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Document 61997CC0384

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 28 octobre 1999.
Commission des Communautés européennes contre République hellénique.
Manquement d'Etat - Pollution du milieu aquatique - Obligation d'adopter des programmes en vue de réduire la pollution causée par certaines substances dangereuses - Non-transposition de la directive 76/464/CEE.
Affaire C-384/97.

Recueil de jurisprudence 2000 I-03823

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1999:529

61997C0384

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 28 octobre 1999. - Commission des Communautés européennes contre République hellénique. - Manquement d'Etat - Pollution du milieu aquatique - Obligation d'adopter des programmes en vue de réduire la pollution causée par certaines substances dangereuses - Non-transposition de la directive 76/464/CEE. - Affaire C-384/97.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-03823


Conclusions de l'avocat général


1 En vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), la Commission des Communautés européennes vous a saisi d'un recours en manquement à l'encontre de la République hellénique, qui n'aurait pas procédé à la transposition de la directive 76/464/CEE du Conseil, du 4 mai 1976, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté (1).

2 En particulier, il est reproché au gouvernement hellénique de ne pas avoir arrêté de programmes comprenant des objectifs de qualité et fixant les délais de leur mise en oeuvre afin de réduire la pollution des eaux par certaines substances désignées dans l'annexe de la directive. La Commission lui reproche également de ne pas soumettre les rejets effectués dans les eaux et susceptibles de contenir ces substances à une autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente et fixant des normes d'émission en fonction des objectifs de qualité établis dans les programmes de réduction.

I - La directive 76/464

3 La directive énonce, en son premier considérant, que «... une action générale et simultanée de la part des États membres en vue de la protection du milieu aquatique de la Communauté contre la pollution, notamment celle causée par certaines substances persistantes, toxiques et bioaccumulables, s'impose de toute urgence».

4 Celle-ci vise à l'élimination de la pollution du milieu aquatique par certaines substances particulièrement dangereuses, énumérées dans une liste, dite «liste I», et à la réduction de cette pollution par certaines autres substances dangereuses énumérées dans une autre liste, dite «liste II», les deux listes constituant une annexe de la directive (2). Il est prévu que les États membres prennent les mesures appropriées pour atteindre ces objectifs (3).

5 La liste I «... comprend certaines substances individuelles qui font partie des familles et groupes de substances [cités dans l'annexe], à choisir principalement sur la base de leur toxicité, de leur persistance, de leur bioaccumulation, à l'exception de celles qui sont biologiquement inoffensives ou qui se transforment rapidement en substances biologiquement inoffensives» (4).

6 Les États membres doivent, en vertu des articles 3 et 5 de la directive, soumettre tout rejet dans le milieu aquatique de substances relevant de la liste I à une autorisation préalable des autorités compétentes et fixer des normes d'émission qui ne peuvent pas dépasser certaines valeurs limites. Conformément à l'article 6, celles-ci sont arrêtées par le Conseil.

7 La liste II comprend notamment les substances relevant de la liste I pour lesquelles le Conseil n'a pas encore fixé de valeurs limites (5).

8 L'article 7, paragraphes 1 et 3, de la directive prescrit aux États membres d'arrêter des programmes destinés à la réduction de la pollution du milieu aquatique (ci-après les «programmes»), comprenant des objectifs de qualité pour les eaux. Le même article prévoit, en son paragraphe 2, que tout rejet dans le milieu aquatique susceptible de contenir l'une des substances relevant de la liste II est soumis à une autorisation préalable, délivrée par l'autorité compétente de l'État membre concerné et fixant les normes d'émission. Celles-ci sont calculées en fonction des objectifs de qualité établis conformément au paragraphe 3 de cet article. Au paragraphe 5, il est précisé que «Les programmes fixent les délais de leur mise en oeuvre».

9 En vertu de l'article 7, paragraphe 6, de la directive, «Les programmes et les résultats de leur application sont communiqués à la Commission sous forme résumée».

10 La directive ne fixe aucun délai de transposition. Toutefois, son article 12, paragraphe 2, prévoit que «La Commission transmet, si possible dans un délai de vingt-sept mois après [sa] notification ... les premières propositions faites en application de l'article 7 paragraphe 7» (6). Selon cette dernière disposition, «La Commission organise régulièrement avec les États membres une confrontation des programmes en vue de s'assurer que leur mise en oeuvre est suffisamment harmonisée. Si elle l'estime nécessaire, elle présente au Conseil, à cette fin, des propositions en la matière».

11 La lecture de la liste I révèle qu'elle comprend principalement des familles et groupes de substances, de sorte que la Commission a jugé nécessaire, avant de procéder à la définition de valeurs limites d'émission ou d'objectifs de qualité, d'individualiser les substances composant ces catégories.

12 En coopération avec les États membres, la Commission a établi une liste de 129 substances individuelles annexées à la communication de la Commission au Conseil, du 22 juin 1982, relative aux substances dangereuses susceptibles de figurer sur la liste I de la directive 76/464 (7).

13 Dans sa résolution du 7 février 1983 concernant la lutte contre la pollution des eaux (8), le Conseil a précisé que la liste des 129 substances figurant dans la communication de la Commission servira de base à la Communauté pour poursuivre ses travaux sur la mise en oeuvre de la directive.

14 À cette liste ont été ajoutées, par la suite, trois autres substances. Parmi ce total de 132 substances, 18 se sont vu attribuer des valeurs limites d'émission et des objectifs de qualité par le Conseil, tandis que 15 autres sont visées dans une proposition de directive du Conseil portant modification de la directive 76/464, présentée par la Commission le 14 février 1990 (9).

15 Les 99 substances restantes ont vocation à figurer sur la liste I, mais tant que le Conseil n'a pas fixé de valeurs limites pour les émissions de ces substances, celles-ci sont soumises au régime applicable aux substances de la liste II, ainsi qu'il est indiqué au premier tiret de cette liste.

II - La procédure en manquement

16 Par lettre de mise en demeure du 27 décembre 1990, la Commission a attiré l'attention des autorités helléniques sur l'application, en Grèce, de l'article 7 de la directive. Elle rappelait que la Communauté avait élaboré une liste de 132 substances à intégrer dans la liste I de l'annexe, dont 33 faisaient déjà l'objet de directives spécifiques ou de propositions de directives. La Commission a attiré l'attention du gouvernement hellénique sur le fait qu'il restait une liste de 99 substances qui ne faisaient pas ou qui ne feraient pas prochainement l'objet de réglementations et qui étaient soumises aux obligations prévues à l'article 7.

17 La Commission a également rappelé la demande, formulée dans ses précédentes lettres, de transmission d'une liste actualisée indiquant celles des 99 substances qui étaient rejetées dans le milieu aquatique grec, les objectifs de qualité en vigueur au moment de l'octroi des autorisations de rejet dans les différentes régions affectées par ces rejets, les raisons pour lesquelles des objectifs n'avaient pas, le cas échéant, été fixés ainsi qu'un calendrier indiquant à quelle date ces objectifs de qualité seront établis.

18 Dans cette même lettre, la Commission, après avoir averti le gouvernement hellénique qu'elle considérait que les dispositions de l'article 7 de la directive n'avaient pas été respectées et que celui-ci avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive et du traité, a invité la République hellénique à lui faire connaître ses observations dans un délai de deux mois, conformément à l'article 169 du traité.

19 La Commission n'avait pas annexé à sa lettre la liste des 99 substances. Pour éviter tout malentendu, elle a précisé dans un courrier complémentaire du 5 octobre 1993 que la liste des 132 substances figurait dans sa communication au Conseil du 22 juin 1982, précitée (10), que cette dernière avait été confirmée par le Conseil dans sa résolution du 7 février 1983, précitée, et que trois substances supplémentaires avaient été ajoutées. La Commission a annexé la liste complète des 99 substances.

20 À cette occasion, la Commission a de nouveau invité le gouvernement hellénique à lui communiquer, dans un délai de deux mois, ses observations sur l'élaboration et l'application des programmes.

21 La République hellénique a répondu par lettre du 12 août 1994, déclarant que le seul élément nouveau par rapport à l'un de ses précédents courriers était la signature d'un contrat avec l'université de l'Égée pour la réalisation d'une étude spécifique. Les autorités helléniques ont, en outre, donné un certain nombre de renseignements sur la présence en Grèce des substances relevant de la directive.

22 En particulier, elles ont indiqué que 32 substances relevant de l'une ou l'autre liste subissaient une dégradation photochimique ou microbienne et n'étaient pas rejetées directement dans le milieu aquatique. Elles ont mentionné que le ministère de l'Agriculture n'octroyait aucune autorisation de rejet de pesticides dans le milieu aquatique, sauf pour l'une de ces substances, utilisée comme préparation dans les rizières, et que les installations industrielles qui conditionnaient ces préparations ne rejetaient pas d'eaux usées.

23 Le gouvernement hellénique a ajouté que 9 substances n'étaient pas commercialisées en Grèce. Il a reconnu, en outre, la présence potentielle dans les eaux usées de 17 substances. L'une d'elles n'est pas, selon lui, rejetée dans les eaux superficielles. S'agissant de 10 autres substances et de celles qui n'ont donné lieu à aucune information de sa part, le gouvernement hellénique a signalé qu'une étude les concernant serait demandée afin d'obtenir des données sur les concentrations de ces substances dans les déchets des installations de production ainsi que sur l'éventuelle présence des autres substances relevant de la liste II dans le milieu aquatique.

24 En ce qui concerne l'autorisation de rejet d'eaux usées susceptibles de contenir certaines des 99 substances relevant de la liste II dans les eaux de réception, il a déclaré qu'elle était octroyée par les services d'hygiène, à condition que les objectifs de qualité fixés pour chacune des eaux de réception dont l'utilisation a été décidée par arrêté préfectoral soient respectés.

25 La Commission a tiré de ces éléments la conclusion que, pour 72 des 99 substances relevant de la liste II, les autorités helléniques n'avaient pas pris les mesures nécessaires pour réduire la pollution des eaux par ces substances, soit qu'aucun renseignement n'ait été fourni, soit que la présence potentielle de certaines substances dans le milieu aquatique ait été reconnue, soit, enfin, que les informations communiquées se soient révélées insuffisamment précises.

26 Considérant, à la lumière de ces éléments, que les obligations prescrites par la directive n'étaient pas remplies, la Commission a émis un avis motivé exposant les griefs reprochés à la République hellénique, lequel a été communiqué à cette dernière le 23 décembre 1996.

27 Par lettre du 20 mars 1997, le gouvernement hellénique a transmis à la Commission des informations ayant trait au réseau permanent de surveillance des substances de la liste I de la directive, dont les activités auraient commencé en 1996, ainsi que sur les actions entreprises par les autorités compétentes à propos des substances relevant de la liste II et, plus particulièrement, sur l'initiative d'une étude sur la situation en Grèce des substances de la liste II, confiée à l'université de l'Égée. La République hellénique a indiqué que cette étude devait être suivie, le cas échéant, de l'établissement d'un réseau permanent de surveillance de ces substances ainsi que du lancement de programmes visant à leur diminution.

III - Sur le recours en manquement

Moyens invoqués par les parties

28 La Commission reproche à la République hellénique, d'une part, de ne pas avoir arrêté de programmes de réduction de la pollution des eaux par le rejet de certaines substances et, d'autre part, de ne pas soumettre ces rejets à une autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente et fixant les normes d'émission en fonction des objectifs de qualité établis dans ces programmes.

29 À l'appui de son recours, la Commission soutient que, bien qu'aucun délai n'ait été prévu pour la transposition de la directive, les États membres auraient dû lui communiquer les programmes de réduction de la pollution par les substances relevant de la liste II au plus tard le 5 août 1978, conformément à son article 12, paragraphe 2. La Commission expose que, en l'absence d'une telle communication, elle a, par lettre du 3 novembre 1976, proposé aux États membres de lui transmettre les programmes avant le 15 septembre 1981 et que ceux-ci n'ont pas contesté ce délai.

30 La Commission ajoute que, en application de l'article 7 de la directive, la République hellénique aurait dû arrêter des programmes pour les 99 substances ainsi que pour les familles et groupes de substances énumérés au second tiret de la liste II (11). Elle précise cependant que son recours est limité aux 99 substances relevant de la liste II, premier tiret, ses lettres de mise en demeure et son avis motivé ne faisant référence qu'à ces substances.

31 Elle demande, en conséquence, à votre Cour de constater que, en n'arrêtant pas de programmes comprenant des objectifs de qualité et fixant les délais de leur mise en oeuvre afin de réduire la pollution des eaux par les 99 substances dangereuses relevant de la liste II, premier tiret, de l'annexe de la directive, et, partant, en ne soumettant pas les rejets effectués dans les eaux et susceptibles de contenir l'une des substances relevant de la liste II à une autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente et fixant les normes d'émission en fonction des objectifs de qualité établis dans ces programmes, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et de l'article 7 de la directive.

32 La République hellénique s'oppose au recours. Elle expose que, depuis sa réponse du 20 mars 1997, de nouveaux éléments sont intervenus puisque l'étude invoquée a été effectivement confiée à l'université de l'Égée. Il ressortirait d'un rapport de l'université que les autorités helléniques ont institué des règles législatives et pris des mesures administratives concrètes pour la protection des eaux de réception et ont fixé des objectifs de qualité pour la protection de ces eaux contre tout rejet potentiel résultant de l'utilisation des substances dangereuses incriminées.

33 Dans son mémoire en défense, la République hellénique énumère différents textes nationaux - arrêtés interministériels, interdépartementaux, départementaux, préfectoraux ainsi qu'une décision interministérielle et la décision d'un directeur régional - prescrivant un certain nombre d'interdictions et de limitations se rapportant aux déchets susceptibles d'être déversés dans le milieu aquatique.

34 Elle cite également les données disponibles relatives aux importations, en Grèce, de 17 produits phytosanitaires sur les 25 relevant de la liste II, entre 1983 et 1989. Le gouvernement hellénique fait valoir que, même si certains produits phytosanitaires sont importés en quantités importantes, les analyses des eaux de surface réalisées à la demande du ministère de l'Environnement n'ont pas permis de déceler la présence de produits phytosanitaires en quantités susceptibles d'entraîner un risque de contamination.

35 La République hellénique ajoute que, selon l'étude en cours de réalisation, 24 administrations départementales autonomes sur 52 ne connaissent pas, sur leur territoire, d'activités impliquant la production de déchets contenant les substances mentionnées dans l'avis motivé de la Commission. Dans les autres administrations départementales autonomes, l'étude ne serait pas encore achevée, de sorte qu'il serait impossible de fournir les données complètes sur ce sujet.

36 Elle affirme avoir rempli les obligations imposées par la directive. Des objectifs de qualité auraient en effet été fixés pour les eaux de réception pour lesquelles cette démarche était nécessaire et des plafonds imposés pour les déchets liquides déversés dans les eaux superficielles. En outre, chaque partie du territoire national relèverait d'au moins une des trois catégories suivantes: départements ayant instauré des objectifs de qualité, départements ayant fixé des plafonds de rejet dans les eaux de réception, ou départements sans activités industrielles produisant des déchets susceptibles de contenir l'une des 99 substances relevant de la liste II.

37 Dans son mémoire en réplique, la Commission relève que l'étude confiée à l'université de l'Égée ferait partie des mesures préventives qui doivent être prises pour pouvoir mettre au point les programmes mentionnés à l'article 7 de la directive, ce qui démontrerait que ceux-ci n'existent pas encore.

38 Elle conteste que les dispositions nationales invoquées par la République hellénique puissent être caractérisées de programmes au sens de l'article 7 de la directive, ces textes étant, selon elle, destinés à assurer la transposition d'autres directives communautaires. La Commission affirme que les programmes ne lui ont pas encore été communiqués.

39 Elle fait valoir que la République hellénique ne saurait fixer des objectifs de qualité sans normes d'émission des déchets. Inversement, l'imposition de seuils d'émission pour les différentes substances concernées ne saurait, selon elle, remplacer l'obligation de déterminer des objectifs de qualité en vue de réduire la pollution, en application de la directive. L'absence d'installations industrielles ne dispenserait pas la République hellénique de l'obligation d'adopter des programmes pour ces régions.

40 La Commission ajoute que les objectifs de qualité ont été fixés par le gouvernement défendeur seulement pour un nombre limité de régions et pour certaines des substances de la liste II. Ces objectifs de qualité ne résulteraient pas d'une étude concrète relevant la pollution existante et décrivant la méthode à suivre pour parvenir à sa réduction. Il serait donc impossible d'estimer leur importance à la lumière de la directive. Ces objectifs de qualité ne seraient pas, en outre, liés à la réduction d'une pollution constatée, comme l'exige la directive, mais à des objectifs particuliers prévus par d'autres directives.

41 Le gouvernement hellénique répond que la première étape de l'étude confiée à l'université de l'Égée - inventaire des sources de pollution, des substances toxiques de la liste II, évaluation des données recueillies, établissement d'une liste de substances susceptibles de se trouver dans le milieu aquatique grec, développement d'un réseau de surveillance des eaux superficielles - est achevée. La deuxième étape de l'étude - prélèvement d'échantillons et analyses des eaux de réception superficielles, rapports techniques provisoires comportant les résultats des prélèvements et rapport complet accompagné de programmes de diminution des rejets des substances en cause - devait être entreprise au mois de juillet 1998 et durer 16 mois.

42 La République hellénique ajoute qu'un inventaire des sources de pollution a été dressé pour tout le territoire et que le réseau de surveillance couvre presque la totalité des eaux superficielles du territoire grec ainsi que les industries à l'origine du rejet d'eaux usées contenant certaines des substances relevant de la liste II. Des mesures fixant des objectifs de qualité pour certaines eaux de réception et pour certaines substances de la liste II auraient été prises. Le gouvernement hellénique invoque le principe tiré de la jurisprudence de votre Cour, selon lequel la transposition en droit interne d'une directive n'exigerait pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition légale expresse et spécifique et pourrait, en fonction de son contenu, se satisfaire d'un contexte juridique général (12).

Appréciation des moyens invoqués

43 S'agissant du premier moyen, selon lequel la République hellénique n'aurait pas arrêté de programmes, la Commission rappelle les obligations auxquelles cet État membre est tenu en indiquant que celui-ci devait dresser un bilan de la situation en matière de pollution des eaux intérieures et des eaux du littoral par les 99 substances relevant de la liste II et, sur la base de ces données, établir le programme de réduction de la pollution fixant les objectifs de qualité et les délais de leur mise en oeuvre (13).

44 Non sans une certaine contradiction, le gouvernement défendeur, tout en prétendant avoir respecté les obligations qui lui incombent, reconnaît que l'étude confiée à l'université de l'Égée, destinée à dresser, en quelque sorte, un état des lieux de la pollution du milieu aquatique grec par les substances relevant de la liste II avant de décrire le contenu des programmes dans un rapport final, n'était pas achevée en juillet 1998. Il ajoute qu'elle devait l'être 16 mois plus tard, soit au mois de décembre 1999 (14).

45 Selon votre jurisprudence constante, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation telle qu'elle se présente au terme du délai fixé dans l'avis motivé. Les changements intervenus par la suite ne sauraient ainsi être pris en compte (15).

46 Le gouvernement défendeur reconnaît lui-même que la partie «inventaire» de l'étude, destinée à identifier les sources de pollution dans le milieu aquatique grec, phase préalable à l'élaboration des programmes de l'article 7, paragraphe 1, n'était pas encore achevée dans l'ensemble des administrations départementales autonomes «... de sorte qu'il est impossible de fournir des données complètes à propos de la situation des eaux superficielles du point de vue de leur pollution par les substances auxquelles se rapporte cette étude» (16).

47 À supposer que le rapport final commandé par les autorités helléniques soit achevé à la date annoncée, il est constant que, au jour où votre Cour a été saisie du présent recours (17), les programmes prescrits par la directive n'étaient pas en place. Il suffit, à cet égard, de rappeler que l'avis motivé de la Commission a été délivré le 23 décembre 1996, invitant le gouvernement hellénique à s'y conformer dans un délai de deux mois. Or, ainsi qu'il ressort de l'annexe II du mémoire en défense de la République hellénique et comme l'a justement relevé la Commission, la mission de recherche a été ordonnée par décision du 4 juin 1997 (18).

48 L'inachèvement, à l'expiration du délai fixé par la Commission, de l'étude confiée à l'université de l'Égée suffirait, selon nous, à caractériser le bien-fondé du premier moyen invoqué par la Commission à l'appui de son recours, les programmes n'étant, par définition, pas établis.

49 Toutefois, pour être complet, il convient d'examiner les autres arguments avancés par le gouvernement hellénique, selon lesquels différents textes assureraient en tout état de cause la transposition de la directive en droit interne.

50 Les programmes à établir en application de l'article 7, paragraphe 1, de la directive ont été clairement définis lors des contentieux précédemment engagés à l'encontre d'autres États membres devant votre juridiction.

51 Ils doivent, selon votre jurisprudence, être spécifiques. Vous avez jugé, à ce sujet, que «Le caractère spécifique des programmes en question consiste dans le fait qu'ils doivent constituer une approche globale et cohérente, ayant le caractère d'une planification concrète et articulée couvrant l'ensemble du territoire national et concernant la réduction de la pollution causée par toutes les substances de la liste II qui sont pertinentes dans le contexte national de chaque État membre, en rapport avec les objectifs de qualité des eaux réceptrices fixés dans ces mêmes programmes. Ils se distinguent donc ... d'un ensemble de mesures ponctuelles visant à réduire la pollution des eaux» (19).

52 Or, les dispositions du droit hellénique invoquées par le gouvernement défendeur présentent un caractère disparate.

53 Les autorités helléniques, en admettant que certaines parties du territoire national ne sont couvertes ni par des mesures comportant la fixation d'objectifs de qualité ni par des dispositions imposant des normes d'émission (20), reconnaissent que la transposition alléguée de la directive ne répond pas à l'approche globale prescrite par ce texte.

54 Pour justifier ces omissions, comme celles qui résultent de ce que les normes d'émission adoptées ne couvrent, par endroit, qu'une partie seulement des substances relevant de la liste II (21), la République hellénique fait valoir que la partie du territoire national concernée ne comporte pas d'activités industrielles dont les déchets seraient susceptibles de contenir les substances en question.

55 Comme la Commission l'a relevé à juste titre, cet argument ne peut être admis, car des activités polluantes peuvent, à tout moment, naître et se développer dans les régions échappant aux contraintes liées à la fixation de normes d'émission. Un État membre ne saurait donc, sans méconnaître l'objectif poursuivi par la directive, exclure a priori et de façon définitive du champ d'application de la norme nationale de transposition certaines parties de son territoire.

56 S'agissant, en particulier, des programmes et des objectifs de qualité qu'ils doivent comporter, la Commission doit être suivie lorsqu'elle fait valoir qu'une région dépourvue d'activités industrielles peut être exposée à des risques sérieux de pollution par le fait soit d'autres types d'activités, telles qu'agricoles, soit d'activités polluantes localisées dans d'autres régions, ce qui justifie concrètement une couverture réglementaire totale conforme à la directive.

57 L'exigence d'une planification couvrant l'ensemble du territoire national et destinée à la réduction de la pollution causée par l'ensemble des substances relevant de la liste II n'est pas davantage respectée, dans la mesure où certaines des dispositions nationales invoquées prévoient des plafonds pour le rejet de certaines substances sans fixation préalable des objectifs de qualité (22). Or, ces objectifs, dont la fixation est imposée par la directive, sont seuls de nature à garantir une vérification régulière de l'état du milieu aquatique et une adaptation consécutive du niveau des normes d'émission précédemment arrêtées, lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes. Leur institution constitue ainsi une véritable obligation de résultat à la charge des États membres, garantie d'une protection effective de l'environnement.

58 La République hellénique n'a pas établi, en outre, avoir fixé des délais de mise en oeuvre des objectifs de qualité, même lorsque ces objectifs sont prévus dans certains des textes invoqués.

59 Ajoutons que, si elle affirme, dans son mémoire en duplique, que «... l'ensemble des eaux de surface est contrôlé par un réseau de surveillance étroite de leur qualité au regard de la présence de substances de la liste II de la directive...» (23), la République hellénique avait clairement signalé dans son mémoire en défense, soit bien après l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, que ce réseau n'existait pas. Elle avait, en effet, indiqué que l'université de l'Égée «... [avait] été chargée de la création d'un réseau de surveillance des eaux de réception superficielles dans tous le pays... » (24).

60 En définitive, s'il poursuit incontestablement des objectifs de protection de l'environnement et, en particulier, du milieu aquatique, le dispositif réglementaire mis en place par les autorités helléniques ne paraît pas avoir été conçu dans l'esprit de la directive ni pour en assurer la transposition. Ainsi, d'ailleurs, que vous l'avez déjà jugé au sujet d'autres dispositifs nationaux prétendument institués en application de ce texte, la réglementation de la République hellénique «... ne constitue qu'une série d'interventions normatives ponctuelles, incapables de constituer un système organisé et articulé d'objectifs de qualité relatif à tel ou tel cours ou plan d'eau...» (25). Elle ne saurait, dès lors, être considérée comme un programme au sens de l'article 7 de la directive.

61 Il y a lieu, en conséquence, de vous proposer d'accueillir le premier moyen invoqué par la Commission.

62 S'agissant du second moyen, il est intimement lié au premier en ce que la République hellénique n'ayant pas arrêté de programmes au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive, des autorisations ne peuvent avoir été délivrées conformément à l'article 7, paragraphe 2.

63 Vous avez jugé, en effet, que «... il résulte notamment de cette dernière disposition que les autorisations en question contiennent des normes d'émission applicables aux rejets individuels autorisés et calculées en fonction des objectifs de qualité préalablement établis dans un programme au sens du paragraphe 1 de la même disposition, destiné à protéger les eaux des plans et cours d'eau en cause. Partant, s'il apparaît que le premier moyen est fondé, le deuxième se confondra avec lui et perdra son objet propre de sorte qu'il ne sera plus nécessaire de l'examiner» (26).

64 L'absence de programmes au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive rend impossible la mise en place d'un système d'autorisations préalables conformes à l'article 7, paragraphe 2. Il n'apparaît donc plus nécessaire d'examiner le second moyen.

Conclusion

65 Au regard des considérations qui précèdent, nous proposons à votre Cour de:

- constater que, en n'arrêtant pas de programmes comprenant des objectifs de qualité et fixant les délais de leur mise en oeuvre afin de réduire la pollution des eaux par les 99 substances dangereuses relevant de la liste II, premier tiret, de l'annexe de la directive 76/464/CEE du Conseil, du 4 mai 1976, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté, et, partant, en ne soumettant pas les rejets effectués dans les eaux et susceptibles de contenir l'une desdites substances à une autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente et fixant les normes d'émission en fonction des objectifs de qualité établis dans lesdits programmes, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et de l'article 7 de ladite directive;

- condamner la République hellénique aux dépens.

(1) - JO L 129, p. 23, ci-après la «directive».

(2) - Article 2.

(3) - Ibidem.

(4) - Annexe de la directive.

(5) - Liste II, premier tiret, de l'annexe de la directive.

(6) - La directive a été notifiée le 5 mai 1976.

(7) - JO C 176, p. 3.

(8) - JO C 46, p. 17.

(9) - JO C 55, p. 7. Article 2.

(10) - Ce chiffre, mentionné dans la lettre de la Commission, n'est pas exact, car la liste en question ne comporte que les 129 premières substances inscrites. On l'obtient cependant en ajoutant les trois substances supplémentaires.

(11) - Cette dernière disposition désigne «certaines substances individuelles et certaines catégories de substances qui font partie des familles et groupes de substances énumérés [sous le présent tiret] et qui ont sur le milieu aquatique un effet nuisible qui peut cependant être limité à une certaine zone et qui dépend des caractéristiques des eaux de réception et de leur localisation.»

(12) - Arrêts du 1er octobre 1991, Commission/France (C-13/90, Rec. p. I-4327); Commission/France (C-14/90, Rec. p. I-4331), et Commission/France (C-64/90, Rec. p. I-4335).

(13) - Point 20 de la requête.

(14) - Point 2 du mémoire en duplique.

(15) - Arrêt du 25 novembre 1998, Commission/Espagne (C-214/96, Rec. p. I-7661, point 25).

(16) - Page 31 de la traduction en français du mémoire en défense.

(17) - Recours en manquement du 6 novembre 1997, reçu au greffe de la Cour le 10 novembre 1997.

(18) - Mission de recherche sur le thème «Reconnaissance de l'état de pollution des eaux de surface par les substances toxiques de la liste II, susceptibles de relever de la liste I de la directive 76/464/CEE et organisation/fonctionnement d'un réseau de surveillance de la qualité des eaux de surface, quant aux substances que révélerait la reconnaissance de l'état de la pollution».

(19) - Arrêt du 21 janvier 1999, Commission/Belgique (C-207/97, Rec. p. I-275, point 40).

(20) - Page 33, deuxième alinéa, de la traduction en français du mémoire en défense.

(21) - Ibidem, pages 11, 14 et 30.

(22) - Voir, par exemple, les arrêtés préfectoraux cités à la page 18 de la traduction en français du mémoire en défense. Le gouvernement hellénique a également précisé que «... des objectifs de qualité ont déjà été fixés pour les eaux de réception qui sont particulièrement sujettes à des rejets de substances dangereuses de la liste II ... pour les autres milieux récepteurs, qui ne connaissent pas de problèmes de rejet de substances de la liste II ... la procédure de fixation d'objectifs de qualité est en cours, puisque la question est envisagée globalement, au moyen d'une étude réalisée par ... l'université de l'Égée» (point 5 du mémoire en duplique, souligné par nous).

(23) - Point 5, sous d).

(24) - Page 33, quatrième alinéa, de la traduction en français.

(25) - Arrêt Commission/Espagne, précité, point 30.

(26) - Arrêt du 11 juin 1998, Commission/Grèce (C-232/95 et C-233/95, Rec. p. I-3343, points 28 et 29, souligné par nous).

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