphe 3, de la directive, les critères généraux pour l'utilisation des additifs alimentaires sont indiqués à l'annexe II, dont le point 1 prévoit ce qui suit:

    «1. Les additifs alimentaires ne peuvent être approuvés que:

    - si un besoin technologique suffisant peut être démontré et si l'objectif recherché ne peut être atteint par d'autres méthodes économiquement et technologiquement utilisables,

    - s'ils ne présentent aucun danger pour la santé du consommateur aux doses proposées, dans la mesure où les données scientifiques dont on dispose permettent de porter un jugement,

    - si leur emploi n'induit pas le consommateur en erreur.»

    11 En outre, en vertu du point 2 de l'annexe II, l'emploi d'un additif alimentaire ne peut être admis que «s'il est prouvé que l'emploi proposé de l'additif comporte des avantages démontrables au bénéfice du consommateur; en d'autres termes, il s'agit de faire la preuve de ce qu'on appelle communément un `besoin'».

    12 Pour déterminer les effets nocifs éventuels d'un additif alimentaire ou de ses dérivés, le point 3 de l'annexe II prévoit qu'il doit être soumis «à des essais et à une évaluation toxicologiques appropriés. Cette évaluation devrait aussi prendre en considération, par exemple, tout effet cumulatif, synergique ou de renforcement dépendant de son emploi, ainsi que le phénomène de l'intolérance humaine aux substances étrangères à l'organisme».

    13 En outre, en vertu du point 6 de cette même annexe, il est nécessaire, aux fins de l'approbation des additifs alimentaires, de spécifier les denrées alimentaires auxquelles ces additifs peuvent être ajoutés et les conditions de cette adjonction; l'adjonction d'additifs doit être limitée à la dose minimale nécessaire pour atteindre l'effet désiré et doit tenir compte, dans la mesure du possible, d'une dose journalière admissible (ci-après la «DJA») (4).

    14 L'article 6 de la directive prévoit que les dispositions susceptibles d'avoir une incidence sur la santé publique sont adoptées après consultation du comité scientifique de l'alimentation humaine (5) (ci-après le «CSA»).

    15 Enfin, l'article 4 introduit une clause de sauvegarde, rédigée comme suit:

    «1. Si, à la suite de nouvelles informations ou d'une réévaluation des informations existantes intervenues depuis l'adoption de la présente directive ou de la directive globale visée à l'article 3, un État membre a des raisons précises d'estimer que l'utilisation d'un additif dans les denrées alimentaires, bien que conforme à la présente directive ou à toute liste établie dans le cadre de l'article 3, présente des risques pour la santé humaine, cet État membre peut provisoirement suspendre ou restreindre sur son territoire l'application des dispositions en question. Il en informe immédiatement les autres États membres et la Commission, en indiquant les motifs justifiant sa décision.

    2. La Commission examine aussitôt que possible, au sein du comité permanent des denrées alimentaires, les motifs invoqués par l'État membre visé au paragraphe 1. Elle émet son avis sans tarder et prend les mesures appropriées.

    3. Si la Commission estime que des modifications à la présente directive ou à la directive globale visée à l'article 3 sont nécessaires pour résoudre les problèmes évoqués au paragraphe 1 et pour assurer la protection de la santé humaine, elle engage la procédure prévue à l'article 11 en vue d'arrêter ces modifications; dans ce cas, l'État membre qui a arrêté des mesures de sauvegarde peut les maintenir jusqu'à l'adoption des modifications.»

    b) La directive 95/2

    16 Les listes des additifs alimentaires autorisés ont été définies par trois directives spécifiques, mettant en oeuvre la directive-cadre, parmi lesquelles la directive 95/2, déjà rappelée (6).

    17 Ainsi que le précise son article 1er, paragraphe 1, la directive 95/2 est «une directive spécifique faisant partie de la directive globale au sens de l'article 3 de la directive 89/107/CEE et s'applique aux additifs», en particulier aux additifs alimentaires ayant un effet conservateur et antioxygène. Les conservateurs sont définis à l'article 1er, paragraphe 3, sous a), comme «des substances qui prolongent la durée de conservation des denrées alimentaires en les protégeant des altérations dues aux micro-organismes»; les antioxygènes sont définis sous b) comme des «substances qui prolongent la durée de conservation des denrées alimentaires en les protégeant des altérations provoquées par l'oxydation, telles que le rancissement des matières grasses et les modifications de la couleur». La directive autorise l'utilisation, en tant que conservateurs et antioxygènes, de différentes substances rentrant dans la catégorie des nitrites, nitrates et sulfites.

    18 Il nous paraît à cet égard opportun de signaler, dès à présent, que les sulfites ont un effet conservateur et/ou antioxygène, en inhibant la formation de moisissures et de levures; du fait de leurs caractéristiques, ils sont fréquemment employés dans le vin (7), dans la bière, dans la conservation des crustacés, dans les préparations à base de légumes et de fruits, dans les confitures, dans les biscuits, dans les fruits secs et dans de nombreux autres aliments. Lorsqu'ils sont absorbés en grandes quantités, les sulfites sont nocifs pour la santé, étant donné qu'ils sont susceptibles de provoquer des lésions de l'appareil digestif; le risque majeur pour la santé humaine réside cependant dans les fortes réactions allergiques qu'ils peuvent susciter chez les sujets prédisposés, en particulier les asthmatiques, même à faibles doses.

    19 L'adjonction de nitrates et de nitrites dans les produits alimentaires a pour but d'accentuer, en particulier dans les produits à base de viande, l'effet conservateur du fumage, de la salaison ou de la cuisson, en inhibant le développement de bactéries susceptibles de détériorer le produit ainsi que de bactéries pathogènes comme le clostridium botulinum. La contamination d'un produit à base de viande par cette bactérie peut survenir tout au long de la chaîne de production et jusqu'au moment de la consommation. Les niveaux de nitrites et de nitrates doivent donc être calculés de manière à garantir la consommation du produit jusqu'au moment de sa consommation. À partir du moment où ils sont introduits dans un produit à base de viande, les nitrates se transforment en nitrites, qui à leur tour se transforment en nitrosamines, avec pour conséquence que les quantités des deux premières classes de substances diminuent considérablement avec le temps. Les nitrosamines - produit final de cette dégradation - sont reconnues comme substances cancérigènes et génotoxiques.

    20 Pour en revenir à la directive, rappelons encore que son article 1er, paragraphe 2, qui rappelle les dispositions de l'article 6 de la directive-cadre et de l'annexe II de cette dernière, dispose que seuls peuvent être employés dans les denrées alimentaires les additifs conformes aux spécifications adoptées par le CSA. Invité en effet à apprécier la sécurité des additifs, le CSA a formulé plusieurs avis qui ont constitué la base des propositions de directive présentées par la Commission.

    21 En ce qui concerne les sulfites, le CSA a procédé aux nécessaires évaluations toxicologiques dans son avis du 15 janvier 1981 (8), puis dans son avis du 25 février 1994 (9). Dans ce dernier, il a fixé une DJA de 0,7 mg d'anhydride sulfureux par kilo de poids corporel, égal à 49 mg/jour pour un adulte et à 21 mg/jour pour un enfant. En outre, le comité a signalé que, bien que ne constituant pas un danger pour la santé de la grande majorité des personnes, les sulfites peuvent poser un grave problème pour certaines personnes souffrant d'asthme. Il a par conséquent recommandé de limiter l'utilisation des sulfites dans la mesure du possible aux seules denrées alimentaires pour lesquelles il existe une justification technologique solide de leur inclusion, afin de ne pas accroître davantage le nombre de denrées alimentaires contenant ce type d'additifs et en recommandant en tout état de cause d'en signaler la présence sur l'étiquette.

    22 Pour ce qui est des nitrites et des nitrates, le CSA a examiné les besoins technicologiques et les risques sanitaires liés à l'utilisation de ces éléments dans les produits alimentaires, dans ses avis des 19 octobre 1990 (10) et 22 septembre 1995 (11). Déjà dans le premier, le lien entre l'adjonction de nitrites et la production de nitrosamines - substances cancérigènes et génotoxiques - était mis en évidence et l'on recommandait de diminuer l'adjonction de nitrites et de nitrates dans les produits alimentaires au minimum nécessaire pour obtenir l'effet conservateur et pour assurer la sécurité du point de vue microbiologique, de manière à réduire l'exposition du consommateur aux nitrosamines.

    23 L'article 2, paragraphe 1, de la directive 95/2 a prévu que seules les substances énumérées à l'annexe III de cette directive - sur la base des indications du CSA - peuvent être utilisées dans les denrées alimentaires aux fins de la conservation et de l'antioxydation. L'article 2, paragraphe 4, a ensuite prévu que les additifs énumérés à l'annexe III ne peuvent être utilisés que dans les denrées alimentaires visées dans cette annexe et dans les conditions qui y sont fixées.

    24 En particulier, rappelons que l'annexe III, partie B, précise, sous forme de tableau, les conditions d'emploi de l'anhydride sulfureux (E 220) et des sulfites: sulfite de sodium (E 221), bisulfite de soude (E 222), disulfite de sodium (E 223), disulfite de potassium (E 224), sulfite de calcium (E 226), sulfite acide de calcium (E 227), sulfite acide de potassium (E 228). Ce tableau (12) contient une liste de 61 produits alimentaires, pour lesquels on indique à chaque fois la quantité maximale autorisée, exprimée en mg/kg ou en mg/l, selon le cas, exprimée en SO2.

    25 La partie C de l'annexe III précise ensuite les conditions d'emploi du nitrite de potassium (E 249), du nitrite de sodium (E 250), du nitrate de sodium (E 251) et du nitrate de potassium (E 252). Compte tenu de la transformation, précédemment indiquée, subie par les nitrates et les nitrites une fois incorporés dans un produit à base de viande, l'annexe III, partie C, en a déterminé tant la dose indicative d'incorporation que la quantité maximale résiduelle.

    26 En vertu de l'article 9 de la directive 95/2:

    «Les États membres mettent en vigueur avant le 25 septembre 1996 les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive afin:

    - d'autoriser, au plus tard le 25 septembre 1996 la commercialisation et l'emploi des produits conformes à la présente directive,

    - d'interdire, au plus tard le 25 mars 1997, la commercialisation et l'emploi des produits non conformes à la présente directive; les produits mis sur le marché ou étiquetés avant cette date qui ne satisfont pas aux exigences de la présente directive peuvent toutefois être commercialisés jusqu'à épuisement des stocks.»

    B - Les dispositions danoises

    27 Avant l'entrée en vigueur de la directive 95/2, la législation danoise en la matière, qui remonte à 1973, déterminait les conditions d'emploi des additifs, y compris les nitrates, les nitrites et les sulfites, dans les denrées alimentaires, à travers la constitution d'une liste des denrées dans lesquelles ces substances pouvaient être utilisées, spécifiant les quantités admises pour ces substances; cette liste a subi par la suite des modifications pour tenir compte de l'évolution des exigences sanitaires et des besoins techniques.

    28 La directive 95/2 a été transposée au Danemark par le décret du ministère de la Santé n_ 1055 du 18 décembre 1995 (13), complété par le décret n_ 834 du 23 septembre 1996. Ce dernier décret a, en particulier, précisé les conditions d'emploi des sulfites dans les produits alimentaires autres que le vin. Les dispositions des deux décrets reprennent la substance des dispositions qui étaient en vigueur en matière de sulfites avant l'adoption de la directive. Elles autorisent donc l'usage de ces substances dans 16 catégories de produits alimentaires, alors que la directive 95/2 étend cette autorisation à 61 catégories, et réduisent en outre les quantités d'additifs admises. De même, en ce qui concerne l'emploi des nitrites et des nitrates dans les produits à base de viande, le décret danois de 1995 suit une approche différente de la directive 95/2. Alors que celle-ci fixe des limites pour les quantités résiduelles de nitrates et de nitrites dans les produits alimentaires, en fixant de manière indicative la quantité introduite, la réglementation danoise fixe des limites pour ce qui est de la quantité introduite admissible; en outre, ces quantités tendent à être inférieures à celles indiquées dans la directive. Pour certains produits typiques danois, toutefois, on admet l'utilisation de quantités de nitrites et de nitrates sensiblement supérieures à celles fixées en général.

    II - Faits et procédure

    A - La réaction danoise à la directive 95/2

    29 Le 15 décembre 1994, à l'occasion de l'adoption par le Conseil de la directive 95/2, la délégation danoise avait assorti son vote contraire de la déclaration suivante:

    «La délégation danoise vote contre l'adoption de la directive du Parlement européen et du Conseil concernant les additifs alimentaires autres que les colorants et les édulcorants. En ce qui concerne l'utilisation de nitrites/nitrates, de sulfites et de phosphates d'aluminium sodique, la directive ne répond pas de manière satisfaisante aux exigences sanitaires auxquelles la délégation danoise attache une importance déterminante dans les dispositions réglementant les additifs alimentaires.

    [...]

    Par ailleurs, le gouvernement danois reste fermement d'avis que le Comité scientifique pour l'alimentation humaine doit, conformément aux déclarations présentées par la Commission, se prononcer dans les meilleurs délais sur les nitrites/nitrates et les sulfites. Le gouvernement appréciera les conclusions du Comité scientifique et se réserve le droit de maintenir les dispositions nationales nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes conformément à l'article 100 A, paragraphe 4, du traité» (14).

    30 Conformément à cette déclaration, le royaume de Danemark a donc décidé de maintenir les mesures nationales plus restrictives en matière de nitrites, nitrates et sulfites, évoquées ci-dessus. En conséquence, conformément à l'article 100 A, paragraphe 4, il a notifié ces mesures à la Commission au cours d'une période allant de juillet 1996 à mai 1997.

    31 En effet, par une première lettre du 15 juillet 1996, dont l'objet était de notifier les mesures d'exécution de la directive 95/2, le royaume de Danemark a déclaré ne pas avoir transposé les dispositions de la directive 95/2 concernant les nitrates et les nitrites dans les produits de viande et les sulfites, en se référant précisément à la déclaration de vote susvisée. Il a informé, dans ce contexte, de son intention d'appliquer des «dispositions nationales visant à garantir la protection de la santé publique», comme le prévoit l'article 100 A, paragraphe 4, du traité, en faisant également référence à un rapport scientifique pour justifier sa prise de position.

    32 Cette position a été confirmée dans une lettre ultérieure adressée à la Commission, qui en a pris acte, en se réservant toutefois de se prononcer une fois que la demande danoise aurait été régulièrement notifiée.

    33 Entre-temps, à la suite d'une plainte présentée par des opérateurs commerciaux privés en novembre 1996, la Commission a adressé aux autorités danoises, le 20 janvier 1997, une demande d'informations à laquelle ces dernières ont répondu le 20 mai 1997, de manière circonstanciée.

    34 Cette réponse, ensemble avec la déclaration de juillet 1996, telle que complétée par l'échange de lettres rappelé ci-dessus, a été considérée par la Commission comme notification officielle de la demande danoise.

    35 Quelque temps après, à la suite de nouvelles plaintes d'opérateurs privés dénonçant la présence d'obstacles à la commercialisation au Danemark de denrées alimentaires contenant des sulfites, d'une part, et de produits de viande contenant des nitrites et/ou de nitrates, d'autre part, de nouveaux contacts informels ont eu lieu entre les services de la Commission et les autorités danoises. Il y a eu notamment une rencontre, le 19 novembre 1997, entre des fonctionnaires de la Commission et du gouvernement danois. Enfin, le 14 juillet 1998, le gouvernement danois a transmis à la Commission certaines informations complémentaires.

    36 Il y a lieu également de rappeler que, au cours de la procédure, la Commission avait transmis pour avis aux autres États membres le dossier de notification danois. Sur les sept États membres ayant répondu, quatre ont formulé des réserves sur la demande danoise. Leur réponse n'a cependant pas fait l'objet d'une communication formelle au gouvernement danois.

    B - La décision de la Commission

    37 En cours de procédure, le 1er mai 1999, est entré en vigueur le traité d'Amsterdam, qui a modifié comme nous l'avons déjà rappelé, également l'article 100 A du traité. Par lettre du 29 juillet 1999, la Commission a donc signalé aux autorités danoises que leur notification relative à l'emploi des sulfites, nitrites et nitrates dans les denrées alimentaires devait désormais être prise en compte dans le cadre des nouvelles dispositions, devenues l'article 95 CE.

    38 C'est précisément en effet sur cette base juridique que, le 26 octobre 1999, la Commission a fondé son refus d'autoriser les mesures danoises, en estimant qu'elles ne répondaient pas aux conditions imposées par cette disposition. Elle estimait, en particulier, que lesdites mesures n'étaient pas nécessaires et proportionnées par rapport aux finalités poursuivies et qu'elles ne répondaient pas à une situation spécifique au Danemark; de plus, elle discernait en elles des aspects discriminatoires.

    C - Le recours

    39 Ayant reçu notification de cette décision (15), le gouvernement danois a immédiatement adopté le décret n_ 822 du 5 novembre 1999, en vue d'abroger les dispositions nationales applicables aux nitrites, nitrates et sulfites. Le 6 janvier suivant toutefois, il a introduit le présent recours, en demandant l'annulation de la décision de la Commission et la condamnation de cette dernière aux dépens.

    40 Par ordonnance du 4 octobre 2000, la Cour a admis le royaume de Norvège et la république d'Islande à intervenir au soutien des conclusions du royaume de Danemark. En outre, des questions ont été adressées aux parties avant l'audience.

    III - Analyse juridique

    Considération liminaire

    41 Le gouvernement danois fonde sa demande d'annulation de la décision de la Commission sur de nombreux moyens, largement explicités au point III de la requête, qui dénoncent des vices de forme et de fond. Par les premiers, il accuse la Commission d'avoir violé le principe du contradictoire dans la procédure qui a abouti à l'adoption de la décision litigieuse, ainsi que d'avoir motivé cette dernière de manière lacunaire. Plus nombreux sont en revanche, comme nous le verrons plus avant, les vices de fond dénoncés dans le recours. Dans les développements qui suivent, nous examinerons tout d'abord le premier des vices de forme rappelés ci-dessus, celui qui a trait au principe du contradictoire. Nous n'envisagerons en revanche le second qu'une fois traités les vices de fond, étant donné que son examen présuppose justement la discussion de ces vices.

    A - La prétendue violation du principe du contradictoire

    42 Le gouvernement danois, soutenu sur ce point par le gouvernement islandais, estime donc que la décision de la Commission est viciée du fait de la violation des formes substantielles, parce qu'elle aurait été adoptée sans respecter le principe du contradictoire tel que défini par la jurisprudence de la Cour; en premier lieu parce que, en dépit des contacts réguliers ayant eu lieu depuis le début entre les autorités danoises et la Commission, cette dernière n'aurait pas donné au gouvernement intéressé la possibilité de se prononcer sur la teneur ou les implications de cette décision avant son adoption et elle ne lui aurait pas fourni d'exposé précis et complet des moyens sur lesquels elle se fondait. En outre, ledit gouvernement n'aurait pas été mis en mesure de connaître et de commenter les avis exprimés par les autres États membres sur les mesures nationales notifiées par le gouvernement, ce qui serait d'autant plus grave que - comme nous l'avons dit - la Commission a expressément tenu compte de certains de ces avis dans les motifs de sa décision.

    43 Pour prendre position sur ce moyen du recours, il importe tout d'abord de se prononcer sur la nature de la procédure aboutissant à l'adoption d'une décision prise en vertu de l'article 95, paragraphe 4, CE. Selon la Commission, en effet, «le principe du contradictoire est un principe fondamental du droit communautaire qui s'applique à toute procédure administrative ouverte à l'encontre d'une personne déterminée et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci, mais ne s'impose pas dans les procédures législatives» (16). Telle serait en effet, de l'avis de la Commission, la nature de la procédure prévue à l'article 95, paragraphes 4 et 6, CE, celle-ci n'étant rien d'autre qu'une étape de la procédure prévue par cet article, procédure qui serait précisément de nature législative, étant donné qu'elle aboutit à l'adoption d'un acte de portée générale. La même nature devrait donc être reconnue à la procédure d'autorisation tendant à maintenir les mesures nationales dérogatoires, étant donné que celles-ci pourraient entraîner une modification partielle du champ d'application subjectif et/ou objectif de la directive, ce qui comporterait des effets non seulement pour l'État qui en est directement destinataire, mais également pour les autres États membres.

    44 Nous ne croyons cependant pas qu'il soit possible de partager cette conclusion. Il est certes exact, comme le soutient la Commission, que la décision dérogatoire à un acte de portée générale, même si elle a été adoptée en considération d'exigences individuelles, détermine la modification, erga omnes, du champ d'application de l'acte auquel il est dérogé, parce qu'elle exerce, indirectement, une incidence également sur la sphère juridique des autres destinataires de l'acte. Pour autant, la procédure qui aboutit à la décision dérogatoire ne saurait être considérée comme faisant partie du processus législatif aboutissant à l'adoption de l'acte général. Il en est ainsi, à l'évidence, lorsqu'il s'agit de modifier directement cet acte, et en effet le paragraphe 7 de l'article 95 prévoit que toute «adaptation» de portée générale que la Commission pourrait juger utile d'apporter à la mesure d'harmonisation, à la lumière des exigences mises en lumière par les dispositions nationales autorisées, fera l'objet d'une procédure législative normale, engagée par une proposition de la Commission au Parlement européen et au Conseil. On ne peut pas dire la même chose de la procédure d'autorisation visée aux paragraphes 4 et suivants de l'article 95 CE, qui se présente comme une procédure formellement distincte - et avec des caractéristiques sensiblement différentes - de celle aboutissant à l'adoption (ou à la modification) de la mesure d'harmonisation objet de la dérogation. Il suffit d'observer à cet égard que cette procédure s'ouvre à un moment où l'intervention législative est déjà achevée et que, de surcroît, la décision de la Commission peut intervenir même après l'entrée en vigueur de l'acte législatif. En outre, l'adoption de ce dernier et celle de la dérogation se rattachent à des institutions différentes et la seconde est soumise à des règles et à des schémas procéduraux typiques d'une procédure administrative, à tel point que, - par exemple - si la Commission ne se prononce pas dans un certain délai, les dispositions dérogatoires sont réputées autorisées (17) en application du principe administratif qui veut que le silence vaut consentement.

    45 Puisque donc la procédure en cause est par nature une procédure administrative, il importe de vérifier si celle-ci a garanti le respect du principe du contradictoire. Rappelons à ce propos que la Cour a eu l'occasion d'établir de manière claire que, sur la base dudit principe, le destinataire d'une décision qui préjuge de manière sensible ses intérêts doit pouvoir utilement exprimer son opinion au cours de la procédure administrative et donc également doit être mis en situation de connaître les documents utilisés par la Commission (18). En d'autres termes, il doit être mis en mesure, au cours de cette procédure «de faire connaître son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués, ainsi que, le cas échéant, sur les documents retenus» (19).

    46 Toutefois, il n'y a aucune obligation de respecter des formes particulières à cette fin, sauf bien entendu les cas dans lesquels des mentions expresses figurent dans des dispositions spécifiques (20). La mise en oeuvre du principe doit au contraire être modulée en fonction des caractéristiques de la procédure dont il s'agit et des effets que l'acte adopté est destiné à produire. Dans le cas de la procédure qui nous intéresse, il nous paraît tout à fait évident que l'État sollicitant l'autorisation a un intérêt direct et spécifique à la mesure et doit donc être mis en situation, durant la procédure administrative devant la Commission, d'exposer utilement ses raisons. Mais les autres États membres sont tout autant intéressés à l'issue de la procédure en cause, et cela justement parce que autoriser le maintien de mesures dérogatoires comporte une limitation du champ d'application d'un acte normatif à caractère général. L'éventuelle décision par laquelle, en vertu de l'article 95, paragraphe 4, CE, la Commission autorise l'État demandeur à maintenir des dispositions nationales dérogatoires aura inévitablement des effets également sur les autres États membres. C'est pourquoi, bien que l'article 95 CE ne prévoie aucune obligation en ce sens, la Commission suit la pratique - correcte à notre sens - d'informer les autres États membres de ce qu'elle a reçu une demande en vertu du paragraphe 4 de cette disposition et d'offrir à chacun d'eux la possibilité d'exprimer son avis sur la procédure (21). Cela, tout en précisant que la communication aux autres États membres ne concerne pas formellement l'exercice des droits de la défense, mais vise uniquement à donner la possibilité à ceux d'entre eux qui le désirent de présenter des observations sur la procédure en cours.

    47 Cela posé, rappelons que la Commission prétend avoir de toute façon, au moins en fait, respecté le principe du contradictoire, étant donné que le royaume de Danemark a eu la possibilité de faire connaître ses raisons au cours de diverses réunions et à l'occasion de l'échange de correspondance dont nous avons rendu compte lors de l'exposé des faits (22). En particulier après l'introduction de sa demande, mais avant l'adoption de la décision litigieuse, le gouvernement danois avait présenté ses observations au cours d'une réunion qui s'est déroulée le 19 novembre 1997. En outre, la Commission souligne qu'elle a fait suite à la demande du royaume de Danemark en instruisant la procédure précisément sur la base des informations fournies par le royaume de Danemark et à la lumière des données scientifiques disponibles et, en tout état de cause, portées à la connaissance du public (les rapports du CSA).

    48 À l'opposé, le gouvernement danois, en contestant que la réunion du 19 novembre 1997, précitée, puisse être considérée comme une audition proprement dite, estime qu'il ne suffit pas de permettre à l'État intéressé d'exposer ses raisons, pour assurer le respect du contradictoire. Il y aurait lieu au contraire de donner à l'État membre la possibilité de développer ses observations sur le projet de décision de la Commission et sur ses motifs, et en particulier de prendre connaissance des avis exprimés par les autres États membres.

    49 À ce propos, toutefois, la Commission réplique qu'il ressort clairement de l'échange de lettres entre M. Martin Bangemann, membre de la Commission, et M. Henrik Dam Kristensen, ministre de l'Alimentation danois (lettres du 8 février 1999 et du 16 mars 1999) qu'elle avait sollicité et reçu ces avis et que le gouvernement danois était au courant; malgré cela, il n'a pas exigé copie de ces avis et n'a pas prétendu les commenter. Toujours selon la Commission, le gouvernement danois était déjà en possession du projet de décision et il avait même fait part de ses appréciations à cet égard dans une lettre du 22 octobre 1999, adressée aux commissaires Byrne et Liikanen.

    50 Il résulte donc du dossier que, bien que le principe n'ait pas été rigoureusement respecté, le gouvernement requérant a été en tout état de cause impliqué dans le cours de la procédure tout entière, de même qu'il a été informé de la demande d'avis adressée aux autres États membres (circonstance qu'il aurait pu, de toute façon, vu les précédents en la matière, présumer), ainsi que du fait que certaines observations étaient parvenues à la Commission. Il résulte en outre du dossier qu'en dépit de cela le gouvernement n'a à aucun moment demandé d'en prendre connaissance; ce n'est qu'au stade du recours qu'il s'est décidé à critiquer le fait de ne pas avoir eu la possibilité de commenter ces observations ainsi que la réaction de la Commission.

    51 Nous estimons donc pouvoir conclure qu'en l'espèce il n'y a pas eu violation du principe du contradictoire.

    52 Nous devons cependant ajouter que, même si la Cour devait prendre une orientation opposée, il resterait de toute façon à établir, comme l'a noté la Commission, si la violation du principe en question a eu une incidence dans le cas d'espèce. On sait en effet que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une violation des droits de la défense n'entraîne l'annulation de la décision que si elle a eu une influence sur l'issue de la procédure (23).

    53 À cet égard, on doit relever que la décision controversée est fondée sur un ensemble de données scientifiques, basées essentiellement sur les avis du CSA, précités, dont le gouvernement danois était parfaitement informé et sur lesquels il a eu amplement l'occasion de présenter son point de vue. La décision attaquée ne se fonde donc pas sur des avis exprimés par les autres États membres au cours de la procédure; ceux-ci, bien qu'ayant probablement contribué à renforcer l'opinion de la Commission, se limitent en réalité à exprimer une opinion sur la compatibilité avec l'article 95 CE de la demande danoise à la lumière de ces mêmes données scientifiques utilisées par la Commission et par le royaume de Danemark. Rappelons à ce propos que la Cour, en répondant à une objection similaire, a précisé que: «la décision litigieuse est suffisamment étayée par les éléments objectifs indiqués dans sa motivation, dont le gouvernement était pleinement informé et sur lesquels il a eu toute occasion utile de faire connaître son point de vue. Il s'ensuit que, même en l'absence des observations que la Commission avait reçues de tiers intéressés au cours de la procédure, la décision n'aurait pu avoir un contenu différent. Dans ces circonstances, le seul fait que la Commission a fait état dans sa décision de ces observations sans avoir donné à l'État membre en cause l'occasion de les commenter ne justifie pas l'annulation de cette décision» (24).

    54 Ajoutons enfin qu'il résulte du dossier - ainsi que nous l'avons déjà dit - que le gouvernement danois avait pris connaissance du projet de décision avant que celui-ci ne soit adopté et donc qu'il avait eu la possibilité de faire part de ses appréciations au sujet des points de fait et de droit que la Commission estimait déterminants pour refuser l'autorisation sollicitée, y compris les positions exprimées par les autres États membres à l'issue de la procédure de consultation litigieuse. Or, on peut également soutenir que le fait que cela se soit produit de manière pour ainsi dire indirecte et par des voies non officielles autorise à douter du plein respect du principe du contradictoire. Cela permet cependant d'exclure que la prétendue violation du principe ait empêché en pratique l'exercice du droit de défense et donc, en définitive, modifié l'issue de la procédure au point de justifier, pour ce seul motif, l'annulation de l'acte.

    55 Nous estimons donc qu'il y a lieu de rejeter le grief danois relatif à la violation du principe du contradictoire.

    B - Les griefs sur le fond de la décision

    Observation liminaire

    56 Sur le fond, comme nous l'avons déjà dit, le royaume de Danemark invoque différents points entachant la légalité de la décision, en les regroupant dans une série très variée et articulée de moyens qu'il n'est pas aisé d'exposer dans l'ordre suivi dans la requête sans risquer de perdre de vue la nature du litige dont les termes se sont mieux précisés en cours d'instance. Pour accorder donc l'importance qu'il convient au fond du débat, nous ne suivrons pas rigoureusement l'ordre du recours, mais chercherons avant tout à en dénouer le fil logique.

    57 À la base de la position danoise, il y a l'idée qu'en vertu de l'article 95, paragraphe 4, CE un État membre peut maintenir en vigueur des mesures nationales dérogatoires de la réglementation communautaire d'harmonisation s'il estime, à partir d'une évaluation opérée unilatéralement par lui-même, que lesdites mesures sont nécessaires pour assurer une protection plus élevée des exigences énoncées dans la disposition. Pour justifier les mesures dérogatoires, l'État ne devra donc pas avancer d'autres justifications, et en particulier ne devra pas invoquer nécessairement l'existence d'exigences qui lui soient spécifiques, mais devra seulement démontrer que ces mesures sont réellement nécessaires pour assurer la protection la plus élevée voulue par lui et qu'elles n'excèdent pas ces finalités, sous réserve, bien entendu, du respect des conditions devant faire l'objet du contrôle opéré par la Commission en vertu de l'article 95, paragraphe 6, CE.

    58 En conséquence, le royaume de Danemark rejette les objections de la Commission fondées sur l'absence d'une situation spécifique au pays justifiant la dérogation en cause, pour en contester ensuite les appréciations quant à l'absence des conditions de nécessité et de proportionnalité des réglementations nationales en question, et quant à leur prétendu caractère discriminatoire. Elle critique, enfin, outre certains aspects - de moindre importance - de la décision attaquée, l'absence de prise en considération de l'article 95, paragraphe 6, CE.

    59 Nous examinerons successivement tous ces griefs en suivant précisément cette démarche logique.

    a) Interprétation erronée des conditions d'application de l'article 95, paragraphe 4, CE

    60 Commençons donc par la question qui, du point de vue des principes, constitue selon nous le point central et le plus délicat de la présente affaire, à savoir si le fait d'autoriser la dérogation doit ou non être subordonné à l'existence d'une situation spécifique de l'État membre qui la sollicite. Sur cette question, le débat est en vérité resté quelque peu en sourdine, mais s'est ensuite ravivé au cours de l'instance, à mesure que les positions respectives se précisaient.

    Arguments des parties

    61 Pour motiver sa position négative sur la question ainsi envisagée, le royaume de Danemark, en partie soutenu également par la république d'Islande et le royaume de Norvège, a certes tenu compte du fait que le texte lapidaire de la disposition en cause est muet sur la condition de spécificité; mais il se fonde surtout sur le contexte historico-politique de la genèse de l'article 100 A, paragraphe 4, du traité, devenu par la suite l'article 95, paragraphe 4, CE. Il rappelle en particulier que l'article 100 A été introduit par l'Acte unique européen pour compenser le passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée pour l'adoption des mesures d'harmonisation visées au paragraphe 1 dudit article et visait à offrir aux États membres une garantie contre le risque de devoir réduire, à la suite de l'harmonisation, le niveau de protection déjà atteint dans leur ordre national. Cette disposition serait donc l'expression d'un «compromis politique», tendant précisément à conserver aux États membres, en échange de la modification des règles de vote, la liberté d'un choix différent de celui retenu au niveau communautaire.

    62 C'est donc précisément parce que dès le début il représentait une rupture avec les principes jusqu'alors applicables en matière d'harmonisation que l'article 100 A du traité ne pouvait être soumis, selon le gouvernement danois, aux critères restrictifs normalement applicables aux dispositions dérogatoires. Il conviendrait au contraire de l'interpréter à la lumière du compromis politique dont il est l'expression et donc dans le sens qu'il laisse une grande liberté à l'État membre intéressé de procéder à une pondération des intérêts en jeu, éventuellement même différente de celle effectuée par le législateur communautaire.

    63 De son côté, la Commission ne partage pas cette position, même si elle développe sa thèse de façon quelque peu mouvante entre les argumentations de la décision litigieuse et celles des mémoires d'instance, ce qui confirme, croyons-nous, une incertitude persistante quant au fond. Considérant en tout état de cause que les appréciations portées sur le contexte politique ayant présidé à l'Acte unique européen et à l'article 100 A du traité ne militent pas de façon univoque dans le sens soutenu par le royaume de Danemark, la Commission rappelle que la jurisprudence de la Cour a à plusieurs reprises consacré le principe que, une fois intervenues les mesures d'harmonisation dans un secteur, un État membre ne peut plus invoquer les exigences mentionnées à l'article 30 (ex-article 36) CE pour se soustraire à l'application de ces mesures (25). La même conclusion s'impose également pour les mesures d'harmonisation adoptées sur la base de l'article 95, paragraphe 1, CE; et même a fortiori pour de tels actes, étant donné que ces derniers, en vertu du paragraphe 3 de cette disposition, poursuivent par définition une protection élevée des exigences importantes en matière de santé, sécurité, protection de l'environnement et protection des consommateurs. En conséquence, selon la Commission, une fois que le législateur communautaire a examiné les éléments pertinents, en fixant le niveau de protection souhaitable, et une fois l'acte adopté, un État membre ne pourrait pas simplement substituer son appréciation du risque à celle effectuée par le législateur communautaire et prétendre dès lors, de ce seul fait, déroger à la réglementation d'harmonisation qui en découle. Il doit au contraire démontrer, sur la base d'éléments scientifiques nouveaux ou d'éléments qui auraient dû être pris en considération par le législateur communautaire, que cette réglementation n'est pas propre à assurer un niveau élevé de protection pour les «exigences importantes» dont il est question dans la disposition présentement en cause; mais l'État intéressé peut aussi faire valoir qu'il existe à cet égard une situation qui lui est spécifique, justifiant la dérogation. Selon la Commission, donc, à la différence du paragraphe 5, le paragraphe 4 de l'article 95 n'exigerait pas nécessairement l'existence de cette dernière condition, mais permettrait à l'État intéressé de s'en prévaloir comme possibilité supplémentaire pour justifier la dérogation sollicitée.

    Appréciation

    64 Le présent grief, comme on l'a vu, met en cause un aspect central du système défini par l'article 95 CE et en particulier la répartition des compétences entre États membres et institutions communautaires pour ce qui est de l'appréciation du niveau de protection de la santé, de la salubrité du milieu de travail, et de l'environnement naturel, après l'adoption d'une mesure communautaire d'harmonisation des dispositions nationales ayant une incidence sur l'établissement du marché intérieur. Le désaccord qui s'est manifesté à cet égard entre les parties est profond et traduit des visions radicalement différentes de ce système. Il convient donc de reconsidérer en termes globaux le sens et la portée de la disposition en cause, également parce que, en ce qui nous concerne, nous estimons ne pas pouvoir nous associer à la position danoise, mais nous ne pouvons pas non plus entièrement partager celle de la Commission.

    65 Ainsi que nous l'avons plusieurs fois rappelé, l'article 95 CE (et, antérieurement, l'article 100 A) institue une compétence générale de la Communauté aux fins de l'adoption de mesures d'harmonisation des dispositions nationales pertinentes en vue de l'établissement et du fonctionnement du marché intérieur. Cette compétence est exercée par le Conseil (précédemment en coopération et à présent) de concert, suivant la procédure de codécision, avec le Parlement européen. Tant la Commission, dans l'exercice de son pouvoir de proposition, que les autres deux protagonistes du processus législatif doivent prendre pour base un niveau de protection élevé, dès lors qu'il s'agit de propositions en matière de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs; en particulier, ils doivent tenir compte de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques (paragraphe 3). Toutefois, une fois l'harmonisation intervenue (peu importe, depuis les modifications apportées à l'article 100 A, que celle-ci soit intervenue à la majorité qualifiée ou à l'unanimité), un État membre peut solliciter une dérogation, justifiée par des motifs de protection (de la vie, de la santé) du milieu de travail, de l'environnement naturel (ou des autres exigences importantes visées à l'article 30 CE) pour maintenir des dispositions nationales déjà en vigueur, mais en opposition avec le régime harmonisé (paragraphe 4), ou pour introduire, ex novo, en raison d'un problème survenu entre-temps, de telles dispositions (paragraphe 5). Le paragraphe 6 de cette disposition définit enfin le rôle de la Commission aux fins de l'autorisation de la dérogation dans les deux cas indiqués et lui réserve le contrôle du respect de l'interdiction de discrimination arbitraire et de restriction déguisée au commerce intracommunautaire.

    66 Il ressort à l'évidence également de cette description synthétique que la disposition en cause vise à affronter deux exigences distinctes et qui ne sont pas toujours aisément conciliables: il s'agit, d'un côté, de donner une impulsion à la réalisation du marché commun, de l'autre côté, d'assurer des niveaux élevés de protection de la santé, de la sécurité, de protection de l'environnement et de défense des consommateurs. Pour ce qui est de cette dernière exigence, en particulier, l'article 95 affiche ouvertement une volonté de tenir compte des préoccupations légitimement exprimées par les États membres dans une procédure législative susceptible, à partir du moment où a été adopté l'article 100 A, de se conclure désormais également à la majorité qualifiée; mais cela en partant de la prémisse que ces préoccupations sont présumées en principe déjà satisfaites par la mesure d'harmonisation, étant donné que celle-ci doit par définition se fonder sur un niveau élevé de protection. Mais s'il en est ainsi, et si donc ce niveau élevé de protection est déjà inscrit, pour ainsi dire, dans l'ADN de la mesure d'harmonisation, il sera possible dès lors d'en tirer deux indications significatives, sur lesquelles nous reviendrons de toute façon par après. D'une part, en effet, il n'apparaît pas en principe justifié de prétendre soustraire la disposition en cause à l'application de la jurisprudence constante de la Cour qui impose d'interpréter restrictivement les conditions d'admissibilité d'une dérogation aux règles fondamentales du droit communautaire (en l'espèce: l'unicité du marché) (26). D'autre part, il ne suffit pas d'invoquer de manière générale l'inadéquation du niveau de protection garanti de la mesure d'harmonisation pour être autorisé à maintenir ou à introduire une dérogation à cette dernière.

    67 Si nous en venons à présent à examiner de plus près la question envisagée, nous devons tout d'abord rappeler que, selon le gouvernement danois, le paragraphe 4 de l'article 95 ne reprend pas les conditions visées au paragraphe 5 de cette disposition. Celui-ci est en effet beaucoup plus détaillé et, à en juger du moins par son libellé, plus restrictif que le paragraphe immédiatement précédent, parce que, pour admettre l'introduction de mesures nationales dérogeant à l'harmonisation communautaire intervenue, il requiert que soient satisfaites trois conditions: les dispositions nationales dérogatoires doivent se fonder sur de nouvelles preuves scientifiques dans les secteurs indiqués, il doit exister un problème spécifique à l'État demandeur et ce problème doit avoir surgi postérieurement à l'adoption de la directive.

    68 Le prescrit plus général que le paragraphe 4 de l'article 95 réserve aux hypothèses du maintien de mesures nationales dérogeant à l'harmonisation communautaire autoriserait donc à conclure que dans ces hypothèses aucune des conditions précitées ne serait en revanche requise. En effet, d'une part, les mesures nationales ne seraient pas en l'occurrence introduites ex novo et donc ne nécessiteraient pas la production de nouvelles preuves scientifiques; d'autre part, étant donné le silence de la disposition, l'État membre intéressé ne serait pas tenu d'invoquer l'existence d'une situation spécifique. Il devrait simplement prouver que lesdites mesures permettent effectivement - sans d'ailleurs excéder cette finalité - d'assurer le niveau le plus élevé de protection qui, de l'avis de ce même État, est nécessaire pour satisfaire les «exigences importantes» dont il est question dans la disposition en cause. On n'exigerait rien d'autre de l'État puisque celui-ci peut légitimement restreindre le champ d'application de la réglementation commune, sous réserve bien entendu du contrôle opéré par la Commission en vertu du paragraphe 6 de l'article 95 CE.

    69 Tout en reconnaissant que l'interprétation de l'article 95 n'est en rien aisée, nous devons dire qu'il nous paraît très difficile de partager la thèse que nous venons de résumer. À notre avis, en effet, cette thèse non seulement ne se concilie pas - comme nous le verrons mieux - avec la logique et la finalité du système, mais procède très probablement d'une erreur de perspective, à savoir d'une confrontation hâtive des paragraphes 4 et 5 de la disposition précitée, et peut-être également d'une reconstruction tout aussi hâtive de l'évolution qui a marqué le passage de l'article 100 A, paragraphe 4, du traité à l'article 95, paragraphes 4 et 5, CE. Il nous semble, en d'autres termes, que la thèse dont il s'agit part de l'idée que l'article 100 A, paragraphe 4, prévoyait uniquement l'hypothèse du maintien des réglementations nationales sous forme de dérogations à l'harmonisation communautaire, sur la base d'une appréciation de leur nécessité qui serait laissée à l'État membre intéressé; l'article 95 CE qui lui a succédé aurait ensuite repris la même hypothèse au paragraphe 4 et aurait ajouté, au paragraphe 5, une autre, régie de manière plus analytique et restrictive, en cas d'introduction d'une nouvelle réglementation nationale sous forme de dérogation à l'harmonisation susdite.

    70 Nous croyons cependant, répétons-le, que cette reconstruction est hâtive et qu'elle ne fournit pas la clé d'une interprétation correcte des dispositions auxquelles elle renvoie, et cela pour une série de raisons que nous tenterons d'éclairer ci-après.

    71 En premier lieu, nous devons observer que l'article 100 A, paragraphe 4, ne se limitait pas du tout à l'hypothèse du «maintien» de règles nationales par dérogation à l'harmonisation; au contraire, il se référait plus généralement au cas où un État membre entendait «appliquer» lesdites règles, de sorte que cette disposition avait déjà un caractère englobant par rapport à l'une et l'autre hypothèses considérées: à savoir, tant le maintien des règles préexistantes que l'introduction de règles nouvelles (27). À l'article 95 CE, qui lui a succédé, les deux hypothèses ont été explicitement séparées et la locution générale «appliquer» a été rendue par les locutions plus spécifiques «maintenir» et «introduire»; ce qui confirme indirectement, à notre avis, que l'article 100 A contenait déjà en réalité l'une et l'autre.

    72 On pourrait objecter, d'autre part, que seul le paragraphe 4 de l'article 95 CE reprend la formulation générale de l'article 100 A, alors que le paragraphe 5 exige explicitement la condition de la spécificité de la situation de l'État membre intéressé; ce qui confirmerait donc tant la continuité entre l'article 100 A, paragraphe 4, et le seul paragraphe 4 de l'article 95 CE, que l'absence de cette condition à l'article 100 A. Observons cependant que cette objection reposerait à son tour sur une prémisse non démontrée et selon nous discutable, à savoir sur la prémisse que le silence de l'article 100 A, paragraphe 4, quant aux conditions d'autorisation de la dérogation, impliquait la pleine liberté dudit État d'apprécier la nécessité de celle-ci. Il nous semble au contraire, pour les raisons que nous exposerons sous peu, que cette conclusion illogique ne peut être induite de ce silence, qu'au contraire les conditions préalables à l'application de la dérogation, bien que non explicitées dans la disposition (qui est, répétons-le, moins élaborée et articulée que l'article 95 CE qui lui a succédé), devaient déjà à l'époque se déduire du système et que parmi celles-là figurait certainement celle relative à la spécificité de la situation invoquée pour fonder les mesures nationales dérogatoires.

    73 Il nous paraît au reste significatif que précisément dans la première affaire ayant eu pour objet une décision de la Commission rendue sur le fondement de l'article 100 A, paragraphe 4 (et donc avant même son remplacement par l'article 95 CE), l'avocat général Tesauro, tout en reconnaissant que cette disposition représentait effectivement un «contre-poids» ou une «compensation» pour l'abandon du principe d'unanimité, soulignait que, en tout état de cause, «il eût [[...]] fallu préciser les exigences spécifiques justifiant l'adoption (dans l'État membre demandeur) de mesures encore plus restrictives» par rapport à ce qui est prévu dans une directive d'harmonisation (28). De même, il y a lieu de rappeler le renvoi opéré par l'avocat général Saggio, précisément par rapport à l'article 100 A, paragraphe 4, au principe bien connu suivant lequel toute dérogation aux principes de l'application uniforme du droit communautaire et de l'unité du marché est d'interprétation stricte. Ainsi, étant précisément l'expression d'une telle dérogation, cet article ne peut pas ne pas être «d'interprétation stricte et ne peut être opérant que dans des conditions rigoureuses en ce qui concerne tant l'ensemble des justifications prévues que la procédure d'`administration' de la clause de sauvegarde» (29).

    74 Il n'en demeure pas moins que, si à présent l'article 95, paragraphe 5, CE est explicite en ce sens qu'il prévoit, aux fins de l'hypothèse envisagée par cette disposition, les conditions d'application de la dérogation, force serait de conclure que ces conditions ne sont pas requises en revanche pour ce qui est de l'hypothèse visée au paragraphe 4 de cette même disposition (comme elles ne l'auraient pas été pour le paragraphe correspondant de l'article 100 A). En effet, il n'y a aucun doute que les paragraphes 4 et 5 de l'article 95 CE, du fait qu'ils renvoient à des situations différentes, prédéterminent un régime différent; il s'agit cependant de s'entendre sur quoi portent réellement ces différences et quelles sont les conséquences qui en découlent. Or, à notre avis, elles ne peuvent concerner que l'élément qui manifestement distingue les deux hypothèses considérées, à savoir le fait que le paragraphe 5 se réfère à l'introduction de mesures dérogatoires postérieures à la mesure communautaire et justifiées par de nouvelles preuves scientifiques. Il en résulte que, dans le cadre du régime dérogatoire plus précis et articulé de l'article 95 CE, le paragraphe 5 de cette disposition apparaît à son tour comme encore plus «spécial», pour ainsi dire, par rapport au paragraphe précédent (ce que confirme en quelque sorte le paragraphe 5 lui-même, lorsqu'il dit s'appliquer «sans préjudice» dudit paragraphe) et donc soumet l'hypothèse qu'il envisage à des critères encore plus stricts que ceux prévus pour l'autre hypothèse. Cela tant en ce qui concerne les «exigences importantes» considérées - étant donné que la possibilité d'introduire une mesure de sauvegarde n'est prévue dans ce cas que pour la «protection de l'environnement ou du milieu de travail» - que, par-dessus tout, en ce qui concerne les conditions d'opérativité de cette disposition. Comme nous l'avons dit, en effet, la mesure nationale doit se baser sur des «preuves scientifiques nouvelles» et être justifiée par un problème spécifique de l'État membre intéressé, ayant surgi après l'adoption de la directive.

    75 Mais ces deux dernières conditions sont strictement connexes, en ce sens que, pour justifier la mesure nationale ultérieure, il ne suffit pas que le problème soit spécifique, il faut encore que de nouvelles preuves scientifiques soient intervenues. Si la disposition en cause s'était en effet bornée à énoncer la première condition, en effet, on aurait pu trouver un argument en faveur de la thèse ici critiquée. Mais la disposition exige également que de nouvelles preuves soient intervenues; et c'est précisément pour ce motif qu'au paragraphe 5 - et non au paragraphe 4 - on fait expressément référence à la condition de spécificité. En effet, parce que la survenance de nouvelles preuves pourrait, éventuellement, concerner l'ensemble des pays ou un grand nombre d'entre eux, la nécessité s'est fait sentir d'énoncer dans le corps de ce paragraphe (et non également au paragraphe 4) de la manière la plus claire une condition de spécificité de l'État demandeur, liée aux nouvelles preuves et justifiant de manière particulière, dans son chef, une dérogation à la mesure d'harmonisation. Si cette reconstruction ne devait pas convaincre, il resterait alors à expliquer pour quelle mystérieuse raison un État membre doit invoquer un problème qui lui soit spécifique s'il veut introduire des mesures dérogatoires postérieurement à l'adoption de la directive, mais pas s'il veut maintenir les mesures préexistantes, surtout si l'on considère qu'en ce qui concerne celles-ci il a déjà eu l'occasion de défendre les raisons qui l'animent, au stade de la préparation de la directive.

    76 Le fait que la condition de spécificité s'impose également dans l'hypothèse visée au paragraphe 4 de l'article 95 CE, comme précédemment déjà pour l'article 100 A, nous semble cependant confirmé par-dessus tout par des considérations d'ordre systématique. Tout d'abord en effet, force est de redire, avec la Commission, que, puisque la disposition en cause introduit «une exception aux principes de l'application uniforme du droit communautaire et de l'unité du marché», l'article 95, paragraphe 4, CE doit recevoir, comme toutes dispositions ayant un caractère dérogatoire, «une interprétation qui exclut d'en étendre la portée au-delà des cas qu'elle prévoit formellement» (30). Par contre, la thèse danoise, à la différence de celle qui vient d'être exposée, opère précisément une telle extension. Il nous semble en tout cas très difficile de concilier avec ce critère d'interprétation la prétention d'un État membre consistant à invoquer l'inadéquation du niveau de protection garanti par le législateur communautaire pour demander, sur la base d'une appréciation unilatérale de la nécessité de relever ce niveau, de maintenir ou d'introduire une dérogation à la législation communautaire et donc au principe de l'unité du marché. Il nous semble au contraire qu'admettre une telle prétention signifierait transformer la disposition de l'article 95, paragraphe 4, CE en une clause pure et simple d'opting out permanent par rapport à chaque directive d'harmonisation, ce qui serait catégoriquement contraire aux principes et aux finalités du système ainsi qu'à la logique qui inspire, en vue de la protection de l'intérêt général, la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres.

    77 En réalité, si l'on veut échapper à cette conséquence paradoxale, force est d'admettre la nécessité de motivations et conditions supplémentaires pour que la dérogation puisse être légitimement demandée; et celles-ci ne peuvent être cernées que dans l'existence d'un problème spécifique de l'État intéressé auquel les mesures générales, contenues dans la directive, ne sont pas en état de faire face. S'il s'agit en réalité d'un problème commun à tous les États membres, ou à la plupart d'entre eux, on devrait présumer qu'il a déjà été résolu par la directive. Mais si tel n'a pas été le cas, il faudrait alors plutôt vérifier si les conditions pour attaquer directement la directive sont réunies, vu qu'elle doit assurer non seulement une protection générale, mais également un «niveau élevé» de protection; en tout cas, le problème aurait un caractère général et l'on ne comprend dès lors pas pourquoi il devrait être résolu seulement en faveur des heureux ressortissants d'un État membre plus scrupuleux, au détriment de l'application uniforme de la législation harmonisée et donc du fonctionnement du marché commun. Si au contraire ce niveau était jugé approprié, on ne comprend pas non plus pourquoi on devrait admettre la liberté d'un État membre de le relever unilatéralement - même si c'est dans la louable intention d'assurer une protection encore plus élevée à ces ressortissants - là encore au détriment de l'unicité du marché. À moins que précisément cet État ne soit pas en mesure de démontrer l'existence, dans son chef, d'une situation spécifique justifiant ces conséquences.

    78 Ajoutons que la thèse que nous venons d'exposer permet aussi d'expliquer qu'il soit possible - avec certitude, à la lumière de l'article 95, et peut-être même déjà sous l'empire de l'article 100 A - de solliciter le maintien des mesures nationales assurant une protection plus élevée, même dans le cas où la directive a été adoptée à l'unanimité et donc que cette procédure n'est pas réservée aux États «mis en minorité», mais peut être aussi bien invoquée par un État ayant approuvé la directive. Cela signifie que la dérogation n'est pas liée nécessairement à un jugement négatif sur la directive, puisqu'un État membre pourrait considérer que, sur un plan général, le niveau de protection assuré par le législateur communautaire est approprié, raison pour laquelle il a approuvé la directive, tout en sachant qu'il connaît un problème spécifique à cet égard et en se réservant donc de demander la dérogation. Dans l'optique de la thèse opposée, au contraire, l'hypothèse d'une demande de dérogation par un État ayant approuvé la directive serait difficilement explicable, étant donné que le point de départ de cette thèse devrait être le jugement en tout état de cause négatif de l'État quant au niveau de protection fixé par la directive.

    79 Il est significatif, d'autre part, que le gouvernement requérant n'ait pas avancé beaucoup d'arguments au soutien de sa thèse. En effet, il s'est surtout préoccupé de justifier les incohérences systématiques que nous venons de dénoncer; et il l'a fait, comme nous l'avons rappelé, en insistant en particulier sur le «contexte historico-politique dans lequel se meut la genèse de la disposition» et, partant, sur la nécessité de l'interpréter «à la lumière du compromis politique dont elle est l'expression». Nous devons dire, pour en avoir été de surcroît un témoin direct, que nous n'avons aucune difficulté à reconnaître l'existence de ce «contexte» et du climat de préoccupation qui entourait la négociation de l'Acte unique européen, relativement à l'article 100 A. Nous pourrions en outre évoquer à cette fin également la déclaration formulée précisément par le royaume de Danemark à la fin de cette négociation, qui exprime bien l'intention de certains États membres et en particulier justement du royaume de Danemark, de se réserver la possibilité d'un choix différent de celui opéré au niveau communautaire (31). Mais nous ne voulons pas nous engager à présent dans une discussion sur cette déclaration, d'autant qu'elle n'a pas été non plus évoquée par le gouvernement requérant. Observons simplement qu'elle n'a plus été réitérée, nous semble-t-il, ni dans le traité de Maastricht ni dans celui d'Amsterdam, ce qui confirme le fait qu'elle reflétait plutôt les tensions de la négociation sur les innovations susrappelées en matière de vote et qu'elles ont ensuite cédé le pas à des appréciations plus réfléchies suggérées par la pratique ultérieure de mise en oeuvre de cette disposition.

    80 Il nous paraît en revanche plus utile de consacrer quelques mots à l'insistance du gouvernement danois quant au «contexte» et au «compromis politique» dont l'article 100 A, paragraphe 4, du traité comme l'article 95, paragraphe 4, CE qui lui a succédé seraient l'expression et qui précisément justifieraient les prétentions de la partie requérante. Répétons, à cet égard, que nous n'avons aucune difficulté à reconnaître, avec l'avocat général Tesauro, que «la faculté offerte à un État membre de continuer à appliquer sa réglementation nationale, malgré l'harmonisation d'une matière réalisée au niveau communautaire, vise à assurer une protection `renforcée' de certains intérêts particulièrement importants et, surtout, à apporter une réponse aux préoccupations, exprimées par certains pays lors des négociations concernant l'Acte unique, qu'une éventuelle harmonisation adoptée à la majorité puisse entraîner un abaissement du niveau de protection garanti à ces intérêts au niveau national» (32). Cela dit, nous devons cependant redire qu'à notre sens ni le «compromis politique» ni la nécessité qui s'ensuit d'une «protection renforcée» ne justifient le renversement des principes du système qui résulterait de l'accueil de la thèse du gouvernement danois. A fortiori, si l'on considère que les dispositions en cause tiennent déjà amplement compte de ces exigences, étant donné que c'est précisément pour ce motif que l'on a introduit expressément une dérogation importante au principe consolidé suivant lequel, dans une matière ayant fait l'objet d'une harmonisation communautaire, les États membres ne peuvent plus adopter des mesures unilatérales justifiées par la protection des exigences visées à l'article 30 CE (voir ci-dessus, point 63). Dans le cas présentement examiné, en effet, pour peu que soient respectées les conditions fixées, ces mesures peuvent être autorisées; et cela, nous semble-t-il, constitue déjà en soi un renforcement significatif des garanties sollicitées. Aller au-delà - et traduire ces conditions en une possibilité de dérogation ad libitum serait non un compromis, mais un abus.

    81 Avant de conclure sur ce point, nous devons encore consacrer quelques mots à la position discutable prise par la Commission dans la présente affaire. En effet, après avoir laissé entendre qu'elle considérait, elle aussi, nécessaire une condition de spécificité de l'État qui sollicite la dérogation, en évoquant cette condition dans la décision attaquée et en fondant sur cette absence l'un des principaux motifs de refus de l'autorisation, la Commission a, dans ses mémoires, réduit cette condition quasiment à une condition subsidiaire ou, en tout état de cause, à une condition alternative par rapport à d'autres conditions. À son avis, en définitive, l'État membre qui invoque l'application de l'article 95, paragraphe 4, CE peut également se contenter d'invoquer l'existence d'éléments scientifiques nouveaux ou d'éléments qui auraient dû être pris en considération par la législation communautaire en cause, s'ils sont aptes à démontrer que celle-ci n'assure pas une protection suffisante.

    82 Il nous semble en réalité que, si la thèse danoise ouvre la porte à l'arbitraire des États, dans celle de la Commission l'arbitraire réside dans le choix des conditions que nous venons d'indiquer. Cela non seulement parce qu'il n'y a pas trace de ces conditions dans la disposition, mais parce qu'elles ne découlent pas non plus de la logique du système ou de critères raisonnables. Au contraire, à y bien regarder, elles ne servent pas non plus à résoudre le problème en cause, mais simplement à le déplacer, étant donné qu'à supposer même vérifiée l'existence d'éléments nouveaux, il resterait malgré tout à démontrer pourquoi, en l'absence d'une exigence spécifique de l'État membre sollicitant la dérogation, les nouveautés précitées devraient jouer en faveur dudit État et non de l'ensemble (ou d'un certain nombre) des autres États. Le paragraphe 5 de l'article 95 CE fournit une réponse non équivoque sur ce point en exigeant précisément qu'il y ait aussi un problème spécifique de l'État demandeur; la thèse de la Commission en revanche ne donne pas la réponse ou à tout le moins pas de manière nette et dépourvue d'ambiguïté. Nous devons également ajouter, de manière plus spécifique, qu'il nous est vraiment difficile d'imaginer qu'une directive négociée pendant des années puisse avoir négligé des éléments à ce point décisifs qu'ils justifient la dérogation dont il est question et, surtout, que ceux-ci (voire de nouveaux éléments scientifiques) puissent ensuite émerger dans le très bref laps de temps qui court (comme le montre précisément la présente affaire) entre l'approbation de la directive et la demande de maintien des dispositions nationales. Ce qui apparaît en effet normal dans l'hypothèse qui sous-tend le paragraphe 5 de l'article 95 CE et qui en justifie donc la rédaction particulière apparaît franchement peu vraisemblable dans le cas présentement en cause.

    83 Pour ce qui est au contraire de l'exigence, également soulignée par la Commission, que l'État intéressé prouve l'insuffisance de la protection assurée par la directive communautaire, nous n'en contestons évidemment pas le bien-fondé, pourvu qu'il soit bien clair que celle-ci est strictement liée à la condition de spécificité, en ce sens que la dérogation ne peut être autorisée que si l'on démontre, comme au paragraphe 5 de l'article 95 CE, le caractère inapproprié de ladite protection par rapport à un problème spécifique de l'État intéressé. Dans un certain sens, donc, l'existence de ce problème est la condition préalable pour que l'État soit légitimé à invoquer la dérogation; l'insuffisance de la protection est la condition de fond pour l'octroi de la dérogation.

    84 Eu égard à tout ce qui précède, nous estimons donc que les mesures danoises relatives aux sulfites, aux nitrates et aux nitrites devraient être justifiées en raison d'une situation spécifique du royaume de Danemark; puisque cette justification n'a pas été fournie, ni même invoquée, le présent grief doit, à notre sens, être rejeté.

    b) Nécessité et proportionnalité des mesures danoises

    85 Comme nous l'avons déjà signalé par avance ci-dessus, le gouvernement requérant justifie sa demande tendant au maintien des mesures nationales par dérogation à l'harmonisation communautaire en invoquant le caractère inadéquat de cette dernière et donc la nécessité de conserver des niveaux de protection plus élevés. Ces motivations sont au contraire contestées par la Commission, qui discerne au surplus également certains éléments discriminatoires dans les mesures nationales dérogatoires. En examinant cette divergence de vue, nous chercherons autant que possible à ne pas revenir sur la condition de spécificité, longuement examinée précédemment, bien que celle-ci affleure à nouveau à plusieurs reprises et se confond également avec les arguments invoqués par les parties sur les questions présentement examinées.

    Arguments des parties

    86 Contestant les conclusions auxquelles était parvenue la Commission dans la décision attaquée, le gouvernement requérant défend le caractère nécessaire et proportionné de ses mesures en invoquant, de manière générale, le principe de précaution, qui permettrait aux États membres d'élever le niveau de protection afin d'éviter des risques pour la santé humaine.

    87 Ce serait vrai tout d'abord en ce qui concerne les sulfites. Le royaume de Danemark ne nie pas que sa législation soit plus restrictive que la directive, tant parce qu'elle limite les catégories d'aliments dans lesquels ces additifs peuvent être utilisés que parce qu'elle en réduit la quantité utilisable. Mais ces restrictions seraient imposées par les risques pour la santé découlant de l'utilisation de ces produits et de l'approche injustifiablement tolérante retenue par la directive, surtout comparée à la rigidité des autres règles de droit communautaire dérivé applicables en la matière.

    88 En particulier, le royaume de Danemark, d'une part, souligne le risque de graves réactions allergiques chez les sujets prédisposés, auxquels ne pourrait remédier la réglementation communautaire lacunaire en matière d'étiquetage; d'autre part, il évoque le risque de dépassement de la DJA, fixée par l'avis du CSA du 25 février 1994 à 45-50 mg. Cela, alors que ni la quantité d'additif ni la liste des produits dans lesquels l'utilisation desdites quantités est permise en vertu de la directive ne sont justifiées par un besoin technologique suffisant. Par ailleurs, le choix opéré par les mesures danoises en cause, de réduire l'exposition de la population aux sulfites, serait rendu nécessaire par l'impossibilité d'agir sur l'utilisation des sulfites dans le vin, étant donné que le règlement y relatif n'admet pas l'adoption de mesures nationales de sauvegarde; il n'y avait donc pas d'autre solution que de limiter le recours aux sulfites pour les autres produits.

    89 Pour ce qui a trait aux nitrites et aux nitrates, le royaume de Danemark réplique tout d'abord aux affirmations de la décision suivant lesquelles les mesures en cause n'étaient ni nécessaires ni appropriées aux exigences de protection de la santé. Selon la Commission en effet, d'une part, les quantités d'additifs autorisées par la directive sont technologiquement nécessaires pour la sécurité microbiologique des produits à base de viandes, sans donner lieu par ailleurs à un risque quelconque de dépassement de la DJA pour les nitrites ou les nitrates; d'autre part, la réglementation danoise autorise en tout état de cause une utilisation excessive desdits additifs dans certains produits de charcuterie, d'où la formation de quantités élevées de ces mêmes nitrosamines cancérigènes que le gouvernement danois affirme vouloir combattre.

    90 Le gouvernement requérant objecte en premier lieu que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste, dans la mesure où elle soutient le caractère non nécessaire de ces mesures par rapport au dépassement allégué de la DJA pour les nitrites et les nitrates: le royaume de Danemark n'aurait en effet jamais prétendu que telle était la justification de ces mesures, celles-ci étant plutôt liées au risque découlant de la dégradation des nitrites et nitrates en nitrosamines.

    91 À son avis, en effet, la directive méconnaît les recommandations claires du CSA, en autorisant un usage excessif de nitrites et de nitrates, avec pour conséquence la formation de nitrosamines, substances aux effets notoirement cancérigènes et génotoxiques. C'est précisément le CSA qui a au contraire mis en évidence la corrélation existant entre les quantités de nitrites et de nitrates ajoutés et la formation de nitrosamines volatiles. Pour cette raison, il a exclu que l'on puisse déterminer un seuil au-dessous duquel l'usage de nitrites et de nitrates ne comporterait aucun risque de tumeur et il a recommandé de réduire l'utilisation de ces additifs au minimum nécessaire pour obtenir l'effet conservateur requis et pour assurer la sécurité du point de vue microbiologique. Un tel résultat ne peut être justement obtenu qu'à travers la fixation de quantités maximales d'incorporation.

    92 Pour ce qui est ensuite du caractère raisonnable de ces choix, le gouvernement requérant réfute les accusations d'incohérence que la décision attaquée adresse aux mesures en cause du fait que, dans le cadre d'une réduction généralisée des quantités d'additifs, elle a autorisé des doses différentes et plus élevées pour certains produits. Le royaume de Danemark souligne, en effet, que l'exigence technologique varie en fonction du produit et dépend donc, comme l'a mis en évidence le CSA lui-même, de multiples paramètres, parmi lesquels la température de conservation et la composition même du produit. La réglementation danoise aurait simplement adapté les doses de nitrites et de nitrates aux nécessités des différents produits, que le gouvernement requérant s'empresse de décrire de manière analytique. La Commission se serait donc à tort basée sur les différents niveaux de nitrates prévus pour les divers produits de la liste danoise pour en critiquer l'incohérence.

    93 À titre subsidiaire, le gouvernement danois fait valoir que, tandis qu'il avait démontré, dès le stade de la demande, tant l'inadéquation de la directive que l'adéquation des mesures nationales, la Commission a au contraire excédé les limites de son pouvoir d'appréciation en se bornant à affirmer, sans aucune preuve scientifique, que les valeurs limites fixées par la réglementation danoise pour l'emploi des nitrites et des nitrates dans les produits à base de viandes sont contraires aux exigences dérivant du principe de proportionnalité.

    94 De son côté, la Commission objecte, de manière générale, que les autorités danoises, sans avoir produit d'élément nouveau, prétendent maintenir les dispositions nationales en cause sur la seule base d'une interprétation différente des éléments dont disposait le Conseil lors de l'adoption de la directive 95/2. Comme nous l'avons rappelé ci-dessus, cependant, une telle prétention ne serait pas acceptable selon la Commission, à moins que l'État membre ne prouve que le niveau de protection fixé par la directive est manifestement insuffisant, ou qu'il invoque de nouvelles preuves ou démontre l'existence d'éléments négligés par le législateur communautaire. Ce qui ne s'est pas produit en l'espèce.

    95 Sur le fond, ensuite, la Commission conteste l'accusation danoise suivant laquelle elle aurait omis de considérer que l'existence d'un besoin technologique constitue la nécessaire condition préalable de l'autorisation d'un additif. En réalité, selon la défenderesse, l'exigence technologique existe en l'espèce, tant pour ce qui est des nitrites et des nitrates que des sulfites, ce dont la directive communautaire aurait dûment tenu compte, au contraire de la réglementation danoise.

    96 Sur le fond des observations danoises, ensuite, la Commission observe tout d'abord que, pour ce qui a trait aux sulfites, la directive 95/2 est cohérente avec les avis y relatifs du CSA et qu'elle est donc pleinement apte à garantir la protection de la santé publique. Plus spécifiquement, en outre, elle objecte que la question des réactions allergiques a déjà été abordée au niveau communautaire, avec la réglementation de l'étiquetage des produits alimentaires, et qu'il n'est donc pas nécessaire d'intervenir à cet égard sur le plan national; bien que des améliorations soient nécessaires, celles-ci devraient se faire au stade de la modification de la réglementation sur l'étiquetage, et certainement pas par voie de dérogation à la directive 95/2. Il en va de même pour le problème des sulfites dans le vin, qui requierrerait également, le cas échéant, une intervention spécifique à un autre stade. En tout état de cause, toujours selon la Commission, les mesures danoises, en tant qu'elles permettent une utilisation de quantités trop basses de conservation, ne seraient pas aptes à garantir l'exigence technologique à laquelle répondent les sulfites.

    97 Pour ce qui est ensuite des nitrites, la Commission réplique que la décision attaquée a répondu de manière circonstanciée aux préoccupations du gouvernement danois en ce qui concerne la corrélation entre la quantité d'additif ajouté et la formation de nitrosamines. En particulier, elle a répété que le législateur communautaire avait pleinement connaissance des avis du CSA quand il a adopté la directive 95/2, et que le niveau de protection fixé par cette directive correspond en réalité aux conclusions de l'avis du CSA du 19 octobre 1990, confirmé pour l'essentiel par l'avis ultérieur du 22 septembre 1995. La Commission rappelle que, dans son premier avis, le CSA avait affirmé que les données disponibles sur les nitrosamines, dont on connaît certes l'effet cancérigène, indiquaient que, «aux niveaux auxquels elles ont été détectées dans les aliments, les effets nocifs pour la santé sont probablement faibles»; malgré cela, le comité a ensuite recommandé que l'exposition aux nitrosamines préformées dans les aliments soit réduite au minimum au moyen de pratiques technologiques appropriées, et en particulier par voie de diminution des doses de nitrites et de nitrates ajoutés au niveau minimal indispensable pour obtenir l'effet conservateur nécessaire et pour assurer la sécurité du point de vue microbiologique. Étant donné toutefois que le CSA n'a pas indiqué de limite particulière ni pour les doses d'incorporation ni pour les quantités résiduelles, la Commission en tire la conclusion qu'il incombe au législateur communautaire de définir les instruments à utiliser pour obtenir les résultats recommandés et fixer le niveau minimal requis, qui doit être «le plus bas que l'on puisse atteindre». Selon la Commission, donc, l'affirmation du gouvernement danois suivant laquelle la directive 95/2 ne serait pas conforme à l'avis du CSA et, partant, inappropriée est donc manifestement non fondée.

    98 La Commission considère au contraire que les mesures danoises sont inappropriées, étant donné que les doses maximales prévues dans celles-ci ne peuvent pas garantir la sécurité microbiologique, sauf si des conditions d'hygiène particulièrement sûres sont réunies. Ces conditions, en l'absence de l'adoption généralisée et complète des techniques de prévention convenables, telles que le «contrôle des points critiques dans l'analyse des risques» (HACCP), ne seraient pas assurées dans la Communauté, au moins au stade actuel du droit communautaire.

    Appréciation

    99 Pour en venir à l'appréciation des thèses en présence, nous devons tout d'abord répéter, sur un plan général, que, s'agissant d'apprécier la nécessité et la proportionnalité des mesures nationales dérogatoires, il convient de partir, comme le note la Commission, de la norme définie dans la réglementation harmonisée; une telle appréciation doit donc être formulée en tenant compte - comme l'observait l'avocat général Tesauro dans les conclusions précitées dans l'affaire France/Commission, que «le contrôle qui est confié aux institutions communautaires par l'article 100 A, paragraphe 4, devrait [...] s'inspirer de critères plus stricts que ceux adoptés par rapport aux dispositions de l'article 36, dans la mesure où on ne saurait ne pas tenir compte des niveaux de protection déjà fixés par la réglementation harmonisée» (point 6).

    100 Toujours d'un point de vue général, on observera que le royaume de Danemark a évoqué le principe de précaution comme paramètre aux fins de l'appréciation, par la Commission, du caractère nécessaire et proportionné des mesures nationales de quibus. Certes, il n'est pas douteux que de ce principe découle la possibilité d'adopter des mesures de nature protective, considération prise d'éventuels risques pour la santé; il y a lieu toutefois de souligner qu'en principe ces mesures doivent être prises par les institutions communautaires et non unilatéralement par les États membres, et certainement pas dans les secteurs dans lesquels est déjà intervenue une mesure communautaire d'harmonisation. Tout au plus en vertu de ce principe, les États pourraient être autorisés à adopter de telles mesures dans les cas, comme celui de l'espèce, consentis par le traité; mais justement dans (et seulement dans) les limites autorisées par le traité. En l'espèce, cela signifie que, au cas où la clause de sauvegarde prévue à l'article 4 de la directive 89/107 ne trouve pas à s'appliquer, le maintien de mesures nationales dérogatoires présuppose que soient réunies les conditions visées à l'article 95, paragraphe 4, CE. Si celles-ci font défaut, la possibilité de sanctionner la décision de la Commission pour une prétendue violation du principe de précaution disparaît ipso facto, sans préjudice bien entendu, au cas où les conditions seraient réunies, de la possibilité de former des recours autonomes en annulation.

    101 Pour en rester sur le plan des principes, nous devons enfin ajouter que, à la différence de ce que prétend, de façon surprenante, le gouvernement danois, en contrariété avec les principes généraux en la matière, ce n'est pas à la Commission, mais bien à l'État membre requérant - comme l'a souligné l'avocat général Tesauro dans les conclusions précitées - «qu'incombe la charge de prouver que ces dispositions [dérogatoires] [...] sont nécessaires et proportionnées» (point 7) par rapport aux objectifs autorisés par l'article 95, paragraphe 4, CE. Au reste, le libellé même de l'article 95, paragraphe 4, CE ne laisse aucune marge d'incertitude lorsqu'il renvoie à des «mesures nationales justifiées par des exigences importantes», étant entendu que c'est à l'État qui invoque la nécessité de la dérogation de «justifier» les mesures nationales.

    102 Quant au fond de la question, nous croyons qu'il n'y a pas lieu de nous apesantir sur le débat concernant les sulfites, car nous partageons les observations pertinentes développées sur ce point par la Commission et auxquelles nous nous bornerons donc à renvoyer, pour exclure que le royaume de Danemark ait démontré la nécessité et la proportionnalité des mesures nationales en cause.

    103 Tout autre est au contraire notre appréciation pour ce qui est des nitrates et des nitrites, par rapport auxquels nous croyons pouvoir partager les thèses danoises.

    104 Tout d'abord, en effet, il nous semble que la Commission n'offre pas d'arguments convaincants pour conclure que les mesures harmonisées sont plus appropriées que les mesures danoises, ni à tout le moins que ces dernières sont inappropriées pour parvenir au but qu'elles déclarent poursuivre, à savoir le renforcement de la protection de la santé des consommateurs. En outre, et par-dessus tout, nous croyons que force est de reconnaître que, alors que les mesures danoises se situent dans le droit fil des recommandations du CSA, la directive 95/2 apparaît désavouée de manière éclatante par l'avis émis par le CSA en 1995. En effet, loin de reprendre ces conclusions de 1990 sans y ajouter autre chose, comme l'affirme de manière inexacte la Commission dans la décision attaquée, le CSA a clairement critiqué les quantités d'additifs autorisées par la directive, en tant que non nécessaires et disproportionnées (33). Cette critique a été reprise dans la notification du gouvernement danois et c'est de manière illégitime à notre sens que la Commission a écarté ce grief à travers une justification très discutable.

    105 Nous estimons donc pouvoir conclure qu'en ce qui concerne les mesures nationales relatives aux nitrites et aux nitrates, mais non pour celles relatives aux sulfites, le royaume de Danemark a en effet démontré tant leur nécessité que leur caractère proportionné et raisonnable. Il y a donc lieu, sous cet angle, de considérer le grief danois comme fondé.

    c) La question du caractère discriminatoire des mesures danoises

    106 Le royaume de Danemark conteste en outre les remarques de la Commission sur le caractère discriminatoire des mesures danoises, à commencer par celles relatives aux sulfites. Aux points 26 et 27 de la décision attaquée, en effet, la Commission avait excipé de ce que la liste des produits pour lesquels ces mesures autorisaient le recours aux additifs apparaissait arbitrairement limitée, vu que sur les soixante et une catégories de denrées alimentaires que compte la directive, seules seize catégories ont été incluses dans la liste, toutes relatives à des produits qui, bien que non typiques, étaient cependant déjà présents sur le marché danois. De surcroît, aucune motivation n'était fournie au regard de l'exclusion des quarante-cinq autres catégories.

    107 Quant aux seize catégories incluses, cependant, le gouvernement requérant nie le caractère arbitraire de leur inclusion, en expliquant pour chacun d'entre eux, également en réponse à une question spécifique posée par la Cour, en quoi le recours aux sulfites répondait à un besoin technologique.

    108 Pour ce qui est ensuite des quarante-cinq autres catégories, leur exclusion serait la conséquence des limitations imposées par l'article 95 CE. Le gouvernement danois observe en effet que, pour introduire dans l'ordre national des produits non visés par la législation dont il s'agit, il aurait dû modifier cette dernière; mais la disposition communautaire précitée, n'autorise, comme on sait, que le maintien en vigueur de la législation existante. C'est pourquoi, estimant d'une part nécessaire de restreindre l'exposition de la population aux sulfites, mais ne pouvant d'autre part innover la législation en vigueur en y incorporant des produits répertoriés dans la directive, le gouvernement requérant n'a pu faire autrement que de choisir le moindre mal, en maintenant les catégories déjà présentes dans ladite législation.

    109 Quant aux nitrites et aux nitrates, le royaume de Danemark rejette également l'accusation d'avoir effectué des choix discriminatoires en imposant, d'une part, une réduction substantielle des doses de conservateur admises pour la généralité des produits et en autorisant, d'autre part, dans certains cas le recours à des doses de conservateur plus élevées, comparables à celles prévues de manière générale dans la directive, uniquement pour certains produits typiques danois, comme le bacon de type Wiltshire et la saucisse de viande roulée de type rullepølse. Selon le gouvernement requérant en effet, cette solution tiendrait compte des méthodes et conditions de fabrication particulières de ces produits typiques, qui requièrent en effet une plus grande quantité de conservateur pour qu'en soit garantie la sécurité microbiologique.

    110 Quant à nous, nous considérons que la Commission a raison d'estimer que les mesures danoises sont intrinsèquement discriminatoires, tant en ce qui concerne les sulfites qu'en ce qui concerne au contraire les nitrites et les nitrates.

    111 En ce qui concerne les premiers, il nous semble que le royaume de Danemark invoque, pour sa défense, une interprétation déformée du mécanisme institué par l'article 95, paragraphe 4, CE. Le fait que cette disposition autorise seulement le maintien de la législation en vigueur n'a évidemment pas pour conséquence qu'un État membre ne puisse pas éventuellement modifier en partie cette dernière lors de la transposition de la directive d'harmonisation et, cependant, la maintenir pour le reste. Au contraire, en prévoyant la possibilité d'autoriser le «maintien», ne serait-ce que d'une partie de la législation en vigueur, l'article 5 présuppose justement que celle-ci doit cohabiter avec les dispositions compatibles de la directive et avec les dispositions de mise en oeuvre y relatives.

    112 Dans le cas d'espèce, le royaume de Danemark aurait donc parfaitement pu adapter la liste des produits en question, tant et si bien qu'il ne peut plus à présent invoquer l'article 95 CE pour justifier la limitation de cette liste aux denrées typiquement ou communément produites ou commercialisées dans ce pays.

    113 Quant aux nitrites et aux nitrates, nous partageons les objections émises par la Commission à l'encontre du gouvernement requérant suivant lesquelles il existe, non seulement au Danemark, mais également dans d'autres États membres, des produits traditionnels qui requièrent, par nature ou du fait de leur méthode de fabrication, des doses plus élevées de conservateurs. On doit donc se demander pour quel motif ces justifications devraient valoir pour les uns, mais non pour les autres. En effet, si la méthode de fabrication et les conditions de production rendent nécessaires des valeurs limites de conservateurs plus élevées, il doit en être ainsi non seulement pour les produits danois, mais également pour toutes les productions traditionnelles d'autres régions européennes, dans lesquelles sont incorporées des quantités analogues de conservateurs et pour lesquelles il existe une exigence technologique analogue.

    114 À la lumière des considérations qui précèdent, il nous semble donc que l'on peut conclure en ce sens que tant les mesures danoises relatives aux sulfites que celles relatives aux nitrites et aux nitrates ont un caractère discriminatoire et entraînent une restriction déguisée des échanges entre États membres.

    d) Renvoi erroné aux articles 4 et 7 de la directive 95/2

    115 Le royaume de Danemark fait en outre grief à la Commission, en recourant à des arguments à vrai dire peu clairs, d'avoir attribué, aux points 28 et 43 de sa décision, une signification erronée à l'article 4 de la directive 89/107, précité, et à l'article 7 de la directive 95/2 (34), qui permettent de revoir les dispositions communautaires en cause, en modifiant la liste positive. C'est à tort en effet que la Commission aurait fondé le rejet de la décision litigieuse sur l'existence d'une clause de sauvegarde et d'une procédure spécifiquement prévue aux fins de la modification de la législation harmonisée, parce qu'il ne s'agirait pas d'éléments pertinents aux fins de l'appréciation devant être effectuée par la Commission en vertu de l'article 95, paragraphe 4, CE. En outre, la disposition relative à la clause de sauvegarde ne serait nullement applicable au cas danois: en effet, alors que l'application de cette clause présuppose l'existence d'éléments nouveaux ou de données scientifiques nouvelles, la demande danoise relative à l'article 95, paragraphe 4, CE prend pour base les rapports préexistants du CSA.

    116 Comme le note la Commission, toutefois, l'argument du royaume de Danemark paraît être un prétexte puisque les passages de la motivation contestés sont manifestement dénués de pertinence dans l'économie de la décision. La Commission n'a pas en effet utilisé la référence à la clause de sauvegarde pour rejeter la demande danoise; après avoir vérifié l'absence des conditions requises à l'article 95, paragraphe 4, CE, elle s'est bornée en réalité à rappeler «que la révision de la directive 95/2 pourrait être réalisée dans plusieurs hypothèses», parmi lesquelles justement celles visées à l'article 4 de la directive 89/107, qui peut conduire à la modification de la liste positive, et à l'article 7 de la directive 95/2, qui impose aux États membres et à la Commission de surveiller l'évolution de la consommation des additifs en vue de permettre à la Commission de proposer, le cas échéant, les modifications nécessaires.

    117 Il y a donc lieu de rejeter également ce grief.

    e) Appréciation erronée des faits pour ce qui concerne les sulfites

    118 Le royaume de Danemark soutient en outre que la décision de la Commission, partant du présupposé de l'inexistence d'un risque sanitaire découlant de l'application de la directive 95/2, se fonde sur une appréciation lacunaire et erronée des données de fait. Il résulte en effet du point 23 de la décision attaquée que la directive 95/2 est fondée sur l'avis du CSA du 25 février 1994, qui définit une DJA pour les sulfites. En réalité, la position commune du Conseil relative à cette directive remonte au 16 décembre 1993, de sorte que la directive s'est fondée sur l'avis relatif aux sulfites de 1981, qui ne traite pas de la DJA. Selon la Commission, au contraire, le point 23 de la décision attaquée n'affirme pas en fait que la directive 95/2 soit fondée sur l'avis de 1994, et mentionne ce dernier uniquement à titre indicatif.

    119 Il nous semble que la teneur littérale de la décision, en ce qui concerne le point litigieux, confirme la version de la Commission. Mais même s'il n'en était pas ainsi, nous ne voyons pas comment on pourrait déduire l'illégalité de la décision, vu le caractère absolument marginal de l'inexactitude éventuelle, d'autant plus que la directive de base ne requiert pas nécessairement la prise en compte de la DJA (35) et que la valeur DJA est purement de précaution (36), de sorte que son éventuel dépassement n'entraînerait aucun risque effectif.

    f) Omission de statuer au titre de l'article 95, paragraphe 6, CE

    120 Enfin, le gouvernement danois fait grief, de manière pour le moins surprenante, de l'insuffisance de la prise de position de la Commission à l'endroit de l'article 95, paragraphe 6, CE. En ne portant pas d'appréciation explicite sur le point de savoir si les mesures danoises constituent un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre États membres, ni si elles constituent une entrave au fonctionnement du marché intérieur, la Commission aurait manqué à une obligation qui lui est imposée par le traité. En vertu de l'article 95, paragraphe 6, CE, elle aurait dû en effet se prononcer également sur ces aspects spécifiques, en tant qu'elle ne pouvait pas fonder sa décision du seul point de vue de la protection de la santé publique.

    121 En réalité, l'analyse de la décision fait apparaître que la Commission a pris en considération l'aspect relatif à la discrimination. Mais, en dehors de cela, nous devons observer que l'autorisation de mesures nationales dérogeant à une directive d'harmonisation adoptée sur la base de l'article 95, paragraphe 1, CE présuppose que soient réunies tant les conditions positives posées au paragraphe 4 que les conditions négatives visées au paragraphe 6 de l'article 95 CE. La logique veut donc que, dans le cas où elle constate que les premières font défaut, la Commission est ipso facto en situation de rejeter la demande, sans qu'il soit nécessaire de vérifier également l'absence des secondes.

    122 Telle est précisément la situation qui s'est produite dans le cas d'espèce, de sorte qu'il nous paraît évident que le grief n'est pas fondé.

    C - Le grief ayant trait aux motifs de la décision

    123 Le gouvernement danois fait enfin valoir que, aux fins de l'appréciation de la demande par lui présentée, la décision n'aurait pas dû se borner (en admettant même qu'elle l'ait fait) à prendre en considération l'existence des conditions visées au paragraphe 6, premier alinéa, de l'article 95 CE, mais qu'elle aurait dû prendre expressément position à cet égard. Étant au contraire complètement muette sur ce point, la décision attaquée serait entachée d'une violation des formes substantielles, en raison d'une insuffisance de motivation.

    124 La Commission réplique que la décision attaquée satisfait au contraire pleinement à l'obligation de motivation prévue à l'article 235 CE tel qu'interprétée par la Cour de justice, étant donné que la décision contient, en ses points 20 à 34 (pour ce qui est des sulfites) et aux points 37 et 38, ainsi que 41 à 44 (pour ce qui est des nitrites et des nitrates), un exposé circonstancié des éléments de fait et de droit qui la justifient.

    125 Quant à nous, et abstraction faite de toute autre considération, force est d'observer que le grief nous paraît non fondé, compte tenu de ce qu'il ressort avec clarté des points de la décision rappelés par la Commission - comme on l'a vu ci-dessus (37) - les raisons ayant amené la Commission à rejeter la demande danoise.

    126 Ce moyen doit donc également être rejeté.

    Considérations finales

    127 Il nous semble en définitive que l'on peut conclure en ce sens que la Commission avait de multiples raisons de considérer que les conditions d'autorisation de la dérogation sollicitée par le gouvernement danois n'étaient pas réunies. Même si, pour motiver cette conclusion, la décision attaquée ne suit pas une argumentation très rigoureuse et apparaît même sur certains points carrément critiquable, nous pensons que les passages véritablement essentiels de la mesure sont corrects et qu'ils n'encourent pas les griefs qui ont été soulevés par le royaume de Danemark. Partant, nous sommes d'avis qu'il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

    Sur les dépens

    128 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il en est fait la demande. La Commission ayant demandé la condamnation du royaume de Danemark, qui succombe dans son recours, il y a lieu de condamner le royaume de Danemark aux dépens.

    129 L'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose que les États parties à l'accord EEE qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La république d'Islande et le royaume de Norvège supporteront donc leurs propres dépens.

    IV - Conclusions

    À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de déclarer et d'arrêter que:

    «1) Le recours est rejeté.

    2) Le royaume de Danemark est condamné aux dépens.

    3) La république d'Islande et le royaume de Norvège supporteront leurs propres dépens.»

    (1) - JO L 329, p. 1.

    (2) - JO L 61, p. 1.

    (3) - JO L 40, p. 27.

    (4) - La DJA représente la quantité que l'on peut ingérer sans risque pour la santé, en moyenne, chaque jour durant une vie.

    (5) - Voir également le sixième considérant. Le comité scientifique de l'alimentation humaine a été institué par la décision 74/234/CEE de la Commission, du 16 avril 1974 (JO L 136, p. 1).

    (6) - Les deux autres sont la directive 94/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1994, concernant les édulcorants destinés à être employés dans les denrées alimentaires (JO L 237, p. 3), et la directive 94/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1994, concernant les colorants destinés à être employés dans les denrées alimentaires (JO L 237, p. 13).

    (7) - Pour ce qui est des règles d'utilisation des sulfites dans les vins, la directive 95/2 renvoie au règlement (CEE) n_ 822/87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole (JO L 84, p. 1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n_ 1627/98 du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 210, p. 8), dont l'article 65 prévoit que la teneur totale en anhydride sulfureux des vins autres que les vins mousseux et les vins de liqueur «ne peut dépasser [...] 160 mg/l pour les vins rouges, 210 mg/l pour les vins blancs et rosés».

    (8) - Rapport du CSA, 11e série.

    (9) - Rapport du CSA, 35e série.

    (10) - Rapport du CSA, 26e série.

    (11) - Rapport du CSA, 38e série.

    (12) - Qui se lit au point 4 de la décision attaquée et que nous ne jugeons dès lors pas nécessaire de reproduire.

    (13) - Sundhedsministeriets bekendtgørelse, relatif aux additifs destinés à l'alimentation humaine. Réf. ministérielle: 95-3400-24; réf. Office danois des denrées alimentaires: 100-0066. Lovtidende (Journal officiel danois) série A, feuillet 198, publié le 30 décembre 1995, p. 5571. GBEK.

    (14) - Document n_ 11620/94 Add1 du Conseil, du 5 décembre 1954.

    (15) - La décision litigieuse a été notifiée au gouvernement danois le 28 octobre 1999, par lettre n_ SG (99)D/8669.

    (16) - Arrêts du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission (T-199/96, Rec. p. II-2805, point 58), et du 11 décembre 1996, Atlanta e.a./CE (T-521/93, Rec. p. II-1707, point 70).

    (17) - Rappelons que, dans l'affaire Burstein, l'avocat général Saggio était arrivé à la même conclusion, en observant que «le paragraphe 4 de l'article 100 A donne à un État membre qui, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation, estime nécessaire d'appliquer des dispositions nationales justifiées par des exigences (non économiques) importantes visées à l'article 36 ou relatives à la protection du milieu de travail ou de l'environnement la possibilité de le faire à condition de suivre une certaine procédure et sous un double contrôle, administratif (confié à la Commission) et, le cas échéant, juridictionnel»: conclusions dans l'affaire Burstein (arrêt du 1er octobre 1998, C-127/97, Rec. p. I-6005, point 19), passage souligné par nous. Dans un sens analogue, voir les conclusions du même avocat général dans l'affaire Kortas (arrêt du 1er juin 1999, C-319/97, Rec. p. I-3143, point 17).

    (18) - Voir, en particulier, les arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission (40/85, Rec. p. 2321); du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission (C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565, point 44); du 29 juin 1994, Fiskano/Commission (C-135/92, Rec. p. I-2885, point 39), et du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a. (C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21).

    (19) - Arrêt du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil (C-69/89, Rec. p. I-2069, point 108). Voir aussi, plus récemment, arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission (C-288/96, Rec. p. I-8237, points 99 et suiv.), dans lequel la Cour a confirmé que «le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être assuré même en l'absence d'une réglementation spécifique». Voir encore arrêts du 13 février 1979, Hoffman-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461); du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission (264/82, Rec. p. 849), en matière de procédure antidumping, et du 10 juillet 1986, Belgique/Commission (234/84, Rec. p. 2263), concernant une procédure relative à des aides d'État.

    (20) - Comme dans le cas de la procédure régie par l'article 88, paragraphe 2, CE en matière d'aides d'État.

    (21) - Dans son mémoire en défense, la Commission rappelle qu'une pratique semblable avait été suivie à propos tant de la décision 94/783/CE de la Commission, du 14 septembre 1994, relative à l'interdiction du pentachlorophénol, notifiée par l'Allemagne (JO L 316, p. 43), que de la décision 96/211/CE de la Commission, du 26 février 1996, relative à l'interdiction du pentachlorophénol (PCB), notifiée par le royaume de Danemark (JO L 68, p. 32), ou encore à propos de la décision 99/5/CE de la Commission, du 21 décembre 1998, relative aux dispositions nationales notifiées par le royaume de Suède concernant l'emploi de certains colorants et édulcorants dans les denrées alimentaires (JO 1999, L 3, p. 13).

    (22) - Voir ci-dessus, points 33 à 35.

    (23) - Arrêts du 11 novembre 1987, France/Commission (259/85, Rec. p. 4393, point 13), et du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C-142/87, Rec. p. I-959, point 48).

    (24) - Arrêt du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, précité, point 30.

    (25) - Voir, parmi beaucoup d'autres, les arrêts du 5 octobre 1977, Tedeschi (5/77, Rec. p. 1555, point 35); du 5 avril 1979, Ratti (148/78, Rec. p. 1629, point 36); du 8 novembre 1979, Denkavit Futtermittel (251/78, Rec. p. 3369, point 14); du 20 septembre 1988, Moormann (190/87, Rec. p. 4689, point 10), et du 5 octobre 1994, Centre d'insémination de la Crespelle (C-323/93, Rec. p. I-5077, point 30).

    (26) - Voir, parmi beaucoup d'autres, arrêts du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651); du 5 décembre 1996, Merck et Beecham (C-267/95 et C-268/95, Rec. p. I-6285), et du 11 janvier 2000, Kreil (C-285/98, Rec. p. I-69).

    (27) - Au reste, une partie de la doctrine s'était dès le départ exprimée déjà en ce sens: voir, en particulier, Gulmann, C., The Single European Act - Some Remarks from a danish Perspective, CMLR 24 (1987), p. 31 à 40, spécialement p. 38.

    (28) - Conclusions de l'avocat général Tesauro dans l'affaire France/Commission (C-41/93, Rec. p. 1831, point 14); passage souligné par nous. L'arrêt du 17 mai 1994 est publié au Recueil p. I-1829.

    (29) - Conclusions de l'avocat général Saggio dans l'affaire Kortas, précitée, point 23.

    (30) - Conclusions de l'avocat général Tesauro dans l'affaire France/Commission (arrêt du 17 mai 1994), précitée, point 4, p. I-1833.

    (31) - Nous nous référons à la déclaration du gouvernement danois (déclaration n_ 18, annexée à l'Acte unique européen), relative à l'article 95 CE (ex-article 100 A du traité): «Le gouvernement danois constate que, dans des cas où un pays membre considère qu'une mesure d'harmonisation adoptée sous l'article 95 ne sauvegarde pas des exigences plus élevées concernant l'environnement du travail, la protection de l'environnement ou les autres exigences mentionnées dans l'article 36, le paragraphe 4 de l'article 95 assure que le pays membre concerné peut appliquer des mesures nationales. Les mesures nationales seront prises dans le but de couvrir les exigences mentionnées ci-dessus et ne doivent pas constituer un protectionnisme déguisé».

    (32) - Conclusions précitées, point 4.

    (33) - Il est vrai que le CSA recommande, comme cinq années auparavant, «que l'exposition aux nitrosamines préformées dans les aliments soit réduite [...] au minimum nécessaire pour obtenir l'effet conservateur requis et pour assurer la sécurité du point de vue microbiologique», mais il note également «que la quantité résiduelle de nitrites autorisée par la directive 95/2/CE (tableau I) est bien supérieure aux prévisions basées sur les niveaux maximaux d'adjonction de nitrates et de nitrites qui, d'après les informations obtenues par le comité lors du rapport précédent, peuvent se justifier pour des raisons technologiques» (avis de 1995, p. 3, 22 et suiv.).

    (34) - Cet article prévoit l'instauration de systèmes de surveillance régulière de la consommation et de l'emploi des additifs alimentaires et que, sur la base des résultats des contrôles et des données relatives aux changements intervenus sur le marché des additifs, la Commission peut réexaminer les conditions d'emploi de ces substances, en proposant, le cas échéant, les modifications nécessaires.

    (35) - Si l'on s'en tient en effet à l'annexe II de la directive 89/107, l'évaluation des effets nocifs «devrait aussi prendre en considération, par exemple, tout effet cumulatif». Il s'agit donc d'une ligne directrice, et non d'un impératif. Passage souligné par nous.

    (36) - Selon le point 24 de la décision, qui n'a pas été contesté dans l'instance sous cet aspect, la DJA «comprend un facteur de sécurité habituel de 100, pouvant aller jusqu'à 500».

    (37) - Voir points 63, 85, 96, 106 et 109.

    Top