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Document 61996CJ0342

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 29 avril 1999.
    Royaume d'Espagne contre Commission des Communautés européennes.
    Aides d'Etat - Application du taux d'intérêt légal dans le cadre d'accords de remboursement de salaires et du paiement de dettes en cotisations de sécurité sociale.
    Affaire C-342/96.

    Recueil de jurisprudence 1999 I-02459

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1999:210

    61996J0342

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 29 avril 1999. - Royaume d'Espagne contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'Etat - Application du taux d'intérêt légal dans le cadre d'accords de remboursement de salaires et du paiement de dettes en cotisations de sécurité sociale. - Affaire C-342/96.

    Recueil de jurisprudence 1999 page I-02459


    Sommaire
    Parties
    Motifs de l'arrêt
    Décisions sur les dépenses
    Dispositif

    Mots clés


    Aides accordées par les États - Notion - Accords de remboursement de sommes avancées par des organismes publics à une entreprise en faillite ou en difficulté - Taux d'intérêts appliqué

    (Traité CE, art. 92)

    Sommaire


    Pour apprécier si une mesure étatique constitue une aide au sens de l'article 92 du traité, il convient de déterminer si l'entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu'elle n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché. Dans le cas d'une entreprise en faillite ou en difficulté, pour laquelle des organismes publics ont avancé des sommes pour le paiement des salaires des employés ou pour le paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale et avec laquelle ces organismes ont aménagé les modalités de remboursement de ces avances sous forme d'accords permettant d'échelonner ou de fractionner les sommes dues, doit nécessairement être pris en considération le fait que lesdits accords ont été conclus en raison de la circonstance que préexistait l'obligation légale pour l'entreprise de procéder auxdits paiements, de sorte que les accords n'ont pas fait naître de nouvelles dettes de l'entreprise à l'égard des pouvoirs publics. Or, les intérêts normalement applicables à ce type de créances sont ceux qui sont destinés à réparer le préjudice subi par le créancier à raison du retard dans l'exécution par le débiteur de son obligation de se libérer de sa dette, à savoir les intérêts moratoires. Pour que le taux de ces intérêts moratoires ne constitue pas un élément d'aide d'État, il convient, dans le cas où ce taux appliqué aux dettes à l'égard d'un créancier public diffère de celui pratiqué pour les dettes à l'endroit d'un créancier privé, de retenir ce dernier taux dans l'occurrence où il serait plus élevé que le premier.

    Parties


    Dans l'affaire C-342/96,

    Royaume d'Espagne, représenté par Mme Paloma Plaza García, abogado del Estado, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Espagne, 4-6, boulevard E. Servais,

    partie requérante,

    contre

    Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Paul F. Nemitz et Fernando Castillo de la Torre, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

    partie défenderesse,

    ayant pour objet un recours tendant à l'annulation, en vertu de l'article 173 du traité CE, de la décision 97/21/CECA, CE de la Commission, du 30 juillet 1996, concernant une aide d'État accordée à la Compañía Española de Tubos por Extrusión SA, située à Llodio (Álava) (JO 1997, L 8, p. 14),

    LA COUR

    (sixième chambre),

    composée de MM. G. Hirsch (rapporteur), président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, G. F. Mancini, et H. Ragnemalm, juges,

    avocat général: M. A. La Pergola,

    greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

    vu le rapport d'audience,

    ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 14 mai 1998, au cours de laquelle le gouvernement espagnol était représenté par Mme Nuria Díaz Abad, abogado del Estado, en qualité d'agent, et la Commission par MM. Paul F. Nemitz et Juan Guerra Fernández, membre du service juridique, en qualité d'agent,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 juillet 1998,

    rend le présent

    Arrêt

    Motifs de l'arrêt


    1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 octobre 1996, le royaume d'Espagne a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE, demandé l'annulation de la décision 97/21/CECA, CE de la Commission, du 30 juillet 1996, concernant une aide d'État accordée à la Compañía Española de Tubos por Extrusión SA, située à Llodio (Álava) (JO 1997, L 8, p. 14, ci-après la «décision litigieuse»).

    2 La Compañía Española de Tubos por Extrusión SA (ci-après «Tubacex») est une société de droit privé, établie à Llodio (Álava), qui produit des tubes d'acier sans soudure. Elle possède une filiale qui produit de l'acier, Acería de Álava, établie à Amurrio (Álava).

    3 En juin 1992, après plusieurs années de graves difficultés financières, Tubacex a été déclarée insolvable à titre provisoire, conformément à la ley española de suspensión de pagos (loi espagnole sur la cessation des paiements), et a cessé ses paiements. En octobre 1993, un accord avec les créanciers a permis de lever cette cessation.

    4 Le 25 février 1995, après avoir procédé à des vérifications préliminaires poussées sur les divers éléments de la restructuration financière de l'entreprise et sur d'autres aspects qui y étaient liés, la Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE et à l'article 6, paragraphe 4, de la décision n_ 3855/91/CECA de la Commission, du 27 novembre 1991, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 362, p. 57), en ce qui concerne notamment les éléments d'aide éventuellement contenus dans les accords de remboursement conclus avec le Fondo de Garantía Salarial (ci-après le «Fogasa») et la restructuration financière de Tubacex, en particulier les éléments d'aide éventuellement contenus dans la participation de la Trésorerie générale de la sécurité sociale à la levée de la suspension du remboursement de la dette.

    La législation nationale applicable

    Le Fogasa

    5 Le Fogasa est un organisme indépendant placé sous la tutelle du ministère du Travail et de la Sécurité sociale et financé par les cotisations des entreprises. Sa principale fonction consiste, aux termes de l'article 33, premier alinéa, du statut des travailleurs, à verser «aux salariés les salaires qui ne leur ont pas été payés pour cause d'insolvabilité, cessation des paiements, faillite ou situation de concours entre les créanciers des entrepreneurs». L'article 33, quatrième alinéa, oblige le Fogasa à se subroger dans les droits et actions des travailleurs afin d'obtenir le remboursement des sommes avancées.

    6 Les formalités à accomplir afin d'obtenir le remboursement sont précisées dans le décret royal n_ 505/85, du 6 mars 1985, relatif à l'organisation et au fonctionnement du Fogasa, qui vient compléter le statut des travailleurs. L'article 32, paragraphe 1, de ce décret royal précise à cet égard:

    «Afin de faciliter le recouvrement des sommes dues, le Fonds de garantie salariale peut conclure des accords de remboursement définissant les aspects relatifs à la forme, au délai et aux garanties, en associant l'effet de l'action subrogatoire aux exigences de continuité de l'entreprise et de préservation de l'emploi.

    Les sommes dont le remboursement a été rééchelonné portent intérêt au taux légal en vigueur.»

    La sécurité sociale

    7 Aux termes de l'article 20 de la loi générale sur la sécurité sociale:

    «1. Des échelonnements ou un fractionnement du paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale ou en majorations de ces cotisations peuvent être accordés.»

    Aux dettes rééchelonnées s'ajoutent, conformément à l'article 27 de cette même loi, des majorations de retard.

    8 Les conditions d'échelonnement et de fractionnement des paiements sont précisées par le décret royal n_ 1517/91, du 11 octobre 1991, portant approbation du règlement général de perception des ressources du régime de sécurité sociale. Ce décret royal, qui constitue le fondement de l'intervention de la Trésorerie générale de la sécurité sociale, prévoit à son article 41, intitulé «Forme, conditions et modalités»:

    «2. ... l'échelonnement ou le fractionnement du paiement de dettes envers la Sécurité sociale donne lieu au versement, à compter de la date à laquelle l'octroi de l'échelonnement et du fractionnement prend effet jusqu'à la date du paiement, d'intérêts au taux légal qui sera en vigueur au moment de l'octroi, en application des dispositions de la loi 24/1984, du 29 juin.»

    Les accords de remboursement conclus avec le Fogasa

    9 Dès l'ouverture de la procédure de cessation des paiements, en juin 1992, les travailleurs des entreprises concernées se sont adressés au Fogasa pour solliciter le paiement des salaires qui leur étaient dus. A la suite de négociations, Tubacex, Acería de Álava et le Fogasa ont conclu, le 10 juillet 1992, un accord en vertu duquel ce dernier verserait aux salariés des salaires dont le montant total avait été provisoirement fixé à 444 327 300 PTA. Les deux entreprises se sont engagées, pour leur part, à rembourser ce montant, majoré de 211 641 186 PTA d'intérêts calculés à un taux annuel simple de 10 %, par échéances semestrielles de 40 998 011 PTA sur une période de huit ans.

    10 Après paiement des salariés, l'accord de remboursement a fait l'objet d'une révision, le 8 février 1993, aux termes de laquelle les sommes dues s'élevaient à 376 194 837 PTA pour le principal, majorées de 183 473 133 PTA d'intérêts, montant remboursable en seize échéances semestrielles, à un taux d'intérêt de 9 %, à compter du 1er août 1993. Le montant des échéances, y compris les intérêts, passait progressivement de 33 millions de PTA au début de la période de remboursement à 37 millions de PTA en fin de période, les intérêts étant réduits progressivement. Une révision ultérieure, en date du 16 février 1994, a fixé les sommes dues à 372 millions de PTA pour le principal, montant auquel s'ajoutait 154 138 830 PTA d'intérêts, remboursables à un taux d'intérêt de 9 %.

    11 Le 10 mars 1994, un nouvel accord a été signé pour tenir compte d'un plan social conclu avec les salariés. Les montants à rembourser s'élevaient à 465 727 750 PTA pour le principal, et à 197 580 900 PTA au titre des intérêts, remboursables à compter du 30 décembre 1994 sur une période de huit ans à un taux d'intérêt simple de 9 %. Le paiement des intérêts était différé jusqu'aux trois dernières années de ladite période et les remboursements portant sur 71 % du montant du principal ne seraient exigibles qu'à compter du 30 décembre 1998. Selon les autorités espagnoles, après la signature de ce deuxième arrangement, l'entreprise a proposé le paiement immédiat de 4 194 839 PTA, montant correspondant au premier accord de remboursement et à plusieurs nouveaux accords de garantie hypothécaire qui lui étaient liés.

    12 Ce deuxième accord de remboursement a également été révisé, en vertu d'un compromis conclu le 3 octobre 1994. Il ressort de ce dernier que le montant dû s'élevait en définitive à 469 491 521 PTA pour le principal, augmenté de 205 335 378 PTA d'intérêts, remboursables sur une période de huit ans à compter du 30 décembre 1994. Le paiement des intérêts était repoussé jusqu'aux trois dernières années de ladite période et les remboursements afférents à 70 % du montant du principal différés jusqu'au 30 décembre 1998.

    Les accords de rééchelonnement et de fractionnement des cotisations conclus avec la Trésorerie générale de la sécurité sociale

    13 Tubacex avait, à l'égard de la sécurité sociale, une série de dettes, qui ont été réglées par l'accord de levée de l'état de cessation des paiements d'octobre 1993 (voir le point 3 du présent arrêt). A la suite de cet accord, Tubacex et Acería de Álava ont de nouveau cessé de verser les cotisations de sécurité sociale dans les délais légaux, accumulant ainsi une dette de 1 156 601 560 PTA pour Tubacex, et de 255 325 925 PTA pour Acería de Álava. A ces dettes se sont ajoutées, conformément à l'article 27 de la loi générale sur la sécurité sociale, des majorations de retard à hauteur de 20 % pour des montants respectifs de 253 335 669 PTA et de 49 083 697 PTA, ce qui représentait des montants totaux de 1 409 957 329 PTA et de 274 409 604 PTA à verser par Tubacex et Acería de Álava respectivement.

    14 Les 25 mars et 12 avril 1994, la Trésorerie générale de la sécurité sociale a passé des accords avec Tubacex et Acería de Álava en vue du recouvrement des dettes contractées par ces dernières à son égard. Par ces accords, les parties sont convenues de rééchelonner ces dettes et d'en fractionner le paiement conformément aux dispositions de la réglementation nationale citées aux points 7 et 8 du présent arrêt. Selon le premier de ces accords, Acería de Álava devait rembourser à titre principal sa dette de 274 409 604 PTA, majorée des intérêts au taux de 9 %. Le remboursement devait s'effectuer progressivement, sur une période de cinq ans, et 51 % du montant dû ne seraient versés que la cinquième année. Le second accord, conclu avec Tubacex, prévoyait que le remboursement échelonné de la dette d'un montant de 1 409 957 329 PTA, augmenté des intérêts calculés également au taux de 9 %, devait intervenir à des conditions analogues à celles dont bénéficiait Acería de Álava.

    La décision litigieuse

    15 Aux termes de l'article 1er de la décision litigieuse:

    «Les mesures adoptées par l'Espagne en faveur de la Compañía Española de Tubos por Extrusión SA (Tubacex) et de Acería de Álava contiennent des éléments d'aide qui ont été octroyés illégalement et sont incompatibles avec le marché commun en vertu de l'article 92 du traité CE et de la décision n_ 3855/91/CECA, dans la mesure où le taux d'intérêt appliqué est inférieur aux taux pratiqués sur le marché. Les mesures concernées sont les suivantes:

    1) l'arrangement de crédit conclu, le 10 juillet 1992, entre le Fonds de garantie salariale (FOGASA), d'une part, et Tubacex et Acería de Álava, d'autre part, pour un montant de 444 327 300 pesetas espagnoles au titre du principal, modifié par les accords du 8 février 1993 et du 16 février 1994 (portant respectivement sur des montants de 376 194 872 pesetas espagnoles et 372 millions de pesetas espagnoles au titre du principal);

    2) l'arrangement de crédit conclu, le 10 mars 1994, entre le FOGASA, d'une part, et Tubacex et Acería de Álava, d'autre part, pour un montant de 465 727 750 pesetas espagnoles au titre du principal, modifié par l'accord du 3 octobre 1994 (portant sur un total de 469 491 521 pesetas espagnoles au titre du principal);

    3) l'accord conclu, le 25 mars 1994, entre la sécurité sociale et Acería de Álava, prévoyant le rééchelonnement des dettes de cette entreprise, pour un montant de 274 409 604 pesetas espagnoles;

    4) l'accord conclu, le 12 avril 1994, entre la sécurité sociale et Tubacex, prévoyant le rééchelonnement des dettes de cette entreprise, pour un montant de 1 409 957 329 pesetas espagnoles.»

    16 L'article 2 de la décision litigieuse prévoit:

    «L'Espagne est invitée à supprimer les éléments d'aide contenus dans les mesures visées à l'article 1er en retirant ces mesures ou en appliquant un taux d'intérêt correspondant aux conditions normales du marché à compter des dates d'octroi des crédits du FOGASA et de rééchelonnement de la dette à l'égard de la sécurité sociale postérieure à la suspension du remboursement. Le montant correspondant à la différence entre ce taux et le taux qui a effectivement été appliqué jusqu'à la date de suppression de l'aide est récupéré auprès des entreprises concernées.

    Ce montant est restitué conformément aux procédures et aux dispositions de la législation espagnole, majoré des intérêts correspondants. Le taux d'intérêt appliqué est le taux normal du marché visé à l'alinéa précédent; les intérêts sont perçus sur la période de la date d'octroi de l'aide à la date de sa restitution effective.»

    17 A l'appui de son recours, le royaume d'Espagne invoque deux moyens tirés d'une violation des articles 118 et 92, paragraphe 1, du traité.

    Sur la violation de l'article 118 du traité

    18 Le royaume d'Espagne soutient tout d'abord que les mesures que la Commission a qualifiées d'aides d'État sont, en réalité, des arrangements découlant du droit du travail, et plus précisément de la réglementation de la sécurité sociale, une matière qui relève de la compétence exclusive des États membres et dans laquelle la Commission exerce un simple rôle de proposition et de coordination. En particulier, le Fogasa se limiterait à verser aux travailleurs les salaires qui n'ont pas été payés par l'entreprise, en assumant ainsi une fonction de «garantie salariale» qui ferait partie intégrante des dispositions mêmes du contrat de travail. Quant au recouvrement des dettes des entreprises envers la Trésorerie générale de la sécurité sociale en cas de non-versement des cotisations dues, il serait régi par la loi générale sur la sécurité sociale; il s'agirait, par conséquent, d'une règle de la sécurité sociale établissant les modalités de paiement des obligations que cette même loi institue.

    19 Selon la Commission, en revanche, l'intervention du Fogasa et de la sécurité sociale n'a pas de finalité sociale directe. La fonction essentielle de ce premier serait de garantir le paiement des salaires non versés par les entreprises. A cet égard, les dispositions du statut des travailleurs ne seraient pas affectées par la décision litigieuse, puisque celle-ci n'aurait jamais mis en cause ce paiement. S'agissant de la Trésorerie générale de la sécurité sociale, elle se bornerait à échelonner une série de dettes dans le seul but de résoudre les problèmes financiers de l'entreprise, les droits des travailleurs ayant été parfaitement préservés par ailleurs puisque ces derniers auraient perçu leurs salaires et ne seraient nullement affectés en ce qui concerne la couverture des risques par la sécurité sociale.

    20 Il convient de rappeler que l'article 118, premier alinéa, du traité confère à la Commission, sans préjudice des autres dispositions du traité et conformément aux objectifs généraux de celui-ci, la «mission de promouvoir une collaboration étroite entre les États membres dans le domaine social...». Le deuxième alinéa prévoit que la Commission agit à cet effet en contact étroit avec les États membres par des études, des avis et par l'organisation de consultations.

    21 L'article 118 du traité respecte ainsi la compétence des États membres dans le domaine social, pour autant que celui-ci ne fasse pas partie des domaines régis par d'autres dispositions du traité (arrêt du 9 juillet 1987, Allemagne e.a./Commission, 281/85, 283/85 à 285/85 et 287/85, Rec. p. 3203, point 14).

    22 Le fait que la Commission constate, à l'article 1er de la décision litigieuse, que les mesures adoptées par le royaume d'Espagne en faveur de Tubacex et d'Acería de Álava contiennent des éléments d'aide qui ont été octroyés illégalement et sont incompatibles avec l'article 92 du traité et la décision n_ 3855/91 ne remet donc pas en cause la compétence des États membres dans le domaine social, ceux-ci devant toutefois respecter les règles communautaires sur la concurrence.

    23 La Cour a d'ailleurs déjà jugé que le caractère social des interventions étatiques ne suffit pas à les faire échapper d'emblée à la qualification d'aides au sens de l'article 92 du traité (arrêt du 26 septembre 1996, France/Commission, C-241/94, Rec. p. I-4551, point 21).

    24 Le premier moyen tiré d'une violation de l'article 118 du traité ne saurait, par conséquent, être accueilli.

    Sur la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité

    25 Il convient d'observer à titre liminaire que le royaume d'Espagne se limite, en l'espèce, à invoquer une violation de l'article 92 du traité, sans contester la validité de la décision litigieuse au regard de la décision n_ 3855/91.

    26 L'application de cette dernière décision se justifie en raison du fait que, conformément au deuxième considérant du chapitre VI de la décision litigieuse, Acería de Álava fabrique des produits énumérés dans l'annexe I du traité CECA et relève donc du champ d'application de ce traité et notamment des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie.

    27 En revanche, les mesures adoptées en faveur de Tubacex relèvent, conformément au quatrième considérant du même chapitre VI, des articles 92 et 93 du traité, les activités de cette société, qui consistent dans la fabrication de tubes d'acier inoxydable sans soudure, étant considérées comme des activités hors CECA.

    28 Dans ces conditions, eu égard au fait que, par son deuxième moyen, le royaume d'Espagne ne conteste la légalité de la décision litigieuse qu'au regard de l'article 92 du traité, sa demande visant à l'annulation de cette décision doit donc être rejetée en tant que celle-ci déclare incompatibles avec la décision n_ 3855/91 les mesures adoptées par le royaume d'Espagne en faveur d'Acería de Álava.

    29 En ce qui concerne les mesures adoptées en faveur de Tubacex, le royaume d'Espagne soutient que celles-ci ne réunissent pas les conditions pour être qualifiées d'aides d'État au sens de l'article 92 du traité. En effet, selon lui, lesdites mesures ne constituent pas des aides concernant, de manière spécifique, une entreprise ou un secteur de production déterminé, ne proviennent pas de ressources de l'État ni n'obèrent le niveau de celles-ci et ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la concurrence.

    Sur l'atteinte à la concurrence

    30 Sur ce point, qu'il convient d'examiner d'abord, le royaume d'Espagne fait grief à la Commission d'avoir considéré à tort, aux cinquième, sixième et onzième considérants du chapitre V de la décision litigieuse, que l'application du taux d'intérêt légal de 9 % aux accords de remboursement conclus avec le Fogasa et aux accords de rééchelonnement et de fractionnement des cotisations passés avec la Trésorerie générale de la sécurité sociale ne correspond pas aux conditions normales du marché, dans lesquelles le taux d'intérêt moyen appliqué par les banques privées d'Espagne aux prêts d'une durée supérieure à trois ans est considérablement plus élevé que celui qui a été mis en oeuvre dans les arrangements.

    31 Le royaume d'Espagne rappelle, à titre liminaire, que, ainsi que la Commission l'a elle même affirmé au quatrième considérant du chapitre V, les arrangements entre le Fogasa et Tubacex ne contiennent pas d'éléments d'aides d'État. Les mesures prises par le Fogasa et par la sécurité sociale en faveur de Tubacex n'auraient donc pas la qualité d'un prêt, ces organismes n'ayant fait qu'assurer le recouvrement de leurs créances par le biais d'un rééchelonnement. Ils auraient donc agi comme l'aurait fait un créancier privé afin de recouvrer ses créances.

    32 Il précise que le taux d'intérêt que le créancier applique en cas de rééchelonnement du paiement de sa créance n'obéit jamais aux mêmes critères que ceux qu'une banque privée utilise lorsqu'elle accorde un prêt, dans la mesure où un prêt et le rééchelonnement d'une dette poursuivent des objectifs distincts. En effet, selon lui, un créancier ne cherche pas à réaliser un bénéfice extraordinaire sur l'argent qui lui est dû, mais souhaite seulement recouvrer la totalité des sommes avancées par lui sans subir un préjudice financier. A cet effet, lorsqu'il accorde un rééchelonnement de sa créance dans le but d'obtenir le remboursement de celle-ci, il exige le paiement supplémentaire d'un intérêt qui a pour objet de compenser la dépréciation que l'argent subira en raison du rééchelonnement.

    33 En revanche, une banque privée qui accorde un prêt ne poursuivrait pas le même but. Le taux d'intérêt qu'elle exige de son client n'aurait pas pour objectif de lui éviter le préjudice qui résulterait de la dépréciation monétaire. Au contraire, les intérêts seraient le bénéfice que chaque banque cherche à obtenir en accordant un prêt puisque ce serait précisément de l'appropriation des revenus de l'argent que la banque privée tire ses ressources économiques et dans la mesure où le gain constituerait sa finalité ainsi que sa raison d'être, les banques étant des organismes à but lucratif.

    34 Dès lors, pour déterminer les conditions normales du marché, il faudrait donc comparer le comportement de Fogasa et de la Trésorerie générale de la sécurité sociale avec celui d'un créancier, public ou privé, agissant dans le but de recouvrer sa créance.

    35 La Commission précise d'abord que, dans la mesure où l'article 33 du statut des travailleurs fait obligation au Fogasa de verser les salaires des travailleurs en cas de cessation des paiements et de se subroger dans les droits de ceux-ci pour le recouvrement des sommes payées, il s'agit d'une obligation générale et objective dont le fondement se trouve dans la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23). Cette intervention ne constituerait pas une aide dès lors qu'elle n'est pas réservée à une catégorie spécifique d'entreprises. La question faisant l'objet du litige concernerait cependant les modalités de remboursement de la dette contractée en conséquence dudit paiement des salaires.

    36 La Commission admet ensuite que les institutions publiques, lorsqu'elles prêtent de l'argent, ne le font pas à des fins lucratives. Toutefois, les intérêts constituant une charge normale de l'entreprise, ils auraient donc dû être imputés sur les ressources financières propres de cette dernière. Il conviendrait, dans ces conditions, d'examiner ce qui se serait passé si la Trésorerie générale de la sécurité sociale ou le Fogasa avaient refusé tout échelonnement du remboursement, comme ils étaient en droit de le faire. Or, dans une telle éventualité, Tubacex aurait dû recourir au marché des capitaux, à des conditions moins favorables que celles offertes par l'administration.

    37 Selon la Commission, il semble logique de conclure à l'existence de l'aide dès lors qu'elle a constaté, aux sixième et onzième considérants du chapitre V de la décision litigieuse, un différentiel en 1994 de 3,51 % entre le taux légal de 9 % et le taux du marché de 12,51 %, l'échelonnement d'une dette équivalant, en termes économiques, à l'attribution d'un prêt.

    38 La Commission relève, par ailleurs, que l'idée qu'un créancier ne cherche jamais à obtenir un avantage économique lorsqu'il conclut un contrat de crédit ou de prêt exprime une vision erronée du fonctionnement du marché. Toute entreprise créancière agirait également de façon à obtenir un bénéfice. En outre, s'agissant de Tubacex, qui était une entreprise en difficulté sortant d'une crise financière importante, un créancier aurait tenu compte de ce risque en exigeant un taux d'intérêt plus élevé.

    39 Enfin, la Commission soutient que, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'une dette antérieure et donc existante au moment de la déclaration de cessation des paiements pour laquelle on pourrait penser qu'un créancier peut faire certaines concessions, mais, au contraire, de la négociation et de la conclusion d'un nouvel accord au sujet de sommes dues après la cessation des paiements.

    40 L'article 92, paragraphe 1, du traité déclare incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

    41 La Cour a jugé à cet égard que, afin d'apprécier si une mesure étatique constitue une aide au sens de l'article 92 du traité, il convient de déterminer si l'entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu'elle n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 60).

    42 Elle a également jugé que des prêts bonifiés, consentis par les pouvoirs publics à une entreprise, permettent à celle-ci de ne pas avoir à supporter des coûts qui auraient normalement dû grever les ressources financières propres de cette entreprise et empêchent ainsi que les forces en présence sur le marché ne produisent leurs conséquences normales (arrêt du 14 février 1990, France/Commission, C-301/87, Rec. p. I-307, point 41).

    43 En l'espèce, il convient tout d'abord de constater que, ainsi qu'il ressort du douzième considérant du chapitre IV de la décision litigieuse, le Fogasa ne consent pas des prêts aux entreprises en faillite ou en difficulté, mais satisfait toutes les demandes légitimes présentées par les travailleurs avec l'argent qu'il verse et récupère ensuite auprès des entreprises. En effet, la législation nationale applicable oblige cet organisme à se subroger dans les droits et actions des travailleurs afin d'obtenir le remboursement des sommes avancées. Afin de faciliter le recouvrement des sommes dues, le Fogasa peut conclure des accords de remboursement lui permettant d'échelonner ou de fractionner les sommes dues.

    44 De même, la Trésorerie générale de la sécurité sociale peut accorder des échelonnements ou des fractionnements du paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale.

    45 Au quatrième considérant du chapitre V de la décision litigieuse, la Commission affirme que, sous cet aspect, les arrangements avec le Fogasa ne contiennent pas d'éléments d'aides d'État.

    46 Il convient ensuite de relever que l'État ne s'est pas comporté comme un investisseur public dont l'intervention devrait être comparée au comportement d'un investisseur privé qui place son capital en vue d'une rentabilisation à plus ou moins court terme de celui-ci (voir arrêt du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-42/93, Rec. p. I-4175, point 14). En effet, en supposant acquis, ainsi que l'admet la Commission, le fait que les sommes avancées par le Fogasa pour le paiement des salaires des employés de Tubacex ne revêtent pas le caractère d'une aide d'État, il en résulte que, en aménageant les modalités de remboursement desdites avances, le Fogasa doit être réputé avoir agi comme un créancier public qui, à l'instar d'un créancier privé, cherche à récupérer des sommes qui lui sont dues et qui conclut, à cet effet, des accords avec le débiteur, en vertu desquels les dettes accumulées seront échelonnées ou fractionnées en vue de faciliter leur remboursement.

    47 A cet égard doit nécessairement être pris en considération le fait que, contrairement à ce que soutient la Commission, les accords mentionnés aux points 9 à 14 du présent arrêt ont été conclus en raison de la circonstance que préexistait l'obligation légale pour Tubacex de procéder au remboursement des salaires avancés par le Fogasa et au paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale. Les accords en cause n'ont donc pas fait naître de nouvelles dettes de Tubacex à l'égard des pouvoirs publics.

    48 Les intérêts normalement applicables à ce type de créances sont ceux qui sont destinés à réparer le préjudice subi par le créancier à raison du retard dans l'exécution par le débiteur de son obligation de se libérer de sa dette, à savoir les intérêts moratoires. Dans l'hypothèse où le taux des intérêts moratoires appliqué aux dettes à l'égard d'un créancier public différerait de celui pratiqué pour les dettes à l'endroit d'un créancier privé, il conviendrait de retenir ce dernier taux dans l'occurrence où il serait plus élevé que le premier.

    49 Il résulte de ce qui précède que la décision litigieuse doit être annulée en tant qu'elle déclare incompatibles avec l'article 92 du traité les mesures adoptées par le royaume d'Espagne en faveur de Tubacex, dans la mesure où le taux d'intérêt de 9 % appliqué aux sommes dues par cette dernière au Fogasa et à la Trésorerie générale de la sécurité sociale est inférieur aux taux pratiqués sur le marché.

    Décisions sur les dépenses


    Sur les dépens

    50 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 69, paragraphe 3, premier alinéa, du même règlement, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le royaume d'Espagne et la Commission ayant partiellement succombé en leurs conclusions, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

    Dispositif


    Par ces motifs,

    LA COUR

    (sixième chambre)

    déclare et arrête:

    1) La décision 97/21/CECA, CE de la Commission, du 30 juillet 1996, concernant une aide d'État accordée à la Compañía Española de Tubos por Extrusión SA est annulée en tant qu'elle déclare incompatibles avec l'article 92 du traité CE les mesures adoptées par le royaume d'Espagne en faveur de la Compañía Española de Tubos por Extrusión SA dans la mesure où le taux d'intérêt de 9 % appliqué aux sommes dues par cette dernière au Fondo de Garantía Salarial et à la Trésorerie générale de la sécurité sociale est inférieur aux taux pratiqués sur le marché.

    2) Le recours est rejeté pour le surplus.

    3) Chaque partie supportera ses propres dépens.

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