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Document 61996CC0392
Opinion of Mr Advocate General La Pergola delivered on 17 December 1998. # Commission of the European Communities v Ireland. # Environment - Directive 85/337/EEC - Assessment of the effects of certain public or private projects - Setting of thresholds. # Case C-392/96.
Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 17 décembre 1998.
Commission des Communautés européennes contre Irlande.
Environnement - Directive 85/337/CEE - Evaluation des incidences de certains projet publics ou privés - Détermination des seuils.
Affaire C-392/96.
Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 17 décembre 1998.
Commission des Communautés européennes contre Irlande.
Environnement - Directive 85/337/CEE - Evaluation des incidences de certains projet publics ou privés - Détermination des seuils.
Affaire C-392/96.
Recueil de jurisprudence 1999 I-05901
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1998:612
Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 17 décembre 1998. - Commission des Communautés européennes contre Irlande. - Environnement - Directive 85/337/CEE - Evaluation des incidences de certains projet publics ou privés - Détermination des seuils. - Affaire C-392/96.
Recueil de jurisprudence 1999 page I-05901
I - Introduction
1 A quelques mois de distance de l'arrêt du 22 octobre 1998, Commission/Allemagne (C-301/95, non encore publié au Recueil), la Cour est de nouveau appelée à se prononcer sur la transposition correcte de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (ci-après la «directive») (1). En l'espèce, il s'agit d'établir si l'Irlande a adopté les mesures nécessaires pour assurer la transposition correcte de la directive dans sa législation nationale.
II - La phase précontentieuse
2 Le 13 octobre 1989, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à l'Irlande, conformément à la procédure prévue à l'article 169 du traité CE. A la suite de cette mise en demeure, l'Irlande a communiqué à la Commission la législation irlandaise de transposition de la directive: la SI n_ 349 de 1989 et la SI n_ 25 de 1990.
3 Le 7 novembre 1991, la Commission, après avoir examiné la législation irlandaise, a adressé à l'Irlande une nouvelle mise en demeure, qui a été suivie d'une lettre en réponse du gouvernement irlandais, du 12 mai 1992.
4 Le 28 avril 1993, la Commission a adressé un avis motivé, par lequel elle reprochait à l'Irlande:
a) de ne pas avoir transposé l'article 3 de la directive;
b) de ne pas avoir correctement transposé l'article 4, paragraphe 2, et l'annexe II de la directive;
c) de ne pas avoir correctement transposé les exemptions visées à l'article 2, paragraphe 3, de la directive;
d) de ne pas avoir correctement défini les informations à fournir par le maître d'ouvrage conformément à l'article 5 de la directive;
e) de ne pas avoir correctement défini les informations devant être fournies au public conformément à l'article 6, paragraphe 2, de la directive;
f) de ne pas avoir correctement défini les informations devant être fournies aux autres États membres, conformément à l'article 7 de la directive;
g) de ne pas avoir transposé la directive dans le délai fixé à l'article 12 de celle-ci.
5 Après l'adoption de l'avis motivé, un échange de communications entre l'Irlande et la Commission s'en est suivi. Par lettre du 20 août 1993, l'Irlande a contesté une partie de l'avis motivé. Par lettre du 7 décembre 1994, elle a communiqué les Local Government Regulations 1994; par lettre du 7 mai 1996, elle a transmis la SI n_ 101 de 1996. Un autre échange de correspondances a eu lieu entre la Commission et l'Irlande à propos de la plainte n_ P 95/4724 concernant le reboisement et de la plainte n_ P 95/4219 concernant l'extraction de tourbe.
Analyse juridique
6 Le présent litige concerne les mesures adoptées par l'Irlande pour transposer dans son ordre juridique la directive.
7 Comme nous l'expliquerons plus avant, l'Irlande ne conteste pas le grief tiré de la transposition incorrecte de l'article 2, paragraphe 3, et des articles 5 et 7 de la directive. Les griefs dont nous nous occuperons dans la suite des présentes conclusions sont les autres reproches concernant les dispositions par lesquelles l'Irlande s'est prévalue de la faculté, reconnue aux États membres par l'article 4, paragraphe 2, de la directive, de fixer des critères et des seuils aux fins de la détermination des projets, parmi ceux figurant sous les classes (ou catégories) énumérées à l'annexe II, devant faire l'objet d'une évaluation préalable sous l'angle des incidences sur l'environnement, conformément aux dispositions des articles 5 à 10 de cette directive. Les mesures en question excèdent, selon la Commission, les limites du pouvoir discrétionnaire reconnu à l'État défendeur.
8 Les griefs présentement en cause ne portent, en substance, que sur trois classes de projets: affectation de terres incultes ou d'étendues semi-naturelles à l'exploitation agricole intensive; premiers reboisements ou défrichements; extraction de tourbe. Pour conclure que les seuils retenus par les autorités irlandaises vont à l'encontre des prescriptions de la directive, la Commission formule des observations de caractère général concernant les trois classes de projets soumises à l'examen de la Cour, en y ajoutant de surcroît les arguments sur la base desquels les critiques adressées à l'Irlande devraient être regardées comme justifiées de manière précise sous les différents aspects du recours.
Ces observations d'ordre général peuvent, résumées de manière synthétique, être exposées comme suit.
9 Lors de la fixation des seuils, l'État défendeur aurait omis d'établir une distinction entre les zones qui ont une importance et une valeur reconnues pour la conservation de la nature et les zones qui n'en ont pas; il n'aurait pas tenu compte de ce que les zones pertinentes aux fins de la conservation de la nature (ou de la sauvegarde du patrimoine archéologique ou géomorphologique, ou autres valeurs environnementales, selon le cas) ont souvent une étendue nettement inférieure par rapport au niveau spatial d'application des projets, établi par lesdits seuils, ni tenu compte de l'inexistence, en Irlande, d'autres procédures d'évaluation préalable appropriées pour ce qui est des projets n'atteignant pas le seuil, formellement arrêtées au moyen d'une loi (statutory instrument) et répondant aux fins et aux règles posées par la directive.
Les autorités irlandaises n'auraient pas non plus considéré de façon appropriée le fait que des projets relevant des classes faisant l'objet du litige peuvent avoir une incidence sensible sur l'environnement, même s'ils n'atteignent pas le seuil fixé, du fait des effets inhérents au développement d'un projet dans le temps, ou à la réalisation simultanée de projets distincts dans des zones contiguës de la part de plusieurs sujets intéressés, lorsqu'aucun de ces projets n'excède à lui seul la limite du seuil, alors que leur effet cumulatif ou leur développement dans le temps peuvent léser les valeurs environnementales et ne sauraient dès lors être soustraits à l'examen préventif prescrit par la directive.
10 L'Irlande conteste, de son côté, toute la série des arguments avancés par la Commission en ce qu'ils seraient privés de fondement pour ce qui est des dispositions tirées de la directive, concernant les seuils, et dans la lecture qu'en a donné la Cour. La Commission serait en outre en défaut de prouver que le seuil, tel qu'il a été fixé en liaison avec les classes de projets présentement en cause, s'est traduit concrètement, sous l'un quelconque des aspects soulevés dans le recours, par une atteinte à l'environnement. Le grief formulé de manière spécifique au regard d'un possible effet cumulatif de projets ne dépassant pas le seuil, ou lié à leur développement, devrait en outre être jugé irrecevable. Ce dernier aspect ainsi soutenu par l'Irlande est préliminaire par rapport à certains griefs de fond et doit être examiné en premier lieu.
Le point de vue de l'irrecevabilité de certains griefs et des éléments de preuve y relatifs
11 L'Irlande nous dit que la Commission n'avait soulevé le grief rappelé en dernier lieu ni au cours de la procédure administrative ni dans l'avis motivé. Il s'agirait donc d'un moyen nouveau et, partant, irrecevable puisque, selon une jurisprudence constante de la Cour, la Commission ne peut pas, au titre de l'article 169 du traité, faire valoir au stade juridictionnel des moyens autres que ceux invoqués au cours de la phase précontentieuse pour faire grief aux États membres d'un manquement à une quelconque obligation qui leur est imposée par le traité. Seraient donc également irrecevables les preuves alléguées par la Commission en ce qui concerne les prétendues incidences sur l'environnement de l'effet cumulatif des projets, ou lié à leur développement, argument avancé, aux dires de l'Irlande, par la requérante pour introduire de nouveaux griefs à ce stade. Pour collecter les éléments de preuve contestés, la Commission se serait en outre largement, sinon de façon exclusive, fiée aux doléances qui lui ont été soumises par des personnes privées, alors que ces plaintes, qui n'ont pas été mentionnées dans l'avis motivé, font l'objet d'autres enquêtes conduites par la requérante elle-même, qui sont encore en cours.
12 De son côté, la Commission réplique qu'elle s'est référée au problème du cumul et du développement des projets dans le seul but, d'ailleurs évident, de préciser et de développer la thèse qu'elle a fait valoir dans l'avis motivé, selon laquelle le système des seuils adoptés par l'Irlande entraîne une transposition erronée de la directive, précisément en ce que l'État défendeur a omis d'évaluer, outre et ensemble avec le facteur dimension/capacité, d'autres caractéristiques des projets: le problème des effets cumulatifs ou liés au développement serait donc à considérer comme connexe à celui de la sensibilité du lieu, à savoir de la localisation du projet dans des zones d'importance potentielle et significative pour l'évaluation de l'impact, problème déjà soulevé par la Commission lors de la phase précontentieuse.
13 Quant aux preuves que l'Irlande considère irrecevables, la Commission précise qu'elle a produit des éléments de fait destinés à servir d'illustrations des retombées concrètes du manquement imputé, sur le plan juridique, à l'État défendeur pour ce qui est de la fixation des seuils. Ces données, ajoute-t-elle, qui figurent au moins en partie dans des rapports rendus publics, ne présentent que de manière incidente un rapport avec des informations obtenues dans d'autres enquêtes actuellement menées par la Commission, en dehors du cadre de la présente instance, et peuvent de toute façon être obtenues indépendamment d'activités de renseignement telles que celles-là, s'agissant de faits notoirement connus («established facts») et donc connus des autorités irlandaises elles-mêmes, lesquelles auraient été en mesure de répliquer à cet égard à l'appui de leur thèse au cours de la procédure administrative.
14 Nous sommes enclin à partager le point de vue de la Commission. L'argument qu'elle avance devant la Cour, par rapport au problème de la «cumulation» (l'effet cumulatif) et des «incremental effects» (effets liés au développement), se rattache sans aucun doute au grief fondé, depuis la phase précontentieuse, sur l'affirmation de la non-conformité des seuils avec le critère de prise en compte de la localisation des projets dans des zones sensibles, mais non soumises à une évaluation d'impact. Observer, comme le fait l'Irlande dans son dernier mémoire d'observations, que le problème du cumul du facteur lié au développement surgit, sur le plan logique, indifféremment, du fait de la «sensitivity of location» ou de la nature et de la dimension du projet est inopérant quant à la recevabilité du grief. Cette remarque n'enlève rien, selon nous, au fait que la Commission envisage les conséquences d'un éventuel effet cumulatif et du développement dans le temps des projets uniquement en liaison avec leur possible incidence sur des zones sensibles du point de vue environnemental. Les données de fait exposées à cet égard par la Commission constituent, si l'on veut, des arguments de preuve qui enrichissent l'argumentaire de l'avis motivé, mais sans modifier ni étendre l'objet du litige, défini dans le cadre de la procédure contentieuse: la substance de l'infraction reprochée à l'Irlande, tant en droit qu'en fait, est la même dans l'avis motivé et, ultérieurement, dans le recours: l'État défendeur n'a pas été privé, au cours de la procédure précontentieuse, de la possibilité de préparer efficacement sa défense par rapport à l'infraction reprochée en vertu de l'article 169 du traité (2). Même ces moyens de preuve trouvent donc légitimement accès dans la procédure juridictionnelle en vertu des articles 40 et 42 du règlement de procédure de la Cour.
Les griefs envisagés au fond - Considérations préliminaires sur les limites posées dans la directive en ce qui concerne la fixation discrétionnaire des seuils litigieux
15 Qu'il nous soit permis de faire précéder l'examen au fond des griefs d'une certaine réflexion sur le «controlling test» (critère) susceptible d'aider la Cour à juger ces griefs.
En l'espèce, comme dans d'autres décisions antérieures, nous sommes confronté au problème des limites que les États membres sont tenus de respecter lorsqu'ils fixent des seuils en vertu de l'article 4, paragraphe 2. La Commission et l'Irlande ont, l'une et l'autre au soutien de leurs thèses respectives, invoqué les décisions rendues par la Cour en vue d'éclairer les dispositions de l'article 4, paragraphe 2. La jurisprudence attribue certes un caractère discrétionnaire aux choix laissés par cet article aux États membres, mais ces choix sont circonscrits par les limites découlant de l'article 2, paragraphe 1, libellé comme suit: «Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l'octroi de l'autorisation, les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences».
16 Cette dernière règle est à notre avis fondamentale aux fins de l'application et de la transposition correcte de l'ensemble de la directive: elle s'inspire manifestement des finalités politiques visant à prévenir l'atteinte aux valeurs écologiques, mises en lumière dans le septième considérant, et, partant, consacre de manière générale l'obligation de procéder à une valuation en temps utile et adaptée à cette fin, en tant que préalable à l'autorisation, de tous les projets, publics et privés, envisagés par les dispositions communautaires présentement en cause. Conformément à sa position centrale dans le système de la directive, l'article 2, paragraphe 1, doit être lu en liaison étroite avec beaucoup d'autres dispositions, outre celles que l'on trouve à l'article 4, paragraphe 2. Il suffit de se référer à l'article 3: lors de l'évaluation des incidences sur l'environnement, il convient, dans chaque cas particulier, de décrire et d'évaluer les effets directs et indirects du projet sur une série de facteurs qui concourent à la définition de l'environnement devant être protégé (l'homme, la faune et la flore, le sol, l'eau, l'air, le climat et le paysage, ainsi que leur interaction, les biens matériels et le patrimoine culturel).
17 La Cour a considéré le cas du «seuil absolu», à savoir fixé une fois pour toutes au sein d'une même classe de projets, lesquels sont, comme elle l'a dit, non les grandes partitions, distinguées par des nombres, mais les sous-positions y relatives, énumérées suivant les lettres de l'alphabet (3). Le seuil ainsi défini constitue, dans le cas qui nous intéresse, un critère automatique de barrage. Les projets au-dessus du niveau fixé sont soumis à évaluation préalable et à autorisation. Les autres non. La Cour a fixé son attention précisément sur cet effet, qui exclut l'évaluation des projets au-dessous de ce seuil, et elle a, dans l'affaire Kraaijeveld e.a., énoncé un critère approprié pour déterminer si l'État a outrepassé, à cet égard, sa marge d'appréciation. En vertu de l'article 4, paragraphe 2, il est nécessaire, selon elle, de prendre en considération non les caractéristiques d'un seul projet, mais l'ensemble des caractéristiques des projets dont on prévoit la réalisation et qui relèvent de la classe dont il s'agit. Cela posé, la Cour a estimé que le seuil ne saurait être fixé à un niveau tel que la totalité des projets de la même classe et de la même nature serait d'avance, en pratique, soustraite à l'obligation d'en évaluer les incidences.
Une mesure de ce genre - ajoute la Cour dans l'arrêt Kraaijeveld e.a. - ne resterait dans les limites du pouvoir discrétionnaire que si la totalité des projets exclus pouvait être considérée comme n'étant pas susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
18 Nous devons nous demander, toutefois, si telle est la seule limite que l'on puisse considérer comme imposée aux États membres par l'article 2, paragraphe 1, et par le but, sous-jacent, de protection de l'environnement à titre préventif. A notre avis, tel n'est pas le cas. Le critère dégagé par la Cour dans l'arrêt Kraaijeveld e.a. et dans d'autres espèces rappelées dans cet arrêt est celui de contrôler le niveau du seuil sur la base de l'effet d'exclusion que celui-ci peut déployer quant à l'évaluation préventive d'une catégorie entière de projets. Aucune catégorie de référence ne peut être éliminée a priori de l'examen d'incidence. Les catégories sont, en effet, prédéterminées par la directive et insérées à l'annexe I ou II selon que les projets respectivement visés - voir sixième et septième considérants - dont on présume en tout état de cause l'importance aux fins des incidences sur l'environnement, sont soumis à la procédure d'évaluation régie par les articles 5 à 10, directement (annexe I) ou indirectement (annexe II), par le biais des choix laissés aux États membres, y compris la fixation de seuils. Ces derniers peuvent étendre aux projets de l'annexe II la procédure d'évaluation préalable prévue par la directive si les caractéristiques spécifiques des projets afférents à ces classes l'exigent. Les caractéristiques à considérer sont expressément définies à l'article 2, paragraphe 1: il s'agit notamment de la nature, de la dimension et de la localisation du projet. C'est cette dernière caractéristique qui, plus que les autres, intéresse particulièrement la présente instance.
19 Or, la directive a classifié tant les catégories que les caractéristiques des projets. Les unes et les autres sont donc des paramètres, des critères normatifs de référence, que la législation nationale ne peut contredire en transposant la directive. Quelles sont les conséquences qui découlent de cette prémisse dans le cas qui nous occupe? L'évaluation préalable est prévue, à titre général, par une règle contraignante et, de surcroît, d'effet direct (4). Prévoir une telle évaluation lorsque les caractéristiques des projets, telles que définies à l'article 2, paragraphe 1, l'exigent constitue donc une obligation, disons, de résultat, qui lie les États membres, quelles que soient les méthodes qu'ils auront choisies pour mettre en oeuvre les dispositions de l'article 4, paragraphe 2. De manière plus précise, pour ce qui nous concerne présentement: si la solution retenue est celle du seuil, les États membres devront l'adopter avec toutes les dispositions nécessaires pour que l'examen relatif aux incidences ait lieu toutes les fois que, en combinant les autres caractéristiques avec la localisation du projet dans une zone sensible, on peut à juste titre prévoir une incidence significative sur l'environnement.
20 Ainsi que nous le fait observer l'arrêt Kraaijeveld e.a., il y a donc des normes justificatives que la fixation des seuils doit en tout cas satisfaire. Et cela, ajouterions-nous, pour plus d'une raison. Confrontées aux prescriptions de l'article 2, paragraphe 1, les autorités nationales ne jouissent pas, certes, d'une marge d'appréciation plus élevée lorsqu'ils ont recours au système des seuils plutôt qu'à d'autres formes de transposition que leur ouvre le libellé de l'article 4, paragraphe 2. Il y a, en effet, d'autres solutions, différentes du seuil, auxquelles les autorités nationales sont libres de recourir, sans pouvoir éluder, bien entendu, ni violer l'obligation de résultat dictée par l'article 2, paragraphe 1. Supposons, par exemple, que l'État membre estime ne pas devoir fixer le seuil au niveau auquel il serait adéquatement tenu compte de la «sensitivity of location», parce qu'un tel choix serait techniquement malaisé ou pour toute autre raison d'opportunité. C'est ainsi qu'il pourra couvrir les zones exposées de façon plus sensible au risque environnemental au moyen de projets spécifiques à soumettre à l'évaluation d'impact et les soustraire de toute façon au champ d'application du seuil, en prévoyant pour les projets concernant ces zones une autre forme appropriée de «screening» préventif.
21 Au reste, le seuil est un critère abstrait et général, qui tend par nature à discriminer tous les projets se trouvant au-dessous de ce seuil, comme non pertinents aux fins de l'évaluation d'impact. Il s'agit d'une méthode offrant aux valeurs environnementales une sauvegarde nécessairement plus réduite et moins sûre que le contrôle cas par cas: c'est précisément pour cela que l'on impose la mise au point de standards précis de contrôle sur la «marge» - pour reprendre les termes de la Cour - de pouvoir discrétionnaire laissée aux États membres. Dans l'arrêt Kraaijeveld e.a., la Cour a - il est vrai - rejeté la thèse de la Commission selon laquelle l'existence d'un seuil ne dispenserait pas l'État intéressé d'apprécier concrètement chaque projet afin de vérifier s'il remplit les critères de l'article 2, paragraphe 1 (5). Le fait de prévoir un seuil, comme l'a dit la Cour dans cet arrêt, est expressément autorisé par l'article 4, paragraphe 2, et on ne s'expliquerait pas pourquoi, une fois que l'État membre intéressé a préféré cette solution, chaque projet devrait néanmoins faire l'objet d'une évaluation individuelle par rapport aux critères posés à l'article 2. Il s'agit d'une conclusion claire et qui ne souffre aucune exception. Si, toutefois, il s'agissait d'une classe de projets pour laquelle le seuil n'a pas été fixé (ou si le seuil, tout en ayant été prévu, a été agencé de manière contraire aux prescriptions de la directive), force serait à nouveau, en vertu de l'article 2, paragraphe 1, d'examiner chaque projet individuel afin de déterminer s'il doit ou non, en raison de ses caractéristiques propres, faire l'objet d'une étude. C'est ce qu'a pertinemment relevé l'avocat général M. Mischo dans ses conclusions du 12 mars 1998 (6).
22 Cette thèse de l'avocat général M. Mischo est confortée par la nouvelle version de l'article 4, paragraphe 2, de la directive 97/11/CE (7). Selon le texte le plus récent, les États membres déterminent, sur la base d'un examen cas par cas ou sur la base de seuils ou critères, ou encore par application conjointe de l'une et l'autre procédure, si un projet figurant au nombre des projets énumérés à l'annexe II doit faire l'objet d'une évaluation en conformité avec les articles 5 à 10. La méthode abstraite du seuil et celle du contrôle concret y sont envisagées comme quivalentes et peuvent également être combinées. Il s'agit d'un pouvoir d'appréciation limité, comme c'est le cas du texte à appliquer aux faits de l'espèce. Le texte de l'article 2, paragraphe 1, demeure, dans la directive 97/11, inchangé en substance par rapport à la directive 85/337. Le seuil, quand il est prévu, se substitue au critère - qui, à défaut, s'appliquerait - consistant à évaluer chaque projet en particulier. Ce qui confirme que, selon l'un et l'autre texte normatif, la prévision du seuil ne peut diverger sensiblement des objectifs d'évaluation concrète ni négliger aucune des caractéristiques sur la base desquelles l'article 2 impose une évaluation de l'incidence des projets sur l'environnement.
23 Si cette condition n'est pas satisfaite, l'effet d'exclusion attaché au seuil entraînera la violation des critères fixés à l'article 2, paragraphe 1: l'État membre franchit également dans ce cas les limites de son pouvoir discrétionnaire, comme c'est le cas lorsque le fonctionnement du seuil élimine pratiquement l'examen préalable au regard de l'incidence pour toute une catégorie de projets. Il s'agit là, dans un certain sens, d'un cas limite: le seuil finit par contredire son objectif, logique et pratique, d'établir une distinction, au sein de chaque classe, entre les projets destinés à être évalués et ceux soustraits à l'évaluation d'impact; il exonère, à l'avance, du contrôle prescrit pratiquement toute la classe dans laquelle se situent les projets à examiner. Dans l'affaire qui nous occupe, il s'agit au contraire de voir non si, mais comment le mécanisme du seuil distingue les projets qui importent aux fins des incidences sur l'environnement par rapport aux autres projets, au sein de la même catégorie d'appartenance. Ce dernier problème intéresse lui aussi la marge d'appréciation ouverte aux États membres et a pleinement son importance pour en contrôler l'exercice correct. Nous l'avons dit précédemment. Répétons le point sous cet autre angle: si le critère de distinction adopté avec le seuil est vicié par l'inobservation des critères fixés à l'article 2, paragraphe 1, il s'ensuivra, à notre avis, une disparité illégale du régime qui s'applique aux projets (et aux «maîtres d'ouvrage», en vertu de l'article 2 de la directive), selon que l'évaluation préalable est exclue ou, au contraire, permise. Aux fins de l'évaluation préalable, en effet, la directive traite à titre de principe tous les projets y visés de la même manière: les distinctions à caractère discrétionnaire opérées par voie de seuils (ou critères analogues) ne sont consenties aux États membres que si elles sont conformes au libellé et au but de l'article 2, paragraphe 1.
24 Quel est donc le test répondant le mieux aux exigences du cas présent? Celui de voir si le seuil, tel qu'il a été agencé, se traduit ou non par un manquement à la directive qui aurait pu être vité en recourant à d'autres solutions permises par la marge de pouvoir discrétionnaire dont disposent les États membres, à condition, bien entendu, que ces solutions soient compatibles avec les dispositions de l'article 2, paragraphe 1. Tel est le critère que nous nous proposons de suivre dans l'analyse des différents aspects du recours (8).
25 Une fois posé le problème à résoudre dans les termes ci-dessus précisés, il reste à ajouter une précision, indispensable à ce stade préliminaire, concernant la question des preuves, omniprésente en effet dans le champ du présent litige. La Commission est-elle tenue de prouver in concreto que des valeurs environnementales ont été lésées de façon importante par suite de ce que l'État défendeur a prévu et appliqué des seuils d'exclusion de l'évaluation d'impact au niveau auquel celui-ci les a fixées?
26 Telle est, comme nous le disions ci-dessus, la thèse de l'Irlande. La plus importante des considérations que la Commission oppose à cet égard est la suivante: la procédure par elle engagée porte sur la conformité des mesures irlandaises avec la directive, et le manquement imputé à l'État défendeur est celui de ne pas avoir adopté les dispositions qui s'imposaient aux fins du respect de l'obligation de l'évaluation préalable; l'obligation est prescrite pour les projets dont on prévoit un important impact sur l'environnement et tels sont, de l'avis de la requérante, les projets qui concernent les zones «sensibles» au sens précédemment évoqué. Si tel est - et non un autre - l'objet des griefs à examiner - à notre avis, c'est le cas -, la seule preuve que l'on puisse exiger de la requérante est celle de démontrer qu'il existe des zones, par elle identifiées, dans lesquelles la réalisation des projets à examiner peut, compte tenu de leurs caractéristiques, se répercuter négativement sur l'environnement. Il n'est pas nécessaire toutefois de démontrer que l'impact prévu dans la directive uniquement comme potentiel aux fins de l'examen des incidences s'est effectivement produit. L'éventuelle production, par la Commission, de cette dernière preuve servira tout au plus à confirmer le bien-fondé de la thèse suivant laquelle on trouve, au-dessous du seuil contesté, des zones exposées à un risque sensible pour l'environnement, dans lesquelles les activités de la classe considérée doivent, toujours à cause de leurs effets prévisibles, faire l'objet d'une évaluation préalable.
Projets d'affectation de terres incultes ou d'étendues semi-naturelles à l'exploitation agricole intensive [annexe II, point 1, sous b)]
27 Le seuil pour les classes de projets indiqués ci-dessus a été fixé à l'article 24, First Schedule, Part II, 1, sous a), de la SI n_ 349 de 1989. Cette disposition de loi prévoit une évaluation d'impact EIA (Environmental Impact Assessment) relativement à la destination agricole de zones incultes ou d'étendues semi-naturelles à des fins d'exploitation intensive, lorsque la zone intéressée excède 100 ha. Un seuil de même niveau a été fixé en vertu des dispositions combinées de l'article 24, First Schedule, précité, et d'autres dispositions ayant trait à la reconversion de terres à un autre usage, définie comme «land reclamation».
En substance, le grief s'articule comme suit: dans des zones inférieures à 100 ha sont intervenues des activités pouvant nuire à la conservation de la nature et qui n'auraient pas dû dès lors être exemptées de l'évaluation d'impact. Tel serait le cas des interventions dans le Burren, comté de Clare, dont les effets cumulatifs menacent d'altérer ou de détruire un pavement calcaire particulièrement précieux et étendu ainsi que le type de végétation rare qui s'y rattache. La zone en question serait également caractérisée par la présence de vestiges archéologiques remarquables.
28 La Commission critique en outre le fait qu'environ 60 000 ha d'extensions semi-naturelles destinés à servir de pacage pour les ovins (spécialement l'élevage des moutons) ont été exclus de l'examen quant aux incidences et ainsi convertis à l'agriculture intensive. L'«overgrazing» (surexploitation des herbages) aurait causé et pourrait encore produire de graves dégradations à l'environnement dans de nombreux lieux reconnus par les autorités irlandaises elles-mêmes comme importants pour la gestion de l'écosystème, au point que l'on a proposé leur inclusion dans les NHA (Natural Heritage Areas).
29 L'Irlande réplique que les griefs ne prennent pas en considération, comme cela aurait dû être le cas, la classe entière des projets en cause. La Commission se serait bornée à les formuler limitativement, en substance, au secteur de la «land reclamation». Quant aux remarques concernant les extensions semi-naturelles destinées à servir de pâturages, la Commission n'aurait ni identifié l'aire géographique à laquelle elle se réfère dans le recours ni démontré que la soi-disant conversion des aires dont il s'agit aux objectifs de l'agriculture intensive a eu lieu dans des zones inférieures à 100 ha et, dès lors, soustraites à l'évaluation préalable. En tout cas, la preuve d'une intervention préjudiciable pour la conservation de la nature ferait défaut. L'Irlande y ajoute l'argument radical suivant lequel les termes «exploitation agricole intensive» utilisés à l'annexe II, point 1, sous b), ne seraient pas suffisamment précis dans la directive, ce qui a pour résultat de méconnaître le principe de sécurité juridique. Les États membres seraient par conséquent autorisés à considérer comme nulle et non avenue la prévision de l'annexe que la requérante invoque en l'espèce. Le «sheep grazing» (pâturage de moutons) serait, d'autre part, exorbitant du champ d'application de la directive, quelle que soit l'interprétation que l'on puisse donner à la notion d'agriculture intensive. L'élevage de moutons ne constituerait pas, en effet, une intervention dans le milieu naturel ou le paysage qui puisse ou doive faire l'objet de projets en vertu de l'article 1er: et cela tant par la nature d'activité libre et individuelle de l'agriculteur qu'en raison de la forme traditionnelle de «commonage» (vaine pâture) sous laquelle il est pratiqué en Irlande et qui le rendrait pratiquement inadapté au régime établi par la directive.
30 Commençons par cette dernière branche du grief. L'Irlande soulève en premier lieu le problème de définir la catégorie de l'activité agricole intensive (et des projets y relatifs) dont la requérante voudrait exclure le pacage et l'élevage des ovins. La définition tirée de la liste est pourtant, à notre avis, suffisamment claire pour que l'on puisse l'entendre dans sa signification correcte et l'appliquer au présent cas d'espèce. Les zones non cultivées ou semi-naturelles y prévues sont celles qui subissent des altérations fondamentales par rapport à l'état préexistant en vue d'être, précisément, converties à des fins d'agriculture intensive. Le pacage tend à exploiter les ressources du sol et présente ainsi les éléments d'une activité pouvant donner lieu à l'adoption de projets à soumettre à une appréciation préalable (voir article 1er, paragraphe 2). Il peut parfaitement revêtir des formes intensives, appréciables par exemple en termes de «stocking density» (charge de cheptel) et nombre d'ovins à l'hectare, comme le note la Commission. Il nous semble en outre évident que l'«overgrazing» peut avoir des incidences sur l'environnement dans les mêmes conditions que les autres activités visées par le point 1, sous b), de l'annexe II et, à plus forte raison, de l'élevage d'animaux dans des exploitations pouvant les abriter, prévu sous d'autres postes figurant sur la liste [voir point 1, sous e) et f), de cette même annexe II]. Au reste, la Commission a répondu par des objections précises et sérieuses à la thèse de la défenderesse suivant laquelle l'activité en question ne serait pas adaptée, voire réductible, aux exigences et aux modalités techniques de la procédure d'évaluation prévue dans la directive. En outre, le fait que le pacage doive, en vertu de la directive, faire l'objet d'une autorisation préalable ne constitue pas, comme le voudrait l'Irlande, une prétention déraisonnable, mais une conséquence simple et justifiée de la protection que la directive réserve à l'environnement: protection qui vaut pour toute forme d'agriculture intensive et, de manière générale, pour les activités énumérées dans les annexes, considérées toutes comme susceptibles de léser des valeurs à sauvegarder. Le fait que l'État défendeur soit en tout état de cause tenu d'observer - et donc de transposer comme il convient - la particularité de la réglementation nationale sur le «commonage» irlandais en matière de pacage ne saurait non plus faire obstacle à l'application de la directive. La conclusion est claire: le cas présentement en cause relève de la catégorie de l'agriculture intensive.
31 Nous nous trouvons, par conséquent, confronté à la question de savoir si le seuil de 100 ha, prévu pour cette classe de projets en vertu de la réglementation irlandaise, est, ou non, conforme aux limites qui pèsent, pour autant qu'il importe en l'espèce, sur le pouvoir d'appréciation appartenant aux États membres. Nous nous servirons, pour résoudre cette question, des critères d'appréciation expliqués à titre préliminaire. Le seuil critiqué franchirait les limites légales du pouvoir d'appréciation s'il fonctionnait de manière à exclure l'examen des incidences en ce qui concerne les interventions sur les étendues semi-naturelles inférieures à 100 ha, là où le risque d'un important impact environnemental dérive de la localisation du projet. La Commission allègue que l'«overgrazing» revêt, sur toute l'étendue où elle est pratiquée, les caractères requis par la directive aux fins de l'examen des incidences correspondantes. L'Irlande oppose à cela les considérations rappelées ci-dessus et fait en outre valoir que le pacage est de toute façon soumis en Irlande à des contrôles relativement à son impact sur l'environnement en application de programmes établis par des règlements communautaires et destinés à décourager les formes intensives, alors que l'éventuel octroi de subsides est subordonné à la condition que les agriculteurs intéressés participent à la gestion de ce que l'on appelle les Rural Environmental Protection Schemes, lesquels sont prévus par l'État défendeur.
32 Or, la Commission démontre avoir reçu des autorités irlandaises elles-mêmes, dans la correspondance échangée à l'époque avec ces dernières et dont une copie est jointe au dossier, les données qui situent l'étendue de l'«overgrazing» autour de 60 000 ha frappés - ou, de toute manière, menacés - de dégradation environnementale. Ce faisant, croyons-nous, elle s'est acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait pour soutenir le bien-fondé du grief avancé (voir ci-dessus, point 26).
33 Comment apprécier, ensuite, les mesures de contrôle environnemental sur les pâturages qui s'appliqueraient en Irlande indépendamment du régime du seuil présentement considéré? Il est nécessaire, selon nous, qu'elles soient appropriées au regard du respect de la disposition expresse figurant dans la directive (article 2, paragraphe 2), prévoyant que l'évaluation des incidences sur l'environnement peut être intégrée dans les procédures existantes d'autorisation des projets dans les États membres ou, à défaut, dans d'autres procédures déjà prévues ou à introduire dans les ordres juridiques des États membres. Il doit donc s'agir, en tout cas, de procédures aptes à atteindre les objectifs mêmes de la directive: l'obligation d'une évaluation préalable dans les termes prescrits à l'article 2, paragraphe 1, lie les États membres lorsque ceux-ci établissent, dans leurs systèmes respectifs, ces autres procédures, exactement au même titre qu'elle limite leur pouvoir d'appréciation dans les cas prévus à l'article 4, paragraphe 2.
Le «monitorage diffus» sur la possible incidence environnementale du pacage intensif (et, plus généralement, des activités énumérées dans les annexes) doit, quelles que soient la procédure prévue ou l'autorité compétente, aboutir au résultat qui importe dans le cadre de la présente instance: il doit donc être effectué sur la base des dispositions légales qui servent précisément à compléter le recours à l'évaluation préalable, et donc à le prescrire quand la directive le requiert mais que le seuil l'exclut.
34 La Commission critique le fait qu'il n'y a aucune garantie que l'on parvienne à un tel résultat. L'Irlande ne nous a, semble-t-il, offert aucun argument convaincant pour conclure dans le sens opposé. Nous devons en déduire que les autorités investies du contrôle de l'impact environnemental dans les zones demeurées en dessous du seuil peuvent l'exercer en disposant à cet égard d'un large pouvoir discrétionnaire et, en tout état de cause, plus important que celui consenti aux États membres par l'article 4, paragraphe 2.
Si tel est le cas, ces autres procédures internes, loin de compléter le système normatif communautaire présentement en cause, le contredisent. Le fait de les avoir prévues ne peut de toute façon pas être invoqué par l'Irlande pour contester l'accusation que lui porte la requérante.
35 Les raisons pour conclure que le seuil de 100 ha n'est pas conforme à la directive subsistent et gagnent au contraire en évidence si nous en venons à considérer les observations faites par la Commission en ce qui concerne l'aire de Burren.
Que cette aire soit sensible, comme l'allègue la Commission, est attesté par le rapport rédigé en 1996 par le Heritage Council, portant le titre A Survey of Recent Reclamations in the Burren. Le Burren a été le cadre de nombreuses interventions (défrichement du sol et nivellement du pavement calcaire), une bonne partie d'entre elles dans des zones définies par les autorités irlandaises elles-mêmes comme des NHA. Des sites particulièrement importants du point de vue historique et archéologique ont été détruits. Outre les opérations de «land reclamation», le défrichement du sol, qui est envisagé sous un autre aspect du recours, présente également un intérêt en l'espèce. Le seuil de 100 ha vaut pour l'une et l'autre classe d'activité. Et c'est en relation avec l'une et l'autre que la requérante soulève la question des effets cumulatifs des projets ainsi que des effets liés à leur développement. Eu égard à l'ordonnancement de nos conclusions, c'est à ce stade qu'il convient d'aborder ce problème.
36 En exposant ce problème à l'attention de la Cour, la Commission évoque encore une fois l'obligation pour l'État défendeur de déterminer le seuil en fonction des caractéristiques des projets. C'est donc qu'il s'agit ici, plus précisément, de voir comment ces dernières doivent être appréciées chacune par rapport aux autres. Il s'agit là de l'aspect essentiel de la critique. Son appréciation suppose que nous nous arrêtions sur les caractéristiques des projets qui entrent en compte en l'espèce.
37 La dimension du projet, dont la nature est d'intervenir sur des zones incultes et semi-naturelles, et d'en changer la destination, est calculée aux fins de la fixation du seuil, en termes de superficie: 100 ha. Selon la requérante, ce seuil n'est pas lié - ou, à tout le moins, ne l'est pas rationnellement, comme l'exige l'exercice correct du pouvoir discrétionnaire - à la localisation du projet, dont il y aurait lieu de tenir compte, s'agissant de zones particulièrement exposées à l'impact des activités d'une telle nature. La thèse de la Commission est que le seuil prévu n'est relié de manière appropriée au facteur de la «sensitivity of location» (caractère sensible de la localisation) que si on l'applique en prenant en considération soit
i) les projets, envisagés individuellement, prévus pour l'aire en question - qui peuvent intéresser une zone d'étendue modeste, bien au-dessous des 100 ha, comme dans le cas du Burren, où l'opération de déboisement ou la conversion du sol ont été fractionnées en plusieurs interventions de la part des opérateurs intéressés;
soit
ii) tous les projets ayant une incidence sur cette même zone, considérés dans leur ensemble. Dans cette perspective, ce qui compte aux fins d'une évaluation préalable est, donc, l'ensemble des retombées des activités que les projets, considérés individuellement ou globalement, ont pesé sur le contexte environnemental reconnu comme digne d'une protection particulière.
38 La procédure d'évaluation serait, en conséquence, activée chaque fois que l'étendue des 100 ha est dépassée par les interventions sur le sol de la classe et de la caractéristique présentement considérées, qu'il y ait un ou plusieurs projets. Il en est ainsi parce que la Commission admet l'importance des effets attachés au développement - ceux qui se développent tout au long du cycle de réalisation d'un projet déterminé - et des effets consécutifs au cumul des projets prévus, et simultanément réalisés, de maîtres d'ouvrage distincts dans des zones contiguës, lorsque les interventions atteignent, dans leur ensemble, l'étendue prescrite des 100 ha. L'évaluation préalable de tout projet caractérisé par la «sensitivity of location» devrait donc toujours être considérée, mais resterait subordonnée à la vérification que l'aire territoriale y relative, si elle est inférieure aux 100 ha prescrits, dépasse ce seuil ensemble avec les autres zones intéressées des projets contigus de même nature.
39 Ce grief porte, à strictement parler, non sur le niveau du seuil adopté en Irlande, mais sur son application au cas d'espèce, que la requérante estime non conforme à la directive, étant donné précisément qu'elle ne tient pas compte des effets liés au développement et au cumul. Le point à contrôler est donc le suivant: résulte-t-il des dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, que les seuils éventuellement établis par les États membres doivent s'appliquer au présent cas d'espèce selon le critère spécifique exposé par la requérante?
40 Or, l'évaluation préalable concerne les caractéristiques des projets au regard, évidemment, de leurs effets. Il s'agit d'une opération de vérification concrète et les effets doivent par conséquent être attribués au projet considéré en lui-même. Cela ne signifie pas toutefois que la directive exclue les effets liés au cumul et au développement - présentement en cause - de la sphère des effets pertinents. Au contraire. Il est dit en effet à l'article 3 que l'évaluation préalable identifie les effets directs et indirects de chaque projet sur tous les facteurs environnementaux. Ces développements sont évidemment des effets du projet considéré en lui-même, ses effets directs, parce que immédiatement connexes au développement d'une activité projetée par le maître d'ouvrage. A notre avis, les effets cumulatifs, qui restent imputés au projet particulier, peuvent également faire l'objet d'une évaluation préalable lorsque l'impact prévisible, eu égard aux caractéristiques qu'il revêt, tire une importance plus grande du concours de circonstances, elles-mêmes pertinentes aux fins de la protection des valeurs environnementales, tel que le cumul avec d'autres projets dans la zone sensible de sa localisation; ce qui justifie - et, à notre avis, exige - que les effets cumulatifs soient pris en considération au moment d'établir si le projet franchit le seuil et doit, partant, relever du régime d'évaluation préalable prévu par la directive.
41 L'Irlande excipe dans son mémoire en défense que l'obligation de tenir compte des effets cumulatifs des projets n'a été imposée aux États membres qu'avec la directive 97/11, qui est postérieure. La directive 85/337, applicable au cas d'espèce, ne le prévoirait pas. Or, ce que la directive 97/11 prévoit est une série de critères de sélection, énumérés à cet effet dans une annexe qui a trait aux caractéristiques des projets et à leur impact potentiel. Le cumul figure au nombre des caractéristiques des projets: il est clair qu'il a été prévu, du reste ensemble avec d'autres critères d'application de la directive spécifiés dans l'annexe, en tant que conséquence inévitable de l'obligation d'apprécier les caractéristiques des projets en raison de leurs effets même indirects sur l'environnement, sur lesquels l'effet cumulatif se greffe ainsi que nous l'avons dit. Cette obligation est prescrite en substance dans les mêmes termes par la directive 85/337 et par la directive la plus récente (voir, respectivement, les articles 2 et 3 de l'un et l'autre texte).
42 Nous concluons donc en faveur du caractère fondé des arguments invoqués par la requérante. Le manquement de l'Irlande consiste dans le fait de ne pas avoir assorti la prévision du seuil critiqué des prescriptions requises pour pouvoir l'appliquer en tenant compte, dans les conditions précitées, des effets liés au développement et au cumul des projets. L'adoption de cette réglementation supplémentaire est donc nécessaire dès lors que l'État défendeur maintient le seuil précédemment fixé et ne décide pas de transposer la directive suivant d'autres modalités compatibles avec l'exercice légitime de son pouvoir d'appréciation.
Annexe II, point 1, sous d): premiers reboisements, lorsqu'ils risquent d'engendrer des transformations écologiques négatives, et défrichements destinés à permettre la conversion
43 L'article 24, First Schedule, Part II, 1, sous c), (i), de la SI n_ 349 de 1989 impose un examen des incidences quand la surface est supérieure à 200 ha pour les premiers reboisements, ou à 10 ha, en cas de substitution d'une forêt de feuillus de haute futaie par des conifères. La SI n_ 101 de 1996 a modifié ces seuils et prévoit, en combinaison avec d'autres dispositions de la loi irlandaise de transposition de la directive, un examen des incidences dans les cas suivants: premier reboisement, lorsque la zone concernée, prise individuellement ou en combinaison avec d'autres zones adjacentes, présente une superficie totale plantée supérieure à 70 ha ou occupera une telle superficie dans les trois ans. Pour la transformation des forêts existantes en conifères, le seuil est de 10 ha. L'article 24, First Schedule, Part II, 2, sous c), (ii), de la SI n_ 349 de 1989 fixe, au contraire, le seuil de 100 ha pour les projets de défrichement destinés à permettre la conversion vers un autre type d'exploitation du sol.
44 La requérante critique ces dispositions normatives en ce qu'elles laissent sous le niveau de seuil - et par là même excluent de l'examen préalable des incidences - des projets de reboisement prévus: a) pour le reboisement dans des tourbières de couverture, b) pour les reboisements à proximité de cours d'eau. Quant aux défrichements destinés à permettre la conversion vers un autre type d'exploitation du sol, la Commission critique le seuil de 100 ha, fixé dans le cadre des projets concernant ces activités. Il y a lieu d'examiner de manière distincte les griefs ainsi avancés.
a) Le reboisement dans des tourbières de couverture
45 L'Irlande a, par lettre du 6 mai 1996, confirmé à la Commission que diverses subventions avaient été octroyées aux fins de la réalisation de projets de reboisement: en février 1994, dans les Dunragh Loughs et sur le Pettigo Plateau, pour une superficie de 76 ha; en décembre 1994, à Tullytresna Bog, pour une superficie de 44,1 ha; en mars 1994, à Tamur Bog, pour une superficie de 190 ha. Ces projets n'ont été soumis à aucune évaluation d'impact environnemental. Le reboisement dans les tourbières de couverture implique, selon la Commission, le labourage, le drainage, l'utilisation d'engrais et un changement radical dans la végétation: activités connexes à l'entreprise de reboisement, qui menacent de porter atteinte et même de détruire l'écosystème des tourbières de couverture. La critique est confortée par des éléments de preuve tendant à démontrer que, dans de nombreuses zones, proposées par les autorités irlandaises elles-mêmes comme NHA (Dunragh Loughs, Pettigo Plateau, Tullytresna Bog, Tamur Bog), se dérouleraient des activités de reboisement non contrôlées. La requérante se réfère à des études scientifiques qui documenteraient la possibilité d'un impact important, voire irréversible, du fait d'interventions de ce type dans les zones dont il s'agit (9), en mettant ensuite particulièrement en lumière le projet de reboisement dans les Dunragh Loughs et sur le Pettigo Plateau, zones d'environ 2 000 ha, considérées d'un grand intérêt scientifique pour leurs tourbières de couverture intactes. L'importance de cette aire du point de vue environnemental, ajoute-t-elle, a été reconnue tant au niveau international (une partie du Pettigo Plateau, 900 ha, est en effet couverte par la convention Ramsar de 1986) que dans le cadre de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1), en application de laquelle l'Irlande a classé 619,2 ha du Pettigo Plateau en tant que zone de protection spéciale. En outre, ce même Pettigo Plateau et les Dunragh Loughs sont visés dans un contrat passé le 28 décembre 1995 entre la Commission CE et le National Parks and Wildlife Service irlandais, conformément au règlement (CE) n_ 1973/92 du Conseil, du 21 mai 1972, portant création d'un instrument financier pour l'environnement (Life) (JO L 206, p. 1) sur la base duquel ont été élaborés des instruments financiers pour des plans de gestion et des actions, destinés les uns comme les autres à la protection et à la conservation de l'environnement. A cet égard, la Commission rappelle le rapport Survey of Breeding Birds at Pettigo Plateau, County Fermanagh (10) qui ferait clairement apparaître que le reboisement en cause constitue une atteinte grave à la sauvegarde de l'environnement: les plantations de conifères ont une incidence sur le système hydrologique de ces aires, jusqu'à produire leur fragmentation, ce qui rend l'habitat naturel inadapté aux différentes espèces animales autochtones (les oies à col blanc du Groenland, les busards Saint-Martin et les pluviers dorés). D'autres espèces d'oiseaux et de mammifères terrestres deviendraient vulnérables du fait de l'arrivée, dans les plantations forestières, de nouvelles espèces d'oiseaux prédateurs.
46 L'Irlande objecte que, après l'approbation de l'avis motivé de la Commission, la loi du 1er octobre 1996 a réduit de 200 à 70 ha le seuil pour l'évaluation d'impact des projets. L'État défendeur aurait ainsi satisfait aux obligations découlant de cet avis et la Commission serait, de son côté, en défaut de démontrer que les projets inférieurs au seuil déterminé de la nouvelle législation irlandaise auraient des incidences notables sur l'environnement. En tout cas, les projets de reboisement prévus pour les zones comprises comme NHA seraient soumis au contrôle administratif du National Parks and Wildlife Service. Les Habitat Regulations adoptés par les autorités irlandaises protégeraient les zones en question plus efficacement que l'évaluation d'impact obligatoire: ces instruments subordonnent, selon l'État défendeur, la délivrance d'éventuelles concessions aux fins du reboisement à des normes de protection environnementales égales ou supérieures à celles appliquées pour les projets qui dépassent le seuil fixé par la loi en Irlande. Les coûts du reboisement sont au reste si élevés que le déroulement concret de cette activité nécessite des subventions et donc n'échappe pas aux contrôles prescrits pour pouvoir les obtenir lorsqu'il s'agit de zones classées en tant que NHA.
47 Pour apprécier les arguments de la Commission, on doit considérer, à l'instar de la branche du recours précédemment examinée, que la requérante s'est efforcée d'indiquer les zones sensibles pour lesquelles l'évaluation préalable des projets de reboisement est exclue. Les rapports scientifiques et les autres éléments d'appréciation produits par la Commission démontrent que le reboisement opéré dans les tourbières a des incidences négatives notables sur l'environnement. Le point de droit qu'il importe d'examiner est celui déjà abordé précédemment en ce qui concerne les terres incultes et semi-naturelles converties aux fins de l'exploitation agricole intensive. S'il exclut l'examen préalable des projets ayant une incidence sur des zones sensibles, le seuil ne peut plus être considéré comme fixé par l'État défendeur dans l'exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire. Or, on se trouve en présence de tels éléments en l'espèce. La critique est donc, selon nous, fondée. Certes, l'Irlande objecte qu'elle a prévu, même au-dessous du niveau du seuil, des contrôles d'impact sur le reboisement, soit en termes généraux par voie législative (SI n_ 94/97, European Communities Regulation 1997), soit par voie administrative: la conclusion de conventions pour des interventions de cette nature serait subordonnée à une série de vérifications quant à la compatibilité avec la protection des valeurs environnementales. Ce moyen de défense s'articule, en bonne partie, sur la nécessité pratique de la subvention. Le reboisement a été, selon la défenderesse, géré dans un premier temps par l'État et seulement dans un second temps par des projets privés, subventionnés également par des contributions de la Communauté européenne: et là où il y a subvention, il y a contrôle. On peut objecter à cela que l'éventuelle prévision de subventions ou d'une quelconque autre mesure de faveur concédée par l'État membre aux maîtres d'ouvrage, sous conditions du respect de contraintes environnementales, ne revêt, en vertu de l'article 1er de la directive, aucune importance: l'article 1er configure un régime d'autorisations lié, sans aucune possibilité de dérogation, à l'évaluation préalable du projet, chaque fois que celui-ci touche aux matières énumérées aux annexes I et II. L'évaluation préalable ne s'intègre dans les procédures internes que dans les conditions que nous avons rappelées ci-dessus (voir ci-dessus, point 33) et qui ne peuvent pas ne pas être observées par les États membres. En d'autres termes, le ressort de l'intérêt qui pousse la personne privée à solliciter la subvention n'influe pas sur le contrôle prescrit par la directive: c'est si vrai que l'obligation de l'évaluation préventive vaut indistinctement pour les projets privés comme pour les projets publics, dont le coût est supporté par l'État.
On ne peut pas non plus opposer à la Commission le fait qu'elle a critiqué, dans l'avis motivé, le seuil fixé à l'origine à 200 ha, qui n'a été que par la suite abaissé à 70 ha par l'État défendeur. La requérante estime en effet que ce dernier niveau, applicable depuis le 1er octobre 1996, est également incorrect, au motif que, lors de sa fixation, le législateur irlandais n'a pas tenu compte de l'effet lié au développement, du fait qu'il a soustrait à l'évaluation préalable les projets ne franchissant pas le seuil ainsi fixé dans un délai de trois ans: le maître de l'ouvrage peut, au cours de cette même période de trois ans, présenter un nouveau projet, lequel restera toujours exclu de l'étude d'incidence s'il ne dépasse pas 70 ha en superficie. Pour calculer l'effet global du projet précédemment réalisé et du nouveau, on recourt au contraire à l'hypothèse du cumul temporel, dont nous avons dit en son temps (voir ci-dessus, points 40 et 41) qu'il doit nécessairement être pris en compte dans l'application du seuil fixé, quel que soit ce dernier.
Nous nous abstenons de nous appesantir sur l'aspect lié à la violation de l'article 7 de la directive, exposé dans le recours, en ce que l'Irlande aurait manqué de satisfaire à ses obligations d'information et de consultation vis-à-vis du Royaume Uni, intéressé dans la réalisation des projets affectant les sites transfrontières comme le Pettigo Plateau. Le non-respect de cette obligation forme, en effet, l'objet d'un autre grief, non contesté par l'État défendeur.
b) Le reboisement dans les zones adjacentes aux cours d'eau
48 En se fondant sur les rapports Aquafor et The Trophic Status of Lough Conn, la Commission a démontré que l'activité de reboisement dans des zones naturelles particulières produit un grave impact environnemental, dû à l'acidification et à l'eutrophisation des eaux. L'Irlande demande à la Cour de ne pas prendre en compte les études sur l'évaluation d'impact du reboisement sur l'habitat, effectuées antérieurement à l'entrée en vigueur de la directive. Il n'existerait pas dès lors d'éléments de preuve pour la thèse soutenue par la requérante. Cet argument ne saurait être accueilli. Il convient de préciser que les deux études se bornent à exposer scientifiquement le lien de causalité entre le reboisement et le grave impact environnemental découlant de l'acidification et de l'eutrophisation des eaux dans certaines zones en Irlande. Elles constituent un élément d'appréciation important pour la Cour, non pour démontrer l'actualité du dommage environnemental, qui n'est pas pertinent en l'espèce (voir ci-dessus, point 26), mais pour fournir des instruments de connaissance scientifique sur la particularité du contexte environnemental visé par les observations de la requérante et sur la possibilité d'impact qui se rattache aux projets de reboisement dans ces zones.
49 Le rapport Aquafor et d'autres études scientifiques (11) attestent, d'une part, l'émergence du dommage produit par le reboisement à proximité des cours d'eau. Le grief est en tout état de cause justifié du fait que la requérante a identifié des zones sensibles à l'acidification des eaux, comme les comtés de Galway, Wicklow, Donegal et Kerry; et la validité scientifique des rapports qu'elle a produits et cités à cet égard témoigne clairement, à notre avis, dans le sens que le reboisement aurait dû faire l'objet d'une évaluation préalable et que cela n'a pas été fait: le seuil ne permet pas une telle évaluation et les contrôles alternatifs appropriés, quant aux incidences sur l'environnement des projets en question, n'ont pas été prévus.
c) Les projets de défrichement destinés à permettre la conversion en vue d'un autre type d'exploitation du sol
50 Les arguments jusqu'ici exposés doivent être étendus également à l'évaluation du seuil de 100 ha pour les projets de défrichement destinés à permettre la conversion en vue d'un autre type d'exploitation du sol, prévue par application de l'article 24, First Schedule, Part II, 2, sous c), (ii), de la SI n_ 349 de 1989. C'est à cet égard que le cas du Burren, examiné précédemment, prend son importance. Nous nous permettons de renvoyer aux observations développées dans ce contexte (voir ci-dessus, paragraphe 35). Il y a en effet de bonnes raisons pour considérer que le défrichement menace l'écosystème au moins autant que la conversion du sol aux fins d'une exploitation agricole intensive. Les projets afférents à cette activité dans la situation environnementale dont le Burren constitue un exemple type doivent donc être soumis à une évaluation d'impact, même s'ils restent au-dessous de 100 ha.
Projets visés à l'annexe II, point 2, sous a): extraction de tourbe
51 Des considérations analogues militent en faveur de l'accueil du grief suivant, qui concerne les effets sur l'environnement des projets d'extraction de tourbe. Cette activité - de l'avis de la Commission, et nous ne voyons pas de raison de nous en écarter - peut constituer une menace majeure à l'intégrité de l'environnement, en particulier pour les tourbières dont il est question. L'extraction de la tourbe dans les zones fangeuses implique le drainage des eaux. Cette activité produit, à son tour, un effet d'assèchement de la végétation qui devra former la tourbe. L'abaissement du niveau de la nappe d'eau provoque une baisse de volume de la tourbe, dont l'inclinaison augmente l'écoulement des eaux, ce qui aggrave encore le phénomène d'assèchement. La Commission cite à cet égard l'exemple du Ballyduff-Clonfinane Bog, dans le comté de Tipperary, qu'elle a examiné plus particulièrement dans son rapport faisant suite à la plainte P-95/4219. Ce site, constitué de deux tourbières pour une superficie globale de 312 ha, a été proposé comme NHA en 1995. Le 28 décembre 1995, la Commission et le National Parks and Wildlife Service ont conclu un contrat pour l'octroi d'un instrument financier de 344 000 écus en vue de la préservation et de la protection des tourbières.
52 Pour les projets d'extraction de tourbe, le seuil a été fixé à 50 ha. C'est ce que prévoit l'article 24, First Schedule, Part II, 2, sous a), de la SI n_ 349 de 1989. Les arguments en défense de l'Irlande se concentrent, en dernière analyse - si on laisse de côté les arguments déjà invoqués ci-dessus et repris pour la circonstance -, sur des considérations de deux ordres: i) la requérante se serait fondée sur des éléments tirés uniquement du cas limite que constitue le Ballyduff-Clonfinane Bog, en méconnaissance du critère établi par la jurisprudence Kraaijeveld e.a., qui impose de considérer les caractéristiques de tous les projets de la catégorie considérée et jamais d'un seul cas; ii) le seuil a été fixé au niveau de 50 ha parce que le législateur irlandais a voulu distinguer l'exploitation commerciale de la tourbe de celle pratiquée depuis des siècles en Irlande dans les campagnes («turf-cutting»), à savoir l'extraction manuelle de la tourbe par les particuliers, pour leurs besoins familiaux.
53 A notre avis, ni l'une ni l'autre objection de l'Irlande ne mérite d'être accueillie. Comme nous l'avons déjà expliqué (voir ci-dessus, point 24), le paramètre de la localisation du projet n'est pas appliqué chaque fois que le fonctionnement du seuil exclut l'étude des incidences, nonobstant le fait que l'activité en question comporte une considérable potentialité d'impact, vu le lieu où elle se déroule. Le nombre de projets impliqués par l'effet d'exclusion du seuil est sans importance, face au critère invoqué par la requérante.
54 Il ne nous semble pas, en outre, que le choix adopté par l'Irlande puisse être tenu pour raisonnable en tant qu'il y aurait, au-dessus du seuil, l'activité industrielle et, au-dessous, à l'opposé, l'activité manuelle et traditionnelle, pour laquelle l'évaluation de l'impact environnemental ne se justifie pas. Dans sa réplique (12), la Commission a objecté que la prétendue justification de la distinction introduite par le seuil n'existe pas du moment que l'extraction manuelle a largement cédé le pas à l'extraction mécanique, ce qui a eu pour conséquence d'étendre l'exploitation commerciale de l'activité extractive même si c'est à petite et à moyenne échelle.
55 Or, la seule donnée qui importe est la possibilité d'incidences de l'activité extractive sur les aires présentement considérées. On ne saurait négliger le fait qu'elle risque, ainsi que l'observe la requérante, de produire des altérations irréversibles dans l'écosystème des tourbières. La Commission reconnaît, d'autre part, que le «turf-cutting» manuel, consacré dans les traditions irlandaises (13), demeure en dehors du champ d'application de la directive. Ce sont donc les formes d'exploitation commerciale de la tourbe dont l'exploitation porte sur moins de 50 ha qui devaient être prises en considération et, à cet égard, il apparaît qu'elles ne l'ont pas été. Pour cette raison, reprenant le critère énoncé à titre de prémisse (voir ci-dessus, point 23), nous conclurons en ce sens que la distinction introduite par le seuil en cause débouche sur une disparité de traitement injustifiée des projets au sein de la classe considérée (et des maîtres d'ouvrage impliqués dans ces opérations). Il est utile de rappeler, en outre, que le cas de la tourbe est traité dans la législation irlandaise différemment des activités extractives analogues (extraction de pierres, de gravier, de sable ou d'argile), prévues ailleurs sur la liste de l'annexe II, en rapport avec lesquelles l'Irlande a fixé un seuil, beaucoup plus modeste, de 5 ha: la potentialité d'incidence plus élevée des projets insérés dans ces autres classes, par rapport à l'extraction de la tourbe, reste - toujours en ce qui concerne les zones sensibles - entièrement à démontrer; on peut y voir une disparité injustifiée du régime institué par le législateur irlandais pour les activités extractives prévues sous des postes distincts au sein de l'annexe II, considérées toutes comme pertinentes quant à leur impact potentiel sur l'environnement. Nous inclinons à également considérer comme fondé ce moyen du recours.
Violation de l'article 2, paragraphe 3, et des articles 5 et 7 de la directive
56 La loi irlandaise SI n_ 349 de 1989 prévoit un système d'exemptions qui permet au ministre compétent de dispenser un projet de toute étude d'incidences lorsqu'il considère que des circonstances exceptionnelles le justifient. La Commission estime que ce système n'est pas conforme à l'article 2 de la directive en ce que: a) le ministre n'est pas tenu d'examiner si une autre forme d'évaluation ne serait pas adéquate ou si les informations recueillies ne devraient pas être mises à la disposition du public; b) le ministre n'est pas tenu d'informer la Commission.
57 L'article 2 de la loi irlandaise SI n_ 349 de 1989 prévoit simplement qu'une étude d'impact peut comprendre des informations. La Commission observe que la législation irlandaise ne prévoit pas les mesures nécessaires pour garantir que le maître d'ouvrage fournisse, sous la forme qui convient, les informations spécifiées à l'annexe III de la directive pour les projets d'évaluation ou d'impact environnemental conformément aux dispositions de l'article 5 de la directive.
58 La Commission observe en outre que l'article 17 de la SI n_ 25 de 1990 ne garantit pas un mécanisme approprié de transposition des dispositions régissant les obligations des États membres en ce qui concerne la transmission des informations recueillies (voir article 5 de la directive) à l'autre État membre lorsque l'État intéressé peut être considérablement lésé par le projet et en fait la demande au titre de l'article 7 de la directive.
59 L'Irlande ne conteste pas les griefs liés au fait qu'elle n'a pas correctement transposé les articles 2, 5 et 7 de la directive. Elle a signalé son intention de clarifier sa réglementation par des mesures, en voie d'adoption.
60 Il y a donc lieu également d'accueillir ces moyens du recours, puisque l'Irlande n'a pas satisfait à ses obligations de transposer les articles 2, 5 et 7 de la directive dans le délai fixé par la Commission dans son avis motivé.
61 En conclusion: le présent litige soulève le problème - sur lequel l'arrêt de la Cour ne manquera pas de faire la lumière - de définir de quelle manière le choix du seuil - seuil «absolu» (voir ci-dessus, paragraphe 17) - s'insère dans le cadre des solutions offertes aux États membres pour transposer la directive en vertu des dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2. Comme nous le signalions, l'Irlande pourra remédier au manquement que la Commission lui reproche, en opérant différemment le système des seuils ou en recourant à d'autres mesures discrétionnaires: le pouvoir discrétionnaire des États membres s'exerce, cependant, toujours et uniquement à l'intérieur de la marge dont la Cour a, à l'occasion d'arrêts antérieurs, délimité les confins, qu'elle est à présent appelée à définir pour ce qui est de la présente instance. Nous sommes en vérité confronté à une directive qui s'apparente largement, en raison de l'effet direct de sa disposition clé (l'article 2, paragraphe 1) et du caractère exhaustif de son contenu normatif, au schéma caractéristique d'un règlement, et qui comprend, en outre, la protection préventive de l'environnement avec toute la palette des objectifs qu'elle prévoit, y compris la conservation de la nature. Cette dernière matière fait également l'objet, comme le rappelle l'Irlande dans ses mémoires, d'autres réglementations communautaires, mais le régime qui en découle n'interfère certainement pas, à notre avis, dans l'accomplissement des obligations découlant de l'article 2, paragraphe 1, qui constitue le paramètre de base pour l'examen dont la Cour est présentement investie.
Cela posé, il ne faut pas perdre de vue que la Commission s'est bornée à dénoncer l'inobservation du critère spécifique - même s'il est fondamental - de la «sensitivity of location» en indiquant des cas - nous voudrions dire des exemples - de nature à démontrer le bien-fondé du grief avancé à titre général. La question des modalités suivant lesquelles l'ordre juridique irlandais doit être adapté au critère invoqué dans le recours est, ensuite, une question laissée à l'exercice sage et légitime du pouvoir discrétionnaire reconnu à l'État défendeur (comme à tout État membre): et, au reste, la requérante dit elle-même que l'Irlande n'est pas en défaut de s'être conformée correctement à la directive, excepté les aspects faisant l'objet du litige dans la présente instance. Le manquement reproché à l'Irlande, si la Cour estime devoir le constater pour les motifs que nous avançons, ne comporte pas nécessairement - répétons-le - un abaissement du seuil litigieux à un autre niveau - et la Commission n'a d'ailleurs pas précisé quel serait cet autre niveau -, comme s'il s'agissait de la seule voie pour passer, à l'instar d'Alice au pays des merveilles, à travers une porte magique. En cas d'accueil du recours, la conséquence sera toutefois, en tout état de cause, que le législateur irlandais sera tenu de définir, à titre général et de manière à satisfaire aux exigences de sécurité juridique, les hypothèses de localisation sensible des projets, en garantissant en outre l'évaluation préalable de ces derniers en pleine et précise conformité avec la directive. Et cela, quelle que soit la solution adoptée pour appliquer les dispositions de l'article 4, paragraphe 2.
Eu égard aux considérations qui précèdent, nous concluons comme suit:
«1) En n'ayant pas adopté toutes les mesures nécessaires pour assurer la transposition correcte de l'article 4, paragraphe 2, relativement aux projets indiqués au point 1, sous b) et d), ainsi qu'au point 2, sous a), de l'annexe II de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, et en n'ayant pas, en partie, transposé les articles 2, paragraphe 3, 5 et 7 de ladite directive, l'Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12 de cette directive et de l'article 169 du traité CE.
2) L'Irlande est condamnée aux dépens.»
(1) - JO L 175, p. 40.
(2) - Voir en droit les arguments exposés dans les conclusions de l'avocat général M. Cosmas, du 26 novembre 1996 sous l'arrêt du 23 octobre 1997, Commission/Pays-Bas (C-157/94, Rec. p. I-5699): «Ainsi qu'il a été jugé à plusieurs reprises, l'objectif de la procédure précontentieuse, prévue à l'article 169 du traité, est de donner à l'État membre concerné l'occasion de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire ou de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission. L'avis motivé, qui clôture cette procédure, doit dès lors déterminer de la manière la plus claire et la plus complète possible l'objet du litige: en d'autres termes, il faut qu'il contienne tous les éléments nécessaires pour que l'État membre intéressé comprenne le fondement matériel et juridique sur lequel la Commission fonde son point de vue selon lequel cet État a manqué à ses obligations. Si l'avis motivé remplit ces conditions, le recours de la Commission est recevable, même lorsque l'argumentation qu'il contient, et qui est soit d'ordre factuel (relative aux faits qui composent la situation ou le comportement que la Commission considère comme constitutif d'une violation des obligations de l'État membre défendeur), soit d'ordre juridique (relative à l'interprétation des dispositions du droit communautaire que la Commission considère comme ayant été violées), a été étoffée par rapport à celle qui était développée dans l'avis motivé; il faut évidemment que, étoffée de la sorte, cette argumentation ne recèle pas un déplacement ou un élargissement de la base juridique ou factuelle du litige, telle qu'elle était cristallisée dans l'avis motivé».
(3) - Voir arrêts du 2 mai 1996, Commission/Belgique (C-133/94, Rec. p. I-2323), et du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C-72/95, Rec. p. I-5403).
(4) - Voir arrêt Kraaijeveld e.a., cité sous la note 3, point 43.
(5) - Voir point 49 de l'arrêt Kraaijeveld e.a., précité.
(6) - Voir point 57 des conclusions de l'avocat général M. Mischo du 12 mars 1998 sous l'arrêt Commission/Allemagne, précité.
(7) - Directive du Conseil, du 3 mars 1997, modifiant la directive 85/337 (JO L 73, p. 5).
(8) - Dans un certain sens, le seuil de la jurisprudence Kraaijeveld e.a. peut s'appliquer également à notre affaire. Lorsque le seuil est illégal en tant qu'il exclut l'évaluation d'impact d'une catégorie entière de projets, la Cour a formulé un «test» pour ainsi dire de «résistance»: la prévision du seuil pourra encore être justifiée si la totalité des projets exclus pouvait être considérée comme n'étant pas susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement. En l'espèce, il s'agit au contraire de voir si la prévision du seuil est illégale en raison de la non-application du critère de localisation des projets: le test de résistance quant à son caractère justifié serait donc satisfait lorsque, suivant une évaluation globale des caractéristiques des projets exclus de l'examen des incidences au moyen de la fixation du seuil, il ne s'en trouve aucun qui soit localisé dans des zones sensibles, pour lesquelles l'évaluation d'impact s'impose.
(9) - La Commission renvoie à cet égard à la publication Stroud, Reeds e.a.: Birds, bogs and forestry, The peatlands of Caithness and Sutherland, Nature Conservancy Council.
(10) - 1995, Summary Report, Rachel Bain and Clive Mellon, Royal Society for the Protection of Birds (RSPB).
(11) - Voir Evaluation of the Effects of Forestry on Surface-Water Chemistry and Fishery Potential in Ireland, EOLAS Contract ER/90/76; Allott, N., e.a.: «Stream Chemistry and Forest Cover in Tell Small Western Irish Catchments» dans Ecological Effects of Afforestation, Studies in the history and ecology of afforestation in Western Europe, 1993; Allott, N., et Brennan, M.: «Impact of Afforestation on Inland Waters», dans Water of Life, Dublin, 1992.
(12) - Voir en particulier le point 19 de la réplique de la Commission.
(13) - Et jusque dans la littérature de ce pays: voir point 106 du mémoire en défense de l'Irlande.