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Document 61990CC0208
Opinion of Mr Advocate General Mischo delivered on 23 April 1991. # Theresa Emmott v Minister for Social Welfare and Attorney General. # Reference for a preliminary ruling: High Court - Ireland. # Equal treatment in matters of social security - Disability benefit - Direct effect and time-limits for initiating proceedings before national courts. # Case C-208/90.
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 23 avril 1991.
Theresa Emmott contre Minister for Social Welfare et Attorney General.
Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande.
Egalité de traitement en matière de sécurité sociale - Prestation d'invalidité - Effet direct et délais de recours nationaux.
Affaire C-208/90.
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 23 avril 1991.
Theresa Emmott contre Minister for Social Welfare et Attorney General.
Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande.
Egalité de traitement en matière de sécurité sociale - Prestation d'invalidité - Effet direct et délais de recours nationaux.
Affaire C-208/90.
Recueil de jurisprudence 1991 I-04269
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1991:164
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 23 avril 1991. - Theresa Emmott contre Minister for Social Welfare et Attorney General. - Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande. - Egalité de traitement en matière de sécurité sociale - Prestation d'invalidité - Effet direct et délais de recours nationaux. - Affaire C-208/90.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-04269
édition spéciale suédoise page I-00393
édition spéciale finnoise page I-00411
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . La question préjudicielle qui fait l' objet des présentes conclusions nous est posée par la High Court d' Irlande dans le cadre d' un litige provoqué par la non-transposition dans les délais par l' Irlande de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ( 1 ), qui aurait dû être transposée au plus tard le 23 décembre 1984 et qui ne l' a en fait été que par le Social Welfare Act du 16 juillet 1985 . Toutefois les dispositions de cette loi ne sont entrées en vigueur qu' à différentes dates se situant en 1986 .
2 . Mme Emmott, la requérante au principal, est une femme mariée qui a bénéficié depuis décembre 1983 d' une prestation d' invalidité en vertu de la législation irlandaise en matière de sécurité sociale . Jusqu' au 18 mai 1986 elle a perçu cette prestation au taux réduit applicable à cette époque à toutes les femmes mariées . Un premier ajustement de cette prestation sur la base de la nouvelle législation, adoptée en exécution de la directive, a eu lieu le 19 mai 1986; à partir de ce moment Mme Emmott a perçu la prestation d' invalidité au taux applicable à un homme n' ayant ni adulte ni enfant à charge . A partir du 17 novembre 1986 la prestation a été majorée au titre de ses trois enfants à charge . Au mois de juin 1988 un troisième ajustement a été opéré .
3 . Il semble que Mme Emmott ait ignoré l' existence de la directive jusqu' au moment où elle a pris connaissance, par la presse, de l' entrée en vigueur de la législation irlandaise qui en a assuré la transposition .
4 . Toutefois, ce n' est qu' après votre arrêt du 24 mars 1987 ( 2 ), McDermott et Cotter ( ci-après "arrêt McDermott et Cotter I "), qu' elle semble avoir pris conscience du fait que la directive lui avait conféré un droit à l' égalité de traitement qu' elle était fondée à exercer depuis le 23 décembre 1984 . Quelques jours après cet arrêt, elle a engagé un échange de correspondance avec le Minister for Social Welfare pour obtenir le bénéfice des dispositions de la directive avec effet au 23 décembre 1984 . Les autorités irlandaises ont répondu en indiquant qu' aussi longtemps que la High Court n' aurait pas tranché la question de la rétroactivité des prestations au 23 décembre 1984 dans l' affaire McDermott et Cotter, aucune décision ne pourrait être prise dans son cas; simultanément elles laissaient entendre que sa demande serait examinée dès que l' affaire pendante serait résolue .
5 . En janvier 1988, la requérante a finalement saisi des avocats qui ont obtenu au mois de juillet l' autorisation d' intenter une action devant la High Court, sous réserve du droit des parties défenderesses d' invoquer le non-respect des délais de procédure . Ces dernières ayant fait usage de cette possibilité, le juge national nous pose la question suivante :
"L' arrêt de la Cour de justice du 24 mars 1987, McDermott et Cotter ( 286/85, Rec . 1987, p . 1453 ), dans lequel la Cour de justice a répondu de la manière suivante aux questions qui lui étaient soumises par la High Court, conformément à l' article 177 du traité CEE, aux fins de l' interprétation des dispositions de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978 :
' 1 ) L' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à l' interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe en matière de sécurité sociale pouvait, à défaut de mise en oeuvre de la directive, être invoqué pour écarter l' application de toute disposition nationale non conforme audit article 4, paragraphe 1 .
2 ) En l' absence de mesures d' application de l' article 4, paragraphe 1, de la directive, les femmes ont le droit de se voir appliquer le même régime que les hommes se trouvant dans la même situation, régime qui reste, à défaut d' exécution de ladite directive, le seul système de référence valable .'
doit-il être interprété en ce sens que, dans le contexte d' une action engagée devant une juridiction nationale, en invoquant l' article 4, paragraphe 1, de cette directive, par une femme mariée en vue d' obtenir l' égalité de traitement ainsi qu' une réparation pour une discrimination qu' elle aurait subie du fait de la non-application, dans son cas, des règles applicables aux hommes se trouvant dans la même situation, les autorités compétentes d' un État membre violent les principes généraux du droit communautaire en invoquant les règles de procédure nationales, notamment celles relatives aux délais, dans le cadre de leur défense contre cette action, en vue de limiter ou de refuser une telle réparation?"
6 . C' est avec raison que la Commission fait observer que la réponse à la question posée ne doit pas être cherchée dans l' interprétation de l' arrêt cité . En effet, celui-ci porte sur le droit conféré en tant que tel et non pas sur la question de savoir si un État membre peut s' appuyer sur une règle de procédure nationale, en particulier une règle de délai, pour éviter d' avoir à donner suite à une demande fondée sur le droit communautaire, ce qui est le problème posé ici .
7 . Les parties s' accordent pour considérer que la règle nationale en cause est la section 84, article 21(1 ) du règlement de procédure des tribunaux supérieurs de 1986, qui régit les pratiques et procédures de la High Court et de la Supreme Court irlandaises, dont le libellé est le suivant :
"l' autorisation d' introduire une requête en révision doit être sollicitée avec diligence et, en tout état de cause, dans les trois mois à compter de la date à laquelle les éléments qui la fondent sont apparus pour la première fois ou dans les six mois si réparation est demandée par voie de 'certiorari' , à moins que le tribunal n' estime qu' il existe de bonnes raisons de prolonger le délai pendant lequel la requête peut être formée ".
8 . Nous devons donc examiner
- si l' État irlandais est en droit d' opposer un délai quelconque à Mme Emmott,
- et, dans l' affirmative, quelle peut être la longueur de ce délai et à partir de quel moment il peut commencer à courir .
9 . Mme Emmott estime que le fait de permettre aux autorités compétentes irlandaises d' exciper de la tardiveté de l' introduction de son recours en justice équivaudrait à donner à ces autorités la possibilité de tirer profit de leurs propres manquements .
10 . Elle soutient qu' une autre raison pour laquelle les défendeurs ne devraient pas pouvoir invoquer le caractère tardif de l' introduction du recours par la demanderesse réside dans le fait que procéder de la sorte équivaudrait à ne pas appliquer le principe d' égalité de traitement entre hommes et femmes . Pendant la période du 23 décembre 1984 au 18 novembre 1986, tous les hommes mariés ont bénéficié d' un taux plus élevé et d' un traitement plus favorable au titre des personnes à leur charge que les femmes mariées . Le Minister for Social Welfare a accordé aux hommes mariés un tel traitement sans que ceux-ci soient contraints d' entamer une procédure pour l' obtenir; les défendeurs souhaitent maintenant obtenir que ce traitement ne soit applicable aux femmes mariées que si elles ont entamé immédiatement les démarches nécessaires pour obtenir un tel traitement . Permettre aux défendeurs de soutenir avec succès une telle position équivaudrait à imposer aux femmes mariées une condition préalable difficile à remplir, à savoir la nécessité d' entamer des procédures immédiatement si elles veulent obtenir l' égalité de traitement . Cette conception permettrait au défendeur et à l' État irlandais de traiter ces femmes mariées de manière discriminatoire .
11 . On peut effectivement se demander s' il ne résulte pas de votre arrêt du 13 mars 1991, Cotter et McDermott ( C-377/89, Rec . p . I-1155, ci-après "arrêt McDermott et Cotter II "), que l' État irlandais n' est en droit d' opposer aucun délai à Mme Emmott, quelle que soit la date à partir de laquelle ce délai commencerait à courir . On peut en effet lire au point 19 de cet arrêt que
"si, à partir du 23 décembre 1984, un homme marié a bénéficié automatiquement de majorations d' allocations pour personnes dites à charge, sans avoir à établir que les personnes en question étaient effectivement à sa charge, la femme mariée qui se trouvait dans la même situation que cet homme avait également droit à ces majorations sans qu' aucune condition supplémentaire, propre aux femmes mariées, pût être exigée ".
12 . Vous avez considéré que cette règle devait être appliquée avec un automatisme absolu, même si elle devait aboutir à un double emploi, c' est-à-dire à l' octroi simultané des allocations pour personne à charge au mari et à l' épouse .
13 . Si tel n' était pas le cas, avez-vous ajouté, cela permettrait aux autorités nationales de se fonder sur leur propre comportement illégal pour mettre en échec le plein effet de l' article 4, paragraphe 1, de la directive .
14 . Il est donc possible que vous estimiez qu' en imposant le respect d' un délai aux femmes mariées, l' État irlandais violerait ces principes .
15 . Je ne puis cependant me résoudre à considérer que l' application des règles de procédure nationales ait un caractère discriminatoire . Ces règles sont en effet applicables quel que soit le sexe du requérant et seraient également appliquées à un homme qui aurait un litige avec les défendeurs parce qu' il estimerait ne pas avoir reçu son dû . De plus, il serait, à mon avis, contraire au principe de la sécurité juridique d' obliger les juridictions irlandaises à accueillir encore dans dix ou 20 ans des demandes de paiements relatives à la période allant du 23 décembre 1984 au 16 novembre 1986 .
16 . Comme les autorités irlandaises défenderesses, les gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni et la Commission, je suis d' avis qu' il est possible d' appliquer ici votre jurisprudence constante relative à la répétition de l' indu . Celle-ci concerne elle aussi des situations où un État membre avait commis, par action ou par omission, un manquement au droit communautaire . Ceci ne vous a cependant pas empêchés de considérer que les particuliers devaient se plier aux règles de procédure nationales, y compris en matière de délais, s' ils voulaient obtenir ce que le droit communautaire leur accordait .
17 . Parmi les nombreux arrêts qui ont été cités au cours de la présente procédure ( 3 ) c' est probablement l' arrêt Rewe du 16 décembre 1976 qui exprime de la manière la plus explicite votre doctrine en la matière; je me permets dès lors de citer un large extrait du point 5 de cet arrêt :
"attendu que ..., par application du principe de coopération énoncé à l' article 5 du traité, c' est aux juridictions nationales qu' est confié le soin d' assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l' effet direct des dispositions du droit communautaire;
que, dès lors, en l' absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l' ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l' effet direct du droit communautaire, étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne;
que les articles 100 à 102 et 235 du traité permettent, le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux disparités des dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres en la matière, si elles s' avéraient de nature à provoquer des distorsions ou à nuire au fonctionnement du marché commun;
qu' à défaut de pareilles mesures d' harmonisation, les droits conférés par le droit communautaire doivent être exercés devant les juridictions nationales selon les modalités déterminées par la règle nationale;
qu' il n' en serait autrement que si ces modalités et délais aboutissaient à rendre en pratique impossible l' exercice de droits que les juridictions nationales ont l' obligation de sauvegarder;
que tel n' est pas le cas de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion;
qu' en effet, la fixation de tels délais, en ce qui concerne les recours de nature fiscale, constitue l' application du principe fondamental de sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l' administration concernés ".
18 . L' application de ces principes au cas d' espèce donne lieu aux observations suivantes .
19 . D' après l' article 173 du traité CEE, le délai dans lequel les personnes physiques et morales peuvent former un recours devant cette Cour est de deux mois . Le délai de trois mois prévu par la législation irlandaise est donc certainement un "délai raisonnable" au sens de votre jurisprudence . Mais l' article 21(1 ) du règlement de procédure irlandais prévoit que "l' autorisation d' introduire une requête en révision doit être sollicitée avec diligence et, en tout état de cause, dans les trois mois ...". Si cela signifie qu' une demande, présentée moins de deux mois après la date à laquelle les éléments qui la fondent sont apparus pour la première fois, peut néanmoins être rejetée, alors cette possibilité serait incompatible avec le critère du "délai raisonnable ".
20 . En second lieu, selon la jurisprudence citée, les modalités procédurales du droit national s' appliquant aux recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l' effet direct du droit communautaire ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne .
21 . Comme la section 84, article 21 ( 1 ), du règlement de procédure des tribunaux supérieurs irlandais de 1986 semble s' appliquer indistinctement aux recours de nature interne et aux recours fondés sur le droit communautaire, il ne devrait pas y avoir de problème à cet égard . Il appartient cependant au juge national de vérifier s' il n' existe pas en droit national des types de recours ayant une portée analogue au recours de Mme Emmott, qui ne sont pas soumis à l' observation d' un délai . A l' audience on a évoqué à cet égard certaines revendications tirées directement de la constitution .
22 . En troisième lieu, les modalités et délais prévus par la législation nationale ne doivent pas aboutir à rendre pratiquement impossible l' exercice des droits que les juridictions nationales ont l' obligation de sauvegarder . Si tel était le cas, les autorités compétentes irlandaises ne seraient pas en droit de les invoquer et, surtout, le juge national ne serait pas en droit de les appliquer . La Cour n' a donc pas admis l' application pure et simple, sans aucune restriction, du droit national, mais elle a tenu à marquer que ce droit s' applique uniquement dans la mesure où il ne rend pas impossible en pratique la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l' effet direct du droit communautaire . Cette condition est fondamentale en ce qu' elle démontre que c' est le principe de l' effet utile du droit communautaire qui est à la base de la jurisprudence en cause et qui doit inspirer la réponse à la question posée . L' importance de ce principe en matière d' application des directives a d' ailleurs été posée par la Cour dès son arrêt Grad ( 4 ).
23 . Or, la possibilité ou l' impossibilité d' exercer ces droits dépend dans une très large mesure de la date à partir de laquelle le "délai raisonnable" commence à courir . Il est étonnant que les parties défenderesses au principal, qui veulent faire valoir l' exception fondée sur la règle nationale de délai, ne précisent nulle part quelle serait cette date . De plus, elles ne font pas état, dans la réponse qu' elles proposent à la question préjudicielle, de la condition selon laquelle la règle nationale ne doit pas rendre pratiquement impossible l' exercice des droits découlant du droit communautaire .
24 . Est-ce que, en l' espèce, la date à laquelle les motifs de la demande sont apparus pour la première fois pourrait être la date à partir de laquelle la directive aurait dû être transposée? L' arrêt McDermott et Cotter I nous dit en effet que les femmes ont droit à l' égalité de traitement à partir du 23 décembre 1984 . Le juge de renvoi fait d' ailleurs spécifiquement allusion à cette date . Faut-il en conclure que les femmes s' estimant victimes d' une discrimination auraient dû intenter un recours avant le 23 mars 1985 ou, du moins, dans les trois mois du premier refus de leur accorder l' égalité de traitement après le 23 décembre 1984?
25 . J' estime pour ma part que le délai ne saurait courir à partir de la date à laquelle la directive aurait dû être transposée qu' au cas où il pourrait être démontré à la satisfaction du juge national que la requérante était consciente, dès ce moment-là, du fait que le principe d' égalité de traitement inscrit à l' article 4 de celle-ci pouvait être directement invoqué par elle .
26 . Dans le cas contraire, je suis d' avis que la nature même de la directive s' oppose à la prise en considération de cette date . En effet, le principe que "nul n' est censé ignorer la loi" ne saurait être opposé aux particuliers s' agissant d' une directive non encore transposée . Une directive ne lie que l' État membre; elle n' est pas adressée aux particuliers . On ne saurait donc déduire de la directive en tant que telle des obligations pour les particuliers ( 5 ). Dès lors elle ne peut pas non plus déclencher un délai de recours qui serait opposable à ces derniers .
27 . On peut également rappeler à cet égard que la publication des directives au Journal officiel des Communautés européennes, qui a été invoquée à l' audience par les parties défenderesses, est fondamentalement différente de celle dont font l' objet les actes obligatoires pour les particuliers . Il ne s' agit pas d' une "publication légale", ayant des effets juridiques, comme dans le cas des règlements, mais uniquement d' une publication pour information .
28 . Il n' est d' ailleurs pas sans intérêt de remarquer que le texte de la directive publiée ne permet pas aux particuliers de connaître avec exactitude la date limite de transposition de celle-ci . En effet, ce texte mentionne uniquement l' existence d' un délai avant l' expiration duquel l' État membre, destinataire de la directive, devra l' avoir transposée ainsi que le fait que ce délai commence à courir à la date de la notification de la directive à l' État membre . Or, cette date n' y figure pas et il n' existe aucune raison de supposer qu' elle soit connue des particuliers .
29 . De plus, s' il est certes vrai que l' interprétation donnée par la Cour dans un arrêt préjudiciel a un effet rétroactif dans la mesure où elle indique comment la norme interprétée aurait dû être comprise depuis l' origine, il est cependant tout aussi indiscutable qu' avant que la Cour n' ait tranché la question, il n' est pas certain que la directive, ou tel ou tel de ses articles, ait un effet direct .
30 . La question se pose dès lors de savoir à partir de quel moment il serait équitable que le délai commençât . Comme la Commission, je considère qu' en toute équité ce moment ne peut pas se situer avant celui où le demandeur a raisonnablement dû avoir connaissance de l' effet direct de la disposition dont il réclame le bénéfice et, s' il y a lieu, de la portée exacte de celle-ci lorsque cette dernière n' était pas évidente . En l' occurrence se posent en effet deux problèmes distincts, à savoir celui de l' octroi des prestations dues avec effet rétroactif au 23 décembre 1984 ( tranché par l' arrêt McDermott et Cotter I ) et celui du droit des femmes mariées aux prestations pour personnes à charge ou aux versements transitoires ( tranché par l' arrêt McDermott et Cotter II, intervenu seulement le 13 mars 1991 ).
31 . Cette solution trouve d' ailleurs un parallèle dans l' article 173, troisième alinéa, du traité CEE, qui dispose que le délai pour former le recours en annulation commence à courir à compter du jour où le requérant a eu connaissance de l' acte attaqué .
32 . Mme Emmott a aussi rappelé l' arrêt Adams ( 6 ), au point 50 duquel vous avez déclaré, à propos du délai de prescription de cinq ans figurant à l' article 43 du statut de la Cour, que "la prescription ne saurait être opposée à la victime d' un dommage qui n' aurait pu prendre connaissance du fait générateur de ce dommage qu' à une date tardive, et n' aurait pu disposer ainsi d' un délai raisonnable pour présenter sa requête ou sa demande avant l' expiration du délai de prescription ".
33 . Il y a bien entendu un moment où le requérant ne peut plus raisonnablement soutenir avoir toujours ignoré les droits que lui confère la disposition en cause . Ce moment sera nécessairement variable selon les faits de la cause et il appartiendra donc au juge national de le déterminer au regard des circonstances .
34 . Il reste finalement à examiner un dernier aspect du problème sur lequel la Commission a beaucoup insisté, et cela à juste titre, à savoir qu' il ne devrait pas être permis à l' autorité compétente, qui a indiqué ne pas encore être en mesure de statuer sur la demande et qui a laissé entendre qu' une décision interviendrait dès que la juridiction saisie du problème aurait dit le droit en la matière, d' exciper ensuite d' un délai lorsque l' intéressé se résoud finalement à saisir les tribunaux .
35 . Dans une lettre du département irlandais des Affaires sociales datée du 26 juin 1987 annexée au jugement de renvoi, on peut lire en effet que
"no action can be taken on anyone' s claim as the Directive is still the subject of High Court Proceedings .
When a decision is given by the High Court, the necessary action will be taken to deal with it, and your case will be dealt with immediately ".
36 . Il appartient au juge de renvoi de statuer sur la portée de cette lettre et de l' ensemble de l' échange de correspondance intervenu .
37 . Mises à part les considérations de droit irlandais qui pourraient entrer en ligne de compte, le droit communautaire pourrait apporter la solution du problème en ce sens que le comportement de l' administration peut avoir été de nature à rendre pratiquement impossible l' exercice des droits de Mme Emmott .
Conclusion
38 . Pour toutes ces raisons je vous propose de répondre comme suit à la question posée :
"Dans le contexte d' une action telle que celle décrite par la question, les autorités compétentes d' un État membre ne violent pas le droit communautaire en invoquant les règles de procédure nationales, notamment celles relatives aux délais, pour autant que les mêmes délais s' appliquent aux actions d' une portée similaire intentées en vertu du droit interne . Il faut aussi que ces délais soient d' une durée raisonnable, qu' ils ne soient calculés qu' à partir du moment où l' intéressé a raisonnablement dû avoir connaissance de ses droits et que l' exercice, par celui-ci, de ses droits, n' ait pas été rendu pratiquement impossible par l' attitude de l' autorité compétente ."
(*) Langue originale : le français .
( 1 ) JO 1979 L 6, p . 24 .
( 2 ) Arrêt du 24 mars 1987, McDermott et Cotter ( 286/85, Rec . p . 1453 ).
( 3 ) Voir l' arrêt du 19 décembre 1968, Salgoil ( 13/68, Rec . p . 662 ); les arrêts du 16 décembre 1976, Rewe ( 33/76, Rec . p . 1989 ), et Comet ( 45/76, Rec . p . 2043 ); les arrêts du 27 mars 1980, Denkavit ( 61/79, Rec . p . 1205 ), du 9 novembre 1983, San Giorgio ( 199/82, Rec . p . 3595 ), du 2 février 1988, Barra ( 309/85, Rec . p . 355 ), du 29 juin 1988, Deville ( 240/87, Rec . p . 3513 ) et du 9 novembre 1989, Bessin et Salson ( 386/87, Rec . p . 3551 ).
( 4 ) Arrêt du 6 octobre 1970, Grad ( 9/70, Rec . p . 825 ).
( 5 ) Voir l' arrêt du 26 février 1986, Marshall ( 152/84, Rec . p . 723 ).
( 6 ) Arrêt du 7 novembre 1985, Adams/Commission ( 145/83, Rec . p . 3539, 3591 ).