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Document 62000CC0002

    Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 20 septembre 2001.
    Michael Hölterhoff contre Ulrich Freiesleben.
    Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Düsseldorf - Allemagne.
    Rapprochement des législations - Marques - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1 - Étendue du droit exclusif du titulaire de la marque - Tiers - Usage de la marque à des fins descriptives.
    Affaire C-2/00.

    Recueil de jurisprudence 2002 I-04187

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2001:468

    62000C0002

    Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 20 septembre 2001. - Michael Hölterhoff contre Ulrich Freiesleben. - Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Düsseldorf - Allemagne. - Rapprochement des législations - Marques - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1 - Étendue du droit exclusif du titulaire de la marque - Tiers - Usage de la marque à des fins descriptives. - Affaire C-2/00.

    Recueil de jurisprudence 2002 page I-04187


    Conclusions de l'avocat général


    1 Lorsqu'une personne est titulaire d'une marque nationale désignant des produits qui possèdent certaines caractéristiques, la directive sur les marques (1) lui permet-elle d'interdire à un tiers d'utiliser cette désignation dans la vie des affaires pour indiquer les caractéristiques d'autres produits similaires que ce tiers propose à la vente alors que les produits proposés n'ont pas été fabriqués par le titulaire de la marque et que le vendeur ne prétend pas qu'ils l'ont été, de sorte qu'il ne peut y avoir de confusion quant à leur origine? Telle est en substance la question posée par l'Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne) dans la présente affaire.

    La directive sur les marques

    2 La disposition sur laquelle cette juridiction demande à la Cour de statuer est l'article 5, paragraphe 1, de la directive sur les marques. Toutefois, il a été fait référence à différentes autres dispositions de cet article, ainsi qu'à l'article 6, paragraphe 1. L'article 5 est intitulé «Droits conférés par la marque» et l'article 6 concerne la «Limitation des effets de la marque».

    3 L'article 5, paragraphe 1, dispose:

    «La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

    a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

    b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.»

    4 Selon l'article 5, paragraphe 2:

    «Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'État membre et que l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

    5 L'article 5, paragraphe 3, de la directive énonce une liste non limitative d'utilisations pouvant être interdites en vertu des paragraphes 1 et 2; il peut ainsi être interdit:

    «a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

    b) d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;

    c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;

    d) d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité».

    6 L'article 5, paragraphe 5, de la directive dispose:

    «Les paragraphes 1 à 4 n'affectent pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l'usage qui est fait d'un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, lorsque l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

    7 Enfin, l'article 6, paragraphe 1, de la directive dispose:

    «Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires,

    a) de son nom et de son adresse;

    b) d'indications relatives à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci;

    c) de la marque lorsqu'elle est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoires ou pièces détachées,

    pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»

    8 On notera, bien que la présente affaire ne concerne pas une marque communautaire, que les articles 5, paragraphes 1, 2 et 3, et 6, paragraphe 1, de la directive sur les marques sont identiques pour l'essentiel aux articles 9, paragraphes 1 et 2, et 12 du règlement sur la marque communautaire (2), de sorte que leur interprétation peut avoir également une incidence sur ces dernières dispositions.

    Les circonstances de l'affaire au principal

    9 M. Freiesleben fabrique et vend des diamants et - par le truchement d'un licencié - des pierres précieuses de couleur. Il est le titulaire des deux marques enregistrées allemandes en cause dans la procédure nationale. Il s'agit de «Spirit Sun», enregistrée pour des «diamants destinés à être transformés en bijoux», et de «Context Cut», pour des «pierres précieuses destinées à être transformées en bijoux».

    10 M. Freiesleben détient également des brevets pour deux types de taille particuliers et limite son utilisation des marques respectivement à ces tailles. «Spirit Sun» est utilisée pour une taille ronde avec des facettes rayonnant autour du centre et «Context Cut» pour une taille carrée avec une croix effilée en diagonale.

    11 M. Hölterhoff fabrique des pierres précieuses de différentes tailles; il vend celles-ci ainsi que d'autres pierres achetées ailleurs. En juillet 1997, il a vendu deux pierres grenat à Mme Haverkamp, qui exploite un commerce de joaillerie. Dans le bon de livraison et dans la facture, ces pierres ont été simplement qualifiées de «rhodolites» (3); il ne semble cependant pas contesté que M. Hölterhoff ait utilisé les noms «Spirit Sun» et «Context Cut» au cours des pourparlers de vente et que cette commande ait porté sur deux pierres selon la taille «Spirit Sun».

    12 Ce qui est contesté, c'est la façon exacte dont ces termes ont été utilisés à l'égard des pierres précieuses proposées à la vente et la mesure dans laquelle cette utilisation était licite. M. Freiesleben a soutenu dans le cadre de la procédure au principal que les pierres n'étaient produites ni par lui-même ni par son licencié, mais que M. Hölterhoff a frauduleusement affirmé qu'elles l'étaient. M. Hölterhoff a soutenu que les pierres étaient des originaux fabriqués par M. Freiesleben ou son licencié et achetés en France et que, par conséquent, les droits de marque de M. Freiesleben avaient été épuisés.

    13 L'Oberlandesgericht, pour sa part, n'a pour l'essentiel admis aucune de ces versions, mais a procédé à ses propres constatations, apparemment très différentes, basées sur le témoignage de Mme Haverkamp. Il a déclaré que M. Hölterhoff n'avait pas présenté les pierres vendues comme provenant de M. Freiesleben ou de son licencié, mais comme fabriquées par son propre tailleur de pierres selon la taille «Spirit Sun»; M. Hölterhoff a soutenu qu'il s'agissait d'une taille ancienne, en usage depuis des temps immémoriaux et sur laquelle M. Freiesleben n'avait pas de droits exclusifs. Il a également évoqué «Context Cut»; bien que Mme Haverkamp n'ait pu indiquer avec certitude de quelle façon ces termes avaient été utilisés, la juridiction de renvoi a déclaré que M. Hölterhoff avait proposé à la vente des pierres précieuses dans le style «Context Cut». L'Oberlandesgericht considère ainsi qu'il utilisait les noms «Spirit Sun» et «Context Cut» pour indiquer non pas l'origine des pierres, mais les formes dans lesquelles elles étaient taillées.

    14 Il déclare en outre que M. Hölterhoff utilisait ces désignations d'une façon telle qu'elle ne fournissait aucune indication selon laquelle les pierres proposées à la vente provenaient de l'entreprise de M. Freiesleben ou de son licencié; il était clair - et Mme Haverkamp l'a compris ainsi - qu'elles provenaient de M. Hölterhoff lui-même. Les termes «Spirit Sun» n'ont pas non plus été utilisés sur un conditionnement, une facture ou un autre document se rapportant aux pierres vendues, de sorte à pouvoir tromper des tiers sur ce point. Il apparaît en effet que, la seule fois où ces termes ont été utilisés par écrit dans le contexte des pourparlers de vente, ils l'ont été par Mme Haverkamp dans sa télécopie passant commande de deux pierres grenat «selon la taille Spirit Sun».

    15 L'Oberlandesgericht a décidé de surseoir à statuer dans l'instance dont il est saisi - dans laquelle M. Freiesleben demande à l'encontre de M. Hölterhoff différentes mesures, dont une décision d'interdiction et l'octroi de dommages-intérêts - et d'inviter la Cour à statuer à titre préjudiciel sur la question suivante:

    «Y a-t-il également atteinte à la marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive sur les marques dans le cas où le défendeur révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise la marque dont le demandeur est titulaire qu'à seule fin de décrire les propriétés spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est tout à fait exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance des produits?»

    16 L'Oberlandesgericht mentionne que la question litigieuse fait l'objet de controverses au sein des milieux juridiques en Allemagne.

    17 Selon une thèse, il n'y a contrefaçon de marque que dans le cas où le signe susceptible d'être confondu avec la marque est utilisé à des fins de distinction. En ce qui concerne l'origine, cela ne se produit que si l'utilisation de la marque est de nature à faire croire à une partie non négligeable du public visé que la marque sert à indiquer l'entreprise d'où provient le produit. Si (et seulement si) le signe ne peut manifestement pas être compris comme indiquant l'entreprise de provenance du produit, il n'est pas considéré comme utilisé à des fins de distinction. Selon cette thèse, il n'y a pas contrefaçon dans la présente affaire, puisque M. Hölterhoff a utilisé les marques pour indiquer une taille spécifique et non une origine spécifique.

    18 L'autre thèse avance une notion d'utilisation de la marque indépendante de l'usage en tant que signe, puisque ni le texte, ni la genèse, ni l'économie de l'article 5 de la directive sur les marques ne permettent de conclure à la nécessité d'un usage en tant que signe. Selon la forme la plus radicale de cette thèse, toute utilisation du signe protégé dans le cadre d'une activité économique est suffisante pour constituer une contrefaçon. Ce n'est que lorsque le signe est utilisé à des fins scientifiques ou lexicales, dans des ordonnances médicales ou pour des produits réservés à l'usage personnel (4) qu'il n'y a pas contrefaçon. Selon cette thèse, il y a contrefaçon dans la présente affaire puisque aucune de ces exceptions ne s'applique.

    Observations présentées devant la Cour

    19 Des observations écrites ont été présentées par les parties au principal, les gouvernements français et du Royaume-Uni et la Commission. M. Freiesleben, le gouvernement français et la Commission ont présenté des observations orales à l'audience.

    20 M. Hölterhoff déduit du texte de la directive sur les marques qu'il ne saurait y avoir contrefaçon que si la marque est utilisée en tant que telle, c'est-à-dire aux fins de distinguer des produits ou services en fonction de leur origine, et non pas lorsque, comme dans la présente affaire, la marque est simplement mentionnée pour indiquer certaines caractéristiques des produits et qu'elle ne peut en aucun cas être comprise comme désignant leur origine.

    21 Il se fonde en particulier sur le dixième considérant de la directive, qui énonce que le but de la protection conférée par une marque enregistrée est «notamment de garantir la fonction d'origine de la marque», sur les termes utilisés à l'article 5, paragraphes 1 et 2, qui, selon lui, indiquent clairement que l'utilisation visée est une utilisation servant à distinguer les produits ou les services, et, enfin, sur l'article 5, paragraphe 5, lequel, en énonçant que les paragraphes précédents n'affectent pas les dispositions nationales conférant une protection contre l'usage qui est fait d'un signe «à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services», démontre que ces paragraphes ne visent que l'utilisation à des fins de distinction (comme la Cour l'a confirmé dans son arrêt BMW (5)).

    22 M. Freiesleben estime que la juridiction nationale pose en réalité deux questions: pour qu'il y ait contrefaçon, a) le signe doit-il être utilisé spécifiquement comme marque (comme c'était le cas en droit allemand avant la transposition de la directive sur les marques) ou toute utilisation est-elle à présent suffisante; et b) doit-il être probable que le signe soit considéré comme une garantie d'origine?

    23 Il admet que les termes de l'article 5, paragraphe 5, de la directive montrent que l'article 5, paragraphes 1 et 2, vise l'utilisation servant à «distinguer les produits ou services», c'est-à-dire l'utilisation à titre de marque. Or, selon lui, c'est précisément ce que M. Hölterhoff a fait au cours des pourparlers de vente: il a utilisé les désignations «Spirit Sun» et «Context Cut» dans la vie des affaires afin de distinguer les pierres qu'il proposait à la vente d'autres pierres ayant des tailles et des qualités différentes et d'indiquer leur similitude avec celles fabriquées par M. Freiesleben. Il s'agit là d'autre chose que de se borner à «indiquer les caractéristiques» des pierres.

    24 La question de savoir si M. Hölterhoff a affirmé ou non que les pierres étaient fabriquées par M. Freiesleben ou son licencié est dénuée de pertinence puisque, comme la Cour l'a jugé (6), l'objet spécifique du droit de marque est notamment de protéger le titulaire contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque. S'il en allait autrement, il ne serait pas possible d'interdire un piratage flagrant et notoire. Il n'est donc pas nécessaire qu'il y ait tromperie effective sur l'origine des produits pour que la contrefaçon de marque soit constituée. Dans la présente affaire, on se trouve en présence de l'utilisation d'un signe identique pour des produits qui sont soit identiques à ceux couverts par la marque soit suffisamment similaires à ceux-ci pour créer un risque de confusion dans l'esprit du public. À tout le moins, M. Freiesleben devrait se voir accorder la possibilité de démontrer que, au regard de la disposition allemande transposant l'article 5, paragraphe 2, de la directive, ses marques bénéficient d'une réputation en Allemagne et que leur utilisation par M. Hölterhoff a tiré indûment profit de leur caractère distinctif ou de leur renommée ou leur a porté préjudice.

    25 Le gouvernement français considère que, eu égard aux faits, la question de la juridiction nationale aurait dû se limiter à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive (visant la situation où le signe et la marque sont identiques, comme les produits auxquels ils se rapportent respectivement), à l'exclusion de l'article 5, paragraphe 1, sous b) (concernant les cas où il y a risque de confusion par suite d'une similitude entre eux).

    26 L'article 5, paragraphe 1, sous a), confère une protection absolue, comme le confirme le dixième considérant, contre un usage non autorisé de la marque dans la vie des affaires; toute utilisation de ce type peut en conséquence constituer une contrefaçon, même si le risque de confusion peut être évité par des termes tels que «type» ou «genre». Les utilisations énumérées à l'article 6 à titre d'exceptions au droit exclusif conféré par l'article 5, paragraphe 1, doivent être considérées comme limitatives. Les circonstances décrites par la juridiction de renvoi font apparaître non pas un usage nécessaire de certains termes pour désigner une taille particulière, mais l'utilisation d'une marque identique pour désigner des produits identiques, manifestement interdite par l'article 5, paragraphe 1, sous a). Toute autre interprétation de cette disposition la priverait de son effet et serait même susceptible de conduire à une situation dans laquelle il pourrait y avoir déchéance de la marque en vertu de l'article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive au motif qu'elle «est devenue, par le fait de l'activité ou de l'inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée».

    27 Pour le gouvernement du Royaume-Uni, cette affaire constitue un exemple de la situation très courante dans laquelle un concurrent souhaite indiquer que ses produits ont les mêmes caractéristiques que ceux du titulaire d'une marque, tout en précisant qu'ils ne proviennent pas de ce titulaire. Selon lui, l'article 6, paragraphe 1, sous b), peut permettre à une personne d'affirmer que ses produits sont du même type ou - comme dans la présente affaire - de la même taille que ceux portant une marque particulière, mais non d'utiliser cette marque sans autre précision, à moins qu'elle ne soit devenue une appellation usuelle à cet égard. En conséquence, pour qu'il y ait contrefaçon, il doit y avoir utilisation à titre de marque. On aboutit normalement à cette conclusion par voie d'interprétation de l'article 6, mais on peut également y parvenir par le biais de l'article 5, conformément à l'arrêt BMW. En tout état de cause, le résultat précis dans chaque cas d'espèce dépendra de l'appréciation par la juridiction nationale du point de savoir si l'on se trouve en présence d'une utilisation descriptive honnête et/ou d'un risque réel de confusion dans l'esprit du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

    28 Dans ses observations écrites, la Commission souligne que, dans le dixième considérant de la directive sur les marques, la référence au but de garantir la fonction d'origine de la marque est assortie du terme «notamment». Dès lors, la protection peut avoir d'autres fonctions et l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), peut être interprété comme interdisant une utilisation autre que celle à titre de marque. De même, il n'est pas nécessaire d'interpréter ces dispositions comme limitées à la fonction de distinguer des produits, par opposition aux termes de l'article 5, paragraphe 5. Il est dès lors possible, pour le titulaire d'une marque, d'en interdire en vertu de l'article 5 toute utilisation, et non pas seulement celle à titre de marque. Toutefois, l'article 6 permet aux tiers d'utiliser une marque à des fins descriptives, à condition de le faire conformément aux usages commerciaux honnêtes. En conséquence, le titulaire d'une marque peut interdire toute utilisation de sa marque en vertu de l'article 5, paragraphe 1, sauf lorsque cette utilisation intervient dans les circonstances énumérées à l'article 6.

    29 Toutefois, la Commission a déclaré à l'audience qu'elle avait modifié son point de vue quant à la portée de l'article 5, paragraphe 1. Elle a cité le cas de l'enregistrement comme marque, pour des magazines, d'un signe consistant simplement en un point d'interrogation (7). Il est selon elle évident que le titulaire d'une telle marque ne peut être habilité à interdire l'utilisation de points d'interrogation, y compris à des fins purement grammaticales, sur les couvertures d'autres magazines. Or, ni l'article 6, paragraphe 1, ni aucune autre disposition ne contiennent une limitation pertinente qui l'empêcherait d'agir ainsi si l'article 5, paragraphe 1, était interprété comme lui conférant le droit absolu d'interdire toute utilisation de sa marque. L'article 5, paragraphe 1, doit en conséquence être interprété en ce sens qu'il ne confère qu'un droit à interdire une utilisation indiquant ou visant à indiquer la provenance commerciale et l'article 6, paragraphe 1, comme précisant certaines conséquences de cette limitation intrinsèque.

    Analyse

    30 Il n'appartient pas à la Cour de se forger une opinion sur les faits dans une affaire dans laquelle elle a été saisie à titre préjudiciel, et ce encore moins lorsque les faits constatés par la juridiction nationale divergent avec les versions avancées par chacune des parties au litige qui lui est soumis. Spécialement en de telles circonstances, il est préférable de limiter l'examen au cadre fixé dans la question même de la juridiction nationale.

    31 La situation de fait à laquelle cette question se rapporte présente trois caractéristiques:

    - A utilise, lorsqu'il propose à la vente ses propres produits, un signe pour lequel B bénéficie d'une protection de la marque; toutefois:

    - A précise qu'il a fabriqué ces produits et il est exclu que le signe soit interprété comme se référant à leur origine;

    - A n'utilise le signe que pour décrire certaines caractéristiques de ses produits.

    32 Dans ce contexte, la juridiction nationale voudrait savoir dans quelle mesure B a le droit d'interdire l'utilisation de sa marque en vertu de l'article 5, paragraphe 1, de la directive sur les marques.

    L'article 5, paragraphe 1, de la directive sur les marques

    33 La première phrase de cette disposition énonce qu'une marque enregistrée confère un droit exclusif à son titulaire. La suite du paragraphe, à laquelle la question de la juridiction nationale se réfère expressément, est rédigée pour l'essentiel en termes négatifs, dans la mesure où elle précise ce que le titulaire de la marque peut interdire à d'autres. Toutefois, ces droits négatifs d'interdiction doivent à notre avis être examinés au regard des droits positifs inhérents à la propriété d'une marque, dont ils sont inséparables.

    34 Si un opérateur fait enregistrer ou acquiert une marque, ce n'est pas au premier chef pour interdire à d'autres de l'utiliser, mais pour l'utiliser lui-même (bien que l'exclusivité de cet usage constitue naturellement un corollaire nécessaire). Aussi bien l'utilisation par le titulaire constitue-t-elle un élément central et essentiel de la propriété de la marque, ainsi qu'il ressort des articles 10 à 12 de la directive sur les marques, en vertu desquels les droits peuvent expirer ou être privés d'effet en cas de non-utilisation.

    35 L'utilisation d'une marque implique que les produits ou services du titulaire soient identifiés comme étant les siens. Bien qu'il s'agisse peut-être d'une évidence telle qu'elle a pu ne pas être expressément énoncée dans la réglementation sur les marques, telle est la raison d'être d'une marque; aussi bien le dixième considérant de la directive (8) parle de garantir la fonction d'origine de la marque. La même idée est inhérente à la définition de l'article 2 (9), qui énonce que, pour constituer des marques, les signes doivent être «propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises». En outre, la Cour a déclaré, dans une jurisprudence constante aussi bien antérieure que postérieure à l'adoption de la directive sur les marques, que la fonction essentielle de la marque était de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance (10).

    36 Bien évidemment, le caractère exclusif du droit conféré par une marque à son titulaire implique la possibilité d'en interdire l'utilisation aux tiers pour identifier leurs produits ou services, puisqu'une telle utilisation de la marque réduirait à néant sa fonction essentielle.

    37 Toutefois, lorsqu'un signe identique ou similaire à une marque enregistrée est utilisé par un concurrent à des fins autres que cette fonction essentielle, il est beaucoup plus difficile de voir pourquoi le titulaire devrait être habilité à interdire cette utilisation. En outre, ainsi qu'il a été souligné dans les observations présentées devant la Cour, tant le libellé de l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques que l'arrêt BMW (11) militent en faveur de la thèse selon laquelle l'utilisation pouvant être interdite en vertu de l'article 5, paragraphes 1 et 2, se limite à l'utilisation à des fins de distinction des produits ou services. De façon peut-être encore plus parlante, la Commission a attiré l'attention à l'audience sur l'existence de situations dans lesquelles il serait manifestement inéquitable de permettre au titulaire d'une marque d'en interdire l'utilisation aux tiers, alors même que la directive sur les marques ne contient aucune disposition l'empêchant d'agir ainsi si son droit est considéré comme visant toutes les formes d'utilisation, y compris une utilisation qui ne peut avoir pour objet ou pour effet d'indiquer l'origine des fournitures ou prestations.

    38 On peut souligner à nouveau à cet égard que, dans sa question, la juridiction nationale tient pour acquis que «le défendeur révèle que le produit provient de sa propre fabrication» et qu'«il est tout à fait exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance des produits». En outre, bien que cela ne soit pas déterminant, cette disposition n'étant pas limitative, il semble qu'il n'y ait eu aucune utilisation du type de celles énumérées à l'article 5, paragraphe 3, de la directive sur les marques. La juridiction nationale constate en fait, dans la procédure au principal, que les termes «Spirit Sun» et «Context Cut» ont été utilisés exclusivement au cours de discussions verbales entre deux opérateurs, qui étaient l'un et l'autre parfaitement au courant du fait que ces termes ne visaient pas à indiquer l'origine des produits proposés à la vente, et que ces termes n'ont jamais figuré par écrit sur ces produits, ce qui excluait tout risque qu'un acheteur subséquent puisse être trompé.

    39 Une utilisation de ce type est à notre avis nettement trop éloignée de la fonction essentielle d'une marque pour permettre au titulaire de celle-ci de l'interdire en vertu de l'article 5, paragraphe 1, de la directive sur les marques.

    40 On peut en outre relever qu'une telle utilisation ne pourrait en aucun cas être interdite en vertu de l'article 5, paragraphe 1, sous b) - c'est-à-dire dans le cas où il n'existe qu'une similitude, et non une identité, entre le signe et la marque et/ou entre les produits ou les services concernés -, puisque cette disposition ne s'applique qu'en cas de risque de confusion, hypothèse expressément exclue par la question de la juridiction nationale. Dès lors, si «Spirit Sun» n'est enregistrée que pour les diamants et si M. Hölterhoff ne s'est référé à cette marque qu'à l'égard d'autres types de pierres précieuses, simplement similaires, il découle des termes de la directive que l'utilisation décrite par la juridiction nationale ne peut être interdite par le titulaire de la marque.

    41 Il est également sans importance, à notre avis, que l'article 5, paragraphe 1, sous a) (qui pourrait être pertinent si M. Hölterhoff s'était référé à l'une des marques pour désigner le type de pierres précieuses pour lequel elle était enregistrée), ne contienne aucune mention du risque de confusion. Au contraire, l'absence de cette mention est conforme à la thèse selon laquelle cette disposition concerne uniquement l'utilisation à des fins d'indication d'origine. Lorsqu'un signe utilisé pour indiquer l'origine de certains produits est identique à une marque enregistrée et que les produits sont identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, la confusion quant à l'origine constitue, par définition, non seulement un risque, mais pratiquement une certitude. En revanche, lorsqu'il y a simplement similitude, il peut ne pas y avoir toujours danger de confusion - toutes les circonstances doivent être prises en considération - et il était dès lors nécessaire d'inclure cette condition dans l'article 5, paragraphe 1, sous b).

    42 À l'inverse, lorsque l'utilisation d'un signe n'indique pas l'origine, il ne peut y avoir, par définition, de confusion quant à l'origine de deux séries de produits; peu importe, à cet égard, que les produits soient identiques ou simplement similaires et que le signe soit identique ou simplement similaire à la marque protégée. On introduirait à notre avis un déséquilibre inutile dans l'économie de cette disposition si le droit d'interdire une utilisation à des fins autres que l'indication d'origine devait dépendre du risque de confusion dans certains cas et non dans d'autres.

    43 Toutefois, avant d'achever notre examen de l'article 5, il y a lieu d'aborder brièvement quelques questions mineures.

    44 En premier lieu, M. Freiesleben a soutenu qu'il devait être habilité à interdire l'utilisation litigieuse en vertu de la législation allemande transposant l'article 5, paragraphe 2, de la directive. Aucune des autres parties n'a présenté d'observations sur ce point, sur lequel la juridiction nationale n'a de toute façon pas demandé d'éclaircissement. Dans ces conditions, et puisque la Cour est saisie, dans l'affaire Davidoff (C-292/00) - qui porte sur une demande de décision préjudicielle émanant du Bundesgerichtshof et dans laquelle l'audience n'a pas encore eu lieu -, de la question de savoir si l'article 5, paragraphe 2, s'applique seulement (conformément à sa lettre) lorsque les produits en question ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, nous nous abstiendrons de nous prononcer dans le cadre de la présente affaire.

    45 En second lieu, le gouvernement français a exprimé la préoccupation que, si le titulaire d'une marque ne pouvait pas en interdire l'utilisation dans les circonstances visées par la question de la juridiction nationale, il pourrait se trouver dans l'incapacité d'empêcher la déchéance de sa marque en vertu de l'article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive sur les marques dès lors qu'une utilisation répétée de ce type risque d'en faire la désignation usuelle dans le commerce des produits ou services en question. Toutefois, cette déchéance n'est possible que lorsque l'emploi comme désignation usuelle est le résultat «de l'activité ou de l'inactivité» du titulaire. Nous ne croyons pas que, dans ce contexte, l'«inactivité» puisse être considérée comme englobant le fait de ne pas interdire un comportement qui ne peut être légalement interdit.

    46 Enfin, nous voudrions souligner que la conclusion à laquelle nous parvenons dans la présente affaire ne saurait préjuger la solution dans d'autres circonstances de fait. Le raisonnement pourrait s'appliquer de façon différente si, par exemple, le signe revêtait une forme plus permanente ou figurait d'une façon ou d'une autre sur les produits. Dans cette hypothèse, le fait de préciser à un stade de la chaîne de distribution que le signe n'indique en aucune façon l'origine pourrait ne pas suffire à empêcher une pareille utilisation à un stade ultérieur. Cependant, des circonstances apparemment similaires seront examinées par la Cour dans le cadre d'une demande de décision préjudicielle émanant de la High Court of Justice (England and Wales), dans l'affaire Arsenal Football Club (C-206/01), et, sur ce point non plus, nous ne croyons pas devoir nous prononcer dans la présente affaire.

    L'article 6, paragraphe 1, de la directive sur les marques

    47 Si la Cour partage notre point de vue selon lequel l'utilisation d'un signe de la façon décrite par la juridiction nationale ne constitue en aucun cas une utilisation du type de celles qu'un titulaire de marque est habilité à interdire en vertu de l'article 5, paragraphe 1, elle n'aura pas besoin d'examiner l'incidence, à la lumière de l'article 6, paragraphe 1, de la circonstance que cette utilisation se limitait à décrire certaines caractéristiques des produits proposés à la vente.

    48 Toutefois, si elle devait décider que l'utilisation en cause peut en principe être interdite en vertu de l'article 5, paragraphe 1, cet aspect devra être examiné.

    - Les limites du droit d'interdire l'utilisation

    49 Nous supposerons donc, pour les besoins de la cause, que l'article 5, paragraphe 1, est applicable. Dans cette hypothèse, le titulaire de la marque serait habilité à en interdire l'utilisation à moins qu'il n'y ait épuisement de son droit en vertu de l'article 7 de la directive sur les marques ou limitation de celui-ci en vertu de l'article 6. Toutefois, dans la présente affaire, la question de l'épuisement du droit est sans incidence sur la question posée par la juridiction nationale et celle de la limitation concerne uniquement l'article 6, paragraphe 1, sous b), pour des indications relatives à des caractéristiques des produits ou services.

    50 Cette disposition pourrait être considérée comme visant au premier chef une situation différente, à savoir l'hypothèse où le titulaire d'une marque cherche à interdire à des concurrents de faire usage d'un ou plusieurs termes descriptifs faisant partie de sa marque afin d'indiquer certaines caractéristiques de leurs produits (12). Toutefois, son libellé n'est nullement spécifique à une telle situation et, selon une lecture normale, elle vise également une utilisation du type de celle en cause dans la présente affaire, où une marque ne possédant pas d'élément descriptif direct est utilisée par un concurrent pour indiquer des caractéristiques partagées par les produits du concurrent et ceux vendus sous la marque par son titulaire, lorsque ces caractéristiques sont communément associées à la marque.

    51 Comme le relève le Royaume-Uni, de telles circonstances sont courantes dans le commerce. Un opérateur A commercialise un produit sous sa marque, qui, dans l'esprit du public, devient associée aux caractéristiques de ce produit. D'autres opérateurs développeront des produits similaires et doivent être en mesure de les commercialiser librement sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits de propriété industrielle de A. Tel sera normalement le cas aussi longtemps qu'ils pourront produire des caractéristiques comparables sans contrefaire un brevet que A peut détenir et aussi longtemps qu'ils ne chercheront pas à commercialiser leurs produits sous la marque de A ou d'une façon susceptible de créer une confusion entre leurs produits et ceux de A. Le seul fait de signaler des similitudes entre leurs produits et ceux de A n'entre pas dans ce cas de figure, notamment lorsqu'il est souligné que leurs produits ne proviennent pas de A.

    52 Dans ce contexte, nous ne voyons dans l'article 6, paragraphe 1, sous b), aucun élément étayant l'argument du gouvernement français selon lequel, pour relever de cette disposition, ladite utilisation doit être nécessaire afin de décrire les caractéristiques. Au contraire, on pourrait déduire de la présence d'une condition expresse de nécessité à l'article 6, paragraphe 1, sous c), que l'absence d'une telle condition à l'article 6, paragraphe 1, sous b), est délibérée. En tout état de cause, l'argument avancé par le gouvernement français à l'audience selon lequel M. Hölterhoff aurait pu décrire les tailles en question sans utiliser les marques de M. Freiesleben semble quelque peu exigeant. Ces tailles sont complexes et les revendications de brevet produites par M. Freiesleben démontrent à quel point il est délicat de les décrire en langage courant. Il ne semble pas raisonnable d'imposer les règles d'un jeu de société pour des pourparlers de vente lorsqu'une forme de communication plus simple est possible, toujours sous réserve que l'utilisation des marques n'entraîne pas ni ne puisse entraîner de confusion entre l'origine des produits proposés à la vente et celle des produits cités pour illustrer les caractéristiques en question.

    53 Il est à notre avis important de rappeler que les termes litigieux ont été utilisés oralement, et uniquement dans des pourparlers de vente entre deux professionnels qui étaient l'un et l'autre parfaitement au courant que les marques visées n'étaient en aucune façon censées s'attacher aux produits proposés à la vente en tant qu'indication de leur origine. L'impression que les termes employés par M. Hölterhoff aurait pu produire sur le grand public achetant des pierres grenat est donc sans incidence. Toutefois, s'il avait facturé ses pierres grenat sous le nom de «Spirit Sun» ou s'il avait apposé d'une autre façon ce nom sur ces produits par écrit de sorte qu'un acheteur subséquent aurait pu être porté à croire qu'ils étaient couverts par la marque, ou si Mme Haverkamp avait elle-même été susceptible d'être trompée, la situation aurait été différente. Dans de telles circonstances, il serait difficile à M. Hölterhoff d'établir qu'il s'est borné à indiquer les caractéristiques de ses produits par référence aux produits couverts par la marque.

    54 En conséquence, nous estimons que, même si l'article 5, paragraphe 1, était jugé applicable, et compte tenu des faits constatés, M. Hölterhoff aurait été en principe habilité, en vertu de l'article 6, paragraphe 1, sous b), à utiliser les termes «Spirit Sun» et «Context Cut» pour indiquer la taille de ses propres pierres précieuses, qui constitue l'une de leurs caractéristiques.

    - La condition régissant les limites du droit d'interdire l'utilisation

    55 Toutefois, l'article 6, paragraphe 1, est assorti d'une condition importante. Une telle utilisation n'échappe à la faculté d'interdiction du titulaire de la marque que si elle est faite conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

    56 Cette condition joue à notre avis un rôle important pour répondre aux craintes de M. Freiesleben selon lesquelles il pourrait être autrement impossible d'empêcher le piratage le plus flagrant. Les usages commerciaux honnêtes ne comprennent pas le pillage des dessins, modèles et marques commerciales d'un tiers (13). La règle en question peut également répondre au souci du gouvernement français selon lequel l'utilisation de marques à des fins descriptives ne doit être permise que lorsqu'elle est nécessaire pour indiquer les caractéristiques pertinentes. Nous ne voyons pas de justification pour une règle aussi absolue; toutefois, les cas dans lesquels un opérateur choisit de faire usage de la marque d'un concurrent au lieu d'un terme générique familier peuvent souvent revêtir des caractéristiques qui ne sont pas conformes aux usages honnêtes.

    57 La délimitation précise des «usages honnêtes» n'est certes pas indiquée dans la directive sur les marques. Par sa nature même, une telle notion doit permettre une certaine souplesse. Ses contours détaillés peuvent varier d'une époque à l'autre et en fonction des circonstances; ils seront déterminés en partie par différentes règles de droit qui sont elles-mêmes susceptibles de changer, ainsi que par l'évolution des perceptions de ce qui est acceptable. Toutefois, il existe une notion centrale largement partagée, et au contenu clairement défini, de ce qui constitue un comportement honnête dans le commerce; cette notion peut être appliquée par le juge sans grande difficulté et sans risque excessif d'aboutir à des interprétations profondément divergentes.

    58 Dans l'arrêt BMW (14), la Cour a décrit cette notion comme exprimant une obligation de loyauté à l'égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque, ainsi que le but de «concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services dans le marché commun, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d'élément essentiel du système de concurrence non faussée que le traité entend établir et maintenir».

    59 En outre, une certaine orientation peut être trouvée à l'article 10 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (15), à laquelle renvoie le douzième considérant de la directive sur les marques, puisqu'il s'agit de la disposition dont l'expression «usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale» a sans doute été tirée. Cet article définit un acte de concurrence déloyale comme un acte contraire à ces usages. L'article 10 bis, paragraphe 3, dispose:

    «Notamment devront être interdits:

    1. tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n'importe quel moyen avec l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent;

    2. les allégations fausses, dans l'exercice du commerce, de nature à discréditer l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent;

    3. les indications ou allégations dont l'usage, dans l'exercice du commerce, est susceptible d'induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l'aptitude à l'emploi ou la quantité des marchandises.»

    60 C'est naturellement à la juridiction nationale qu'il appartient le cas échéant de déterminer si la condition de l'article 6, paragraphe 1, de la directive sur les marques était remplie. À cet effet, elle pourrait avoir besoin de procéder à des constatations de fait plus étendues que celles relatées dans l'ordonnance de renvoi. Toutefois, deux aspects auxquels celle-ci fait allusion pourraient être pertinents.

    61 Premièrement, si M. Hölterhoff a contrefait les brevets de M. Freiesleben en fabriquant les pierres précieuses qu'il proposait à la vente (16), l'utilisation qu'il aurait faite des marques dans ce contexte ne peut à notre avis être qualifiée de «(conforme) aux usages honnêtes». Deuxièmement, si M. Hölterhoff a effectivement prétendu que la taille «Spirit Sun» était utilisée depuis des temps immémoriaux et que les droits y afférents n'étaient pas détenus exclusivement par M. Freiesleben, et si ces déclarations sont inexactes, on ne peut pas non plus considérer, à notre avis, qu'il a agi conformément aux usages honnêtes. Dans aucun de ces deux cas, il ne pourrait se prévaloir de l'article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive sur les marques.

    Conclusion sur la directive sur les marques

    62 La conclusion à laquelle nous parvenons ainsi sur l'interprétation de la directive sur les marques est que l'article 5, paragraphe 1, n'habilite pas le titulaire d'une marque à interdire aux tiers de mentionner oralement sa marque lorsqu'ils proposent leurs produits à la vente dans la mesure où ils précisent qu'il n'a pas fabriqué ces produits et où il est exclu que la marque soit interprétée dans le commerce, que ce soit à ce stade ou ultérieurement, comme indiquant l'origine des produits proposés à la vente.

    63 Toutefois, dans d'autres circonstances, dans lesquelles l'article 5, paragraphe 1, donne au titulaire de la marque le droit d'en interdire l'utilisation, ce droit ne peut pas être exercé si l'utilisation est faite aux fins d'indiquer des caractéristiques des produits en question, à moins qu'elle ne soit pas conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

    Publicité comparative

    64 Cette conclusion peut éventuellement être corroborée au moyen d'une approche quelque peu différente.

    65 La situation dont se plaint M. Freiesleben dans la procédure au principal présente de nombreuses caractéristiques communes avec la publicité comparative, même si celles-ci ne sont pas du type qui vient habituellement à l'esprit. La publicité comparative est réglementée au niveau communautaire par la directive 84/450/CEE (17), telle que modifiée par la directive 97/55/CE (18) (la directive telle que modifiée sera ci-après désignée la «directive sur la publicité»), qui renvoie, dans son préambule, à la directive sur les marques.

    66 Toutefois, avant de nous pencher sur ses dispositions, nous voudrions souligner, en premier lieu, que nous ne suggérons pas que la directive sur les marques doive être interprétée par référence à la directive sur la publicité et, en second lieu, que les dispositions pertinentes de cette dernière n'étaient pas en vigueur au moment de l'utilisation litigieuse dans la procédure au principal.

    67 Selon l'article 2, point 1, de la directive sur la publicité, on entend par publicité «toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services [...]». Selon l'article 2, point 2 bis, on entend par publicité comparative «toute publicité qui, explicitement ou implicitement, identifie un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent».

    68 Ces définitions semblent couvrir la situation de fait constatée par la juridiction nationale dans la présente affaire. M. Hölterhoff a identifié des biens offerts par M. Freiesleben, dans le cadre de son activité commerciale et dans le but de promouvoir la fourniture de ses propres biens.

    69 Selon l'article 3 bis, paragraphe 1, pour autant que la comparaison est concernée, une telle publicité est licite dès lors que:

    «a) elle n'est pas trompeuse [...];

    b) elle compare des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif;

    c) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services, dont le prix peut faire partie;

    d) elle n'engendre pas de confusion sur le marché entre l'annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l'annonceur et ceux d'un concurrent;

    e) elle n'entraîne pas le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activités ou situation d'un concurrent;

    f) pour les produits ayant une appellation d'origine, elle se rapporte dans chaque cas à des produits ayant la même appellation;

    g) elle ne tire pas indûment profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial ou à d'autres signes distinctifs d'un concurrent ou de l'appellation d'origine de produits concurrents;

    h) elle ne présente pas un bien ou un service comme une imitation ou une reproduction d'un bien ou d'un service portant une marque ou un nom commercial protégés.»

    70 Conformément à l'article 7, paragraphe 2, les États membres ne peuvent pas assurer, pour autant que la comparaison est concernée, une protection plus étendue à l'encontre de la publicité comparative.

    71 Ces modifications apportées à la directive sur la publicité ont été publiées le 6 octobre 1997 et devaient être transposées en droit national pour le 23 avril 2000. Elles n'étaient donc pas en vigueur à l'époque considérée.

    72 Si elles avaient été en vigueur à cette époque, la juridiction nationale aurait pu être appelée à examiner si les formes de communication utilisées par M. Hölterhoff étaient conformes aux conditions de l'article 3 bis, paragraphe 1. Également dans ce contexte, il aurait éventuellement pu être nécessaire de procéder à des constatations de fait plus détaillées à cet effet; toutefois, les faits constatés par la juridiction de renvoi, tels que portés à la connaissance de la Cour, n'apparaissent ni plus ni moins tomber sous le coup de l'article 3 bis de la directive sur la publicité qu'ils ne tombent sous le coup de la condition figurant à l'article 6, paragraphe 1, de la directive sur les marques. L'éventuelle contrefaçon de brevets concomitante ou négation fallacieuse du droit exclusif de M. Freiesleben sur les marques pourrait bel et bien être considérée comme un discrédit ou un dénigrement de ces marques, comme un profit indûment tiré de leur réputation ou comme une présentation des biens comme des imitations ou des reproductions, au même titre qu'elle ne relèverait pas de la notion d'«usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale».

    73 Bien que ces règles n'aient pas été en vigueur à l'époque considérée, leur adoption ultérieure se situe exactement dans la même ligne que l'interprétation que nous avons proposée des articles 5, paragraphe 1, et/ou 6, paragraphe 1, de la directive sur les marques.

    74 Le législateur communautaire a manifestement considéré, lorsqu'il a modifié la directive sur la publicité afin d'y inclure la publicité comparative, que la directive sur les marques ne s'opposait en rien à une telle publicité.

    75 Les considérants pertinents de la directive 97/55 sont les treizième et quinzième considérants:

    «[...] l'article 5 de la [directive sur les marques] confère au titulaire d'une marque enregistrée des droits exclusifs, qui comportent, notamment, le droit d'interdire à tout tiers d'utiliser, dans la vie des affaires, un signe identique ou un signe similaire à la marque pour des produits ou des services identiques ou, le cas échéant, même pour d'autres produits;

    [...] toutefois, [...] il peut être indispensable, afin de rendre la publicité comparative effective, d'identifier les produits ou services d'un concurrent en faisant référence à une marque dont ce dernier est titulaire ou à son nom commercial;

    [...] une telle utilisation de la marque, du nom commercial ou d'autres signes distinctifs d'autrui n'enfreint pas ce droit exclusif, dans les cas où elle est faite dans le respect des conditions établies par la présente directive, le but visé étant uniquement de les distinguer et, donc, de mettre les différences objectivement en relief».

    76 Il convient en outre de noter que, dans leurs déclarations communes inscrites au procès-verbal de la réunion du Conseil lors de laquelle le règlement sur la marque communautaire a été adopté le 20 décembre 1993, le Conseil et la Commission ont considéré que la référence à la publicité faite à l'article 9, paragraphe 2, sous d) (l'article 9, paragraphe 2, du règlement sur la marque est en substance identique à l'article 5, paragraphe 3, de la directive sur les marques), ne visait pas l'utilisation d'une marque communautaire dans le cadre de la publicité comparative. Autrement dit, ils ont considéré que l'utilisation de la marque d'un concurrent dans le cadre de la publicité comparative ne constituait pas un acte susceptible d'être interdit par le titulaire de la marque.

    77 Aussi bien, puisque la directive 97/55 n'a pas modifié la directive sur les marques, force est de constater que cette dernière autorisait une telle publicité comparative à l'époque considérée, à moins que les deux directives ne soient incompatibles; il n'y a à notre avis aucune raison de considérer que tel soit le cas.

    Conclusion

    78 Nous proposons à la Cour de statuer ainsi qu'il suit en réponse à la question posée par l'Oberlandesgericht Düsseldorf:

    «1) L'article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, n'habilite pas le titulaire d'une marque à interdire aux tiers de mentionner oralement sa marque lorsqu'ils proposent leurs produits à la vente dans la mesure où ils précisent qu'il n'a pas fabriqué ces produits et où il est exclu que la marque soit interprétée dans le commerce, que ce soit à ce stade ou ultérieurement, comme indiquant l'origine des produits proposés à la vente.

    2) Toutefois, même dans d'autres circonstances, dans lesquelles l'article 5, paragraphe 1, donne au titulaire de la marque le droit d'en interdire l'utilisation, l'article 6, paragraphe 1, fait obstacle à l'exercice de ce droit si l'utilisation est faite aux fins d'indiquer des caractéristiques des produits en question, à moins qu'elle ne soit pas conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»

    (1) - Première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

    (2) - Règlement (CE) n_ 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993 (JO 1994, L 11, p. 1).

    (3) - Le terme «rhodolite» désigne une gamme de pierres grenat dont la couleur va du rouge au violet.

    (4) - Il convient de noter que, en tout état de cause, ces utilisations n'ont normalement pas lieu «dans la vie des affaires» et ne peuvent donc être interdites en vertu de l'article 5, paragraphes 1 ou 2.

    (5) - Arrêt du 23 février 1999, BMW (C-63/97, Rec. p. I-905, point 38).

    (6) - Arrêts BMW (précité, point 52), et du 17 octobre 1990, HAG GF (C-10/89, Rec. p. I-3711, ci-après l'«arrêt HAG II», point 14).

    (7) - Cet exemple ainsi que le revirement de la Commission semblent découler des observations présentées devant la Cour dans l'affaire Philips Electronics (C-299/99), dans laquelle l'audience s'est tenue le 29 novembre 2000, après la présentation des observations écrites dans la présente affaire; cette affaire est toujours pendante devant la Cour.

    (8) - Ainsi que le septième considérant du règlement sur la marque.

    (9) - Ainsi que de l'article 4 du règlement sur la marque.

    (10) - Voir, par exemple, les arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, Rec. p. 1139, point 7); HAG II (précité, point 14); du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a. (C-427/93, C-429/93 et C-436/93, Rec. p. I-3457, point 47); du 11 novembre 1997, Loendersloot (C-349/95, Rec. p. I-6227, point 24), et l'arrêt très récent du 12 octobre 1999, Upjohn (C-379/97, Rec. p. I-6927, point 16).

    (11) - Au point 38.

    (12) - Voir, par exemple, l'arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee (C-108/97 et C-109/97, Rec. p. I-2779, notamment le point 28).

    (13) - Voir également l'article 3 bis, paragraphe 1, sous h), de la directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse (JO L 250, p. 17).

    (14) - Aux points 61 et 62.

    (15) - Du 20 mars 1883, révisée à Bruxelles le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin 1911, à La Haye le 6 novembre 1925, à Londres le 2 juin 1934, à Lisbonne le 31 octobre 1958 et à Stockholm le 14 juillet 1967 (Recueil des traités des Nations unies n_ 11851, volume 828, p. 305 à 388).

    (16) - La question de la contrefaçon de brevets ne semble pas être en cause dans la procédure nationale ayant donné lieu à l'ordonnance de renvoi et l'on pourrait considérer comme peu probable que M. Freiesleben eût engagé une procédure en matière de marques s'il avait pu établir une telle contrefaçon. Il est par ailleurs indiqué que le nombre de facettes sur les pierres vendues à Mme Haverkamp était plus important que le nombre spécifié dans le brevet détenu par M. Freiesleben. Toutefois, aucune de ces circonstances n'exclut totalement une éventuelle contrefaçon de brevets.

    (17) - Précitée à la note 14.

    (18) - Directive du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997, modifiant la directive 84/450 sur la publicité trompeuse afin d'y inclure la publicité comparative (JO L 290, p. 18).

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