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Document 61994CC0045

    Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 18 mai 1995.
    Cámara de Comercio, Industria y Navegación de Ceuta contre Ayuntamiento de Ceuta.
    Demande de décision préjudicielle: Tribunal Superior de Justicia de Andalucía - Espagne.
    Libre circulation des marchandises - Acte d'adhésion du royaume d'Espagne - Dispositions applicables à Ceuta et à Melilla - Taxe d'effet équivalent à un droit de douane.
    Affaire C-45/94.

    Recueil de jurisprudence 1995 I-04385

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1995:149

    61994C0045

    Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 18 mai 1995. - Cámara de Comercio, Industria y Navegación de Ceuta contre Ayuntamiento de Ceuta. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal Superior de Justicia de Andalucía - Espagne. - Libre circulation des marchandises - Acte d'adhésion du royaume d'Espagne - Dispositions applicables à Ceuta et à Melilla - Taxe d'effet équivalent à un droit de douane. - Affaire C-45/94.

    Recueil de jurisprudence 1995 page I-04385


    Conclusions de l'avocat général


    ++++

    1 La présente affaire pose le problème de la légalité d'une taxe perçue à l'entrée et sur la production de marchandises à Ceuta, enclave espagnole située sur la côte méditerranéenne de l'Afrique. Le juge de renvoi, en application de l'article 177 du traité, est le Tribunal Superior de Justicia de Andalucssa, lequel pose la question préjudicielle suivante:

    «L'article 25 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés européennes ainsi que le protocole n_ 2 de celui-ci, lus en combinaison avec les dispositions des traités CE et CECA relatives à la libre circulation des marchandises, autorisent-ils une mesure telle que celle qui a été instaurée par la loi espagnole n_ 8/1991, du 25 mars 1991, approuvant la taxe à la production et à l'importation dans les villes de Ceuta et Melilla, taxe dont les modalités sont telles qu'elle a pour conséquence `l'absence quasi absolue de charge fiscale additionnelle pour les opérations intérieures' tout en maintenant l'imposition effective simultanée des importations en provenance du territoire douanier de la Communauté?»

    2 Cette question est apparue dans le cadre d'un litige entre l'Ayuntamiento (administration communale) di Ceuta et la Cámara de Comercio, Industria y Navegaciuen de la ville. Cette dernière demande l'annulation de l'arrêté municipal par lequel, sur la base de ladite loi n_ 8 du 25 mars 1991 (1), ont été approuvées les modalités d'application de la taxe locale sur les marchandises introduites ou produites sur le territoire de la commune.

    3 Pour comprendre la portée exacte de la question posée à la Cour, il est utile de citer les dispositions de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés européennes (2) (ci-après l'«acte d'adhésion») qui concernent spécifiquement, pour ce qui intéresse l'espèce, les territoires de Ceuta et Melilla, ainsi que la réglementation nationale litigieuse.

    L'article 25, paragraphes 1 et 2, de l'acte d'adhésion prévoit ce qui suit:

    «1. Les traités et les actes des institutions des Communautés européennes s'appliquent aux îles Canaries et à Ceuta et Melilla sous réserve des dérogations visées aux paragraphes 2 et 3 et aux autres dispositions du présent acte.

    2. Les conditions dans lesquelles les dispositions des traités CEE et CECA relatives à la libre circulation des marchandises, ainsi que les actes des institutions de la Communauté concernant la législation douanière et la politique commerciale s'appliquent aux îles Canaries et à Ceuta et Melilla sont définies au protocole n_ 2.»

    Après avoir précisé que le «territoire douanier de la Communauté ne comprend pas les îles Canaries et Ceuta et Melilla», le protocole en question (article 1, paragraphe 2) définit le régime applicable à l'importation de marchandises en provenance de pays tiers sur ces territoires, auquel sont assujettis les produits originaires des îles Canaries et de Ceuta et Melilla mis en libre pratique sur le territoire douanier de la Communauté, le régime particulier applicable aux produits de la pêche et de l'agriculture et aux échanges commerciaux entre ces territoires et, enfin, le régime applicable aux produits communautaires introduits dans les îles Canaries ou à Ceuta et Melilla, en prévoyant à cet égard l'abolition progressive des droits de douane et des taxes d'effet équivalent au cours de la période transitoire.

    Plus précisément, l'article 6 dispose que:

    «1. Les produits originaires du territoire douanier de la Communauté bénéficient, lors de leur importation aux îles Canaries ou à Ceuta et Melilla, de l'exemption des droits de douane et taxes d'effet équivalent dans les conditions définies aux paragraphes 2 et 3.

    2. Les droits de douane existant aux îles Canaries et à Ceuta et Melilla ainsi que la taxe dite `arbitrio insular - tarifa general' existant aux îles Canaries sont supprimés progressivement, à l'égard des produits originaires du territoire douanier de la Communauté, selon le même rythme et dans les mêmes conditions que ceux prévus aux articles 30, 31 et 32 de l'acte d'adhésion.

    3. ...»

    Ces conditions sont les mêmes que celles prévues dans l'acte d'adhésion pour le restant du territoire espagnol, à savoir la réduction progressive des droits durant la période transitoire, pour arriver à leur abolition totale à compter du 1er janvier 1993. Rien de particulier n'est prévu pour les produits relevant du traité CECA, qui ne sont donc pas soumis au même régime.

    4 Il convient encore de rappeler que, en vertu des dispositions combinées de l'article 26 de l'acte d'adhésion et du point 2 du chapitre V de l'annexe I à cet acte, les dispositions communautaires en matière de taxe sur la valeur ajoutée ne s'appliquent pas à ces territoires. Aucune dérogation n'a en revanche été prévue en ce qui concerne l'application des dispositions fiscales du traité, ce qui implique, conformément à l'article 2 de l'acte d'adhésion, que ces dernières, et en particulier l'article 95, s'appliquent dans les territoires de Ceuta et de Melilla.

    5 Précisément afin de se conformer aux obligations découlant des dispositions précitées de l'acte d'adhésion, le législateur espagnol a adopté la loi précitée n_ 8/1991, qui a modifié le système des taxes locales en vigueur à Ceuta et Melilla, en substituant à la précédente taxe municipale sur l'entrée des marchandises (appelée «aforo») une nouvelle taxe, l'«arbitrio». Cette taxe est perçue non plus, comme dans le passé, seulement sur l'introduction de biens mobiliers dans les territoires considérés, mais également sur leur production interne, dans le but, expressément mentionné dans le préambule de la loi, d'éliminer toute discrimination fondée sur l'origine des marchandises. Compte tenu, par ailleurs, des difficultés particulières qui freinent le développement économique des territoires en question, difficultés qui avaient justifié, dans le passé, la mise en oeuvre d'un régime fiscal différent de celui appliqué dans les autres parties du territoire national, la loi a prévu certaines mesures de protection, à caractère toutefois temporaire, de l'industrie locale.

    Aux termes de l'article 1er, «l'arbitrio sur la production et l'importation est un impôt municipal indirect qui frappe la production, la fabrication et l'importation, dans les villes de Ceuta et Melilla, de toutes les catégories de biens meubles corporels, conformément aux dispositions de la présente loi». L'article 3 précise en outre que constituent des opérations imposables soumises à l'«arbitrio» la production de biens effectuée de façon habituelle par des entrepreneurs dans l'exercice de leur activité, de même que l'importation de ces biens sur les territoires auxquels s'applique la loi, et inclut dans cette seconde catégorie, par le biais de l'article 5, paragraphe 1, également les marchandises originaires d'autres régions d'Espagne. Le fait générateur de la taxe est, sur la base de l'article 11, la mise à la disposition de l'acheteur du bien, dans la première hypothèse, et, dans la seconde, le dépôt de la déclaration d'importation. Quant à la base imposable, elle est constituée, pour la production interne, par le montant total de ce qui est dû au cédant au moment du transfert du bien, et pour les marchandises importées, par leur valeur en douane (articles 15 et 16). La détermination des taux applicables aux différents produits est confiée, dans les limites maximales et minimales prévues par la loi (0,5 % et 10 %), aux administrations communales intéressées (article 18), qui sont tenues de les fixer dans le cadre des modalités d'application de la taxe relevant de leur compétence.

    En ce qui concerne la ville de Ceuta, ces modalités ont été adoptées par décision du 24 septembre 1991 (3).

    Les articles 7 et 9 de la loi n_ 8/1991 prévoient enfin les productions et les importations exonérées du paiement de la taxe. Les catégories de biens qui bénéficient de ce régime sont dans une large mesure les mêmes dans les deux hypothèses. Un régime particulier est toutefois prévu en faveur de l'industrie locale par l'article 7, paragraphe 2, lequel stipule que «des exonérations totales ou partielles peuvent être accordées à titre temporaire aux biens produits ou élaborés par les industries établies sur le territoire des villes de Ceuta et Melilla appartenant aux secteurs économiques protégés par la loi n_ 50/1985, du 27 décembre 1985, portant mesures régionales d'incitation en vue de corriger les disparités économiques entre les différentes parties du territoire national».

    A cet égard, il convient de préciser que l'arrêté municipal précité du mois de septembre 1991 a prévu, dans son article 14, que des exonérations peuvent être obtenues, aux conditions et pour la période indiquées dans l'acte les accordant, sur demande motivée des intéressés.

    6 A la lumière des dispositions pertinentes de l'acte d'adhésion, c'est donc au regard des articles 9 et 12 ou de l'article 95 du traité qu'il y a lieu d'examiner la compatibilité avec le droit communautaire de la taxe en question.

    A ce sujet, nous rappelons tout d'abord que, selon la jurisprudence constante de la Cour (4), la même taxe ne peut, dans le système du traité, appartenir en même temps à la catégorie des taxes d'effet équivalant à un droit de douane, en application des articles 9 et 12, et à celle des impositions intérieures au sens de l'article 95, dans la mesure où les articles 9 et 12 interdisent, entre États membres, la perception de droits de douane à l'importation et à l'exportation ou de taxes d'effet équivalent, tandis que l'article 95 se limite à interdire les impositions intérieures qui ont, et dans la mesure où elles ont, une nature discriminatoire à l'égard des produits des autres États membres.

    7 De manière plus précise, la caractéristique essentielle d'une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, qui la distingue d'une imposition intérieure, réside dans le fait que la première frappe exclusivement le produit importé en tant que tel, alors que la seconde grève les produits aussi bien importés que nationaux (5).

    La Cour a en outre précisé dans l'arrêt Legros e.a. (6), ayant pour objet l'octroi de mer appliqué dans les DOM français, qu'«une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens perçue par un État membre sur les marchandises importées d'un autre État membre en raison de leur introduction dans une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, en dépit du fait que la taxe frappe également les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État» (7). A cette occasion, la Cour a exclu la possibilité de qualifier la taxe litigieuse d'imposition intérieure au sens de l'article 95 du fait que, alors qu'elle frappait tous les produits introduits dans la région de la Réunion, en raison de leur introduction dans cette partie du territoire français, les produits originaires de la Réunion en étaient systématiquement exonérés précisément en raison de leur origine régionale, et non en raison de critères objectifs qui auraient également pu s'appliquer à des produits importés (8).

    8 Or, si on examine la législation en question à la lumière des principes que l'on vient de rappeler, il y a lieu de relever que l'«arbitrio» s'applique indistinctement tant aux produits étrangers et à ceux qui sont originaires des autres parties du territoire national au moment de leur introduction à Ceuta qu'aux marchandises originaires de ce territoire; elle frappe des catégories de produits sur la base d'un critère objectif, à savoir l'appartenance de celui-ci aux catégories de marchandises précisées dans le tableau joint à l'arrêté municipal du 24 septembre 1991, indépendamment de l'origine du produit en question. Les taux applicables aux différents produits et les exonérations prévues, mise à part l'hypothèse particulière visée à l'article 7, paragraphe 2, de la loi n_ 8/1991, sur laquelle nous nous arrêterons plus loin, sont eux aussi établis en tenant uniquement compte de l'appartenance du produit - et indépendamment de son origine - à une catégorie déterminée de produits.

    La taxe litigieuse, qui sous cet angle se différencie nettement de l'octroi de mer qui a fait l'objet de l'arrêt Legros e.a., présente donc en principe des caractéristiques telles qu'elle peut être considérée, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, comme une imposition intérieure au sens de l'article 95.

    9 Cette conclusion n'est d'autre part pas infirmée par l'affirmation contenue dans l'ordonnance de renvoi, selon laquelle la fabrication et la production industrielles à Ceuta étant extrêmement réduites, l'«arbitrio» frappe principalement les importations de biens, et, à y bien regarder, l'instauration d'une charge correspondante sur la production aussi n'est rien d'autre qu'un moyen mis en oeuvre par le législateur pour maintenir en vie la précédente taxe sur l'importation interdite par le droit communautaire. A cet égard, en effet, la Cour a déjà eu l'occasion de préciser qu'une taxe qui frappe tant les produits importés que les produits nationaux, mais qui en réalité s'applique exclusivement, ou presque exclusivement, aux produits importés, dans la mesure où il n'existe pas de production nationale analogue ou identique ou qu'elle est extrêmement réduite, ne constitue pas une taxe d'effet équivalent si elle fait partie intégrante d'un «régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des produits nationaux et des produits importés selon les mêmes critères» (9). Or, comme nous l'avons dit, l'«arbitrio» s'applique à une série de biens lors de leur mise à la consommation, sans que, du moins en principe, leur origine régionale, nationale ou étrangère importe.

    10 On devrait en revanche arriver à un résultat différent s'il était démontré, comme le soutient la demanderesse au principal, que le produit de la taxe litigieuse est destiné à financer l'activité d'un organisme public ou parapublic, lequel avantage ensuite exclusivement la production nationale, en particulier par le biais de l'octroi de crédits aux entreprises établies à Ceuta. En effet, dès l'arrêt Capolongo (10) la Cour a affirmé que:

    «Dans l'interprétation de la notion de `taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation', il peut y avoir lieu de tenir compte de la destination des charges pécuniaires perçues.

    En effet, lorsqu'une telle charge pécuniaire ou contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement aux produits nationaux imposés, il peut en résulter que la contribution générale prélevée selon les mêmes critères sur le produit importé et le produit national constitue néanmoins pour l'un une charge pécuniaire supplémentaire nette, tandis que pour l'autre elle constitue réellement la contrepartie à des avantages ou aides reçus.

    En conséquence, une contribution relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères peut néanmoins constituer une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, lorsque cette contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement au produit national appréhendé.»

    11 Cette orientation jurisprudentielle a également été confirmée en ce qui concerne l'application de l'article 95 (11). Comme, toutefois, les dispositions sur les impositions intérieures discriminatoires et sur les taxes d'effet équivalent ne peuvent pas être appliquées de manière cumulative - ainsi que nous l'avons rappelé plus haut -, le critère de distinction entre les deux hypothèses a été défini par la Cour par référence au caractère intégral ou partiel de la compensation de la charge supportée par la production nationale lors de sa commercialisation, par les avantages qui résultent de la destination du produit de la taxe. En cas de compensation intégrale, il s'agit d'une imposition incompatible avec les articles 12 et suivants du traité; en cas de compensation partielle, la taxe est incompatible avec l'article 95 et interdite dans la mesure où elle est discriminatoire pour le produit importé (12).

    12 La commune de Ceuta nie que le produit de l'«arbitrio» a une destination spéciale: il contribue selon elle, comme les autres recettes, à fournir à l'administration locale les moyens financiers nécessaires au déroulement de l'ensemble de ses activités institutionnelles. Rien n'étant précisé à cet égard dans la réglementation litigieuse, des vérifications de fait s'imposent, lesquelles sont à effectuer par le juge national. Il devra vérifier, en l'occurrence, si le produit de la taxe est destiné au financement d'activités qui ne profitent qu'à la production régionale. Dans l'éventualité où cette destination s'avérerait prouvée, il devra conclure en ce sens que la taxe frappant le produit importé constitue une taxe d'effet équivalent, dès lors que les avantages pour le produit régional compensent intégralement la charge supportée lors de la mise sur le marché. Si par contre les avantages ne compensent qu'en partie la charge grevant le produit régional, le régime en question opère une discrimination fiscale incompatible avec l'article 95.

    13 Cela précisé, le régime fiscal litigieux apparaît, sous un autre angle, certainement discriminatoire pour les marchandises importées. L'article 7, paragraphe 2, de la loi n_ 8/1991 prévoit, en effet, que certaines exonérations totales ou partielles de la taxe peuvent être accordées, à titre temporaire, exclusivement en faveur de certaines catégories de marchandises produites par des industries établies sur le territoire de Ceuta (et de Melilla); il résulte de l'article 14 de l'arrêté du 24 septembre 1991, qui fixe les modalités d'application de cette disposition particulière, que lesdites exonérations sont accordées sur demande des intéressés. Or, le caractère discriminatoire de cette disposition ne disparaît pas du fait qu'elle ne peut profiter non seulement aux produits importés, mais aussi à ceux qui sont originaires d'autres parties du territoire espagnol. Comme le relève la Commission, en effet, des discriminations fondées sur l'origine régionale d'un produit constituent, au moins en partie, une discrimination fondée sur la nationalité, dans la mesure où inévitablement les produits importés analogues aux produits locaux qui peuvent bénéficier de l'exonération, ou en concurrence avec ces derniers, subissent un traitement moins favorable. Ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence établie de la Cour concernant l'article 30, pour qu'une mesure puisse être qualifiée de discriminatoire ou de protectionniste, il n'est pas nécessaire qu'elle favorise l'ensemble des produits nationaux ou ne défavorise que les produits importés à l'exclusion des produits nationaux (13).

    Compte tenu, d'autre part, du fait que l'article 95 ne peut pas être invoqué à l'égard d'impositions intérieures qui frappent les produits importés en l'absence de production nationale similaire ou concurrente (14), l'incompatibilité de l'«arbitrio» avec cette disposition ne peut être invoquée que dans la mesure où il est appliqué à des marchandises pour lesquelles il existe une production régionale taxée moins lourdement que la production similaire ou concurrente importée.

    14 Il ne nous semble pas, enfin, que les conclusions auxquelles nous sommes parvenu puissent être modifiées en se réclamant, comme l'a fait le gouvernement espagnol, des dispositions du traité relatives à la cohésion économique et sociale, en particulier de l'article 130 A. Si en effet ces dispositions, qui imposent à la Communauté de poursuivre son action tendant en particulier à réduire l'écart entre les diverses régions, doivent constituer une clef de lecture du droit communautaire dans son ensemble, elles ne peuvent toutefois justifier des dérogations à l'applicabilité d'autres règles du traité, qui ne sont pas expressément prévues par ce dernier ou par des actes de même rang. Or, en ce qui concerne l'applicabilité des dispositions en matière de libre circulation des marchandises dans les territoires de Ceuta et Melilla, l'acte d'adhésion n'a prévu à cet égard aucune exception à la fin de la période transitoire. Cela dit, nous estimons que le traité lui-même, comme d'autre part le droit dérivé, offre différents instruments utilisables pour réaliser l'objectif indiqué à l'article 130 A, sans qu'il soit nécessaire de porter atteinte aux fondements sur lesquels la Communauté repose.

    15 A la lumière des observations formulées, nous sommes d'avis qu'il y a lieu de répondre au juge national dans les termes suivants:

    «1) L'article 25 et le protocole n_ 2 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés européennes, lus en combinaison avec les articles 9 et suivants du traité CE, s'opposent à la perception d'une taxe sur les marchandises importées des autres États membres et sur les marchandises nationales lors de leur mise à la consommation à Ceuta, lorsqu'il s'avère que le produit de cette taxe est destiné à financer des activités qui profitent spécifiquement aux produits originaires de cette région, de manière à compenser intégralement la charge pesant sur ceux-ci en raison de la perception de la taxe. Cette taxe est à qualifier d'imposition intérieure discriminatoire au sens de l'article 95 du traité lorsque son produit est destiné à financer des activités qui compensent seulement en partie la charge pesant sur les produits régionaux assujettis, en raison de la perception de la taxe.

    2) L'article 25 et le protocole n_ 2 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés européennes, lus en combinaison avec l'article 95 du traité CE, font obstacle à la perception d'une taxe sur les marchandises importées des autres États membres et sur les produits nationaux lors de leur mise à la consommation sur le territoire de Ceuta, dans la mesure où elle est appliquée à des produits importés analogues à ou concurrents des produits originaires de Ceuta exonérés totalement ou partiellement du versement de la taxe en raison de leur origine régionale.»

    (1) - BOE n_ 73 du 26 mars 1991, p. 765.

    (2) - JO 1985, L 302, p. 23.

    (3) - Boletssn Oficial de Ceuta du 25 septembre 1991, p. 143.

    (4) - Arrêt du 18 juin 1975, IGAV (94/74, Rec. p. 699, point 13); arrêt du 7 mai 1987, Co-Frutta (193/85, Rec. p. 2085, points 8 et 11).

    (5) - Arrêt Co-Frutta, précité, point 9.

    (6) - Arrêt du 16 juillet 1992 (C-163/90, Rec. p. I-4625).

    (7) - Point 18.

    (8) - Point 12.

    (9) - Voir, à cet égard, les arrêts du 22 mars 1977, Steinike et Weinlig (78/76, Rec. p. 595, point 30), et Co-Frutta, précité, point 14.

    (10) - Arrêt du 19 juin 1973 (77/72, Rec. p. 611, points 13 et 14). Cette jurisprudence a été ensuite confirmée dans de nombreux arrêts, parmi lesquels nous citerons les arrêts Steinike, cité à la note 9, du 25 mai 1977, Interzuccheri (105/76, Rec. p. 1029), du 28 janvier 1981, Kortmann (32/80, Rec. p. 251), du 11 mars 1992, Compagnie Commerciale de l'Ouest e.a.(C-78/90 à C-83/90, Rec. p. I-1847), et du 2 août 1993, CELBI (C-266/91, Rec. p. I-4337).

    (11) - Voir arrêt du 21 mai 1980, Commission/Italie (73/79, Rec. p. 1533, point 15).

    (12) - Voir sur ce point arrêts du 27 octobre 1993, Scharbatke (C-72/92, Rec. p. I-5509, points 10 à 16), CELBI, précité, points 13 à 19), du 16 décembre 1992, Lornoy en Zonen e.a.(C-17/91, Rec. p. I-6523, points 17 à 22), Claeys (C-114/91, Rec. p. I-6559, points 14 à 19), 16 décembre 1992, Demoor en Zonen e.a. (C-144/91 et C-145/91, Rec. p. I-6613, points 18 à 21), du 11 juin 1992, Sanders Adour et Guyomarc'h Orthez Nutrition animale (C-149/91 et C-150/91, Rec. p. I-3899, points 20 à 22) et Compagnie Commerciale de l'Ouest e.a ., précité, points 26 à 28).

    (13) - Voir arrêts du 15 décembre 1993, Ligur Carni e.a.(C-277/91, C-318/91 et C-319/91, Rec. p. I-6621, points 37 et 38), du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova (C-179/90, Rec. p. I-5889, point 21), du 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicidad Exterior e Publivssa (C-1/90 et C-176/90, Rec. p. I-4151, point 24), et du 20 mars 1990, Du Pont de Nemours italiana (C-21/88, Rec. p. I-889, points 12 et 13).

    (14) - Voir arrêt du 11 décembre 1990, Commission/Danemark (C-47/88, Rec. p. I-4509, en particulier point 19).

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