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Document 61985CC0267
Opinion of Mr Advocate General Cruz Vilaça delivered on 24 September 1986. # Marcel Luttgens v Commission of the European Communities. # Official - Leave on personal grounds - Reorganization of the service - Promotion - Reinstatement. # Case 267/85.
Conclusions de l'avocat général Cruz Vilaça présentées le 24 septembre 1986.
Marcel Luttgens contre Commission des Communautés européennes.
Fonctionnaire - Congé de convenance personnelle - Réorganisation du service - Promotion - Réintégration.
Affaire 267/85.
Conclusions de l'avocat général Cruz Vilaça présentées le 24 septembre 1986.
Marcel Luttgens contre Commission des Communautés européennes.
Fonctionnaire - Congé de convenance personnelle - Réorganisation du service - Promotion - Réintégration.
Affaire 267/85.
Recueil de jurisprudence 1986 -03417
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:335
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. JOSÉ LUIS DA CRUZ VILAÇA
présentées le 24 septembre 1986 ( *1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. |
Le requérant, Marcel Luttgens, est entré au service de la Commission le 15 juin 1964 en qualité de traducteur et a été nommé, le 1er mars 1983, chef du service spécialisé IX-D-7 «traduction: de langue française». Le 14 décembre 1983, le requérant a présenté une demande de congé de convenance personnelle pour la période du 1er mars 1984 au 28 février 1985 en indiquant que, pendant la période du congé, il résiderait à l'adresse suivante: Grand-Rue 33, B-6780 Messancy. Le congé de convenance personnelle lui a été accordé par décision du 14 février 1984. Le 12 mars 1984, l'administration a publié un avis de vacance pour un poste de chef de division LA 3 pour la division IX-D-7. Le 19 mars 1984, le requérant a fait acte de candidature à ce poste en indiquant comme domicile, dans une lettre d'accompagnement, le n° 3 de la rue du Stade, à Schouweiler, tout en spécifiant qu'il serait absent de Luxembourg du 24 mars au 1er juillet 1984, sans donner toutefois l'adresse à laquelle il se trouverait. Par la même lettre, le requérant a demandé que sa réintégration soit anticipée et il a proposé la fin du mois d'août « afin que (sa) candidature au poste précité puisse être prise en considération ». Le directeur général du personnel et de l'administration de la Commission a répondu à cette lettre le 23 mars 1984 en l'envoyant à l'adresse qui y était indiquée; il a informé le requérant qu'il n'était pas possible de retarder la publication et le pourvoi du poste LA 3 de chef de la division de la traduction française. Dans cette réponse, il a également informé le requérant que, conformément au statut, l'autorité investie du pouvoir de nomination ne pouvait pas prendre en considération la candidature d'un fonctionnaire se trouvant en congé de convenance personnelle et que, dans ces conditions, une réintégration à la fin du mois d'août serait trop tardive. Le requérant prétend n'avoir reçu cette lettre qu'en juin 1984 du fait qu'elle n'avait pas été envoyée à l'adresse figurant dans sa demande de congé de convenance personnelle. Après que le requérant a été réintégré à sa demande avec effet au 1er octobre 1984, mais dans un emploi de réviseur, il a demandé, le 29 octobre, à se voir confier un emploi équivalant à celui qu'il occupait auparavant. Devant le refus de l'administration, le requérant a introduit, le 6 décembre 1984, une réclamation adressée à l'autorité investie du pouvoir de nomination au titre de l'article 90 du statut en demandant l'annulation des décisions lui faisant grief. Cette réclamation est parvenue à la Commission le 12 décembre 1984 et a été enregistrée au secrétariat général le 4 janvier 1985. Le 5 juin 1985, par lettre notifiée au requérant le 11 juin, la Commission a rejeté la réclamation. Le 3 septembre 1985, le greffe de la Cour a enregistré le recours par lequel le requérant demande l'annulation de la décision de la Commission par laquelle celle-ci refuse de prendre en considération sa candidature au poste de chef de division, l'annulation de toute la procédure relative à ce concours, en ce compris la nomination éventuelle d'un autre fonctionnaire, et la réouverture de la procédure de concours. Le requérant demande encore l'annulation de la décision le réintégrant en qualité de réviseur parce qu'il estime devoir à tout le moins être réintégré dans son poste antérieur de chef d'équipe. Toutefois, comme ce n'est que dans le mémoire en duplique que, contrairement à ce qu'elle avait exposé jusqu'alors, la Commission a affirmé que la candidature du requérant au poste de chef de division avait finalement été prise en considération, le requérant a renoncé à l'audience à sa demande en annulation de la décision de la Commission, supposée refuser sa candidature. Comme cette demande était par ailleurs fondée sur un acte d'un fonctionnaire sans caractère définif (la lettre du 23 mars), elle se serait de toute façon avérée sans objet à la suite de la révélation de la Commission. Le requérant a également renoncé à l'audience à sa demande en annulation de la nomination de M. Dante Parini au poste de chef de division en invoquant à cet égard des motifs d'humanité. A la place de ces chefs de conclusions formulés dans la requête, le requérant a demandé, à l'audience, à voir condamner la Commission au paiement d'un Écu à titre de dommages-intérêts en raison de son comportement fautif, sur le fondement de l'article 42 du règlement de procédure. Comme la Cour a évoqué le problème de la viabilité d'une telle demande formulée à ce stade de la procédure, le requérant a suggéré que la Cour prononce une telle condamnation à des dommages-intérêts d'office, dans des termes analogues à ceux utilisés dans l'arrêt Oberthür. A titre subsidiaire, et sur le même fondement, le requérant suggère que la Commission soit condamnée aux dépens de la même façon que dans l'arrêt List. Néanmoins, le deuxième chef de conclusions formulé dans la requête, relativement à l'annulation de la décision de réintégration du requérant en tant que réviseur, a été maintenu. |
2. |
Analysons maintenant les questions de droit soulevées par le cas d'espèce. |
A — L'exception d'irrecevabilité
Dans son mémoire en duplique, la Commission soulève la question préliminaire de la recevabilité du recours. A son avis, le recours ne serait pas recevable: en effet, la réclamation n'aurait pas été introduite dans les délais prévus à l'article 90, paragraphe 2, du statut puisque celle-ci a été formée plus de trois mois après la publication de l'avis de vacance COM/736/84, qui, comme la Commission le souligne, constitue une mesure de caractère général.
Il n'est manifestement pas possible d'opposer une telle exception au chef de demande formulé par le requérant eu égard à sa réintégration. Il a pris connaissance de celle-ci en octobre 1984 et a introduit sa réclamation le 6 décembre, c'est-à-dire dans le délai de trois mois prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut.
En ce qui concerne la demande en annulation du concours et la nomination d'un chef de division, il semblerait à première vue que, comme le requérant y a renoncé, il n'y ait pas lieu d'analyser la question de la recevabilité.
Toutefois, il est certain qu'à l'audience le requérant a formulé un nouveau chef de demande qui, s'il n'existait pas d'autres motifs pour le rejeter dès l'abord, ne pourrait, selon nous, être examiné que si la demande initiale, telle qu'elle découle de la requête, était recevable. Serait-il sensé de condamner la Commission au paiement de dommages-intérêts ou/et aux frais de l'instance en raison du comportement éventuellement illégal qu'elle a manifesté dans les circonstances mêmes servant de fondement à un certain chef de demande, alors que celui-ci ne serait pas recevable?
A cet effet, nous serions donc obligé d'examiner la question de la recevabilité d'un tel chef de demande.
Toutefois, comme nous le verrons par la suite, il s'avère qu'un autre motif, qui n'a rien à voir avec la recevabilité de la demande initiale, s'oppose à la recevabilité du nouveau chef de demande formulé par le requérant de sorte qu'il n'y a plus lieu d'examiner ici cette première question.
B — La demande en versement de dommages-intérêts
A l'audience, le requérant a demandé, comme nous l'avons vu, à voir condamner la Commission au versement d'un Écu à titre de dommages-intérêts sur la base des dispositions de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure.
Toutefois, ledit article permet seulement — et dans des circonstances déterminées — la production de moyens nouveaux. Il n'admet nullement les parties à formuler des chefs de demande tout à fait différents à l'audience. En conséquence, la demande en versement de dommages-intérêts formulée à ce stade est irrecevable.
Nous pensons cependant que la Cour peut condamner la Commission d'office à la réparation du dommage que le requérant a subi si son comportement révèle une faute de service ou pour toute autre raison qui le justifie. En vérité, les dispositions de l'article 91, paragraphe 1, du statut confèrent à cet égard à la Cour une compétence de pleine juridiction (voir affaires 44/59, Fiddelhar/Commission, Rec. 1960, p. 1082, et 24/79, Oberthür/Commission, Rec. 1980, p. 1743).
Or, lorsque l'on consulte le dossier, que ce soit la correspondance échangée avec le requérant ou la procédure écrite antérieure à la duplique, on constate que la Commission a toujours affirmé que la candidature du requérant au poste de chef de division n'avait même pas été prise en considération. Ce n'est que dans la duplique que, contrairement à ce qu'elle avait soutenu jusqu'alors, la Commission a prétendu que la candidature du requérant avait été examinée. Un tel fait a nécessairement eu des répercussions sur la stratégie du requérant qui, comme il l'a lui-même souligné à l'audience, aurait très bien pu ne pas former de recours ou, s'il l'avait malgré tout fait, l'aurait certainement fondé sur des éléments tout à fait différents de ceux utilisés. A titre de preuve, il convient de relever le fait que les trois premiers moyens invoqués par le requérant ne pourraient certes pas être considérés comme pertinents puisqu'ils visaient à attaquer le prétendu refus de la Commission d'examiner la candidature de l'intéressé.
La Commission n'a donc pas montré la diligence qu'on saurait exiger d'elle pour éviter de telles conséquences (d'autant plus que dès l'origine, elle disposait des procèsverbaux afférents au concours), de sorte qu'elle a manqué aux règles d'une bonne administration d'une façon susceptible de mettre en doute son respect scrupuleux du principe de la bonne foi dans le déroulement du procès. Elle a ainsi engagé sa responsabilité du fait d'une faute de service commise à l'égard d'un de ses fonctionnaires.
C'est pourquoi nous suggérons à la Cour de condamner d'office la Commission au paiement de dommages-intérêts qui pourraient être fixés au montant symbolique d'un Ecu, pour réparer le dommage moral subi par le requérant du fait du comportement de l'administration.
C — La décision de réintégration du requérant en tant que réviseur
Le requérant prétend que sa réintégration en qualité de réviseur, alors qu'antérieurement il était chef d'un service spécialisé, ne porte pas seulement atteinte à ses intérêts moraux mais également à ses perspectives d'avenir, notamment la possibilité d'obtenir une promotion au poste de chef de division. Le requérant demande partant l'annulation de son affectation après sa réintégration.
Nous estimons cependant que ce chef de demande ne peut pas aboutir.
En vérité, l'article 40, paragraphe 4, sous d), du statut prévoit que, à l'expiration du congé de convenance personnelle, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son grade.
Or, avant son congé de convenance personnelle, le requérant avait le grade LA 4 et il a été réintégré dans le même grade. Le fait que ce grade correspond à l'emploi de réviseur résulte de l'annexe I au statut, de sorte qu'il n'est pas possible de dire, eu égard aux fonctions actuellement exercées par le requérant, que son grade ne correspond pas à l'emploi occupé.
Sans doute les considérations émises par l'avocat général Mayras eu égard à l'interprétation de l'article 7 du statut dans un cas d'espèce similaire, dans les conclusions dans l'affaire Kuhner/Commission (Rec. 1980, p. 1700, 1706 et suiv.), ont-elles retenu toute notre attention.
Dans cette affaire, un fonctionnaire de la Commission, de grade A 4, exerçant les fonctions de chef de service spécialisé dans la division F de l'Office statistique (statistiques des relations extérieures, transports et services) qui, dans le cadre d'une réorganisation, avait été nommé administrateur principal chargé de tâches spécifiques, avait formé un recours. Les circonstances dans lesquelles cette modification de la position du fonctionnaire a eu lieu, ont conduit l'avocat général Mayras à considérer que, si la Commission n'a pas violé la lettre des articles 5 et 7 du statut, elle a cependant manqué à son devoir de sollicitude (Fürsorgepflicht) à l'égard de l'un de ses fonctionnaires en lui faisant subir une « rétrogradation de fait ».
Toutefois, en l'espèce, la procédure ne nous fournit pas d'éléments nous permettant de conclure dans le même sens.
En vérité, ni au cours de la procédure écrite ni à l'audience, la nature exacte des fonctions exercées par le requérant avant son congé de convenance personnelle n'a été éclaircie pleinement. L'intéressé lui-même a fini par utiliser indistinctement les désignations de « chef d'équipe », de « chef de secteur » (apparemment comme quelque chose équivalant à « chef de service spécialisé ») et même de « chef de section », sans faire de distinction claire entre les termes qui figurent dans le statut et la terminologie qui ne résulte que de la pratique administrative.
L'obligation de réintégration du requérant dans ses fonctions de chef de service spécialisé impliquerait certes pour la Commission l'annulation du processus de conversion du service en division (pour la direction de laquelle le requérant n'avait pas été nommé), ce qui équivaudrait à refuser à l'institution les moyens de prendre ses responsabilités pour l'organisation et l'amélioration des services, que la Cour lui a reconnus dans sa jurisprudence (affaires 66/75, Macevicius/Parlement, Rec. 1976, p. 603 et 61/76, Geist/Commission, Rec. 1977, p. 1434). Sans contribuer pour autant à clarifier les choses, le requérant finit d'ailleurs au point 5 de ses conclusions par demander sa réintégration « à tout le moins dans son poste antérieur de chef de l'équipe française », révélant finalement ainsi qu'il prétend à un poste équivalant à celui qu'il occupait avant son congé de convenance personnelle.
Néanmoins, l'organisation de la division de la traduction à Luxembourg, notamment le point de savoir si, dans l'organigramme de cette division, il existe ou il existait des postes de chefs d'équipe au sens du statut, n'a pas été éclaircie un tant soit peu, bien que dans sa note du 4 décembre 1984 le directeur général du personnel et de l'administration évoque l'intention de l'administration de confier à l'intéressé un poste de chef d'équipe.
Le dossier de la procédure ne fournit donc pas d'éléments suffisamment sûrs pour conclure que l'intéressé a subi une rétrogradation significative ou une diminution sérieuse de ses fonctions à la suite de sa réintégration.
C'est pourquoi nous ne voyons pas de motifs suffisamment solides nous conduisant à estimer que les circonstances de l'espèce s'écartent du cadre d'application de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle « la règle de la correspondance entre le grade et l'emploi, qu'exprime en particulier l'article 7 du statut, implique, en cas de modification des fonctions d'un fonctionnaire, non une comparaison entre ses fonctions actuelles et antérieures, mais entre ses fonctions actuelles et son grade dans la hiérarchie » (affaires jointes 33 et 75/79, Kuhner/Commission, Rec. 1980, p. 1677, 1697 et affaire 66/75, Macevicius/Parlement, Rec. 1976, p. 604).
En effet, le requérant ne conteste pas que ses fonctions actuelles de réviseur correspondent à son grade LA 4.
D — Les dépens
Pour les raisons qui ont déjà été analysées eu égard à la demande de dommages-intérêts au titre du comportement illicite de la Commission, le requérant s'est désisté de la majeure partie de ses chefs de demande et a renoncé aux moyens invoqués à cet égard en voyant qu'ils n'aboutiraient pas. Ainsi qu'il a été démontré, cette réaction est due au comportement de la Commission qui n'a affirmé qu'au niveau de la duplique qu'elle avait examiné la candidature du requérant.
Il n'y a pas de doute que le fait d'avoir caché au requérant l'élément qui a ensuite été affirmé dans la duplique a incité, si ce n'est déterminé celui-ci, à former le recours et à invoquer les moyens développés.
Dans de telles circonstances, nous estimons que le requérant ne devrait pas supporter les frais qu'il a engagés pour former ce recours, bien qu'il n'obtienne pas gain de cause.
En conséquence, il s'impose donc selon nous, de façon analogue à ce que la Cour a décidé dans son arrêt du 27 janvier 1983 (dans l'affaire 263/81, List/Commission, Rec. 1983, p. 118) d'appliquer l'article 69, paragraphe 3, alinéa 2, du règlement de procédure selon lequel la Cour peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l'autre partie les frais qu'elle lui a fait exposer et que la Cour reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.
Partant, sur la base des considérations qui précèdent, nous concluons en proposant à la Cour de
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condamner la Commission à verser au requérant à titre de dommages-intérêts le montant symbolique d'un Ecu en réparation du dommage que celui-ci a subi du fait du comportement de la Commission, |
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rejeter le recours dans sa partie relative à la réintégration du requérant, |
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condamner la Commission à la totalité des frais. |
( *1 ) Traduit du portugais.